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..
..
,
,DIDEROT ET GALIANI:
ETUDE D'UNE AMITIE PHIWSOPHlCUE
"
o
roSENA CLIITTHESE SOUMISE A LA
' - 1
FACULTE DES ETUDES SUPERIEURES Er DE lA REXJiERCHE, UNIVERSITE M:GILL POUR L'OBTENTION DU Ph.D • DêparteIœnt de langue et littérature françai~es « août 1981 \
•
). "
Diderot et G:ù.iani: étude
d'uœ
amitié philosophiqueRESUME:
L'année 1759 vit l' arrivée à Paris de l ' abl::é Galiani en sa
quali té de secrétaire auprès de l'ambassadeur èe Naples. . Après
quelques IT'OlS de dépayserrent, 11 se VOlt admis aux salons pansiens les plus Î1T1p:)rtants, où i l fait la connaissance des princ~paux rœmbres du groupe des Encyclopêdistes, y èarpris Diderot.
'II
''=-Cette thèse est une étt.lélEi approfondie des rapr:orts intellectuel:; et hunains qui liaient Diderot et Galiarù: les circonstances et les lieux de leurs renmntres surtout entre 1760 et 1769, date
à
laquelle Galiani se voit obllgéF
quitter Paris PJur ,regagner Naples; leurs amis ccmnuns, les points d'intérêt mu:.œl qui attiraient ces deuxesprits encyclopédiques. Leurs préoccupations englobaient la Ilttérature, en parUculler le théâtre, les arts et l'Antiquité, la science, l' éconœue ~
la p:>li tique et la philosophie.
-
~De
pair avec une analyse systérratique de ces da'raines d! intérêt mutuel, on a dégagé les aspects de la' j?€rsonnalité de Gallani qm ont servi à le rapprocher de Dlderot. On a souligné ce que Dlderot a pu
',,-apprendre de Galiani, surtout en ce qui concerne l'éc:ononie et la FOlitique, et le rôle ,que Galiani a joué dans la cristallisation de
la pensée de Diderot. Cette tâche est d'autant plus significative l' '
que l'amitié Diderot-Galiani se solidarlse à un ~t critique de l'évolution de la pensée du philosophe.
\
Diderot et Glliani: étu::Ie
d'uœ
amitié philosophiqueABSTRACT
"~.\ .li/i
Il
1 .j /The year '1759 saw the arri val in Paris of the abbé Galiani as
secretary to the t'eapolitan Eintassy. His initial feelings of dis-appointrrent dimini.shed as he was we1c:::c:rneq. in the rrost irrportant salons'
, 0
, \
of Paris, Where he net ~ principal Encycloçédistes, including Diderot. 'lhis thesis is a thoraugh s.tudy of the
in~~ual
and human association l::e~n Diderot and Galiani: the circurnstances of their encounters, especially J:e~ 1760 arrl 1769 when G3.liani wa.s forcedf
ta return ta Naples; their mutual fr~ends, and the areas of a:::mron interest which attracted these tw:J encyclopaedic
miros,
su:::h as lit.eratuœ, especially the theatre 1 the arts and Antiqui ty 1 science,eroronicS l 'FOli tics
am
philosophy.1
l ,
Alon:r with a systerratic analysis of these flel,ds of rmltual inte~st,
, • 1
the aspects C?f G3.liani 1 s personality wmch attracted Diderot ta him have
been stt.rli.ed. Particu1ar 6I1phasis is placed on what Diderot Iearned fran Galiani, e5feCially in econcmics and politics, and the raIe Glliani played
. ,
"-in the crystallization of Diderot 1 s thought. This is all the rrore sig-nificant in that the Diderot-Galiani friendship
wë3:5
consolidated at a critical point in the developrent of the phi1osopher1s th:Jught. ,•
l ,
"
1 REM E R CIE M E ,N T S "
Je tiens à remercier:
Le Conseil
dEi
recherche~
en sciences humaines du Canada Le Centre interuni ~rsi taire dl études européennes à r-bntréalLes. Professeurs Michael Cartwright et Jean Terrasse du
Département de langue et littérature françaises à McGill.
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---} , b ]1,"
IiI
l'
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'~\
\'\TABLE DES MATIERES
Ch\3,P
iT
l IntroductionChapitnr II Le Théâtre
\
.
. .
Chapi tre
III
&hanges l i btéraires.,
" ,:
1
27
. . • . 69
Chapl. tre ]V L'Antiquité
. .
. .
• • • • • • • 110Chapitre V La Philosophie' '. .~ .- -. • • 155
Chapitre VI Les Dialogues sur le cx::mrerce des blés • • • • 197
0mPi tre
VII
La Poli tique • • • . • . ... . . • . . •• 261Olapi tre VIII La Science . . . .'. • 304
Chapitre IX Conclusion • •
.
. . .
.
. . .
.
.
; • 331 .Ap:I?E=I1dices • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 348 Bibliographie . . . . . . f; . . • . . . • • . . • • • . . • 361 . f ' 1 ~/
1 1 CH' À 'p l T R E l INTRODUCTION
/
" /r
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~...
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"'1
1
2
-o
canbien rres amis nE sont nécessaires!Sans eyx, Iron.c:x:>eur et ITOn esprit seraient
muets.
C'est par cette phrase-clé que Diderot révèle un aspect fon~tal de sa personnalité cx:rnplexe: l' imp:l;:tance prirrordiale de l'amitié. la présence de ses amis sera une,' ressource indis~n-;-sable pour stimuler les ~iche~ses de sa vie érrotive et intellectuelle; rien ne l' an.iIre autant qu'un, échange d'idées avec tin être cher.
Plus cette personne sera
difi~rente
de lui-ITÊme, plus son esprit\
s'échauffera à la discussion ef y puisera son inspiration: il suffit de lire quelques pages du Neveu de Rarreau pour en convenir.
,
\
:. C'est Diderot qui aide Fous seau \ à donœr l'essor aux idées maîtresses
.
\du Discours sur les sciences et ~es arts, lorsque ce dernier rend visite
à son ami incarcéré à vincennes. \ C'est à sa longue association avec
Grimn ~qui se prévalait sans rough du temp~ et du talent de Diderot)
\ ,
que nous devons les magnifiques pages des Salons lesquelles n'auraient
,
, , \
jamais été écrites sans l'insistance de Grimm et le dévouement dè Diderot. Ce n'est pas uniquerœnt le contact avec ses amis masculins
1. Lettre de oovembre 1769 à M'rE de M;l.ux, CoFrespondance de Diderot éd. Georges Roth, IX (Paris: Ed. de Minuit, 1963), 205. L'ortho-graphe a été modernisée partout.
3
-Crul net en branle les ldées de Olderot; la lettre citée cl-dessus en
, e est la preuve. Sophle VdLland,
~ut,
lnspire les plus belles lettres de la correspondance de Olderot;'oes pages manifestent la conflance qu'll<l C
,Ct en elle et lè désir de lm faire partager toutes les
~slOns,
les 9plrdons qrn traversent son esprit.idées, les
sa cocresf?ndana=; avec Sophie que nous tDuvons rea:mstrulre la Vle
quotlmenne telle
cru'
elle ~e dé roul a l t au Grandval, chez le baroncl' Holbach, ou à, la Chevrette, chez r~ cl'
EPinay.
Voici un Olderot'"
détendu; à l' abrl <6es occupations harcelante,s de la vllle, qUl
s "élOlgne de ses 'canpagnons lX>ur confier à Sophie ses réflexlons'
• _~ D
R
sur les ce~vres qu' 11 rédige ou sur les con!=€s et les conversatlons
/
.
auxquels 11 a participé.
Qu'est-ce' qtll attire Olderot au Grandval ou à la Chevrette?
En un l1'Ot, c 1 est la paix., En vllle, sa porte rue Taranne derœure
constamrent ouverte et II est dérangé sans cesse par de!'> lntrus CJUl
vlennent solllcl ter de Jt ' alde, des faveurs, des conseils qu' 11 ne
Q
peut pas refuser. A bon droit 11 se plaint à MTe d' EplDay :
Je SUlS l' hc:mre des ~eureux; il
, semble gue le sert me les adresse. Je ne saurais manquer à aucun; cela
~ est au-dessUs de mës forces. Ils me
""" déFOuillent de non terrps, de ITOn
talent, de rra fortune, de IreS amis
rrêrœ dont ils œ me laissent que les
reproches. Ceux-ci ont l'air de regretter la ];:€rte de ma vie. Mais
"
4
-cette vie, t:ersorme que ces nal"'"
heureux et rroi n'en connaît et n'en peut juger l'errploi. Je pleure souvent ou j'essuie des laures, -tandis qœ ~us riez- tous. I l est
rare que j'aille où je veux, parce ,que j'ai r:€nnis à la bienfaisan~
et à l' hurrani té de.ne prarener à son gré, et je ne Ire plaindrai pas apparemœnt de ce que je souhaite; c'est qu8 nes ~ amis ne
J:8
trouveFltj?ffiélis sur rron chemin.
.
fburquoi leur t:emet-il de le dép:lUiller de la sorte? Pourquoi ne
chasSe-t-il pas les Ïl1p:)rtuns? I l s'expliqtE ainsi
dani?
la rrêmelettre:
"Quo!
qu'ils en disent L'Ses arrù.~ï, ils ne'ne persuaderont pas qu'il vaille mieux écrire une ligne, rrêrre subliJre, que de faire une lxmnea~tion.
,,2 Nanbreux sont ceux qui onts~~ofit
,du cœur trop généreux de Diderot. Et f chose surprenant~, il estlui-rrêrre conscient qu'il est exploité par une foule de géns qui lui 'sont
indifférents:
Je vois les projets des haTrnes, et.ro' y
prête souvent sans daigner les désabuser sur la stupidité qu'ils rœ supposent. I l
suffit que j'aperçoive dans leur objet une grande utilité pour eux, assez peu d'inçOnvénient pour !TOi. Ce n'est pas rroi qui suis une l;:éte to~tes les fois qu'on ne prend pour tel.
1. lettre IX:m datée roais probablenent du début octobre l767c-(Roth VII, 156).
2. Ibid., pp. 156-7.
, ~
5
-<>
Au Grandval e't à la Chevrette, par contre, il est maître de
'.
son tenps. "Ses, rotes, qmiqt.E ja,loux des mœents qu'il leur dérobe, respectent pJurtant son besoin d'être seul pour travailler et rréditer; et loin de l'en errp:kher, lui créent des condJ.tions idéales pour le
, .
travail et la détente. ,,1 L' irrp::>rtant , c'est qu'il peut choisir
lui-rrêre le rroœnt de Causer avec les autres invités, sans être la victi.rœ
de l'intérêt qu'il accorde à l'amitié. Etant dormé la diversité de
ces invités, parmi lesquels se trouvent plusieurs anus de longue date,
il est sûr de trouver des opinions fort variées sur une mul tiplicl. té
de sujets. C'est dans ce gen±:-e d' ambiance. ~ Diderot s' anirœ.
~
Manrontel eh est
térroin;.-C'était là
/ëhez
d'lblbachï surtout qu'avecsa
douce et persuasiVe éloquence, ët son visage étincelant du feuœ
l'inspiration, Diderot répandait sa lurru..èredans tous les esprits, sa chaleur dans toùEès les ârœs. O.ri n'a connu Diderot que, dans ~ ses écrits ne
l'a pJint connu. Ses systèrres sur l'art çl' écrire <-altéraient son l::eau naturel. Lorsqu'en parlant il s ' anirrai t, et que laissant couler, de source
l'aroOOance
œ
ses pensées, il oubliait Ses théories et se laissait aller à l' impulslOnqu
rraœnti c'était alors qu'il était ravissant.la sui te de
ce
térroignage contemporain est utileen
ce qu'il ITOntre"
.
jlJ.SCIU'à qœ1 point Diderot est prêt à se dévouer: \
.
\
1. Blarrlire r.t:Laughlin, "Diderot et l'amitié, 11 Studies on Voltaire and
the Eighteenth Centul:y, 100 (1973), 193. " 2. 02uvres pJsthurœs (Paris: Xhrouet, 1807), II, 312-3. ,
...
"~,
-{(. .,.
-; 6 -/"'='1
\ " Il ( Il,L'lin des œaux
~nts ~~Diderot,
c' étai t lorsqu'un auteur le. ~ul
t-: ait sur 'son ouvrage. Si le sujet en
valait la peine, il fallait le voir - s'en saisir, le pénétrer, et d'un
coup-d 'oeil tlécouvrir de quelles richesses et de qœlles beautés i l
étai t susceptible. S'il apercevait qœ l'auteur remplît nal son objet, au lieu d'écouter la lecture, i l
faisai t dans sa tête ce que l'auteur avai t Jl1aIX1Ué. Etai t-ce une pièce de
théâtre? il Y jetait. des scèœs, des incidents rouveaux, des traits de
caractère; et croyant avoir entendu ce qu'il avait rêvé, i l mus vantait l'ouvrage qu'on venait de lui lire, et dans lequel, lorsqu'il voyait le jour, nous
œ
retrouvions presqœ rien de ce qu'il en avaj,t cité. En général, et dans toutes les branches desa:mnaissances hurpaines, tout ,;kui était. si familier et si présent qu'il semblait toujours préparé à ce qu~on avait à lui dire, et ses aperçus les plus soudains
étaient contre les résultat-<s 'd'une étyde récente, ou d' une longue nédi tation.
Si les invitations au Gran;lval et à, la cœvrette ont été fréquentes cela ne veut pas dire que Diderot les acceptait toujours. Trop souvent
l '
son travail pour l'Encyclopédie, pour la Corresrondance littéraire ou
encore pour quelqœ quémandeur le retient en ville. Paris étant , désert aux rois de juillet et d'août, on croirait que 'Diderot pouvait travailler pour son propre ccrnpte en toute trarquilli té., Mais i l n'en
est rien: nêœ ses a)1lis le font travailler. 2 On carprenç:l alors qu' i l
1. Ibid., p. 314.
2. Voir Georges May, Quatre Visages de rems Diderot (Paris: Boivin,
"
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)1 - 7 -\
cherche asile à la carrpagne dès qu' i l arrive à se libérer. Dans
l'ambiance du Grandval ou de la Chevrette, il ~ut satisfaire son besoin de recueillerœnt et son goût tout aussi vif de sociabilité. C'est également là qu'il réconcilie les deux visages de l'amitié
qui surgissent à diUérents :m::xœnts de sa vie et qu'il exprirre si bien dans ~ lettre à Sophie:
o ,
J'en ai pris'un goût si vif pour l'étude, l'application et la vie avec rroi --mêrr€, que je ne suis pas loin ,du projet de m'y
tenir. Tout se compense sans doute en société avec ses amis; une gaie~ plus vive, quelque coose de plus int~fessant,
de plus varié; on se cœmunique aux autres, ils vous tirent hors de vous. Voilà le beau ~côté. fuis canbien de fois l' arrour-propre blessé, la délicatesse révoltée, et une infini
té
d ',autres ~ti ts' œgoûts ~Rirn
de cela dans la retraite èt la solitude.
q
A ra 'campagne cette lutte périodique, ,se dissi~. Le matin Diderot se lève tôt et i l travaille jusqu'à une' heure sans interruption. Plus i l
~
.
desoend au salon où il rètrouve se~Lhôtes et déjeune en la compagnie des autres invités. Ce sont des déjeuners longs et agréables ponctués
de discussions suF une multiplicité de sujets qui se prolongent au cours des' prcrrenades ou des jeux de l' après-midi et de la soirée. Les lettres gu' i l adresse à Sophie
mus
penœttent de participer à cesV \ /'
journées de détente, de renoontrer les invités, dont certains sont,
• 't
o
·
",8
-ou dey~endront , des anus de Diderot, d'apprécler,les conversatlons
-(
ou les plaisanteries,(l
~
Ol.ez MIe d'Epinay et chez d'Holbach, le groU[e des lnvltés est plutôt cosmopolite: le baron est d'origine allemande, 11 y a
l'anu intirre Qe Dlderot, Frédénch-M::üchior Gnrrmi le Père Hoop est Ecossais, Au cours des années l76f} , d' Holbach lnvi te à sa Tnalson de
~llle,
"le !3ynagogue de la rue Royale" dlra Dlderot, plusleurs amis d' outremanche dont notre auteur fait la connalssance: John Wllkes,"
David Hurre, David Garrick, Iaurence, Sterne, Horace Walpole et le peintre Allan Ramsay. L'Italie est représentée par le docteur Angelo Gath, installé dès 1761_GI). France, par Cesare Beccana, par les frères Vern, et
pa;:-
l'abbéFerdinando Ga.liani, qui devient par la SUl te unami lntirœ de Diderot. Son nan reviendra $)uvent sou~ la plurre du
philosophe.
Ibus ne pouvons préclser avec exactltUde ru la date Dl le heu
~ 0 7
de la première rencx:mtre de Galiam avec Diderot, Irals-ll est fort probable que ce fut dans un des salons où, dès le début de son séjour,
Gallaffi devint rapiderrent un des invités préférés'. En général Diderot ,n'est pas attiré par les salons, d'une part parce que le temps lui
IPa11qUe et d'autre part parce gu' i l se sent IPal. à l'aise ,dans une
o
atrrosphère où le naturel est banni et où la rrondanité et la vanité
~ ,
prédaninel;t., Chez le œron d' lblbach, la si tl,la tion est fort différente. Diderot explique PJurquoi dans une lettre à Grimu:
9.
-Voilà la rue Royale-Saint-Roch; c'est là
que
se
rassemblent tout ce que la capitale renfenœ d' hormêtes et d' habûes gens. Ce n'est pas assez tx>ur trouver cette porte ouverte, que d'être titré ou savant: i lfaut encore être J:x:m. C'est là que le ccmrerce est sûr: c'est là qu'on par le d'histoire, tx>litique, finance, belles-lettres, philosophie; c'est là qu'on s 'esti.n"€ assez pour se contredire, c'est là qu'on trouve le vrai CO SlTOtx> l i te, l' h::mne qui sait user de sa fortune, le J::on J::ère, le !::on ami, le bon époux i c'est: là que tout étranger de quelque nan et de quelque rrêri te, veut avoir accès et peut canpter sur l'accueil le plus doux et le plus IX>li •.
C'est probablement chez le baron que Diderot fit la connaissance de Galiani, que GriIrm et l'ambassadeur du Danermrk' à Paris, Heinrich
l
Karl von Gleicœn, avaient présenté à d'Holbach. ,L'abbé remplit
\
plusieurs des
exigen~
de Diderot: au cours deso~
\ séJOur àP~is,
"- '
i l s'établit un' grand respect ITlUtuel entre lui et les rrembres de la coterie holbachique, lequel ne put que s' affennir pendant leurs
,
'
séjours à la campagne.
Il faut pourtant adzrettre que pour Galiani la ~gne n'est
r pas son lieu de prédilection. Un jour que Diderot se trouve au
Grand-'val, tout heureux d'y être, i l voit arriver l'abbé, "un des h:mres de l'Europe gui a le plus d'esprit, de connaissances et de gai~té. Il
\
~.
10
-"Bon, dis-je, voilà un excellent colon qui nous vient le soir. Il Je vis qu Ion
''if 'rrettait les chevaux à la voiture: "Cœrrent,
,- lui dis-je, cher abbé, est-ce que, vous vous en retournez?" "Si je mien' retourne! Ire rérx:>ndi t-il , je hais la campagne à rrort
'~t Ire jetterais dans le canal si j 1 étais-condamné
t
passer jei un quart dl heurede plus." ~
Plus tard Diderot canprend: "Galiani aine la ville où il est perpétuelle-rœnt en sr:ectacle. ,,2 Mais
lorsqu_~ ~l
arrive à surm:mter son avef'9fon~()./
pour la campagne, il fait la joie des invités et de Diderot surtout qui
goûtait fort ses a:m~s et: ses plaisanteries. Èn autanne 1760, Diderot s 'enthousaisrœ dans ses lettres à Sophie. D' al::ord de la Chevrette, i l
écrit:
Je disais fIes arbres du parc de Versailles qu'ils étaient hauts, droits et minces, et . l'abbé Galiani ajoutait: Came les courtisans. L'abbé est ~népuisable de rots et de traits plaisants. Clest un,trésor dans les jours pllfVieux. Je disais à M3.de dl Epinay que, si l'on en faisait chez les tabletiers, tout le IlV}nde en voudrait avoir un à sa campagne.
Il transcrit ensuite pour Sophie l'histoire que Galiani avait racontée au sujet des "cochons sacrés" à Nap~es; et i l ajoute:
1. Note à propos du "'l'enple de bonheur" de Dreux du Radier, Oeuvres con-pIètes de Diderot, éd. Assé,zat-rourneux, VI, 438-9. Toute citation reprise à cette édition sera indiquée par l'abréviation A.-~.
2. lettre à Sophie Volland, 4 octobre 1767 (Roth V;II, 157-8). . 3. Lettre à Sophie Volland, 30 septenbre 1760 (Foth III, 104).
1
"
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"
i1
1
-11-Ce nlest pas rroi, clest l~9Pbé qu'il ~'7 faudrait entendre. Le fond est
misérable en lui -nêœ, nais il prend entre ses nains la couleur la plus forte et la plus gaie et devient une source inépuis?ble d~, tonne plîisanterie
'_ 1 et rrêrœ quelquefois
dé
rrorale .• (l
Qui est ce petit abbé Galiani (il ne ~sure qœ quatre pieds e ,
demi) qui va enchanter les habitués de certains salons parisiens et s 'irrplanter à Paris à un tel JXlint qu. 1 il se sent: cc:mre exûé quand
il
rentre~chez
lui à Naples en 1769? Il n'est abbé que de nan.2Très jeune, i l se passionne pour l'éconanie. A vingt ans i l publie
rella M:meta, ouvrage sur la valeur rronétaire, qui lui vaut la réputa-tian de penseur original et bien inforné dans toute 11 Italie. En plus
,
'de l'éconanie, son érudition encyclop§dique engloœ le latin, le grec, l 1 espagnol, l 1 anglais, 1 'hébreu, les mathématiques, la jurisprudence,
ta musique, l'archéologie et la numismatique, connaissances qui,
ajoutées à son esprit et à son persiflage, ne peuvent que plaire à
"1
ceux qui feront sa oonnaissance à Paris. On voit dans son éducation
1. Ibid., p. 105.
2. liOn Cl.ccorda à Ferdinand
Lgrâce
,?-ux démarcœs de son oncl§ï le bénéfice mitré de Centola et l'abbaye de Saint-Laurent, qui , valaient cirq cents ducats de rente; pour en jouir, i l dut prendre les ordres mineurs, les seuls qu'il prit jamais; et clest grâce àune disp::mse de la
cour
de R:Ire et de celle de Naples qu 1 i l eut leti tre de 'oonseigneur èt l' oonneur de la mitre i i l avait vingt ans 1 ,et ni avait jamais fait d'études th2olog1ques. Il Introduction à la
'Correspondance de l'abbé G3.liani, éd. Lucien Perey et G3.ston Maugras : O?aris-: ·Calmann
rAvy,
1881), I, xviii. Cette édition sera indiquéepar ,PM.
/
\ \ c 12 -.jla trace des réunlons qul eurent lleu chez Son oncle Celestino Gallani, archevêque de Tarante / prenuer aum5ruer du rol et préfet des Hautes-Etudes à l'Uruverslté de NSlples. Ces réunions groupaient des érudits
r
nap::>litains tels que Marcello, CUsano, jurisconsulte énunent, le célèbre Mazzocdu, grand latlruste et un des plus grands hurn:mistes de son temps, Bartolc:rœo IntIeri et le rrarquis Rillucd.fil, spéclalistes, d' éconOflUe poli tlque, Genovesl, Capassi, Serao et Vico. 'Ibut jeune, Gilianl s'entretenalt avec ces savants sur une foule de sujets. Il
1
n'est donc pas étonnant qu'li ait pu formuler des idées aussi,origlnales
que celles qui se trouvent dans Della }b~ta (1750) ni que ses écrits
ultérieurs soi~nt de nature tellerœnt variée: le traité Della perfetta conservazione deI grano parut en 1754, une dissertation sur l'histoire naturelle du Vésuve et lille autre sur la peinture des anciens en 1755
r"
et, pour ne rœntlonner que ses pnncipaux écrits de jeunesse, une
oralson funèbre de BenoîtXIV (Delle lcx:h dl papa Benedetto XIV) en
17 58/ rrorceau que Dlderot estlJT'e "pleln d' élc:x:JUence et de nerf. ,,1 Après l'avoir connu pendant dix ans Diderot peut écrire:
Je connalS peu d' l1arIœs qui aient autant lu / pl us réfléchl, et acquis
lJJe aussi ample provision
de-cormais-sances. Je l'ai tâté par les côtés
1. Lettre à }bnsieur
***
datée fin rraL1771 {Ibth XI, 49}.t
o
,
-13-"
qui Ire sont familiers, et je ne l'ai
trouvé en défatlt sur aucun; sa pénétra-tion est telle, qu'il n'y a pqint de
matière ingrate ou usée pour lui. Il a le talent de voir, dans les sujets les plus çcmnuns, toujours quelque
face qu'on n'avait point encore \>'
observée; de' lier et d'éclaircir les plus disparates par des rapproche-rrents singuliers, et de trancher ies
~ ~
dirficultés les plus sérieuses par
~
\,
des aPJlogues originaux dont les esprits superficiels ne sentent pas to':lte la portée.
Ces qualités n'avaient pas échappé à Bernardo Tanucci, premier ministre et ministré des affaires étrangères à Naples. Le 10 janvier
\ 1759 il déCide de .ocmœr'Galiani au poste de secrétaire d'ambassade,
auprès du cante de Cantillana, ambassadeur à Paris du
~yaurœ d~S
n,\ll{ Siciles. Ce poste, qooigue san: gloire,
~rtait
unemi~SiOn
importante, celle de faire des rapports confidentiels à Tanucci tous les événerœnts poli tiques à Paris et sur le cCIllpJrterœnt de Cantillana, dont Tanucci se rréfiait. Cette surveillance discrète fut accanplie sans relâche par Galiani pendant dix ans, de 1759 à 1769, avec une interruption entre le début de 1765 et novembre 1761.. Ibid" pp. 50-1. Ses dons poétiques ne passent pas inaperçus oon plus: i l cxntp:)se en qœlques minutes un sonnet à l' honneur du prince héréditaire de BD)nswick et Grimu est enchanté: "Ce sonnet m'a paru très œau, très\,hamonieux, très poétique. Je"pense que
~tastasio ne le désavouerait pas s'il l' avait fait." Corresp::mdance littéraire, éd. H. 'Iburneux (Paris: Garnier, 1879), VII, 23~.
14
-lorsqu'il rentra à Naples pour des raisons de santé et où, après son rétablissement, le roi le nomma conseiller auprès du Tribunal de Ccmœrce. Son retour à Paris r~jouit ses amis; Grimn écrit:
NJus avons vu avec la plus grande satis-faction M. l'abbé de Galiani revenir ici de Naples au mois de novembre dernier, après' une absence de dix-huit mois, et reprendre ses fonctions de secrétaire d'ambassade du roi des Deux-Siciles. C'est un des trois ou quatre hommes qœ je !Te félicite d'avoir connus, et
qui
sait réunir l'étendue et la profon-deur du génie et la variété des connais-sances à tous les a91éments de l'esprit , et de l'imagination. .---Sa nanination tant espérée à Paris fut une déception., Arrivé le 7 juin 1759, il constate rapidement que Paris ne ressemble en rien à son cher Naples. En plus, là-ms i l avait déjà acquis une réputation,
,
i l s'était fait un ncrn, tandis qu'ici à Paris, c'est un inconnu. Au désesPoir i l se plaint à Tanucci, d'abord des conditions physiques:
La rnia salute qui non sup9ra i difetti deI si to con tanta forza quanta io vorrei. Verarrente l' irrpresa è dura. Pessima e pesante aria, velenose acque, incredibile stranezza di clima, non neve, non frutti, non cacio, non delizie ffi3.rittirre sono tutte violenze fiere ad une macchina napoletana:
1. Corresp:mdance littéraire, VII, 239.
- 15
--mà
la'più dura è la violenza fattaqui continuaIrente alla natura, e i lacerarœnti c~e soffre i l mio pavero senso comune.
IJ
.
', Ensui te c'est de la fri voli té des Parisiens qu'il se plaint:
Ma quelle notizie'che forse in altri paesi conducono al rischiaramento delle case serie, qui arrivano a una frivolezza caS1 stomachevole, che l'anima si ributta non che dallo scriverle, rra dal volerIe sar::ere. E veramente a, che pro saperle? Sarebl:e uno stare a contare l'onde deI mare, il tener dietro alla volubilità e bagattelle d'un po~lo pieno d'impieto, e di superficialità. ,
Lorsqu'il est appelé le 19 juin par le duc de Choiseul, le rrumstre daigne le regarder "r::er un minuta secondo" i Galiani, blessé dans son arrour-propre, esr:ère tout au noins que le ministre n'examine pas. les affaires ccmœ i l a examiné sa personne, "sarel::be troppa
s'uperfici-1. Lettere di
Fer~do
Caliani al ItBrchese BernëÎ.rdo Tanucci, éd.A. Bazzom (Florence: vieusseux, 1880), page non nurœrotée.
"Ma santé ne sunronte pas les défauts du lieu avec autant de force que j'aurais voulu. C'est vrairrent une tâche difficile. Mauvais air, eau détestable, un climat bizarre, le ~ de neige, de fruit,
de frarage, de fruits de rrer, tout fait violence à non tempérarrent napolitain: mais la plus cruelle est celle qui est faite sans cesse
à non naturel et ~ non pauvre sens cc::mmm."
2., Thid. "Les rensei~ts qui dans d'autres pays ronduisent à éclaircir les choses sérieuses, aboutissent ici à des faits d'une frivolité telle-rœnt 'écœurante, que l'esprit est dégoûté non seulerrent de les écrire, mais de -les savoir. A quoi bon d'ailleurs? Mieux vaudrait essayer de compter les vagues de la rœr, que de chercher à connaître toutes les niaisenes qui occupent un peuple rrobile, superficiel, et plein tout
'"
; '
16
-alità. ,,1 Son am::lUr-propre souffre de oouveau lors de sa présentation
à Versailles. Vêtu d'un habit ,de gala, les courtisans rirent de sa petite taille i 'il s'en aperçut, et dit au rrarent où il saluait le roi: "Sire, voici l'échantill~:m du secrétaire de Naples, le secrétaire vient
...
après." I.e roi rit, aut.3nt que les éourtisans.2 C'est peut-être en
.
,pensant à cet incident que Galiani écrit à Tanucci un peu plus tard
qu f i~ ne s'est point adapté à son nouveau milieu:
la sono già dis~i1gannato, e conosco, che non sono tagliato per Parigi. . L'abito, le fattezze, il cara'ttere,
la maniera di pensare, e tutti gli al tri miei naturali difetti mi
renderanno sempre qui insopportib~le ai Francesi e noioso a ne stesso.
Lé
découragerrent du petit Secrétair.e d f ambassade raillé, incormuet obscur ne dure fXJurtant pa.s, précisérœnt (et paradoxalerrent) ~ cause
de ce qu'il considère cœrre des défauts. Ce sont
~
'~rfections
qui ~ une fois qu'il est présenté dans des salons, garantissent son
1. Ibid. ~~
2. Introduction à la Corres[X)ooance de Galiani, p. xxv.
3. lettre du 30 juillet 1759 (Bazzoni, page non nU!TÉrotée). "Je suis détranpé, et je reconnais que je ne suis r:oint fait pour Paris. fun hab~ t, rres traits 1 rron caractère, ma manière de penser 1 et
o tous IreS défauts naturels, rre rendront toujours ici insupportable,
aux Français et à roi --nêrre • "
o
"-t
17-son succès. On le trouve chamant, original, piquant, et' quoiqu' "i l , ,
n 'Lappart.i~7 pas à tout le rronde de saisir sa plaisanterie," came dira Diderot, l
il
ne tarde pas àae~nir
l'invité cooyé de plusieurs salons importants, chez Mme Geoffrin, chez ,Mme Necker, ou bien encore chez Helvétius. Diderot explique p:mrquoi:\
.'
~ , (
L'abbé Galiani entrr.' et avec le gentil
abbé, la gaieté, l' irragina tian, l'esprit , la folie, la plaisanterie, et tout
2ce qui
fai t oublier les. t:eines et la vie.
Quelle impression a pu produire sur Galiani sa première ren-contre avec un .Diderot déjà fort connu par son dévouerœnt à l'Encyclo-pédie, nais dont la réputation littéraire restait en' grande partie à faire?, Sans p::mvoir donner de date précise, nous supposons que ce fut à la fin de 1759 ol au début de l'année 1760 qu 1 ils firent
co~iS-3
sance. IJ: ressort de sa corresr:Ondance que Diderot est porté au décauragerœnt à cette ép:que. L' Encyclopédie, condarmée par les
;
autorités depUis le rois de janvier 1759, reçoit un coup à première
1. Lettre à tbnsieur ***, fin
ffi9i
1771 (Roth XI, 51).2. 'Lettre à Sophie Volland du 2'5 novembre 1760, écrite de la Chevrette.
chez M're d'Ep:i..nay (ibid., III, 268).
3. Un fragrrent de la lettre que Diderot envoie de la Chevrette le 20 septembre 1760 à Soplue Volland nous pousse à süggérer cette date, car nous lisons: ilL' abbé Galiani vient d ' arriver. Ses contes ne m'amusent plus comœ au.pat'avant," (ibid., III, 75-6) ce qui indlque que Diderot connaissa1t' Giliani depuis déjà un ëertain temps.
18
-vue fatal lorsque .le Conseil d'Etat décide, le 21 juillet 1759, que les éditeurs rembourseront les scmœs dér::osées par les souscripteurs.
, li
,
"'-Au cours du rrêre été, le père de Diderot rreurt. M§rœ ses amis semblent '
J ~
l'abandonner ou, tout au rroins, le décevoir: d' Alernœrt quitte 1 'entre-prise encyclopédique,
il
y a brouille avec Rousseau, et rrêrœ par-
.~ts avec Grinm, qui le surcharge de travail. Au cours de l760~ \. l'optimisme de Diderot, sa croyance en la perfectibilité de l'hcmre et en sa ronté naturelle, çèdent la plaoe au doute èt au scepticisne.
\ .
Ce n'est qu'en 1765 que le philosophe souriant et optimiste reparaîtra.
Quoi d'étonnant si Diderot se lie alors avec un homme originaire
.
d'un pays si différent de la Franoe, un harrre dont l' hurrour parfois
oouffon surprend, l et qui le Çlivertit de ses préoccupations accablantes?
On canprend sa joie quand il voi b arriver son cœpagnon au CXlurS de ses séjours à la campagne en autanne. Ole les lettres à son amie éloigné~ soient parsemées de CXlntes et de oons rrots de l'a1:::bé, indique que Diderot apprécie beaucoup plus l'originalité, la gaieté et la spontanéité de Galiani que l'esprit lourd de certains·de ses
contem-porains:
1. Voici cx::mœnt Diderot décrit Galiani dans une lett~ à Sophie: "L'abœ est petit, gras, potelé; un oertain" Ascylte de votre connaissan~; un certain Lycas de votre connaissance 6)ersonnages
de Pétrone/, s'en seraient bien accœm::xiés autrefois. Il (Lettre_
du 21 novëmbre 1760, Roth III, 258). '
\
J'
\ '
,- 19
a
J'aine mieux encore le petit abbé avec ses contes,' que tous les MarnDntels' du m:mde aveè leurs bruyantes dissertations. Pendant que ces gens là s'égosillaient à disputer, il disait: "Un jour un h:mœ avait un beau violon sous Son bras. Quelqu'un s'approche de lui et lui dit: Vous avez là un bel instrurrent; vous en jouez apparemœnt? -Je ne saurais que vous dire, répondit
1:'
autre; car je .n 'ai janais essayé."\
ç'esf avant ~gpt le tour imprévu de la conversation de Galiani ~
fait la joie de
se~
auditeurs parisiens; de nanbreux térroignages•
-
r
o
contemporains l'attestent, dont cetui de Manrontel:
"
Ces contes avaient toujours la j~tesse de l'à-propos, et le sel d'une allusion
irnprévuê et ingénieuse. Figurez-vods, avec cela, dans sa manière de conter et
dans sa gesticulation, la gentillesse la plus naïve, et voyez quel plaisir devai t nous faire le contraste du sens profond que présentait le conte avec " l'air badin du conteur. Je n'exagère
point en disant qu'on oubliait tout pour l'enZendre, quelquefois des heures entières.
Ici Marmontèr effleure le secret du succès de Galiani à Paris: le contenu de ses contes n'est pas toujours du rœilleur goût, certains
"
sont rrê.tœ ~cabreux, les personnage~ qui y figurent sont très souvent
1. lettre du 30 octobre 1762 à Sophie Volland (Roth IV, 204). 2. Mcirmontel, Mémoires, II, 122.
".
1 l
\
!
I,I\20
-des eccléslastlques richcullsés, meus II utllise ses contes fûur
<
lllustrer une ma.xirre ou [Dur dérrontrer la fausseté dl une ldée pré-conçue. Il nI y a aUClme fri voli té chez lUl. CI est à pr0l=?s de la
"
phüosophle, de la rrorale ou de la poll tlque que ces apologues rabelalsiens lUl Vlennent à l'espr1t et Dlderot l'avéllt blcn sa1Sl. "Pour cette fOlS," écrlt-ll à Sophle, "Je vous apprendra1 à connaître l J
abœ,
que p::ut-être vous n'aurez regardé Jusqu'à présent que cc:mœo . un a~éable pollsson.
1
\
Il est nueux que cela. "l'A d' autres occaSlons, .l i refute les athées par son conte1des dés PlP§S, les fanattques
p:tr sa déflmtlon des sectes., et les ap3tres du contrat, social, en app21ant leur llberté "le drolt de se rrêler des affaires d' autnri. ,,2
Le ton des conversatlons de Gallani correspond exacterœnt à ce que Dlderot va prôner lui --rrêrne après avoir goûté pendant une dl zalne
-,
" dl années ses tral ts plalsants:
I l faut souvent dermer à la sagesse l'air de la folle, afln de lUl prQC1.irer ses entrées; J'aliTe mieux qu Ion dise: "fuis cela nI est pas Sl 1nsensé gu J on croirai t
blen", que de mre: "EcJ>utez blen, V01Cl des choses très sages."
1. Lettre du 20 octobre 1760 (Roth III, 166).
2. VO'lr l J Introd\lctlon à la Correslxmdance de Callani, p. xxxi v .
'1- Nous avons donné le. texte entier du conte des dés pipés dans notre Appendlce 1 ..
3. Lettre à .sophie Volland du 31 août 1769 (Roth IX, 127) •
. . ~ " , .
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:,;. f' ultLa B.S.N.S.P. se trouve au quatrième étage à gauche
---·-1 1
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..
. • -c-1 21-.
'M:ris Diderot derœure conscient que tout le rronde ne peut saisir la
fine plaisanterie. Gdmn est du rrêre avis; il écrit à Galiani
lui-rrêrœ,:
Peu de gens sont dignes de vous airrer.
c'
était la m::xie, lorsqœ vous étiez à Paris, mais les trois quarts ne vous sentaient pas, ne vous entendaient pas', ne vous canprenaient pas, et faisaient les engoués parceque
c'était lamode.
I l en arrive autant à tous les hœrres , de génie: car ne croyez pas que ceux dont la rœrroire est consacrée et dont le non est devenu un objet, de cutte soient plus généralerœnt sentis.
C'était peut-être une rrode que d'admirer la, virtuosité de caliani,
mais nanbreuses sont les louanges de ceux qui avaient l'occasion de
l ,... ecouter a . ar:Ls. ' P ' 2
Galiani est conscient de son talent et de son
original-1. Lettre du 15 novembre 1772. Corresp:mdance inédÜ:e,. ~ , Frédé:r;ic r-Elchior Grirrm, éd. J. Schlobach (Munich: Fink, 1972), p. 197.1 2. Par exemple, celle du ceinte de Schan1::Erg qui écrit à caliani le
15 avril 1770: "OUi, Iron cher Abbé, je dis. le rrot et la chose: de tous les gens d' espri t qui vous connaissent, qui ont pu vous connaître,
i l n' y en a pas un que vous ni ayez cha.rm§. Tous les tons esprits vous
admirent. Plusieurs ont dérrêlé en vous l'hi:mTe sl.l.p§rieur et W1iversel. Il
Cette lettre inédite
Se
trouve parmi les ffi3I1uscrits de caliani conservés à la Biblioteca della Società nafX)letana di Storia Patria (BSNSP) àNaples. . .
<
(J
( <,< ' t ' 1 1 e. "J
22-Il sait que s'il peut parler, son auditoire est conquis à "
l'avance et i l ne risque plus de tanl::er dans ce ridicule
qui
l' avai t froissé, à Versailles. L'important, c'est qu'on l'écoute. C'est exacterrent ce que fait Diderot; et 'sans .regrets: "Il parlevolonti~rs
et-longt~;"
écrira Diderot plustard,~~'rœis
quand on aine à sg.nstruireon ne l'accuse Pl'lS d'avoir trop par lé. ,,3
" ,
>
Cbmment Dide~ apprécie-t-il les monologues de Galiani? Le~té
burlesque et spirituel, nous l'avons vu, enchante le philosophe. " Mais que~nse-t-il
dufo~d
de la pensée de son afui? Au cours de cetteétude nous essayerons de découvrir si, malgré les opinions profondé-rœnt dissemblables qui les séparent, i l existe entre eux
des'lÎi~s
1
qui dépassent ces différences. Galiani n'est pas pour Diderot qu' \)J1
conteur éblouissant. C'est un éconaniste averti qui
l'
ini tie aux secrets d'une' nowelle science; un diplana.te et un lx:mœ politiqueaussi cynique que lucide, qui lui révèle les dures réalités du fonctionne-rœnt d'un état. Cela n'implique pa.s que Diderot accepte aveugléfonctionne-rœnt
1. Dans une lettre à Grimn (la date n'est pas claire) il écrit: "Vous voulez un Ix:>n rrot pour non portrait ... Pour noi je
m'appliquerais ce vers italien: Che sol se stesso, e null' al tro saniglia." (Lettre autographe à la Bibliothèque nationale de Paris, N.a.fr. 6594, fol. 58).
2. Un conterrporain l' avai t ranarqué et écrit à Galiani: "Vous aimiez assez Diderot, parce ~, disiez-vous, il savait vous écouter." (Lettre autographe du CQT1te de Sch:xrberg datée du 26 novembre 1771,
à la BSNSP). <
'.
/
23
-/
/
les opinions dei Hani. Au contraire, i l regimbe contre le machiavél-iSrre, 'les idée~ sur le colonialisme, et souvent les idées norales de
1
son ami italien. M3.is le heurt de leurs opinions, se :révèle utile
,
pour DideDPt puisque ce choc perrœt à sOn esprit de réfléchir sur ; _ 1
des d:mcepts qui jusque là étaient restés assez flous. Ensui te i l
fo:rnnlle de façon plus précise ses propres idées. ilL'
abœ
pènse et1
nous fait penser," écrit Diderot dans son Ap?lCXJie de l'abbé Caliani. l Diderot est rapldeJœnt persuadé.-par Caliani que' les abstractions et les théories générales sont inutiles: Galiani souligne l'importance
de l'expérience vécue qui est essentielle à la formulation d'idées
/
précises basées sur les circonstances et les faits j;ertinents.
--- Dans le domaine de la politique et de l'économie, ~es r~rts
.
-entre Galiani et Diderot sont plutôt des rapPorts de ffi3.Ître à élève,en raison de la grande expérience déjà acquise par Caliani.· Dans
d'autres matières, leurs rapports s'établissent sur un pied d' égali té, leurs connaissances respectives se complètent. Par exerrple, nous
-.1 !
verrons qu 1 au cours d' une visite au Salon de 1761, leurs vues arti~tiques J
divergent mais ne se contredisent pas: Güiani parle avec
autori~~:
de la peinture classique, ffi3.is i l ne s'ensuit pas que Diderot soit1. Diderot, Ceuvres politiguE=s, ,éd. P. Vernière (Paris: Garnier 1 1963)
/
o , " ' o,/
- ~4-nécessairerœnt de son avis. Il trouve les opinions de caliani
ôrigin,ales et se doflne la pëine de les anal yser dans ses canptes , rendus des Salons.
Par contre, FO~ ce qui touc'he à l' Antiquité 1 Diderot n' hési te
pas à recormaître en Gâliani son égal, sinon son sUFérieur. Au moment où il préparera son voyage en Russie, il consacrera un temps précieux à ~édiger une très longue lettre dans laquelle il lui demandera son avis sur l'interprétation d'une ode d' Horace. Diderot n'est pas in-sensible d'ailleurs aux opinions de son ami sur la littérature contem-FOraine; on le trouve à plusieurs reprises en train de lire des oeuvres italiennes suggérées par caliani.
Diderot connait:-il bien L'italien? En parlant d'une de ces ~uvres, un poèrre intitulé Ricciardetto, dans une lettre à Sophie, il ne laisse pas de doute à ce sujet: il apprécie tant la beauté de la langue italiénne que, malgré son envie de traduire des rrorceaux du ~ fX)ur sori amie', 'il sait que la tâche est impossible:
Toutes'ces fleurs délicates là se fanent entre IreS mains. Ces auteurs là qui chanœnt si puissamœnt nos ennuis, qui
mus ravissent' à IDUS-rrêmeS, à qui Nature a mis en main une baguette magique dont
ils ne nous touchent. pas plus tôt que~
,.
- 25
l,
nous oublions les maux de la vie, que les ténèbr~s sortent de notre ârre, et que nous somœs réconciliés avec l'existence, sont à placer entre Ils bienfaiteurs du genre hLnlBin.
•
De plus, deux térroignages contemporains confinrent que Diderot connaît l' italien. D ' al:ord, lorsque le canp::lsi teur italien Duni présente à
/-Diderot le drarmturge carlo Coldoni, probablerrent entre l'automne de'
cr
1764 et le printemps de 1765, une dispute s'élève entre les deux
,"
écrivains que Duni interrompt en ci tapt Le Tasse en italien. Coldoni
note: "M. Diderot, qui entendait assez l'italien, semble souscrire de
~ \
bonne grâoe à l'avis du poète italien. ,)
~uxiènerœnt,
G:üianilui-rrêrœ écrit à Tanucci que Diderot connaît "abbastanza" (assez bien)
l' italien et
qu"Ti~rrairre.
3 K l'exception de quelques expressions familières qui parsèrrent sa corre~pondance, par exemple "piano di""'"
\grazia!", le seul exerrple de l'italien écrit de Diderot se trouve
l';
dans, le chapitre XLVII des Bijoux indiscrets: cette page révèle un bonne. connaissance de la syntaxe italienne et de ce que Busnelli appelle "les véritables ternes techniques du vice et de
1. Lettre du 28 octobre 1760 (Roth III, 206).
1 \'
2. Coldoni, M§rroires, éd. Paul de Roux (Paris: t-ercure de F:rance,
196:5), p. 302.
3. Bazzoni, p. 131.
4. M. Busnelli, Diderot et l'Italie (1925; réirnpr. Genève: Slatkine,
1970), p. 6.
1
1 _ c ·
26
-Carrœ plusieurs penseurs de l' ép:xrue, Diderot et G3.liani s'intéressent à .tout, parfois en dilettante mais le plus souvent,
\ .~, ,
,:-. 'surtout dans le cas de Diderot, de faço~. sérieuse. La. philosophie, la science, la religion, la littérature, les voyages de découverte, rien ne leur échappe, tant est aigu leur désir dl apprendre et de comprendre i leur comœrce se canpose dl une série de fils qui se tissent au fur 'et à rresure qu 1 ils explorent ensemble ou séparérrent ces natières diverses. Nous mus proposons de détacher ces nombreuses fibres qui constituent l'étoffe de leur amitlé et de les ex~r à
la lumière de la société dans laquelle ils vivent au moment où Galiani est à Paris.
f
/ CHAPITRE II
,
L E THEATRE / / !/
"
.
.
28
-wrsque Galiani s'installe à paris, Diderot est déjà connu pour ses premiers essais dramatiques. Le Fils naturel, suivi des
- - - " - .
Entretiens sur le Fils naturel, a été publié en 1757, et Le Père...œ. famille, suivi d'une longue dissertation lE la fX)ésie drarmtiqUJ,
publié en 1758, sera joué à Marseille en 1760 et à la Corrédie Française en 1761, avec un certain succès. Ce qui suivra sera rreilleur, etvpour
-~, ~r:~
les spectateurs et pour les théoriciens du drarœ: on pense surtout à la oorrédie bourgeoise Est-il bon, est-il rréchant? et au traité in-ti tulé Paradoxe sur le ccrrédien, d' al::Drd ébauché dans les Observations
sur Garrick (publiées dans la Correspondance littéraire de Grirrm en
1770) ,1 considérablerœnt étendu en 177 3, puis remanié vers 1778. Les dates de CXlrTlPJsition de œs oeuvres ooïncident avec le séjour à Paris
de G:ùiani et tout laisse croire que le théâtre est un sUJet et un
lieu de prédilection p::>ur les deux pmis.
1. Correspondance littéraire du 15 octobre et du 1 novembre 1770,
LX,
134-41
et149-57.
: ,
/
- 29
La première fois que le nan de Gallani vient sous la plume de
~
~-Diderot dans s~ correspondance, c'est justerœnt à propos d'une soirée passée au théâtre vers la fin de l'été de 1760.1 Cet intérêt cammun ne tarda donc pas à s' affinrer . Diderot s'était rendu à la Ccm2die-Italienne, accœpagné de ·Galiani, de Grimn et de Mœ d'Epinay; i l
écrit à ce sujet "nous eÛIres un plaisir infini à la Ginguette, à la Troupe_nouvelle, et à la Soirée des ooulevards. ,,2 De tels
~pectacies
étaient très en vogue à Paris au milieu du XVIIIe siècle et on peut' supposer que nos deux habitués des théâtres y ont passé de ncrnbreuses soirées.Que pense Galiani du théâtre.parisien? Habitué au théâtre napOlitailé\, à la carrœdiëi deU 'arte,
..
à Paris il observe, -il apprend,'
et en général i l s' enthou~iasrre . M3.is rrêœ si le théâtre italien est tombé très bas au début du XVIIIe sièGle,3 Galiani n'accorde pas pour autant la supériorité au théâtre français. Il, adrœt que les Français
'"
1. Ceorge Poth (IV, 168) pense que cette lettre non datée et adressée à Damilaville est du 26 septembre 1762; mais Roger Le,winter croit gti'elle date" plutôt de la fin août, début septembre 1760. Voir Diderot, Oeuvres CÇlllplètes, éd. Roger Lewinter (Paris: Club français du livre, 1969), N, 8 2 9 . ' .
2. Roth IV, 169. La Guinguette est une carédie-ballet de Deliesse datant de 1750, la Troupe nouvelle une carédie en vers en un acte
de Favart et Anseaurre (1760) et la Soirée des boulevards (1758)
une carédie satirique en un acte de Charles-sinon Favart.
3. Il sera rénové par Métastase (1698-1782), Goldoni (1707-93) et Carlo Gozzi (1720-1806) (en 1759 on ne connaît pas encore l'oeuvre p'Alfieri, né en 174':) , nais leurs oeuvres sont peu connues sur la scène nap:üi~ine.
.
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L;
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30
(~~,
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sont au-dessus des Ital1fm3 Sous le rapfX)rt de la déclamation, malS'1.1
illSiste à"
plUS1~urS
reprtses, pondant son séjour et dans sa corjspondance avec Mre d 1 Ep~nay après son retour à Naples, que les, l tallens sont au-dessus des Français fX)ur la ImlSlque et en partlculler fXlur l 1 opéra. l2
En dépit du succès remp::lrté par Le Père de fanulle (car 1 en 1764,
la plèce est.beaucoup mleux reçue que lors de sa premlère représentation) , Galiani n'est pas convaincu de ses ITérlt;.es. Dans une lettre qu 1 i l adresse
à Tanucci en novembre 1764 ,',," i l dl t siroplerrent que, Dlderot "ha ·fatto dœ
rredlocri cxxrrœdie." Par contre,
dills
la nÊrœ lettre, G1liaru loue les théories drarnàtiques de Diderot: "Ha data ott~ precetti sulladrarrma-' .... tlca. ,,3
1. Gallani SI enthousiasrre en parti~ier pour la lTlUSlque de P~cclJ1hi qu 1 i l loue SOU'\i'eDt dans ses lettres à M're d' J5pll1ay. A Diderot II
le recannande chaleureuserrent lorsque Piccinm se rend à Paris en 1776,
à tel point au 1 i l est bien reçu par plusieurs amis de Diderot,
came Gr:inm, cl 1 Alembert, M3.nr0ntel et r-brellet. Cette opillon de
Gallanl'Sur l'opéra français est conflrmée par un témoignage con-terrq::oralD: "Entendant dlre à) un lpmœ qu 1 on questlonnal t sur les
effets de la nouvelle Salle d'Opéra de Paris, qu'elle était sourde, Galianl qui ne fX)uvai t souffru la mus~que franc;:alse, s' écna: ~
, Qù 'elle est heureuse! '" (Gleichen, Souveru.rs /paris: Techener, l86~7f p. 201). Il ne faut pas oublier que Naples est alors la capitale de la musique européerme, surtout de l'opera buffa, et a vu na.~e de grands CCIllfûsiteurs cc:mœ Scarlatti, Pergolese, Palsiello et piccinni.
2. Entre 1758 et 1800, on en publie 32 éditions françalses et 25 éditions étrangères. Voir A. Wilson, Diderot (New York,: OXford UniversitTPress, 1972), p.322.
3. lettre du 12 ~re 1764 (Bazzoni, p. 131).
\
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.
..
J-I
•
-,31
Le ~e d'enthousiasrre de Caliani pour les pièces de Diderot est'-il Si dlfhcll~ à canprendYe? Il s'expliqtl_e .surtout par une
ilifférence de t:ernp{'rarrent des deux écnvains: ce que l'un rejette, l'autre 1.' applaudi t . Ce qtll a contribué au succès du Père de fanulle - les sUJets conb3npOralns, les scènes de la vie bouvgeoise, et sur-"" tout la sens1.blene du dràIœ - est justerœnt ce qui a rebuté Galiani,
habi tué à un théâtre r:;eu [X)rté à accepter les innovations. Galiani reste très attaché au théâtre italien.
Il semble bien
crU'
11 incarne par rrarents, en sa personnalité rrêrœ, un r:;ersonnage de la camedia dell' arte : Arlequin, le rouf fon, celui quifait le fou, qw. ne r:;eut se passer de provcquer le rire. l Ses
con-terrp:Jrains à Pans relèvent scuvent ce caractère de leur ami italien:
1
"il est pantc:rnirre depuis .la tête Jusqu'aux pièds, ", écrit Diderot;2
1. L' J..IllXlrtance
du
nre polÎr Caliam est.soull~
par' Casanova, qm. flt sa oonŒussance à Pans: "L'abbé de. la Vllle lui dit que Voltaire se plaignait qu'on eût traduit sa Henriade en vers napolitéuns, defaçon qu'elle était nslble. 'Voltaire a tort, dit Galiani, car
telle est la nature de la langue nap:üitaine, qu'il est impossible de la maruer en vers sans que le résultat en SOlt risible. D'ailleurs, [X)urquoi se fâcher de faire rire? le rire n'est pas synonyme de la rroquerie, et puis celui qui fait rire avec plaisir est toujours sûr d'être éiliré. Irragi.n=z un r:;eu là singulière tournure du dialecte
nap:üitain: mus avons une traduction de la Bible et une autre de , l J lliade, et toutes deux f~nt rire.'" M2rr0ires (Paris: Gallimard,
1958), II, 86.
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32 ...
selon Grinm, "c'est Platon avec la verve et les gestes d'Arlequin, ,,1 et rv'.anrontel de renchérir: "c'est le plus joli petit arlequin qu'eût produit l'Italie. ,,2 r.1ais c'est Diderot qui, après avoir cormu Galiani
pendant dix ans, saisit plus exacterrent le "rôle" joué paro le Natx>litain:
On en ferait un l:xm personnage de carédie; on en ferai t lll1e douzaine, nais surtout l' honnête harrre qui
pàr
le camre un brigand, au reJ:xmrs des autres brigan::1s gui courent les rues et qui P]Ilent tous ccmœ des gens de bien. 'Diderot pense-t-il à Galiani lorsqu'il crée le personnage du neveu de Rarœau'1 'Ibut nous f?Xbrte à le croire, çlu rroins èh ce qui
concerne un aspect de la personna"litê du neveu, d'autant plus que Ile non de Galiani vient sous _s~ plurœ tout de suite après une
ex-fXJsi tian de la pantcmi.rre du neveu:
Les folies de cet hcmœ, les contes
de l'abbé caliani, les extravagances
de Ratelais, lU' ont quelquefois fait
rêver profondérrent. Ce sont trois nagasins où je---roo--suis-pourvu de ___ _
nasques ridicules que je place sur les visages des plus graves
person-1. Correspondance littéraire, VI, 116.
2. c:euvres f;X?sthurres, II, 121
3. Lettre à Mre de ~aux (?), avril ou nai 1769 (Roth IX, 46).
"
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-naC]es, et je vois Pantalon dan$ un prelat, un satyre dans un présldent, un pourceau dans un cénobite, une autruche dans un ministrÎ' une oie dans son premier cœmis.
Tandis que certains voient Galiani dans. le costurœ bigarré
d'Arlequin, d'autres préfèrent le considérer sous les traits d'un autre personnage de la carmedia dell' arte. Il s'agit de Polichinelle:
Pulcinella, c'est le type de lxmrgeois napolitain dans sa grossièreté naturelle, erlpreint toujours de cet esprit rrordan
2,
dont l'abbé Galiarù est un type épuré. 'If!'
En effet, Galiani incarne les deux personnages en rrêrœ tenps: sous
sa bouffonnerie, il y a toujours l'esprit fin, perspicace, } : ' calcule son coup et qui laisse peu de place à la sensibilité ou à la ssion.
8
On dirait mêrœ qu'il Y a chez lui une certaine aridité du coe qui
contraste netterrent avec la chaleur, la bonté et l' humani té de Diderot: . \
cela, peut expliquer en partie la différence de goût, au
théât4
entre autres, qui exis-t;,e chez eux. Diderot d'ailleurs avait rem:rrqué \l' insensibilité de Ga l iani , Peu de t.errq?s après leur rencontre, i l
1
1. Neveu de Ra{œau (,~.-T. V, 483). Dans son édition critique du Neveu, Jean Fabre note què Gftliani "fut pour Diderot un ~utre Rarreau, noi.ns épique, noins gueux, plus disert, mais tout aussi instructif"
(p. 238, n. 317).
2. Maurice Sand, Masques e,t oouffons (Paris: Hichei -Iévy, 1860), ,134.
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o· 34
-est, scandalisé lorsque Güiani déclare qu 1 il nia jarmis pleur~ de sa vie et que rrêrœ la perte de parents prcx::;hes ne le r::ousse pas à verser
"
des lanœs. Ma.is peut-être ne faut-il pas prendre cet aveu au pied de la lettre. Car son intention inavouée est sans doute de choquer Diderot, et il y réussit, puisque, Diderot écrit de La Chevrette l,à
6
"
Sophie Volland: < ,
LI abbé Galiani fi 1 a be~l.Ucoup déplu à ITOi, en confessant qu'il n'avait jamais pleuré de sa vie. Il fi 1 a paru que cet aveu
n' avai ~ ~as ITOins chcxJué,
ttœ
dt Epinay que !!Dl...
Plusieurs années après, lorsqu'il apprend la ITOrt d'Helvétius, Ga.liani
explique à Mme d'Epinay son apparente insensibilité:
S'il était bon à quelque cOOse de pleurer les yorts, je viendrais pleurer avec vous la perte de notre H21vétius; mais la nort n'est autre chose que le regret des vivants. Si noûs ne le regrettons pas, i l n'est pas rrort; tout corme si nous ne l' avion~ jamais amnt'l' Dl aîné, il ne serait pas né.
n'
Lorsque Galiani repart pour Naflles,
--c;:'
est Diderot (souvent par'1. lettre du 20 septembre 1760 (lbth~II; 76).
2. lettre d~ 27 janvier 1772 (PM II, 10-11l.
"
35
-~'
l'intenrédiaire de ~ d'Epinay) qui le tient au courant des événe-rœnts' théâtraux susceptibles de l ~ intéresser, ce dont Galiani avait
fort blesoin. Accablé de chagrin lors de son départ" Galiani se 'réadapte nal à sa patrie, où i l se plaint à "pl\lSieurs reprises Çl.u
"néant" qu'il Y trouve, en particulier dans une lettre à Mre d'Epinay quatre ans après son retour:
Ah! la vilaine chose que le néant! On
, s '~st tant tounœhté pour savoir ce que
'-c~tai
t que le 'di.able,0
l'enfer etc.~
c'est le néant, le contr~-de tout, c'est-à-dire de Dieu ... Ou' on voie p;;tn.s et Naples, on l verra une légère esquisse du tout et du néant.J
Toujours sensible aux bêsoins des autres, toujours Sbucieux de faire
\ '
sa part pour combler ce néant lorsque ses occupations le lui penrettent, Diderot écrit (la deuxième fois) à Galiani en juin 1770 pour partager avec lui son expérience théâtrale la plus récente. Il' s'agit de la pièce intitulée lB Satirique, ou 1 'Hcmœ dangereux de Charles Palissot
\ \ 1
(
36-'*'
de Montenoy.l En 1756, Palissot avait écrit ses Petites Lettres contre de grarrls philosophes, la seconde de ses lettres dénonçant
Le Fils naturel de Diderot comme une tentative intolérable de la
part des phil?sophes d'usurper le daraine des }:elles lettres, et
accusant Diderot de plagiat: 1
Lorsqu'il écrit à Galiani, Diderot a lu la dernière pièce de Palissot, Le Satirique, et esFère la voir bientôt à la scène. Galiani
l,
est sans doute au courant des attaques antérieures portées par Palissot contre sfs amis philosophes. Diderot exprirœ donc sans rrénagerœnt ses
sent~~ts
sur la pièce:Elle est assez bien §crite; mais froide, mais sans génie 1 sans verve, sans gaieté.
Son succès, si elle en a, sera non, la rresure du talent, rrais ~ien celle de la haine qu'on nous porte.
' - ,
1. Palissot écrivit Les Philosophes, corrédie satiriqœ dirigée contre les ,Encyclopédistes, jouée pour la première fois le 2 mai 1760 sous la protection du duc de Choiseul. Diderot, Helvétius et Rousseau y étaient ridiculisés: 'ILes IIDyens qu'il employa fOur ridiculiser la secte philosophique étaient aussi plats que grossiers; ils consistaient entre autres à faire marcher Rousseau à quatre pattes sur la sCÈne, broutant une laitue. D'Alembert, Helvétius, Diderot étaient les plus maltraités, et representés comme des scélérats ennemis de toute autorité et de toute rorale." OOrnières Armées
de r-Bdarœ d' E(?inay, éd. Perey .et t-1augras (Paris: calmann IÉvy, s. d. ) , p. 154. Voir aussi Hilde H. Freud, "Palissot and Les Philosophes 1 Il
Diderot Studies IX (1967)., 141-4. '
~ ~
\
2. Lettre datée du début de juin IpO (PDth X, 69).
;
..
..
37
-Le Satirique provoqua une série d'événements qui aboutirent ~ une inter-diction le jour rrêrœ où elle devait être jouée (le sarœdi 16 juin), 1
ceci
en dépit du fait que le lTBrécha1 de Richelieu se !X)rta garant auprès des
Carédiens du Foi pour obtenir l'autorisation indispensabJ.e de la police.
' -2
M. de Sartiœ, sans némœr l'auteur de la pièce, demanda à Diderot
de lui
donne~
opinion et -celle des philosophes en général sur LeSatirique. D'après sa réponse non datée3
e~
sa lettre à GÜiani, Diderot ne croit manifestement pas que l'auteur puisse être Palissot._ Cela ne doit pas surprendre, pui5ql.e Palissot se dépeint sous des traits fort peu flatteurs, dans le but; précisérœnt d'induire le public en erreur-quant à l'identité de l'auteur de la piêce.4_ 1. Voir Daniel ~lafarge, La. Vie et l ' œuvre de Palissot (Par,is :
Hachette, 1912), p. 315. '
2. Chef de la police et censeur public.
3. Cette lettre paraît dans la Corresp:mdance littéraire du 15 juin, 1770. Voir J. Th. de Booy, "Inventaire provisoire des contribu-tions de Diderot à la 'Correspondance littéraire''', Dl.x-huitième siècle, l (1969), 373.
-
'-4. Bachaurront, dans, ses M§rroires secrets du 25 juin 1770, écrit:
"On regarde CClll1"e absolurœnt condarnnêe à ne point paraître la
carédie dont on a parlé, ayant pour titre: L'Hcmre dangereux ou
le Satirique. Il Y a -là-dessus une
aœcoote
singulière, quiIlÉri te des éclaircisserrents avant d'en rendre canpte: il en résul terai t qu 1 elle serait véri tablEm2nt du sieur Pali::ssot qui, pour donner le change, s'y était peint en naturel sous ces deux ",'
vers-ci qu'on ci te :
Vrai fléau des auteurs, mrreur des beaux esprits, Il croit, bravant la haine, échapper au rrépris. "
- 38
-1
Voici les camentaires que Diderot f~t à Galiani à propos de cet usage feu carrnun:
,,1
Vous conviendrez avec roi que ce serait 'lm phé.narène bién rare que l'impudence d'un hcmœ qui, Pour avoir le droit de ' déchirer ses ennernls, se traduirait
lui-rrêrœ pubîl.Querrent came un infârre i car
vous saureZ qu'il serait le héros de la pièce et qu'il aurait le courage de se
jouer lm -rrêrœ et de
sr
rrontrer sous le masque le plus hideux.Grimm
est pareillement incrédule:Je ne ne persuaderai jamais néarnroins qu'on ait l'impudence de se traîner • ainsi soi -rrÊrre dans la
roue
pour 2voiroccasion d'en jeter aux passants. ,
.
La pièce n'est finalerrent représentée qu'en mai 1782 et suscite feu 1
d'intérêt. Il est évident que Diderot, qui n'est pas enclin à la vengeance, a pourtant la prenùère idée de son Neveu de Rarœau à
l'époque des Philosophes de Palissoti 3 les
..
l insultes donti l
accable.
,;«8lui -ci sont particu1ièrerœnt dures:
1. Roth
x,
69.Un hcmœ souillé de toutes sortes dl infamie, qui par passe-temps fait abjurer la religion à son àmi; .
2. Correspondance littéraire du 15 juin 1770 (IX, 52).
1
3. Poùr \ll1
exposé
plus détaillé du .rapP,Jrt entre Les PhiloSÇ>phes et le Neveu de. Rarreau, Voir .Hilde H. Freud, art cit.,· pp. 209-14.\