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Athanase David, précurseur des politiques culturelles au Québec

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Bulletin d'histoire politique

Athanase David, précurseur des politiques culturelles au Québec

Fernand Harvey

Contester ! Les formes d’une prise de parole au Québec au XXe siècle

Volume 21, Number 2, Winter 2013 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1014139ar

DOI: https://doi.org/10.7202/1014139ar See table of contents

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Association québécoise d'histoire politique VLB éditeur

ISSN

1201-0421 (print) 1929-7653 (digital) Explore this journal

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Harvey, F. (2013). Athanase David, précurseur des politiques culturelles au Québec.

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Athanase David, précurseur des

politiques culturelles au Québec

Fernand Harvey

Chaire Fernand-Dumont sur la culture INRS- Centre Urbanisation, Culture et Société

Si le nom d’Athanase David reste très présent dans le paysage culturel québécois, c’est largement grâce au prix littéraire qui fut baptisé en son honneur. Son nom évoque également une sorte de mythe des origines de l’essor artistique du Québec au XXe siècle, sans qu’on puisse toujours cer-ner clairement la nature de sa contribution, les motivations à l’origine de sa politique culturelle et les circonstances qui l’on rendue possible. Une recherche récente permet d’affi rmer qu’en matière de politiques cultu-relles, le rôle historique d’Athanase David a été déterminant, si bien qu’on peut parler d’un avant et d’un après David1. Au cours de son histoire, le Québec a compté avant lui des hommes politiques imbus d’art et de culture générale, mais aucun d’eux n’avait eu jusque-là la vision d’une politique culturelle d’État ou la capacité d’agir équivalente à celle d’Atha-nase David. Question de personnalité, sans doute, tout autant que de conjoncture. Les hommes qui font l’histoire sont ceux qui ont l’intelli-gence de saisir le contexte propice à l’action, en s’appuyant à la fois sur leurs propres intuitions et sur les idées novatrices en émergence dans leur milieu.

Dégager un horizon pour le développement culturel du Québec, telle semble avoir été l’ambition d’Athanase David à titre de secrétaire de la Province, poste qu’il a occupé sans interruption de 1919 à 1936, au cours de la dernière année du gouvernement de Lomer Gouin, puis sous celui de Louis-Alexandre Taschereau2. Dans quelle mesure a-t-il atteint les ob-jectifs qu’il s’était fi xés et en quoi son action culturelle s’inscrit-elle dans le développement des institutions culturelles au Québec ? C’est à ces questions que tentera de répondre notre analyse.

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La conception de la culture d’Athanase David

La culture est le résultat d’un rapport au monde. L’homme moderne cherche à travers les événements du passé et du présent une interprétation qui donne un sens à son action tout en dégageant un horizon pour l’ave-nir. De façon manifeste, David a constamment cherché à conjuguer le pas-sé, le présent et l’avenir à travers ses discours et son action politique. Une biographie de l’homme nous permettrait de dégager les principaux fac-teurs qui l’ont amené à s’intéresser à la culture à une époque où une telle préoccupation demeurait marginale dans le discours politique et peu va-lorisée dans l’opinion publique. Il faut d’abord mentionner la formation classique de David qui a fréquenté le Mont-Saint-Louis et le collège Sainte-Marie, avant de compléter des études en droit à l’Université de Montréal. Il est fi nalement admis au Barreau en 1905. Les humanités gréco-latines à la base de son éducation ont certainement été la matrice de sa conception de l’art et de la beauté. À cela il faut ajouter l’infl uence déterminante de son père, Laurent-Olivier David, à la fois journaliste, historien et politi-cien. Imbu d’idées libérales modérées, il était convaincu de la nécessité de moderniser le système québécois d’éducation alors dominé par le clergé. Cette ouverture à la modernité, L.-O. David l’avait aussi rattachée à un devoir de mémoire envers les pionniers bâtisseurs du pays et les généra-tions subséquentes qui avaient lutté pour conquérir le gouvernement

responsable au milieu du XIXe siècle. Athanase n’oubliera pas les leçons

d’histoire de son père.

À ces fondements de la personnalité qui remontent à l’enfance et à l’adolescence viennent se superposer les acquis de l’âge adulte : l’infl uence tout aussi déterminante de sa femme, Antonia Nantel, qu’il épouse en 1908 et qui lui sera étroitement associée dans bon nombre de ses initiatives culturelles personnelles, plus particulièrement dans le domaine musical puisqu’elle possédait une formation de pianiste acquise à Montréal et à Paris3.

Par ailleurs, une analyse systématique des réseaux culturels de l’entre-deux-guerres démontrerait de façon évidente le poids politique qu’a pu y exercer David à titre de secrétaire de la Province, tout en étant lui-même largement infl uencé en retour par ce même milieu. Il avait l’habitude de fréquenter des artistes comme les peintres Suzor-Coté, Horatio Walker et Charles Maillard, le sculpteur Alfred Laliberté, le chef d’orchestre Wilfrid Pelletier, l’avocat Hector Perrier, son associé dans la pratique du droit, et certains amis de longue date comme Édouard Montpetit, professeur d’économie et de sciences sociales à l’Université de Montréal et Victor Doré, président de la Commission des Écoles catholiques de Montréal. L’infl uence intellectuelle de Montpetit sur David semble importante, plus particulièrement en ce qui concerne la question de l’infériorité

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écono-mique des Canadiens français. À ce cercle d’intimes s’ajoutent naturel-lement tous les acteurs culturels des années 1920 et 1930 que David a côtoyés par affi nité ou par nécessité.

On trouve dans un livre qu’il a publié en 1934 et intitulé En marge de la

politique, l’essentiel de sa philosophie politique. Ce recueil de discours

demeure le seul livre qu’il ait publié, bien qu’on puisse également retra-cer dans les débats de l’Assemblée législative d’autres textes fort éclai-rants sur sa conception de la culture. Étant avant tout un homme d’action, David utilise l’expression orale de préférence à l’écriture pour élaborer sa pensée. On retrouve dans ses discours en rapport avec la culture une vi-sion fondamentalement optimiste de l’avenir de la société canadienne-française. Infl uencé par les thèses d’Édouard Montpetit et d’Errol Bou-chette sur l’émancipation économique des Canadiens français, David considère que les temps ont changé et que la solution à l’infériorité écono-mique réside dans un élargissement du système d’éducation, jusque-là trop centré sur les études classiques, afi n d’y inclure la formation tech-nique et spécialisée. « Je crois à l’idéal, affi rme-t-il, mais je crois aussi à la nécessité de la fortune comme levier pour faire valoir et appliquer les idées que l’idéal suggère »4. À l’importance des assises économiques vient s’ajouter le rôle moteur des élites. C’est par leur intermédiaire que le pro-grès économique, social et culturel s’étendra, par la suite, à l’ensemble de la population. En soi, cette conception élitiste de la société canadienne-française n’avait rien de bien original par rapport à celle véhiculée par les autres défi nisseurs de situation de son époque. Mais il va plus loin en prédisant la montée des experts qui, dit-il, « nous ont fait comprendre l’im-portance de l’observation et de l’analyse des faits »5. Cette prise de position annonce l’avènement de la société de l’organisation axée sur la rationalité. Elle fait écho aux propos de Montpetit sur le même sujet6.

Selon David, le problème du Canada français n’est pas l’absence d’élites économiques et culturelles, mais leur manque de spécialisation. On mesure ici les limites du système universitaire québécois de l’entre-deux-guerres qui ne possède pas encore d’enseignement structuré au ni-veau des deuxième et troisième cycles. D’où le recours aux universités françaises, prôné tant par Lomer Gouin que par David, afi n de permettre aux jeunes diplômés d’aller s’y spécialiser.

En ce qui concerne plus précisément le rôle de l’État en matière de culture, David se fait assez explicite et s’aventure sur un terrain nouveau, par rapport à ses prédécesseurs. Il faut préciser au départ que David s’ap-puie sur une conception classique de la culture associée aux lettres et aux beaux-arts. « Il devient aussi urgent, déclare-t-il, de former une élite artis-tique destinée à orienter les goûts de notre peuple vers la Beauté ». Et cette recherche doit être mise au service d’un idéal : celui d’exprimer l’âme d’un

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fi nancières privées comme aux États-Unis qui ont ainsi été en mesure de développer des institutions culturelles originales. Il revient donc à l’État québécois de suppléer à ce manque de ressources en suscitant des voca-tions littéraires et en reconnaissant l’œuvre méritoire. Pour ce faire, l’État devra investir dans de nouvelles institutions culturelles ou soutenir celles qui existent déjà. Voilà donc l’essentiel de la position d’Athanase David sur le développement culturel du Québec. Cette politique culturelle qui ne dit pas son nom nous apparaît, avec le recul du temps, comme l’effet cumulatif de diverses réalisations de David au cours des années 1920, plu-tôt qu’un énoncé général à priori, comme le gouvernement du Québec en élaborera à partir des années 1970.

Les principales réalisations de David en matière culturelle

Au cours de cette période d’effervescence qui caractérise le début des années 1920, Athanase David multiplie les initiatives tous azimuts en matière culturelle, conscient d’un long retard à rattraper pour la société canadienne-française. Ses principales réalisations concernent l’institution-nalisation du patrimoine et de l’enseignement des beaux-arts, la création d’un musée d’État, le développement d’un programme de bourses de per-fectionnement en Europe, la création du Prix David et l’amorce d’une radio éducative.

Le patrimoine archivistique et immobilier

Conscient de l’importance de la mémoire dans l’identité d’un peuple, David s’emploie, dès son arrivée à la tête du secrétariat de la Province, à mettre sur pied un service d’archives provinciales digne de ce nom. Pierre-Georges Roy est alors engagé comme archiviste dès 1920 et se voit confi er le mandat de rassembler différents dépôts de documents jusque-là inaccessibles pour le public, d’en faire l’inventaire et de repérer en France ou ailleurs d’autres fonds d’archives susceptibles d’être copiés pour enrichir le patrimoine archivistique québécois. P.-G. Roy s’y em-ploiera avec beaucoup d’énergie. C’est dans cet esprit que le secrétariat de la Province publie annuellement le Rapport de l’Archiviste de la province

de Québec, lequel contient un grand nombre de documents inédits,

parti-culièrement sur la période de la Nouvelle-France. David fi nance égale-ment l’édition et la distribution dans le réseau scolaire du Bulletin des

Recherches historiques que dirige P.-G. Roy. Ce bulletin demeure le seul

périodique en histoire publié à cette époque8. Dans son rapport annuel

de 1933, David note avec satisfaction que le retard historique de 50 ans accumulé par le Québec en matière de politique archivistique avait maintenant été comblé9.

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Si les percées dans le domaine du patrimoine archivistique sont im-portantes au cours des années 1920 et 1930, les résultats demeurent plus modestes en ce qui concerne le patrimoine immobilier et les objets d’art. David fait adopter une première loi québécoise dans ce domaine en mars 1922. Cette loi qui a pour objectif « la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique » s’inspire de la loi française de 1913. La loi prévoit la mise sur pied d’une Commission des monuments historiques composée de cinq membres dont le mandat est de procéder au classement des immeubles. La prise de conscience de l’impor-tance du patrimoine naît généralement d’un sentiment de perte ; on voit s’affi rmer cette nouvelle sensibilité durant l’entre-deux-guerres, alors que la société québécoise s’urbanise rapidement. Il faut aussi se rappeler que le gouvernement fédéral venait de créer sa Commission des lieux et

monuments historiques du Canada, en 191910.

Au cours des années 1920, la Commission des monuments historiques du Québec fait œuvre d’éducation et de sensibilisation du public en pu-bliant trois monographies à caractère patrimonial sur les anciennes églises (1925), les manoirs et les maisons (1927), ainsi que sur l’Île d’Orléans (1928). Elle procède, de plus, à ses premiers classements en 1929, soit le Château de Ramesay à Montréal, la maison des Jésuites à Sillery et l’église Notre-Dame des Victoires à Québec. Des travaux de restauration sont éga-lement entrepris sur quelques bâtiments historiques, mais la crise écono-mique des années 1930 vient paralyser toute nouvelle initiative, car la Commission manque de moyens pour remplir son mandat. Quant aux œuvres d’art, aucun classement n’est entrepris du temps de David. L’in-ventaire des œuvres d’art réalisé par Gérard Morisset ne débute qu’en 1937, sous le gouvernement Duplessis11.

L’institutionnalisation de l’enseignement des beaux-arts

L’une des initiatives la plus signifi cative et sans doute la plus réussie de la politique culturelle d’Athanase David demeure l’institutionnalisation de l’enseignement des beaux-arts à la suite de la création des écoles des beaux-arts de Québec et de Montréal en 192212. L’idée était déjà dans l’air depuis la fi n du XIXe siècle13, mais David a su réunir les conditions pour réaliser son projet avec l’appui unanime de l’Assemblée législative. Il n’existait pas à cette époque d’enseignement public et professionnel des beaux-arts au Québec14. Pour atteindre son objectif, le secrétaire de la Pro-vince aura recours à des professeurs français, tant pour la direction des deux écoles que pour l’enseignement. Trois noms occupent l’avant-scène de cette collaboration franco-québécoise. Emmanuel Fougerat, directeur fondateur de l’école régionale des Beaux-arts de Nantes, est prêté pour trois ans par le gouvernement français et devient directeur de l’école des

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Beaux-arts de Montréal en 1922, en plus d’assumer le poste de directeur général des beaux-arts de la province de Québec, de 1924 à 1925. Pour sa part, Jean Bailleuil est nommé directeur de l’école des Beaux-arts de Qué-bec en 1922 et assume cette fonction jusqu’à son décès en 1929. Quant à Charles Maillard, qui deviendra plus tard le bouc émissaire des signa-taires du Refus global, il remplace Fougerat à la direction de l’école de Mont-réal, de 1925 jusqu’à sa démission en 1945 à la suite d’un confl it avec Paul-Émile Borduas concernant leur conception respective de l’art. De 1931 à 1936, Maillard cumule également le poste de directeur général des beaux-arts de la Province et celui de directeur de l’école des beaux-beaux-arts de Québec.

En plus de ces trois directeurs, au moins six autres professeurs français se joignent au corps professoral soit à Québec, soit à Montréal15. S’il faut en croire les statistiques colligées dans le Rapport du secrétaire de la

province, le nombre important d’inscriptions aux deux écoles des

beaux-arts témoigne de leur popularité. Ainsi, pour la seule année académique 1928-29, 311 élèves s’inscrivent à différents cours à l’École des beaux-arts de Québec et 671 élèves, à celle de Montréal16.

Au-delà de ces éléments administratifs, il est intéressant de préciser l’approche esthétique qui se dégage de la politique artistique de David et de ses alliés français. Cette esthétique s’articule autour de deux axes : celui des rapports entre l’expertise française et le contenu canadien et celui de l’équilibre entre un art fonctionnel et la libre création.

Dans le premier axe, le recours à l’expertise française en matière d’enseignement des beaux-arts apparaît comme une évidence pour David. N’a-t-il pas affi rmé à maintes reprises dans ses discours à l’Assemblée lé-gislative, que l’aide de la France était nécessaire pour former des experts dans différents domaines, incluant les arts. Une mise à niveau, en quelque sorte. L’infl uence française prend la forme d’une esthétique « beaux-arts » fondée sur le culte du Beau et l’inspiration des modèles classiques. Cette approche aurait pu mener à une imitation servile de sujets français en peinture et en sculpture. Cependant, dans l’esprit de David, il importe, en contrepartie de cette infl uence technique et institutionnelle, de promou-voir l’expression d’un art canadien qui puisse traduire des thématiques canadiennes, particulièrement en ce qui concerne le paysage. « Nos écoles sont donc canadiennes, écrit David, et font œuvre canadienne en travail-lant au mouvement artistique canadien. Si elles agissaient autrement, elles manqueraient à leur but et ne feraient qu’entraver l’élan artistique natio-nal ». Cette autonomie souhaitée de l’art canadien ne débouche pas pour autant sur l’autonomie complète de l’artiste par rapport aux canons artistiques classiques, puisqu’il ne saurait être question pour David de cautionner « un art problématique aux possibilités plus tapageuses que vraiment artistique »17.

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David et Charles Maillard partagent, du reste, la même conception de l’art qui s’inscrit dans l’académisme français, un courant institutionnel qui continue de s’imposer au Québec durant l’entre-deux-guerres. À titre de directeur général des beaux-arts de la province de Québec, Maillard en profi te pour préciser sa pensée concernant les deux niveaux de formation offerts dans les écoles des beaux-arts de Montréal et de Québec. Le pro-gramme vise à former d’abord des diplômés dans les arts utilitaires : des architectes, des professeurs qualifi és pour l’enseignement du dessin dans les écoles primaires et secondaires et des dessinateurs décorateurs pour l’industrie et pour les intérieurs des maisons bourgeoises. Puis, la forma-tion de l’artisan étant ainsi facilitée, « la maîtrise reste accessible aux plus doués, écrit-il ; les artistes, les créateurs, disons les inspirés, qui feront œuvre noble »18. Cette conception d’un rapport entre l’art utilitaire et l’art libre s’inscrit dans une conception des beaux-arts dont les origines

re-montent au XIXe siècle, tant au Québec qu’en Europe. Elle est liée au

besoin de formation d’une main-d’œuvre qualifi ée dans la foulée de la

révolution industrielle19. Cette approche est, du reste, partagée par

Édouard Montpetit pour qui l’artiste est « un producteur de valeur, un producteur d’utilité et un producteur d’action »20. Athanase David a sans doute utilisé de tels arguments pour convaincre ses collègues du cabinet et le premier ministre Taschereau de la pertinence d’investir dans la création de deux écoles de beaux-arts.

Les bourses d’Europe

Développer de nouvelles institutions culturelles dans le Québec des années 1920 et 1930 n’exclut pas pour autant le besoin d’un perfectionne-ment à l’étranger, plus particulièreperfectionne-ment en France. Pour David, une telle nécessité s’appuie sur un double objectif : former d’abord les experts, aux-quels il a été fait allusion précédemment, mais également puiser dans le passé français du Québec les bases qui puissent lui permettre de construire sa spécifi cité nord-américaine. Édouard Montpetit, qui avait bénéfi cié d’un séjour d’études en France, en 1907, était devenu une fi gure embléma-tique et un modèle à imiter.

L’historiographie démontre qu’il existe au sein des élites culturelles du Canada français une longue tradition de séjours d’études en France, laquelle s’est poursuivie sans interruption au cours des XIXe et XXe siècles. Cependant, avant les années 1920, ces rapports scientifi ques, littéraires et artistiques avec la France étaient demeurés le fait d’initiatives privées, fi -nancées par le clergé ou le réseau familial. L’historien Claude Galarneau a pu ainsi dénombrer quelque 63 étudiants québécois, dont huit en arts et lettres, qui ont séjourné en France pour la seule période allant de 1815 à 185521. L’État québécois, pour sa part, intervient pour la première fois

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dans le domaine des bourses d’études à l’étranger en 1911, alors que le premier ministre Lomer Gouin crée le Prix d’Europe à la suite de pressions venant du milieu musical. L’initiative demeure modeste puisqu’elle per-met sur une base annuelle à un seul lauréat d’aller perfectionner ses connaissances musicales en Europe22.

Une nouvelle loi est adoptée par le gouvernement Gouin en fé-vrier 1920 « concernant l’octroi de bourses pour aider les élèves gradués à suivre des cours additionnels à Paris, France [sic] »23. Le jeune député Da-vid, qui ne sera promu au poste de secrétaire provincial que le 25 août de la même année, s’impose par ses interventions en Chambre, exprimant déjà une vision bien articulée du rôle de la science et de la culture pour l’avenir de la société canadienne-française. D’ailleurs, peu de temps après son accession au cabinet, David ne tarde pas à bonifi er le programme des bourses d’Europe grâce à un amendement à la loi qu’il fait adopter en 1922, portant ainsi de 5 à 15 le nombre de boursiers d’Europe.

Entre 1920 et 1936, le secrétariat de la Province consacre un total de 750 238 $ aux bourses d’Europe, incluant 76 784 $ pour le programme ré-servé aux seuls musiciens, soit une moyenne annuelle de quelque 60 000 $, permettant dans les meilleures années à quelque 45 boursiers de séjourner

simultanément en Europe24. La crise économique des années 1930 a

mal-heureusement eu pour conséquence de réduire le nombre de boursiers. Une analyse systématique de la carrière ultérieure des boursiers d’Europe s’imposerait pour mesurer tout l’impact à long terme de ce programme sur le développement culturel et scientifi que du Québec. Cependant, tout indique que cet impact a été majeur25. Il suffi t de rappeler quelques noms connus parmi ces boursiers de l’entre-deux-guerres : le sociologue Victor Barbeau (1924), les musiciens Rodolphe Mathieu (1925), Eugène Lapierre (1924-1925) et Claude Champagne (1925-1929), le peintre Rodolphe Duguay (1925-1927), le juriste Maximilien Caron (1929-1930), le chimiste Adrien Pouliot (1926-1929), l’historien Jean Bruchési (1925-1927), l’archiviste Antoine Roy (1929-1930), l’historien de l’art Gérard Morisset (1930-1933) et le géographe Benoît Brouillette (1931).

Il convient de situer ce programme de bourses dans le contexte plus large du développement des relations entre la France et le Québec au cours de la période qui suit la première guerre mondiale. La France dé-pêche trois missions de coopération au Canada au tournant des années 1920 : la mission du général Pau (1919), celle du maréchal Fayolle (1921) et celle du maréchal Foch (1922). De son côté, le Canada, fi er de ses succès sur les champs de bataille européens, commence à affi rmer sa person-nalité internationale, grâce notamment à l’action diplomatique de son haut-commissaire à Paris, Philippe Roy. Ce dernier, en plus d’avoir été un promoteur des bourses d’Europe a joué un rôle clé dans la fondation, en 1926, de la Maison des étudiants canadiens à Paris, avec l’aide d’un mécène

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canadien-français, le sénateur Joseph-Marcellin Wilson. Étonnamment, le gouvernement fédéral de Mackenzie King refuse toute aide à cette rési-dence étudiante, considérant que le dossier relève de la compétence pro-vinciale. Le Québec demeure le seul gouvernement au Canada à soutenir modestement l’entreprise durant plusieurs années par le biais d’une sub-vention annuelle de 5 000 $ accordée par le secrétariat de la Province26.

Parallèlement aux bourses d’Europe, Athanase David accorde une subvention annuelle de 5 000 $ à l’Institut scientifi que franco-canadien, fondé en 1926 par le biologiste Louis-Janvier Dalbis, professeur à l’Univer-sité de Montréal, dans le but de faire venir des conférenciers français au Québec dans le domaine des sciences, de la médecine, des sciences humaines et de la littérature. Édouard Montpetit assumera la continuité de cet organisme durant de longues années à titre de secrétaire, puis de vice-président27.

Le Prix David

Par ailleurs, l’année 1922 marque une étape importante dans l’institution-nalisation de la littérature et de la vie scientifi que au Québec. David fait adopter un projet de loi « pour encourager la production d’œuvres litté-raires ou scientifi ques ». Les débats qui précèdent l’adoption de la loi par l’Assemblée législative offrent un rare moment d’échanges élevés sur l’avenir de la littérature canadienne-française. David domine manifeste-ment le débat et évoque le travail pionnier des écrivains du XIXe siècle, après avoir rappelé la politique traditionnelle d’achat et de diffusion de livres d’auteurs québécois par le gouvernement du Québec depuis 1867. Sans cette aide, affi rme-t-il, nombre d’œuvres n’auraient jamais vu le jour. Quant à l’avenir, David l’entrevoit avec confi ance ; faisant référence au pessimisme de Nelligan et de son ami Charles Gill qui affi rmaient vivre dans un pays où tout le monde doit travailler pour vivre et où on ne peut concevoir que nous essayions de vivre en chantant, il répond d’un ton prophétique : « Ça viendra ! Ça viendra ! »28.

Adopté dans l’enthousiasme et avec l’appui de l’opposition conserva-trice, le projet de loi prend le nom de Prix David, à la suggestion d’Hector Laferté, député du comté de Drummond. Entre 1923 et 1936, de nombreux écrivains et scientifi ques se verront ainsi honorés par l’attribution du Prix David29.

Le Musée de la Province

Poursuivant sur sa lancée de 1922, David voyait grand en faisant égale-ment adopter la « loi sur les musées de la province » qui prévoyait l’éta-blissement d’un musée à Québec et d’un autre à Montréal, « pour servir à

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l’étude de l’histoire, des sciences et des beaux-arts ». La loi défi nit ainsi les fonctions du futur musée : assurer la conservation et la diffusion de l’art et du patrimoine, aider les écrivains et les artistes et former la jeunesse, tout en favorisant l’éducation du peuple. De plus, dans l’esprit de David, le musée se doit de promouvoir à la fois l’idéal de la « beauté » et la connais-sance de l’art canadien auprès de la population30.

Le projet de musée à Québec ne se réalise pas aussi rapidement que prévu, en comparaison avec la création des deux écoles des beaux-arts. La construction s’étend de 1928 à 1931, mais l’institution n’ouvre ses portes qu’en 1933. Un important dépassement de coûts, auquel il faut ajouter les effets négatifs de la crise économique sur le budget de la province, vient ralentir l’achèvement du projet. À l’origine, le gouvernement avait prévu un budget de 600 000 $ pour la construction de l’immeuble. En mars 1929, le ministre des Travaux publics, Antonin Galipeault, revient devant l’As-semblée législative pour réclamer un budget supplémentaire de 600 000 $ afi n de compléter les travaux d’aménagement intérieur. Cette fois, David et Taschereau doivent mettre tout leur poids politique dans la balance pour défendre le projet, maintenant évalué à 1,2 M $, face à Maurice Du-plessis, devenu chef de l’Union nationale. En tant que leader de l’opposi-tion, ce dernier n’a pas la complaisance de son prédécesseur Arthur Sauvé à l’égard des projets de David et du gouvernement libéral. Il critique dure-ment ce qu’il considère comme un gaspillage de fonds publics pour « un musée d’oiseaux, de poissons et de peintres »31.

Malgré ces critiques de l’opposition, le budget supplémentaire est fi nalement voté et le projet mené à terme. Les premières années qui suivent l’ouverture du musée s’avèrent un succès, puisque quelque 70,000 visi-teurs fréquentent l’institution chaque année, entre 1934 et 1936. Athanase David avait nommé son sous-ministre Charles-Joseph Simard, directeur du nouveau musée en construction en 1931, mais ce dernier décède trois ans plus tard. L’archiviste Pierre-Georges Roy se voit alors confi er la di-rection du musée, poste qu’il occupera de 1933 à 1941, assisté de Paul Rainville. Avec le recul du temps, cette nomination apparaît comme une erreur, car Roy s’intéresse davantage à ses tâches d’archiviste provincial et néglige ses fonctions muséales. Il faudra attendre la nomination de Rain-ville comme nouveau directeur, en 1941, pour assister à une relance du Musée provincial, notamment en ce qui concerne les services éducatifs32. Une radio éducative

L’avènement de la radio au Québec, au début des années 1920, donne naissance à une contestation à caractère constitutionnel entre le gouverne-ment fédéral et celui du Québec pour le contrôle des ondes. En 1932, le Conseil privé à Londres confi rme le jugement de la Cour suprême du

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Canada qui avait tranché l’année précédente en faveur d’une juridiction fédérale33.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le bien fondé d’une « loi relative à la radiodiffusion en cette province » votée par le gouvernement Taschereau en avril 1929. Cette loi prévoyait la construction d’une station de diffusion. Cependant le gouvernement fait marche arrière, compte tenu de l’incertitude relative aux coûts d’un tel projet. Il lui préfère une formule plus souple et plus économique, soit l’achat de temps d’antenne à la nou-velle station CKAC de Montréal pour la réalisation d’une émission biheb-domadaire, « L’heure provinciale ». Cette émission qui sera diffusée à tra-vers la Province, de 1929 à 1938, avait été proposée à David par Édouard Montpetit. Ce dernier y voyait une occasion idéale pour développer une radio éducative et culturelle au Québec dans le prolongement de la mis-sion éducative de l’Université de Montréal. La programmation de L’Heure

provinciale comprenait des conférences, du théâtre et de la musique

clas-sique. L’historien Pierre Pagé estime à quelque 1 500, le nombre de partici-pants à cette émission au fi l des ans, dont 350 conférenciers, sans compter différents artistes et musiciens34.

Le gouvernement Taschereau a consacré 180 000 $ au fi nancement de cette émission au cours des dix années de son existence, soit 30 000 $ par année. Face à Maurice Duplessis qui voyait dans ce projet une entreprise de propagande pour le gouvernement libéral, Athanase David a défendu en Chambre le bien fondé de cette émission en situant le débat au-dessus des lignes partisanes. « Nous avons, disait-il, des artistes. Pourquoi ne pas leur fournir l’occasion de faire apprécier leur talent remarquable que nous connaissons à peine ? »35.

La responsabilité administrative de L’Heure provinciale sera confi ée au ministère des Terres et Forêts, mais il est évident que David s’est intéressé à sa programmation, compte tenu des liens d’amitiés qu’il entretenait avec Édouard Montpetit, nommé directeur général de l’émission.

Les échecs culturels d’Athanase David

L’impressionnant bilan de la politique culturelle de David amorcée au début des années 1920 ne doit pas pour autant faire oublier certains échecs du côté de la musique et des bibliothèques publiques, sans compter l’ab-sence de politique en ce qui concerne le théâtre.

Le projet avorté d’un Conservatoire de musique

Avant même qu’il ne soit nommé ministre, Athanase David avait déclaré en Chambre qu’il souhaitait la création avant longtemps d’un

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province en 1936, le Québec n’a toujours pas son conservatoire public comme il en existait en France. Que s’est-il passé pour que ce volet de la politique culturelle de David ne se soit pas matérialisé ? L’histoire de ce projet avorté est complexe et nécessiterait de longs développements. Qu’il suffi se de rappeler que l’idée d’un tel conservatoire apparaît pour la pre-mière fois en 1878 et que divers projets ont été esquissés au cours des an-nées qui ont suivi37. Fallait-il créer un conservatoire privé ou un conserva-toire d’État ? Quelle serait la participation de l’État québécois dans son fi nancement ? La fréquentation serait-elle gratuite, comme dans les conser-vatoires français, ou payante, à l’exemple des écoles de musiques améri-caines ? Quelle serait l’orientation du programme ? Dans quelle mesure ce conservatoire aurait-il le pouvoir et la capacité de coordonner l’enseigne-ment musical pour l’ensemble du Québec ? Quelle conception de la créa-tion musicale un tel conservatoire devait-il promouvoir ?

Ces questions et bien d’autres divisent le milieu musical québécois au cours des années 1920 et 1930. Viennent s’y ajouter des confl its de person-nalités, des luttes d’infl uence et des querelles entre Montréal et Québec. Il faut aussi se rappeler que contrairement au secteur des beaux-arts, tout n’était pas à faire dans celui de l’art musical puisqu’il existait déjà des écoles privées de musique, en plus d’un enseignement de base offert aux jeunes fi lles dans les écoles contrôlées par les communautés reli-gieuses. À cela venait s’ajouter l’amorce d’un enseignement supérieur avec la création de la Faculté de musique de l’Université McGill, en 1920, et l’École de musique de l’Université Laval en 1922. De plus, l’École nor-male de musique de la Congrégation Notre-Dame, fondée en 1926, ainsi que l’École supérieure de musique d’Outremont, fondée en 1932 par les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie étaient rattachées à la Faculté des arts de l’Université de Montréal.

Au cours des années 1920, alors qu’il disposait d’une certaine marge de manœuvre fi nancière avant la crise économique des années 1930, Atha-nase David se retrouvait donc confronté à un milieu musical profondé-ment divisé. Le ministre faisait l’objet de pressions de la part de divers groupes pour orienter le projet d’un conservatoire en fonction de leurs intérêts et de leurs orientations pédagogiques et musicales.

Rappelons brièvement certains faits. En 1925, le compositeur Achille Fortier avait fait parvenir une pétition au secrétaire de la Province dans le but de créer un conservatoire d’État dont il assumerait la direction. Mais David rejette fi nalement le projet qu’il juge mal fi celé. De son côté, Eugène Lapierre, devenu en 1922 secrétaire du moribond Conservatoire national de musique, une institution privée fondée en 1905 par Alphonse Lavallée-Smith, prônait un projet concurrent, appuyé par Édouard Montpetit et l’Université de Montréal. Son ambitieux projet de 1927 prévoyait, outre le développement d’un enseignement de la musique au niveau

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universi-taire, la construction, à partir d’un agrandissement de la Bibliothèque Saint-Sulpice, d’une salle de concert et d’un conservatoire au coût de 500 000 $. En 1929, Lapierre réussit à arracher au secrétaire de la Province une promesse de subvention de 10 000 $ pour assurer la relance de son conservatoire. David y met cependant trois conditions : qu’il assure la gra-tuité de certains cours, que le nom des professeurs soit soumis à son ap-probation et que ce Conservatoire puisse regrouper l’ensemble des musi-ciens de la province38. Les Comptes publics indiquent que le Secrétariat de la province a effectivement versé au Conservatoire de Lapierre une sub-vention de 10 000 $ en 1930-1931 et en 1931-1932, mais cette subsub-vention cesse par la suite.

Tout semble indiquer que David souhaitait créer un conservatoire de musique sous le contrôle de l’État, selon le modèle qu’il avait mis de l’avant pour l’enseignement des beaux-arts, plutôt qu’une institution d’enseignement musical rattachée aux universités de Montréal et de Laval, alors sous le contrôle du clergé. C’est fi nalement Hector Perrier, secrétaire de la Province dans le gouvernement d’Adélard Godbout et col-laborateur de longue date de David, qui reprend le dossier pour le mener à terme avec l’aide de Claude Champagne et de Wilfrid Pelletier. Le Conservatoire de musique de la province de Québec voit fi nalement le jour en 194239.

L’échec du projet de conservatoire public au cours des années 1930 n’empêche pas Athanase David de s’intéresser de près à la scène musicale montréalaise. On le voit prendre une part active dans la fondation de la Société des concerts symphoniques de Montréal avec son épouse Antonia Nantel, le philanthrope Jean-C. Lallemand et le critique musical Henri Letondal. Le premier concert a lieu à l’Auditorium du Plateau, le 14 jan-vier 1935, sous la direction du maestro Wilfrid Pelletier. David, nommé président d’honneur du comité de direction de l’orchestre, souhaite ainsi faciliter l’embauche de musiciens francophones, lesquels étaient peu nom-breux dans le Montreal Orchestra, fondé en 1930. Dans l’esprit de David, la Société des Concerts symphoniques devait aussi permettre un meilleur accès à la musique symphonique pour la population canadienne-française de l’Est de Montréal.

La Bibliothèque Saint-Sulpice

Athanase David est également impliqué dans le dossier de la Bibliothèque Saint-Sulpice. En 1931, il fait l’objet d’intenses pressions de la part des « Amis de Saint-Sulpice » pour sauver de la fermeture cette bibliothèque de référence propriété des Sulpiciens. Ces derniers éprouvaient, en effet, de graves diffi cultés fi nancières depuis 1925. Le secrétaire de la Province se déclare alors prêt à accorder une subvention annuelle de 15 000 $ à cette

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institution, à la condition que la ville de Montréal en fasse autant. Devant le refus du maire Camilien Houde d’égaler la subvention du gouvernement, la proposition tombe et la bibliothèque ferme ses portes en 1931. Elle n’ouvrira à nouveau qu’en 1944, après avoir été acquise par

le gouvernement Godbout40.

Il ne semble pas que David ait développé une vision très claire du rôle de l’État dans le soutien aux bibliothèques publiques, même s’il était, par ailleurs, un ardent défenseur de la diffusion des œuvres des écrivains qué-bécois grâce à une politique d’achat de livres. Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que la création de bibliothèques publiques ne faisait pas partie des priorités des municipalités au Québec. Quant au clergé, l’idée même de bibliothèque publique suscitait méfi ance et hostilité. On y voyait un danger pour la morale catholique à cause des mauvais livres susceptibles de s’y retrouver sans contrôle. Le premier ministre Taschereau lui-même, pourtant d’esprit libéral, manifeste ses réticences à l’idée de développer de telles institutions. Lors des audiences d’une commission d’enquête fé-dérale sur les bibliothèques publiques il déclare « qu’une bibliothèque publique n’est pas sans péril pour la génération actuelle » et qu’il s’en remet, pour sa part, à « l’excellent clergé » qui travaille en étroite collabo-ration avec le gouvernement dans « l’entreprise patriotique » qu’est l’éducation41.

Et le théâtre ?

Alors que le projet d’un conservatoire de musique bat de l’aile au cours des années 1930, il aurait été surprenant d’envisager d’y ajouter une sec-tion d’art dramatique, comme ce sera le cas au cours des années 1950. Dans les années 1920, le théâtre, comme le cinéma naissant ou la danse, n’avait pas bonne presse auprès du clergé québécois. Dans son mande-ment de 1921, Mgr Paul Bruchési, archevêque de Montréal, mettait ses fi

-dèles en garde contre les dangers moraux du théâtre42. Dans ces

circons-tances, il aurait été étonnant que le gouvernement se lance dans une politique d’aide fi nancière pour les troupes de théâtre. Il faut dire qu’au cours de l’entre-deux-guerres, l’activité théâtrale au Québec n’avait pas encore acquis de statut professionnel et demeurait à un répertoire où do-minaient le mélodrame et le vaudeville ; sans compter la concurrence du cinéma.

Il existait néanmoins une école privée qui offrait des cours d’élocu-tion, de dicd’élocu-tion, et d’art dramatique appliqué : le Conservatoire Lasalle, fondé en 1907 par Eugène Lasalle, un comédien français venu s’établir à Montréal l’année précédente avec son épouse Louise Doëlling Landreau. Le premier ministre Lomer Gouin avait accordé une subvention annuelle au Conservatoire afi n qu’il puisse dispenser gratuitement des cours

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d’élo-cution à la population montréalaise. Cette aide fi nancière se maintient sous Athanase David. Plusieurs comédiens québécois bien connus ont reçu une formation dispensée par ce conservatoire43. Par ailleurs, Antoi-nette Giroux, grâce à l’appui d’Athanase David, a été la première comé-dienne à bénéfi cier d’une bourse d’Europe offerte par le secrétariat de la Province afi n d’aller étudier l’art dramatique à Paris. Elle revient à Mont-réal en 1930 et prend la direction du Théâtre Stella, quatre ans plus tard44. Au terme de ce survol de la politique culturelle d’Athanase David, on mesure l’importance de ses réalisations, malgré des moyens fi nanciers re-lativement limités et certains échecs amplifi és par la crise économique des années 1930. La question culturelle n’était pas à l’avant-scène de la vie politique du Québec durant l’entre-deux-guerres, mais David a su jouer de son infl uence et de ses alliances au sein des élites de l’époque pour créer de nouvelles institutions culturelles qui allait lui survivre. S’il a su profi ter de la prospérité des années 1920 et des nouvelles ressources fi nan-cières de l’État québécois provenant de la création de la Commission des liqueurs et de diverses redevances afi n de convaincre son gouvernement d’en consacrer une partie à la culture, il a dû composer, par la suite avec les coupures budgétaires engendrées par la crise économique. Il n’en de-meure pas moins que de 1919 à 1936, une analyse des Comptes publics ré-vèle que le Secrétariat de la province a consacré 2,9 m $ aux activités cultu-relles, sans compter les dépenses d’immobilisation de 1 555 000 $ pour la construction du Musée provincial et l’École des Beaux-arts de Montréal et 180 000 $ pour l’émission radiophonique « L’Heure provinciale ». Au total, le gouvernement Taschereau aura donc investi un total de 4,6 m $ dans le secteur culturel, une somme fort respectable pour l’époque45.

Athanase David est demeuré secrétaire de la Province de 1919 à 1936. Ce long règne du « ministre des beaux-arts », comme on se plaisait à l’ap-peler dans certains milieux, a comporté ses avantages de stabilité et ses inconvénients liés à l’arbitraire de certaines de ses décisions. Il n’en de-meure pas moins que sa politique marque une nette césure entre les ac-teurs culturels de la fi n du XIXe siècle, peu nombreux et généralement pri-vés de l’aide de l’État, et les nouvelles générations qui investiront le champ culturel à partir des années 1940. Une analyse de l’impact à moyen et long terme des politiques de David, notamment en ce qui concerne l’enseigne-ment des beaux-arts et les bourses d’Europe, permettrait sans doute d’en évaluer toute la portée historique pour la professionnalisation du milieu culturel et artistique au Québec avant les années 1960.

Notes et références

1. Fernand Harvey, « La politique culturelle d’Athanase David, 1919-1936 », Les

Cahiers des Dix, no. 57, 2003, p. 31- 83 et La vision culturelle d’Athanase David,

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2. Rappelons que le secrétariat de la Province a été, de 1868 jusqu’à son aboli-tion en 1970, une sorte d’instance politique responsable des missions rési-duaires de l’État qui n’étaient pas encore dévolues à un ministère spécifi que. Au fi l des ans, le secrétaire de la Province s’est occupé d’art, de patrimoine et de culture en général avant la création du ministère des Affaires cultu-relles en 1961. Des dossiers relatifs à l’éducation technique et spécialisée, à la santé, aux affaires sociales, etc. ont également relevé de sa juridiction à certaines périodes. Voir : James Ian Gow, Histoire de l’administration publique

québécoise, 1867-1970, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1986,

p. 129-131.

3. Biographies canadiennes-françaises, Montréal, 1933, p. 275. Antonia Nantel-David était la fi lle de Guillaume-Alphonse Nantel, journaliste et député conservateur du comté de Terrebonne (1882-1900).

4. Athanase David, En marge de la politique, 2e éd., Montréal, Éditions Albert

Lévesque, 1943, p. 77. David n’osera pas, pour autant, promouvoir une loi d’instruction obligatoire pour le Québec ; une tâche dont s’acquittera avec brio son successeur, Hector Perrier, en 1943.

5. Ibid., p. 81.

6. Édouard Montpetit, Pour une doctrine, Montréal, Librairie de l’Action canadienne-française, 1931, 251 p.

7. A. David, op. cit., p. 96-97.

8. De 1924 à 1935, la subvention annuelle est de 2 400 $. Rapport du secrétaire de la

province, 1920-1921, Comptes publics, 1923-1924 à 1935-1936. À noter que la

publication d’autres périodiques spécialisés en histoire ne débute qu’après 1935: Les Cahiers des Dix, 1936- ; La Revue d’histoire de l’Amérique française, 1947- .

9. Rapport du secrétaire de la province, 1933-1934, p. 5g.

10. Alain Gelly, Louise Brunelle-Lavoie et Cornelius Kirjan, La passion du patrimoine.

La Commission des biens culturels du Québec, 1922-1994, Sillery, Septentrion,

1995, p. 17-49.

11. Devenue désuète, la loi des monuments historiques de 1922 qui ne prévoyait pas de pouvoir d’expropriation, sera remplacée par une nouvelle loi en 1952. 12. Statuts de Québec, 12 George V 1922, chap. 55, p. 213-220.

13. Anne-Élisabeth Vallée, Napoléon Bourassa et la vie culturelle à Montréal au

XIXe siècle, Montréal, Leméac, 2010, 255 p. Voir le chapitre 3 : « Pour le

dévelop-pement de l’enseignement des arts industriels et des beaux-arts à Montréal », p. 93-134.

14. Jusque là, un embryon d’enseignement des arts était dispensé dans les écoles d’arts et métiers et dans le cadre de cours du soir offerts à Montréal au Monu-ment national depuis 1894. Anne-Élisabeth Vallée, op. cit., p. 93-119 ; Aline Demers, The École des Beaux-arts of Montreal and its infl uence throughout the

pro-vince of Quebec, mémoire de maîtrise (arts), Notre Dame University, 1977, p. 8.

15. Gaston Demers, Lucien Martial, Achille Panichelli à Québec, R. Mathias, Jules Poisvert et Max Doumic à Montréal. Voir : David Karel, Dictionnaire des artistes

de langue française en Amérique du Nord, Québec, Musée du Québec/Presses de

l’Université Laval, 1992.

(18)

17. Rapport du secrétaire de la province, 1926-1927, p. 5e. Voir aussi : David Karel,

« Optimisme et innovation. Les arts visuels dans les années vingt »,

Cap-aux-Diamants, vol. 3, no. 4, hiver 1988, p. 15-18.

18. Charles Maillard, Vers un art canadien, [Montréal], 1943, 15 p.

19. Anne-Élisabeth Vallée, op. cit., p. 94-99 ; Laurier Lacroix, « L’art au service de “l’utile et du patriotique” ».

20. Édouard Montpetit, « L’art producteur », Revue trimestrielle canadienne, nov. 1919, p. 271-281.

21. Claude Galarneau, « Les Canadiens en France (1815-1855) », Les Cahiers des

Dix, no. 44, 1989, p. 139 et 150. Voir aussi : Claude Galarneau, « Les étudiants

québécois en France », Les Cahiers d’histoire politique du Québec au XXe siècle, no. 7,

printemps 1997, p. 130-132. Fernand Harvey, « Les relations culturelles entre la France et le Canada (1760-1960) », dans Serge Joyal et Paul-André Linteau (dir.), France–Canada–Québec : 400 ans de relations particulières, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 95-126.

22. En 1923, David porte le budget annuel du Prix d’Europe de 3 000 $ à 5 000 $. Sur le prix d’Europe : Mireille Barrière (dir.), Les 100 ans du prix d’Europe. Le

soutien de l’État à la musique, de Lomer Gouin à la Révolution tranquille, Québec,

Presse de l’Université Laval (coll. « Chaire Fernand-Dumont sur la culture »). 23. Québec, Débats de l’Assemblée législative, 13 février 1919, p. 179 et 182. 24. Compilation à partir des Comptes publics, 1920-1936.

25. Robert Gagnon et Denis Goulet, « Les “boursiers d’Europe”, 1920-1959. La formation d’une élite scientifi que au Québec », Bulletin d’histoire politique, vol. 20, no. 1, 2011, p. 60-71.

26. Fernand Harvey, op. cit., p. 42-43.

27. Fernand Harvey, « L’Institut scientifi que franco-canadien, 1926-1967, précur-seur de la coopération franco-québécoise », Bulletin d’histoire politique, vol. 20, no. 1, 2011, p. 72-83.

28. Débats de l’Assemblée législative, 22 janvier 1922, p.117-120.

29. À partir de 1937, le prix change de nom et devient durant plusieurs années le « Prix de la province de Québec », à l’instigation de Maurice Duplessis qui voulait faire disparaître le souvenir du régime Taschereau. Le Prix David de-meure l’ancêtre des Prix du Québec et il a marqué les débuts de la reconnais-sance publique des écrivains et scientifi ques québécois. L’appellation de « Prix David » est réintroduit au début des années 1960 pour les lauréats en littéra-ture. Lors de l’institution des cinq « Prix du Québec » en 1977, le prix Athanase David est maintenu pour le domaine littéraire. Voir : Historique des Prix du

Québec, document PDF, 34 p. (accessible sur le site Internet du gouvernement

du Québec).

30. Fernand Harvey, Le Musée du Québec. Son public et son milieu, Québec, Musée du Québec, 1991, p. 12-13, Coll. Cahiers de recherche, no. 3. Dès le début, le Musée oriente le développement de ses collections en fonction de l’art cana-dien.

31. Débats de l’Assemblée législative, 20 mars 1929, p. 730-732; 21 mars 1929, p. 739-740; 21 mars 1929, p. 746-747.

32. Fernand Harvey, Le Musée…, op. cit., p. 13-15. À noter que le projet d’un se-cond musée à Montréal, prévu dans la loi de 1922, ne verra jamais le jour.

(19)

33. Michel Filion, Radiodiffusion et société distincte. Des origines de la radio jusqu’à la

Révolution tranquille, Montréal, Méridien, 1994, p. 40-56.

34. Pierre Pagé, « Édouard Montpetit et Henri Letondal, les créateurs d’une radio éducative : L’Heure provinciale (1929-1939) », Fréquence / Frequency, no. 3-4, 1995, p. 81. L’auteur ne précise pas cependant s’il s’agit de personnes diffé-rentes ou du nombre total de prestations qui ont pu impliquer une même personne à plusieurs reprises.

35. Débats de l’Assemblée législative, 19 mars 1929, p. 708. 36. Ibid.,13 février 1919, p. 182.

37. Voir à ce sujet : Simon Couture, Les origines du conservatoire de musique du

Qué-bec, mémoire de maîtrise (musique), Université Laval, 1997. L’auteur retrace

les différents projets de conservatoires proposés entre 1878 et 1942. Aussi Fernand Harvey, « Le ministre Hector Perrier et la création du Conservatoire de musique de la province de Québec en 1942 », dans Mireille Barrière (dir.),

Les 100 ans du prix d’Europe, op. cit.

38. Marie-Thérèse Lefebvre, Rodolphe Mathieu (en préparation) ; l’auteure cite ici le Rapport du consul général de France, Ludovic Carteron (17 mai 1930) ; voir aussi : Marie-Thérèse Lefebvre, « Histoire du Conservatoire national de mu-sique : 1922-1950 », Cahiers de l’ARMuQ, no. 3 (juin 1984) : p. 38. Voir aussi : Marie-Thérèse Lefebvre, Rodolphe Mathieu, Québec, Septentrion, 2005. 39. Fernand Harvey, « Le ministre Hector Perrier et la création du Conservatoire

de musique de la province de Québec en 1942 », dans Mireille Barrière (dir.),

Les 100 ans du prix d’Europe, op. cit.

40. Jean-René Lassonde, La Bibliothèque Saint-Sulpice, 1910-1031, Montréal, Minis-tère des Affaires culturelles, 1987, p. 299-321.

41. James Ian Gow, op. cit., p. 131.

42. Jean Hamelin et al., Histoire du catholicisme québécois, le XXe siècle, tome 1,

1898-1940, Montréal, Boréal Express, 1984, p. 175-177 et p. 357-365. 43. Mentionnons : Juliette Béliveau, Paul Berval, Gilles Pelletier…

44. Jean Hardy, « Nos boursières : mademoiselle Antoinette Giroux », La Revue

moderne, décembre 1923, p. 43. Il est intéressant de noter qu’au cours de sa

longue carrière théâtrale, Antoinette Giroux sera de la première distribution des Belles-Sœurs de Michel Tremblay en 1968.

45. Fernand Harvey, « La politique… », op. cit., p. 76-77 et p. 82-83. Coûts d’immo-bilisation de l’École des Beaux-arts de Montréal, rue Saint-Urbain : 355,000 $; Musée provincial à Québec : 1,2 M $. Quant à l’École des Beaux-arts de Qué-bec, elle a été aménagée dans les anciens locaux de l’École des arts et manu-factures, rue Saint-Joachim. À noter que cette compilation des dépenses cultu-relles n’inclut pas les dépenses en éducation qui émargent au budget du secrétariat de la Province.

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