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Censurez cet artiste que je ne saurais voir ! Quelle(s) protection(s) internationale(s) pour la liberté d'expression artistique ?

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Censurez cet artiste que je ne saurais voir ! Quelle(s) protection(s) internationale(s) pour la liberté d'expression artistique ?

Auteur : Lejaxhe, Jonathan Promoteur(s) : Thirion, Nicolas

Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie

Diplôme : Master en droit, à finalité spécialisée en droit privé (aspects belges, européens et internationaux) Année académique : 2015-2016

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1241

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FACULTE DE DROIT, DE SCIENCE POLITIQUE ET DE CRIMINOLOGIE

Département de Droit

« Censurez cet artiste que je ne saurais voir ! ». Quelle(s)

protection(s) internationale(s) pour la liberté d’expression

artistique ?

Jonathan LEJAXHE

Travail de fin d’études

Master en droit à finalité spécialisée en droit privé

(aspects belges, européens et internationaux)

Année académique 2015-2016

Recherche menée sous la direction de : Monsieur Nicolas THIRION

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Résumé du Travail de fin d’études

Le présent Travail de fin d’études s’intéresse à la liberté d’expression artistique et à la protection internationale qui lui est consacrée contre la censure.

Dans la première partie, nous nous attachons à définir ce que recouvre exactement la notion de censure. Celle-ci peut revêtir une définition « classique », « stricte » ou une définition « large » qui permet de mieux prendre en considération certains phénomènes, à laquelle nous ajoutons certains concepts de Lucien François afin de mieux préciser le phénomène de censure.

Ensuite, nous exposons certaines formes que la censure peut prendre : censure « juridique » (qui repose sur des mécanismes juridiques), censure « économique et financière » (lorsque l’économie et la finance servent d’armes aux censeurs), censure « invisible » (concept utilisé par Pascal Durand) et l’« autocensure » (lorsque l’individu choisit le silence suite à une pression extérieure).

Enfin, les dernières pages de la première partie sont consacrées à la notion de « liberté d’expression artistique ». Nous choisissons de nous référer également à une définition large, tant de l’artiste que des formes d’expressions artistiques, et ce afin de ne pas discriminer entre les arts et ceux qui les pratiquent.

Dans la seconde partie du Travail, nous attaquons le cœur du sujet en examinant plusieurs instruments internationaux. Tout d’abord, nous nous concentrons sur plusieurs instruments généraux en examinant le Pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, le Pacte relatif aux droits civils et politiques, la recommandation de 1980 relative à la condition de l’artiste et la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (ces deux derniers instruments proviennent de l’U.N.E.S.C.O.). Pour chacun des instruments, l’impact juridique sur la liberté d’expression artistique est examiné. Ensuite, notre analyse se concentre sur la Convention européenne des droits de l’homme et sur la jurisprudence de sa gardienne, la Cour européenne des droits de l’homme. Nous exposons ensuite, de manière synthétique, le régime juridique de la liberté d’expression « générale » et dans ce cadre, le régime général de la liberté d’expression artistique est ensuite examiné avant d’étudier deux régimes plus spécifiques : celui des œuvres contenant un message politique et le difficile équilibre entre cette liberté et la liberté de religion.

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Nos remerciements vont tout d’abord au professeur Nicolas Thirion pour l’organisation de ce séminaire « Culture et Droit », sa disponibilité et ses précieux conseils.

Nous remercions également messieurs Maxime de Brogniez et Antoine Vandenbulke, pour leurs remarques et leurs références.

Enfin, nous remercions nos condisciples séminaristes, Laura Alexandre et Brice Klich, pour les échanges de références et d’idées dans nos matières respectives.

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TABLE DES MATIERES

Introduction ... 4

I.- La censure de l’artiste : notions ... 6

A.- La censure, un terme polysémique ? ... 6

1) La censure sensu stricto ... 6

2) La censure sensu lato ... 7

3) La censure dans le cadre du présent travail ... 9

B.- La Censure et ses formes ... 10

1) La censure juridique ... 10

2) La censure économique et financière ... 13

3) La censure invisible ... 16

4) L’autocensure ... 17

C.- La liberté d’expression artistique ... 20

1) Quelle(s) liberté(s)… ... 20

2) …pour quelle(s) expression(s)… ... 22

3) … de quel(s) artiste(s) ? ... 23

II.- Protection internationale de la liberté d’expression artistique ... 25

A.- Instruments à portée internationale ... 25

1) Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ... 25

a) Cadre juridique général ... 25

b) Obligations imposées aux États par le Pacte ... 26

c) Protection accordée à la liberté d’expression artistique ... 28

2) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ... 30

a) Cadre juridique général ... 30

b) Obligations imposées aux Etat par le Pacte ... 31

c) Protection accordée à la liberté d’expression artistique ... 32

3) L’U.N.E.S.C.O. ... 34

a) Cadre juridique général ... 34

b) Recommandation de 1980 relative à la condition de l’artiste ... 35

c) Convention de 2005 sur la protection t la promotion de la diversité des expressions culturelles .... 36

B.- Un instrument à portée limitée au continent européenne : La Convention européenne des droits de l’homme ... 37

1) Cadre juridique général ... 38

2) La liberté d’expression ... 38

a) Principes ... 39

b) Limites ... 40

c) Equilibre avec les autres droits de la convention ... 43

3) La liberté d’expression artistique ... 46

a) Principes en matière de liberté d’expression artistique ... 46

b) L’expression artistique et les messages politiques ... 49

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Conclusion finale ... 65 Bibliographie ... 68

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I

NTRODUCTION

« J’ajoute que le livre n’est pas une feuille légère qui se perd et s’oublie comme le journal. Quand le livre apparaît, c’est pour rester ; il demeure dans nos bibliothèques, à nos foyers, comme une sorte de tableau. S’il a ces peintures obscènes qui corrompent ceux qui ne savent encore rien de la vie, s’il excite les curiosités mauvaises et s’il est aussi le piment des sens blasés, il devient un danger toujours permanent, bien autrement que cette feuille quotidienne qu’on parcourt le matin, qu’on oublie le soir, et qu’on collectionne rarement »1.

Cet extrait du réquisitoire du procureur Ernest Pinard est prononcé durant le procès dirigé contre Charles Baudelaire, Auguste Poulet-Malassis et Eugène de Broise, tous trois poursuivis pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs suite à la publication de l’œuvre majeure du poète, Les Fleurs du mal. Le tribunal, séduit ou convaincu (ou les deux) par les propos du procureur, ordonne la saisie de l’édition du recueil, ainsi que la suppression des passages délictueux (soit six poèmes) et condamne les prévenus à une amende2. C’est un drame pour C. Baudelaire qui, malgré une défense basée sur l’indépendance de l’artiste, se voit obligé de déstructurer complètement son recueil, structure qui était pourtant un élément essentiel des Fleurs du mal3.

Certes, à l’époque, la France connaît la période autoritaire du Second Empire4, durant laquelle la liberté d’expression prend une définition toute relative. Si « la liberté de la presse est entravée par un ensemble de mesures préventives (autorisation préalable, timbre, cautionnement, obligation d’insérer les communiqués du gouvernement) et de mesures répressives »5, il n’est pas rare que la liberté d’expression des artistes soit également sacrifiée sur l’autel du pouvoir autoritaire.

Depuis, bien des livres ont été publiés, bien des tableaux ont été exposés et bien des artistes ont exercé cette liberté. Toutefois, si, aujourd’hui (n’en déplaise au procureur E. Pinard), Les

Fleurs du Mal orne toujours nos bibliothèques, la liberté artistique subit toujours des

restrictions.

Le présent travail s’intéresse à la protection de cette branche de la liberté d’expression qu’est la liberté d’expression artistique, et tout particulièrement aux différents moyens juridiques qui s’offrent aujourd’hui à l’artiste afin de garantir cette protection, spécialement d’un point de vue international.

1 G. LÈBRE (dir.), Revue des grands procès contemporains, tome III, Paris, A. Chevalier Marescq (éd.), 1885, pp. 372.

2 C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Paris, Le livre de poche, 1999, pp. 9-10. 3 Ibid.

4 M. DESLANDRES, Histoire constitutionelle de la France de 1789 à 1870, tome II, Paris, Armand Colin, 1932, pp. 463-471.

5 G. ANTONETTI, Histoire contemporaine politique et sociale, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 274.; Pour plus de détails sur la liberté de la presse sous le Second Empire voy. P. ALBERT, « Remarques sur l’évolution du droit de la presse sous le second Empire », in Liberté, justice, tolérance. Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 1-12.

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Nous proposons de tout d’abord de revenir sur la censure ainsi que sur la liberté d’expression

artistique de manière générale afin de mieux cerner ce que ces notions recouvrent (I) pour

ensuite passer à une analyse des instruments internationaux qui confèrent un certain degré de protection à la liberté d’expression artistique (II) pour, enfin, effectuer une synthèse critique du tableau qui aura été dépeint au fil de ces quelques pages.

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I.- L

A CENSURE DE L

ARTISTE

:

NOTIONS

Il s’agit, dans ce premier titre, de définir les contours des notions qui vont être utilisées dans le cadre du présent travail en vue de faire le point de la situation verbale. Nous allons donc d’abord analyser la notion de censure et en donner une définition qui sera retenue pour notre propos (A). Ensuite, à partir de la définition posée, nous distinguerons plusieurs masques que la censure peut revêtir pour agir (B) contre l’artiste qui use de sa liberté d’expression artistique, notion dont les contours seront également délimités (C).

A.- L

A CENSURE

,

UN TERME POLYSEMIQUE

?

1) La censure sensu stricto

Selon le Dictionnaire des droits de l’homme, « au sens le plus précis, la censure désigne un contrôle administratif et politique préalable comportant obligation de soumettre à autorisation la création et le contenu de toute publication »6. De même, selon The new Oxford companion

to Law, « censorship commonly refers to the determination by a public official that certain material is unsuitable for publication or performance on grounds such as morality, religion or national security »7. Plusieurs observations doivent être opérées.

Premièrement, s’en tenir à cette définition « stricte » de la censure, serait exclure tout système de contrôle a posteriori. Autrement dit, dès que l’individu est libre de publier son œuvre sans contrôle préalable de l’autorité, il n’y a pas de régime de censure, quand bien même il serait contraint par la suite, par cette même autorité, de supprimer tout ou partie de sa création. Dès lors, les sévices infligés aux Fleurs du Mal de Baudelaire ou à Madame Bovary de Gustave Flaubert ne pourraient s’analyser comme une censure.

Deuxièmement, on parle de contrôle administratif et politique, par opposition au contrôle des cours et tribunaux, exercé par un organe habilité par l’autorité à effectuer la censure. Par exemple, en France, à partir de 1275, l’autorisation de publication était délivrée par la faculté de théologie de l’Université de Paris qui examinait préalablement le contenu des écrits destinés à être divulgué depuis une ordonnance de Philippe III le Hardi8. Toutefois,

6 J. ANDRIANTSIMBAZOVIN, et al., « Censure », Dictionnaire des droits de l’homme, Presses Universitaires de France, Paris, 2008, p.118.

7 P. CANE, J. CONAGHAN, « Censorship », The new Oxford companion to Law, New-York, Oxford University Press, 2008, p. 108. Traduction libre : « La censure se réfère communément à la détermination par un agent public que certaines oeuvres ne conviennent pas pour la publication ou la performance sur la base de motifs tels que la morale, la religion ou la sécurité nationale »

8 Bibliothèque nationale de France, Livre et censure Bibliographie, 2007 (http://www.bnf.fr/documents/biblio_censure.pdf , consulté le 22 Février 2016).

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Jacques Pauvert estime que ce contrôle avait essentiellement pour but d’éliminer les fautes commises par ces auteurs9.

Enfin, troisièmement, la censure peut être fondée sur plusieurs critères déterminés par l’autorité qui habilite l’organe de censure et interprétés par ce dernier. La morale publique, les bonnes mœurs, la religion, … Tels sont des exemples de critères sur lesquels les censeurs se sont fondés (et se fondent toujours parfois) pour justifier le refus de publication d’un article, d’un livre ou encore d’un tableau.

Il serait illusoire de croire que des critères tels que la religion ou la morale seraient démodés dans nos démocraties occidentales actuelles. A titre d’exemple, Marc Angenot souligne que, aux Etats-Unis, « un rapport d’un groupe de défense des droits, People for the American Way, fait état de 347 tentatives par des parents ou coalitions de parents – derrière lesquels il y a des machines ultra-conservatrices à l’échelle nationale comme Citizen for Excellence in

Education – de censurer des livres scolaires (et ce, dans quarante-quatre états) au cours de

l’année 1992-93. De la Belle au bois dormant jusqu’à Catcher in the Rye[10], il y a des titres qui semblent devenus des cibles quasi automatiques des activistes chrétiens (40 pourcents des cas de démarches pro-censure) ou des activistes féministes »11. Morale et religion, concepts dociles qui acceptent de revêtir le sens qu’on souhaite leur donner, servent donc toujours bien les vœux de ceux qui désirent le silence de certains.

En synthèse, nous pouvons retenir comme définition de la censure sensu stricto, celle de Nicolas Thirion « dans le discours tenu par l’expert du droit, sera donc appelé « censure », le régime dans lequel une autorité, désignée selon les modalités prévues par le système juridique dont elle est l’organe, est spécifiquement habilitée à contrôler le contenu de tout support matériel (écrit, œuvres audiovisuelles, représentations picturales, etc.) d’une idée ou d’une opinion, afin de déterminer si ce support peut, ou non, être mis en circulation au regard d’un certain nombre de critères préalablement déterminés ou non »12.

2) La censure sensu lato

Si l’on s’en tenait à la définition stricte de la censure, on en déduirait qu’elle n’existe pas, ou presque, dans nos régimes démocratiques fondés sur la liberté en tant que principe. Toutefois « il convient […] de bien garder en mémoire ce que parler veut dire dans un système juridique dominé par le principe de liberté d’expression : non pas licence de tout dire dans une totale impunité, mais bien droit de le dire, au risque de s’exposer, dans certaines circonstances, à des poursuites ultérieures, de nature à déboucher sur des sanctions civiles (dommages et intérêts

9 J.-J. PAUVERT, Nouveaux et moins nouveaux visages de la censure, Paris, Les belles lettres, 1994, p. 19. 10 Connu sous la dénommination « L’attrape-coeur » dans nos contrées francophones

11 M. ANGENOT, « L’esprit de censure : nouvelles censures et nouveaux débats sur la liberté d’expression », Discours social, vol. 7, n°1-2, 1995, p. 18.

12 N. THIRION, « Ceci n’est pas une censure. Sur les rapports entre liberté d’expression artistique et liberté de religion », Matière & Esprit (la), vol. 25-27, 2013, p. 43.

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dus à la ou aux victimes d’un énoncé jugé irrégulier) ou pénales (amendes ou, plus rarement, peine d’emprisonnement) »13.

En effet, les régimes démocratiques sont caractérisés par un système de contrôle a posteriori des discours. D’emblée, la première condition d’existence de la censure que nous avons relevée précédemment (celle d’un contrôle a priori) ne serait pas rencontrée, il en résulterait que la censure n’existe, chez nous, tout simplement pas.

Toutefois, comme le relève M. Angenot, « il suffit de définir la censure, comme le fait d’ailleurs trop restrictivement le Grand Robert, comme un examen préalable exigé par les

autorités pour que les lois a posteriori […], les règlements, interdictions d’exposition et de

publicité, intimidations par menace de poursuite, coupures de budgets et de subventions à des artistes déviants et autres moyens enfin par lesquels textes et images, informations et imaginations ne circulent pas ou sont passibles de peines diverses, ne puissent être qualifiés de censure »14.

Dès lors que la censure a pour finalité de limiter la circulation des discours dans l’espace public, en quoi des mécanismes de contrôle a posteriori, qu’ils soient exercés par une autorité publique ou par un particulier, ne seraient-ils pas également considérés comme de la censure ? C’est qu’une définition restrictive occulte certains phénomènes qui sont pourtant tout aussi capables de limiter la liberté d’expression.

M. Angenot propose d’adopter la définition que J.-J. Pauvert donne de la censure : « il y a censure lorsqu’un pouvoir quelconque empêche par un moyen quelconque un ou plusieurs individus de s’exprimer librement par le procédé qu’ils ont choisi »15. Cette définition, qui élargit considérablement la notion de censure, doit faire l’objet de deux observations.

Premièrement, J.-J. Pauvert parle d’un pouvoir quelconque. Or, dans la conception habituelle que nous avons vue plus haut, on a classiquement tendance à se référer à l’autorité publique, c’est à dire, d’une façon ou d’un autre, à l’état ou l’une de ses ramifications. Le terme employé renvoie au contraire à une notion plus large qui laisse penser que le pouvoir de censurer ne serait pas uniquement un privilège purement étatique et qu’un individu (privé) serait tout aussi capable de l’exercer.

Deuxièmement, la définition parle de moyen quelconque ce qui, comme le souligne M. Angenot, « englobe tout ce qui relève de l’intimidation, de la pression et du harcèlement, - menace de poursuite, chantage à l’emploi, ennuis directs et sérieux pour la carrière (celle du journaliste, de l’enseignant, de l’éditeur, de l’écrivain,…) »16. Si c’est donc cette définition qui peut être retenue, une action d’un individu peut valablement être destinée à censurer un sujet.

On pourrait imaginer que si un particulier procède au mécénat d’une salle de spectacle de manière si philanthropique qu’il se révèle que celle-ci n’est capable de survivre que grâce à son financement, et qu’un artiste qui déplait tout particulièrement à cette personne souhaite

13 Ibid., p. 44

14 M. ANGENOT, « L’Esprit de censure : nouvelles censures et nouveaux débats sur la liberté d’expression », Discours social, op. cit., pp. 13-14.

15 J.-J. PAUVERT, Nouveaux et moins nouveaux visages de la censure, op.cit, p. 22. 16 Ibid., p. 14.

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s’y produire, il suffit au mécène de menacer de couper tout financement pour que la salle se voit obligée de céder, bon gré mal gré, aux exigences de ce qui constitue, finalement, sa source majeure de revenu. Derrière la liberté de choix de tout mécène de financer, ou non, l’institution culturelle de son choix se dissimulerait finalement une capacité de censure dont il faut avoir l’existence à l’esprit.

De manière plus basique, ne suffit-il pas que quelqu’un dispose d’une capacité de pression suffisante sur un individu, pour pouvoir l’empêcher de s’exprimer comme il l’a choisi, pour parler de censure ? C’est en tout ce que nous permet de penser la définition de PAUVERT, tant

son sens est large.

3) La censure dans le cadre du présent travail

La définition sensu stricto de la censure renvoie, selon nous, à une notion trop ancienne, qui occulte de manière permanente certains phénomènes comparables à la censure, à tout le moins quant à leurs effets, et qui ne convient plus à la société « moderne ». D’autant plus que « cet usage courant est tellement enraciné qu’il serait vain de lutter contre »17. C’est la raison pour laquelle nous nous référerons de préférence à la définition de J.-J. Pauvert lorsque nous parlerons de censure.

De plus, ce serait une erreur de croire que l’histoire du terme « censure », plaide en faveur d’une définition stricte. Dans la société romaine, le censeur exerçait son autorité contre un citoyen romain lorsque celui-ci avait commis des faits répréhensibles, donc a posteriori. Par la suite, la censure sera reprise par l’Église catholique qui distinguera la censure préalable et l’obligation de retrait d’une publication qui intervient a posteriori18.

Finalement, selon J.-J. Pauvert, « la censure préalable n’aura sévi en Occident que durant une période relativement courte, car c’est seulement en 1501 qu’un pape promulgua une bulle qui défendait d’imprimer aucun ouvrage sans un visa ecclésiastique contrôlé par lui ». Le pouvoir royal, de son côté, exercera également la censure, notamment Louis XIII à partir de 1629 (institution qui perdurera jusqu’à l’année fatidique de 1789)19.

Toutefois, il nous semble qu’une précision doit être apportée afin, de compléter cette définition. En effet, si la définition parle d’un pouvoir quelconque qui utilise des moyens

quelconques, il faut encore savoir à partir de quand on peut être en présence de ces éléments.

Autrement dit, à partir de quand un sujet dispose-t-il du pouvoir et des moyens suffisants pour exercer de manière efficace la censure sur un autre sujet ?

Selon nous, il faut, a minima, « une apparence, produite par un humain, du vœu d’obtenir une conduite humaine, apparence de vœu munie d’un dispositif tel que la résistance d’un des destinataires déclenche une pression en sens contraire par menace de sanction »20. A partir du

17 Ibid., p. 15. 18 Ibid., pp. 15-18. 19 Ibid., p. 20.

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moment où un sujet de droit serait capable d’émettre ce que Lucien François dénomme un

jurème21 (dans le but d’exercer la censure pour le propos qui nous retient ici), alors on entrerait dans la définition de J.-J. Pauvert. Il nous semble que le pouvoir quelconque nécessaire à un individu pour exercer la censure correspond à une menace de sanction en cas de non-conformité.

Quant au moyen quelconque, il semble finalement qu’il n’importe que peu dans la mesure où il permette d’efficacement et de réellement mettre en œuvre la sanction (à tout le moins qu’il en soit capable en apparence).

En conclusion, nous choisissons de nous référer à la définition de J.-J. Pauvert dans le cadre du présent travail, tout en gardant à l’esprit que, pour que la censure soit efficace, le pouvoir qui tente de l’exercer doit être capable d’émettre un jurème de manière efficace.

B.- L

A

C

ENSURE ET SES FORMES

Partant de la définition large que nous avons exposée ci-dessus, les masques dont la censure dispose aujourd’hui pour se fondre dans l’espace public sont divers et variés. Nous allons nous attarder maintenant sur certains d’entre eux, en examinant, respectivement, la censure juridique (1), la censure économique et financière (2), la censure « invisible » (3) et l’autocensure (4).

1) La censure juridique

La censure est dite juridique lorsqu’elle est fondée sur des mécanismes juridiques, que ceux-ci agissent a priori ou a posteriori (à condition, il est important de le souligner, que l’on souscrive à la définition large que nous avons présentée ci-dessus ; comme nous l’avons vu, la censure juridique pure, quant à elle, renvoie à un système de contrôle a priori).

Ces normes peuvent être pénales ou civiles et prendre des objectifs divers bien qu’elles ne servent aujourd’hui plus nécessairement un pouvoir souverain ou une idéologie dominante « mais en vue, par exemple, de protéger la dignité ou l’honorabilité des personnes ou bien encore de garantir le respect dû à telle ou telle catégorie de personnes, de fonctions ou de discours »22.

Une illustration peut être trouvée en droit belge dans une affaire concernant la Radio-Télévision belge de la Communauté française (ci-après RTBF) et la diffusion d’une de ses émissions intitulée Au nom de la loi23. Les faits peuvent se résumer comme suit : un docteur en médecine, spécialiste en neurochirurgie, voit paraître à partir du 28 décembre 2000 des

21 Ibid.

22 N. THIRION, « Ceci n’est pas une censure. Sur les rapports entre liberté d’expression artistique et liberté de religion », op.cit., p. 45.

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articles de presse mettant en cause sa responsabilité professionnelle sur la base de plaintes de plusieurs de ses patients. La RTBF décide alors de consacrer l’une de ses émissions aux problèmes médicaux et au manque d’informations dans la relation médecin-patient, tout en illustrant le problème avec les affaires mettant en cause le médecin. Ce dernier agit en référé devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles pour faire interdire la diffusion de l’émission litigieuse (sous astreinte de 5.000.000 francs belges par diffusion) et il demande la production de la cassette de l’émission pour que le tribunal puisse se prononcer sur l’atteinte exacte que celle-ci porte à son honneur et sa réputation.

Le premier juge fera en partie droit à la demande du docteur, à charge pour lui de poursuivre la procédure sur le fond dans un délai d’un mois. La RTBF fait appel de cette décision et demande d’une part que le jugement soit réformé et, d’autre part le rejet des demandes du médecin. La cour d’appel confirmera, en soi, la validité de l’intervention du juge des référés pour prendre une mesure préventive d’interdiction de diffusion. La cour reçoit toutefois l’appel car il n’est pas établi que les propos qui sont tenus dans l’émission portent atteinte à l’honneur et la réputation du médecin et qu’il faut s’en assurer en visionnant l’émission « afin de vérifier in concreto si la crainte du docteur de subir un préjudice grave et irréparable est fondée, étant entendu que, dans l’attente d’une décision sur le bien-fondé de l’appel, l’ordonnance attaquée produit tous ses effets »24, autrement dit, l’interdiction de diffuser l’émission demeure.

Dans un arrêt du 22 mars 2002 après avoir visionné l’émission, la cour reconnaît qu’ « il apparaît prima facie évident que la diffusion de cette émission est de nature à porter gravement atteinte à l'honneur et à la réputation du Dr X. de même qu'à lui causer un préjudice matériel important »25 La cour souligne en plus qu’un faible nombre d’actions ont réellement été intentées contre le médecin, que ce soit au civil ou au pénal. De plus, « il y a lieu en outre de constater […] que l'émission pèche par manque d'objectivité dans la mesure où les interventions du journaliste tendent systématiquement à souligner ou à provoquer les critiques à l'encontre du Dr X. »26. Motifs pour lesquels la cour reçoit l’appel mais le déclare non fondé. La RTBF se pourvoira en cassation, pourvoi qui sera toutefois rejeté27.

Cet exemple montre qu’un système de censure a priori existe encore et ne viole pas les normes garantissant la liberté d’expression, qui entre en équilibre avec les règles protégeant la vie privée et l’honneur (article 22 de la Constitution belge et article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme), règles sur lesquelles se fonde cette censure juridique. De plus, elle souscrit à la fois à la protection d’intérêt privé (en protégeant le médecin) mais aussi, plus indirectement, à des intérêts publics dans la mesure où l’erreur médicale est une question de société sérieuse et qu’il ne convient pas que la vie privée et l’honneur du médecin soient mis à mal par la diffusion d’informations incorrectes et manquant d’objectivité au public.

Toujours en matière de censure a priori, nous pouvons aussi citer l’affaire Dieudonné. L’humoriste, dont les propos ont donné lieu à nombreuses controverses, notamment car

24 Ibid.

25 Bruxelles, 22 mars 2002. 26 Ibid.

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certains y ont vu une nature antisémite, devait donner un spectacle le 25 mars 2009 dans une salle de Saint-Josse-ten-Noode. Informé de la prestation qui devait avoir lieu dans sa commune, le collège des bourgmestre et échevins a décidé de prendre un arrêté le 17 mars 2009 par lequel il ordonne l’interdiction de la représentation prévue. Toutefois, une requête en extrême urgence est alors introduite devant le Conseil d’Etat qui, après avoir reconnu le caractère urgent de la demande, décide de suspendre l’arrêté pris par le conseil des bourgmestre et échevins28.

Le Conseil d’Etat conclut en effet « qu’il n’est pas contesté que l’article 130 de la Nouvelle Loi communale n’autorise le collège des bourgmestre et échevins à interdire un spectacle que lorsque des circonstances extraordinaires l’exigent, l’interdiction devant être, dans ce cas, le seul moyen d’assurer le maintien de la tranquillité́ publique; qu’une telle interdiction, dérogeant à la règle générale de la liberté́ d’opinion et d’expression, doit être d’application restrictive »29 et que le collège ne justifie pas sa décision sur des circonstances suffisantes. Si la censure est évitée dans l’affaire, il n’en demeure pas moins qu’elle est possible en vertu d’un arrêté du conseil des bourgmestre et échevins qui est donc tout à fait capable d’exercer une censure a priori30.

Dans l’application des systèmes de censure juridique a posteriori, nous pouvons citer la censure subie par le livre Suicide, mode d’emploi après sa parution. Cet ouvrage de Claude Guilonet Yves le Bonniec est paru en 1982 et s’intéresse au phénomène du suicide (histoire, actualité,…) mais consacre également son chapitre 10 (ainsi que son annexe 2) aux différentes techniques qui permettent, à celles ou ceux qui seraient tentés de le pratiquer, de parvenir à leurs fins31. Accusé d’inciter au suicide, le livre sera finalement interdit en France et sera l’une des sources d’inspiration du législateur français pour pénaliser l’incitation au suicide32. Une autre illustration française concerne une carte postale sur laquelle figurait la mention « L.S.D., J’AIME » et, au verso, une illustration de seringues servait à séparer les espaces qui devaient servir à indiquer l’adresse et le texte33.Les autorités ne voyant pas d’un très bon œil une telle incitation à la consommation de stupéfiants, le PDG de la société responsable de l’impression de ces cartes postales est invité à comparaître devant un tribunal correctionnel en vertu de la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie, et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses (plus

28 C.E., 23 mars 2009, M’BALA M’BALA Dieudonné, n°191.742. 29 Ibid.

30 Remarquons que, plus récemment, l’humoriste a été condamné par le tribunal correctionnel de Liège d’incitation à la haine envers d’autres communautés. La sanction intervenant après la prestation de l’artiste, on parlera plutot d’une forme de censure a posteriori dans la mesure où elle l’incite à ne plus reproduire la prestation ayant mené à sa condamnation. On souligne également que l’artiste se voit obligé de publié le jugement, à ses frais, dans deux quotidiens belges ce qui est susceptible de renforcer un

phénomène que nous examinerons par après : l’autocensure (voy.

http://www.lesoir.be/1052908/article/actualite/belgique/2015-11-25/dieudonne-condamne-2-mois-prison-ferme-par-belgique-pour-antisemitisme , consulté le 19 avril 2016).

31 C. GUILLON, Y. LE BONNIEC, Suicide, mode d’emploi : histoire, technique, actualité, Paris, Alain Moreau, 1982, pp. 209 et s.

32 Compte rendu intégral, C.R, A. N., sess. ord., 1987-1988, séance du 14 décembre 1987, p. 7310.

33 C. DELAVAUX, M.-H. VIGNES, Les procès de l’art. Petites histoires de l’art et grandes affaires de droit, Paris, Palette…, 2013, pp. 289-290.

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précisément, les articles L. 627 et L.628 qui punissaient la provocation à la consommation). Condamné en première instance et en appel, le PDG verra son pourvoi rejeté par la Cour de Cassation34.

Les quelques exemples présentés (qui concernent tant des cas de censure a priori que des cas de censure a posteriori) nous permettent de mieux cerner la notion de censure juridique telle que nous l’entendons. D’autres exemples seront également présentés par la suite, lorsque nous aborderons la protection internationale accordée à la liberté d’expression artistique par la Convention européenne des droits de l’homme.

2) La censure économique et financière

La censure peut aussi s’exercer sur le plan économique ou financier. L’économie et la finance se transforment alors en véritables armes qui peuvent servir tant à l’autorité publique qu’à des particuliers.

Comme le souligne Farida Shaheed dans son rapport spécial dans le domaine des droits culturels, « de nombreux États ont adoptés différentes manières de soutenir les arts, notamment par des financements accordés à des institutions culturelles ou à des projets artistiques, des bourses, des prix et un soutien à la formation et aux échanges internationaux »35. Toutefois, ce sont aussi les États qui fixent les conditions d’accès à ces aides publiques et qui délèguent l’examen des demandes d’accès à des organes dont ils fixent le mandat et le règlement intérieur. Il faudrait, idéalement, veiller à ce que le système d’octroi et d’examen des conditions d’accès soit neutre.

En Belgique, par exemple, les mécanismes de soutien financier sont, pour l’essentiel, gérés par les communautés et, plus précisément, « ce sont des instances d’avis qui orientent l’octroi des subventions au secteur artistique. Ces instances réunissent des experts du secteur et statuent sur les demandes »36, ces instances sont par ailleurs pourvues de membres proches du monde politique (membres de cabinets ministériels, …). Par ailleurs, on pourrait également s’interroger sur la neutralité des experts nommés à l’intérieur de ces organes, ne sont-ils pas eux-mêmes institués en véritables censeurs sur la base du savoir dont ils sont présumés disposer ?

En droit belge, le Pacte culturel permet à la fois d’assurer la liberté artistique, mais aussi le droit à l’égalité dans les subventions et, plus précisément, la conciliation entre la liberté et l’égalité et l’intervention de l’État se réalise via le principe général du pluralisme37.

34 Cass. fr., 9 janvier 1974.

35 Rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, F. SHAHEED, Le droit à la liberté d’expression artistique et de création, conseil des droits de l’homme, A/HRC/23/34, p. 17.

36 C. ROMAINVILLE, Consultation sur le droit à la liberté artistique. Réponses au questionnaire sur le droit à la

liberté artistique, p. 10 (disponible sur

http://www.ohchr.org/EN/Issues/CulturalRights/Pages/ResponsesArtisticFreedom.aspx consulté le 6 mars 2016).

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Revenons brièvement sur l’histoire de ce principe en matière culturelle. Au début du 20e siècle « un principe de neutralité de chaque organisation soutenue par les pouvoirs publics est théoriquement établi mais, dans la pratique, c’est la liberté subsidiée qui constitue la règle permettant de concilier les missions culturelles de l’État avec la liberté culturelle »38. Sous ce principe, « c’est au niveau de l’ensemble des initiatives privées subventionnées […] qu’il faut situer la neutralité, et c’est sous la forme d’un équilibre global des tendances qu’elles concourent à représenter et qui sont offertes au choix du public qu’il faut comprendre la notion »39. Après guerre, c’est un principe de subsidiarité qui a traduit le principe du pluralisme sur le plan politique40. L’État dépasse alors son rôle de simple assistance pour, premièrement, identifier les besoins et les aspirations de la population au moyen de recherches ; deuxièmement, promouvoir les initiatives menées ; troisièmement, créer des services publics culturels forts, accessibles à tous et organisés par les pouvoirs publics41. Enfin, par la suite, le pluralisme idéologique et philosophique a été intégré dans le droit positif et reconnu comme un principe général de droit, garanti dans le Pacte culturel via un principe de non-discrimination et un principe de participation.

En synthèse, « le rôle du pluralisme culturel […] est de concilier l’intervention de l’État dans la culture avec les principes de liberté culturelle et d’égalité entre tous (à travers les principes de non-discrimination, de participation et de subsidiarité) »42.

Quoiqu’il en soit, F.Shaheed conclut que « les coupes budgétaires et les critiques sévères à l’égard d’institutions culturelles ou d’œuvres d’art données peuvent servir de couverture à la censure. […] Lorsque les pouvoirs publics menacent de ne plus financer certaines institutions culturelles tout en donnant la préférence à d’autres dont les opinions politiques sont plus proches des leurs, ils commettent une violation de la liberté d’expression »43.

Cette censure économique et financière peut aussi revêtir un visage plus privé que ce soit via le mécénat d’entreprise ou via la loi du marché. F. Shaheed relève deux préoccupations particulières : d’une part « le regroupement des sociétés dans toutes les branches de la production culturelle, ce qui se traduit fréquemment par des situations de monopole de fait » et, d’autre part, « la constitution de véritables empires par la fusion des avoirs dans les secteurs des médias »44. Des sociétés et des éditeurs peuvent avoir une mainmise suffisante sur une part du marché pour refuser la mise en circulation ou la publication d’une œuvre. Le Danemark relève ainsi un cas où un éditeur numérique privé (Apple, via son Ibookstore) a refusé la publication d’un livre électronique sur les hippies au Danemark durant les années

38 Ibid., p. 11

39 H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, vol.I, Publications des Facultés universitaire Saint-Louis, Bruxelles, Bruylant, 1996., p. 215.

40 C. ROMAINVILLE, Consultation sur le droit à la liberté artistique. Réponses au questionnaire sur le droit à la liberté artistique, op.cit. p. 11.

41 Ibid., pp. 11-12. 42 Ibid., p. 13.

43 Rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, F. SHAHEED, Le droit à la liberté d’expression artistique et de création, conseil des droits de l’homme, A/HRC/23/34, pp. 17-18.

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1970 car il contenait plusieurs photographies de personnes dénudées45. Le rapport dans le domaine des droits culturels souligne encore que « la forte réduction du nombre de librairies et de magasins de musique indépendants face aux chaînes et aux grands magasins dont les budgets de publicité et les forces de vente sont énormes et qui disposent de réseaux de contacts avec la presse extrêmement efficaces, est préoccupante. Ce sont souvent les stratégies financières et commerciales qui président à la décision de publier un livre ou non »46.

La pratique qui est le plus au goût du jour actuellement consiste en un cofinancement par l’état et par les entreprises privées des institutions culturelles. C’est toutefois l’État qui met au point le cadre juridique dans lequel le mécénat privé et d’entreprise sont effectués et peut ainsi le favoriser ou non. En Belgique, par exemple, « le Tax Shelter consiste en une exonération fiscale pour les sociétés souhaitant investir une partie de leurs bénéfices imposables dans le financement d’une œuvre agréée par les Communautés compétences (française, flamande et germanophone). Cet avantage a pour objectif de stimuler les investissements privés dans des secteurs a priori non ou peu rentables »47. Si le régime est limité aux seules productions audiovisuelles, un récent avant-projet de loi souhaite les étendre aux arts de la scène48. Toutefois, « malgré la neutralité économique du choix des projets financés, il est cependant probable que le Tax shelter profitera essentiellement aux entreprises et institutions culturelles les plus importantes, lesquelles sont en mesure de produire des projets d’envergure occasionnant de nombreuses dépenses » même s’il « constitue malgré tout un effort financier de la part de l’Etat fédéral en faveur de la culture »49.

La censure économique et financière permet de rappeler ce que nous affirmions plus tôt : la censure n’est, aujourd’hui, plus un privilège purement étatique, mais peut aussi s’exercer dans d’autres lieux que sur la scène publique50. Cela ne découle-t-il pas du fait que, comme le dit Carol Avedon, « en chacun de nous se trouve un petit inquisiteur qui souhaite ardemment supprimer l’expression par autrui de croyances qui nous paraissent menacer nos valeurs »? 51 Quoiqu’il en soit, et dans la conception large de la censure que nous avons décidé de retenir, il convient toujours avoir à l’esprit que celle-ci ne s’exerce plus seulement via des normes juridiques.

45 Answers from Denmark to the questionnaire one the Rights to artistic Freedom, p. 3 (disponible sur http://www.ohchr.org/EN/Issues/CulturalRights/Pages/ResponsesArtisticFreedom.aspx , consulté le 7 mars 2016).

46 Rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, F. SHAHEED, Le droit à la liberté d’expression artistique et de création, conseil des droits de l’homme, A/HRC/23/34, p. 18.

47 A. VANDENBULKE, «Vers un financement de la culture à deux vitesse ?», L’écho, 7 janvier 2016, p. 11. 48 Ibid.

49 Ibid.

50 Pour un exemple récent voy.

http://www.forumopera.com/breve/tcherniakov-condamne-liberte-dexpression-menacee (consulté le 21 Février 2016).

51 C.AVEDON, Nudes, prudes & attitudes, Londres, New Clarion Press, 1994, p.1 ; C. BRUYÈRE, H. TOUILLER -FEYRABEND, « La censure et ses masques », Ethnologie française, vol.36, 2006/1, p. 5.

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3) La censure invisible

Dans son ouvrage La censure invisible, Pascal Durand met en évidence un type de censure plus propre à notre époque, à savoir une censure qui « opère à l’insu de ceux qui l’exercent autant que de ceux qui la subissent, lesquels peuvent être un même groupe social »52. C’est que cette censure ne se caractérise pas par un interdit de certains discours dans l’espace public mais est, en quelque sorte, un « encouragement » à parler.

C’est comme si, pour parler en termes économiques, sur le marché des discours, l’offre était nettement supérieure à la demande. Dés lors, l’accès au perchoir procède d’un choix « et tout choix est à la fois élection (nous le savons bien) et exclusion (ceci, nous le savons moins, tant le poids d’évidence de ce qui est choisi fait basculer aux oubliettes l’ensemble des autres choix possibles) »53. Le fait de choisir de laisser certaines œuvres s’exprimer c’est, finalement, refuser à d’autres de le faire.

Selon P. Durand, cette situation cause une triple censure54. Premièrement, une censure « matérielle ou technique » qui empêche d’autres productions de trouver leur place sur le marché des discours puisque l’espace est tout occupé par ceux qui ont été « élus » (par les éditeurs ou les médias). Deuxièmement, une censure « économique », par une application bête et méchante de la logique commerciale qui préfère les choix rentables aux choix permettant un pluralisme dans le domaine des discours. Troisièmement, une censure « culturelle » car cette situation entretient « l’illusion d’une abondance et d’une diversité de l’offre là où règnent, en réalité, uniformité et conformisme »55.

C’est une des manière d’agir de cette censure invisible : le public se voit privé d’une partie des discours, non pas parce que ceux-ci sont interdits par des dispositions légales ou par des interdictions de publication a priori ou a posteriori, mais simplement parce que l’abondance des discours disponibles sur le marché fait qu’il est impossible pour une partie d’entre eux de se faire entendre.

Comme le souligne P. Durand, cette problématique s’exerce sur « l’ensemble du discours social et singulièrement […] sur la grande presse d’information »56. Dans cette dernière matière, l’abondance d’informations interchangeables auxquels nous sommes confrontés « maintient en deçà du seuil de la perception sociale un nombre autrement plus considérable de faits importants et, à tout le moins, de constructions alternatives du matériau informationnel »57.

C’est le journaliste, l’éditorialiste, qui, dans le cadre de la presse détient le pouvoir de sélectionner l’information qu’il publiera. Or, « ces informations n’accèdent à l’existence […] que sous la condition de s’ajuster aux catégories de jugement [que le journaliste] a légitimement incorporées, en tant qu’agent social, du fait des routines de son métier »58. C’est

52 P. DURAND, La censure invisible, Arles, Actes Sud, 2006, p. 15. 53 Ibid., p. 17. 54 Ibid., pp. 18-19. 55 Ibid., p. 19. 56 Ibid., p. 26. 57 Ibid., pp. 29-30. 58 Ibid., p. 30.

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ici que la censure mérite bien son qualificatif d’invisible : le journaliste ne sélectionne pas l’information par une pression extérieure qu’il subirait d’une autorité quelconque59, mais c’est l’univers dans lequel il évolue, la structure sociale qui l’entoure, que le journaliste procédera à ce choix.

P. Durand fait appel aux travaux du sociologue Pierre Bourdieu et se réfère à une notion fort développée par ce dernier, l’habitus c’est à dire : « l’ensemble des schèmes de perception et catégories de classement qui, dans l’intériorité du sujet, sont le produit des structures de son univers social, lesquelles orienteront son action conformément aux attentes de cet univers et à ce qu’il est en droit d’escompter ; et, sous l’espèce d’illusio, l’adhésion préréfexive du sujet aux enjeux et aux valeurs de son univers, ainsi que la libido spécifique stimulée par celui-ci »60. C’est, plus précisément, sous l’effet d’un double habitus que le journaliste sélectionne son information : celui propre à son métier mais aussi celui des classes et groupes de presses pour lesquels il écrit61.

Censure invisible dont, car elle passe inaperçue pour ceux qui l’exercent (un peu à la manière de notre inconscient, il est difficile de se rendre compte de l’influence de l’univers social qui nous entoure) mais aussi par ceux qui la subissent (à la fois le discours qui se sont vu refusé le droit d’asile sur le marché des discours mais aussi, dans une certaine mesure, le public qui voit son information présélectionnée).

Nul doute, et c’est ce qui justifie de la présenter dans une section séparée, que la censure invisible tisse des liens étroits avec la censure économique et financière mais aussi, et nous allons maintenant nous y atteler, avec un phénomène « conséquence » de la censure : l’autocensure.

4) L’autocensure

On parle d’autocensure lorsque, par définition, l’individu choisit d’appliquer une censure à lui-même, à son propre discours. Est-ce à dire que l’individu s’imposerait, en quelque sorte, à lui-même, sans raison particulière et de son propre chef, le respect d’une norme qui l’obligerait à passer sous silence tout ou partie de son discours ? C’est perdre de vue qu’ « il manquerait […] un élément essentiel à l’émergence d’une situation proprement juridique : le fait que, pour qu’une norme soit juridique, doit s’exercer une contrainte extérieure au sujet »62. Pour qu’il y ait autocensure, il faut malgré tout une volonté de censurer extérieure à l’individu.

Si une pression extérieure est nécessaire pour que l’individu s’adonne à la pratique de l’autocensure, encore faut-il identifier cette pression et les façons dont elle se manifeste. Pour ce faire, nous pouvons de nouveau nous référer à la définition de la censure telle que nous

59 Et c’est ce qui la distingue de l’autocensure que nous exminerons dans la section suivante 60 P. DURAND, La censure invisible, op.cit., p. 43.

61 Ibid., p.32.

62 N. THIRION, Théorie du droit. Droit, pouvoir, savoir, Collection de la faculté de droit de l’Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 127.

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l’avons retenue plus tôt, où nous utilisions la notion de pouvoir quelconque à condition que celui-ci puisse valablement émettre un jurème.

Toutefois, dans le cadre de l’autocensure, il s’agit du sujet qui, spontanément, choisit de se censurer, sans que le pouvoir quelconque n’émette un jurème à son encontre. Pour expliquer ce phénomène, il convient d’introduire la notion de jurème par induction ou dérivation : un

jurème peut en effet naître par induction c’est-à-dire « par le fait qu’au su de quelqu’un, l’on

communique à quelqu’un d’autre des messages constituant un jurème ou l’expectative d’un jurème, ou par le fait qu’on exerce des sanctions au su du premier contre le second, l’on envoie au premier autant de messages dérivés qui peuvent remplir à son égard la fonction de messages constituants » 63.

Appliqué à la censure, comme le remarque M.Angenot, « le but des pouvoirs quelconques n’est jamais[64] de mettre hors d’état de nuire un individu particulier, qui serait dangereux pour la police des idées ; le but poursuivi est, à l’examen, toujours et directement d’intimider, de donner à réfléchir à ses collègues, ses proches et à ses pareils »65. Lorsque la censure, ou la sanction découlant de la transgression de l’ordre de censure, frappe un individu (journaliste, écrivain, peintre, fonctionnaire public,…), il faut toujours tenir compte du phénomène qui en est induit et qui touche ceux qui se trouvent dans la même position que le sujet directement touché : d’une part le message (l’ordre de censure) leur est également adressé, mais, d’autre part, il leur est signalé que le pouvoir quelconque est effectivement capable de leur faire mal. Le but est, in fine, de « créer une atmosphère générale hostile à la libre expression et au libre examen »66.

N’est pas ce genre d’atmosphère qu’ont connu les Etats-Unis dans les années 1920 au moment où plusieurs états se sont mis à adopter des législations destinées à combattre farouchement le Darwinisme ?67 Dans l’état du Tennessee, le Butler Act, adopté en 1924, sanctionnait pénalement toute personne qui tentait d’enseigner la théorie de l’évolution, loi que l’America Civil Liberties Union ne voyait guère d’un très bon œil. Un professeur transgressa cette loi et fut poursuivi par le procureur William Jenings Bryan (fervent défenseur des créationnistes) et, pour le défendre, Clarence Darrow (défenseur des homosexuels, des syndicalistes et des personnes de couleur, catégories de la population ne disposant que de droits pour le moins relatifs à l’époque)68. La couverture médiatique déployée pour le procès est impressionnante pour l’époque et l’opinion publique américaine suit ce duel entre science et religion de très près, certains n’hésitant pas à exploiter les alentours de la tribune pour commercialiser ce que nous pourrions qualifier des boutiques souvenirs de l’attraction judiciaire69. Malgré une brillante plaidoirie de Darrow portant

63 L. FRANÇOIS, Le cap des Tempêtes, op.cit., p. 145.

64 Nous doutons, à titre personnel, que ce ne soit absolument jamais le cas. Même si, en censurant un individu, le phénomène d’autocensure prend vie de lui-même, ce n’est pas nécessairement le but premier et ultime du pouvoir quelconque mais plutôt une conséquence dont il se satisfait.

65 M. ANGENOT, « L’Esprit de censure : nouvelles censures et nouveaux débats sur la liberté d’expression », Discours social, op. cit., pp. 13-14.

66 Ibid., p. 14

67 T.HOCHMANN, « Constitution et religion : analyse de la jurisprudence américaine relative au créationnisme », Revue française de droit constitutionnel, n°80, 2009, p. 767.

68 Ibid.

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notamment sur les contradictions contenues dans le livre saint, la théorie de l’évolution devra s’incliner face à une loi protégeant le créationnisme. L’impact médiatique important fait clairement comprendre aux défenseurs de la théorie de l’évolution que Darwin a encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir élire place dans les salles de classe américaines. Le bout de ce chemin sera toutefois atteint en 1968 lorsque la Cour suprême des États-Unis décidera, dans son arrêt Epperson v. Arkansas70, que « l’interdiction d’enseigner l’évolution, en ce qu’elle adapte l’éducation aux principes d’un groupe religieux, viole le premier amendement de la Constitution des États-Unis »71.

Dans des cas comme celui-ci, « ce ne sont pas seulement les producteurs d’idées et d’images […] qui sont censurables et censurés ; ce sont […] les relais culturels, maillons faibles de la chaine de transmission de l’expression »72.

L’autocensure fait donc indirectement appel à la censure juridique et à la censure économique et financière que nous avons décrites ci-dessus. C’est finalement par crainte de se voir censurer et, quand d’autres sanctions accompagnent la censure (comme des dommages et intérêts, ou ne serait-ce que le coût d’une défense en justice), que la personne ou l’institution choisira de se taire, de ne pas publier, de refuser une prestation artistique dans leurs lieux, … Un cas intéressant concerne le photographe Robert Mapplethorpe et son exposition à la galerie Corcoran de Washington. Une partie de cette exposition était consacrée à des photographies montrant des scènes à caractère homosexuel, sadomasochistes,… Bref, tout un programme pour tout conservateur américain qui se respecte. Une rétrospective de son œuvre fut organisée par le musée et, crime de lèse-majesté s’il en est, celui-ci avait bénéficié de (modestes) subventions du National Endowent for the art(ci-après NEA)73. Le sénateur Jesse Helms tenta alors de proposer un amendement, qui fut rejeté, et qui refusait que la NEA ne subventionne les œuvres à caractère obscène ou indécent (dont, évidemment, les scènes sadomasochistes ou à caractère homosexuels), les œuvres qui dénigrent les objets ou les croyances d’une religion ainsi que les œuvres qui avilissent ou injurient une personne ou un groupe de personnes et comme le souligne R. HUGUES, « in effect, this would make the N EA

hostage to every crank, ideologue and God botherer in America »74.

 

Si, pour le bien du monde de l’art, l’amendement n’est pas passé, il nous permet de comprendre comment la mise en place d’une censure (que l’on pourrait ici qualifier d’économique et financière dans la mesure où elle touche les subventions des institutions culturelles) mène à l’autocensure. En effet, le risque de perdre une subvention crée un sentiment de crainte générale dans le chef de chaque institution culturelle qui n’aurait pas vraiment d’autre choix que de rester portes closes face aux demandes d’exposition de certains

70 Epperson v. Arkansas, 393 U.S. 97 (1968)

71 T.HOCHMANN, « Constitution et religion : analyse de la jurisprudence américaine relative au créationnisme », op.cit., p. 769.

72 M. ANGENOT, « L’Esprit de censure : nouvelles censures et nouveaux débats sur la liberté d’expression », Discours social, op. cit., p. 15.

73 Ibid., p. 22.

74 R. HUGUES, « A Loony Parody of Cultural Democracy », Time, 14 Aout 1989 (disponible via

http://www.stephenhicks.org/wp-content/uploads/2014/04/Hughes-Robert-Loony-Parody-Cultural-Democracy.pdf , consulté le 9 mars 2016). Traduction libre : « En réalité, cela ferait de la N EA l’otage de tous les excentriques, idéologues et grenouilles de bénitier d’Amérique ».

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artistes75. C’est donc dans les mains de l’autorité publique que repose ici la censure puisqu’elle prive de subventions les institutions qui servent de porte-voix à des artistes dont les œuvres ne répondent pas à certains critères légaux d’une part (la censure est directe envers ces institutions) mais fait également comprendre à toute institution qui s’y aventurerait, qu’elle risque d’y laisser une certaine somme d’argent (ce qui les amène à s’autocensurer d’une part en refusant, par une pression extérieure, d’être les complices d’un artiste qui est, d’autre part, lui aussi également censuré car il exerce sa liberté d’expression artistique d’une manière non conforme à la loi).

En matière de littérature, une étude prenant appui sur des entretiens semi-directs réalisés avec des écrivains, lauréats et jurés de prix littéraire révèle l’existence de l’autocensure dans le monde du livre au travers de témoignages76. L’autocensure peut notamment prendre la forme « d’un renoncement par l’auteur à certains aspects du texte jugés par l’éditeur peu conforme aux attentes présumées des lecteurs ou ne répondant par aux impératifs du marché qui, de plus en plus, décident de la viabilité d’un projet éditorial »77.

Il faut donc toujours tenir compte du phénomène d’autocensure du fait que, lorsqu’un sujet est destinataire d’une censure et/ou de la sanction qui l’accompagne, un phénomène d’autocensure risque d’être créé envers les autres sujets, indirectement destinataires du message également d’autant plus que « si la censure, dans sa généralité, tend à priver d’existence publique tout ou partie d’un message quelconque, elle se prévaut, […] dans nos démocraties, d’une visibilité d’autant plus forte qu’elle se fait d’ordinaire sur la scène des tribunaux, qu’elle est généralement escortée par une campagne de presse, éventuellement soutenue par diverses associations se portant partie civile, et qu’elle doit même se rendre visible pour légitimer le coup de force, tout légal soit-il, qu’elle exerce sur tel ouvrage de l’esprit et faire office d’avertissement adressé aux auteurs tentés de la défier »78.

C.- L

A LIBERTE D

EXPRESSION ARTISTIQUE

1) Quelle(s) liberté(s)…

Une assimilation est faite entre liberté d’expression et liberté d’expression artistique dans la mesure où la seconde ne serait jamais qu’une composante de la première. La Cour européenne des droits de l’homme place ainsi la liberté d’expression artistique dans le cadre juridique de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui protège la liberté d’expression de manière générale)79. De plus, lorsque les états sont interrogés sur la question

75 Le musée Corcoran a par ailleurs très courageusement annulé l’exposition de Robert Mapplethorpe après que le sénateur Helms a mis en route sa machine de guerre législative.

76 S. DUCAS, « Censure et autocensure de l’écirvain », Ethnologie française, vol. 36, 2006/1, p.115 et s. 77 Ibid., p. 116.

78 P. DURAND, La censure invisible, op.cit., p. 12.

79 C. RUET, « L’expression artistique au regard de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme : analyse de la jurisprudence européenne », R.T.D.H., 2010-84, p. 919.

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de savoir s’ils protègent la liberté d’expression artistique, la plupart d’entre eux répondent par l’affirmative et renvoient aux dispositions de droit interne qui protègent la liberté d’expression de manière générale (certains ont toutefois adopté des dispositions qui concernent plus particulièrement l’artiste)80. La liberté d’expression artistique ne serait donc,

in fine, que la liberté d’expression appliquée à l’artiste et son œuvre. Nous reviendrons,

lorsque nous aborderons la convention européenne des droits de l’homme, sur cette articulation entre liberté d’expression et liberté d’expression artistique.

En France, au-delà des dispositions générales sur la liberté d’expression, la notion de liberté

de création est aussi utilisée. Elle se définit comme « la possibilité de concevoir, de fabriquer,

d’inventer, de produire sans pression, sans entrave » et, entendue dans un sens large, elle s’applique notamment à la création artistique81. Toutefois, liberté de création et liberté d’expression sont étroitement liées puisque l’œuvre permet à l’artiste de divulguer sa pensée82. Isabele Pignard souligne que « en l’absence d’un texte protégeant la liberté de création, les juges se réfèrent souvent à une catégorie existante » et en l’occurrence à l’article 10 CEDH qui sert de fondement à la liberté de création en France83. Par conséquent « la liberté d’expression comprendrait donc la liberté de création qui n’en serait alors qu’un sous-ensemble »84. Actuellement85, un projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine86 suit le chemin parlementaire et entend consacrer, par son article premier, la liberté de création artistique selon une formule (« la diffusion de la création artistique est libre ») qui renvoie directement à la loi de 1881 sur la liberté d’expression87. L’on constate donc que, même s’il est possible d’avoir recours à la liberté de création, la liberté d’expression reste présente en toile de fond.

Il en va de même aux Etats-Unis où, si la liberté d’expression artistique n’est pas directement mentionnée dans la Constitution fédérale, la jurisprudence a déjà reconnu que le 1er Amendement protégeait pleinement l’art en tant que forme d’expression88. Dans l’affaire

Sefick v. City of Chicago89, concernant la révocation d’une décision autorisant le demandeur à exposer ses œuvres dans un espace public prise après avoir exposé une sculpture satirique du maire de la ville, la cour du district nord de l’Illinois a décidé que « the art form involved in

80 Rapport de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, F. SHAHEED, Le droit à la liberté d’expression artistique et de création, conseil des droits de l’homme, A/HRC/23/34, p. 7 ; Rapport d’analyse (2015) sur la mise en oeuvre de la Recommandation de 1980 de l’U.N.E.S.C.O. relative à la

condition de l’artiste préparé par G. NEIL pp. 47-53 (via

http://en.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/analytic-report_g-neil_sept2015_fr.pdf.pdf ). 81 I. PIGNARD, La liberté de création, Université Nice Sophia Antipolis, 2013, p. 4.

82 Ibid., p. 43. 83 Ibid., pp. 43-44 84 Ibid., p. 44.

85 Au jour du 11 mars 2016.

86 Projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, Sén., sess. ord., 2015-2016, p. 2. (disponible sur http://www.senat.fr/leg/tas15-100.pdf , consulté le 11 mars 2016).

87 Voy.

http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/09/29/les-deputes-inscrivent-la-liberte-de-la-creation-artistique-dans-la-loi_4776846_1655012.html (consulté le 11 mars 2016) ;

http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/09/28/une-loi-pour-proteger-la-liberte-des-artistes_4774539_3246.html (consulté le 11 mars 2016).

88 B.DESMARSIN,et al., Art & Law, Bruges, Die Keure, 2008, p. 68.

89 Sefick v City of Chicago, U.S. District Court for the Nothern District of Illinois, 485 Supp. 644 (N.D.II.1979), November 30, 1979.

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