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Scénario et virtualité : ce que noue la lecture scénaristique

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Academic year: 2021

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SCÉNARIO ET VIRTUALITÉ : CE QUE NOUE LA LECTURE SCÉNARISTIQUE

THÈSE PRÉSENTÉE

COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN ÉTUDES LITTÉRAIRES

PAR

GABRIELLE TREMBLA Y

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Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de cette thèse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.1 0-2015). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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Je remercie Johanne Villeneuve pour sa direction attentive, ngoureuse et bienveillante. Cette thèse trouve l'un de ses premiers ancrages dans la manière que tu as eue, chère Johanne, dès le début de mon baccalauréat, il y a maintenant quelques années déjà, de me faire voir sous un nouveau jour les liens possibles entre la littérature et le cinéma. Ma dette à ton égard est immense.

Je remercie chaleureusement Louis Jacob de m'avoir accompagnée dans mon aventure doctorale à titre de codirecteur et de.réel interlocuteur.

Je remercie de tout cœur les participant.e.s à mon enquête de terrain pour leur temps et, surtout, pour la générosité de leurs contributions.

Je tiens à remercier l'ensemble des étudiant.e.s du Certificat en scénarisation cinématographique de l'UQAM inscrit.e.s au cours « Lecture de scénario » à 1' automne 2017. Les échanges que nous avons eus en classe, votre curiosité intellectuelle et vos nombreuses questions ont grandement nourri mon projet doctoral et influencé positivement sa rédaction.

Je salue avec affection mes ami.e.s de l'UQAM et d'autres universités.

Cette thèse représente, à mes yeux, la somme de ce qui a composé mon parcours universitaire durant lequel j'ai eu la chance et le privilège de pouvoir compter sur la présence, les encouragements et l'appui de plusieurs personnes. À ce titre, je remercie mes tantes (Carmen, Louise, Johanne, Line), mes oncles (Robert, Éric, René, Paul, Richard), mes cousines (Valérie, Julie, Stéphanie, Geneviève, Marilou) et mes

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cousins (Rodrigo, Louis). Je remercie également les membres de ma famille que sont pour moi Ahou Moazam, Alexandre Gignac, Annick Lavogiez, Ariel Savion-Lemieux, Benoit Jodoin, Caroline Dawson, Hélène Hüther, Jessica Steiger-Levine, Lucie Robitaille, Maria Pefialoza, Marité Hillar, Mélissa Samson, Nicholas Dawson et Tristan Thibaudeau. Votre soutien aura tantôt pris la forme d'échanges stimulants, tantôt celle de la relecture patiente et répétée de mes travaux, tantôt celle d'un accompagnement solidaire à travers différentes épreuves de vie. À bien des égards, mes petites et grandes réussites sont aussi les vôtres.

Je souligne l'apport financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH); de la Fondation de l'UQAM, du Département d'études littéraires de l'UQAM, de la Faculté des arts de l'UQAM et du Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire Figura.

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À mon père, Benoit.

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LISTE DES FIGURES ... x

LISTE DES TABLEAUX ... xi

RÉSUMÉ ... xii

ABSTRACT ... xiv

INTRODUCTION ... ~ ... ! PREMIÈRE PARTIE ... lü LECTURE, PERCPETION ET USAGE DU SCÉNARIO AU QUÉBEC ... lü CHAPITRE I ... 11

SURVOL HISTORIQUE DU RAPPORT AU TEXTE SCÉNARISTIQUE ET À L'AUCTORIALITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE ET TÉLÉVISUELLE ... li 1.1 Critique cinématographique et culture auctoriale ... 12

1.2 Le cinéma des premiers temps au Québec et la revue Le Panorama ... l3 1.3 L'avènement du cinéma parlant et 1' exemple de la revue Séquences ... 18

1.4 Le cinéma d'auteur au Québec et la revue Objectif ... 20

1.6 Une place au soelil pour le scénario dans la revue CiNéMAS? ... 28

1. 7 « Un film de » ... 30

1.8 Écritures et auctorialités télévisuelles ... ~ ... 32

(7)

CHAPITRE II ... 45

DU« LECTEUR RÉEL »DE SCÉNARIOS DANS LE MONDE DE L'ART AUDIOVISUEL PROFESSIONNEL ... 45

2.1 Lire son métier : la lecture scénaristique dans un contexte technico-professionnel ... 4 7 2.2 Le comédien-lecteur ... 55

2.3 Lire son environnement socioprofessionnel. ... 61

CHAPITRE III ... 7 5 DÉVELOPPEMENT ET ORIENTATION DES ÉTUDES SCÉNARISTIQUES À L'UNIVERSITÉ ... 7 5 3.1 Postures critiques et axes de recherches :quelques repères ... 76

3.2 Offre de formation scénaristique à l'université ... 84

3.3 Les études scénaristiques aux cycles supérieurs au Québec ... 92

CHAPITRE IV ... · ... 99

UN OBJET LITTÉRAIRE, LE SCÉNARIO? LA « GRANDE QUERELLE » ... 99

4.1 «Littéraire» et« littéraire» ... 101

4.2 L'œuvre et l'artiste ... 112

4.3 Le scénario comme texte« littéraire/cinématographique » ... 120

DEUXIÈME PARTIE ... 128

LECTURE SCÉNARISTIQUE ET PRINCIPE DE VIRTUALITÉ ... 128

CHAPITRE V ... 129

'THÉORIES DE LA LECTURE ET LECTURE SCÉNARISTIQUE ... ~ 129

5.1 Les théories de la lecture .... ; ... 130

5.2 Pour une approche pragmatique de la lecture scénaristique ... 141

(8)

CHAPITRE VI ... 157

CE QUI SE JOUE ENTRE LA PAGE ET L'ÉCRAN ... : ... 157

6.1 La lecture scénaristique: ce qui survient entre la page et l'écran ... 157

6.2 Écriture et lecture« appareillées » ... 159

6.3 La lecture scénaristique : un « tableau continu » ... 164

6.4 Le lecteur scénaristique :un lecteur/adaptat~ur ... 180

6.5 « Le scénario du film » : un nécessaire rapport de dépendance? ... 185

CHAPITRE VII ... 192

DU PRINCIPE DE VIRTUALITÉ ... 192

7.1 Virtualité, fiction et expérience lectrice ... 192

7.2 Le scénario pour soi ... 198

7.3 Temporalité de la lecture scénaristique ... 206

CHAPITRE VIII ... ; ... 215

VIRTUEL, ACTUEL, POSSIBLE ET RÉEL SCÉNARISTIQUES ... 215

8.1 « Quadrivium ontologique » : virtualisation, actualisation, potentialisation et réalisation ...

>

...

215

8.2 Ce qui se joue entre la page et 1 'écran (bis) ... 225

8.3 Le texte à l'écran: voir la lecture ... 241

8.4 Au-delà du lectorat scénaristique professionnel ... 253

CONCLUSION ... 265

ANNEXE A ... 273

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ANNEXEB ... 280 OFFRE DE FORMATION SCÉNARISTIQUE DANS LES UNIVERSITÉS

CANADIENNES (PAR PROVINCE) ... 280 ANNEXE C ... 291 LES ÉTUDES SCÉNARISTIQUES AUX CYCLES SUPÉRIEURS AU QUÉBEC (TRAVAUX ORDONNÉS CHRONOLOGIQUEMENT) ... 291 ANNEXE D ... 299 PAGES COUVERTURES DE ROMANS QUÉBÉCOIS RÉÉDITÉS APRÈS LEUR ADAPTATION AU CINÉMA (ORDONNÉES EN ORDRE CHRONOLOGIQUE D'ADAPTATION CINÉMATOGRAPHIQUE) ... 299 ANNEXEE ... 307 ALEXANDRE GOYETTE, KING DAVE, SCÉNARIO DE LONG-MÉTRAGE, 2015, P. 1-6 ... 307 ANNEXE F ... 315 ANDRÉ TURPIN, ENDORPHINE, SCÉNARIO DE LONG-MÉTRAGE, 2013, P. 1-5 ... 315 ANNEXE G ... 322 MONIA CHOKRI, QUELQU'UN D'EXTRAORDINAIRE, SCÉNARIO DE COURT-MÉTRAGE, 2013, P. 10-14 ... 322 ANNEXE H ... 329 QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX ÉTUDIANTS DU COURS LIT2845-40, « LECTURE DE SCÉNARIO »,AUTOMNE 2017 ... 329

(10)

ANNEXE I ... 332

MICHEL BRAULT, LES ORDRES, SCÉNARIO DE LONG-MÉTRAGE, 1973,

P. 1-4 ... 332

ANNEXEJ ... 338

PHILIPPE FALARDEAU, CONGORAMA, SCÉNARIO DE LONG-MÉTRAGE,

2005, P. 1-4 ... 338

(11)

FIGURE 1 : «Les collaborateurs »,caricature ... 16

FIGURE 2: «Les sept crimes du cinéma», caricature ... 17

FIGURE 3 :Ce qui se joue entre la page et l'écran ... 159

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TABLEAU 1 : Occurrences des mots « scénario », « scénariste », «cinéaste» et « auteur » dans les numéros disponibles en format numérique des revues Séquences, 24 images et CiNéMAS ... 29

TABLEAU 2: Synthèse des éléments recensés dans les catalogues académiques de l'Université Laval, de l'Université de Montréal et de l'UQAM ... 98

TABLEAU 3: Quadrivium ontologique et manières d'être selon Pierre Lévy ... 220

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Scénario et virtualité : ce que noue la lecture scénaristique

Au cours des dernières décennies, les pratiques scénaristiques se sont développées à travers des domaines médiatiques de plus en plus nombreux (cinéma, télé, web, jeux vidéos, etc.) et la création scénaristique a suscité, à juste titre, un intérêt grandissant dans le monde professionnel comme dans les milieux de formation et de recherche. Par ailleurs, la lecture de scénarios de cinéma n'a fait jusqu'à présent, l'objet que de peu d'études. Aussi, les rares travaux portant (ne serait-ce qu'en partie) sur la lecture de scénarios cinématographiques abordent systématiquement cette question dans une perspective motivée au premier plan par des préoccupations largement centrées sur ce qui touche à 1' écriture de scénarios. Dans cette thèse, nous nous proposons plutôt d'engager une réflexion théorique portant spécifiquement sur la lecture scénaristique à travers l'étude et l'analyse de préoccupations interdisciplinaires et d'enjeux intermédiaux que soulève et noue la lecture de scénarios. Une telle perspective nécessite d'appréhender le scénario précisément en tant qu'objet textuel, tout en sachant tenir compte des différents contextes sociaux dans lesquels il s'inscrit. Ce parti pris nous conduit à penser la lecture de scénarios en fonction du principe de virtualité. Le virtuel, la virtualité et la virtualisation dont il sera question dans notre travail ont peu ·à voir avec les « réalités virtuelles » telles que développées et comprises depuis 1' avènement du numérique et des nouvelles technologies. Le principe de virtualité auquel s'attache notre pensée en matière de lecture scénaristique puise ses origines bien avant les récentes innovations technologiques, du côté des théories philosophiques, anthropologiques et artistiques et de ce qui concerne

l'imaginaire humain et le domaine de. la fiction. .

Notre objet d'étude prend d'abord la forme d'un champ à investiguer, soit le« champ scénaristique », puis celle d'un domaine d'étude théorique à consolider, soit la question de la lecture scénaristique et du principe de virtualité. Notre projet de thèse insiste fortement sur la matérialité textuelle du scénario et donne à penser la lecture scénaristique en tant que geste interprétatif, certes, mais également (et surtout) en tant que geste de médiation, d'appropriation, de transposition, d'adaptation, de projection et, même, de création. Aussi, nous nous appliquons à remettre en question un lieu commun tenace (tant chez les théoriciens que chez les praticiens) selon lequel la seule

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« vérité » et l'« unique aboutissement» d'un texte scénaristique résiderait dans le film tel que porté à 1' écran.

La thèse est divisée en deux parties: la première offre un panorama analytique des discours et des pratiques les plus généralement admis en lien avec le texte scénaristique, la seconde expose de manière détaillée notre réflexion théorique en matière de lecture scénaristique. Au final, en plus de contribuer à 1' avancement théorique des études scénaristiques, en plaçant notre objet d'études aux croisements des études intermédiales, littéraires, cinématographiques et audiovisuelles, notre thèse s'applique à mettre en lumière les processus sociologiques de légitimation et d'organisation de discours, de savoirs et de disciplines dans un contexte professionnel donné, ainsi que dans les institutions universitaires québécoises et canadiennes. Mots clés : Lecture de scénarios, études scénaristiques, théories de la lecture, virtualité, intermédialité, légitimation d'objets et de pratiques culturels, cinéma québécois

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Screenplay and Virtuality: What the Act of Reading Screenplays Intertwines

In the last decades, there has been a multitude of advancements in screenwriting practices throughout various media fields (cinema, TV, web, video games, etc.) which has rightly aroused growing interest in the professional world, as weil as in the training and academie environments. However, the reading of cinematographic screenplays has been, so far, the subject of very few studies. The rare works addressing the act of reading screenplays systematically approach this question in a perspective that is, first and foremost, motivated by concems mainly focused on screenwriting. In this thesis, we propose instead to engage in a theoretical reflection about the act of reading screenplays through the study and analysis of interdisciplinary concerns and intermedial issues that the act of reading screenplays on its own raises and binds. This also leads us to think of the act of reading screenplays in connection with the princip le of virtuality. The virtual, virtuality and virtualization that will be discussed in our work have little to do with virtual realities as developed and understood since the advent of digital and new technologies. The principle of virtuality to which our critical thinking attaches itself originates weil bef ore recent technological innovations, on the side of philosophical, anthropological and artistic theories and within the domain of human imagination and fiction. Such a perspective requires us to apprehend the screenplay precisely as a textual object, while knowing how to take into account the different social contexts at stake.

Our object of study first takes the form of a field of investigation, i.e. the scenaristic field. Then, that of a theoretical field of study to be consolidated, namely the question of screenplay reading in connection with the princip le of virtuality. Our the sis project strongly emphasizes on the textual materiality of the screenplay and affirms the act of reading as an interpretative gesture, yet also as an act of mediation, appropriation, transposition, adaptation, projection, and even as an act of creative tenor. Also, we question a tenacious belief (met both on the part of theorists and practitioners) that the only "truth" and "sole outcome" of a screenplay resides in the film once it is on screen.

(16)

The thesis is divided into two parts: the first offers an analytical overview of the discourses and practices most generally accepted in connection to the screenplay; the second exposes in detail our theoretical thinking regarding the act of reading screenplays. In addition to contributing to the theoretical advancement of screen\\;riting studies, our thesis aims to highlight the sociological processes of legitimation and organization of speeches, knowledge and disciplines in a given professional context, as well as in Quebecois and Canadian universities, by positioning our object of study at the crossroads of intermedial, literary, cinematographic and audiovisual studies.

Keywords: Screenplay reading, Screenwriting studies, Reading theories, Virtuality,

(17)

- Antoine Compagnon, Le démon de la théorie

(18)

La première attestation écrite en français du terme« scénario », empruntée à l'italien scenario, est attribuée à Beaumarchais en 1764. Son emploi est alors limité à la sphère théâtrale et désigne le décor, la scène et la description de la mise en scène. «L'emploi figuré pour "déroulement selon un plan préétabli" (avant 1850) ne s'est répandu qu'au [20t siècle, sous l'influence du sens devenu courant de scénario qui désigne en cinéma la description rédigée de l'action d'un film [ ... ]1• »La première attestation écrite du mot « scénario » selon ce sens est attribuée, par les historiens du cinéma, à Georges Méliès en 1907. Si le sens de« scénario», en lien avec le cinéma, paraît s'être stabilisé depuis les cent dernières années, quelque chose de polysémique demeure dans le terme. D'ailleurs, « scénario » fait partie du langage courant de plusieurs domaines, dont la psychologie (en analyse transactionnelle, par exemple, le concept de « scénario de vie » est au cœur du processus thérapeutique), la pédagogie (où 1' élaboration de « scénarios pédagogiques » sous-tend différentes stratégies d'enseignement), la finance (dans ce secteur, le mot scénario prend le sens de projection ou de prédiction sur un horizon donné de certains indicateurs économiques d'importance - taux d'intérêt, prix des actions, taux de chômage, etc.), le monde militaire (l'usage du mot concerne alors autant la planification tactique que la gestion des urgences) et la météorologie (son usage dans ce domaine est observé lorsque plusieurs possibilités de conditions climatiques sont envisagées de manière simultanée pour une période ciblée). Dans le langage des professionnels du milieu

1

Alain Rey (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 2000, vol. PR-Z, p. 3 411.

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cinématographique, comme des universitaires et des cinéphiles (et il en va de même du côté de la télévision et des nouveaux médias), « scénario » désigne à la fois le texte écrit à partir duquel s'élabore le processus de développement et de création d'une œuvre audiovisuelle et l'histoire telle que portée à l'écran -par exemple, au sortir d'un film, nous sommes nombreux à parler «des faiblesses du scénario» lorsqu'un film nous a déçu, sinon à parler «d'un scénario bien ficelé » lorsque, au contraire, le film nous a plu. Cette dernière façon de considérer le scénario éclipse, en quelque sorte, la matérialité textuelle du scénario. À la polysémie constatée ci-dessus se greffe donc une certaine polémique quant au statut même du scénario en tant qu'objet textuel. Du côté des études cinématographiques et du monde de 1' audiovisuel, de nombreux ouvrages sont entièrement dédiés aux techniques et aux rouages de l'écriture de scénarios. Dès leur titre, bien souvent, on perçoit d'ailleurs le caractère ouvertement didactique et prescriptif de ce type de publications tantôt universitaires, tantôt professionnelles : Écrire un scénario 2 , Scénarios : modes . d'emploi3, Votre scénario est bon pour la poubelle! 100 pistes pour le rendre

formidable4, Jeune scénariste : Tout ce que tu dois savoir/5, Kit de survie du

scénariste6, etc. Dans la conclusion de son livre Lire et écrire un scénario, Isabelle

Raynauld, en 2012, constate cependant que« le scénario en tant que forme scripturale

a peu été théorisé7 » et, surtout, que les modes de lecture et les lecteurs scénaristiques

2

Michel Chion, Écrire un scénario, Paris, Cahiers du cinéma, 2007.

3

Christian Biegalski, Scénarios: modes d'emploi, Paris, Dixit, 2003.

4

William Akers, Votre scénario est bon pour la poubelle! 100 pistes pour le rendre formidable, Paris,

Dixit, 2010.

5

Frédéric Davoust, Jeune scénariste: Tout ce que tu dois savoir!, Paris, Dixit, 2011.

6

Gildas Jaffrennou, Kit de survie du scénariste, Lille, LettMotif, 2015.

7

Isabelle Raynauld, Lire et écrire un scénario. Le scénario de film comme texte, Paris, Armand Colin,

2012, p. 208. Il est à noter qu'une deuxième édition augmentée de cet ouvrage est parue chez le même éditeur en février 2019 sous le titre Lire et écrire un scénario. Fiction, documentaire et nouveaux médias. Selon l'information dont nous disposons, en plus du nouveau sous-titre de l'ouvrage, l'ajout

d'un chapitre intitulé «L'écriture documentaire. Nouveaux médias, nouvelles écritures : pour une scénarisation élargie» distingue de prime abord la seconde édition de la première. Autrement, la table des matières du livre de 2019 est identique à celle de 2012. Au moment du dépôt de cette thèse, la

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n'ont fait l'objet que de trop peu d'études. Encore aujourd'hui, à la suite de Raynauld, force est de constater que la lecture de scénarios est un objet d'étude peu considéré, tant du côté des études scénaristiques que du côté des théories de la lecture. Dans le domaine littéraire, la place du texte scénaristique est incertaine à bien des égards. Par ailleurs, au cours des dernières décennies, les pratiques scénaristiques se sont développées à travers des domaines médiatiques de plus en plus nombreux (cinéma, télé, web, jeux vidéo, etc.) et la création scénaristique a suscité, à juste titre, un intérêt grandissant dans le monde professionnel comme dans les milieux de formation et de recherche. Au final, les rares travaux portant (ne serait-ce qu'en partie) sur la lecture de scénarios abordent systématiquement cette question dans une perspective motivée au premier plan par des préoccupations largement centrées sur ce qui touche à 1' écriture de scénarios.

Dans cette thèse, nous nous proposons plutôt d'engager une réflexion théorique portant spécifiquement sur la lecture scénaristique à travers l'étude et l'analyse de préoccupations interdisciplinaires et d'enjeux intermédiaux que soulève et noue la lecture de scénarios. Une telle perspective nécessite d'appréhender le scénario précisément en tant qu'objet textuel, tout en sachant tenir compte des différents contextes sociaux dans lesquels il s'inscrit. Ce parti pris nous conduit à penser la lecture de scénarios en fonction du principe de virtualité. Notre objet d'étude prend d'abord la forme d'un champ à investiguer, soit le« champ scénaristique »,puis celle d'un domaine d'étude théorique à consolider, soit la question de la lecture scénaristique et du principe de virtualité. Le virtuel, la virtualité et la virtualisation dont il sera question dans notre travail ont peu à voir avec les « réalités virtuelles » telles que développées et comprises depuis 1' avènement du numérique et des nouvelles technologies. Le principe de virtualité auquel s'attache notre pensée en

nouvelle publication n'était cependant pas encore disponible au Québec. Aussi, nous réfèrerons-nous exclusivement, tout au long de notre travail, à la première édition du livre d'Isabelle Raynauld.

(21)

matière de lecture scénaristique puise ses origines bien avant les récentes innovations .

technologiques, du côté des théories philosophiques, anthropologiques et artistiques et de ce qui concerne l'imaginaire humain et le domaine de la fiction. Notre projet de thèse, préoccupé par la virtualité de la lecture scénaristique, insiste fortement sur la matérialité textuelle du scénario. En ce sens, nous faisons nôtre dès maintenant cette définition du virtuel que propose la philosophe Michela Marzano et qui trouve un écho direct dans le travail de théoriciens auxquels nous nous réfèrerons

ultérieurement: « le Virtuel ne s'oppose pas au réel[ ... ]; ce n'est pas l'effacement

des limites du corps, mais leur prise en compte qui permet d'en développer les

potentialités, dans le domaine de la science comme dans celui de l'art8 ». Notre

approche théorique de la lecture scénaristique, en tenant compte du principe de virtualité, s'intéresse ainsi autant au «corps scénaristique » (le texte) qu'à 1' expérience concrète du lecteur de scénarios, pour ainsi donner à penser la lecture en tant que geste interprétatif, certes, mais également (et surtout) en tant geste de médiation, d'appropriation, de transposition, d'adaptation, de projection et même de création.

Avant de procéder à la présentation générale de notre thèse, quelques précisions méthodologiques s'imposent. Dans le monde professionnel de 1' audiovisuel, le scénario d'un projet donné existe le plus souvent à travers une série de versions9.

Notre usage au singulier de scénario «absorbe», en quelque sorte, cette existence

8

Michela Marzaro, «Préface», in Alain Milon, La réalité virtuelle: avec ou sans le corps?, Paris, Autrement, 2005, p. 6. Nous soulignons.

9 Par exemple, durant le développement et l'écriture d'un projet filmique, communément, plusieurs

«versions blanches» d'un même scénario peuvent se succéder jusqu'à celle dite «de production», lorsque vient le temps de préparer plus concrètement la fabrication et le tournage du film. Une fois la production lancée, au fil des réécritures du scénario, différentes versions sont distribuées · aux collaborateurs en présence. Ces versions sont alors datées et numérotées. Chaque production prévoit

également une« charte de couleurs» interne pour l'ordonnance des réimpressions du scénario en cours de projet. Ainsi, par exemple, après la version blanche « de production », peuvent suivre les versions « rose », « bleue», «jaune », etc. du texte scénaristique.

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instable et souvent plurielle du texte scénaristique : s'intéresser à un scénario, à nos yeux, revient implicitement à embrasser, dans notre lecture, la réalité, sinon la potentialité de l'ensemble de ses versions, qu'elles soient antérieures ou anticipées. Dans la thèse, nous nous référons ponctuellement à différents domaines médiatiques. L'essentiel de notre démarche porte cependant sur la lecture scénaristique et les lecteurs de scénarios dans un contexte cinématographique. Aussi, notre travail ne concerne que le texte scénaristique compris à l'intérieur du domaine de la fiction10•

La thèse est divisée en deux grandes parties, chacune composée de quatre chapitres. La première partie de la thèse offre un panorama analytique des discours et des pratiques les plus généralement admis en lien avec le texte scénaristique, la seconde expose de manière détaillée notre réflexion théorique en matière de lecture scénaristique.

Dans le premier chapitre, à la suite des nombreux travaux déjà dédiés à l'histoire du cinéma et des pratiques scénaristiques au Québec, nous effectuons un survol historique du rapport au texte scénaristique et à l'auctorialité cinématographique et télévisuelle. Notre démonstration prend appui sur l'analyse de périodiques spécialisés, de textes de loi et de conventions collectives et permet de contextualiser l'émergence et la consolidation de certaines postures discursives en matière scénaristique dont il

sera question tout au long de la thèse.

Dans le deuxième chapitre, nous nous intéressons à la figure du « lecteur réel » de scénarios. Dans ce chapitre, nous rendons compte principalement d'une enquête de terrain menée auprès de différents professionnels de 1' audiovisuel québécois

10

Pour le dire autrement, nous n'aborderons pas ce qui touche aux pratiques d'écriture et de lecture scénaristiques documentaires, pourtant courantes, notamment, dans les milieux cinématographique, télévisuel et web.

(23)

(comédien, producteur, réalisateur, superviseur d'effets visuels, scripte, costumière, chef coiffeuse, agent ·artistique, etc. 11) .. À travers l'exploitation et l'analyse des données recueillies, nous ex.posons les habitudes de lecture scénaristique des personnes interrogées, ainsi que le type de travail effectué à partir du scénario dans le cadre de leurs activités professionnelles respectives. Les scénarios ne circulant que très peu à l'extérieur des sphères d'initiés, les professionnels de l'audiovisuel peuvent, en quelque sorte, être considérés collectivement comme le premier lectorat de cette forme textuelle.

Le troisième chapitre est dédié au développement et à 1' orientation des études scénaristiques au Québec et au Canada. Nous posons d'abord quelques repères en ce qui a trait aux postures critiques et aux axes de recherches les plus rencontrés à l'intérieur de la filière scénaristique. Nous effectuons ensuite une recension analytique de 1' offre de formation scénaristique dans les universités canadiennes. Puis, nous procédons à une autre recension analytique, cette fois-ci en ce qui a trait à la production de mémoires et de thèses en études scénaristiques au Québec. Cette triple approche des études. scénaristiques donne à voir autant la grande diversité (en termes de méthodes et d'objets) qui caractérise cette filière universitaire que la manière dont on y intègre et reconduit largement certaines postures discursives héritées du monde professionnel.

La littérarité du texte scénaristique pose problème pour plusieurs, comme si le fait d'appréhender le scénario à partir de préoccupations littéraires mettait à mal sa spécificité inhérente au domaine de 1' audiovisuel. Dans le quatrième chapitre, nous

11

Aucun participant à notre enquête n'a été rencontré à titre de « lecteur professionnel» ayant œuvré auprès d'organismes financeurs, tels la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et Téléfilm Canada. Au sujet de la lecture de scénarios dans un contexte d'attribution de financement,

on peut consulter le mémoire de David Sionnière, Enjeux de la lecture institutionnelle de scénarios de longs métrages au Québec, rédigé sous la direction d'Isabelle Raynauld et déposé en 2014 à l'Université de Montréal.

(24)

abordons de front cet « épineux » sujet en remontant à 1' origine de certains aprioris et en donnant à voir 1' impasse de pensées trop catégoriques en matière scénaristique. À la suite de quoi, nous proposons de considérer le scénario comme un texte

simultanément littéraire et cinématographique, soit un texte

«littéraire/cinématographique». Nous croyons qu'une conception mixte du texte scénaristique permet d'en saisir pleinement 1' « épaisseur médiatique ». Il s'agit là d'un élément fondamental de notre argumentaire, puisqu'à notre sens la lecture scénaristique fait coïncider l'expérience littéraire de la lecture et celle d'un travail cinématographique de l'imaginaire. Aussi, l'idée du scénario comme texte littéraire/cinématographique sert, en quelque sorte, de « tremplin » pour aborder les. enjeux qui nous occuperons dans la deuxième partie de la thèse dédiée plus spécifiquement à la lecture scénaristique et au principe de virtualité.

Le cinquième chapitre inaugure la deuxième partie de la thèse. Nous établissons alors plus concrètement les fondations de notre pensée théorique en ce qui a trait à la lecture scénaristique. Nous effectuons d'abord un survol synthétique des grands courants littéraires caractérisant les théories de la lecture. À partir de cet état de l'art, en demeurant solidement attachée à notre conception mixte du scénario comme texte littéraire/cinématographique, nous exposons le cadre théorique de notre approche pragmatique de la lecture de scénarios et les balises nous permettant de penser la lecture scénaristique précisément comme objet théorique.

Dans le sixième chapitre, la perspective mixte et pragmatique qu'emprunte notre approche du scénario nous conduit à investiguer la lecture scénaristique comme « milieu », comme ce qui survient concrètement entre la page et 1' écran. Les paramètres de 1' expérience lectrice scénaristique se révèlent alors intimement liés à l'imaginaire cinématographique que déploie pour soi un lecteur de scénarios. Cela donne à voir et à penser la lecture scénaristique comme «appareillée», nécessairement orientée par les références et allusions répétées, dans les scénarios,

(25)

aux dispositifs techniques du cinéma (prise de vue et de son, mouvements de caméra, montage, etc.). À partir de ces constats, nous proposons l'idée qu'un lecteur (professionnel ou non), à travers son expérience de lecture scénaristique personnelle devant un texte donné, développe un imaginaire filmique sous la forme d'un« tableau continu». Afin d'étayer cette proposition, en plus des théories de la lecture dont il a été question au chapitre précédent, nous prenons appui également sur des travaux dédiés au rapport entre le texte et l'image. Cela dit, l'idée du« tableau continu» que nous proposons déborde la seule question de l'image strictement visuelle et intègre la génération d'images mentales sonores et sensorielles chez le lecteur de scénarios au contact de textes scénaristiques. Nous nous intéressons ensuite à la manière dont la lecture scénaristique repose nécessairement sur des dynamiques interprétatives multiples et diversifiées et représente, pour le lecteur, un espace expérientiel d'adaptation, de transposition et de création. Au final, cette perspective nous permet d'entamer la remise en question d'un des lieux communs les mieux établis, tant chez les théoriciens que chez les praticiens, selon lequel la seule « vérité » d'un texte scénaristique résiderait dans le film tel que porté à 1' écran.

Dans le septième chapitre, nous postulons que le principe de virtualité, en matière de lecture de scénarios, rejoint l'approche pragmatique de la lecture, les notions de transfert et d'adaptation et les compétences imaginatives du lecteur en présence. Le principe de virtualité permet ici de jeter un éclairage renouvelé sur le domaine de la fiction et sur 1' expérience lectrice dans un contexte scénaristique. Aussi, dans ce chapitre, nous déclinons trois virtualités engagées systématiquement dans la lecture scénaristique : ce qu'un film pourrait être, ce qu'un film aurait pu être et la manière qu'a le lecteur d'habiter le monde du texte.

Le dernier chapitre de la thèse vise à approfondir certaines pistes de réflexion en lien avec le principe de virtualité et la lecture de scénarios et à sonder les manières d'être, les usages et les pratiques scénaristiques que supposent, tantôt tour à tour, tantôt

(26)

simultanément, mais toujours liés les uns les autres, le virtuel, l'actuel, le possible et le réel. Nous abordons une fois de plus la lecture scénaristique comme ce qui se joue, précisément, entre la page et 1' écran. Cela nous amène à éclairer sous de nouveaux angles, tout en continuant à le remettre en question, ce lieu commun voulant qu'un scénario ne trouverait son« ultime aboutissement» qu'à travers un film. La question de la lecture du scénario «à l'écran», une fois le film fait, est également abordée en fonction du principe de virtualité. Enfin, la dernière partie du chapitre porte sur la lecture de scénarios en dehors du seul contexte professionnel audiovisuel. Nous nous intéressons alors à deux cas de figure précis : 1' adaptation scénique et théâtrale · d'œuvres cinématographiques et un contexte de formation universitaire où la lecture

de scénarios fait partie du cursus académique.

Notre réflexion en matière de lecture de scénarios repose sur une longue discussion interdisciplinaire avec le travail de plusieurs théoriciens. Cela dit, nous convoquons principalement, tout au long de notre étude, les travaux de certains chercheurs, d'abord ceux d'Isabelle Raynauld du côté des études scénaristiques, puis ceux de Vincent Jouve, Liliane Louvel et Marielle Macé dans le domaine des études littéraires. Notre pensée prend aussi un appui significatif sur les travaux des sociologues Howard

s:

Becker, Pierre Lévy (également philosophe) et André Petitat.

Finalement, en plus de contribuer à 1' avancement théorique des études scénaristiques, en plaçant notre objet d'études aux croisements des études intermédiales, littéraires, cinématographiques et audiovisuelles, notre thèse s'applique à mettre en lumière les processus sociologiques de légitimation et d'organisation de discours, de savoirs et de disciplines dans un contexte professionnel donné, ainsi que dans les institutions universitaires québécoises et canadiennes.

(27)
(28)

SURVOL HISTORIQUE DU RAPPORT AU TEXTE SCÉNARISTIQUE ET À

L'AUCTORIALITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE ET TÉLÉVISUELLE

Plusieurs chercheurs ont travaillé à écrire l'histoire du cinéma et de la télévision au Québec, parmi lesquels on compte Pierre Barrette, André Gaudreault, Renée Legris, Yves Picard, Jean-Pierre Sirois-Trahan et Pierre Verroneau. Plus spécifiquement, Germain Lacasse, Esther Pelletier et Isabelle Raynauld, dans leurs travaux respectifs 12, se sont intéressés de près à 1 'histoire du scénario au Québec. Plutôt que

d'effectuer une synthèse des ouvrages et articles en lien avec l'histoire du cinéma, de la télévision et du scénario dans un contexte québécois, nous proposons de nous inscrire à leur suite en réalisant un survol historique du rapport au texte scénaristique et à l'auctorialité audiovisuelle au Québec. Il s'agit d'un axe de recherche peu exploité jusqu'à présent, mais qui s'avère pertinent pour contextualiser, comprendre et expliquer les discours actuels en lien avec la lecture, la perception et 1 'usage du scénario chez les critiques, les professionnels et les théoriciens dont il sera question

12

Cf. Germain Lacasse, « Vestiges narratifs. Les premiers temps du scénario québécois », Études littéraires, vol. 26, n° 2, 1993, p. 57-65 ; Esther Pelletier, Écrire pour le cinéma. Le scénario et l'industrie du cinéma québécois, Québec, Nuit blanche éditeur, 1992 ; Isabelle Raynauld, « Importance du scénario dans le cinéma Québécois: développement d'une pratique d'écriture de 1896 à 1996 » dans André Gaudreault, Germaine Lacasse, Isabelle Raynauld (dir.), Le cinéma en histoire: institution cinématographique, réception filmique et reconstitution historique, Québec, Nota bene, 1999, p. 193-210.

(29)

un peu plus tard dans le présent chapitre. La première étape de notre démonstration repose en grande partie sur 1' étude du contenu de différents périodiques et ouvrages spécialisés québécois. Nous nous intéresserons d'abord à la culture auctoriale et scénaristique du secteur cinématographique, avant d'investiguer brièvement le domaine télévisuel.

1.1 Critique cinématographique et culture auctoriale13

Le cinéma est un art de collaboration. Il suffit de voir la longueur de la plupart des génériques de films, courts et longs, pour s'en convaincre. Or, au milieu du 20e siècle, de nombreux théoriciens et penseurs de la Nouvelle Vague affirment avec force que le réalisateur est l'unique auteur d'un film. Les rédacteurs phares des Cahiers du cinéma, une revue française désormais mythique, consolident leur politique des

auteurs autour de la figure du cinéaste et imposent ainsi une vision auteuriste du septième art. La part la plus noble en termes de création cinématographique est, dès lors, placée du seul côté de la réalisation. Dans un tel contexte, la valorisation esthétique du scénario en tant que forme textuelle et du scénariste (s'il n'est pas également réalisateur) en tant qu'auteur légitime peut s'avérer problématique. Le cinéma d'auteur - à titre de construction discursive et de valeur normative - a su trouver un ancrage significatif au Québec. À travers 1' analyse de textes parus dans différentes revues cinématographiques québécoises, depuis le tournant des années

13

Une partie des éléments en lien avec la question du rapport à l'auctorialité cinématographique et au texte scénaristique dans les périodiques spécialisés au Québec a d'abord été présentée lors de notre participation au colloque «Relire les revues québécoises: histoires, formes et pratiques», un évènement s'étant tenu à l'UQAM en octobre 2015. Dans la foulée de ce colloque, la publication d'un ouvrage collectif est prévue. Cf. Gabrielle Tremblay, «Du rapport à l'auctorialité cinématographique et à l'objet scénaristique dans les revues québécoises de cinéma» dans Élyse Guay et Rachel Nadon (dir.), Relire les revues québécoises (titre provisoire), Montréal, PUM, ouvrage à paraître en 2019.

(30)

1920 jusqu'à nos jours, nous désirons aborder, non pas sans résonnance avec

1 'histoire socioprofessionnelle et institutionnelle du cinéma au Québec, les modalités

de cet épanouissement conceptuel dans les pages de périodiques consultés. Notre étude se concentre sur le contenu des revues suivantes: Le Panorama (1919-1921), Séquences (1955-), Objectif (1960-1967), 24 images (1979-), La Revue de la Cinémathèque québécoise (1989-2009) et CiNéMAS (1990-). Nous avons consulté une partie de notre corpus en bibliothèque, en parcourant une à une les parutions originales des revues ciblées (Objectif, 24 images (1979-1984) et La revue de la Cinémathèque québécoise). Il a ensuite été possible de poursuivre notre projet de recherche en ligne et de sonder les revues disponibles en format numérique (Le Panorama, Séquences, 24 images (1985-) et CiNéMAS). Les six revues citées ont été retenues, d'une part, pour leur exemplarité respective dans le paysage éditorial des périodiques dédiés au cinéma et, d'autre part, pour la séquentialité de leur parution au fil des différentes époques de la cinématographie québécoise. Cet échantillon de ·revues constitue ainsi un corpus qui permet de mettre en lumière et de cerner différentes inclinations discursives en lien avec l'auctorialité cinématographique ayant pris forme durant près d'un siècle de critique (professionnelle et scientifique) de cinéma au Québec.

1.2 Le cinéma des premiers temps au Québec et la revue Le Panorama

Peu de temps après les développements initiaux du cinématographe en France et aux États-Unis, la technologie de l'image animée est importée au Québec dès 1896. La première salle de cinéma permanente au Canada, Le Ouimetoscope, ouvre ses portes à Montréal en 1906. L'établissement « connaît un succès rapide en présentant un

(31)

programme constitué de plusieurs (très) courts-métrages, entrecoupés d'entractes comiques ou d'intermèdes musicaux14 ». Dans les années qui suivent, les films s'allongent et se complexifient, tandis que les intertitres apparaissent sur les écrans. Les théâtres, lieux de projection des vues animées, se multiplient partout au Québec, mais de manière plus significative à Montréal15. Le cinéma muet a alors le vent dans les voiles. En 1913, le Bureau de censure des vues animées est fondé et inspecte sévèrement les films diffusés au Québec16. Les premières pratiques scénaristiques se déploient peu à peu au début du 20e siècle, d'abord en anglais, puis en français. Au tournant des années 1920, de plus en plus de créateurs « canadiens-français »

investissent le milieu cinématographique local, même si la majorité des films tournés et projetés au pays sont pilotés par des équipes de production étrangères. À cette même époque parait la première « revue générale » francophone dédiée aux vues animées, Le Panorama (1919-1921)17• Ce périodique montréalais qui se réclame (dès

son sous-titre) être «le seul magazine en langue française consacré aux Vues Animées », véhicule cependant du contenu traduit de 1' anglais et orienté

. principalement vers le cinéma états-uni en. Lorsque vient le temps de parler dans le détail des vues animées, la rédaction du Panorama fait mention de manière presque systématique de l'« auteur du scénario » (sans jamais pour autant parler de

14

Nicolas Bednarz, « Sortir à Montréal au début du 20e siècle », Archives de Montréal, 26 février 2015, en ligne, <http :/1 archivesdem on treal. com/20 15/02/26/ sortir -a-rn ontreal-au -debut -du-2 Oe-siec le/> consulté le 20 août 2017.

15

Cf. Jean-Marc Larme, « Singularités montréalaises : la crise des théâtres et le cinéma des premiers temps » dans André Gaudreault, Germain Lacasse et Isabelle Raynauld, Le cinéma en histoire. Insititutions cinématographiques, réception filmique et reconstitution historique, Montréal/Paris,

Éditions Nota bene/Méridiens Klincksieck, 1999, p. 179-191.

16

Le contrôle cinématographique au Québec remonte au 15 avril 1913, avec la création du Bureau de censure des vues animées de la province de Québec~ En 1967, le Bureau de censure devient le Bureau de surveillance du cinéma qui classifie les films plutôt que de les censurer, tâche qui incombe aujourd'hui à la Régie du cinéma.

17

Avant cette date, seule une autre publication spécialisée est connue. Il s'agit d'une «revue d'exploitant», soit le «programme-revue» du Ouimetoscope - d'abord La revue du Ouimetoscope

(1906-1909), puis Montréal qui chante (1910-1912) -,distribué à la clientèle de l'établissement. Cf.

Michel Coulombe et Marcel Jean,« Revues de cinéma», Dictionnaire du cinéma québécois, Montréal,

(32)

« scénariste») et du« directeur» (un calque de l'appellation anglaise« director »qui désigne celui que l'on nomme aujourd'hui «réalisateur»). Des paragraphes coiffés du titre « Scénario »relatent sommairement les grandes lignes de l'histoire des films dont il est alors question. Le ton du périodique est enthousiaste à 1' égard du cinéma. On accorde une grande importance aux « étoiles de 1' écran » du moment, comme en témoignent les pages couvertures des numéros, chacune consacrée à une célébrité différentes : Mary Miles Minter, Harold Lloyd, Larry Samon, Bébé Daniels, etc. À

l'intérieur des parutions, on souligne avec ferveur l'apport de ceux que l'on désigne comme «producteurs» - tels Thomas H. Ince et Cecil B. DeMille - au développement du cinéma en tant que forme artistique. Dans ce contexte rédactionnel, en phase avec la structure de production cinématographique qui prévaut à 1' époque aux États-Unis, l'auteur du scénario et le «directeur» se tiennent en retrait du producteur. Nous avons cependant relevé, ici et là, dans les pages du Panorama, de courts billets humoristiques traitant explicitement du texte scénaristique (figs. 1 et 2).

(33)

FIGURE 1 : « Les collaborateurs », caricature

(34)

FIGURE 2: «Les sept crimes du cinéma», caricature

Auteur inconnu, Le Panorama, vol. 1, n° 3, décembre 1919, p. 26.

Certes sur le mode de la dérision, ce type de billets témoigne néanmoins de la conception industrielle qui entoure le scénario au moment où la revue voit le jour et instruit le lectorat de la première moitié du 20e siècle quant à la nature concrètement collaborative (et compétitive) de la fabrication filmique - un aspect que mettra également en lumière quelques années plus tard le quotidien La Presse, en 1923, en lançant un « Concours de scénarios ». Pour Isabelle Raynauld, « ce concours nous permet de mesurer 1' engouement du public pour 1' écriture de scénarios originaux

(35)

"canadiens-français" mais signale surtout que la scénarisation est en train de se développer, qu'elle possède ses techniques propres18 ».

1.3 L'avènement du cinéma parlant et 1' exemple de la revue Séquences

Dans les années 1930, le cinéma parlant s'impose dans les salles au Québec. L'écriture de scénarios pour cette forme nouvelle d'expression artistique s'affirmera progressivement au cours des deux décennies qui suivront. En 1939, l'Office national du film (ONF) est fondé. Le bureau principal de l'organisme est d'abord situé à Ottawa, puis déménage à Montréal en 1956. Au milieu des années 1950, force est de constater qu'une industrie cinématographique québécoise s'est bel et bien développée et compte à son actif plusieurs courts et moyens métrages de fiction et documentaire, ainsi que quelques longs-métrages indépendants à succès19. De manière connexe à

l'émergence d'infrastructures de production cinématographique au Québec et au développement d'une culture cinéphile locale, une trentaine de revues québécoises de cinéma seront fondées avant 1960. La revue Séquences est du lot. Toujours en activité,

cette revue parait pour la première fois en octobre 1955. Séquences est d'abord un

«bulletin d'information pour les cinéclubs publié sous les auspices du Centre catholique diocésain de Montréae0 ». Au début des années 1970, la revue devient indépendante. Mais à sa première parution en 1955, elle se présente comme un

18

Isabelle Raynauld, «L'importance du scénario dans le cinéma québécois. Développements d'un pratique d'écriture, de 1896 à 1996 » dans André Gaudreault, Germain Lacasse et Isabelle Raynauld,

op. cit., p. 199. 19

Dont Le curé de village (1949)-réalisé par Paul Gury à partir d'un scénario de Robert Choquette -,

Un homme et son péché (1949) et Séraphin (1950)-tous deux mis en scène par Paul Gury, cette fois-ci, à partir des scénarios de Claude-Henri Grignon -, ainsi que La petite Aurore, l'enfant martyre

(1952)-réalisé par Jean-Yves Bigras et écrit par Émile Asselin.

20

(36)

« cahier de liaison, d'étude et de travail » et comme « la voix qui [encourage] et [soutient une] démarche unanime vers la connaissance enrichissante du septième art21 ». Le ton est ainsi ouvertement didactique. Le deuxième numéro, publié en décembre 1955, est en partie dédié au scénario, un objet qu'on donne à voir comme « la base du film » et dont on contextualise 1 'histoire en ces termes :

La venue de Méliès entraine au goût de 1' extraordinaire, du fantastique et fait déboucher le cinéma au plan de la création. Il faut ensuite attendre l'Américain Griffith, qui découvre avec le «gros-plan» toutes les puissances d'expression promises par cet art nouveau : il crée le film psychologique. À ce moment nait le vrai scénario : non plus une improvisation, selon les conditions techniques ou selon le talent créateur d'un homme, mais une action pensée en vue de ce médium qu'est le cinéma. Ces découvertes amèneront au monde Chaplin, Stroheim, René Clair, Eisenstein, Dreyer : les plus parfaits scénaristes-réalisateurs de 1' écran. Et ces maîtres du cinéma muet auront de nombreux disciples jusqu'à nos jours : en France, Renoir, Camé, Bresson; aux États-Unis,

Ford, Capra, Wyler, Welles; en Italie, De Sica, Rossellini, Castellani. Tous ces réalisateurs participeront à l'élaboration de leurs scénarios, de près ou de loin22.

En conclusion, on ajoute:

Depuis quelques années, il existe une tendance à briser les cadres traditionnels du scénario et à tenter cette révolution dans l'inspiration qui rajeunirait le cinéma. Ce n'est encore le fait que d'un petit nombre de créateurs, mais rien ne nous oblige à présumer que les choses en resteront là. [ ... ] Il nous semble permis d'espérer de grandes réussites futures du [septième] art23.

À la lumière de ces propos, on constate que le milieu cinéphile québécois est manifestement au courant de ce qui se passe sur la scène cinématographique internationale (et pas seulement en ce qui a trait aux États-Unis), non seulement en

21

Auteur inconnu,« Présentation», Séquences, no 1, 1955, p. 2. 22

Auteur inconnu,« Rôle et importance du scénario», Séquences, n° 2, 1955-1956, p. 6.

23

(37)

termes de productions de films, mais aussi de courants de pensée. Aussi, place-t-on dorénavant une importante légitimité artistique, non pas du côté du producteur, comme il était plus courant de le faire dans les années 1920, au temps du Panorama, mais du côté de la figure de ceux que 1' on nomnie ici « les plus parfaits scénaristes-réalisateurs » et ceux qui s'efforceraient de renouveler les pratiques cinématographiques en bousculant une «certaine tradition» scénaristique. Une nouvelle appréciation auctoriale s'affirme ainsi, au milieu des années 1950, dans le discours cinéphile et critique québécois. Peu à peu, il n'est plus seulement question des producteurs et des têtes d'affiches des films commerciaux du moment. On prête davantage d'attention médiatique au travail de cinéastes «révolutionnaires» et on consolide l'idée qu'un créateur cinématographique digne de ce nom impose nécessairement sa vision du monde à l'écran et signe d'un seul geste, le plus souvent, le scénario et la mise en scène d'un film donné.

1.4 Le cinéma d'auteur au Québec et la revue Objectif

Lorsqu'en octobre 1960, cinq ans après les débuts de Séquences, parait le premier numéro de la revue Objecti/4, les membres de la rédaction de la nouvelle publication accordent également une importance esthétique significative à l'auteur-réalisateur. Cependant, on s'y réfère dorénavant dans une perspective farouchement militante. En effet, d'entrée de jeu, une position claire ~st campée par les directeurs de la revue,

24

Jusqu'en 1965, au fil des parutions, la revue Objectifjuxtaposera à son nom, en couverture et dans le corps de chaque numéro, l'indicateur de l'année en cours. La revue portera ainsi «_plusieurs noms»:

Objectif60, Objectif61, Objectif62, Objectif63, Objectif64 et Objectif65. En 1966 et 1967, la revue n'affiche que le titre Objectif. Afin de ne pas alourdir le texte, nous n'utiliserons que l'appellation

(38)

Robert Daudelin et Michel Patenaude, qu1 cosignent le premier éditorial du périodique :

Plaçant notre foi en Rossellini, Hitchcock, Hawks ou Bresson, nous sommes les croyants ou tout au moins les néophytes dont le regard n'est que mouvements, rythme, plans ... [ ... ] Objectif se veut entièrement dédié au cinéma, au vrai cinéma, à celui à qui trop souvent 1' on voile la_ face. Objectif se veut honnête, libre des contingences qui ont toujours tué l'amour et qui ont couronné l'incompétence qui règne dans nos journaux.

Objectifse veut ouvert à tous ceux qui aiment l'écran et qui veulent le

dire bien haut25.

Inlassablement, Objectif, au fil de ses parutions, s'applique à prendre parti pour les films et les « auteurs de 1' écran » et contre toute forme d'oppression vécue à

l'intérieur du milieu cinéphile québécois- oppression attribuée systématiquement par les rédacteurs de la revue à une élite politique et culturelle jugée bienpensante. Dès les premiers numéros, on critique d'ailleurs vertement les foudres de la censure qui sévit toujours au Québec et on se porte à la défense des œuvres filmiques empêchées de projection, sinon celles dites« mutilées26 ».

L'avènement d'Objectif correspond à un point tournant quant à la conception auctoriale cinématographique au Québec. Si, dans son ensemble, à travers ses éditoriaux comme ses articles et ses critiques, ce périodique indépendant parait adhérer corps et âme à la politique des auteurs, il appert que l'intérêt grandissant pour le cinéma d'auteur au Québec ne se développe pas selon les mêmes paramètres qu'en France quelques années auparavant. Alors que certains penseurs de la Nouvelle Vague avaient à cœur de faire advenir la légitimité artistique de l'auteur-réalisateur et

25

Robert Daudelin et Michel Patenaude, « Éditorial », Objectif, vol. 1, n° 1, octobre 1960, p. 1.

26 Robert Daudelin, Michel Patenaude et Jean-Claude Pilon, dénonceront haut et fort, par exemple, et dans plus d'une livraison du périodique, l'« amputation» de près de 14 minutes du film Hiroshima mon amour d'Alain Renais (France, 1959) opérée par le Bureau de la censure, en 1960, avant d'autoriser sa projection sur les écrans québécois.

(39)

se devaient de marginaliser 1' apport des différents collaborateurs de tout processus de création filmique (dont le scénariste) pour que la signature du cinéaste s'impose telle une évidence, les membres de la revue Objectif s'évertuent plutôt à faire reconnaître

la pertinence, la légitimité, voire la légalité (face à la censure provinciale) du travail de certains créateurs et d'un cinéma dit« critique ».

Malgré certains mouvements du côté de la direction de la revue Objecti/7, la ligne éditoriale demeure fondamentalement militante. Cette continuité peut notamment être attribuée à 1' implication régulière de différents collaborateurs au sein du comité de rédaction au fil des sept années d'activité d'Objectif- les collaborateurs les plus . prolifiques étant Jean-Pierre Lefebvre, Robert Daudelin, Michel Patenaude, Jacques Leduc, Jean-Claude Pilon, Claude Nadon, Roland Brunet et Pierre Théberge. On manifeste, à chaque parution de la revue, de manière implicite et explicite, la nécessité de s'associer entre passionnés du cinéma et aspirants cinéastes pour expnmer une résistance face aux instances dominantes que sont d'une part, les entreprises du secteur privé jugées « aliénantes » et« bêtement commerciales », ainsi que les critiques des grands journaux le plus souvent qualifiées d'« incultes » et de «rétrogrades», et d'autre part, les censeurs, de même que les organismes et les institutions culturelles et étatiques.

27

Robert Daudelin et Michel Patenaude agissent comme directeurs du premier au quatorzième numéro, épaulés par Jacques Lamoureux comme secrétaire à la direction. Nous ne connaissons pas le détail de l'équipe éditorial des livraisons 15, 16 et 17. Pour les numéros 18 à 23-24, Jean-Claude Pilon prend le relais à la tête de la revue. Au numéro 19, Michel Patenaude succède à Jacques Lamoureux au poste de secrétaire à la direction. Patenaude occupera ce poste jusqu'au numéro 34. À partir du numéro 25 et jusqu'à la publication du numéro double 29-30, le poste de directeur est aboli. André Poirier et Robert Daudelin agissent alors respectivement à titre directeur-gérant et de rédacteur en chef. Pour les livraisons 31 à 34, le poste de directeur-gérant est supprimé, mais Daudelin agit toujours à titre de rédacteur en chef. Pour les numéros 35, 36 et 37, le comité de rédaction ne relève d'aucun directeur. Finalement, pour les deux derniers opuscules, Pierre Hébert, Claude Ménard et François Salvas sont désignés comme directeurs. Aucun secrétaire à la rédaction n'est alors nommé.

(40)

À l'automne 1963, dans les pages d'Objectif, André Poirier, membre de l'équipe de rédaction, formule le souhait que le gouvernement provincial investisse dans le secteur cinématographique :

Depuis ses débuts le cinéma verse dans les coffres gouvernementaux des millions de dollars chaque année. Ainsi le Québec perçoit annuellement en licences d'exploitation, en droits de censure et taxe d'amusement deux millions de dollars 28. Il est temps, s'ils croient à la nécessité de l'expression culturelle d'une nation, que nos gouvernants subventionnent le cinéma au même titre que les autres arts29•

Dans le numéro suivant, paru en janvier 1964, à la suite d'une rétrospective des films de Renoir présentée au cinéma 1 'Élysée - un évènement qui, pour 1' établissement d'art et d'essai, a battu tous les records d'assistance avec un total de 4 500 entrées en une seule semaine -, Rock Demers revendique la pertinence (et la faisabilité) du projet d'une cinémathèque nationale au pays:

Être confronté avec l'ensemble de l'œuvre d'un cinéaste serait-il donc une expérience aussi riche qu'être confronté avec l'ensemble de l'œuvre d'un peintre ou d'un sculpteur? [ ... ] Nous ne sommes pas sans ignorer que nos pouvoirs publics ne croient pas encore qu'il va de soi de considérer le cinéma comme un art [ ... ]. Se peut-il que nous ne soyons pas assez riches pour nous payer une cinémathèque? Les Péruviens, les Yougoslaves, les Cubains, les Grecs ont pourtant la leur30•

André Poirier et Rock Demers, deux collaborateurs ponctuels d'Objectif, ont ceci en commun de comparer le cinéma aux autres arts dans l'objectif d'obtenir une meilleure reconnaissance institutionnelle des pratiques cinématographiques. Ce genre d'élément discursif (également employé quelques années plus tôt par différents rédacteurs des Cahiers du cinéma en France) se retrouve assez fréquemment au fil

28

Soit l'équivalent d'un peu plus de 16 millions en dollars constants en août 2017.

29

André Poirier,« Montréal, ville ouverte», Objectif63, n° 23-24, octobre-novembre 1963, p. 7.

30

Rock Demers, «Une cinémathèque canadienne», Objectif63, n° 25, décembre 1963/janvier 1964, p. 34.

(41)

des numéros de la revue québécoise, non seulement quand vient le temps de formuler quelque adresse aux gouvernements, mais aussi pour affirmer 1' autonomie artistique de la figure du cinéaste, ainsi que le bien-fondé d'une critique au parti pris auteuriste du cinéma.

Concrètement, les questions en lien avec les pratiques scénaristiques sont peu abordées par les rédacteurs de la revue Objectif. Or, ce faible intérêt pour ce qui a trait à la figure du scénariste et au scénario ne parait pas reposer exclusivement sur le déploiement calculé d'une stratégie auctoriale donnée. En effet, dans un contexte social vécu comme répressif, les enjeux liés à l'auteurisme québécois sont autant d'ordre esthétique que politique. Objectif, dans les années 1960, veut tracer une nouvelle voie pour le présent et 1' avenir du cinéma au Québec. La défense de pratiques cinématographiques, de films et de cinéastes et, simultanément, 1' examen sévère de tout ce qui fait obstacle au« vrai »et au« grand» cinéma dans la province occupent le premier plan dans les pages du périodique revendicateur. Par conséquent (volontairement ou non), la ligne éditoriale d'Objectif relègue le texte scénaristique à une sorte « d'angle mort » discursif.

1.5 Revues de cinéma et champ cinématographique québécois

Dans le Dictionnaire du cinéma québécois, Michel Coulombe et Marcel Jean recensent près d'une centaine de revues spécialisées31• Depuis maintenant plus d'un siècle, chaque décennie

a:

ses revues, cependant que très peu d'entre elles franchissent le cap de leur« décennie d'origine». Néanmoins, remarquent à juste titre les auteurs du Dictionnaire, « [dans] 1' ensemble de la vie cinématographique au Québec, les

31

(42)

revues d'analyse et de critique filmiques occupent une place singulière32 ». Aussi, à

l'instar de nombreux rédacteurs des Cahiers du cinéma qui deviendront cinéastes,

professeurs ou encore responsables de comités et d'institutions culturelles variées,

plusieurs collaborateurs des revues québécoises de cinéma sondées ne se limiteront pas, dans leur carrière, au rôle de critique pour le compte d'un seul périodique33•

Ainsi, les revues qui composent notre corpus d'étude s'avèrent autant des agents

contributeurs que des produits du champ dans lequel elles s'inscrivent (tant sur le

mode de l'adhésion que de la contestation). Dès lors, certains collaborateurs des

publications analysées, selon leur parcours socioprofessionnel respectif, s'apparentent à des relais tantôt d'inclusions, tantôt d'exclusions en ce qui a trait à la légitimité d'objets et de pratiques cinématographiques- dont ce qui touche de près ou de loin au texte scénaristique.

Historiquement, pour Esther Pelletier,

[l']intérêt pour le scénario a coïncidé avec l'instauration du secteur de la

scénarisation dans les institutions de financement. Comme on le sait,

l'industrie du cinéma [ ... ], au Québec, est une industrie culturelle

financée à près de 80% par des fonds publics. Cette situation prévaut depuis l'implantation dans les années [1960] et [1970] des sociétés d'État canadienne et québécoise qui gèrent cette industrie. Au cours de leur

développement[,] se sont peu à peu établis d'abord le secteur de la

production puis ensuite, celui de la scénarisation. Au Québec, en 1984,

32

Ibid., p. 629. 33

Par exemple, Robert Daudelin et Michel Patenaude, membres fondateurs de la revue Objectif, seront tous deux activement impliqués dans la fondation de la Cinémathèque québécoise en 1971. Daudelin agira à titre de directeur général de la Cinémathèque de 1971 à 2002, puis se joindra à 1' équipe de rédaction de la revue 24 images (dont il sera question ultérieurement dans le présent chapitre). Jean-Pierre Lefebvre, collaborateur régulier d'Objectif, deviendra un cinéaste prolifique, en plus de signer de nombreux textes critiques dans les revues Séquences et 24 images. On peut également citer Marcel Jean, coauteur du Dictionnaire du cinéma québécois, aujourd'hui directeur général de la Cinémathèque québécoise et ayant également œuvré, durant sa carrière, à titre de producteur, de réalisateur, de scénariste, de critique pour le compte de la revue 24 images, de directeur de studio d'animation à l'ONF et d'enseignant à l'Université de Montréal et à l'Institut national de l'image et du son (INIS).

Figure

FIGURE 1 : « Les collaborateurs  »,  caricature
FIGURE 2: «Les sept crimes du cinéma», caricature
TABLEAU 1 :Occurrences des mots« scénario»,« scénariste»,« cinéaste» et  «auteur» dans les numéros disponibles en format numérique des revues Séquences,
TABLEAU 2: Synthèse des éléments recensés dans.les catalogues académiques de

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