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Les amendes en droit de la concurrence revêtent-elles un caractère pénal au sens du droit de l'Union européenne et quelles en sont les conséquences juridiques procédurales ?

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(1)

Les amendes en droit de la concurrence revêtent-elles un

caractère pénal au sens du droit de l’Union européenne et

quelles en sont les conséquences juridiques procédurales ?

Elisabeth DUPONT

Travail de fin d’études

Master en droit à finalité spécialisée en droit pénal

Année académique 2016-2017

Recherche menée sous la direction de : Monsieur Pieter VAN CLEYNENBREUGEL

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RESUME

Le présent travail de fin d’études s’attache à déterminer si les amendes sanctionnant une violation du droit européen de la concurrence revêtent un caractère pénal et le cas échéant, quelles sont les conséquences juridiques au niveau procédural qui en découlent ?

Cette analyse débute par un premier chapitre touchant à des notions essentielles de droit de la concurrence afin de faciliter la compréhension de ce travail écrit :

- La première partie de ce chapitre concerne l’importance du droit de la concurrence dans notre société économique contemporaine.

- La deuxième partie, quant à elle, explique le déroulement de la procédure d’enquête de la Commission visant à déceler les infractions présentes en droit de la concurrence.

- Enfin, la troisième partie traite des autorités compétentes pour sanctionner les infractions au droit de la concurrence : la compétence est exercée tantôt par la Commission, tantôt par les Etats membres.

Ensuite le deuxième chapitre, clé de notre analyse, se penche sur la jurisprudence récente rendue sur le caractère pénal des amendes en droit de la concurrence :

- La première partie de ce chapitre rappelle les « critères Engel » lesquels définissent la notion de peine en droit européen. Cette analyse nous permettra de trancher si au regard de ces critères, les amendes en droit de la concurrence peuvent être considérées comme étant une peine et donc être revêtues d’un caractère pénal. - La deuxième partie traite de la controverse concernant l’exclusion de la matière de

la concurrence du noyau dur de droit pénal.

- Enfin, la troisième partie de ce chapitre se consacre d’une part, à l’adoption du règlement européen n°1/2003, entré en vigueur le 1er mai 2004 visant à régler la mise en œuvre des articles 101 et 102 du T.F.U.E et d’autre part, à l’analyse des prises de position dans la jurisprudence de la C.E.D.H. et de la C.J.U.E. sur le caractère pénal des amendes en droit de la concurrence adoptées sur base de ce règlement.

Le troisième chapitre, deuxième développement clé de notre analyse, s’intéresse aux conséquences procédurales découlant du caractère pénal des amendes en droit de la concurrence. Sont développées dans la première partie de chapitre, les garanties procédurales de droit positif dont dispose l’entreprise suspectée ou condamnée d’être responsable d’une infraction aux articles 101 et 102 du T.F.U.E. Dans une deuxième partie, sont exposées deux modifications procédurales ayant pour objectif de rendre plus efficaces les sanctions pénales en droit de la concurrence.

En dernier lieu, le quatrième chapitre de ce travail propose des remèdes de lege ferenda dont le but est de clarifier la position à prendre pour les juges de l’Union quant au caractère pénal des amendes en droit de la concurrence.

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5

TABLE DES MATIERES

I.- INTRODUCTION ... 7

II.- CHAPITRE I : NOTIONS DU DROIT DE LA CONCURRENCE ... 7

A.- PARTIE I : CONTEXTE ET IMPORTANCE DU DROIT DE LA CONCURRENCE ... 7

B.- PARTIE II : ENQUETE DE LA COMMISSION EUROPEENNE EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 8

1) Déroulement de l’enquête ... 8

2) Engagement de la procédure formelle d’infraction ... 9

3) Communication des griefs (« Statement of objections ») ... 9

4) Décision de la Commission ... 9

C.- PARTIE III : COMPETENCE DE LA COMMISSION EUROPEENNE ET/OU DES ETATS MEMBRES EN CAS DE VIOLATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE ... 10

1) La Commission européenne ... 10

2) Les Etats membres ... 12

a) L’Irlande ... 12

b) Le Royaume-Uni ... 13

c) Avis sur l’introduction de sanctions pénales dans le droit de la concurrence belge ... 13

III.- CHAPITRE II : POSITION JURISPRUDENTIELLE QUANT AU CARACTERE PENAL DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 14

A.- PARTIE I :NOTION DE « PEINE » EN DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE –CRITÈRES « ENGEL » .. 14

1) Classification de l’infraction en droit interne ... 15

2) Nature de l’infraction ... 15

3) Sévérité de la sanction ... 16

4) Application des critères « Engel » à l’amende en droit de la concurrence ... 16

B.- PARTIE II :EXCLUSION ÉVENTUELLE DU « NOYAU DUR » DU DROIT PÉNAL –ARRÊT JUSSILA ... 17

C.- PARTIE III: CARACTÈRE PÉNAL DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 18

1) Position du législateur européen et de la Commission européenne ... 18

2) Evolution jurisprudentielle actuelle ... 19

a) Apports de la Cour européenne des droits de l’Homme – Arrêt Menarini... 19

b) Apports de la Cour de Justice de l’Union européenne - Arrêts K.M.E. et arrêt Chalkor ... 21

IV.- CHAPITRE III : INCIDENCE DE LA QUALIFICATION PENALE DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 23

A.- PARTIE I :GARANTIES PROCÉDURALES DÉCOULANT DU CARACTÈRE PÉNAL DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 24

a) Respect des droits de la défense ... 24

1. Le droit d’accès au dossier ... 24

2. Le droit d’être entendu ... 25

3. Le droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable... 25

b) Présence d’un avocat lors des inspections ... 26

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6

d) Principe de protection juridictionnelle effective – Dualité du contrôle ... 27

1. Contrôle de légalité ... 28

2. Contrôle de pleine juridiction ... 28

B.- PARTIE II :MODIFICATIONS PROCÉDURALES VISANT L’EFFICACITÉ DE LA SANCTION PÉNALE EN DROIT DE LA CONCURRENCE ... 29

1) Extension du programme de clémence à la procédure pénale ... 29

2) Nécessaire répartition des tâches entre le juge administratif et le juge pénal ... 30

a) Violation du principe non bis in idem : ... 30

b) Risque de morcellement de l’instruction ... 31

V.- CHAPITRE IV : SOLUTIONS ENVISAGEES DE LEGE FERENDA ... 32

A.- RÉFORMER LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DU DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE ... 32

B.- QUID DE LA CRÉATION D’UN DROIT PÉNAL PROPRE DE LA CONCURRENCE DE L’UNION ? ... 33

C.- MISE EN ŒUVRE D’UNE POLITIQUE EFFICIENTE ... 34

(7)

7

I.- INTRODUCTION

Le présent travail de fin d’études s’attache à déterminer si les amendes sanctionnant une violation du droit européen de la concurrence revêtent un caractère pénal et le cas échéant, quelles sont les conséquences juridiques procédurales qui en découlent ?

La question du caractère pénal des amendes en droit de la concurrence de l’Union européenne constitue une question fort débattue, tant en doctrine qu’en jurisprudence. C’est pourquoi, diverses sources tant doctrinales que jurisprudentielles ont été utilisées pour trancher la question.

L’enjeu de trancher, si les amendes en droit de la concurrence ont un caractère pénal, consiste en l’impact de ce caractère pénal sur la procédure. En effet si la procédure est qualifiée de pénale, l’entreprise poursuivie bénéfice d’un arsenal de garanties juridiques visant à garantir sa présomption d’innocence et ses droits de la défense jusqu’à ce qu’une décision de condamnation soit prise par la Commission.

Ce travail de fin d’études aborde plusieurs matières juridiques, à savoir : le droit institutionnel européen, le droit matériel de la concurrence, le droit pénal des sociétés, ainsi que les principes généraux de procédure pénale.

II.- CHAPITRE I : NOTIONS DU DROIT DE LA CONCURRENCE

A.- P

ARTIE

I :

CONTEXTE ET IMPORTANCE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Le droit de la concurrence est une composante essentielle de la vie des entreprises. Il garantit l’existence d’une économie de marché et vise à assurer le bon fonctionnement de celle-ci1. Un de ses principaux objectifs est d’éviter que les entreprises par leur comportement ne restreignent la concurrence du marché, ce qui produirait un effet négatif sur le bien-être du consommateur final2.

1C.,V

ERDURE,« L’assurabilité des amendes en droit de la concurrence : quo vadis ? », Anthémis, n°150, janvier 2015, p.1.

2 Trib. C.E., 7 juin 2006, Osterreichische Postsparkasse c. Commission, T-213/01 et T-214/01, Rec., 2006,

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8 Le droit de la concurrence vise à rendre effective la liberté de concurrence et à éviter que les Etats ne puissent en faire un usage déloyal, ce qui reviendrait à nuire fortement aux objectifs du marché intérieur instauré par la création de l’Union européenne3.

Au sein du droit matériel européen, deux articles visent spécifiquement à protéger le marché européen. D’une part, l’article 101 du T.F.U.E. lutte contre les cartels, c’est-à-dire : toute collusion entre plusieurs entreprises, à dimension européenne, ayant comme objet de créer des accords empêchant, limitant ou déformant la concurrence du marché. D’autre part, l’article 102 du T.F.U.E. vise quant à lui à lutter contre les abus de position dominante des entreprises sur le marché européen. L’abus de position dominante est classiquement défini comme la situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs4.

C’est pourquoi en vue de protéger le consommateur et les entreprises, l’Union européenne a établi des règles permettant à la Commission européenne de réprimer les entreprises qui se livrent à de tels comportements.

B.- P

ARTIE

II :

ENQUETE DE LA COMMISSION EUROPEENNE EN DROIT DE LA

CONCURRENCE

Comme énoncé dans la première partie de ce travail, la Commission européenne dispose de pouvoirs d’investigation en vue de détecter les violations au droit de la concurrence et notamment celles des articles 101 et 102 du T.F.U.E. Le chapitre V du règlement n°1/2003 habilite la Commission à mener une enquête lorsqu’elle dispose d’éléments laissant présumer que la concurrence est restreinte ou faussée à l’intérieur du marché européen5.

1) Déroulement de l’enquête

La Commission peut demander aux entreprises tout renseignement nécessaire pour lui permettre d’apprécier l’existence ou non d’une infraction au droit de la concurrence6.

3 Commission européenne, « Rapport sur la politique de concurrence 2010 », COM (2011) 328 final, 10 juin 201,

p.5, pt. 10.

4 C.J.C.E., 13 février 1979, Hoffmann La Roche c. Commission, point 38.

5 BERNARDEAU,L.et CHRISTIENNE,J.-P.,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et

contrôle juridictionnel du droit de l’Union », Bruxelles, Larcier, 2013, p.505.

(9)

9 Lorsqu’elle désire obtenir des renseignements auprès des entreprises, la Commission doit impérativement indiquer la base juridique et le but de la demande.

La Commission dispose aussi d’un pouvoir d’inspection auprès des entreprises7. Pour ce faire, des agents mandatés par la Commission ont le droit d’accéder aux locaux, de contrôler les livres et documents professionnels, de prendre des copies de tous ces documents, ainsi que de demander des explications orales8. Les questions orales posées lors des inspections doivent être enregistrées et une copie doit être remise à l’entreprise suspectée. Si la personne qui a répondu aux questions n’était pas habilitée à le faire, l’entreprise pourra dans la suite de la procédure rectifier, modifier ou apporter des ajouts à cet enregistrement9.

2) Engagement de la procédure formelle d’infraction

Lorsque les éléments de fait recueillis au cours de l’enquête le justifient, la Commission est compétente pour engager formellement la procédure. L’effet de cette décision est de mettre fin à la compétence concurrente des autorités de concurrence des Etats membres. De surcroît, l’engagement de procédure interrompt la prescription en matière de poursuites10.

3) Communication des griefs (« Statement of objections »)

Après l’ouverture de la procédure, la Commission doit communiquer à l’entreprise les griefs dont celle-ci fait l’objet à l’encontre de la pratique ou de l’accord en cause. Dans ces griefs, la Commission expose les faits et le raisonnement juridique qui l’amènent à penser qu’il existe un comportement réprimé par les articles 101 et 102 du T.F.U.E. De plus, la Commission doit préciser si cette infraction est passible d’une amende ou non. Les entreprises ont le droit de faire connaitre par écrit ou oralement leur point de vue sur les griefs qui leur sont reprochés11.

4) Décision de la Commission

Si la Commission estime que les faits sont constitutifs d’une infraction aux articles 101 et 102 du T.F.U.E, elle enjoint l’entreprise, par voie de décision, de mettre fin à l’infraction. Outre exiger la cessation de l’activité litigieuse, la Commission peut aussi condamner

7 Art. 20 et 21 du règlement n°1/2003. 8 Art. 4 du règlement n°1/2003.

9 BERNARDEAU,L.et CHRISTIENNE,J.-P.,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et

contrôle juridictionnel du droit de l’Union », op.cit., 2013, p.508.

10http://www.droitbelge.be/fiches_detail.asp?idcat=40&id=433#notes. 11 Ibidem.

(10)

10 l’entreprise au paiement d’amendes à titre de sanction. L’objet de ce présent travail est d’examiner si les amendes délivrées en violation du droit de la concurrence ont un caractère pénal au sens de l’Union et quelle est l’incidence de ce caractère pénal sur la procédure ? A savoir que si ces amendes peuvent être catégorisée de pénales, celles-ci jouissent de toute une série de garanties procédurales. Ceci fait l’objet des chapitres 2 et 3 de cet écrit.

C.- P

ARTIE

III :

COMPETENCE DE LA COMMISSION EUROPEENNE ET

/

OU DES

E

TATS MEMBRES EN CAS DE VIOLATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Comme il vient d’être expliqué ci-dessus, la Commission européenne est compétente pour statuer sur les violations du droit de la concurrence. Cependant, il ressort qu’outre la Commission, les autorités nationales de concurrence sont également compétentes pour poursuivre et sanctionner par l’imposition d’amendes les infractions au droit communautaire de la concurrence. De plus, les autorités nationales de la concurrence sont aussi chargées de faire respecter leur droit national de la concurrence.

L’objet de cette troisième partie est d’expliquer la compétence de la Commission et/ou des autorités nationales, d’examiner la pénalisation des amendes en droit de la concurrence en Irlande et au Royaume-Uni, et enfin de réfléchir à l’introduction de sanctions pénales dans le droit de la concurrence belge.

1) La Commission européenne

Les droits nationaux se sont fort développés depuis l’adoption du règlement (CE) n°1/200312, entré en vigueur le 1er mai 2004, car celui-ci a opéré une décentralisation du droit de la concurrence. A ce sujet, il faut distinguer le volet procédural du volet matériel.

Tout d’abord, concernant le droit matériel de la concurrence, le règlement n°1/2003, en son article 3 oblige les autorités de concurrence des Etats membres ainsi que les juridictions nationales à appliquer les articles 101 et 102 du T.F.U.E. parallèlement à leur droit national s’ils se trouvent confrontés à une entente susceptible d’affecter le marché intérieur européen.

12Règlement n°1/2003/CE, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues

(11)

11 Ensuite, au niveau du droit procédural de la concurrence, chaque niveau de pouvoir détermine sa propre procédure applicable13. La Commission européenne, autorité supranationale, dispose après avoir enquêté d’un pouvoir de sanction des infractions aux règles de la concurrence14. Les autorités nationales de concurrence peuvent également sanctionner ces infractions. Il est admis en jurisprudence qu’une double sanction soit possible pour autant qu’il n’y ait pas de violation du principe non bis in idem15.

En 199816, la Commission a défini les lignes directrices générales en matière de fixation d’amende pour rendre plus transparente sa politique et rendre davantage compte de ses actions en la matière. Au vu du caractère extrêmement large des circonstances factuelles en matière d’amende en droit de la concurrence, il est impossible pour la Commission de prévoir à l’avance l’ensemble de ces circonstances. C’est pourquoi, la Commission se réserve le droit de déroger, de modifier ou d’actualiser ses lignes directrices si cela s’avère nécessaire dans chaque cas d’espèce17. Il s’agit d’une appréciation in concreto et non in abstracto.

En 2006, la Commission a publié de nouvelles lignes directrices desquelles il ressort que la Commission considère qu’il y a lieu de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif en vue de sanctionner l’entreprise en cause mais également de dissuader les autres entreprises à commettre les comportements contraires aux articles 101 et 102 du T.F.U.E 18. Dans ses lignes directrices, la Commission modifie les éléments de gravité et de durée de l’infraction.

Par ailleurs, une nouveauté majeure a fait son apparition en 2006, celle de l’institution de la procédure de transaction19. Cette procédure permet de régler le sort des ententes selon une procédure simplifiée. Si l’entreprise à laquelle la Commission reproche d’avoir participé à une entente anti-concurrentielle reconnait sa responsabilité, l’entreprise pourra bénéficier d’une réduction de 10% de l’amende qui lui est infligée20.

13 TH., OHLINGER et M., POTACS,EU-Recht und staatliches Recht, 4ème. Éd., Vienne, Lexis-Nexis, 2011,

pp.154-190.

14 Art. 103 du T.F.U.E. 15L., I

DOT,« La répression des pratiques anticoncurentielles par les institutions de l’Union européenne », R.S.C., 2012/2, p. 326, N°31.

16 Lignes directrices pour le calcul des amendes (JO C9 du 14.1.1998, pp.3-5).

17 Note de la commission européenne, « Les amendes sanctionnant les infractions du droit de la concurrence »,

op.cit , p.2.

18 Note de la commission européenne, « Les amendes sanctionnant les infractions du droit de la concurrence »,

http://ec.europa.eu/competition, novembre 2011, p.1.

19 BERNARDEAU,L.et CHRISTIENNE,J.-P.,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et

contrôle juridictionnel du droit de l’Union », op.cit., 2013, p.34.

(12)

12

2) Les Etats membres

Malgré le type de sanctions prévues par le règlement n°1/2003, le rôle des Etats membres à côté de celui de la Commission n’est pas inexistant. Les Etats peuvent adopter deux attitudes :

- Soit les Etats décident d’adopter et de mettre en œuvre des règles plus strictes pour interdire ou sanctionner un comportement d’une entreprise contraire au droit de la concurrence21.

- Soit les Etats décident d’intervenir pour édicter des sanctions relatives aux comportements qui ne relèvent pas du champ d’application du règlement (CE) n°1/2003 ; c’est notamment le cas pour les sanctions envers les comportements de personnes physiques22.

Au sein de l’Union européenne, treize Etats membres23 ont opté pour une pénalisation, ils incriminent expressément tout ou partie des infractions aux articles 101 et 102 du T.F.U.E.24 Un certain nombre d’entre eux ont opté pour une politique du « tout » pénal. C’est le cas de l’Irlande.

a) L’Irlande

En 2006, les juges irlandais ont prononcé la première peine de prison en Europe à l’encontre d’un dirigeant dans le cadre d’une entente affectant le marché des carburants de chauffage dans l’Affaire Galway Heating Oil. Plus récemment, le juge irlandais a retenu des peines d’emprisonnement de 6 et 9 mois avec sursis dans l’Affaire DPP c. Patrick Duffy &

Duffy Motors Limited. On constate à travers l’expérience irlandaise d’une part, que la menace

d’une peine pénale gagne en crédibilité25 ; d’autre part, que le droit pénal vient en appui des procédures civiles et administratives pour sanctionner les pratiques anti- concurrentielles.

21 Article 3 §2, in fine du règlement (CE) n°1/2003. 22 C.,VERDURE,op.cit., p.2.

23 Tels que l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la France, la Grèce, l’Irlande, la République

tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Slovaquie.

24 L., BERNARDEAU, et E., THOMAS, « Principes généraux du droit et contrôle juridictionnel en droit de la

concurrence : M. JOURDAIN : juge pénal ? », C.D.E., 2016, p.963. 25 Ibidem, p. 964.

(13)

13 b) Le Royaume-Uni

En 2002, le Royaume-Uni a adopté l’Enterprise Act. Cet acte a marqué le début de la pénalisation du droit des ententes car cet Etat en a fait un délit spécifique. En effet, les personnes physiques, parties à une entente risquent d’encourir une peine d’emprisonnement pouvant aller jusque 5 ans. L’Affaire Marine Hose, rendue en 2008, en est une illustration : les protagonistes ont été condamnés à des peines de 36 mois d’emprisonnement.

Le Royaume-Uni s’est aussi doté de mesures complémentaires, appelées disqualifications. Il s’agit, en effet, d’une mesure où le juge peut prononcer l’interdiction aux personnes physiques condamnées de pratiquer une activité de direction au sein d’une entreprise pendant une durée maximale de 15 ans. Ces mesures conservent un caractère dissuasif sans revêtir la gravité d’une peine d’emprisonnement. Néanmoins, la violation d’une mesure de disqualification peut, quant à elle, être sanctionnée par une peine d’emprisonnement26.

c) Avis sur l’introduction de sanctions pénales dans le droit de la concurrence belge

Le législateur belge a toujours privilégié l’idée d’une nécessaire similitude entre droit belge et européen de la concurrence, tant au niveau des dispositions légales que de leur application27. En droit belge, l’autorité nationale de la concurrence est composée du Conseil de la concurrence et du Service de la concurrence.

La Commission de la concurrence a rendu un avis sur l’introduction de sanctions pénales en droit belge de la concurrence le 4 février 2010. Au sein de cet avis, la Commission émet les considérations suivantes :

- Elle soulève que bien que les infractions à la législation de la concurrence soient déjà passibles de poursuites pénales aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Irlande, ce n’est le cas qu’exceptionnellement en Europe Occidentale28.

- Elle relève de plus que les autorités belges de concurrence n’ont qu’une expérience limitée, voire nulle, dans l’application d’amendes élevées à l’encontre des entreprises.

- Etant donné que l’augmentation du montant des amendes semble surtout être le fait de la Commission européenne et que l’introduction de sanctions pénales est un débat assez récent, la Commission se demande s’il est donc opportun que la Belgique anticipe une initiative européenne en la matière29.

26 Ibidem, p.965.

27 P. MARCHAND,« Le calcul des amendes en droit belge de la concurrence : une première approche », R.C.B.,

2006, pp.117-178.

28 « Avis sur l’introduction de sanctions pénales dans le droit belge de la concurrence », C.C.E., 2010-0233, p.2. 29 Ibidem, p.3.

(14)

14 - La Commission estime toutefois qu’avant qu’elle ne puisse se prononcer définitivement sur l’introduction de sanctions pénales dans le droit belge de la concurrence, il convient de procéder à une évaluation des différentes mesures qui ont été prises ces dernières années pour affermir le respect du droit belge de la concurrence : il s’agit de l’introduction de la nouvelle loi sur la protection de la concurrence économique coordonnée le 15 septembre 2006 et de l’introduction du régime de clémence. Ce n’est qu’à partir du moment où la Commission disposera de données pertinentes et suffisantes qu’elle pourra se prononcer de manière définitive sur l’introduction de sanctions pénales dans le droit belge de la concurrence30.

III.- CHAPITRE II : POSITION JURISPRUDENTIELLE QUANT

AU CARACTÈRE PÉNAL DES AMENDES EN DROIT DE LA

CONCURRENCE

Parmi les sanctions délivrées par la Commission, les amendes constituent le principal instrument permettant la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union européenne. Dans ce chapitre II, il convient dès à présent de trancher si ces amendes revêtent un caractère pénal au sens de l’Union et ce, à l’aide des évolutions jurisprudentielles en la matière.

A.- P

ARTIE

I :

N

OTION DE

«

PEINE

»

EN DROIT EUROPÉEN DE LA

CONCURRENCE

C

RITÈRES

« E

NGEL

»

La Cour européenne des droits de l’homme a élaboré trois critères alternatifs pour examiner si une mesure prise par la Commission à la suite d’une infraction au droit de la concurrence doit être qualifiée de peine au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme31. Il ressort de l’arrêt Jussila c. Finlande32, examiné ultérieurement, que lorsqu’aucun

30 Ibidem, p.4.

31 Cour. Eur. D.H., arrêt Engel et al. c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A, n°22.

32 Cour Eur. D.H., arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, rec. des arrêts et décisions, 2006 -XIII, no

(15)

15 de ces trois critères ne suffit pas à établir le caractère pénal de la mesure en cause, il faut examiner si leur application combinée peut aboutir à une telle conclusion33. En effet, si on aboutit à la conclusion que la sanction revêt un caractère pénal, en découleront de nombreux droits procéduraux étant d’une aide précieuse à la personne condamnée.

1) Classification de l’infraction en droit interne

Le premier critère à analyser est celui de la classification de l’infraction en droit interne, laquelle peut être éclairée par la qualification donnée à l’infraction au sens des travaux préparatoires de la législation en cause34 et également au sein de la jurisprudence nationale35.

Il est important de souligner que le concept de « peine » au sens de la Convention européenne est une notion autonome, c’est-à-dire que son existence ne pourrait pas dépendre de la qualification de l’infraction retenue par le droit interne36.

C’est pourquoi, la Cour dégage un deuxième et un troisième critères, possédant une nature substantielle, permettant de déterminer si une mesure défavorable constitue une peine.

2) Nature de l’infraction

Le premier de ces deux critères substantiels est la nature de l’infraction. Ce critère est considéré comme étant le plus déterminant37. Une infraction sera, par nature, pénale lorsqu’ elle poursuit un but répressif et préventif, et qu’elle ne s’adresse pas spécifiquement à un groupe déterminé de personnes, doté d’un statut particulier38. La mesure doit donc poursuivre un but à la fois préventif et punitif.

Ensuite concernant les destinataires de l’infraction, il faut que la mesure ne vise pas un groupe déterminé ayant un statut particulier mais qu’au contraire, elle s’adresse à une généralité de personnes. Il faut prendre en compte d’une part, l’étendue de personnes auxquelles est adressée la règle transgressée et d’autre part, la nature des intérêts protégés en cause39.

33 Cour. Eur.D.H., arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, Rec. des arrêts et décisions, 2006- XIII,

n°73053/01, §31.

34 Cour. Eur. D.H., arrêt Ozturk c. Allemagne du 21 février 1984, §51.

35 Cour. Eur. D.H., arrêt Hamer c. Belgique du 27 novembre 2007, §§ 57 et 60.

36 B

OMBOIS,T., « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la concurrence », Bruxelles, Larcier, 2013, p.33.

37 Cour. Eur.D.H., arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, op. cit., §38.

38 BOMBOIS, T., « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la

concurrence », op.cit., p.33.

(16)

16

3) Sévérité de la sanction

Enfin, si la mesure a résisté au premier et au deuxième critères dégagés par la Cour de Strasbourg, il reste un dernier critère à envisager ; c’est celui du degré de sévérité de la sanction lequel porte sur deux aspects : la nature et la gravité de la sanction. Dans la majorité des arrêts rendus par la Cour européenne, ces deux aspects sont en principe cumulatifs40.

Concernant le premier aspect, celui de la nature de la sanction, la Cour européenne l’a pris en considération pour écarter certaines mesures dont l’essence est plus administrative que répressive. Seules les sanctions dont la nature pénale est communément admise répondent à ce critère. On peut citer à titre d’exemples, la peine privative de liberté que la Cour de Strasbourg ira même jusqu’à qualifier de « sanction pénale par excellence 41» et la peine d’amende42.

Concernant le deuxième aspect, celui du degré de gravité de la sanction, la Cour tient compte de la sanction réellement infligée mais aussi de la peine maximale encourue43. Par ailleurs, la gravité de la mesure doit s’apprécier de manière subjective44, eu égard aux capacités de la personne qui subit la sanction. En outre, les conséquences indirectes de la sanction sur son destinataire, notamment celle ayant un impact sur sa vie professionnelle45, doivent aussi être prises en compte pour conclure du degré de gravité de la sanction.

Il est à noter toutefois que dans certains arrêts, la Cour européenne ne vise que le degré de sévérité de la sanction et non sa nature46.

4) Application des critères « Engel » à l’amende en droit de la

concurrence

Si on applique les critères « Engel » qui viennent d’être exposés au cas particulier de l’amende prononcée pour infraction au droit matériel de la concurrence, il n’y a pas de doute sur le fait que celle-ci a un caractère pénal au sens de la Convention européenne.

En effet, concernant la nature de l’infraction, l’amende poursuit un but punitif et dissuasif47. De plus, le droit pénal européen s’adresse à une généralité de destinataires. En outre, il ressort de la jurisprudence en matière de droit de la concurrence, que les amendes auxquelles sont condamnées les entreprises sont très élevées. Les trois critères « Engel », à savoir celui de

40 BOMBOIS, T., « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la

concurrence », op.cit., p.33.

41 Cour. Eur. D.H., arrêt Kurdov et Ivanov c. Bulgarie, op.cit., §44. 42 Cour. Eur. D.H., arrêt Escoubet c. Belgique du 28 octobre 1999, §36.

43 Cour. Eur. D.H., arrêt Ezeh et Connors c. Royaume-Uni du 9 octobre 2003, §120. 44 Cour. Eur. D.H., arrêt Ziliberberg du 1er février 2005, §34.

45 R. KOERING et P. TRUCHE , « Retour sur le champ pénal », in Mélanges en hommage à Louis-Edmond Pettiti,

Bruxelles, Bruylant, 1998, p.520.

46 Cour. Eur. D.H., arrêt Kyprianou c. Chypre du 27 janvier 2004, §31.

(17)

17 la nature de l’infraction, celui des destinataires de celle-ci et celui de la sévérité de la sanction sont remplis.

Au regard des critères « Engel », une amende délivrée par la Commission en cas d’infraction au droit matériel de la concurrence doit donc être considérée comme étant une peine au sens de la Convention.

B.-

P

ARTIE

II :

E

XCLUSION ÉVENTUELLE DU

«

NOYAU DUR

»

DU

DROIT PÉNAL

A

RRÊT

J

USSILA

Dans son arrêt Jussila c. Finlande, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que l’interprétation autonome de la notion de « peine » a permis une extension progressive du champ pénal à des domaines qui ne relèvent pas formellement des catégories traditionnelles du droit pénal, comme le droit de la concurrence. Elle relève que si toutes les procédures pénales présentent une certaine gravité, certaines d’entre elles ne comportent aucun caractère infamant pour ceux qu’elles visent et que les accusations en matière pénale n’ont pas toutes le même poids48.

La Cour de Strasbourg déduit alors que certaines peines au sens autonome de la Convention ne relèvent pas du noyau dur du droit pénal mais relèveraient d’un droit pénal de second rang et qu’il ne faudrait pas leur appliquer toutes les garanties procédurales découlant de l’article 6 de la C.E.D.H49.

Il convient désormais d’observer le sort à réserver aux amendes infligées par la Commission pour violation des articles 101 et 102 du T.F.U.E. A ce sujet, l’arrêt Jussila c.

Finlande laisse le champ libre à deux interprétations50.

La première interprétation trouve sa source dans l’opinion dissidente des juges Loucaides, Zupancic et Spielman ; ceux-ci estiment que les infractions réprimées par des peines pouvant apparaitre légères mais qui risquent d’aboutir à de graves sanctions en cas de récidive sont à classer dans le noyau dur du droit pénal. Si on suit ce raisonnement en droit de la concurrence, vu qu’en cas de récidive le montant de l’amende peut être colossal, il est tout à fait pertinent de classer les incriminations au droit de la concurrence comme faisant partie du noyau dur du droit pénal.

La deuxième interprétation se base sur le caractère infamant, la gravité de l’accusation et sur l’extension du champ pénal à des domaines qui en étaient a priori exclus. En effet, il ressort de cet arrêt51 que le droit européen répressif de la concurrence n’est pas une forme classique de

48T., BOMBOIS, « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la

concurrence », Bruxelles, Larcier, 2013, point 38.

49 C.J.U.E., 23 novembre 2006, arrêt Jussila c. Finlande, §43.

50 T., BOMBOIS, « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la

concurrence », op.cit.

(18)

18 droit pénal, il n’apparait pas qu’il appartient incontestablement à l’essence même du droit pénal. Il importe par conséquent de trancher si le droit anti-trust emporte un caractère infamant pour basculer dans le noyau dur de droit pénal52.

Il ressort donc des deux interprétations offertes par l’arrêt Jussila c. Finlande que les infractions au droit de la concurrence relèveraient du noyau dur du droit pénal et que par conséquent, toutes les garanties procédurales de l’article 6 de la C.E.D.H. leur sont applicables.

C.- P

ARTIE

III

:

CARACTÈRE PÉNAL DES AMENDES EN DROIT DE LA

CONCURRENCE

Dans cette troisième partie, sont d’abord exprimées les positions du législateur européen et de la Commission sur le caractère pénal des amendes en droit de la concurrence ; ensuite sont exposées les positions jurisprudentielles de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de Justice. Cet ordre me semblait cohérent dans la mesure où le législateur européen adopte d’abord le règlement n°1/2003 et qu’ensuite seulement, la jurisprudence est amenée à se prononcer sur ledit règlement.

1) Position du législateur européen et de la Commission européenne

Le législateur de l’Union européenne a pris soin de préciser dans l’article 23, §5, du règlement (CE) n°1/2003 que les amendes imposées en droit de la concurrence sont dépourvues de tout caractère pénal. Certains y ont vu la volonté du législateur communautaire de ne pas s’approprier une matière qui demeurait, à l’époque, de la compétence exclusive des Etats membres53.

Lors de l’élaboration de ce règlement, le Parlement européen a fait valoir qu’il était très probable que les amendes en droit de la concurrence doivent être regardées comme des peines au sens de la Convention européenne des droits de l’homme54.

Par ailleurs, la Commission européenne accepte, elle aussi, de considérer les amendes qu’elle inflige comme étant des condamnations entrainant l’application du principe non bis in

52 Ibidem, point 41.

53J., S

CHWARZE,« Les sanctions imposées pour les infractions au droit européen de la concurrence selon l’article 23 du règlement n°1/2003/CE à la lumière des principes généraux du droit », R.T.D. eur., 2007/1, p.9.

54 J.O., C 72/236 du 21 mars 2002 cité par D. SLATER, S. THOMAS et D. WAELBROECK, « Competition law

proceedings before the European Commission and the right to a fair trial : no need for reform ? », The

(19)

19 idem55. Or, la notion de peine recouvre une seule et même réalité au sein de la Convention européenne et de ses protocoles56.

Si l’affirmation du caractère pénal des procédures semble être admise, la Commission n’a toujours modifié pas les procédures de concurrence57. Le principal argument invoqué pour justifier cette position est le fait que le droit pénal de la concurrence ne relèverait pas de l’une des catégories traditionnelles du droit pénal et, partant, n’exigerait pas de garanties procédurales aussi strictes58.

2) Evolution jurisprudentielle actuelle

a) Apports de la Cour européenne des droits de l’Homme – Arrêt

Menarini

L’apport de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme met probablement fin aux réticences actuelles tendant à admettre le caractère pénal des sanctions en droit de la concurrence.

Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme qu’une mesure fait partie de la matière pénale si trois critères sont remplis. Il s’agit des critères « Engel » analysés dans la première partie de ce chapitre. La Cour fait une transposition de ces critères dans l’arrêt Serguei Zolotoukhine c. Russie59 rendu en 2009, soit plus de trente après

l’arrêt Engel c. Pays-Bas60, premier arrêt où la Cour consacrait ces critères.

Pour arriver à la situation jurisprudentielle actuelle, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée dans l’arrêt Menarini61 où elle dégage les principes applicables en matière d’amendes en droit de la concurrence.

55 C. SMITS et D. WAELBOECK, « Le droit de la concurrence et les droits fondamentaux », op. cit., p.153.

56 BOMBOIS, T., « La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la

concurrence », op.cit., p.32.

57 C.,VERDURE,« L’assurabilité des amendes en droit de la concurrence : quo vadis ? », op. cit., p.5. 58 D., W

AELBROECK, et C., SMITS, « Les grandes évolutions récentes du droit européen sur les pratiques restrictives de la concurrence des entreprises », in M. DONY (coord.), Actualités en droit européen, coll. UB, Bruxelles, Bruyant, 2014, p.126.

59 Cour eur. D.H., arrêt Engel et al. C. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A, n°22.

60 Cour eur. D.H., arrêt Serguei Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009, R.S.C., 2009.

61 Cour Eur. D.H., arrêt Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011 (req. n°43509/08), non encore publié

(20)

20

In casu, la « S.P.R.L. Menarini Diagnostic » dirige une requête à l’encontre de l’Italie

pour se plaindre d’un manque de « pleine juridiction » dans le système national des juridictions administratives violant le droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6§1er de la Convention.

Cette société a été condamnée pour des pratiques anti-concurrentielles sur le marché de tests diagnostiquant le diabète par l’autorité administrative de régulation de la concurrence italienne à une amende de 6 millions d’euros.

La Cour fait une analyse du cas concret par rapport aux critères « Engel ». Elle constate que la disposition légale violée vise à préserver la libre concurrence du marché et qu’elle présente un caractère répressif et un but préventif : celui de dissuader l’entreprise intéressée de recommencer62. Du reste, elle considère que la sanction relève, par sa sévérité, de la matière pénale63. Les critères « Engel » sont de ce fait remplis et la sanction délivrée revêt donc un caractère pénal.

Sur la question de la violation du droit d’accès à un tribunal doté de la plénitude de juridiction, la Cour relève qu’une autorité administrative est compétente pour imposer une « peine » mais que sa décision devra être contrôlée ultérieurement par un organe judiciaire ayant pleine juridiction. Cet organe judiciaire sera compétent pour réformer en tous points la décision qui lui est soumise en se penchant sur toutes les questions de droit comme de fait pertinentes64.

La Cour estime qu’in casu, il n’y a pas eu de violation de l’article 6 de la C.E.D.H. car les requérants ont pu attaquer la décision administrative litigieuse devant le tribunal administratif de Rome et ont ensuite pu interjeter appel contre la décision de ce dernier devant le Conseil d’Etat65.

La Cour note qu’en l’espèce, les juridictions administratives s’étant penchées tant sur les questions de droit que sur les questions de fait, elles ont pu vérifier si l’autorité administrative de régulation de la concurrence italienne avait fait un usage approprié de ses pouvoirs. Elles ont aussi examiné le bien-fondé et la proportionnalité de sa décision66. Par conséquent, la compétence des juridictions administratives ne s’est pas limitée à un simple contrôle de légalité.

De plus, la Cour soulève que le contrôle effectué sur la sanction a été de pleine juridiction étant donné que le tribunal administratif de Rome et le conseil d’Etat ont pu vérifier l’adéquation de la sanction et ainsi que, le cas échéant, ils auraient pu modifier la sanction s’ils l’estimaient excessive ou inappropriée67.

62 Cour eur. D.H., arrêt Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011 (req. n°43509/08), §40.

63 Ibidem, §41. 64 Ibidem, §§58 et 59. 65 Ibidem, §60. 66 Ibidem, §§63-64.

67 Idem, §65 ; a contrario, Cour Eur. D.H., Silverster’s Horeca Service c. Belgique du 4 mars 2004 (req.N°

(21)

21 Cet arrêt a marqué une étape importante dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour car il permet de reconnaitre que le droit de la concurrence relève de la « matière pénale ». Ainsi, le seul critère de la sévérité de la sanction devrait permettre de qualifier de sanction pénale une amende prononcée en droit de la concurrence68. Le droit de la concurrence relèverait donc des catégories du droit pénal traditionnel.

b) Apports de la Cour de Justice de l’Union européenne - Arrêts

K.M.E. et arrêt Chalkor

La Cour de Justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le principe de protection juridictionnelle effective en droit de la concurrence dans trois arrêts prononcés le même jour sur pourvoi69. La Commission avait condamné les sociétés KME France et KME Italie à une amende de 40 millions d’euros suite à la constatation d’une entente dans le secteur des tubes industriels en cuivre. Elle avait également constaté la participation de plusieurs sociétés du groupe KME et de la société grecque Chalkor à une entente sur le marché des tubes sanitaires en cuivre. Elle a infligé au groupe KME, une amende de 67 millions d’euros et à la société Chalkor, une amende de 10 millions et de 67 millions d’euros70.

Suite à ces condamnations, les sociétés ont introduit des recours distincts devant le Tribunal de l’Union pour demander soit l’annulation des amendes infligées soit leur réduction. Le Tribunal s’est prononcé sur ces demandes dans trois arrêts71.

Le groupe de sociétés KME et la société Chalkor, n’étant toujours pas satisfait des décisions du Tribunal, a formé des pourvois distincts devant la Cour de Justice en vue de faire annuler d’une part, les arrêts du Tribunal et d’autre part, les décisions de la Commission72.

Ces sociétés soutiennent que le Tribunal a violé l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui est l’expression du droit fondamental à un recours juridictionnel effectif en ce qu’il n’a pas exercé un contrôle suffisant de la décision de la Commission et qu’il s’en est remis de façon excessive et déraisonnable au pouvoir de celle-ci.73

Plus précisément dans l’arrêt Chalkor, les requérants font valoir que la procédure du droit de la concurrence devant la Commission a un caractère pénal au sens de la C.E.D.H. et

68 P.CARDONNEL,A.LACRESSE etC.LEMAIRE,« Procédures », Concurrences, 2011/4, p.166.

69 Cour. Eur. D.H., arrêt Chalkor AE Epexergasias Metallon c. Commission du 8 décembre 2011, C-386/10 ; arrêts

K.M.E. Germany e.a. c. Commission du 8 décembre 2011, C-272/09 et C-389/10.

70 Communiqué de presse n°134/11de la C.J.U.E. du 8 décembre 2011, www.curia.europe.eu, p.1.

71 Arrêts du Tribunal du 6 mai 2009, KME Germany e.a. c. Commission (T-127/04), du 19 mai 2010, KME

Germany e.a. c. Commission (T-25/05) et du 19 mai 2010, Chalkor c. Commission (T-21/05).

72 Communiqué de presse n°134/11de la C.J.U.E. du 8 décembre 2011, op. cit., p.2.

(22)

22 que par conséquent, la Commission ne serait pas un tribunal impartial et indépendant. Dès lors, il faudrait que le Tribunal opère un contrôle juridictionnel tant en fait qu’en droit.

Dans ces trois arrêts sur pourvoi des décisions du Tribunal, la Cour de Justice rappelle premièrement que le contrôle de légalité implique un contrôle tant en fait qu’en droit. Elle ajoute que ce contrôle de légalité est complété par la « compétence de pleine juridiction », reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n°1/2003. Cette compétence habilite le juge, au-delà d’un simple contrôle de légalité, à pouvoir substituer son appréciation à celle de la Commission et, ainsi, à supprimer, à réduire ou à augmenter la sanction pécuniaire infligée74.

La Cour de Justice conclut qu’il n’apparait pas que le contrôle, tel que prévu par le droit de l’Union, soit contraire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective énoncé à l’article 47 de la Charte. Elle considère qu’en l’espèce, le Tribunal a exercé le contrôle plein et entier, tant en droit qu’en fait, auquel il était tenu75.

Dans ses conclusions présentées le 10 février 201176 dans l’affaire KME Germany e.a.

c. Commission, Madame l’avocat général Sharpston a soutenu que les amendes en droit de la

concurrence relevaient du volet pénal de l’article 6 de la C.E.D.H., même si elle estimait qu’elles ne relevaient pas du droit pénal traditionnel77.

D’autres avis sont beaucoup plus tranchés. Par exemple, l’avocat général Bot considère dans ses conclusions rendues dans l’affaire E. ON Energie78, que la rigueur du contrôle juridictionnel effectué par le Tribunal est une condition essentielle pour que la procédure actuelle caractérisée par la nature pénale de la procédure et des amendes visées à l’article 23 du règlement n°1/2003 soit compatible avec les exigences de l’article 6 de la C.E.D.H. et de l’article 47 de la Charte79.

Par la suite, la Cour de Justice a, quant à elle, pris position de manière implicite sur le caractère pénal des amendes en droit de la concurrence. En effet, elle a reconnu dans son arrêt

Schindler80 que le fait que les décisions infligeant des amendes en droit de la concurrence soient adoptées par la Commission n’est pas en soi contraire à l’article 6 de la C.E.D.H. tel

74 L., B

ERNARDEAU,et J.-P., CHRISTIENNE,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et contrôle juridictionnel du droit de l’Union », Bruxelles, Larcier, 2013, p.832.

75 Arrêts KME Germany e.a.c. Commission, 272/09, point 109, 389/10, point 136 et Chalkor, point 82.

76 Conclusions de Mme l’avocat général Sharpston, présentées le 10 février 2011 sous C.J.U.E., 8 décembre 2011,

KME Germany e.a. c. Commission, C-272/09, Rec., 2011, p.I-12789.

77 C.,VERDURE,op.cit., p.6.

78 Conclusions de M. l’avocat général Y. Bot, présentées le 21 juin 2012, sous C.J.U.E., 22 novembre 2012, E.

ON Energie c. Commission, C-89/11, ECLI :EU :C : 2012 :738.

79 C.J.U.E, arrêt E. ON Energie c. Commission du 22 novembre 2012, C-89/11, ECLI :EU :C : 2012 :738.

80 C.J.U.E., arrêt Schindler Holding c. Commission du 18 juillet 2013, C-501/11P, recueil numérique, EU : C :

(23)

23 qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme81. Cela implique à tout le moins une reconnaissance implicite du caractère pénal. A l’heure actuelle, une confirmation explicite par la Cour de Justice se fait toujours attendre82.

IV.- CHAPITRE III : INCIDENCE DE LA QUALIFICATION

PÉNALE DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE

Selon moi, il ressort de la toute la jurisprudence actuelle que les amendes imposées aux entreprises pour violation des règles de la concurrence du droit de l’Union ont en réalité un caractère pénal et que, bien souvent, les plaidoiries des parties en la matière ne sont compréhensibles que grâce à la terminologie du droit pénal et de la procédure pénale83. Il est tentant de répondre, qu’au regard de la jurisprudence du Tribunal, de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’homme, exposées ci-avant ; le juge européen en droit de la concurrence est un juge pénal84.

De par ces considérations, les amendes en droit de la concurrence relèveraient du droit pénal et appelleraient dès lors le respect de plusieurs garanties procédurales attachées à la matière pénale, à savoir :

- Le respect des droits de la défense dont découlent le droit d’accès au dossier, le droit d’être entendu et le droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable.

- Le droit d’être assisté par un avocat lors des inspections.

- Le principe selon lequel nul n’est tenu de témoigner contre soi-même. - Le principe de protection juridictionnelle effective.

L’enjeu de la qualification pénale d’une amende en droit de la concurrence est donc celui de bénéficier de toutes ces garanties pour l’entreprise qui fait l’objet d’une enquête par la Commission en vue d’une éventuelle condamnation à une amende pour violation des articles 101 et 102 du T.F.U.E.

Dans la première partie de ce troisième chapitre seront analysées les différentes garanties procédurales qui viennent d’être énoncées. Dans la deuxième partie, seront envisagées deux modifications procédurales à mettre en œuvre afin que la sanction pénale ait un maximum

81 Conclusions de l’avocat général Kokott présentées le 18 avril 2013 dans l’affaire Schindler Holding et al.c.

Commission, recueil numérique, EU :C : 2014 : 2475.

82 A l’heure actuelle, la Cour de Justice de l’Union européenne n’a pas rendu d’arrêt plus récent sur la question

depuis l’arrêt Schindler.

83 L., BERNARDEAU, et E., THOMAS, « Principes généraux du droit et contrôle juridictionnel en droit de la

concurrence : M. JOURDAIN : juge pénal ? », C.D.E., 2016, p.370.

(24)

24 d’efficacité en pratique ; il s’agit d’une part de l’extension du programme de clémence à la procédure pénale et d’autre part, d’une nécessaire répartition des tâches entre le juge administratif et le juge pénal.

A.- P

ARTIE

I :

G

ARANTIES PROCÉDURALES DÉCOULANT DU CARACTÈRE

PÉNAL DES AMENDES EN DROIT DE LA CONCURRENCE

a) Respect des droits de la défense

Dans l’arrêt Hoffman-La Roche c. Commission85, la Cour de Justice a jugé que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes, constituait un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s’il s’agit d’une procédure de caractère administratif.

Selon la jurisprudence, le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaitre utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction aux articles 101 et 102 du T.F.U.E.86

Il appartient à l’entreprise destinataire d’une décision de la Commission lui infligeant une amende de démontrer qu’elle a été empêchée de faire utilement valoir ses droits de la défense87.

Trois principaux corollaires du principe du respect des droits de la défense peuvent être identifiés dans la jurisprudence, il s’agit du droit d’accès au dossier, du droit d’être entendu et du droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable.

1. Le droit d’accès au dossier

Pour que l’entreprise poursuivie puisse faire valoir son point de vue, il est indispensable qu’elle ait accès aux éléments sur lesquels la Commission fonde ses griefs88. La Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier de l’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa

85 C.J.C.E., 17 févier 1979, arrêt Hoffmann La Roche c. Commission, 85/76, Rec., p.461. 86 C.J.C.E., 7 janvier 2004, arrêts Aalborg Portland e.a.c.Commission, C-204/00. 87 Trib., 14 mai 1998, arrêt Weig c. Commission, T-317/94, Rec. p.II-1235, point 195.

(25)

25 défense89. Concrètement, les documents devant être mis à la disposition de l’entreprise, lorsqu’elle a demandé à exercer son droit d’accès au dossier, comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles90.

2. Le droit d’être entendu

Avant l’adoption de toute mesure constitutive d’une sanction, la personne physique ou morale, concernée doit pouvoir être entendue si elle en a manifesté le souhait. En matière d’amendes pour violation au droit de la concurrence, le droit d’être entendu est réglé par le règlement n°873/2004.

Si l’entreprise a été destinataire d’une communication des griefs, elle dispose du droit de demander à être entendue, néanmoins la Commission n’est pas tenue de donner suite à une telle demande car l’entreprise est une partie tierce à la procédure administrative d’enquête de la Commission91.

Afin de renforcer le droit d’être entendu avant de se voir infliger une sanction, une possibilité offerte au législateur européen serait de modifier le règlement n°873/2004 dans le but de rendre ce droit absolu en supprimant tout pouvoir d’appréciation de la Commission sur les suites d’une demande à être entendue par l’entreprise concernée.

3. Le droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable

Le délai procédural, administratif ou juridictionnel doit être apprécié en fonction des circonstances et de la complexité de l’affaire instruite. Il est important de signaler que la Cour de Justice et la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas d’accord sur le point de départ de la durée prise en compte pour déterminer si, oui ou non, la décision a été prise dans un délai raisonnable.

La Cour européenne des droits de l’homme considère que ce délai doit courir à partir du moment où la personne est accusée92, alors que le juge de l’Union, pour sa part, estime que ce n’est que si la première phase d’investigation est d’une durée excessive et que ce caractère excessif porte atteinte à la défense de l’entreprise suspectée, que la violation du délai raisonnable doit être prise en compte par le juge. 93

89 C.J.C.E., 7 janvier 2004, arrêts Aalborg Portland e.a.c.Commission, op.cit., point 41. 90 Ibidem, point 68.

91 BERNARDEAU,L.et CHRISTIENNE,J.-P.,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et

contrôle juridictionnel du droit de l’Union », op.cit., p.517.

92 Cour.E.D.H., 10 décembre 1982, arrêt Corigliano, série A n°57, point 34.

(26)

26 Le non-respect du principe du délai raisonnable ne peut, en principe, que demeurer sans incidence sur la validité de la procédure administrative, à moins que n’en résulte une violation des droits de la défense, c’est-à-dire que l’écoulement excessif du temps ait affecté la capacité des entreprises concernées à se défendre effectivement. Il faut en plus que ce délai excessif ait une incidence possible sur l’issue de la procédure94. Ce n’est que dans une telle situation, que la décision infligeant une amende pourrait être annulée pour non-respect du principe du délai raisonnable.

b) Présence d’un avocat lors des inspections

Dans l’arrêt Koninklijke Wegenbouw Stevin c. Commission95, le Tribunal a apporté, dans le silence des textes, d’importantes précisions sur la possibilité pour l’avocat de l’entreprise d’être présent lors des inspections et sur l’impossibilité de différer ces inspections en cas d’absence de l’avocat.

Le tribunal juge qu’il est nécessaire de mettre en balance le respect les principes généraux du droit de l’Union relatifs aux droits de la défense et l’effet utile du pouvoir de vérification de la Commission pendant la procédure d’enquête. En effet, afin que le droit à l’assistance d’un avocat ne puisse porter atteinte au bon déroulement de la vérification par la Commission, l’accès aux locaux de l’entreprise par les agents mandatés par la Commission ne doit pas être conditionné à la présence d’un avocat car l’entreprise pourrait pendant ce temps détruire ou dissimuler des documents pertinents pour l’enquête96.

Il ressort de cet arrêt que le délai que la Commission est tenue d’accorder à une entreprise afin qu’elle puisse prendre contact avec un avocat, avant qu’elle ne commence à consulter les livres et à en prendre copie, à apposer des scellés sur les locaux, à demander des explications orales au dirigeant de l’entreprise, dépend des circonstances particulières propres à chaque cas d’espèce97.

Il faut attirer l’attention sur le fait que cet arrêt a été rendu par le Tribunal de l’Union en 2012, soit après les arrêts Menarini, K.M.E. Germany et Chalkor. On peut supposer que la position du Tribunal de l’Union, concernant la présence d’un avocat lors des inspections, n’est pas étrangère à la jurisprudence visant à admettre le caractère pénal des amendes en droit de la concurrence. En effet par sa présence, l’avocat va non seulement assurer les droits de l’entreprise mais va également recueillir les éléments nécessaires à la défense de celle-ci. Par ailleurs, la jurisprudence de l’Union consacre la règle de confidentialité de la correspondance entre un avocat et son client98.

94 Ibidem, point 48.

95 Trib., 27 septembre 2012, arrêt Koninklijke Wegenbouw Stevin c. Commission, T-357/06, non encore publié au

Recueil.

96 Ibidem, point 232. 97 Ibidem.

(27)

27 c) Le droit de ne pas témoigner contre soi-même

L’adage « Nemo se ipsum accusare tenetur » est assimilable au droit au silence. Le droit de ne pas témoigner contre soi-même, consacré par la Cour européenne des droits de l’homme, n’est pas consacré en tant que tel en droit de la concurrence de l’Union ce qui ne devait pas surprendre étant donné que la procédure se rattache au droit administratif. Tout autre doit être notre raisonnement lorsque l’on admet désormais un caractère pénal aux amendes en droit de la concurrence.

En effet, bien que la Commission puisse demander à l’entreprise suspectée de lui fournir tout renseignement et document nécessaire à établir la conviction qu’il y a, oui ou non, infraction aux articles 101 et 102 du T.F.U.E., l’entreprise n’est nullement obligée de transmettre des réponses dont il appartient à la Commission d’établir la preuve99.

Le principe que nul n’est tenu de témoigner contre soi-même s’applique effectivement dans le cadre d’une enquête pour infraction au droit de la concurrence, réserve faite de la possibilité pour la Commission de demander à l’entreprise concernée de fournir des informations pouvant être utilisées contre elle, dans la limite de l’aveu de sa participation à ladite infraction100.

d) Principe de protection juridictionnelle effective – Dualité du contrôle

Sous l’angle du droit à un procès équitable, découle, sous l’influence de la jurisprudence strasbourgeoise, un autre principe général de droit de l’Union, celui de la protection juridictionnelle effective. Ce principe est très présent en droit de la concurrence101.

Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour de Justice que lorsque le Tribunal statue sur les recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation du droit de la concurrence, sa compétence est double. On vise la dualité du contrôle du Tribunal, c’est-à-dire qu’il est compétent pour exercer d’une part un contrôle de légalité et d’autre part, un contrôle de pleine juridiction102.

Il est à remarquer qu’il ressort de l’arrêt Menarini, que le principe de protection juridictionnelle effective doit également être garanti en droit interne, lorsqu’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6 de la C.E.DH., délivre

99 C.J.C.E., 18 octobre 1989, arrêt Orkem c. Commission, 374/87, Rec., p. 3283, points 34 et 35.

100 BERNARDEAU,L.et CHRISTIENNE,J.-P.,« Les amendes en droit de la concurrence. - Pratique décisionnelle et

contrôle juridictionnel du droit de l’Union », op.cit., p.504.

101 C.J., arrêt Schindler Holding et al. c. Commission du 18 juillet 2013, C-501/11, EU :C :2013 :522, points

33-36.

102 L., BERNARDEAU, et E., THOMAS,« Principes généraux du droit et contrôle juridictionnel en droit de la

(28)

28 une sanction au droit de la concurrence. Le justiciable doit avoir la garantie d’un contrôle ultérieur devant un organe judiciaire de pleine juridiction103.

1. Contrôle de légalité

Dans le cadre de ce contrôle, le Tribunal se limite à examiner la légalité de la décision prise par la Commission. Le Tribunal doit vérifier que la décision est conforme aux lois et règlements en vigueur sans pour autant pouvoir juger de son opportunité.

Il ressort d’une jurisprudence constante en matière de droit de la concurrence, que le contrôle exercé par le juge d’annulation se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir104. Si par exemple, l’obligation de motivation n’est pas respectée, la décision infligeant une amende au droit de la concurrence doit être annulée105.

2. Contrôle de pleine juridiction

Dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par le Traité106, le Tribunal est compétent pour examiner le bien-fondé, la proportionnalité et l’adéquation de la sanction à l’infraction commise au droit de la concurrence107. Pour examiner le caractère approprié du montant de l’amende, le Tribunal peut prendre en considération des éléments complémentaires d’information qui ne doivent pas être mentionnés dans la décision en vertu de l’obligation de motivation108. Dans ce cas, le Tribunal peut substituer son appréciation à celle de la Commission et en conséquence, peut supprimer ou réduire le montant de l’amende s’il estime que celui-ci est disproportionné ou non-fondé, ou à le majorer dans le cas contraire.

Il ressort des arrêts K.M.E. et Chalkor, analysés précédemment, que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et à rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. Par conséquent, à l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de

103Cour Eur. D.H., arrêt Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011 (req. n°43509/08), pt. 59.

104 C.J.C.E., 28 mai 1998, arrêt Deere c. Commission, C-7/95, Rec., p-I-3111, point 34.

105 Trib., European Night Services et al c. Commission du 15 décembre 1998, T-374/94, T-375/94, T-384 /94 et

T-388/94, EU : T :1998 :198, points 103-105.

106 Article 31 du règlement n°1/2003.

107 Cour Eur. D.H., arrêt Menarini Diagnostics c. Italie du 27 septembre 2011 (req. n°43509/08), point 64.

108 L., BERNARDEAU, et E., THOMAS,« Principes généraux du droit et contrôle juridictionnel en droit de la

Références

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