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Instabilité balkanique ou instabilité européenne ? L'intégration économique (balkanique et européenne) confrontée aux droits nationaux et sociaux…

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Conférence internationale sur le Kosovo  Ljubljana 19­20 juin 2006  Centre franco­autrichien pour le rapprochement en Europe Institut français des relations internationales

Instabilité balkanique ou instabilité européenne ?

 L'intégration économique (balkanique et européenne)  confrontée aux droits nationaux et sociaux… Catherine SAMARY (*) catherine.samary@dauphine.fr 

Deux  principales   sources  d’insatisfaction   rongeaient   l’ancien   système   titiste   et  la  fédération yougoslave : 

­   d’une   part,   la   complexité   des   droits   (et   opacité   des   mécanismes)   délimitant   qui   était   « nation » (Narod), acteur de base ayant établi la fédération, habilité à la transformer –  jusqu’à   la   possibilité   de   le   quitter   (droit   d’autodétermination).   Les   ambiguïtés   de   la   Constitution de 1974 sur le Kosovo condensaient cet enjeu, avec, en arrière­plan l’inégalité   de   statut   entre   peuples   slaves   constituant   de   l’anciennes   fédération   et   dotées   du   droit  d’autodétermination et les Albanais de Yougoslavie non reconnus comme « peuple » ;

­   mais   la   même   complexité   et   opacité   se   retrouvait   quant   aux   acteurs   de   base  (autogestionnaires) dotés des   droits de propriété et de gestion   des ressources issues du   patrimoine et du travail. 

Le monopole politique (sous des formes évolutives) du parti unique « résolvait », si l’on peut  dire, en partie cette complexité

  des Balkans résultent d’orientations mises en œuvre par la diplomatie et les institutions  européennes et internationales face à la crise du système et de la fédération yougoslave titiste   :  d’une   part,   un  traitement   incohérent   des   droits   nationaux,   obéissant  à   une   realpolitik   évolutive tout en imposant de fait des textes constitutionnels dans les (semi) protectorats qui   tendent   à   se   généraliser ;   parallèlement   ou   dans   le   cadre   de   ces   constructions   un  démantèlement généralisé des politiques de cohésion sociale. 

Alors qu’ils sont supposés en transition vers un tel modèle source de mieux­être pour  les populations, les Balkans de l’Ouest, comme l’ensemble des Pays d’Europe centrale et   orientale  (PECO) sont au contraire devenus des points d’appuis pour le démantèlement   généralisé   des   protections   sociales,   à   l’Est   comme   à   l’Ouest   de   l’Europe.   Ils   sont   le  révélateur de ce vers quoi tend la construction européenne, de ses propres fragilités. 

  La   montée   de   courants   recherchant   une   légitimation   populaire   sur   des   bases   nationalistes exclusives et xénophobes ne pourra être contrée par le faux universalisme d’un  marché   sans   frontière   appuyé   en   fait   sur   des   relations   de   dominations   et   institutions   européennes et internationales qui seront de plus en plus perçues – donc rejetées ­ comme   néo­coloniales : quel que soit le bien fondé des mesures préconisées, les modifications et  choix imposés de l’extérieur sont contre­productifs et déstabilisateurs.

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(*)Maître   de   conférence   en   économie  à   l’université   de   Paris   Dauphine,  Chercheure   à  l’IRISES (Institut de recherche interdisciplinaire en sociologie, économie, science politique)  de Paris Dauphine, CNRS ; associée à l’Institut d’études européennes – IEE­ de l’université  Paris 8

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  Depuis la fin de la guerre de l’OTAN (mars­juin 1999) mettant en place un protectorat  de l’ONU au Kosovo, l’Union européenne (UE) tend à combiner – voire à substituer ­  une  approche  régionale des « Balkans de l’Ouest » au traitement au cas par cas des pays issus de  l’éclatement de l’ancienne fédération yougoslave. Les promesses formulées lors du Conseil de  Thessalonique en 2003 et le choix d’ouverture des négociations d’adhésion ou de préadhésion  avec   l’ensemble   des   pays   de   cet   espace,   prennent   en   compte   le   caractère   imbriqué   des  questions socio­économiques, politiques, nationales des Balkans. Ils indiquent aussi la crainte  d’effets   de   domino   produits   par   des   décisions   particulières   –   par   exemple   l’effet   d’une  éventuelle   indépendance   du   Kosovo   sur   la   FYROM1  (Macédoine)   ou   sur   la   Bosnie­

Herzégovine (BH). C’est principalement pour contrer ces risques qu’est mise en avant une  intégration euroatlantique des Balkans. Mais celle­ci risque de rester purement « militaire ».  Elle est fragilisée par la façon de traiter les questions socio­économiques et nationales, elles­ mêmes profondément imbriquées et condensées dans la redéfinition des Etats :    La mise en place d’une « économie de marché » a été présentée comme but de la  « transition » et indicateur de la rupture avec les anciens systèmes se réclamant du socialisme.  Cette   formule   vague   recouvrait   en   vérité   des   préceptes   dogmatiques   présentés   comme  évidents,   voire   scientifiques,   alors   qu’ils   relevaient   du   seul  « consensus  (néo­libéral)  de  Washington » imposé par les institutions financières de la mondialisation depuis le début des  années 1980. Leur contenu a conditionné l’octroi de crédits, forme principale de ce qui fut  souvent appelé « aide » ; mais les mêmes critères touchant aux transformations structurelles  des   sociétés,   ont   conditionné   les   négociations   de   candidature   à   l’UE   ou   la   gestion   des  protectorats…   Ainsi,   quant   au   Kosovo,   dans   un   article   de  Koha   Ditore2  les   « standards 

économiques »   de   l’administrateur   Steiner   étaient   bien   résumés :   « Du   point   de   vue  économique ­ selon les documents officiels – l’objectif est de jeter les bases d’institutions et  de législations saines et appropriées, nécessaires à l’essor d’une économie de marché ». De  telles   bases   « saines   et   appropriées »   étaient­elles   inspirées   par   les   réussites   en   terme  d’Indicateurs de développement humain (IDH) des pays du Nord de l’Europe ? S’agissait­il  au moins d’un éventail possible d’institutions utilisant le marché en le soumettant aux choix  1 Former Yugoslav Republic of Macedonia – FYROM­, appellation retenue provisoirement par l’ONU compte  tenu des protestations de la Grèce sur l’usage du nom Macédoine. 2 Cf Koha Ditore, « Kosovo : les standards économiques élastiques de l’administrateur Steiner » traduit pour  Courrier des Balkans le 29 janvier 2003

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des so ciétés et décideurs locaux en fonction de priorités  démocratiquement établies ? Non  point. La règle devait être, nous précisait Koha Ditore, « un budget gouvernemental équilibré  et la privatisation des entreprises publiques ».  Faut­il rappeler avec Jacques Sapir3  ­ qui a 

suivi de près les effets aberrants de ces politiques dans la Russie de Eltsine, aux antipodes des  politiques dirigistes de reconstruction menées en Europe après la Seconde guerre mondiale –  l’absence de quelconque « preuves scientifiques » et expérimentales et donc l’absence de  consensus entre économistes sur le bien fondé de tels préceptes.  Ces préceptes mettent de fait, paradoxalement (pour des orientations libérales), l’Etat  au cœur des enjeux de la stabilisation. Car l’Etat est au croisement des questions nationales et  sociales :   quel   Etat   définit   les   règles,   protège   et   bénéficie   des   privatisations ?   Sur   quel  territoire ? Quels droits politiques et sociaux des diverses communautés nationales locales  donc quelle  citoyenneté ? Ce qui devient  concrètement,  selon sa langue, sa religion,  son  origine, quels droits à l’éducation, à la terre, à la promotion dans les appareils publics ? Il faut donc confronter comment les deux ensembles de données nationales et sociales  ont fragilisées l’ancienne fédération – et fragilisent la nouvelle construction balkanique et  européenne. L’héritage titiste : citoyenneté,  droits nationaux et droits sociaux A) Les droits nationaux : forces et fragilités.

1­ La  citoyenneté (droits et devoirs civils, liés à l’ensemble du territoire géré  par  l’Etat commun) était distinguée de la notion de « peuples      » ou (« nation » au sens ethnico­ national),   subjective  et  historique.  On  était   citoyen  yougoslave,   avec  six  peuples   (serbe,  croate, slovène, macédonien, monténégrin ­ et depuis les années 1960, Musulman bosniaque)  L’ensemble des deux approches (citoyenneté/nations), et la gestion commune du patrimoine  mis en propriété sociale, devaient permettre de combiner reconnaissance de la diversité et  unité de droits civils individuels et sociaux fondant l’attachement commun à l’Etat fédéral  yougoslave, indépendamment de l’ethnicité.  3 Jacques Sapir, La fin de l’eurolibéralisme, Seuil 2006 et Les économistes contre la démocratie, Albin Michel  2002.

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2­ Les nations (ou « peuples ») étaient  reconnues sur des bases historiques et subjectives (les  aspirations exprimées dans les luttes passées, les   résistances aux moules unificateurs ou  assimilationnistes ayant été prises en compte) ; elles étaient dotées de droits indépendants de  leur poids numérique : ceci se traduisait par un fonctionnement au consensus dans la chambre  fédérale, ou par une présidence collégiale où chaque république ou province était représenté à  part égale, avec rotation annuelle du président. Il n’y avait pas non plus de territorialité figée  associée aux peuples : l’histoire des guerres et des frontières, celle des changements d’Etat et  de rapports de  force, avaient  légué  des mélanges  et  déplacements  de population  dont  le  résultat   était   l’éclatement   des   peuples  sur   plusieurs   républiques.   Les   peuples   de   la  Yougoslavie  étaient reconnus comme tels ­ et non pas traités comme minorités ­  partout où  ils   se   trouvaient,   de   façon   indépendante   de   leur   pourcentage.   L’unification   du   cadre  yougoslave sans frontières intérieures, et celle des droits sociaux, facilitaient les déplacements  intérieurs et les possibles mélanges. 

Mais les nouvelles nations reconnues – Macédoniens, Musulmans bosniaques4 – sans 

être artificielles,  reflétaient en partie des objectifs spécifiques du titisme   (notamment pour  consolider des frontières, du côté de la Bulgarie, ou équilibrer les nationalismes serbe et  croates) ;   mais   ils   prenaient   aussi   en   compte   des   aspirations   et   frustrations   réellement  exprimées dans le   passé de la première Yougoslavie ; en tout état de cause, ils faisaient  désormais partie de l’héritage historique et subjectif…  4­ Les sources de fragilité du système : les inégalités de statut ­ la question albanaise… Les communautés non slaves – principalement Hongrois de Vojvodine  et Albanais, au  Kosovo, Macédoine, Monténégro – ayant un Etat extérieur de référence (à l’exception des  Roms, communauté ethnico nationale sans Etat) n’étaient pas considérés comme les sujets de  base ayant créé la Yougoslavie – ni donc dotés du droit d’autodétermination. Mais l’histoire  qui avait dispersé les Serbes sur plusieurs républiques intérieures, avait aussi dispersé les  Hongrois et les Albanais – la moitié étant sur le territoire yougoslave… La reconnaissance des  provinces de Serbie – Vojvodine à forte minorité hongroise et Kosovo à majorité albanaise –  4 Dans les premiers recensements d’après­guerre, les musulmans pouvaient se déclarer Serbes, Croates ou  indéterminés – et c’est ce dernier poste qu’ils cochaient ; lorsque la possibilité leur fut offerte dans les années  1960 de se dire Musulmans (avec majuscule, au sens ethnco­national sécularisé), ils le firent, massivement. La  religion avait été une composante de leur histoire – comme l’orthodoxie pour les Serbes et le catholicisme pour  les Croates. Cela n’impliquait aucune évolution ni « obligation identitaire » figée. 

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n’était pas pour autant négligeable au plan constitutionnel. Et, l’aspiration à une égalité de  statut va conduire le régime à modifier leurs droits. 

  Les Albanais de Yougoslavie5, concentrés principalement au Kosovo (80%) et en 

Macédoine   (25%)   étaient   bien   plus   nombreux   et   ethniquement   spécifiés   que   les  Monténégrins reconnus comme « peuple » distinct. Or cette inégalité de statut fut en réalité le  résultat du schisme Tito­Staline de 1948 : il força les communistes yougoslaves à un repli sur  le projet yougoslave en conflit avec l’Albanie voisine d’Enver Hoxha qui préféra soutenir le  « grand frère » soviétique – plus éloigné – que le voisin titiste. Mais « l’excommunication »  des titistes par Moscou mit fin au projet de confédération balkanique   6   avec les Etats voisins  qui aurait facilité le traitement égalitaire de la question albanaise, notamment au Kosovo,  comme il en avait été fait la promesse durant la Seconde guerre mondiale. La répression initiale de la population albanaise du Kosovo – la seule qui se révolta  contre la mise en place de la nouvelle Yougoslavie – s’accompagna aussi du centralisme de  Belgrade sur la province, contentant le nationalisme serbe.  Mais les tendances générales à une plus grande décentralisation et confédéralisation  avec les réformes de 1965, les manifestations des Albanais du Kosovo en 1968 en faveur d’un  statut de république et l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie (que la Yougoslavie et  l’Albanie dénoncèrent, ouvrant une phase de rapprochement) infléchirent substantiellement  les orientations sous des formes ambiguës. 

En  dépit  de  la  répression  des  manifestants,   la  constitution  de  1974 transforma   le  Kosovo  en  quasi­république   (avec   consolidation  de  la   majorité   albanaise  dans  toutes   les  institutions de la province). 

Pour éviter le statut perçu comme discriminatoire de « minorité », le titisme inventa la  notion   de   « nationalité »   (narodnost),  sans   droit   d’autodétermination   et   donc   distinct   de  « nation » (narod), mais susceptible d’avoir des  droits similaires par ailleurs. Notamment  celui d’une langue localement officielle et d’une université en langue albanaise qui permit un  accès massif des jeunes albanais à l’enseignement supérieur. L’ensemble se fit dans le cadre  de rapprochements avec l’Albanie voisine.  5 Cf. Michel Roux, Les Albanais en Yougoslavie­ minorité nationale, territoire et développement , Editions de la  Maison des sciences de l’homme, Paris 1992. 6 Cf. Milovan Djilas,  Conversations avec Staline , Paris Gallimard 1962. Sur les conflits surgis avec l’Albanie,  cf. Jean­Arnault Dérens,  Balkans, : la crise , Ed. Gallimard, Folio actuel, 2000 ; et sur les débats récurrents de la  gauche balkanique sur la confédération balkanique, lire « The balkan socialist tradition », Revolutionary history,  volume 8, n°3, Porcupine press, Socialist Platform Ldt, London.

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Belgrade perdit le contrôle des programmes scolaires et universitaires – dans le cadre  plus général d’une tendance à la décentralisation de gestion des universités. Les mouvements  de   population   serbe   quittant   la   province   pour   aller   plutôt   vers   la   riche   Vojvodine  s’accentuèrent, pour des raisons et pressions socio­économiques et culturelles (le Kosovo était  pauvre   et   les   terres   insuffisantes   pour   une   population   albanaise   croissante ;   les   Serbes  préféraient aller dans un environnement culturel serbe majoritaire en Vojvodine)… 

5 – Le cadre instable des compromis titiste : dans la constitution de 1974, le Kosovo et la  Vojvodine eurent les mêmes représentations et droits que les républiques dans les instances  fédérales…   mais   elles   restaient  formellement   provinces   de   Serbie  (d’où   leur   description  comme « quasi­républiques).

Cette contradiction était source de frustrations et de tensions croissantes,   des deux  côtés… 

Les   Albanais   n’avaient   toujours   pas   le   même   statut   et   pouvaient   craindre   –  manifestement, à raison – que Belgrade pourrait remettre en cause l’ambiguïté de la « quasi­ république » dans un sens régressif ; à Belgrade, le bilan du titisme était perçu comme négatif  pour les Serbes puisque ayant remis en cause le statut  majoritaire et dominant antérieur, avec  la montée d’une insécurité pour les minorités serbes… 

B) Les facteurs socio­politiques de crise :

Les   facteurs   socio­économiques   et   politiques   endogène   :   l’absence   de  transparence et de démocratie… Le système de parti unique, même dans sa variante assouplie titiste, et en dépit des  gains réels de niveau de vie et de droits, produisait bureaucratisme et répression qui sapèrent la  portée et l’efficacité des droits sociaux et nationaux reconnus, croissants jusqu’à la décennie  1970. L’absence de mécanismes adéquat de décision collective démocratique bornait l’horizon  des autogestionnaires aux choix locaux et de court terme ; ce qui était source de gaspillages,  d’endettement et de déséquilibres macro­économiques. Les éléments redistributifs du système  avaient   été   atténués   sous   pression   des   républiques   riches ;   mais   ils   étaient   aussi   rendus  inefficaces  par   les  usages  gaspilleurs   et  bureaucratiques   de  l’aide  dans  les  républiques  et  provinces qui en bénéficiaient.  Les écarts de revenu par habitant se creusaient finalement, en  dépit des progrès d’ensemble. Et, en absence de débats pluralistes permettant de faire émerger 

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des causes transversales de dysfonctionnement et remettant en cause toutes les bureaucraties,  les interprétations  nationalistes  prirent  du poids, chacun  attribuant  à  « l’autre » les  causes  d’inefficacité d’ensemble et se présentant comme discriminé.  

Autrement dit, il y avait de réelles causes endogènes, politiques et socio­économiques,  d’insatisfaction   et   de   crise.   Mais   cela   ne   signifiait   pas   qu’un   Etat   fédéral   ou   confédéral  multiethnique  commun était artificiel ou impossible… • Les facteurs externes de crise – la dette extérieure et la pression des créditeurs et du  fond monétaire international (FMI) dans les années 1980, dans le contexte de crise  d’ensemble des projets socialistes à cette époque – favorisèrent les réponses néo­ libérales, en Yougoslavie comme ailleurs.  Mais les privatisations se heurtaient aux caractéristiques d’ensemble du système – ses  droits de propriété « sociétaux » (une propriété à tout le monde et à personne)  et les  dimensions multinationales de la fédération et des républiques… Dans l’ultime constitution de 1974, les droits de propriété avaient acquis légalement  un contenu « sociétal », par réaction à des tendances apparues précédemment. Il s’agissait  d’interdire  explicitement  toute   appropriation   des   droits   de   gestion   et   d’aliénation   (vente,  transmission) de cette propriété collective par l’Etat – à l’échelle yougoslave ou républicaine ;  la constitution rejetait aussi, toute forme de propriété de groupe qui aurait autorisé une gestion  et des droits de vente du patrimoine social centrés uniquement sur les collectifs d’entreprise –  voire les directions d’entreprise.  Mais la bureaucratisation du système de parti unique tendait à associer de plus en plus  les privilèges de fonction à l’accroissement des pouvoirs républicains et provinciaux… D’où  la transformation croissante des républiques et provinces  en sujet de base du système – en  rivalité avec les  autres sujets reconnus par la constitution – travailleurs autogestionnaires et  « peuples ».  Parallèlement à la remise en cause des droits autogestionnaires, c’est aussi  le sens ou la  portée qu’avait cette notion  de « peuple » ou « nation » dans le système titiste qui va être   modifié dans la crise.  L’étatisme « national » est au cœur du double processus.

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La territorialisation ethnique des droits de propriété7 et de l’Etat­nation – donc l’éclatement   de la fédération ­ sera la forme synthétique de « résolution » de ce conflit…

II – La transformation des droits nationaux et sociaux dans la transition et l’impact de la  construction néo­libérale de l’Europe.

1 – Les indépendances, comment ?

a)   La   similitude   de   comportement   des   minorités   serbes   et   albanaises   face   aux  nouvelles constitutions et référendum d’autodétermination 

Les procédures majoritaires ne sont démocratiques que s’il existe une « appartenance »  acceptée sur l’espace concerné… 

Alors   que   les   questions   nationales   restaient   sensibles   et   imbriquées,   les   referendums  pouvaient être des indications, mais les appels au boycott, s’ils étaient suivis massivement,  étaient tout autant significatifs d’un problème essentiel. La commission dirigée par le  juriste Badinter, mise en place par l’UE, émis des avis prudents sur la situation en Croatie  et en Bosnie­Herzégovine. Mais elle ne fut pas écoutée.  •  Les Serbes avaient boycotté  le referendum dans une Croatie qui leur supprimait le statut  de peuple dans la nouvelle constitution au tournant de la décennie 1990. Leurs peurs  furent instrumentalisées par les milices venues de Belgrade les poussant à une logique  sécessionniste violente contre leurs voisins croates dans les « régions autonomes serbes »  autoproclamées.  Mais ce qu’ils percevaient comme une menace s’avéra réalité : au cours  de   l’été   1995,   l’armée   croate   (à   l’ombre   des   massacres   de   l’enclave   musulmane   de  Srebrenica   menés   par   les   milices   bosnoserbes   qui   captaient   l’attention   des   média),  procédait au nettoyage ethnique de plusieurs centaines de milliers de Serbes – faisant  passer leur part de 12 à 5%... au su et au vu des grandes puissances et du Tribunal pénal  international pour l’ex­Yougoslavie (TPIY)8 7 J’ai spécifié les étapes des privatisations yougoslaves  dans « réinsérer la Serbie dans l’analyse de la  transition », Revue d’études comparatives Est/Ouest, vol.35 – mars­juin 2004, n°1­2, CNRS, pp. 116­156. 8 Celui­ci inculpa les dirigeants bosno­serbes pour le massacre de Srebrenica – permettant à Slobodan Milosevic  de parler à leur place à Dayton. Franjo Tudjman est mort en 2000 sans avoir été inculpé.

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 De façon analogue, les Albanais du Kosovo avaient boycotté les élections  et institutions  imposées dans le nouveau cadre constitutionnel par  la Serbie  à la province ; et auto­ proclamèrent   la   République   autonome   du   Kosovo   dont   ils   élirent   le   parlement   et   le  président Ibrahim Rugova : ils organisèrent jusqu’en 1998 de façon pacifique et séparée  les   institutions   politiques,   scolaires   et   sanitaires   de   leur   communauté.  Le   blocage   et  silence constaté sur le Kosovo lors des négociations de Dayton (1995) qui consolidait le  pouvoir   de   Belgrade   conduisit   à   une   critique   de   la   stratégie   pacifiste :   l’armée   de  libération du Kosovo (UCK) est née de la volonté d’internationaliser le conflit par la  violence – encouragée par la promesse étasunienne de bombarder Belgrade en cas de  répression « excessive »…

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 La   constitution     de   1991   en   Macédoine   produisit   le   même   boycott   du   referendum    d’indépendance de la part des Albanais

      :    un seul « peuple » (slavo­macédonien) et sa 

langue   officielle   était   reconnue…   Des   mesures   prises   par   le   Président   macédonien  Gligorov   d’association   des   partis   albanais   au   pouvoir   vont   différer   l’éclatement   des  violences. Pourtant, l’inégalité de statut des Albanais, et notamment de leur langue, devait  les rendre – et les rendra nécessairement ­ réceptifs à l’évolution de la situation au   Kosovo…  b) Du Kosovo aux  accords d’Ohrid… de la BH à la Croatie et à la Serbie : quels critères  « européens » sur les droits nationaux ? Il n’existe pas de « modèle » d’Etat et de traitement des questions nationales faisant  règle ou consensus dans l’UE – de la France jacobine et refusant de reconnaître l’existence  d’un « peuple corse » ou de signer pleinement la charte des langues minoritaires, à l’Etat  espagnol et ses récentes évolutions en Catalogne, en passant par la Grèce ou l’Alemagne, il y a  autant d’Etat que d’histoires et de genèses différentes des nations…

Pourtant,   de   façon   directe   dans   les   (quasi)protectorats   (par   la   rédaction   des  constitutions ou des textes les amendant substantiellement), ou de façon plus indirecte dans la  négociation des conditions d’adhésion à l’UE, les institutions européennes « font » le droit…  avec quelle cohérence ? Le statut du Kosovo ressemblera­t­il aux accords d’Ohrid de 2001, ou à la constitution  de la Bosnie­Herzégovine issue des accords de Dayton (1995) – elle­même en renégociation ?  Ou encore à la constitution de la Croatie dont le sens a été consolidé par le nettoyage ethnique  massif des Serbes de Croatie au cours de l’été de cette même année ?  

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En  Bosnie­Herzégovine,   Dayton   semblait   reconnaître   de   façon   égalitaire   « trois  peuples » comme le faisait la fédération titiste. Mais la définition de chaque peuple était  désormais   sous   pression   normative,   et   violente   avec   dissociation   des   « langues »   (serbe,  croate,   bosniaque),   obligation   de   décider   et   démontrer   son   « appartenance »,   pressions  religieuses   des   trois   côtés   pour   consolider   des   « nations »   séparées.   Et   la   constitution  entérinait des entités « ethniques » découpées à l’issue de trois ans de guerre de nettoyage  ethnique faisant 100 000 morts dont 70% de musulmans. La logique profonde de cette guerre  a été, dans un pays dont les cartes ethniques ressemblaient avant ces guerres à une « peau de  léopard », sans zones homogènes ethniquement, de territorialiser le peuple serbe et le peuple  croate   en   construisant   des   Etats   dans   l’Etat :   la  Republika   Srpska  et   l’Herceg   Bosna,  violemment nettoyées de ceux qui voulaient vivre en BH. L’objectif de partage ethnique de la  Bosnie,   fut   explicitement   débattu   dans   les   rencontres   entre   Franjo   Tudjman   et   Slobodan  Milosevic9 au début de la décennie. A ce jour, les logiques séparatistes bosno­croates et bosno  serbes restent puissantes – et s’opposent à une remise en cause de la constitution de Dayton.  Les raisons et mécanismes d’une confiance et vie commune n’ont pas été créés… La constitution de la Croatie avec laquelle les négociations d’adhésion ont été ouvertes  fin 2005, a, on l’a dit,   supprimé toute reconnaissance du « peuple serbe » et valorisé au  contraire le seul « peuple croate » au sens ethnique ­ avec y compris droit de vote pour les  Croates de Bosnie. Le statut de minorité nationale des Serbes a été « consolidé » par le fait  qu’ils sont passés de 12% à quelque 5% de la population… 9Cf. la publication en mai et juin 2005 des trente­six sténogrammes sur ces rencontres par l’hebdomadaire Feral  Tribune (Croatie) et le magasine Dani (Bosnie) et le commentaire d’Andrej Nikolaidis dans le mensuel Monitor  (Montenegro) de juillet 2005.  

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Le traitement de la question albanaise en Macédoine, lors des accords d’Ohrid, tranche  radicalement   et ouvre une autre logique : les amendements à la constitution de 1991 ont  supprimé toute référence à un peuple slavo­macédonien. Ils ont affirmé qu’il n’y avait « pas  de solutions territoriales aux enjeux ethniques » mais que « le caractère multiethnique de la  société macédonienne devait être préservé et reflété dans la vie publique »  10  … L’auto­ gouvernement local était mis en avant comme l’une des bases de la solution, avec la recherche  d’une décentralisation  qui devait  rapprocher la gestion publique de la  réalité  diverse des  populations. On engagea un processus de redéfinition des frontières des municipalités et de  réformes de la police locale qui devait s’achever l’été 2005. Des mesures devaient assurer la  non discrimination, une représentation des diverses communautés dans les emplois publics,  leur accès aux financements publics et leur rôle dans la nomination des juges de la Cour  constitutionnelle.   De   même   des   modalités   particulières   étaient   introduites   au   plan   du  parlement afin que les enjeux de l’auto­administration locale et les questions culturelles,  soient approuvées par une majorité qualifiée des 2/3 – dont plus de la moitié doit venir « des  communautés   n’appartenant   pas   à   la   majorité   de   la   population   macédonienne ».  L’enseignement   dans   les   langues   maternelles   était   assuré   pour   l’éducation   primaire   et  secondaire  dans tout  le  pays, ainsi  que  des  principes  de « discrimination  positive » pour  l’accès à l’université. En pratique, l’université de Tetovo en langue albanaise, soutenue par des  collectes solidaires et qui avait fait l’objet de tensions majeures a pu se mettre en place. A côté  de la langue slavo­macédonienne, tout autre langue parlée par au moins 20% de la population  est reconnue comme « officielle » ­ avec possibilité d’usage des divers symboles identitaires.

  Bref, pour éviter l’éclatement, on a recherché un rapprochement des droits vers la  reconnaissance   d’un  Etat   multinational,  sans   territorialisation  figée   et   séparée   des  communautés, mais sans les dissoudre pour autant uniquement dans une citoyenneté imposant  de fait la domination de la majorité ethnique.

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Le Kosovo deviendra­t­il quant à lui Etat des Albanais – et non celui multinational, de  tous   ses   peuples   historiques comme   la   Macédoine ?   Si   l’on   impose   un   « pourcentage »  (pourquoi 20% ?) pour être reconnu comme « peuple   historique» ­ alors on « légitime » la  remise en cause du statut de « peuple » pour les Serbes de Croatie (12% de la population de la  Croatie   dans   les   années   1980),   et   l’objectif   de   Franjo   Tudjman   d’écarter   tout   risque  « statistique » en rabaissant brutalement ce chiffre vers les 5%. Quelle stabilité attend­t­on de  ce type de critère ? Le peuple croate de Bosnie­Herzégovine (18% de la population) devrait­il  se sentir à son tour menacé ?  

3) L’embroglio des privatisations… le syndrome du Kosovo

La   question   que   nous   avons   soulevée   –  qui   est   en   droit   de   privatiser   dans   les  anciennes républiques et provinces de la Yougoslavie titiste –  prend ici un contenu à trois  dimensions :   rivalité   entre   Belgrade,   Pristina   …   et   les   puissances   extérieures   gérant   le  protectorat.   Mais  le  protectorat  ne  fait  que  rendre  plus  visibles  les  privatisations  forcées  comme critères de transformation « réussie » des sociétés…

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On pourrait souligner, au Kosovo comme ailleurs dans l’ex­Yougoslavie, l’existence  d’une quatrième dimension, invisible : le « propriétaire légal »… absent du tableau. Il s’agit  des travailleurs autogestionnaires, populations de toutes nationalités, qui ont précisément été  partout écartées  de leurs droits… Cet élément est réapparu, dans les discours des adversaires  de Slobodan Milosevic quand celui­ci était encore au pouvoir. Il s’agissait d’un provisoire  paradoxe, car il était pour le moins curieux de se réclamer de droits « autogestionnaires » pour  des courants prônant un libéralisme radical (d’ailleurs rapidement mis en oeuvre après octobre  2000 en Serbie) : mais quand il s’agissait de dénoncer le clientélisme mafieux des directeurs  « socialistes » et de les écarter de leurs postes, les droits autogestionnaires étaient utiles… Au  Kosovo aussi, on peut voir surgir la trace des anciens droits de propriété dans la contestation  des privatisations réalisées de façon opaque par Belgrade dans les années 1990.   On l’a vu  apparaître de façon ambiguë, notamment dans un entretien avec Bahri Shabini, président de  l’Union   des   syndicats   indépendants   du   Kosovo   (BSPK)11.   Il   y   disait,   en   évoquant   le 

développement de l’industrie du Kosovo « la plus grande contribution a été apportée par les  travailleurs du Kosovo, qu’ils soient albanais ou serbes. Les transformations de la propriété   opérées pendant le régime de Milosevic sont inacceptables, autant pour les Kosovars que  pour la communauté internationale »… Pour la communauté internationale ? En réalité, ces  transformations   de   la   propriété   sont   analogues,   y   compris   dans   leur   forme   étatiste   et  clientéliste à celles réalisées dans la plupart des Etats candidats à l’UE, dans tous les pays en  « transition »…   Les conflits avec Belgrade sur la propriété ont en fait été au cœur des négociations du  23 et 24 mars dernier, menées par Stephan Lehne, émissaire de l’UE,  sur le statut final : « La  Serbie exige l’arrêt des privatisations au Kosovo »12  titre un article de Pristina du 30 mars,  soulignant que pour la constitution de l’Etat de Serbie­Monténégro, le Kosovo est toujours  province serbe.  11 Cf. « transition économique au Kosovo : un processus bloqué », Courrier des Balkans, 23 mai 2004. 12 C’est la traduction du  titre d’un article de Arbana Xharra à Pristina, paru le 30 mars dans le supplément  Economie du quotidien Koha Ditore ; cf. Balkan insight, Courrier des Balkans du 5 avril 2006.

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Il est vrai que ce statut a été remis en cause à l’issue de la guerre de l’OTAN (mars­ juin 1999) par la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU, faisant du Kosovo une  province de la Yougoslavie. Mais, d’une part, le maintien de la 3è Yougoslavie croupion  n’aurait   pas   clarifié,   ni   résolu   en   faveur   de   la   province,   encore   moins   des   institutions  internationales, la question de savoir qui était en droit de privatiser les ressources du Kosovo ;  en outre, depuis lors, l’ultime fédération yougoslave a disparu… Si le critère de la résolution  1244 (le maintien des frontières existantes) est appliqué, le Kosovo redevient province de  Serbie, comme le proclame la constitution de Belgrade…

Mais   le   protectorat   change­t­il   le   droit   de   propriété ?   En   2002,   la   MINUK  (administration de l’ONU au Kosovo) a autorisé l’Agence Kosovo Trust (KTA) à procéder,  sous contrôle de l’UE, à des privatisations (déguisées en location des actifs publics pour une  période de 99 ans…). Les ventes ont commencé depuis mai 2003 et des contrats ont déjà été  signés concernant 102 entreprises  (à la date du 1er mars 2006). La KTA a lancé 240 nouvelles  opérations sur la base des actifs des sociétés publiques et prévoit de privatiser 90% des 500  sociétés publiques du Kosovo...  C’est donc avec la KTA – l’ONU et l’UE ­ que Belgrade est  directement  en conflit.

Les   litiges   concernent   aussi   la   question   des   dettes   que   ces   entreprises   avaient  contractées auprès de créditeurs internationaux quant elles étaient en « propriété sociale ».  Ces dettes sont réclamées à la Serbie en tant que continuateur de la Yougoslavie (il s’agirait  d’1,5 milliards de dollars…). Mais si l’UE et l’ONU estiment que Belgrade n’a plus de droit  de   propriété   sur   les   entreprises   en   question,   elles   devraient,   en   toute   logique,   avant   de  procéder aux ventes, assurer elles­mêmes préalablement les remboursements dus…

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Plusieurs millions d’euros déjà accumulés par la  KTA en vertu de ces « locations »  sont pour l’instant bloqués en attendant un jugement de la Cour Suprême. Mais on peut se  demander qui est juge et partie ? Un tribunal spécial auprès de la Cour Suprême a en effet été  mis en place par la MINUK pour traiter le cas des plaintes portées contre l’agence13… Et en  juin 2003, pour réduire les risques, la MINUK a décidé que la KTA bénéficierait d’une  complète immunité dans le protectorat. Elle a même demandé aux Nations Unies d’accorder  aux   membres   de   la   KTA  une   immunité   valable   dans   le   monde   entier   pour   toute   action  effectuée dans le cadre de son travail au Kosovo – ce qui lui a été refusé le 9 octobre 2003. Les  représentants internationaux de la KTA craignant d’être poursuivis en justice en dehors du  Kosovo ont refusé de ratifier les contrats de privatisation. Et le directeur de la KTA – Juergen  Mendriki a démissionné… pour « raisons personnelles ».    L’absence de garanties a dissuadé bien des investisseurs potentiels, alors que les  richesses minières du Kosovo sont importantes – les ressources en matières premières sont  évaluées à 13,5 milliards d’euros14. Le directeur de la Commission Indépendante des Mines et 

des   Minerais   (ICCM),   Rainer   Hengstmann   estime   que le   potentiel   du   Kosovo   en   lignite  (utilisée pour l’électricité et le chauffage) est une des plus grandes réserves d‘Europe. Près d’un milliard d’euros ont déjà été investis dans des projets miniers et énergétiques  … par la Banque mondiale et l’AER – agence européenne pour la reconstruction – alors même  que les habitants et les usines ne bénéficient d’aucun approvisionnement régulier en énergie  (les coupures  d’électricité restent fréquentes…).  Les carences absolues du protectorat au plan socio­économique sont patentes, avec un  taux de chômage supérieur à 50%. Pire, en avril 2006, un scandale a éclaté contre les forces  armées françaises de la brigade nord de la KFOR qui ne paient pas depuis cinq ans les  assurances maladies et retraites de leurs personnels civils serbes et albanais15… au prétexte  que le statut de la province n’est pas réglé. 13 Cf. « privatisations au Kosovo : mais à qui appartiennent les entreprises ? », IWPR, Courrier des Balkans du  27 octobre 2003/ 14 Selon une étude de la Direction des mines et minerais du Kosovo et de la Banque mondiale. Cf. « Richesses  minières : le patrimopine inexploité du Kosovo », IWPR, Courrier des Balkans du 20 mai 2005 15 Cf. Courrier des Balkans jeudi 13 avril 2006.

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Le   Kosovo   est   un   symbole   extrême.   Mais   significatif.   Dans   l’ensemble,   les  privatisations ont territorialisé ce qui était patrimoine commun des peuples yougoslaves tout  en supprimant les droits sociaux de l’ancienne propriété. Les dirigeants de la Serbie ont voulu  rétablir   leur   droit   d’appropriation   du   Kosovo   sur   des   bases   de   domination   majoritaire   à  l’échelle de la république – sur le dos des Albanais mais, également, par­dessus les droits des  populations concernées, toutes nationalités  confondues. Les  dirigeants  de  la  communauté  albanaise du Kosovo veulent­ils à leur tour s’approprier le Kosovo sur des bases similaires en  changeant l’échelle  de la  territorialisation  ? Et  peuvent­ils le faire en  s’appuyant  sur les  institutions euroatlantiques qui déterminent   un « droit   international » du plus fort – donc  arbitraire ? La logique des droits inscrits dans les textes constitutionnels des pays concernés  est le produit de la realpolitik évolutive et non de principes.

III­  DE LA CRISE YOUGOSLAVE À LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

Les causes profondes de la désintégration yougoslave persistent, à savoir l’objectif d’une  appropriation des territoires et des richesses sur des bases ethniques. La fiction d’un État  unitaire   entre la Serbie et le Monténégro a fait long feu… Elle n’avait fait que renforcer  l’incertitude et les tensions à propos du statut du Kosovo et donc, aussi, des droits de propriété.  Le protectorat international ajoute à cette confusion au lieu de l’atténuer. Mais la politique  internationale d’instrumentalisation  des conflits contre un « ennemi principal » ­ Slobodan  Milosevic – a été un jeu d’apprenti sorcier. Symbole de ce « jeu » dangereux : on a établi  comme monnaie du Monténégro comme du Kosovo le Deutsch mark – aujourd’hui l’euro…  tout en prétendant maintenir les frontières…  Cependant, c’est la perte des fonctions et des politiques de cohésion sociale des États qui  accroît le risque d’explosions prenant des formes nationalistes et xénophobes. Le repli sur les  communautarismes supposés protecteurs est le produit d’une désintégration des liens sociaux  aggravée par les privatisations généralisées.  L’instabilité politico­sociale est, à son tour, une cause majeure de la faiblesse des IDE dans  une région à risque comme les Balkans occidentaux 16, singulièrement dans des protectorats  16 C’est la terminologie utilisée par les institutions européennes pour qualifier les républiques  de l’ancienne Yougoslavie (à l’exception de la Slovénie), la Roumanie et la Bulgarie (dont 

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tels le Kosovo ou la Bosnie, sans claire délimitation des États et de la propriété (Papic, 2001 ;  Solioz & Dizdarevic, 2001, 2003 ; Stojanov, 2001). 

La   construction   européenne   est­elle   le   moyen   d’une   recomposition   stabilisatrice   ?  Elle  pourrait l’être dans la mesure où la coexistence de communautés conflictuelles serait facilitée  dans un cadre plus large qui relativiserait le rôle des frontières. La conscience que ceci impose  d’accueillir l’ensemble des Balkans occidentaux a manifestement progressé. Encore faut­il  offrir un cadre de cohésion sociale et de coopération multinationale respectant l’égalité des  droits et rapprochant les niveaux de vie.  Or la désagrégation des solidarités est déjà à l’œuvre dans les États membres de l’UE, ne  serait­ce que dans une Lombardie refusant de financer l’Italie du Sud ou dans une Flandre  réticente à l’idée de partager des fonds avec la Wallonie… Elle fragilise l’Union européenne  quand l’élargissement à des États plus pauvres que la moyenne s’accompagne non pas d’une  extension du budget de l’Union mais de son plafonnement, qui conduit de fait déjà à prendre  au Sud pour donner un peu à l’Est et à réduire les aides allouées aux nouveaux membres par  rapport à celles obtenues par les anciens.   Le Pacte de stabilité des Balkans lancé en 1999 à la fin de l’intervention militaire de  l’OTAN se voit, lui aussi, allouer très peu de ressources. Il a été vite perçu non comme une  antichambre   de   l’Union,   mais   comme   une   voie   de   garage.   Il   risque   d’être   la   périphérie  marchande d’une construction où la coordination des polices contre une criminalité montante  remplacera une véritable politique de cohésion sociale.   Comment celle­ci pourrait­elle être mise en œuvre alors que la baisse des impôts sur le  capital et la remise en cause de la protection sociale sont privilégiées afin d’attirer les capitaux  privés ? Le sommet européen de Thessalonique en juin 2003 avait  réitéré l’objectif de stabilisation  et   d’association   des   Balkans   occidentaux   à   la   construction   européenne.   Cet   engagement  restera un vœu pieux tant que les mêmes politiques continueront à produire les mêmes effets  déstabilisants,   autrement   dit,   tant   que   l’on   ne   dressera   pas   le   bilan   des   transformations  systémiques (la transition) qui conditionnent l’intégration dans l’Union européenne. Ce bilan 

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sera aussi celui du modèle social européen et permettra d’éclairer les causes des interrogations  (et de la désaffection) croissantes à son égard. en 2003, dans l’ensemble de ces pays, les populations furent appelées à ratifier directement  l’adhésion à l’Union : de 65 % à 93 % des votants dirent oui, mais l’abstention s’éleva à  environ 50 % (2). Sans doute ce vote s’explique­t­il par l’idée selon laquelle le pire était de  rester hors de l’Union, combinée à l’espoir de cesser d’être un vaste marché périphérique pour  acquérir le statut, politique, d’Etat membre. Ce statut était, en outre, associé à la possibilité  d’obtenir un droit de vote non proportionné au poids économique des pays (3) – d’où l’attente  d’une politique volontariste de réduction des inégalités entre Etats membres. Après l’adhésion de la Grèce (1981), puis de l’Espagne et du Portugal (1986), l’Union, lors de  la constitution du « grand marché » prévu par l’Acte unique de 1986, avait pris en compte le  fait que la concurrence entre inégaux augmente les écarts. Les fonds structurels, comme on le  sait, sont allés aux régions confrontées à des problèmes de restructuration, et dont le revenu  par   tête   est   de   25   %   inférieur   à   la   moyenne.   Le   montant   des   ressources   du   budget  communautaire qui leur ont été allouées a doublé entre 1987 et 1992, passant de 7,2 à 14,5  milliards  d’écus   –  «  un  total  proche  de   celui   de  l’aide  Marshall  (4)  ».  Il  a  à   nouveau  augmenté de 50 % en 1993. En 1992, l’Union y avait ajouté un fonds dit « de cohésion »  destiné aux Etats dont le revenu national par habitant était inférieur à 90 % de la moyenne  européenne : les trois d’Europe du Sud et l’Irlande. Bien que le budget communautaire ait été  plafonné à 1,24 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne pour la période  2000­2006 (à comparer avec un budget fédéral de l’ordre de 20 % aux Etats­Unis) et d’un  bilan global discutable, il s’agissait au moins d’une logique d’aide publique, non négligeable  pour les régions les plus pauvres... Or les nouveaux membres sont tous éligibles à de tels fonds communautaires : ils pouvaient  donc espérer qu’il s’agirait là d’un des « acquis » à incorporer. Mais le budget 2007­2013,  période de l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie, encore plus pauvres, ne devra pas  dépasser 1 % du PIB de l’Union. Pour répartir entre plus de bénéficiaires un gâteau plus  restreint, plusieurs options sont prévues : on prendra au Sud pour donner à l’Est ; on offre  d’emblée moins à l’Est (à l’adhésion, un paysan polonais touche 25 % des fonds alloués à un  paysan français) ; et, à l’horizon 2013, on alignera tout le monde... sur la réduction des aides. Pourquoi   ?   Parce   que   les   Etats   contributeurs   nets   au   budget   de   l’Union   –   notamment  l’Allemagne et la France – misent désormais sur la logique d’un grand marché concurrentiel, 

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sans amortisseur budgétaire. Alors que, pour atténuer les chocs sociaux de son unification,  l’Allemagne a versé à ses nouveaux Länder une centaine de milliards d’euros par an pendant  plus d’une décennie, l’Union n’est pas près d’admettre de telles logiques pour intégrer les  autres pays de l’Europe de l’Est. Il ne s’agit pas seulement de choix budgétaires. La « Constitution » exclut de se donner  comme principe l’harmonisation sociale vers les plus hauts acquis, assortie des ressources  publiques adéquates. Elle inscrit au contraire dans le marbre la règle d’un grand marché de  concurrence « libre » entre inégaux, que ne doit pas « fausser » l’aide publique. Celle­ci est  l’exception,   énumérée   d’avance,   et   faisant   l’objet   des  «   dérogations   prévues   par   la  Constitution » (article III­167).

Or, les transferts de l’Allemagne en faveur de ses nouveaux Länder sont en contradiction  flagrante et massive avec cette « règle ». L’exception allemande doit donc être inscrite dans la  Constitution ! Le sait­on ? Ainsi, le point 2c de l’article cité plus haut reconnaît comme  «  compatibles  avec le  marché  intérieur  (...)  les aides octroyées  à l’économie  de certaines  régions de la République fédérale affectées par la division de l’Allemagne ». Il précise son  aspect provisoire... mais durable :  « Cinq ans après l’entrée en vigueur du traité,  (...)  le  Conseil, sur proposition de la Commission,  peut [et non « doit »]  adopter une décision  européenne abrogeant le présent point. » Il s’agit bien d’une exception. Aucun pays d’Europe de l’Est ne bénéficie d’un tel traitement.  D’ailleurs, les montants nets alloués à l’ensemble des nouveaux membres pour 2004­2006 –  de l’ordre de 25 milliards d’euros – sont bien inférieurs à ce que les Länder issus de l’ex­ République démocratique allemande reçoivent chaque année depuis 1989. Certes, « peuvent  être compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à favoriser le développement de   régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas »  ; mais il n’y a là aucune  obligation, aucun critère précis. Et l’article III­168 donne à la Commission le pouvoir de  considérer qu’une aide allouée par un Etat « n’est pas compatible avec le marché intérieur ». En réalité, les sources principales de financement escomptées relèvent du privé : il s’agit  d’attirer les d’investissements directs étrangers (IDE). Les privatisations les plus juteuses  étant   réalisées,   l’argument   principal   tiendra   à   la   faiblesse   des   coûts   salariaux   et   à   la  compétition à la baisse de la fiscalité des entreprises (5). Parallèlement, les taux de TVA  doivent s’ajuster aux directives européennes, donc s’élever pour des produits hier soutenus  par l’Etat (même s’il y a quelques dérogations), d’autant qu’il faut compenser en partie la 

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baisse de l’impôt sur les sociétés... Les populations se voient ainsi prises dans un étau : d’un  côté elles subissent une charge fiscale plus lourde, et, de l’autre, bénéficient de moins en  moins de prestations sociales, sabrées pour faire face aux critères concernant les déficits  budgétaires. Pourtant, l’adhésion à l’Union a été présentée comme le couronnement d’un succès. Après  une chute générale de production de 13 % à 50 %, la croissance a repris, d’abord en Pologne  dès 1993, puis, au milieu des années 1990, en Europe centrale. On a parlé de « destruction  créatrice » puis de « rattrapage » lorsque le taux de croissance de la région a, ces dernières  années, dépassé celui des Quinze. En fait, plusieurs pays restent encore en deçà de leur niveau  de production de 1989. Mais, surtout, le produit intérieur brut (PIB), avec lequel on mesure le  « rattrapage » en question, ne dit rien sur les sources de la croissance, ni sur la façon dont elle  se répartit. Or les chiffres camouflent la hausse des tarifs de l’électricité, des loyers, des transports ; la  privatisation des services publics autrefois gratuits et largement associés à l’emploi dans les  grandes   entreprises   ;   l’augmentation   des   prix   agricoles,   plus   élevés   dans   le   cadre   de   la  politique agricole commune (PAC)

– l’ensemble affectant les budgets de populations appauvries... La croissance est portée par le  développement de petites entreprises privées souvent précaires, et par l’afflux d’IDE à la  veille de l’intégration à l’Union qui se sont concentrés dans les capitales ou dans les zones  frontalières.   L’ensemble   ne   compense   pas,   du   point   de   vue   des   créations   d’emplois,   le  démantèlement des grandes entreprises. Il y a donc augmentation du chômage (près de 20 %  en Pologne), de la précarité et d’inégalités régionales et sociales, touchant notamment les  femmes. D’où la prostitution, le travail au noir et le repli sur les lopins de terre en guise de «  sécurité sociale » : on note l’augmentation quasi générale de la population active recensée  comme agricole ! Derrière les grands discours, la générosité et la justice sociale ne sont donc pas à l’ordre du  jour. Il a fallu trouver un « grand geste »... gratuit, pour marquer ce qui a été appelé  abusivement « réunification du continent » : on a permis aux populations des nouveaux Etats  membres de participer aux élections européennes de juin 2004. De telles « largesses », ont  provoqué la défaite de quasiment tous les partis au pouvoir, et permis la percée des partis les  plus réservés, voire hostiles à l’Union. Même la promesse de retrait des troupes polonaises  d’Irak, exigé par quelque 70 % de la population, n’a pas calmé le désaveu populaire d’une 

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politique dont rêverait le patronat français. Mais le grand vainqueur de ces élections fut  l’abstention – avec une participation moyenne de 30 % dans les pays d’Europe centrale et  orientale ! Cela n’a pas été le cas à Chypre (71,2 %) et à Malte (82 %). Ce qui pèse sur cette  abstention,   ce   sont   les   modalités   de   destruction   de   l’ancien   système   se   réclamant   du  socialisme (6), liées aux critères d’adhésion à l’Union européenne.

Au   lendemain   de   ce   scrutin   censé   parachever   les   «   transitions   démocratiques   »   à   l’Est,  plusieurs   premiers   ministres   (en   Pologne,   en   République   tchèque,   en   Hongrie)  «   furent  contraints en l’espace de quelques semaines à démissionner  (...)  au lieu d’être traités en  héros   »,   souligne   Jacques   Rupnik   (7).   Assiste­t­on,   comme   il   le   suggère,   à   un  «  désenchantement prématuré vis­à­vis de l’Union européenne et des forces politiques qui s’y   étaient identifiées » ?

Une autre approche nécessaire :  des Balkans à l’ Europe ?

La généralisation des (quasi)protectorats dans les Balkans y confère aux institutions  euro­atlantiques un rôle déterminant, externe, plus visible qu’ailleurs, sur les orientations,  voire les  constitutions  adoptées…    Avec  le risque  que cette  dépendance,  éventuellement  perçue   un   temps   ou   par   quelques   uns   positivement   pour   contenir   les   tensions   violentes  internes ou apporter de l’aide, ne se traduise en « syndrome de dépendance »17  et devienne au 

contraire une source supplémentaire de tensions et de rejets, si elle est perçue comme néo­ coloniale… voire la cause des problèmes et non le moyen de leur solution. Mais, l’instabilité  est­elle seulement balkanique ?

La diplomatie étasunienne a exploité la crise yougoslave à partir de 1995 en Bosnie­ Herzégovine   (accords   de   Dayton­Paris)   et   dans   les   négociations   de   Rambouillet   sur   le  Kosovo pour maintenir, redéfinir et redéployer l’OTAN et insérer la construction européenne  dans ce cadre atlantique. L’objectif est l’intégration parallèle et coordonnée de tous les pays  des Balkans de l’Ouest dans l’OTAN et dans l’UE18. Mais au­delà, c’est l’ensemble de la  construction européenne et l’extension de l’OTAN vers l’Europe de l’Est qui sont impliqués  dans ces choix. 17 Cf. Christophe Solioz et Svebor Dizdarevic (Editors), Ownership process in Bosnie and Herzegovina, Sarajevo  2001 ; et Christophe Solioz, L’après­guerre dans les Balkans – l’appropriation des processus de transition et de  democratisation pour enjeu, Ed. Karthala, 2003.  18 Cf. Ghoerghe Ciascai, « Quelle approche pour l’OTAN dans les Balkans à la lumière des évolution de la  sécurité dans la région ? », NATO Defense College, Monograph series n°23, Ed. Jean Dufourq and Cees Coops,  2005. Cf. également note 2.

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Et si tous les nouveaux membres de l’UE et les pays des Balkans de l’Ouest sont  désormais,  sous  des  formes   diverses,   insérés  dans   les  relations  et  le   contrôle     militaires  euroatlantiques, l’intégration dans l’UE, telle qu’elle est, soulève bien plus de difficultés. Et la  présence   militaire   n’est   pas   une   garantie   de   réel   rapprochement   pacifié   à   l’échelle   du  continent…       Encore moins de la capacité de construire un « modèle social européen »  stabilisateur.

Comme dans tous les nouveaux et anciens membres de l’UE, les questions socio­ économiques   prennent   le   devant   et   pèsent   sur   une   crise   d’ensemble   de   la   démocratie  représentative. Chômage et misère détournent les populations d’une participation active à la  vie   politique ;   mais   ils   peuvent   aussi   se   transformer   aisément   en   votes   xénophobes,   en  recherche de boucs émissaires. La montée des votes en faveur de l’extrême droite et de l’euro­ scepticisme en Pologne aujourd’hui a bien des traits communs avec les résultats des élections  en Serbie ; et …  la montée des idéologies lepénistes en France. L’abstention est le principal  vote européen…

La question de la démocratie, donc des choix « souverains » est à la fois au cœur des  questions   sociales   –   du   local   au   planétaire,   qui   décide   des   choix   de   société ?   –   et  « nationales » ­ quelle diversité protégée ? La notion de « bien commun », ou de « patrimoine  de l’humanité », de pair avec les droits collectifs d’accès à ces biens impose qu’on invente, à  l’échelle   où   elle   serait   efficace,   une   gestion   commune…   Le   droit   du   commerce   et   les  privatisations sont devenus des « buts » au lieu d’être des moyens subordonnés à des finalités  librement déterminées. 

Les causes de fragilité et de décomposition de la Yougoslavie titistes étaient socio­ économiques et politiques : il n’y a pas de haines fatales interethniques… Et c’est d’ailleurs  pourquoi on peut espérer qu’un cadre européen permettrait à tous les peuples concernés de  trouver   leur   place,   quelles   qu’aient   été   les   pages   noires   et   les   guerres   passées…     Mais  l’instabilité   des   nouveaux   Etats   issus   de   la   crise   yougoslave   est­elle   « balkanique »   et  spécifique ou symptomatique de la construction européenne toute entière, de ses propres  fragilités ?

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Le droit d’autodétermination a perdu tout sens s’il est en fait imposé dans la violence  de milices qui servent des intérêts mercantiles, soit soumis à l’arbitraire et à la real politik de  grandes puissances. Il ne doit pas être réduit à la mise en place d’un « Etat­nation » au sens  ethniquement   pur…   mais   prendre   tout   son   sens :   détermination   par   les   populations  concernées, de la meilleure manière de défendre leur dignité et leurs droits. L’établissement  librement consenti de liens entre pays voisins est décisif pour que les frontières perdent de leur  importance. L’interdépendance des droits reconnus à tous et toutes doit interdire qu’on impose  un   choix   « d’autodétermination »   sur   le   dos   d’une   autre   population.   Les   territoires  historiquement  partagés  –  comme   c’est   le  cas  de   pratiquement  toutes  les  « parties »  des  Balkans – ne devaient­ils pas devenir « bien commun », patrimoine des peuples des Balkans  avec toute leur humanité ?

Les   carcans   budgétaires   associés   aux   critères   de   Maastricht   et   de   l’intégration   à  l’Euroland   (non   respectés   par   la   France   et   l’Allemagne   qui   les   ont   établis) ont   été  organiquement associés dans la construction européenne des dix dernières années, au choix de  privilégier le recours aux financements privés par émissions de titres de marché (actions,  obligations et autres titres de créances de tout terme) ouverts aux investisseurs internationaux;  les interdits de financement des dépenses publiques par les banques centrales ont ainsi forcé  les Etats  à recourir à l’émission de bons du Trésor à taux d’intérêt « attractifs », puisque le  dumping fiscal devenait, avec le dumping social, le moyen d’attirer les investissements directs  étrangers (IDE)…  La Slovénie n’a pas respecté ces critères au cours de la décennie 1990 – et  s’en est bien sortie. Le sait­on ? Met­on son expérience à l’étude – notamment chez les  voisins   de   l’ex­Yougoslavie   qui   partaient   de   conditions   institutionnelles   proches   ?   C’est  l’inverse qui se passe, mettant la Slovénie sous pression de préceptes libéraux radicaux.

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