SUR QUELQUES POINTS
de la
PÉDAGOGIE DES MATHÉMATIQUES
DANS L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE
Nos lecteurs trouveront ci-dessous le texte d'une causerie faite à l'Ecole normale ^P^ieure de l'Enseignement technique par M. LOUbblbi\AL,,
Inspecteur général de l'Instruction publique.
Dans le temps que je cherchais le sujet de la causerie que M. le D i r e c t e u r m ' a v a i t d e m a n d é de faire ce soir, le bulletin de l'Association des pro-fesseurs de m a t h é m a t i q u e s a mis sous mes yeux un bel exposé de M116 Félix, n o t r e collègue au lycée
La Fontaine, sur le p r e m i e r enseignement de la géométrie.
Il contient n o m b r e de justes r e m a r q u e s et, aussi, en suggère d ' a u t r e s , p r o p r e s à é c l a i r er la pédagogie des m a t h é m a t i q u e s p o u r les jeunes, élèves et plus p a r t i c u l i è r e m e n t p o ur les élèves de nos établissements d'enseignement technique.
I. __ j e cite d ' a b o r d M"e Féli x :
« M. Gonsetli, d a n s son livre Qu'est-ce que la logique ? écrit, à p r o p o s de la f o r m e intuitive
relative à l'espace :
« Nous ne sommes pas sans quelques renseigne-« ments sur son évolution dans la p r i m e enfance. « Mais nous pouvons r e n o n c e r à nous en servir. « A p a r t i r d'un certain âge, elle peut être consi-« dérée comme fixée, de consi-«même que les connais-« sances qu'elle comporte : dès lors, celles-ci peu-« vent être dites a priori. »
« A p a r t i r d'un certain âge ? C'est ce qui inté-resse le p r o f e s s e u r d'enseignement du second degré chargé des débuts de la géométrie. Que possède
l'enfant qui, vers douze ans, est en cinquième ? Des souvenirs d'expériences déjà i n n o m b r a b l e s sui-des objets matériels, u ne classification implicite de ces objets, qui sont fixes ou mobiles, déforma-bles, articulés, indéformables , etc., mais en même
temps colorés, épais, etc. Il distingue certaines f o r m e s r e m a r q u a b l e s , le déplacement et le mouve-ment, la direction et le sens, la longueur, la sur-face, le volume, etc. En m ê m e temps, il possède un vocabulaire assez étendu, employant des mots usuels, d'autres plus savants dont l'aspect l'a sé-duit. 11 en c o m p r e n d d'autres qu'il emploie, mais pas spontanément . Et ces substantifs sont associés à des conjonctions, des adverbes, qui d o n n e nt à ses p h r a s e s u n aspect plus ou m o i n s logique.
« Bref, il commence, pou r suivre la description de M. Gonseth, à s u p e r p o s e r à la réalité « un « schéma descriptif, sommaire, symbolique et ina-« chevé ». Mais ce schéma fragile n'est guère p o u r v u encore d'une s t r u c t u r e intrinsèque rigide, et, en tout cas, l'enfant n'en a pas nettement conscience. R a i s o n n e r sur cette structure, c'est faire de la géométrie déductive. E n r i c h i r ^ le schéma, créer des r e p r é s e n t a t i o n s intuitives, c'est déjà a b s t r a i r e . C'est f a i r e de la géométrie expéri-mentale. »
Géométrie déductive, géométrie expérimentale, 63
on ne saurait définir en meilleurs termes ces deux c o n c e p t i o n s de la géométri e e n t r e lesquelles le p r o f e s s e u r hésite souvent.
« Je pense qu'il serait indispensable, ajoute M"e Félix comme p r e m i è r e conséquence de ces
remarques, d'assurer, au cours d'une année prépa-ratoire qui serait p a r exemple n o t r e cinquième, la solidité et la richesse du schéma descriptif qui est le f r u i t de la géométrie expérimentale et en même temps de f o r m e r et préciser le vocabulaire des-criptif adéquat. »
M"° Félix exprime ici excellemment le but pro-posé à l'enseignement de la géométrie dans la classe de cinquième des collèges techniques, en vue duquel a été rédigé le nouveau p r o g r a m m e de géométrie de cette classe.
Notre collègue du Second Degré p r o p o s e m ê m e - en s'excusant toutefois de faire appel à, dit-elle, « d u matériel de jardin d ' e n f a n t s » — « l ' o b s e r v a -tion des objets physiques en vue de leur descrip-tion, l'usage d ' i n s t r u m e n ts de toutes sortes p o u r le dessin, le pliage, le découpage... » Et, sous la caution d ' H e n ri Lebesgue, suit u n e étude fort in-téressante du domaine de cette géométrie expéri-mentale, de la progression du développement cor-rélatif de la logique, et nous a p p r e n o n s même que cette méthode peut être poursuivie très loin... jus-qu'au delà du t h é o r è m e de Thalès. Quelle en est d o n c la limite ? « Le t h é o r è m e de P v t h a g o r e p a r les aires? — je cite encore M"e "Félix — la
t r i g o n o m é t r i e des angles aigus ? On a r r i v e ainsi à la géométrie de l ' a p p r e n t i , du t r a v a i l l e u r ma-nuel... Mais, p r o f e s s e u r s de Lycée ou de Collège français, nous sentons en général qu'il faut réso-lument s ' a r r ê t e r dans cette direction. »
Et voici la seconde des idées maîtresses de l'exposé :
« Le but réel de l'enseignement des mathémati -ques à des enfants qui, pou r une grande part, n'en f e r o n t aucun usage plus tard, est de constituer les c a d r e s d ' u n e p e n s é e logique et d ' i n i t i e r au vocabulaire c o r r e s p o n d a n t . »
Nous voici arrivés également au point où, nous, professeurs de l'Enseignement technique, ne pou-vons plus e n t i è r e m e n t suivre n o t r e collègue.
U . — Les e n f a n t s auxquels nous enseignon s les mathématiques, auxquels vous, p r o f e s s e u r s de demain, aurez à les enseigner, ne sont pas des e n f a n t s « qui n'en f e r o n t aucun usage plus tar d ». Bien au contraire. Tout ce qui leur est enseigné, p a r tous leurs professeurs, est destiné à a s s u r e r et à accroître leur habileté dans le métier qu'ils a p p r e n n e n t à l'Ecole technique, à laquelle ils sont venus d e m a n d e r une f o r m a t i o n professionnelle, et qui, unité pédagogique dont l'efficacité résulte de l'action c o n c o r d a n t e de tous ses membres, a p o u r devoir de lui d o n n e r cette f o r m a t i o n .
On ne peut d o n c pas écarter de l'enseignement, d a n s les établissements d ' e n s e i g n e m e n t t e c h n i q u e , les parties des m a t h é m a t i q u e s qui servent aux autres sciences et à la p r a t i q u e des métiers.
Quelle que soit la professio n qu'ils pratique-ront, quel que soit le niveau qu'ils atteindront dans la h i é r a r c h i e des techniciens, les élèves de nos écoles seront des constructeurs . L'ajusteur qui f a b r i q u e u n e pièce d'après un dessin ou la petite main qui fait une robe d'après un modèle, le des-sinateur qui a tracé le dessin ou la modéliste qui a conçu le croquis ou la toile originale, et même l'ingénieur qui a fixé p a r le calcul les caractéris-tiques générales de la m a c h i n e née de son esprit, tous, au cours de leur travail, voient d'abord par la pensée l'objet qu'il faut tire r de la matière brute, voient d a n s l'espace, comme on dit en géométrie descriptive, tous doivent posséder un sens affiné à la fois des formes possibles des objets — à quoi doit les aider l'étude de la géométrie — et de l'in-teraction de ces f o r m e s matériellemen t possibles et des p r o p r i é t é s des m a t é r i a u x — à laquelle les initie l'étude du dessin, industriel ou artistique selon la profession, et de la technologie, ainsi que la p r a t i q u e du travail manuel.
Il n'est point à dire, certes, que cet enseigne-m e n t puisse se dispenser de faire appel à la lo-gique, à l'intelligence. Ce qui distingue, dès le pre-mier échelon de la h i é r a r c h i e des valeurs teel? niques, l'ouvrier qualifié du m a n œ u v r e , c'est moins l'étendue des connaissances technologiques et l'ha-bileté des doigts que l'aptitude à réfléchir sur la façon d'organiser la suite de gestes qui confection-nera la pièce proposée à l'ouvrier sous la forme d'un dessin — dessin qui est un schéma logique et non un e r e p r é s e n t a t i o n sensible puisqu'il est construit c o n f o r m é m e n t à des n o r m e s qu'il faut in-t e r p r é in-t e r correcin-temenin-t, c'esin-t-à-dire p a r le moyen d'un r a i s o n n e m e n t c o r r e c t e m e nt construit du point de vue de la logique. Le m a n œ u v r e a appris glo-balement p a r répétition une suite de gestes élémen-taires; l'ouvrier a appri s les gestes élémentaires a n a l y t i q u e m e n t et a acquis, en outre, un e sûreté de r a i s o n n e m e n t suffisante p o u r pouvoir déter-m i n e r lui-déter-mêdéter-me la suite de gestes élédéter-mentaires nécessaires — qu'il réalisera de ses m a i n s ou bien enseignera à nn m a n œ u v r e , qui, peut-être, lui est adjoint.
Cette intime fusion de l'habileté technique, ma-nuelle et aussi intellectuelle — je pense aux cal-culs rapides des comptables — et de la pensée réfléchie qui domine, organise et guide les acti-vités a u t o m a t i q u e s , est, de l ' o u v r i e r à l'ingénieur, un caractèr e essentiel du technicien.
Développer l'habitude du raisonnement, du tra-vail réfléchi, intelligent, en toute occasion et dans toutes les disciplines enseignées, est donc primor-dial dans l'enseignement technique. C'est l'un des éléments f o n d a m e n t a u x d'une b o n n e formation professionnelle.
Mais ce t e r m e de r a i s o n n e m e n t d e m a n d e lui-même quelques explications .
III. — Un r a i s o n n e m e n t est t o u j o u r s appliqué à des symboles. Il consiste à c o n s t r u i r e des boles n o u v e a u x , en a p p l i q u a n t à c e r t a i n s sym-boles des règles d ' o p é r a t i o n s convenues . Or, quels 64
que soient les symboles mis en œ u v r e , les règles de combinaison de ces symboles q u ' a p p l i q u e n t les hommes r é p u t é s sensés sont t o u j o u r s les mêmes. Elles p e u v e n t être énoncées de diverses f a ç o n s , plus ou m o i n s simples plus ou m o i n s concises, d'emploi plus ou m o i n s aisé, mais elles sont tou-jours des c o m b i n a i s o n s des p r o p o r t i o n s qui consti-tuent la logique d'Aristote ou d ' a u t r e s f o r m e s de ces p r o p o r t i o n s . Cette logique universelle est celle de tous les h o m m e s qui r a i s o n n e n t juste. On p e u t même trouver dans l'identité des s t r u c t u r e s céré-brales de tous les h u m a i n s une explication de cette universalité; et l'on serait conduit' à avancer que, sauf le cas de troubles pathologiques, les h o m m e s appliquent les règles de la logique correctement, parce que les mécanismes c é r é b r a u x les appliquent automatiquement.
La diversité des r a i s o n n e m e n t s tient donc aux propriétés des symboles mis en œuvre.
Un symbole r e p r é s e n t e t o u j o u rs un être, être matériel, tel qu'un objet, ou être de pensée, tel qu'une qualité ou un e action. Un objet — et les autres cas se r a m è n e n t à celui-ci — a une défini-tion, c'est-à-dire que l'on peut énoncer une suite de qualités qu'il est le seul à posséder toutes; ce sont ses p r o p r i é t é s de définition, ou e n c o r e ses qualités essentielles. Mais il existe, en général, plusieurs objets r é p o n d a n t à la m ê m e définition, et chacun d'eux possède, en outre de ses p r o p r i é -tés de définition, d'autres proprié-tés, ou quali-tés, dites accidentelles.
Quand on évoque un objet p a r un symbole de cet objet, p a r exemple p a r le mot de la langue courante qui le désigne, tous les h o m m e s qui en-tendent ce mot ont l'évocation d'un objet possé-dant les qualités essentielles de l'objet désigné, mais chacun de ces h o m m e s l'affecte aussi de qua-lités accidentelles, qui p e u v e n t être différentes. Ce n'est pas, en réalité, le m ê m e objet que ces di-vers h o m m e s ont fait e n t r e r dans le r a i s o n n e m e n t sous le couvert du même symbole. Aussi peut-il arriver qu'ils ne c o m p r e n n e n t pas de la m ê m e façon la conclusion du r a i s o n n e m e n t, ce qu'ils expriment g é n é r a l e m e n t en disant, chacun, que les autres ont r a i s o n n é faux.
Un c a r a c t è r e p r o p r e des m a t h é m a t i q u e s , c'est qu'elles interdisent de façon absolue d'évoquer par un symbole aucune p r o p r i é t é accidentelle de l'objet désigné (en c o n v e n a n t de c o n s i d é r e r les propriétés c o n s é q u e n c e s d ' u n e définition c o m m e partie de la définition). Un symbole m a t h é m a t i q u e s'identifie à la définition de l'objet qu'il r e p r é s e n t e . Ajouter quelque p r o p r i é t é à l'ensemble des pro-priétés de définition ou en omettre quelqu'une est une faute grave, si grave même que c'est la faute unique, universelle, celle qui se r e n c o n t r e t o u j o u r s à la base d'un r a i s o n n e m e n t faux. Et, inversement, Pascal a pu f o r m u l e r cette m é t h o d e de r e c h e r c h e d'une démonstration, qui est universelle, elle aussi, et jamais en d é f a u t : « Remplacer le défini par la définition. »
Soumettez à u ne analyse p r o f o n d e une suite de
mauvais devoirs. C'est un excellent exercice péda-gogique. Vous n'y trouverez qu'une seule espèce de faute : les mots sont employés avec un sens trop large, qualités accidentelles ajoutées à la défini-tion, ou t r o p restreint, qualités essentielles omises. Comparez de même des d é m o n s t r a t i o ns d'un même t h é o r è m e ou des solutions d'un même problèm e de divers auteurs. C'est un autre excellent exercice pédagogique. Vous trouverez que les solutions les plus élégantes — telles que les offrent, p a r exemple, le traité de géométrie élémentaire de H a d a m a r d ou bien les articles et p r o b l è m e s ré-solus qu'il a donnés autrefois dans diverses revues — les d é m o n s t r a t i o n s les plus élégantes sont celles où les symboles i n t e r v i e n n e n t directement p a r leur définition, et non p a r quelque p r o p r i é t é dé-rivée de cette dernière, p a r quelque corollaire. Et c'est p o u r q u o i l'étude de l'arithmétique théo-rique, même élémentaire, laisse l'impression d'une r a r e beauté : si près des notions originelles, aucun recours à des corollaires n'est possible, les termes employés ne peuven t évoquer que leur définition, et l'on perçoit, à chaque emploi qui en est fait, avec quelle adresse la substance d'une définition est intégrée dans un édifice logique plus complexe, on perçoit à quel point il faut avoir pleinement compris un e définition p o ur l'utiliser ainsi avec maîtrise.
Cette identification rigoureuse d'un symbole à sa définition, dans les mathématiques, p e r m e t de m e t t r e aisément en évidence et de faire aisément c o m p r e n d r e , même à des adolescents, la s t r u c t u r e du r a i s o n n e m e n t déductif. La valeur culturelle des m a t h é m a t i q u e s tient, d ' u n e p a r t , d a n s cette sorte de prise de conscience, p a r l'esprit, des lois de son p r o p r e f o n c t i o n n e m e n t et, d ' a u t r e p a r t , d a n s l ' e n t r a î n e m e n t m é t h o d i q u e à cette contraint e de n'employer un mot qu'avec une signification pré-cise et immuable.
IV. — Le m a t é r i e l mis en œ u v r e , c'est-à-dire l'ensemble des symboles dont la théori e est étudiée, peut être, lui, plus ou moins vaste et conduire à des exercices plus ou moins n o m b r e u x : l'automa-tisme avec lequel la pensée se moule dans une f o r m e m a t h é m a t i q u e ou une f o r m e voisine s'en trouve plus ou moins accentué. Cet édifice logique, cet ensemble de théories, peut être construit à par-tir de symboles acceptés p a r postulats ou bien de symboles rattachés à leurs origines concrètes — car, malgré leur désir et leurs affirmations, les mathématiciens dits de l'école m o d e r n e n'ont pas imaginé de symboles qui n'aient, un fondemen t matériel. Enfin, des conclusions, on p e u t ne rete-n i r que l'aspect logique et l'utilité pour édifier de nouvelles théories, ou bien l'on peut considérer ce qu'elles expriment au sujet des objets concrets qui ont donné naissance aux symboles.
E n t r e ces divers aspects de l'enseignement des mathématiques, le p r o f e s s e u r qui s'adresse à de f u t u r s techniciens ne peut pas faire un choix : c'est toute la pensée mathématique, dans sa plé-nitude, qu'il faut qu'il enseigne : l'origine des
boles et leur emploi p o u r la r e p r é s e n t a t i o n du concret, les lois formelles de combinaison de ces symboles, c'est-à-dire les théories classiques, enfin, l ' i n t e r p r é t a t i o n concrète des résultats et les pré-cautions qu'elle exige.
Dans ces raisonnements, où la f o r m e logique rigoureuse des m a t h é m a t i q u es doit être respectée, la pensée est plus riche et son action plus complexe que dans les m a t h é m a t i q u e s pures. Ces raisonnements , que nous avons appelés, il y a plu-sieurs années déjà, des r a i s o n n e m e n t s complets, le p r o f e s s e u r Anderson, de l'Université de l'Illi-nois, les a r é c e m m e n t appelés des r a i s o n n e m e n t s parfaits. Nous en t e n a n t au p r e m i e r terme, qui exprime un e qualité i n t r i n s è q u e et non un juge-m e n t de valeur, nous dirons de f a ç on concise que nous nous différencions de nos collègues de l'en-seignement du second degré classique en ce qu'il lie suffit pas, dans l'enseignement technique, d'en-seigner la m a t h é m a t i q u e des r a i s o n n e m e n t s formels il f a u t e n t r a î n e r nos élèves à la m a t h é m a -tique des r a i s o n n e m e n ts complets.
Les p a r t i e s d ' u n c o u r s de m a t h é m a t i q u e s ainsi conçu, qui consistent, p o u r r a i t - o n dire, dans l'art de se servir des théories p o u r r é s o u d r e des pro-blèmes concrets, sont faites d'exercices, de tra-vaux dirigés, de r e m a r q u e s , d'exemples tirés des faits d'observation c o u r a n te ou de la profession que le p r o f e s s e u r de m a t h é m a t i q u es ne doit pas négliger d'étudier et de c o m p r e n d r e .
La pédagogie n'en est sans doute pas encore p a r f a i t e m e n t dégagée. L'exemple du p r o f e s s e u r luimême sera le meilleu r guide, s'il a souci d ' a n a -lyser et d ' e x p l i q u e r sa p r o p r e activité. Ses quali-tés p e r s o n n e l l es t r o u v e r o n t à s'y e m p l o y e r toutes.
P a r contre, les théories p r o p r e m e n t m a t h é m a -tiques ne sauraient différer pou r l'enseignement technique et p o u r l'enseignement classique. P o u r f o r m e r le r a i s o n n e m e n t , les méthodes sont p a r t o u t les mêmes. Une e r r e u r grave est de croire qu'il existe à l ' i n t e n t i o n des t e c h n i c i e n s des m a t h é m a -tiques au rabais. Les excellents modèles que consti-tuent les ouvrages élémentaires écrits p a r de g r a n d s mathématicien s — il en existe: j'ai cité, p a r exemple, ceux de M. H a d a m a r d — des articles de b o n n e s r e v u e s m a t h é m a t i q u e s ou pédagogiques,
l'Enseignement mathématique, les Nouvelles Annales de mathématiques, ou d ' a u t r e s — on ne p e u t guère citer, hélas ! que des revues d ' a v a n t la guerre, ou même d ' a v a n t l ' a u t r e guerr e — tous ces document s vous o f f r i r o n t des sujets de médi-tation et vous a i d e r o n t à p a r f a i r e l'enseignement de la pédagogie des m a t h é m a t i q u e s que vous rece-vez à l'école, qui, en si peu de temps, ne peut être complet et qui ne peut, en a u c u ne façon, r e m p l a c e r une réflexion continue sur votre p r o p r e action et sur les principes et méthodes que vous appliquez. Et je n'aurais garde d'omettre les fines observations que contiennen t les deux d e r n i è r e s parties de l'article de Mlle Félix que j'ai cité au
début de cette causerie.
Y. — V e t u d e a u n e é t e n d u e suffisante de l'im-mense c h a m p des théories m a t h é m a t i q u e s est né-cessaire p o u r que l'action éducative de cette dis-cipline puisse p r o d u i r e l'effet attendu. Au delà, les m a t h é m a t i q u es deviennent une technique. L ' h o m m e qui sait beaucoup de mathématiques dis-pose de plus de facilité que celui qui en sait moins p o u r r é s o u d r e des p r o b l è m e s de mathématiques, et p a r f o i s aussi des problème s de technique, mais il ne r a i s o n ne pas plus juste. P o u r nos jeunes tech-niciens, qui d e m a n d e n t d ' a b o rd aux mathématiques de les aider à a p p r e n d r e l'usage de la logique, il f a u t que la m a t i è re étudiée soit assez abondante p o u r que ce but puisse être atteint; mais, du seul point de vue de la c u l t u re générale, il n'est pas utile qu'elle le soit davantage, pourvu , il va de soi, que les p r o f e s s e u r s des autres disciplines, et tout p a r t i c u l i è r e m e n t des disciplines scientifiques, soient attentifs, eux aussi, à la rigueur des rai-s o n n e m e n t rai-s conrai-struitrai-s p a r leurrai-s élèverai-s et même, comme il serait souhaitable, fassent appel à l'oc-casion aux p r i n c i p e s de logique enseignés par le mathématicien.
A ce m i n i m u m de connaissances mathématiques nécessaire à la f o r m a t i o n de l'esprit, il s'ajoute, selon les spécialités et le niveau de l'enseignement, des développements et des théories nouvelles des-tinées à p e r m e t t r e u ne explication plus aisée et u n e utilisation plus efficace des autres matières d'enseignement.
C'est de ces considérations, et des limitations qu'impose u n e durée r a i s o n n a b l e des travaux sco-laires, que naissent les p r o g r a m m e s de mathéma-tiques de nos divers établissements d'enseignement technique. L'on me p e r m e t t r a d'évoquer les nom-b r e u x é c h a n g e s de vues, les consultations, les études et les discussion s en c o m m i s s i o n s où sont comparées et fondues ensemble l'expérience per-sonnelle et les observations de nos collègues, apport inestimable, dont les p r o g r a m m e s et les instructions qui les accompagnent voudraien t être, malgré leur concision, un e expression complète. Peut-être les r e m a r q u e s d ' o r d r e général que j'ai p r é s e n t é e s en éclaireront-elles l'esprit et la s t r u c t u r e générale et même certaines dispositions de détail. Je me g a r d e r a i de les p r o p o s e r comme une doctrine, comme un p r o g r a m m e des pro-grammes... Ce serait p r e n d r e une tentative pour une p e r f o r m a n c e . Puissé-je du moins àvoir mar-qué de traits exacts le rôle de l'enseignement des m a t h é m a t i q u e s dans la f o r m a t i o n des jeunes tech-niciens qui vous seront bientôt confiés, à qui vous aurez la mission particulièr e d ' a p p r e n d r e comment se construi t un r a i s o n n e m e n t juste, quelle en est la puissance, et comment on s'en sert.
L. COUFFIGNAL,
Inspecteur général de l'Instruction publique.