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La famille entrepreneuriale

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Academic year: 2021

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La famille entrepreneuriale Keynote Speach

Alain Bienaymé

Professeur émérite à l’université Paris Dauphine Directeur de CEDIMES - France1

alain.bienayme@dauphine.fr

Ce colloque Doriot 2008 nous invite à réfléchir sur le destin de l’entreprise familiale. Il rassemble à l’intérieur d’une même catégorie les entreprises familiales qui ont surmonté au moins une fois l’épreuve de leur transmission d’une génération à l’autre et les entreprises personnelles de la première génération qui ont été fondées et dirigées dans le dessein de gérer en famille le patrimoine d’exploitation, pour éventuellement le transmettre aux héritiers et futurs descendants. Mon propos se limitera aux firmes de la première catégorie, celles dont la trajectoire historique traverse plusieurs générations et reflète l’histoire d’une dynastie familiale. Cette restriction permet de modifier quelque peu l’angle de vision en mettant le projecteur sur la famille entrepreneuriale. Une telle notion relève sans doute plus de la sociologie que de l’économie pure; mais, après tout, l’analyse économique peut s’enrichir d’une dimension socio-économique et reconnaître de même aux juristes spécialisés en droit de la famille un rôle pertinent dans la solution des questions cruciales pour l’avenir de l’entreprise familiale.

Rappelons que dans des temps reculés, la famille fut le berceau des premières exploitations d’unités de production domestique ; ces vastes maisons subvenaient aux besoins de la famille élargie. Depuis lors, famille et entreprise se sont en partie dissociées, mais en partie seulement. Cette séparation est un corollaire de la division du travail qui accompagne le développement. Le développement de toute économie désintègre des rôles qui formaient initialement un tout. Plusieurs fractures ont ainsi permis aux entreprises de s’affranchir de leurs origines familiales. Ce fut d’abord le moment où le volume de la production familiale a

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L’Institut CEDIMES (Centre d’études sur le développement international et les mouvements économiques et sociaux , www.cedimes.org) fédère en réseau 35 centres de recherches répartis dans le monde et retient la mondialisation et le développement entrepreneurial parmi ses principaux axes de recherches.

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durablement dépassé son autoconsommation et dégagé un surplus échangeable, puis celui où le marchand a proposé ses services pour organiser l’échange contre monnaie2 ; ce fut encore le moment où le contrat de travail et le salariat ont supplanté l’esclavage ; et enfin la création de la société anonyme. Soit autant d’étapes qui ont offert la possibilité d’émanciper l’entreprise par rapport au berceau familial. En un sens, l’essor du capitalisme, la multiplication des entreprises ont protégé la famille contre les aléas du marché puisqu’ils ouvraient l’éventail des opportunités d’emploi offertes aux membres de la fratrie. Et pourtant, non seulement la famille entrepreneuriale survit, mais elle donne souvent des signes de prospérité. Elle occupe une place non négligeable dans notre tissu industriel. Ainsi, selon F. Lemaître, 15 familles conserveraient, sinon la majorité du capital, du moins le contrôle du tiers des groupes du CAC 40. Pour parvenir à ce résultat, la famille entrepreneuriale a su se servir de ses atouts spécifiques, tout en respectant les disciplines communes de la bonne gestion et en s’adonnant quant la concurrence l’impose aux charmes de la conduite stratégique. Mais il lui a fallu affronter aussi des difficultés particulières.

Toute firme est une entité multi - temps : le temps de la trésorerie, celui de la rentabilité, celui de la compétitivité imposent à ses dirigeants des décisions qui ne sont pas incompatibles avec le destin d’une famille. Cependant, la famille entrepreneuriale entretient un rapport au temps particulier. Il lui faut assumer l’épreuve des transmissions de pouvoirs. Or, selon J.-A. Malarewicz, 5 à 15% seulement des entreprises resteraient dans le giron familial à la troisième génération ; une famille qui s’agrandit devient en effet vulnérable à un grand nombre de conflits potentiels d’intérêts personnels. La famille entrepreneuriale se

définit alors comme un ensemble renouvelé qui a su, depuis la génération du fondateur et à

travers sa descendance et ses alliances parentales, conserver l’outil industriel, le faire fructifier et lui faire atteindre une dimension viable en termes de chiffre d’affaires, d’effectifs employés ou simplement en termes de réputation sur le plan commercial, technique ou culturel.

Il y a, rappelons-le, deux manières de croître pour une entreprise : en soignant sa

renommée, en développant sa taille en termes de personnel, de sites d’implantation, d’actifs et de capitaux propres. La famille entrepreneuriale peut disposer des atouts nécessaires à la première option ; elle peut surmonter le handicap de sa faiblesse en capitaux propres pour s’engager dans la seconde voie. En France, la restauration, la viticulture, l’artisanat d’art, les

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Malgré les réticences d’Aristote pour qui le négociant a le défaut d’ignorer les caractéristiques réelles du produit qu’il n’a pas fabriqué personnellement (M.Hénaff : Le prix de la vérité, Seuil, 2002)

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métiers de l’art de vivre, de l’hygiène et de la beauté et les activités du spectacle entre autres, comptent de nombreuses familles qui soignent la renommée de leurs produits bien plus qu’elles ne recherchent une croissance quantitative tous azimuts ; elles se méfient des servitudes du gigantisme. Pour autant, il est aussi des familles qui ont su perpétuer dans la grande industrie non seulement le nom mais aussi et surtout le contrôle stratégique de l’affaire. Citons par exemple Mittal dans la sidérurgie, la CNIM (famille Herlicq) en France ou en Italie Marcegaglia3 ; ces firmes sont parfaitement implantées sur les marchés mondiaux ; elles détiennent des positions de leaders dans la transformation de l’acier, les biens d’équipements thermiques et mécaniques à forte valeur ajoutée. Les exemples de Ford et plus encore de la famille Agnelli qui se recentre sur les automobiles Fiat montrent que la famille entrepreneuriale ne limite pas ses ambitions aux seules entreprises moyennes (200 millions à 1,5 milliard d’euros), c’est - à -dire la catégorie où elles sont les plus représentées. De même, l’entreprise Bolloré fondée en 1822 et rachetée au groupe Rothschild en 1981 s’est perpétuée au prix de profondes reconversions.

Dans quelle mesure cette entité que représente la famille entrepreneuriale

s’accorde-t-elle à notre époque ? Comment la prospérité de l’entreprise s’accommode-t-s’accorde-t-elle des

particularités de la famille moderne ? Les conditions ont en effet changé depuis le XIX° siècle, lorsque la taille des entreprises permettait à la famille d’exercer pleinement son contrôle, tandis que les mariages arrangés sur le plan financier et le faible nombre de divorces maintenaient la stabilité de ce contrôle. Les sociétés anonymes tardivement introduites en France ont débridé la croissance des entreprises manufacturières et commerciales, sans pour autant faire disparaître les familles entrepreneuriales en tant que composante spécifique et essentielle de notre tissu économique. Qu’en est-il aujourd’hui ?

La question mérite d’être abordée dans la double perspective à laquelle nous convient l’évolution de l’entreprise et celle de la famille. Du point de vue de l’entreprise, le contrôle familial s’est révélé compatible avec sa croissance et son implantation internationale. Comme le rappelle Emma Marcegaglia, pour peu que la firme dégage des bonnes marges d’autofinancement et entretienne des relations de confiance avec ses banques, elle n’a pas besoin de rechercher des apports de capitaux extérieurs. Elle peut donc se consacrer à ses projets à moyen et long terme sans être taraudée par le souci permanent de la performance trimestrielle. Réciproquement, le lien familial unissant les actionnaires, les dirigeants et les

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Emma Marcegaglia, fille du fondateur de son entreprise (4,2 M€ de CA et 125m. $ de bénéfices nets en 2007), était pressentie pour succéder à M. di Montemozolo à la tête de la Cofindustria.

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employés d’une même entreprise entretient en principe un climat de compréhension favorable à la recherche de bons compromis sur les horaires, les lieux et les déplacements de travail. La dimension humaine de la famille permet normalement de résoudre ce problème mieux que dans ne peuvent le faire des entreprises séparées dont les employés conjoints suivent des trajectoires professionnelles distinctes parfois si désastreuses pour les couples et pour l’éducation des enfants. Pour autant, il ne faut pas dissimuler que la plus forte proportion des couples qui divorcent de nos jours et des familles en voie de recomposition peut compromettre la stabilité de l’entreprise, de la même façon que ce phénomène accélère le rythme des transactions immobilières.

L’entreprise familiale se trouve au confluent de deux stratégies, certes distinctes, mais

qui partagent l’une et l’autre la préoccupation de durer. En tant qu’entreprise, ses

dirigeants entendent normalement assurer la survie et l’indépendance de l’outil professionnel au-delà du produit originel qui a lui a valu ses premiers succès, ce en faisant évoluer l’outil lui-même, c’est -à –dire, le produit, l’équipement et les métiers clés. Une entreprise prospère poursuit une fonction objectif dont les arguments sont assez nettement définis quoique influençables par les contraintes familiales. En tant qu’entité regroupant dans une même famille deux générations ou plus et ses alliés, les dirigeants et les actionnaires familiaux non dirigeants suivent une stratégie patrimoniale plus ou moins congruente avec le projet industriel. Plus ou moins, car elle n’est pas à l’abri de conflits d’objectifs, ni dénuée de forces centrifuges. Nous insisterons sur les probabilités de congruence - sans vouloir trop idéaliser la famille entrepreneuriale- qui elle aussi a ses fragilités.

Le membre adulte actionnaire mais non dirigeant de la famille entrepreneuriale se trouve simultanément comme ménage épargnant, créancier, actionnaire, parent d’enfants qui n’envisagent pas tous de rester dans le giron de l’affaire et éventuellement débiteur tenu par des échéances de remboursement et une contrainte de solvabilité. Il doit gérer son flux d’épargne de manière à optimiser l’évolution de sa fortune personnelle en tenant compte de la valeur de ses parts dans le capital de la firme de famille. Il sera normalement porté à accorder confiance au dirigeant et à valoriser en conséquence sa participation à un niveau supérieur à celui de tout actif à risque négociable de la même classe sur le marché financier. Cette confiance est la résultante d’un certain nombre d’atouts propres aux sociétés qui fonctionnent avec l’argent propre des dirigeants : Les enquêtes de l’ASMEP soulignent entre autres la vision à moyen terme, la forte culture maison, une éthique d’entreprise à taille humaine, la simplicité des structures et des procédures, la rentabilité, l’enracinement provincial, l’amour

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du produit. Une famille entrepreneuriale peut, plus sûrement qu’un entrepreneur individuel isolé et encore inconnu, obtenir à moindres frais des crédits dans la mesure où elle fait corps pour apporter à ses dirigeants une sorte de caution collégiale. La famille se vit normalement comme un cercle de solidarité qui peut aider l’entreprise dans les coups durs. Il faut ajouter, toujours sans embellir les faits, ni en faire une super – élite, que très probablement les familles entrepreneuriales possèdent des caractéristiques4 quelque peu distinctes de la moyenne générale, un peu comme la population des émigrants n’est pas totalement représentative des compatriotes restés au pays.

On pourrait être tenté d’opposer l’entreprise et la famille sur le plan de la rationalité des conduites5. L’entreprise serait animée par une logique instrumentale (zweck R) entièrement tendue vers la recherche du résultat ; et la famille, gardienne des valeurs ancestrales, serait mue par une rationalité téléologique, centrée sur le respect de principes éthiques (wert R). La famille entrepreneuriale nous semble plutôt accroître les chances de concilier ces deux tendances, la seconde étant dans l’air du temps. En fait, le calcul rationnel de l’homo economicus postulé dans le modèle néo-classique survalorise les satisfactions de l’instant et l’individualisme des choix. Les hommes ordinaires, placés dans leurs contextes familiaux sont normalement animés par un désir d’enrichissement patrimonial, ne serait-ce que pour ménager à leur descendance un minimum de sécurité pour l’avenir. La transmission d’une entreprise familiale bien gérée entre dans cette perspective.

Certes des forces centrifuges peuvent compromettre ces desseins et s’exprimer par la revendication de se retirer du capital ou par la contestation des options industrielles de la direction. Il n’en demeure pas moins que le succès d’un patronyme familial associé à des lignes de produits renommés commercialement agit comme un ciment. Le traitement familial des restructurations imposées par la concurrence a aussi quelque chance d’être mieux adapté aux besoins des uns et des autres. De plus, les conflits d’intérêts intra - familiaux ne comportent pas les mêmes dangers selon l’importance des capitaux détenus dans l’entreprise par la famille par rapport à la valeur totale des patrimoines que ses membres possèdent. Enfin, à l’instar d’Auchan et de la famille Mulliez qui compte plusieurs centaines de membres apparentés, un pacte familial régit parfois un dispositif de règles destinées à maintenir la cohésion de l’ensemble. Ces règles déterminent les conditions de départ de ceux qui en

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Formation scolaire, régions d’origine, généalogie des produits issus de l’entreprise, noblesse du produit auquel le patronyme familial est associé, secrets de fabrication dans des métiers rares…….

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expriment le souhait. Elles précisent les soutiens que la famille accordera à ceux qui désirent lancer leur entreprise, ainsi que les modalités de retour dans le giron de la société des entreprises qui auront bénéficié de ces soutiens et auront réussi dans leur initiative. L’appartenance à une famille entrepreneuriale entraîne-t-elle une moindre aversion au risque de la part des sociétaires, une plus grande frugalité en matière de dividendes ? Oblige-t-elle les dirigeants de la société à lisser plus les distributions de bénéfices ? Ces questions méritent d’être approfondies et éclairées par des enquêtes.

Les coûts d’agence sont en principe moindres, toutes choses égales d’ailleurs, dans l’affaire de famille pour plusieurs raisons. L’une tient au fait que les membres d’une même famille se connaissent, s’apprécient, voire se méfient, mais en connaissance de cause, des défauts de tel ou tel. L’autre tient à ce que l’information y circule d’autant plus facilement que l’on s’y fait confiance. Ceci n’exonère pas le PDG de son devoir d’informer périodiquement le cercle familial sur la marche de l’affaire, sur les grands desseins qui manifestent « le dur désir de durer ». La famille, pas plus que l’entreprise, ne se comporte comme une équipe totalement soudée aux éléments interchangeables, un « gros individu ». Et ceci n’est pas souhaitable car les projets novateurs jaillissent souvent de la diversité des talents et des idées. À plus forte raison, la famille entrepreneuriale qui contrôle une firme cotée doit se garder de commettre des délits d’initiés dont l’opprobre rejaillirait sur l’ensemble de la famille. Une dernière raison tient à ce que des conduites exagérément opportunistes, voire malhonnêtes lèsent des proches dont le bien-être ne peut laisser indifférents les dirigeants ; « Familles, quand tu nous tiens ! ». De moindres coûts d’agence grâce à une communauté d’intérêts familiaux permettent d’économiser des frais généraux d’exploitation, ce qui explique pour une part la meilleure rentabilité des entreprises familiales et ce qui récompense l’ascétisme patronal et le « radinisme industriel » respectivement évoqués par Max Weber et Yvon Gattaz6.

Malgré quelques progrès récents, la fiscalité française inflige à l’entreprise familiale des handicaps en matière de taux d’imposition et d’évaluation administrative des actifs nets. Les dirigeants âgés sont pour ces raisons incités à retarder leurs succession au delà du raisonnable. Il est souhaitable de rendre l’ISF, -si tant est que cet impôt doive être maintenu-, fiscalement neutre du point de vue du choix de l’identité des successeurs et de la date de la transmission du flambeau.

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Atouts et Handicaps des entreprises patrimoniales, leçon inaugurale du DESS Droit du Patrimoine

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En conclusion, la famille entrepreneuriale dose à sa manière les trois variantes du

comportement social des agents économiques que distingue A.O. Hirschman, soit respectivement la désertion (Exit), la revendication (Voice) et la fidélité (Loyalty). L’attachement familial combat la tentation de déserter. Le dialogue informel tempère les revendications dans les moments critiques que traversent la famille (décès, divorces) et la firme (choix des successeurs du dirigeant et des cadres, accueil de capitaux extérieurs, introduction en bourse). La famille entrepreneuriale est une institution vivante à laquelle la France doit bien de ses succès industriels. Elle offre un cadre dans lequel certaines valeurs éthiques se transmettent, telles que la solidarité dans le travail, le respect de l’autorité, la foi dans l’avenir. La famille entrepreneuriale concilie avec succès trois contraintes, son intérêt d’entreprise industrielle, celui de la famille propriétaire et l’intérêt général ; par exemple celui de la région d’origine dans laquelle elle est en général solidement implantée en dépit de la taille multinationale qu’elle a pu conquérir. C’est un capital qu’il ne faut pas dilapider.

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