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L' Evolution de l'éthique journalistique au Québec de 1960 à 1990

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Acquisitions and Direction des acquisitions et Bibliographie Services Branch des services bibliographiques 395 WelUngton Slreel 395. rue Wellington

Ottawa, Ontario Ollawa (Ontario)

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(2)

Thèse présentée à la

Faculté des études avancées et de la recherche de

l'Université McGiII comme exigence partielle du doctorat en Communications

L'Evolution de l'éthique

journalistique

au Québec de 1960

à

1990

par Armande Saint-Jean

Graduate Program in Communications Université McGiII. Montréal

mai 1993

(3)

Acquisitions and Direction des acquisitions et Bibliographic Services Branch des services bibliographiques 395 Wellington Street Ottawa. Ontario K1AON4 395,rueWellington Ottawa (Ontario) K1A QN4

The author has granted an irrevocable non-exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or sell copies of his/her thesis by any means and in any form or format, making this thesis available to interested persons.

The author retains ownership of the copyright in hisii~er thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise reproduced without his/her permission.

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à

la Bibliothèque

nationale du Canada de

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à

la disposition des

personnes intéressées.

L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège sa thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne

doivent être imprimés ou

autrement reproduits sans son autorisation.

ISBN 0-315-91702-4

(4)

Remerciements

La réussite d'études doctorales implique non seulement des efforts

et des sacrifices personnels considérables mai~"également le soutien et la

collaboration de plusieurs personnes. Mes premiers remerciementse'adressent

àma directrice de thèse, Docteur Gertrude J. Robinson, àqui je dois de m'avoir

généreusement offert sa confiance, ses directives ponctuelles et soutenues et son appui moral indéfectible, et de m'avoir pernùs de bénéficier de sa grande

expérience humaine et professionnelle. Les liens d'anùtié qui se sont tissés

entre nous m'ont aidée à affronter les dificultés et les épreuves qui ont jalonné

ces quatre dernières années.

Une reconnaissance toute particulière s'adresse à mon fils, Charles-Olivier

:.-..-'

Saint-Jean, pour ses encouragements sincères, pour la patience continue qu'n"a témoignée et pour les innombrables façons qu'il a trouvées de manifester son appui à travers les gestes de notre vie quotidienne. Je dois également à ma mère, Marguerite Saint-Jean, aux membres de ma famille élargie, à mes anùes et à mes camarades de travail de m'avoir accompagnée tout au long de cette démarche.

Enfin je suis redevable à l'Université du Québec à Montréal et à mes

collègues du département de COlI'municati0

ns

de m'avoir permis de bénéficier

d'un congé de perfectionnement afin de procéder à la rédaction de la thèse tout en étant dégagée de mes tâches d'enseignement.

(5)

Résumé

L'évolution de l'éthique journalistique au Québec, dans la période qui va de 1960 a 1990, subit l'influence directe du contexte socio-politique qui prévaut pendant cette période. Une multitude de facteurs interagissent et leurs effets combinés se répercutent sur les questionnements éthiques, les orientations

déontologiques et les pratiques journalistiques.

Outre une étude des fondements philosophiques et juridiques sur lesquels repose l'activité journalistique, la thèse présente une histoire sociale du journalisme au Québec et une analyse multifactorielle portant sur quatre ordres de variabies: la trame sociopolitique et historique, l'organisation de la presse, la collectivité d~s journalistes et les pratiques professionnelles.

De cette analyse, l'auteure déduit une théorie des glissements qui sert de modèle interprétatif pour comprendre l'évolution de l'éthique journalistique au Québec de 1960 à 1990. Selon cette théorie, la trajectoire empruntée par

.'

l'éthique des journalistes est caractérisée par une série de glissements :::'.observables (1) dans le déplacement gra,!uel des instances de responsabilité éthique, suivi d'une dé-responsabilisation généralisée; (2) dans la définition des principes fondamentaux qui constituent les assises de la presse, en particulier les concepts de liberté de la presse, droit du public à l'information et Responsabilité sociale, qui s'accompagne d'une faillite relative du modèle d'autoréglementation dans la gestion de la déontologie; et (3) dans plusieurs domaines associés au statut et au rôle des journalistes dans la société, notamment leur indépendance, les discours d'opposition qu'ils tiennent, leur types d'engagement social, la notion de conflit d'intérêts et la définition de l'information elle-même.

(6)

Abstract

This study places the evolution of journalistic ethics in Quebec between 1960 and 1990 in its socio-political context. The thesis starts with a discussion of the philosophical and legal foundations that are the basis of journalistic activity. It then features a social history of Quebec journalism which allows an analysis

l of the various interacting factors that have influenced the ethical and deontological issues raised during that period. These factors develop along four main axes: socio-political and historical events, press organizations, the journalistic community, and professional practices.

From this analysis, the author is able to draw a theory of displacements that is subrnitteci:"as an interpretative model to explain the evolution of journalistic ethics in Quebec between 1960 and1~9O. This theory shows that the main caracteristics of this evolution lie in a series of progressive changes (1) in the levels of responsibility towards ethics, which. engenders a general abandonment of such responsibilities; (2) in the definition of fundamental principles on which the press operates, namely freedom of the press, public right to information, and Social Responsbility, which is doubled by a relative failure of the self-regulation model of press ethics management; and (3) in many areas related to journalists' role and status, namely autonomy, adversary positions, social involvement, conflicts of interests and the definition of news itself.

(7)

./:

Table des matières

Remerciements . . .. . . ii

Résumé iii

Abstract iv

Table des matières v

Liste des tableaux . . . .. ix

Chapitre 1 - Présentation du sujet et problématique

Introduction . . . 1 Pertinence du sujet . . . • . 3 Quelques notions théoriques à propos de

l'éthique 6

Les fondements théoriques . . . 9 La dualité individu/collectivité . . . 12 Le problème de l'instance de responsabilité

éthique 14

Les fondements juridiques de l'éthique

journalistique .. . . 17

La marchandisation de l'information 22

Prolégomènes théoriques et problématique 25

Le rapport de la presse à la société 28

L'organisation de la presse 30

Rôle et pratiques professionnelles 32

Approche et méthodologie . . . , . . . 35

Présentation du contenu 41

Notes 45

Chapitre 2 - Les fondements philosophiques

Introduction 48

Les principes éthiques de la pratique

journalistique . . . .. . . 49

La tension entre Liberté et Vérité 50

Des traditions complémentaires . . . 52 Approches téléologiques et déontologiques .. . . 54 La dualité individu / collectivité . . . 57

Le problème des instances de responsabilité 59

La justification ultime: la recherche de

la Vérité 65

L'objectivité: mythe ou idéal? 67

(8)

--•

La raison du profit 72

Le deuxième déplacement des instances . . . 76

Le modèle "apollonysien" 81 Conclusion 88 Notes ., 92 Chapitre 3: Les fondements juridiques Introduction 95 Les grands principes fondamentaux . . . 98

Origine et contexte politique . . . 98

Le sens du Premier Amendement 101 Une liberté fondamentale mais non absC'lue . . . .. 106

La liberté de la presse au Canada,. . . .. 107

Le droit du public à l'information 110 Le modèle d'a'..ltoréglemention 114 L'origine du modèle 114 La théorie de la Responsabilité sociale . ' . . . 116

Le cas du Conseil de presse du Québec . . . ' , . . . 121

Le problème de l'imputabilité . . . .. 127

La responsabilité de l'Etat. . . .. 132

Conclusion: liberté vs responsabilité . . . .. 135

Notes .:: 140 Chapitre 4: Histoire sociale du journalisme au Québec 1960·1990 Introduction . . . 144

Le contexte théorique. . . .. 145

Première période 1960-1970: Phase d'éveil et de croissance . . . .. 150

Le contexte socio-politil.jue 150 L'âge d'or du journalisme 151 Un "nouveau journalisme" 155 L'expérience du "Nouveau Journal" . . . .. 157

Le professionnalisme . . . . .. . . .. 158

Rôle et statut renouvelés 159 L'engagement social et politique 161 La fin de l'âge d'or 163 La grève de "La Presse" 165 La première ph.ase de la concentration . . . .. 166

Conclusion . . . .'. . . . 170 Deuxième période 1970-1980:

(9)

Le contexte socio-politique . Une première expérience de communication

èirecte .

La deuxième expérience de communiration

directe .

Du pouvoir au contre-pouvoir .

L,expenence, . du

"J

our

"

.

Des expériences alternatives .

Les effets de la concentration .

Le nouveau militantisme syndical .

Le syndicat comme lieu d'engagement social . Des divergences sur le rôle des journalistes .

Le référendum de 1980 .

Conclusion .

Troisième période 1980-1990:

Phase d'embourgeoisement .

Le contexte socio-politique . . . . Le diagnostic pessimiste des journalistes . . . .

Changement de ton et de style . .

Liberté journalistique et dés information .

Publicité et relations publiques .

Concentration et commercialisation . L'influence de la télévision . Conclusion . . . . Notes . 173 175 179 180 183 185 189 191 193 "j97 199 203 206 207 208 212 214 216 222 226 229 231

Chapitre 5: Analyse de l'évolution des pratiques et des préoccupations déontologiques

Introduction . . . 237

Les principaux questionnemeùts déontologiques 238' La présence des femmes dans l'infoùnation 238 Le respect des droits et libertés . . . .. 241

Le rapport à la justice. . . ; . . . 243

Confidentialité et protection des sources . . . ... 245

Influence et responsabilité . . . , . . . 249

Conclusion 252 L'analyse des principaux glissements . . . .. . . .. 255

Liberté et indépendance journalistiques 258 Les conflits d'intérêts. . . 260

le discours d'opposition . . . 261

L'engagement social et politique 263 Statut professionnel des journalistes. . . .. 264

(10)

Rôle des journalistes et conception

de l'information . . . 266

Conclusion 268

CONCLUSION GEI\l"ER..-\.LE . . . .. 270

I.e questionnement ethÎ({ù~ actuel 271

Les trois ordl<:!s di! glissements 273

La theorie des glissements 277

Implications. disciplinaires 284

Le principe Cie Responsabilitl 287

Notes . . . . ".' . . . 292

cc.

(11)

Liste des tableaux

Tableau l - Le déplacement des instances

(1er niveau) 64

Tableau II - Le déplacement des inst&nces

(2e niveau) 81

Tableau III· Les pôles de l'acte journalistique

et de l'éthique 89

Tableau IV - Première période 1960-7G '" . . . 149 Tableau V - Concentration - phase horizontale .. . . .. 169 Tableau VI - Deuxième période 1970-1980 . . . .. 171 Tableau VII - Troisème période 1980 - 1990 205 Tableau VIII- Concentration - phase verticale . . . .. 225 Tableau IX - Synthèse des glissements successifs . . . .. 257

(12)

Chapitre 1

(13)

Introduction

En cette fin de XXe siècle, la préoccupation éthique prend une importance accrue dans le discours social. Pas un événement ne passe sans qu'on entende une référence à l'éthique, présentée souvent comme le recours ultime qui permettrait de résoudre les interrogations nouvelles et complexes auxquelles la société se trouve désormais confrontée. L'éthique est souvent brandie soit comme une justification irrévocable soit comme une obligation incontournable; rarement, cependant, la réflexion s'aventure-t-elle au-delà de considérations superficielles ou redondantes.

On parle beaucoup d'éthique ces années-ci, et on en parlera de plus en plus dans la décennie qui vient. La crise des valeurs qui semble constituer l'un des aspects dominants de cette fin de siècle (et de millénaire) entraîne nécessairement un questionnement sur les valeurs qui guident nos comportements individuels et sociaux. L'éthique se situe donc au coeur de ce questionnement puisque nos modèles de conduite, nos pratiques professionnelles et nos comportements en société ont connu de tels changements au cours des cent dernières années qu'il importe à présent de redéfinir les valeurs qui les sous-tendent. Ainsi la science et la médecine ont-elles été profondément interpellées par le développement récent des nouvelles technologies de reproduction. Un peu partout dans le monde, on s'interroge sur le bien-fondé de l'euthanasie, du droit à la mort en quelque sorte, un peu comme on se questionnaitily a cinquante, soixante-quinze ans sur les façons de concrétiser le droit à la vie.

L'information et la presse ne font pas exception et se trouvent présentement traversées par un questionnement similaire qui semble, à première vue, suscité par l'importance phénoménale acquise, ces dernières décennies, par les médias, notamment par la télévision et les technologies numériques de traitement de l'information. En réalité ce questionnement traduit une remise en question beaucoup plus profonde dont les racines plongent jusqu'au coeur

(14)

même de l'acte journalistique, dont l'essence et la portée ont été considérablement modifiées depuis un demi-siècle.

L'éthique journalistique est un domaine à la fois vaste, fascinant, mobile, qui donne lieu à de multiples questionnements alimentés par l'absence persistante de repères clairs et précis. Chaque fois que la presse, en tant qu'institution se retrouve au coeur d'une controverse ou suscite un débat de société, chaque fois que l'information soulève l'inquiétude de citoyens préoccupés de justice, de rigueur, d'équilibre, chaque fois que survient un" événement hors du commun, c'est toujours ultimement l'éthique des journalistes qui se trouve interpellée. Ainsi lors de la Guerre du Golfe, en janvier 1991, ou à l'échelle locale pendant la crise d'Oka, à l'été de 1990, de nombreuses voix se sont élevées pour signaler certaines incongruités dans la couverture journalistique et le traitement des médias. On a même été jusqu'à soutenir que la guerre n'a pas eu lieu! (Baudrillard 1991). La figure de style sert ici à illustrer une évidence ou un lieu commun: la guerre, la vraie, celle des bombes, des combats, du sang, des prisonniers, cette guerre-là s'est peut-être déroulée quelque part dans le désert d'Arabie; mais en même temps elle n'a pas eu lieu car on ne l'a pas vue dans les télé-journaux. Ce qu'on a appelé la Guerre du Golfe n'est en fait qu'une construction de la réalité projetée sur tous les écrans de la terre par médias électroniques interposés, une sorte de fiction qui a peu à voir avec la "vraie" guerre. Plusieurs auteurs n'ont pas manqué du reste de souligner l'étonnante complicité des militaires et des journalistes qui a contribué à renforcer l'impression que les médias servaient de simples porte-voix aux propagandistes du Pentagone (Ferro 1991; Freund 1991; Woodrow 1991).

Plus près de nous, les événements de l'été 1990, auxquels on réfère en parlant de "la crise d'Oka", ont suscité des interrogations du même ordre. Avec un peu de recul, on réussit mieux à cerner les distorsions que la couverture de presse a pu occasionner au cours de ces trois mois d'affrontements qui mettaient en présence toute une pléiade d'acteurs, des Amérindiens -- Mohawks Warriors ou traditionalistes du Longhouse -- des policiers de la Sûreté du Québec, des

(15)

militaires de l'armée canadienne, des représentants des gouvernements municipaux, provincial et fédéral. On sait maintenant que, n'eût été la présence constante des médias, les événements se seraient probablement déroulés autrement (Saint-Jean 1991). Plusieurs gestes et attitudes des journalistes, dont certains se sont trouvés "encerclés" comme des otages en compagnie des derniers résistants, n'ont pas manqué de soulever des interrogations.! Pendant les semaines et les mois qui suivent ce genre de crise, des débats nourris se poursuivent quant aux principes qui guident les journalistes, aux règles déontologiques auxquelles ils obéissent, au fonctionnement du système auquel ils participent.

L'éthique journalistique se trouve également mise en cause dans d'innombrables autres cas où l'on s'inquiète, par exemple, de l'intrusion des médias dans la vie privée des personnes, publiques ou non, de la présence des caméras devant les tribunaux et du rôle de la presse dans les procédures judiciaires, ou des manoeuvres sensationnalistes des entreprises de presse et des dangers de distorsion qui en découlent. Toutes ces interrogations qui reviennent régulièrement illustrent deux points: a) les questions d'éthique sur lesquelles portent ces débats se ramènent généralement à quelques principes fondamentaux à propos desquels il semble y avoir consensus, en théorie, mais dont l'application pratique pose souvent problème; b) l'éthique journalistique en général continue encore aujourd'hui de constituer une zone assez floue, tant au Québec qu'ailleurs dans le monde occidental, un flou où l'ont maintenue les journalistes eux-mêmes, tant les artisans de l'information que les propriétaires et les gestionnaires d'entreprises de presse, de même que les législateurs qui bénéficientà cet égard d'une certaine complicité tacite de la part du public.

Pertinence du sujet

Plusieurs auteurs ont fait ressortir qu'il existe un lien direct entre l'éthique et la qualité du journalisme. Dès ses débuts, tout jeune journaliste s'interroge

(16)

sur l'origine des règles tacites qu'on lui transmet, sur la foi de la tradition et de l'usage, et qui gouvernent l'exercice du métier. A défaut de recevoir une formation universitaire axée sur l'éthique, c'est par l'expérience et à travers des essais et erreurs qu'il faut obtenir réponse à ses interrogations. En effet, fort peu de travaux théoriques ont été publiés et fort peu de recherches ont été menées dans le domaine de l'éthique journalistique au Québec. Jusqu'à présent l'éthique a constitué le parent pauvre des programmes d'enseignement du journalisme dans les universités québécoises. TI existe très peu d'experts en ce domaine, et les différents programmes offrent peu de cours ou de documentation pertinente (Demers 1989). Dans les années 1990, les étudiants en journalisme dans les universités québécoises sont donc obligés de forger leur compréhension des dimensions éthiques et déontologiques à partir des ouvrages étrangers et de l'expérience que peuvent transmettre les praticiens des générations précédentes qui, eux aussi, l'ont appris à travers la pratique.

L'éthique journalistique constitue donc un champ encore vierge qui gagnerait certainement à être mieux défriché d'autant plus que la compréhension de la situation québécoise peut s'enrichir de l'éclairage des théories existantes et des résultats des recherches poursuivies ailleurs.

A notre connaissance, il n'existe aucun ouvrage théorique d'envergure qui traite en profondeur et de manière rigoureuse et scientifique des problématiques inhérentes il. l'éthique journalistique au Québec. Avec toutes les limites

'._>

qu'impose la modestie, la présente thèse vise donc à remplir une partie de cette lacune et fournir à la communauté scientifique ainsi qu'à la collectivité journalistique une recherche approfondie de l'évolution de l'éthique journalistique au Québec au cours des trois dernières décennies.

Il nous semble qu'une recherche approfondie comme celle d'une thèse de doctorat constitue une contribution souhaitable au développement des connaissances dans un domaine qui se situe au coeur de la réalité communicationnelle contemporaine. Il nous apparaît également significatif, sur le plan de la contribution à la connaissance, de proposer un modèle théorique

(17)

qui permette de comprendre la nature et la qualité de l'évolution qui s'est produite au Québec, en matière d'éthique journalistique, au cours des trente dernières années. L'intention de la présente recherche est d'identifier et d'analyser les principes qui font consensus dans la collectivité journalistique et d'analyser le discours sur les pratiques professionnelles de manière à mieux cerner l'écart qui sépare la théorie de la pratique. En plus de contribuer à dissiper l'ambiguïté qui entoure ce domaine, la présente thèse aboutit à la formulation d'une théorie globale susceptible de rendre compte et d'analyser les différentes dimensions de l'évolution de l'éthique journalistique au Québec, en s'appuyant sur l'analyse d'une triple évolution: celle des fondements philosophiques sur lesquels se fonde l'éthique journalistique, celle des bases juridiques qui la balisent ainsi que celle des pratiques professionnelles dans lesquelles elle se traduit.

Le cas du Québec n'est pas abordé ici nécessairement d'une manière particulière ou spécifique. En effet, il nous semble que la philosophie du journalisme qui prévaut au Québec, de même que les pratiques professionnelles s'apparentent très étroitement à celles qui ont cours ailleurs dans le monde occidental, en particulier en Amérique du Nord, plus précisément dans le reste du Canada et aux Etats-Unis. La situation du journalisme au Québec diffère quelque peu de celle des pays d'Europe où prévaut un système mixte, où coexistent une presse d'opinion en même temps qu'une presse d'information, comme en France, en Belgique, en Italie par exemple. Cependant il demeure qu'au-delà de ces différences, les principes fondamentaux qui président à l'exercice du journalisme demeurent les mêmes de chaque côté de l'Atlantique. Ainsi même si les exigences méthodologiques nous obligent à restreindre le champ de l'observation au seul territoire de la presse francophone du Québec, de manière à fonder nos analyses sur des données empiriques vérifiables et mesurables, il nous semble que plusieurs des conclusions qui se dégagent de cette recherche dépassent le strict cadre québécois et peuvent s'appliquer.. à quelques nuances près, à d'autres groupes ou sociétés comparables.

(18)

Quelques notions théoriques à propos de l'éthique

L'éthique se présente comme un compromis entre la morale et l'intérêt. Alain Etchegoyen2

Avant d'analyser le parcours suivi par l'éthique journalistique au cours des dernières décennies et le questionnement qu'il suscite à présent, il importe de clarifier d'abord certaines notions théoriques qui ont été énoncées depuis quelques temps à propos de l'éthique. Car si les auteurs sont nombreux à se pencher sur les différents problèmes que posent à l'éthique contemporaine les développements de la science et de la technologie, les nombreux ouvrages qui paraissentàprésent dans ce domaine nous renvoient souventà des conceptions fort diverses, voire contradictoires, des notions théoriques qui sont en cause ici. En somme, la question se pose: qu'est-ce que l'éthique? Le sens même des mots porte parfoisàconfusion. S'agit-il d'un ensemble de principes qui non seulement serventà guider nos conduites mais surtout visentà se ménager une bonne réputation, tant professionnelle que corporative? L'éthique moderne se réduit-elleàquelques formules engendrées par unmarketin~intelligent, comme

_1

le soutient Etchegoyen dans un ouvrage récent, une sorte de sous-produit d'une morale diluée, vidée de son essence parce que réduite àdes préceptes dépassés? Ou au contraire l'éthique serait-elle le lieu de l'invention individuelle, de la responsabilité personnelle assumée en toute liberté, au-delà d'une morale restrictive et en-deçà d'une déontologie conservatrice et égoïste?

Qu'on le veuille ou non, le sujet de la morale est le citoyen ou encore l'usager de l'institution. Le sujet de l'éthique, est, en revanche, le sujet désirant, parlant, communiquant et questionnant. N'est-il pas celui qui revendique sa propre loi? J-P. Resweber

On le voit, la question n'est pas simple. TI importe donc de s'entendre au départ sur la valeur sémantique des mots mais également sur les concepts

(19)

philosophiques auxquels ils réfèrent. Moralité, éthique, légalité, déontologie: une grande confusion entoure généralement ces termes et surtout les réalités qu'ils recouvrent et on les voit souvent utilisés l'un pour l'autre, comme si les concepts étaient en quelque sorte interchangeables. Au-delà des raffinements philosophiques, des distinctions importantes doivent être tenues à l'esprit à propos de .ces concepts.

Ainsi, morale et éthique se distinguent l'une de l'autre, bien que l'une n'aille pas sans l'autre (Resweber 1990,17-19). En fait, la morale apparaît comme un préalable nécessaire à l'éthique qui prend appui sur des valeurs reconnues pour proposer de nouveaux critères et d'une certaine façon, relativiser les normes, les codes, les règlements. La différence principale entre morale et éthique réside dans la distance qui sépare l'absolu du contingent. Là où la morale pose les principes indépendamment de toute condition ou de tout rapport à autre chose, l'éthique détermine les choix à faire dans la conscience des principes absolus et dans la connaissance des contingences Imposées par les circonstances. Sans réduire l'éthique à une morale d'exception, on peut affirmer que "(L)'éthique excède la morale dont elle est l'âme et l'esprit" (Resweber 1990,19). L'éthique suppose donc un questionnement constant, un doute émis sur les a priori, voire une protestation "ciressée contre les solutions codées qui ont cours sur le marché" (Resweber 1990,24).

Si, comme le dit E. Lévinas, l'éthique est une affaire d'optique, c'est parce qu'elle substitue, à la perspective morale axée sur la connaissance, une perspective herméneutique régie par la volonté. J.-P. Resweber 4

Cette distinction entre morale et éthique suppose donc une différence fondamentale entre les prescriptions du devoir dictées par la morale et les obligations qui découlent d'une démarche éthique, fondée sur l'interrogation, l'interprétation de la réalité et l'engagement responsable.

Alors que la question morale est celle d'un devoir extérieur à

(20)

éprouver et à mesurer. Elle n'impose rien d'autre que ce que peut le sujet. Ce qu'il peut, c'est ce qu'il se doit de faire, car il se doit

à ce qu'il peut. J.-P. Resweber 5

La distance marl}uée entre morale et éthique fait par conséquent ressortir les nuances entre le devoir et le pouvoir et détermine donc des différences dans les attitudes et les actions. Ainsi en va-t-il de la distinction qu'on doit également établir entre éthique et droit, entendu au sens de légalité, qu'on peut d'une

certaine façon ramener à la distinction entre Loi et loi. Le droit positif a pour

objet de définir des limites et des bàiises aux activités de la société, il peut également avoir pour objet la reconnaissance officielle de droits et de libertés conférés aux personnes et aux collectivités; La loi s'inspire des principes de la

morale en vigueur et peut contribuer, au fil du temps, à les modifier ou à en

imposer de nouveaux.,

La morale pose à la conscience des prescriptions absolues alors que la loi débrmine les limites de la légalité établies, on le présume, par consensus. Entre les deux se situe l'éthique qui, tout en s'appuyant sur le respect des principes de morale, vise à choisir la conduite droite, le Bien, au-delà et peut-être même quelquefois par devers les limites restrictives de la loi. On donne en général

.-l'exemple d'Antigone pour souligner que l'éthique conduit au respect de la Loi, lequel peut parfois amener à s'inscrire en opposition à la loi ordinaire ou au droit positif.

De la même manière, l'éthique se trouve en amont de la déo:~tologie qui,

elle, s'appareJ1te davantage au domaine de la pratique et se situe dans l'ordre

de la réglementation, pendant administratif de la législation. Le terme

déontologie recouvre les prescriptions qui "conditionnent le fonctionnement de la relation interpersonnelle sur le champ d'interventions socio-professionnelles"

(Resweber 1990,21). Les règles déontologiques s'apparentent en quelque

sorte aux lois et aux règlements; elles formulent sur le mode juridique des

(21)

••

d'autres. La déontologie "matérialise un ensembl~·dedroits et de devoirs situés entre la morale et l'éthique" (Resweber 1990,22).

A première vue, ces distinctions peuvent paraître strictement rhétoriques. L'importance de les établir réside toutefois dans la nécessité de distingu:o>r clairement entre des ordres d'importance et de préséance qui interviennent entre

b devoir, le pouvoir et le savoir, lesquels déterminent tous, bien que de manière différente, l'agir communicationnel,en l'occurrence l'acte journaHstique.

Les fondements théoriques

Basic problems of journalism are, and always have been, philosophical _. and mainly ethical, even when the chief concem has been with epistemology.

J.e.

Merri1l6

De la même manière, pour tracer la trajectoire que suit l'évolution de l'éthique journalistique, il importe de considérer les différentes dimensions des problèmes qui.-ont été soulevés au cours de la période -qui nous intéresse. Cette évolution ne se ramène certainement pas aux seuls aspects des grnnds principes éthiques, lesquels varient assez peu dans une aussi courte période, pas plus qu'aux seules interrogations d'ordre déontologique que les journalistes ont soulevées. ilconvient donc de s'interroger sur trois aspects de la réalité sous-jacente aux questions d'éthique: les principes philosophiques, les fondements juridiques et les pratiques professionnelles, de manière à bien cerner les multiples facteurs qui ont déter,niné les étapes de cette évolution.

;cCes fondements philosophiques peuvent être ramenés à trois concepts-clés qui se trouvent à la base de la démarche et de l'éthique journalistiques:

.

-Liberté, Vérité et Responsabilité.' Ces principes de base nous renvoient en dernière analy~e à deux traditions fondamentales de l'éthique, héritées l'une d'Aristote et l'autre de Kant. Pour Aristote, l'éthique se pose comme

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exigence à l'être humain dans l'accomplissement de l'oeuvre, presqu'au même titre que la compétence ou les règles de l'art. La définition aristotélicienne de l'éthique réfère au concept concret du 'faire' (en grec 'poesis') par oppositionà

l"agir' (praxis), et se présente. comme une sorte de conscience des exigences spécifiques d'accomplissement de l'oeuvre qui trouve son prolongement dans la réalisation même de l'oeuvre, à travers la pratique (techné). Aristote considère l'individu comme le lieu premier de la responsabilité éthique.

D'autre part les fondements philosophiques de l'éthique journalistique renvoient égalementà Kant et au principe du devoir moral, énoncé en termes d'impératif catégorique qui s'impose à la c~nsciC'nc.e humaine dans toute action.7 C'est en sa conscience propre que l'individu doit ressentir l'exigence

de l'impératif catégorique qui le pousse à orienter sa conduite de manière telle que la maxime qui le guide puisse toujours être élevée au rang de loi universelle. Pour Kant, l'éthique ne dl;coule pas d'une loi extérieure mais plutôt d'une interprétation que l'individu doit faire des exigences de la situation dans laquelle il se trouve.

A peu près au même moment où Kant formulait son impératif catégorique, on a entrepris d'attribueràtous les individus, au moyen de chartes et déclarations aux intentions universelles, des droits et des libertés fondamentales, ce qui revenait en quelque sorteàétendre àtous les citoyens des privilèges et des obligations jusque là réservés à une minorité. C'est dans le Bill of Rights anglais de 1644, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution française de 1789 et le Virginia Bill of Rights, en 1791, l'ancêtre de la Constitution américaine, que sont formulés ces droits et libertés fondamentales. C'est là aussi que réside l'origine de la dimension collective du devoir moral, principe central de l'éthique entendue dès lors comme une exigence de moralité partagée par l'ensemble d'une collectivité au nom d'une liberté commune à tous. Beaucoup plus tard, la mise en oeuvre du principe de la liberté de presse s'est prolongée dans une dimension collective de cette notion de liberté, et s'est trouvée précisée dans les acceptions modernes qui ont été

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confirmées dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment le droit du public

à l'information (Balle 1988).8

On voit donc se dégager deux conceptions différentes de l'éthique qui

50nt aussi complémentaires, dans une certaine mesure. D'Aristote, nous

tenons une conception relativement anthropologique de l'éthique, définie essentiellement comme le mobile d'un agir qui s'actualise dans la maîtrise d'oeuvre, le savoir-faire. L'objectif du.!kmheur, en tant que principe directem de l'être humain, se traduit dans la recherche de l'efficacité, comme résultat de

l'action. Pour Aristote, l'éthique est par essence intrinsèque à l'action;'elle est~·,

surtout définie comme une dimension de l'activité, une sorte d'exigence supérieure édictée par l'objectif de la réussite de l'entreprise.

De Kant, nous héritons d'une éthique centrée sur la dimension morale et le sens du devoir. Kant établit le principe de l'impératif catégorique comme la prescription d'une obligation morale inéluctable qui est dérivée de la Raison et

qui se pose à la conscience de l'individu. Plutôt que de définir une norme

extérieure, cet impératif catégorique entraîne l'obligation pour l'individu d'ajuster son comportement de manière à pouvoir universaliser la maxime qui guide son action. Le principe directeur de l'impératif catégorique est le respect de l'humanité en soi et en autrui, la nécessité de considérer autrui comme une

fin et jamais comme un moyen. Cette valeur de respect sert de référent

universel au comportement éthique.

La conjugaison des deux visions nous permetae réconcilier la diiùension anthropologique aristotélicienne et l'aspect de l'impératif catégorique formulé

par Kant, et nous amène àvoir l'éthique àla fois comme un devoir moral qui

se pose d'abord à la conscience de l'individu, et aussi comme un ensemble de

règles de conduite qu'adopte cet individu en fonction de la collectivitéàlaquelle

il se réfère, dans le but d'assurer la réussite d'une entreprise. Cette distinction nous permet de poser le problème sous l'angle de la dualité individu/collectivité, laquelle se trouve au coeur du questionnement éthique en journalisme.

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La dualité individu/collectivité

L'acte journalistique implique au premier chef la conscience de l'individu journaliste qui se trouve inve:::ti, dans sa pratique, de la responsabilité morale de la rectitude de son agir. Cette conscience individuelle constitue le lieu premier où doit se situer la responsabilité éthique. Cependant l'acte journalistique ne s'apparente pas uniquement à l'action isolée; il s'inscrit dans le cadre d'un rapport à la collectivité, auX collectivités. En effet le journaliste appartient à une communauté professionnelle dont il emprunte les traditi'ons.et dont il respecte les règles déontologiques. L'acte journalistique qui a pour aboutissement l'information fait également partie d'un produit, d'un serviŒ,c d'une marchandise dont la raison d'être réside en partie dans le fait qu'elle est destinée à un public. Cette entité composée de l'ensemble des destinataires anonymes, appelée le public, constitue le deuxième niveau de la collectivit~

--:;-:

élargie avec laquelle le journaliste se trouve

en

rapport au moment de l'accomplissement de son activité professionnelle.

Pour John C. Merrill (1975), cette dualité se trouve implicitement incluse dans le concept même de l'éthique journalistique.9 Merrill souligne

également que les exigences du devoir moral issues de l'impératif caté:;orique kantien ont beaucoup perdu de leur caractère rigide et absolu dans la pensée occidentale moderne. L'époque est plutôt caractérisée par une tendance au relativisme, à une sorte de "situationnisme" qui résulte d'un curieux amalgame de deux postures extrêmes: d'une part, l'approche légaliste, plus ancienne, qui définissait l'éthique "'en termes d'obligation absolue, de devoir, voire de loi; d'autre part, ce qu'il appelle un "antinomianisme ", sorte de laisser·faire contemporain où l'on prêche davantage pour une non-éthique qui se joue "à

l'oreille" ("Play it

by

ear" ethics) fondée sur une foi existentialiste en l'instinct. Bien que le situationnisme éthique emprunte aux deux traditions, Merrill estime qu'il s'inspire davantage de la tradition légaliste mais subit lourdement

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l'influence du laisser-faire relativiste. En somme, la recherche de la Vérité continue de constituer le noyau central de la démarche journalistique, sauf que ce principe fondamental peut tolérer des entorses, par exemple lorsqu'une situation particulière justifie une distorsion, un mensong.: même. La règle de conduite est dès lors dict2e par ies circonstances, avec tous les dangers d'anarchie et d'extrême hétérogénéité que l'on imagine.

Quand les dilemmes moraux trouvent réponse dans des lois ou des règlements, la question du choix moral à adopter présente moins de difficulté. Le problème du choix de l'action juste (et vertueuse, comme disent les philosophes) se pose en l'absence de balises claires. Le questionnement éthique revient à l'individu en tant que personne investie d'une conscience morale. Mais cet individu peut choisir de s'appuyer non pas uniquement sur les principes de sa conscience mais plutôt sur une moralité collective, reconnue par la tradition ou l'usage en vigueur dans la collectivité à laquelle il appartient, et traduite dans les règles de pratique. Les codes de déontologie servent alors de guides: ils fournissent des balises à l'individu aux prises avec un dilemme moral. En l'absence de _ . '.:. reconnu, la loi peut déterminer des paramètres'qui sont censés refléter le consensus social sur un sujet. Quand le journaliste ne dispose ni d'un code d'éthique ni de législation appropriée, sur quoi s'appuie-t-il pour régler les ds'appuie-t-ilemmes moraux qui ne manquent pas de surgir dans l'exercice de sa profession? Doit-il prioritairement se fier aux principes moraux de sa conscience? Ou doit-il ajuster sa conduite aux enseignements d'une tradition plus ou moins explicite ou encore céder aux tendances qui prévalent

à un moment particulier? Ces questions soulèvent le problème de l'instance de la responsabilité éthique et d'y répondre exigeUnexamen attentif des pratiques journalistiques.

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Le problème de l'instance de responsabilité éthique

La dualité individu/collectivité pose le problème global de la responsabilité et celui de l'instance où se situe cette responsabilité. John C. Merrill (1974) estime que sur le plan individuel, pour que son action soit vertueuse, le journaliste doit inscrire sa démarche professionnelle dans une triple perspective: la liberté, la rationalité, l'engagement.

La liberté s'impose à double titre. D'abord la notion même d'éthique suppose la liberté de faire des choix. Ensuite tout le travail du journaliste prend appui sur la liberté d'expression comme attribut fondamental de l'individu, et son corollaire la liberté de presse, à dimension collective. Par ailleurs la rationalité constitue, avec la liberté, un des fondements principaux de la philosophie journalistique. Elle implique pour l'individu non seulement une distanciation de ses propres émotions ou une simple honnêteté intellectuelle, mais elle évoque surtout le recours àla Raison comme base de la détermination éthique. Enfin l'engagement signifie, pour MerriIl, une obligation voisine du devoir, au sens kantien du terme, qui pousse l'individu à poser des choix en fonction de ses valeurs et à obéir rationnellement aux prescriptions de sa conscience. A cet égard, l'éthique kantienne est d'abord et avant tout individuelle: c'est un devoir personnel d'obéir aux lois de la Raison, de suivre sa conscience et de se conformer à des critères élevés de conduite personnelle, sans toutefois les modifier ou les adapter en fonction des avantages escomptés. En théorie, le journaliste vertueux n'agit pas dans le but de plaire aux lecteurs ouàson entreprise, ce qui serait de l'ordre des conséquences (honneurs, mérite, reconnaissance, etc.), mais plutôt en obéissant aux exigences que dictent la Raison droite, en conformité à des principes qui peuvent être généralisés et s'appliquer à tous.

L'évolution que connaît l'institution de la presse depuis un ou deux siècles a eu pour effet de diluer ces beaux principes dans une réalité beaucoup moins idéalisée. Ainsi, note-"John C. MerriII (1974), le devoir moral posé au

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nom de l'impératif catégorique kantien a peu à peu perdu son caractère contraignant et absolu dans la pensée occidentale moderne. Bien sf:r le journaliste jouit encore d'une très grande liberté qui s'actualise surtout dans l'autonomie dont il dispose. Mais il doit également s'ajuster aux pressions constantes qui s'imposent à lui au nom du bien commun ou de l'efficacité institutionnelle, ce qui a pour effet d'amoindrir l'importance accordée à la conscience individuelle, du moins de reléguer au second plan la responsabilité personnelle.

Peu à peu, la responsabilité individuelle cède le pas à la responsabilité collective: c'est de moins en moins àl'exigence de la Liberté que l'individu lui-même se trouve confronté mais plutôt à un ensemble d'impératifs et de restrictions qui découlent du fonctionnement de l'institution à laquelle il

appartient. Dans la rhétorique officielle, la notion de Responsabilité sociale vient peu àpeu se surimposer àcelle d2la responsabilité individuelle. Nous appelons ce phénomène le déplacement des instances de responsabilité éthique.

Le problème est d'importance. A la conscience individuelle, qui n'est plus définie comme la première ou la seule responsable du devoir moral, se substitue une double instance collective, cene de la confrérie journalistique qui assume la transmission des pratiques au nom de l'usage et de la tradition, et celle de l'entreprise à laquelle le journaliste est lié par convention (collective) formelle ou par engagement personnel tacite.

Le déplacement des instances de responsabilité éthique, depuis le nive~u

de la conscience individuelle vers les mécanismes collectifs de régulation des pratiques journalistiques, tant corporatistes que corporatifs, s'accompagne d'une dé-responsabilisation significative et lourde de conséquences. L'être individuel, le journaliste, est peu à peu relevé de sa responsabilité morale dont il ne reste plus qu'un vague engagement envers la Liberté et la rationalité.

En consacrant par la tradition et l'usage certaines pratiques, la confrérie journalistique a contribué à fixer les critères déontologiques de l'exercice du journalisme: l'exactitude des faits, l'équilibre des poir.ls7

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toute situation susceptible de susciter un conflit d'intérêts, la confidentialité des sources, le respect des ententes (sur l'anonymat ou le "off the record" par exemple), la dissociation des faits et de l'opinion dans le compte-rendu, pour ce qui est du type de journalisme d'information pratiqué en Amérique du nord.'o

Ces critères ont ensuite été transcrits et enchassés dans différents documents à teneur légale: les conventions collectives qui lient employés et employeurs, les codes d'éthique des entreprises, les déclarations de principes des regroupements d'entreprises (quotidiens, périodiques, radiodiffuseurs, etc.), les chartes qu'adoptent les associations professionnelles de journalistes ainsi que les décisions des différents organismes investis du pouvoir de statuer sur l'éthique, soit les conseils de presse ou les ombudsmen. Peu à peu ont ainsi été codifiés des pratiques et des usages qui, même s'ils s'appuient indéniablement sur des principes moraux, s'apparentent davantage à des règles déontologiques destinées à guider l'exercice de la profession de journaliste qu'à une éthique au sens propre du terme.

Il résulte de cet état de faits que dans la réalité courante, l'éthique journalistique, au Québec, est perçue comme un ensemble de règles de conduite héritées de la tradition, des coutumes et de l'usage, et destinées à guider les actions des journalistes et des médias, tant sur le plan individuel que collectif.l l On se réclame ici de l'héritage anglo-saxon et on privilégie une éthique non codifiée, dont la gestion emprunte le modèle de l'auto-réglementation et dont l'interprétation est laissée au Conseil de presse, créé en 1973, à la collectivité journalistique ou à la conscience de chacun le cas échéant. Cette situation particulière, qui ressemble à celle des autres pays anglo-saxons, s'explique par le type de législation et de fondements juridiques qui servent de balises légales au journalisme au Québec.

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Les fondements juridiques de l'éthique journalistique

De tout temps, les confréries professionnelles de journalistes ont manifesté une farouche opposition à toute forme de codification de l'éthique; ils affichent une allergie permanente et universelle à toute idée d'adoption de

codes de déontologie explicites et formels. Les journalistes bénéficient à cet

égard d'un état d'exception assez inusité. Nulle autre profession, dont les

praticiens sont placés en interaction constante avec le public auquel ils sont appelés à rendre un service qualifié d'essentiel (médecins, avocats, notaires, architectes, pharmaciens, policiers, etc.), ne jouit d'autant de liberté et d'une

marge de manoeuvre aussi large.12

Cette situation exceptionnelle s'explique du fait que l'exercice du métier de journaliste s'appuie sur un principe fondamental, celui de la Liberté. Depuis le Siècle des Lumières, on inscrit dans toutes les chartes de droits les principes fondamentaux de la liberté d'expression, la liberté d'opinion et la liberté de

presse; au fil des siècles, ces principes fondamentaux ont été interprétés en

Europe et en Amérique du Nord de manière très libérale, voire permissive. Ces concepts-clés (que nous définirons et approfondirons dans les chapitres subséquents) se trouvent au coeur du régime qui gouverne la presse au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest et qu'on appelle la doctrine libérale. La doctrine libérale de la presse constitue l'une des quatre théories décrites parles théoriciens des communications, Fred Siebert, Theodore Peterson et Wilbur Schramm (1956), dans leur essai typologique Four Theories of the Press, qui est en somme une tentative de distinguer les quatre types de

régimes idéologiques de l'information qui prévalent dans le monde. Deux

premiers régimes se sont d'abord imposés: le modèle autoritaire, dominant aux XVIe et XVIIe siècles et encore pratiqué dans certains Etats sous férule militaire, par exemple, et la doctrine libérale, issue de la pensée philosophique des Milton, Locke, Mill, Rousseau et Voltaire, et axée sur le libéralisme et les droits de la

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XVIIIe siècle et s'est répandue en Amérique du Nord où elle prévaut encore. Les deux doctrines les plus récentes sont la théorie de la Responsabilité sociale, associée à la philosophie post-libérale, et qui est apparue aux Etats-Unis au cours du XXe siècle (et sur laquelle nous reviendrons au Chapitre 3) ainsi que le modèle totalitaire socialiste, découlant de l'ancien modèle autoritaire, et qui prédominait jusqu'à tout récemment en Union Soviétique, en Europe de l'Est et dans les Etats d'obédience communiste.

La doctrine libérale de la presse est donc l'héritière de la philosophie des Lumières et elle vise à opposer le pouvoir de la Raison universelle, à laquelle tous peuvent théoriquirnent participer, à l'autorité absolue de Dieu ou de toute autorité politique qui piétendrait détenir la Vérité. Affirmant que nul n'est censé en avoir le monopole, la doctrine libérale s'oppose à toute tentative pour trancher la vérité par voie d'autorité (Balle 1988,203). Le pluralisme de l'information, rendu possible par la pluralité et la diversité des sources et des organes d'information, constitue le moyen privilégié par lequel s'incarne cet idéal libéral. Comme on le sait, dans les sociétés occidentales, le libéralisme s'est développé en même temps que se déployait le capitalisme et que s'installait une économie de -marché. La pluralité de l'information, selon la doctrine libérale, passe donc par l'assujettissement de la presse aux règles du marché: "(L)a concurrence apparaît ainsi comme un moyen dont la fin se nommerait indifféremment vérité ou objectivité" (Balle 1980,203).

L'insertion du système (de production et de diffusion) de l'information dans les règles de l'économie de marché s'est accompagnée, dans les Etats où prévaut la doctrine libérale, d'une distanciation marquée entre l'Etat et les entreprises de presse. Le refus catégorique du principe d'autorité constitue d'ailleurs l'une des caractéristiques de la doctrine libérale (Balle 1988). C'est au nom de la liberté de la presse, qu'on a cru devoir s'abstenir de réglementer de quelque manière que ce soit le travail des journalistes. Aux Etats-Unis, le Premier Amendement constitue l'un des piliers les plus sacrés de la Constitution américaine. Au Canada, l'article 2b de la Constitution de 1981 remplit la même

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fonction; au Québec, dès 1975 la Charte des droits et libertés de la personne avait reconnu le principe du droit à l'information.

Cette protection constitutionnelle est sensée garantir à la presse une liberté totale et une protection contre toute tentative de manipulation ou de contrôle de la part des autorités publiques. Les limites poséesàcette liberté sont énoncées dans les lois ordinaires qui interdisent la diffamation, la sédition, la propagande haineuse. Au Québec, le Code civil interdit le libelle diffamatoire et la Loi sur la presse, une vieille législation dont la rédaction confuse n'a pratiquement pas été rajeunie depuis son adoption en 1929, établit les procédures à suivre en cas d'atteinte à la réputation par les seuls quotidiens auxquels elle s'applique (Vallières et Sauvageau 1981). Par ailleurs la protection de la vie privée, de la réputation, de l'intégrité est assurée par les textes fondamentaux que sont les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés (Duplé 1986).

Telles sont les principales balises juridiques qui encadrent la pratique journalistique. Mis à part l'assujettissement de la presse électronique aux règlements fédéraux et au CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada), il n'existe aucune loi régissant le fonctionnement de la presse écrite au Canada ou au Québec.1J Exception faite

des dispositions portant sur le libelle diffamatoire et la propagande haineuse et des lois ordinaires en vigueur dans le pays, aucune loi, aucun règlement n'a pour effet d'exiger que le contenu de l'information soit conforme aux faits, que les journalistes respectent les droits et libertés des personnes et des groupes, et encore moins que les textes d'information satisfassentà des exigences d'équilibre (de 'fairness'), ou que la presse en général réponde aux besoins de la démocratie. C'est donc un paradoxe apparent: les entreprises de presse, dont l'existence même bénéficie d'une protection absolue, inscrite dans les textes fondamentaux du pays, ne sont par ailleurs assujetties dans leur fonctionnement qu'à un nombre extrêmement limité de contraintes à caractère juridique. On

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atteint ainsi le paroxysme de la philosophie de la doctrine libérale: le principe de la liberté de presse exige la non-intervention absolue de l'Etat.

Au fil des ans toutefois, la nécessité s'est fait sentir de répondre aux exigences et aux critiques croissantes du public et a entraîné la création de différents systèmes d'autoréglementation destinés autant à gérer les questions d'éthique qu'à contrer les menaces et les pressions de tous ordres. C'est ce genre de pression qui avait entraîné la création d'une Commission sur la liberté de la presse aux Etats-Unis, présidée par Robert Hutchins, au début des années 1940,14 et dont les recommandations visaient un accroissement des responsabilités assumées par la presse. Plutôt que de se soumettre a.\ contrôle de l'Etat ou à toute intervention extérieure, la presse avait alors proclamé son adhésion à la théorie de la Responsabilité sociale. Au cours des dernières décennies, on a assisté au maintien de cette constante opposition à toute forme d'intervention de l'Etat, tant de la part des entreprises de presse que des journalistes. On doit cependant s'interroger sur l'interprétation qu'on donne aujourd'hui du concept de Responsabilité sociale des médias, tel qu'il découle du rapport de la Commission Hutchins de 1947. Il semble que la presse, davantage soumise aux exigences du système économique et de la publicité qui la fait vivre (Falardeau 199Gb; Julien et al 1988), ne se soucie qu'accessoirement de cette Responsabilité sociale qui serait assimilée, un peu comme à l'époque de Jefferson, à une obligation qui se trouverait automatiquement assumée du seul fait de l'existence d'un grand nombre d'entreprises de presse. Du reste cette Responsabilité sodale, dans la mesure où elle implique une mission de "fournir des renseignements complets et variés sur les affaires publiques", tel que le définissait le Conseil de l'Europe en 1970,15 se heurte à une limitation paradoxale: imposer une telle obligation aux médias reviendrait à brimer la liberté d'expression des propriétaires.

La contradiction est insurmontable. Ou bien on laisse jouer les

mécanismes du marché, qui dispense gouvernants, gouvernés

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attributs de ce qui est offert à la clientèle. Ou bien l'Etat veut garantir à tous une information de qualité et il doit poser des choix qui ne font pas l'unanimité et qui sont contraires aux libertés individuelles d'expression et d'opinion.

Francis Balle 1"

Tout comme au XVIIIe siècle, au moment de l'Indépendance américaine et de la Révolution française, on veut croire encore aujourd'hui que le jeu du libre marché auquel la presse est soumise suffit à maintenir les conditions essentielles à l'équilibre, à la libre circulation, à la qualité de l'information. Plusieurs auteurs ont pourtant signalé que l'institution de la presse a évolué au gré des pressions exercées par le contexte politique, économique, social et culturel, au point de devenir une industrie gigantesque aux ramifications innombrables dans toutes les sociétés développées (Bagdikian 1990; Garnham 1990; Schudson 1978; Tunstall et Palmer 1991). Chaque fois que se manifeste l'insatisfaction du public face au comportement des médias et chaque fois que resurgit le débat de société quant à la nécessité pour l'Etat d'intervenir dans la gestion des affaires liées à la presse, professionnels et gestionnaires invoquent les grands principes de liberté de presse et de droit du public à l'information pour se défendre de toute tentative de réglementation, allant même jusqu'à instituer des tribunaux d'honneur responsables de la gestion de l'éthique journalistique pour faire preuve d~:leur bonne volonté et en même temps faire taire les détracteurs (Sauvageau 1978).17

Seule une analyse de l'interprétation qu'on a donnée des principes fondamentaux sur lesquels repose l'exercice du journalisme permet de comprendre les raisons pour lesquelles le principe de la liberté, accordée à la presse au nom des exigences de la démocratie, a servi en même temps de paravent grâce auquel des générations de journalistes et d'éditeurs ont jalousement protégé leurs prérogatives, se plaçant eux-mêmes hors de tout regard inquisiteur et, en quelque sorte, au-dessus de tout soupçon. L a conception libérale de la liberté de presse, en tant que prolongement des

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libertés fondamentales d'expression et d'opinion finit toujours par l'emporter. Les excès, abus et erreurs qu'on reproche àla presse doivent alors être mis sur le compte du prixà payer pour maintenir un système àe liberté dans une société démocratique.

La marchandisation de l'information

Le déplacement des instances de responsabilité en matière d'éthique s'est opéréà la faveur de certains facteurs qui se rattachent au contexte économique, politique, social et culturel dans lequel. la presse évolue. Le phénomène d'appropriation de l'information (et de l'expression publique) par les mécanismes corporatifs de production de l'information, décrit par certains auteurs et qui est appelée la marchandisation de l'information constitue sans contredit l'un des facteurs déterminants dans ce processus (Bagdikian 1982; Fishman 1988; Garnham 1990; Schiller 1989; Tunstall ~fPa!mer 1991).

Après avoir été définie essentiellement comme un service public,. l'information a connu une évolution qui a été considérablement influencée par les développements du capitalisme libéral moderne (Schudson 1978). Sous l'impact de l'industrialisation, les entreprises de presse ont grossi et ont raffiné leurs activités. De la feuille quotidienne distribuée main à main, le journal est devenu un produit de consommation courante, une marchandise offerte sur le marché. Peu à peu l'espace occupé par les nouvelles elle-mêmes a diminué pour faire place à un apport toujours croissant d'annonces publicitaires. Les dépêches transmises d'abord par télégraphe, puis par d'autres modes plus raffinés de télécommunication ont permis d'élargir au monde entier les horizons couverts par la nouvelle (DeBonville 1988). Après la Deuxième guerre mondiale, quotidiens et magazines, ainsi que leurs nouveaux concurrents, la radio et la télévision, sont entrés de plain pied dans l'ère moderne de la production. Photocomposition, presses à grand débit, techniques de reproduction à haut

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...,

rendement, informatisation, transmission par satellite: toute une technologie moderne s'est développée, qui a permis de faire passer l'information de l'ère artisanale à l'âge post-industriel.

En même temps les entreprises de presse ont tant et tant grandi qu'elles ont fini par être avalées par des géants; la petite entreprise familiale a quasiment disparu et on compte sur les doigts d'une main les quelques grands conglomérats trans-nationaux qui possèdent à eux seuls la majorité des entreprises de presse du monde (Smith1991; Tunstall et Palmer1991). Dans la foulée de cette irrésistible évolution, tout a changé: les contenus, la disposition des inf?rmations, les publics auxquels on s'adresse ou auxquels on ne s'adresse plus, lé façons de produire l'information, les contraintes technologiques et, de manière tout à fait fondame'1tale, le statut même de l'information et celui des journalistes.

Par ailleurs, d'artisans relativement autonomes qu'ils étaient jusqu'à la moitié du XXe siècle, les journalistes sont peu à peu devenus des employés et constituent maintenant les rouages d'un système très élaboré sur lequel ils n'ont qu'un contrôle relatif. En raison de la dépendance économique et morale qui les lie aux médias, les journalistes ne peuvent se considérer comme d'authentiques professionnels, au sens propre du terme (Demers1989). Investis des plus larges formes de liberté et d'indépendance, ils sont par ailleurs tributaires des entreprises de presse pour actualiser cette liberté, sans succomber aux intérêts commerciaux qui leur assurent leur pain quotidien. Le rôle des journalistes s'est ainsi modifié graduellement de même que les valeurs qui sous-tendent leur engagement dans cette activité qui ressemble davantage aujourd'hui àun métier qu'à une profession (Altschull 1984; Gans 1980). Bien que leur incombe la cc responsabilité de m~térialiser le droit du public à l'information, les journalistes sont bien davantage assimilables à des salariés au service de l'entreprise-qui les emploie, et épousent à ce titre toutes les caractéristiques du modèle du "bon employé", c'est-à-dire que leur activité s'inscrit dans un rapport interactif avec les entreprises qui exercent une sorte de paternalisme éclairé et qui

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récompensent le dévouement des employés loyaux en leur assurant une sécurité matérielle (Guay 1986; Demers 1989).

Parallèlementà tous ces changements d'ordres divers, la nature même de l'information s'est transformée. Tout en continuant d'être l'aboutissement du travail des journalistes, l'information n'est plus essentiellement le service public qu'on définissait jadis comme la garantie de la démocratie; elle est bien davantage le résultat d'un processus de production, un produit SOUllÙS aux règles du jeu de l'offre et de la demande, une sorte de marchandise que la société de consommation propose àdes lecteurs/auditeurs désormais considérés essentiellement comme des "consommateurs". A la faveur de l'évolution du capitalisme, l'information est devenue peu à peu un sous-produit de l'industrialisation. C'est l'ensemble de ce processus qu'on appelle simplement la marchandisation de l'information,18 un phénomène qui atteint des proportions telles qu'il met en péril l'existence même d'un espace public démocratique, où la réflexion et les débats peuvent essentiellement être poursuivis grâce aux médias. L'information, qui demeure le principal véhicule des événements et des opinions dans une démocratie, n'est plus orientée vers le service public mais bien davantage consacrée à la rentabilité des entreprises qui se la sont appropriée, de sorte que les conditions llÙnimales d'un rapport dynallÙque entre la population et les dirigeants se trouvent littéralement comprollÙses (Entman 1989; Keane 1991; Raboy et Dagenais 1991). Nicolas Garnham, un des critiques les plus sévères de l'industrie contemporaine de la presse, signale une confusion croissante entre les deux fonctions communicationnelles distinctes que la presse doit assumer: celle qui consiste à

cueillir et diffuser l'information et celle qui vise à fournir un forum de discussion, de débats (1990, 111).

Ce phénomène de la marchandisation de l'information nous semble constituer l'un des principaux facteurs àla source de plusieurs des changements qui se sont opérés au cours des trente dernières années dans la presse, tant sur le plan des pratiques que des valeurs qui sous-tendent l'éthique journalistique.

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La marchandisatian de l'information constitue le phénomène sous-jacent qui se trouve à l'origine de plusieurs manifestations qu'à maintes reprises, empruntant différentes approches, des critiques inquiets ont tenté de décrier sans nécessairement en saisir toute l'ampleur ou toutes les ramifications.

Prolé&omènes théoriques et problématique!"

Comme on l'a v;;;, l'éthique journalistique se situe au confluent de grands axes théoriques: la philosophie, où plongent les racines des préceptes moraux qui constituent l'éthique en matière de communication, et la science juridique, en raison des principes dont la codification a déterminé certains paramètres autour desquels s'articule la définition de la déontologie de la presse. Toute analyse doit donc nécessairement tenir compte de cette double origine de manière à appréhender les questions d'éthique journalistique dans toute leur ampleur et dans une perspective théorique qui dépasse les interrogations superficielles courantes.

L'éthique journalistique se trouve égalementàsubir l'influence directe des événements qui constituent le contexte politique, économique, social, culturel dans lequel l'information joue un rôle centrai. C'est dans un contexte historique précis que se posent aux journalistes des questionnements quant à leurs pratiques professionnelles, leur rôle, leur fonction; l'analyse doit donc également porter sur l'examen de ces questions principales telles qu'elles sont soulevées en rapport avec les événements qui constituent la trame historique de la période à l'étude.

L'analyse de l'évolution de l'éthique journalistique s'appuie donc sur un ensemble de facteurs d'ordre et de nature fort diversifiés, qui exercent une influence tant directe qu'indirecte sur le journalisme. L'information et les médias participent d'un système aux composantes multiples, qui englobe les réseaux d'interaction entre de nombreux intervenants placés tout le long du

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processus de fabrication de l'information: les sources, les intermédiaires, les journalistes, les techniciens, les cadres, les gestionnaires, les politiques de l'entreprise de presse, les annonceurs, les agences, le syndicat, la hiérarchie de la salle de rédaction, les propriétaires, les concurrents:

Par système d'information, j'entends cet ensemble qui va des sources jusqu'au public, en passant par l'entreprise de presse et par les annonceurs, sans oublier le contexte sociopolitique. C'est ce système qui influence l'évolution du journalisme.

Florian Sauvageau 20

On se trouve donc en présence d'une multitude de facteurs qui interagissent et dont les effets combinés ont des répercussions majeures sur l'éthique et les pratiques journalistiques. Ce serait une erreur de singulariser l'un de ces facteurs plutôt qu'un autre, l'impact des technologies par exemple,21 ou encore le phénomène de marchandisation de l'information, ou même la concentration des entreprises. Une telle singularisation équivaudrait à nier la dimension systémique du processus de fabrication 1transmission 1

réception 1consommation de l'information. li importe donc non seulement d'identifier chacun des ordres de facteurs mais également de procéder à une analyse multifactorielle de l'ensemble des variables en termes des impacts observables sur les questionnements éthiques, les orientations déontologiques et les pratiques professionnelles des journalistes.

Ces facteurs multiples sont de quatre ordres et nous les avons regroupés en autant de catégories d'analyse aux fins de la présente étude:

1. les principaux événements d'ordre politique, économique ou social qui constituent la trame historique du Québec au cours de la période 1960-1990; 2. les principaux événements qui marquent l'histoire de la presse au Québec, entendue au sens des mouvements qui influencent l'organisation de la presse: conflits de travail, nominations, démissions, création ou disparition de journaux, changements de propriété;

(39)

3. les tendances majeures qu'on observe dans la définition que les journalistes donnent de leur profession, du rôle qu'ils jouent dans la société, de leur statut ainsi que dans l'orientation des activités de leurs organisations professionnelles ou syndicales;

4. les éléments déterminante reliés aux pratiques professionnelles, àla fois dans

les façons de fabriquer l'information, dans les styles narratifs utilisés et dans l'importance accordée à différents genres journalistiques.

En somme, les principales interactions G'effectuent autour de ces quatre

axes: la presse face à l'Etat ou à la société, la presse en tant qu'institution

sociale, les journalistes en tant que collectivité professionnelle, et les pratiques journalistiques telles que traduites dans les contenus et dans l'orientation de l'information (praxis). Une telle catégorisation s'éloigne de l'approche utilisée généralement dans l'étude des questions d'éthique de la communication et du journalisme où l'accent est mis davantage sur la dimension individuelle des droits et des responsabilités.

An ethics of individual rights and personal decision-making has largely controlled the agenda to date. Most of the prominent

textbooks define ethicsinterms of a reporter's sins, conundrums

and choices.

Clifford G. Christians22

Des auteurs comme Eugene H. GooùWin (1983), Tom Goldstein (1985), John L.Hulteng (1985) mettent tous l'accent sur l'attitude morale des pratiCiens de l'information telle qu'on peut la percevoir dans leurs habitudes de travail, leurs projets, leurs échecs. L!! journaliste vertueux est celui qui pratique un haut degré de moralité et qui s'adonne à une auto-discipline exemplaire. Bien qu'elle trouve ses fondements dans la tradition philosophique libérale du siècle des Lumières et qu'elle consacre le principe inviolable de la Liberté du journaliste, une telle vision nOus semble exagérément réductrice en ce qu'elle néglige

d'inscrire la démarche journalistique individuelle à l'intérieur d'un ensemble

Figure

Tableau l - Le déplacement des instances
Tableau 1 - Le déplacement des instances (lef niveau)
Tableau IV - Première p!!riode 1960 - 1970 - Phase d'!!veil et de croissance Date Evenement socio-politique Organisations de
Tableau VI- Deuxi~me période 1970 - 1980 - Phase de militantisme Date Evénement socio-politique Organisation de

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