• Aucun résultat trouvé

L’homme qui murmurait à l’oreille des morts (scénario) : Suivi de 81 ans plus tard : la figure du zombie, renouvelée ? (réflexion critique)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L’homme qui murmurait à l’oreille des morts (scénario) : Suivi de 81 ans plus tard : la figure du zombie, renouvelée ? (réflexion critique)"

Copied!
162
0
0

Texte intégral

(1)

L’homme qui murmurait à l’oreille des morts (scénario)

suivi de 81 ans plus tard : la figure du zombie,

renouvelée? (réflexion critique)

Mémoire

Marie-Eve St-Gelais

Maîtrise en études littéraires

Maîtrise ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii

RÉSUMÉ

Le présent mémoire se subdivise en deux parties. La première, intitulée

L’homme qui murmurait à l’oreille des morts, consiste en un scénario original

d’un long-métrage de fiction d’une durée approximative de 90 minutes. Avant d’aborder le scénario à proprement parler, une présentation du projet, du sujet, des principaux personnages et du traitement cinématographique envisagé sont présentés. Par la suite, vous pourrez lire le scénario dans son intégralité. Il s’agit de l’histoire d’un musicien et père de famille (Léo Major) qui, le jour de son anniversaire, doit composer avec le décès accidentel de sa femme et de sa jeune fille. Le cadeau que lui avaient acheté les défuntes lui est rendu et bouleverse son existence, car l’objet en question, un saxophone, possède l’étrange pouvoir de réveiller les morts.

La seconde partie du mémoire porte sur la figure du zombie au cinéma, de ses origines à nos jours. Elle consiste à démontrer toute la richesse et la complexité de ce type de personnage très présent sur nos écrans et elle cherche à voir si le zombie d’autrefois est le même que celui d’aujourd’hui ou s’il a évolué en une entité différente. De plus, cette partie réflexive est l’occasion de situer ma propre création par rapport à l’évolution de la figure du zombie au cinéma.

(4)
(5)

v

Table des matières

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

REMERCIEMENTS... vii

PRÉSENTATION DU PROJET ... ix

Le sujet ... xi

Présentations des principaux personnages ... xii

Traitement cinématographique ... xv

SCÉNARIO : L’homme qui murmurait à l’oreille des morts ... 1

81 ANS PLUS TARD : LA FIGURE DU ZOMBIE, RENOUVELÉE? ... 101

INTRODUCTION ... 102

Présentation du sujet et de la problématique ... 102

Présentation du corpus à l’étude ... 104

APPARENCE PHYSIQUE DU ZOMBIE : LE CORPS EN MOUVEMENT ... 106

L’apparence physique des zombies de L’homme qui murmurait à l’oreille des morts ... 110

TEMPS ET LIEUX : L’HABITAT NATUREL DU MORT-VIVANT... 112

Le cadre spatio-temporel dans L’homme qui murmurait à l’oreille des morts ... 116

POUR UNE PSYCHOLOGIE DU ZOMBIE : COMPORTEMENTS ET HABILETÉS ... 118

Les caractéristiques des zombies dans L’homme qui murmurait à l’oreille des morts ... 123

LE ZOMBIE ET LES NON-DITS : CE QU’IL CHERCHE A VOUS DIRE ... 125

I walked with a zombie (1943) ... 125

Night of the living dead (1968) ... 126

Dawn of the dead (1978) ... 127

Zombie 2 (1979) ... 128

Day of the dead (1985) ... 129

Braindead (1992) ... 130

Resident Evil (2002) ... 131

(6)

Shaun of the dead (2004) ... 133

Land of the dead (2005) ... 134

28 weeks later (2007) ... 135

Zombieland (2009) ... 136

L’homme qui murmurait à l’oreille des morts ... 137

CONCLUSION ... 140

Les zombies de L’homme qui murmurait à l’oreille des morts, nouveauté ou réappropriation de la figure classique? ... 142

(7)

vii

REMERCIEMENTS

Un merci tout particulier à ma directrice de maîtrise, Madame Esther Pelletier, pour ses précieux enseignements, tout au long de mes études, ainsi que son support constant. Surtout, merci pour la grande ouverture d’esprit, pour nous avoir épaulés mes zombies et moi, au cours de ces dernières années.

Merci également à Stéphane pour sa grande patience et son appréciation de l’univers zombiesque (et tout le reste).

Merci aussi à ma famille et à mes amis qui se surprennent à chaque fois qu’on puisse travailler sur quelque chose d’aussi étonnant que les zombies à l’université. Et une mention spéciale à Samantha pour ses lectures attentives, ses conseils et son aide.

(8)
(9)

ix

Présentation du projet

Cette histoire de zombies a vu le jour dans un cours de cinéma du baccalauréat. Elle est née du désir de mélanger les genres cinématographiques (drame, horreur, humour). Puis, ce récit inachevé a été oublié.

Quelques temps plus tard, sur les bons conseils de ma directrice de maîtrise, j’ai dépoussiéré cette histoire que je croyais morte et enterrée et je lui ai redonné vie. Plus qu’une histoire de zombies, j’ai cherché à y insérer certaines préoccupations et des thématiques que j’aime traiter.

Ainsi, la mort constitue l’un des thèmes centraux de L’homme qui

murmurait à l’oreille des morts. Léo Major, personnage principal de l’histoire,

doit faire face au décès violent et inattendu de sa femme et de sa jeune fille. La mort est un passage obligé et douloureux. En abordant ce thème, le récit exprime la fragilité de la vie. En une seconde, l’existence de Léo bascule. Le rapport qu’il entretient avec la mort se complexifie au fil des événements avec l’apparition de morts-vivants.

Le thème du deuil, inextricablement lié à celui de la mort, se révèle aussi d’une grande importance. Il est livré comme un processus éprouvant qui transforme le protagoniste. Dans ce film, le deuil est abordé comme une véritable descente aux enfers et donne à voir l’absurdité de la vie. Léo en vient à se demander à quoi bon continuer de vivre, sans les deux êtres les plus importants de son existence. Les liens qu’on crée avec les autres sont appelés, un jour ou l’autre, à nous faire mal. Il devient absurde d’aimer, car le sentiment le plus agréable qui soit, ne peut que se solder par le malheur et la douleur. La perte de Léo Major enclenche chez lui un processus d’autodestruction et de grande détresse. Le deuil le ronge, le plonge dans un état de mort-vivant. Et les zombies qui entrent en scène symbolisent cet état où se trouve l’endeuillé : entre la vie et la mort. Le personnage doit faire son choix : se placer du côté des vivants en combattant les créatures ou se laisser

(10)

basculer du côté des morts, métaphoriquement dévoré par ce deuil insoutenable et littéralement rongé par les zombies.

Le surnaturel, autre thème privilégié, se perçoit dans les zombies qui peuplent ce long-métrage. Ils sont l’incarnation physique du deuil qui dévore Léo. Le saxophone, acheté chez l’antiquaire, possède l’étrange pouvoir de réveiller les morts. Il constitue la porte d’entrée du surnaturel. C’est par l’intrusion du fantastique dans le récit (après le terrible drame) qu’il y aura relance de l’histoire.

Par mon récit, j’ai aussi cherché à décrier l’abrutissement que je perçois dans la société contemporaine. De nos jours, la superficialité, la facilité et les valeurs insipides règnent en maître. De plus, les médias et la télévision ont pris une ampleur effarante dans nos vies. Nous sommes dans un monde aux solutions faciles, un monde de surface, où on avale l’information pour la recracher aussitôt, sans prendre le temps de la digérer, de la transformer, avant de l’expulser. Léo est un peu le reflet de ma vision de la société d’aujourd’hui, il croit pouvoir trouver son salut par le médium cinématographique, il se tourne vers la solution facile pour résoudre ses problèmes. Il y a là l’évocation de l’impossibilité de réfléchir par soi-même. Les zombies symbolisent pour moi l’état dans lequel nous sommes plongés en tant que société, un certain « immobilisme intellectuel ». Loin d’être moralisateur, mon projet n’en demeure pas moins inspiré de certaines réflexions personnelles.

Cela dit, l’une de mes plus grandes préoccupations a été de créer une histoire qui mélange les genres cinématographiques, un drame sur fond d’horreur et d’humour, ponctué de gore.

(11)

xi

Le sujet

De nos jours, dans une grande ville francophone, Rebecca et sa jeune fille Laura reviennent en voiture de chez l’antiquaire où elles ont acheté un saxophone pour l’anniversaire de Léo, le père de famille, également musicien. Cependant, elles perdent la vie dans un grave accident de voiture avant de pouvoir remettre le présent à Léo. À la morgue, ce dernier identifie les corps. Puis, il récupère les effets personnels des défuntes au garage. Après des funérailles éprouvantes, il sombre dans l’alcool et déprime. Sans le sou, il doit retourner sur scène pour se faire un peu d’argent, mais ses abus d’alcool répétés irritent son ami Ricky, qui le laisse tout de même jouer dans son bar par pitié. Toutefois, dès le premier spectacle qu’il donne, des événements inexplicables surviennent et s’enchaînent : la victime d’une fusillade dans le bar se relève ; sur la rue, le chien de Léo ressuscite après s’être fait happer par une voiture ; au salon funéraire, un mort s’éveille ; dans le cimetière, les morts s’échappent de leur tombe... Peu à peu, le musicien constate l’étrange pouvoir du saxophone reçu en cadeau de sa femme et de sa fille et réalise qu’il est responsable du réveil de tous ces morts. À l’aide de son ami Ricky, il cherche à détruire le saxophone, afin de briser l’envoûtement. Croyant détenir la solution pour se débarrasser de l’instrument, les deux amis se rendent dans une fonderie, mais au dernier moment, Léo aperçoit Rebecca et Laura et ne peut se résoudre à jeter le saxophone dans les flammes. Incapable d’être à nouveau séparé de sa femme et de sa fille, Léo fait le choix de devenir un zombie, au grand dam de Ricky qui supplie Léo jusqu’à la fin.

(12)

Présentations des principaux personnages

Léo Major : Saxophoniste professionnel de trente-six ans, il est un père et un mari aimant. Il est grandement affecté par la mort accidentelle de sa femme et de sa fille. Il a peu de véritables amis, mis à part Ricky Miller, un tenancier de bar. Lorsqu’il a des problèmes, c’est vers Ricky que Léo se tourne. Il a une fâcheuse tendance à noyer sa peine dans l’alcool. C’est un véritable passionné de musique et de films d’actions des années 80, fan incontesté de Schwarzenegger, Stallone, Norris, Seagal, Van Damme et compagnie. Autre trait particulier, il a grandi dans le Wisconsin avec ses parents et est d’origine anglophone. Il parle néanmoins très bien le français, quoique son discours soit à l’occasion teinté d’expressions anglophones. Sur le plan physique, Léo Major est un homme aux traits harmonieux, qui a l’air en santé et qui parait un peu plus jeune que son âge. Quoiqu’il soigne généralement son apparence, les événements qui bouleversent sa vie le mènent à un certain laisser-aller.

Ricky Miller : Ami de Léo Major, il possède un bar et permet à Léo de se produire sur scène. Il a vécu une folle jeunesse, mais s’est assagi à l’âge adulte. Il est devenu un homme d’affaires investi dans son travail. Ses nombreux tatouages et ses piercings inusités lui valent parfois la réputation d’être un dur à cuire, mais en réalité, il s’agit d’un homme plein de compassion et d’une générosité étonnante. Sa grande rationalité et son esprit terre-à-terre l’empêche de croire initialement Léo, lorsqu’il lui confie les pouvoirs du saxophone.

Rebecca Bourbonnais : Femme de Léo Major et mère de la petite Laura, elle est mariée à Léo depuis dix ans et l’aime profondément. Elle est surprotectrice avec sa fille, car elle a fait trois fausses couches avant d’avoir Laura et en est demeurée très marquée. C’est une photographe pigiste, une artiste dans l’âme. De belle apparence, elle dégage un charisme naturel.

Laura Major : Fille unique de Léo et de Rebecca, elle est très liée à ses parents et est douée à l’école. Elle a sept ans et comme tous les enfants de son âge,

(13)

xiii elle est spontanée et laisse échapper sans retenue tout ce qui lui passe par la tête. Elle ressemble à une poupée Bout d’chou.

Dr Yves Lambert : Il s’agit d’un médecin légiste. C’est lui qui demande à Léo d’identifier les dépouilles de sa famille. Dr Lambert a la grosse tête (il a inventé le sirop Lambert et en est bien fier) et il dégage une attitude froide, détachée. Avec les années de pratique, il est devenu insensible à la douleur de ses patients et se met à distance pour éviter l’émotivité. Avec lui, pas de détour, il va droit au but.

Henri Sigouin : Garagiste et fils d’Henri Sigouin Sénior, ce petit homme au physique ingrat et à la présentation négligée est un garagiste sale et bourru. Ses lunettes style « fonds de bouteilles ronds » lui font de gros yeux globuleux surdimensionnés. Il remet les effets personnels des défuntes à Léo et se montre indélicat envers l’endeuillé.

Marguerite la barmaid : Parfait cliché de la barmaid séductrice, son décolleté n’a d’égal que ses lèvres écarlates et gonflées aux injections répétées. Son apparence physique est tellement plastique, que ses interlocuteurs s’étonnent presque qu’elle puisse articuler des phrases qui se tiennent. Elle a néanmoins une tête sur les épaules et remplit ses fonctions comme il se doit.

Oleg Yoni : Vieil antiquaire ukrainien à l’accent étranger, il est plutôt du genre mystérieux. Il connait des secrets sur le saxophone maléfique, mais comme il est discret et qu’il ne veut pas reprendre l’objet maudit, il se révèle peu bavard et peu enclin à aider Léo.

Les zombies : Un peu balourds, ils s’apparentent à ceux de Dead Alive1, pas

trop rapides et généralement amorphes, mais néanmoins désireux de propager l’envoûtement du saxophone. Ils sont plus vigoureux à l’occasion. De plus, ils gardent les grands traits de personnalité qu’ils possédaient de leur vivant.

(14)

Le saxophone : Il s’agit du cadeau d’anniversaire que Rebecca et Laura ont acheté à Léo, tout juste avant de mourir, chez l’antiquaire Oleg Yoni. L’instrument a appartenu à une grande légende du jazz, mais pour une raison nébuleuse, s’est retrouvé dans un magasin d’antiquités. Malgré son âge, il a une très belle apparence et se révèle pratiquement indestructible. Le saxophone possède le pouvoir insolite de réveiller les morts.

Benny : Benny est le chien de Laura. Il s’agit d’un terrier de petite taille plein d’entrain. Sa témérité lui vaut de se faire percuter par une voiture. Il reprend vie sous l’emprise du saxophone.

(15)

xv

Traitement cinématographique

Le traitement du film se veut sans prétention, à la manière des films de série B. À ce titre, la simplicité est de mise dans les effets spéciaux et maquillages. À cet effet, le recours à des effets numériques n’est pas envisagé. Le gore2 est utilisé pour donner un caractère absurde aux scènes, pour faire

rire le spectateur ou encore pour créer un malaise. Le mélange de différents registres propres au cinéma permet une diversité de réactions chez l’auditoire. L’émotion du spectateur est en dents de scie. La présence des zombies est accompagnée de musique démente, expérimentale ou énergique dans le but de donner le ton aux scènes qui permettent à Léo de sortir de sa passivité. Les respirations, les pas, les coups, les râles constituent des sonorités sur lesquelles l’accent est mis. La première partie du film, avant l’accident, est plus colorée et laisse entrevoir la candeur et le bonheur de la mère et de la fille. La partie post-accident opère une rupture en étant plus morne et en donnant davantage dans les teintes ternes et sombres. À cet effet, le gris acier, le bleu et autres teintes froides sont à privilégier dans le traitement de l’image.

2 Le gore est un sous-genre cinématographique dérivé de l’horreur qui privilégie les

scènes sanglantes, répugnantes et explicites. Il est utilisé pour dégoûter et provoquer le spectateur.

(16)
(17)

Scénario : L’homme qui murmurait à l’oreille des

morts

Par

(18)

1. EXTÉRIEUR JOUR, À LA SORTIE D’UN MAGASIN D’ANTIQUITÉS

Rebecca et sa jeune fille de sept ans, Laura, sortent d’une boutique. L’écriteau du commerce indique « Les Antiquités Yoni ». Un vieil homme, au crâne dégarni et à l’air sévère, se tient derrière la porte vitrée du commerce. De petites lunettes rondes reposent sur le bout de son nez et une large moustache couvre la majeure partie de sa lèvre supérieure. Il observe les deux clientes qui s’éloignent. Elles se dirigent vers un VUS rouge. Rebecca ouvre la portière à sa fille et boucle sa ceinture de sécurité. Avant de refermer la portière, elle sort de son sac à main un gros chou rouge. Rebecca le tend à sa fille qui s’empresse de le coller sur un vieux saxophone qu’elle presse contre elle. Elles se sourient.

REBECCA

Dis ma puce, tu me le donnes que je le mette sur la banquette arrière?

LAURA

Non! Je veux le garder sur moi, maman.

REBECCA

Bon d’accord, mais fais-y attention, tu sais ce qui est arrivé la dernière fois avec le saxophone préféré de papa… C’est fragile ce genre d’instrument.

LAURA (insultée)

C’était même pas moi qui l’avais lancé du deuxième étage! Personne ne me croit. C’était Benny!

REBECCA

Bon Laura, tu arrêtes tout de suite. Benny est un chien et il ne peut pas ouvrir une fenêtre pour ensuite lancer le saxophone de ton père, avec des bras qu’il

(19)

3 LAURA

(sur un ton renfrogné) D’accord…

REBECCA

Alors, qu’est-ce que t’en dis? Tu crois qu’il va l’aimer?

LAURA

Oui, c’est sûr! Celui-là, il vient de nous! Il est spécial.

REBECCA

Tu sais ce qui le rend encore plus spécial? C’est qu’il a appartenu à une grande légende du jazz que ton papa a en adoration…

LAURA Chuck Norris!?

REBECCA

(ne pouvant étouffer un petit rire)

Non Laura, Chuck Norris est un acteur… Mais c’est vrai que ton papa l’a en admiration!

LAURA

Oui, il parle tout le temps de Chuck Norris!

REBECCA

(Regardant sa montre)

Bon en route, on doit vite aller préparer le gâteau d’anniversaire de ton père avant qu’il revienne.

(20)

2. INTÉRIEUR JOUR, HABITACLE DE LA VOITURE

Le temps est clément, le soleil aveuglant. Rebecca fouille dans la boîte à gants et cherche ses lunettes de soleil. Elle quitte la route des yeux et essaie d’atteindre ses verres fumés qui se trouvent au fond du compartiment. Sa main farfouille, bute contre le contenu du compartiment. Elle les saisit enfin, mais au même moment, elle donne un léger coup de volant et dévie dans la voie inverse. Elle fait une manœuvre d’urgence pour ramener la voiture dans sa trajectoire initiale. Les pneus crissent. Rebecca se tourne vers Laura, lui caresse les cheveux.

REBECCA

Excuse-moi ma puce! Tu es correcte?

LAURA

Oui, ça va maman. (Un temps) On arrive bientôt?

REBECCA

Une quinzaine de minutes. Patience, ça valait le coup d’aller chez cet antiquaire, non? Papa va être tellement surpris de notre cadeau!

LAURA

Oui, mais c’est loin!

REBECCA

Allons, c’est presque terminé.

LAURA

(21)

5 REBECCA

Mais non, il était seulement… Heu… (se ravisant) Bon, c’est vrai, il avait un petit quelque chose d’étrange!

Les deux s’échangent un regard complice et rient de bon cœur. Rebecca a des gouttes de sueur qui perlent sur son front. Elle s’essuie rapidement de la main droite, puis la repose sur le volant et baisse sa fenêtre de la main gauche.

REBECCA

Il fait une de ces chaleurs… Tu veux que je baisse ta fenêtre un peu?

Avant que Laura n’aie le temps de répondre à sa mère, un insecte répugnant, ressemblant à un scarabée volant, entre dans l’habitacle de la voiture. Il se pose sur l’épaule de Rebecca. Elle crie et gesticule pour tenter d’enlever l’insecte. La petite imite sa mère et s’agite à son tour en poussant de petits cris nerveux.

LAURA

Aahhhhhh, ahhhhhhhh, maman, enlève-le!

Rebecca, paniquée, et trop acharnée à se débarrasser de l’importun visiteur, ne porte plus attention à la route et percute de plein fouet la voiture devant elle. Un ralenti en plan latéral permet de voir les deux occupantes dont les corps sont violement secoués. Des éclats de verre les atteignent aux visages et lacèrent leur peau laiteuse. Puis, un autre choc survient, celui de la voiture de derrière qui les emboutit à son tour. Les deux corps, telles des poupées de chiffon, sont secoués à nouveau, projetés vers l’avant. Bruit d’acier froissé et d’éclats de verre, puis le silence. Sur les genoux de la jeune Laura, inanimée, repose le saxophone, qui lui, semble intact. Rebecca, le regard vitreux et le visage ensanglanté, ne bouge plus. L’insecte remonte le long de sa gorge, escalade son menton et s’arrête sur ses lèvres rouges. La caméra effectue un

(22)

plan toujours plus serré sur l’insecte couleur jais, jusqu’à ce que l’écran passe complètement au noir.

3. INTÉRIEUR JOUR, COULOIR DE L’HÔPITAL

L’écran reste noir. On entend quelqu’un respirer bruyamment et des pas de course rapides. La personne émet de petits sanglots étouffés qui ponctuent sa respiration haletante.

4. INTÉRIEUR JOUR, LA MORGUE

L’écran est toujours noir. On entend une porte grincer.

DR YVES LAMBERT

Bonjour, vous êtes monsieur Major je présume?

LÉO MAJOR (expirant bruyamment)

Affffffff, affffff, affffff. Oui, affffff, je suis Léo. Léo Major.

DR YVES LAMBERT

Docteur Lambert, médecin-légiste. Nous allons faire vite. Je sais à quel point ce peut être pénible pour vous.

Bruit métallique. La lumière revient peu à peu et graduellement, des pieds aux ongles peints en rouge apparaissent. Le point de vue est celui de l’intérieur d’un tiroir de morgue. Deux hommes s’approchent, l’un aux cheveux grisonnant et vêtu d’un sarrau blanc, l’autre dans la trentaine et de belle apparence. La caméra reste dans le tiroir en contre-plongée, captant les pieds de la morte et les deux visages penchés au-dessus du cadavre. Léo porte la main à sa bouche et s’écrase au sol.

(23)

7 LÉO MAJOR

Elle est… Non, pas elle. (Prenant sa tête entre ses deux mains) Ça se peut pas. Ça se peut pas.

DR YVES LAMBERT (sur un ton détaché)

Je sais que c’est un choc. Mais il faut me dire monsieur Major, s’il s’agit bel et bien de Rebecca Bourbonnais, votre épouse? Je sais que c’est difficile, mais j’ai

besoin d’une confirmation. Allons, relevez-vous.

Le médecin tend la main vers Léo pour l’aider à se relever. Dr Lambert donne trois petites tapes sur l’épaule gauche de Léo, dans une tentative de réconfort plutôt maladroite.

LÉO MAJOR

(les yeux embués, semblant égaré) Heu, oui. Oui. C’est bien Rebecca.

DR YVES LAMBERT (sur un ton empressé)

Bien. Passons à l’autre dépouille, si vous le voulez bien.

LÉO MAJOR (bouleversé)

Dépouille?

Le médecin referme le compartiment. Puis, le même bruit métallique agaçant d’un tiroir qui coulisse. Cette fois, ce sont de petits pieds bleutés qui apparaissent.

(24)

LÉO MAJOR Oh mon dieu, non!

Incapable de soutenir la vue du petit corps inanimé, il détourne le regard et s’agrippe au sarrau du médecin pour ne pas s’écrouler. Ce dernier semble agacé par le geste et se dérobe en redonnant trois légères tapes sur l’épaule de Léo.

DR YVES LAMBERT

Allons, c’est presque terminé monsieur Major. Dites-moi s’il s’agit bien de Laura Major, sept ans, votre jeune fille?

LÉO MAJOR

(jetant un regard furtif sur le cadavre)

Oui, c’est elle. J’y crois pas, j’y crois pas. (cherchant son air) Faut que je sorte d’ici.

Le médecin le raccompagne à l’extérieur de la salle d’identification des corps et le salue avant de le quitter.

DR YVES LAMBERT

Merci de votre collaboration, monsieur Major. Bon courage pour la suite.

5. INTÉRIEUR JOUR, SALLE DE BAIN DE L’HÔPITAL

Léo se regarde dans le miroir un temps, puis s’asperge le visage d’eau. Il est blême et semble troublé. La sonnerie de son cellulaire retentit (Another

one bites the dust de Queen). Il le sort de sa poche gauche et le porte à son

(25)

9 LÉO MAJOR

Allô. […] Oui, c’est moi. […] D’accord. […] Oui, je connais. C’est sur la troisième avenue.

Il raccroche et regarde son téléphone un moment. Puis, dans un accès de fureur, il le lance de toutes ses forces. L’appareil percute un mur de béton et se brise. Léo, se laisse choir contre un mur et éclate en sanglots. Au même moment, un infirmier entre dans la salle de bain. Léo, recroquevillé, a la tête enfouie entre ses bras croisés. Son visage est caché, mais de terribles secousses font trembler son corps. L’infirmier s’approche de lui doucement.

L’INFIRMIER

Ça va monsieur? Je peux faire quelque chose?

Léo demeure silencieux, la tête toujours enfouie dans ses bras. L’infirmier se penche vers lui, touche son épaule. Léo relève la tête, son visage baigné de larmes. Il repousse la main de l’infirmier d’un coup sec et s’époumone de toutes ses forces.

LÉO MAJOR Sortez! Sortez! Sortez!

L’homme recule et fait demi-tour vers la sortie, le visage à la fois troublé et plein de compassion. Léo serre les poings et frappe le plancher de béton froid, jusqu’à ce que ses jointures saignent.

6. INTÉRIEUR JOUR, GARAGE D’HENRI SIGOUIN

La voiture de Léo avance lentement vers une bâtisse délabrée, sur laquelle un écriteau affiche « Mécanique générale Henri Sigouin et fils ». Léo ne peut s’empêcher d’afficher un air perplexe à la vue de l’endroit. Il se gare,

(26)

puis descend de sa voiture et marche vers la grande porte de garage remontée. Il scrute les environs : une vieille auto rouillée est montée dans les airs. Le sol est recouvert de taches d’huile et des outils trainent un peu partout. Léo esquisse un geste de la main devant son nez, visiblement dégoûté par l’odeur. Il entre plus profondément dans le garage, se dirige vers le comptoir de service et fait tinter la petite sonnette sur le comptoir. Rien. Il sonne à nouveau. Au loin, quelqu’un se racle la gorge et crache. Des pas lourds se font entendre et apparait finalement un homme, petit et répugnant, sale et trapu.

HENRI SIGOUIN

Oui, mon bon petit monsieur, qu’est-ce que je peux faire pour vous?

Léo ne peut s’empêcher de regarder avec dégoût l’homme qui lui fait face. Le garagiste a des fonds de bouteille qui lui grossissent les yeux comme le ferait une loupe. Une coulée brunâtre de tabac chiqué s’étend à la commissure de ses lèvres. Léo fixe l’étrange substance, incapable d’en détourner le regard.

HENRI SIGOUIN Alors… Vous désirez?

LÉO MAJOR (reprenant ses esprits)

Je suis Léo Major, quelqu’un de votre garage m’a appelé pour que je vienne récupérer les effets personnels de ma femme et de ma fille.

HENRI SIGOUIN

(parlant démesurément fort tout en chiquant son tabac)

Ha ben oui! C’est moé ça, mon petit monsieur. Henri Sigouin pour vous servir! Henri Sigouin fils là! C’est ben important de le mentionner. Le père, yé pu ben là par les temps qui courent. Lazimeur, vous voyez… Maudite maladie, ça. Yé

(27)

11 quelqu’un pour veiller comme faut sur sa business. Je parle de moé. Fait longtemps que je travaille icitte moé. Ahhhhh, depuis mes quinze ans, j’dirais.

(il tourne la tête et crache une grosse chique de tabac sur le sol) Bon, vous venez pourquoi déjà? Le changement d’huile?

LÉO MAJOR (sèchement)

Non. J’ai dit que je venais récupérer les affaires de ma femme et de ma fille.

HENRI SIGOUIN

Ah, oui, oui. C’est à quel nom?

LÉO MAJOR Major.

HENRI SIGOUIN

Major? Vous écrivez ça comment coudonc? (fouillant sous le comptoir de service) Moi, je vois pas ça…

LÉO MAJOR

M-A-J-O-R. Comme ça se dit, fuck!

HENRI SIGOUIN

Du calme mon p’tit monsieur. Écoutez (roulant ses « r » avec insistance), j’ai : Richard, Ramone, Leclerc, Fréchette, Bourbonnais et Rockwell… Ma parole ça sait pas chauffer c’te monde là! Pis nous autres on se ramasse avec toutes ces

cochonneries-là. La moitié du monde revienne jamais chercher ça.

LÉO MAJOR

(fâché du commentaire du garagiste)

(28)

HENRI SIGOUIN

Bon! Voyez, quand on me dit les bonnes affaires, je peux être efficace dans ma job moé. Bon c’était trop gros pour le dessous du comptoir, on l’a mis dans

l’armoire. Ce sera pas long. M’en va te chercher ça.

Le garagiste tourne le dos à Léo, se dirige vers une armoire et se penche, laissant entrevoir sa craque de fesses. Henri Sigouin sort une boîte et la pose sur le comptoir. À l’intérieur, quelques disques, un chandail de laine, des factures et un vieux saxophone. À la vue de l’instrument, des larmes montent aux yeux de Léo. Le garagiste pousse la boîte vers lui.

HENRI SIGOUIN

Vous pouvez la prendre. Juste une petite signature pis elle est à vous. (son regard est attiré par le saxophone) Bel instrument ça!

LÉO MAJOR (avec sarcasme)

Fin connaisseur.

Léo signe en vitesse, ramasse la boîte et sort du garage.

7. EXTÉRIEUR JOUR, COUR DU GARAGE D’HENRI SIGOUIN

Léo rejoint sa voiture, mais croit apercevoir quelque chose qui lui est familier. Il tourne la tête et voit, sur le côté du garage, le VUS accidenté. Il le regarde fixement, sans bouger. Après un moment, il ouvre la portière de son véhicule et dépose la boîte d’effets personnels sur le siège. Intrigué par le saxophone, il le saisit. L’objet est tellement laqué que Léo peut voir son reflet sur le revêtement doré de l’objet. Il observe l’image déformée de lui-même que lui renvoie le saxophone, quand soudainement, son reflet se transforme en celui d’une créature hideuse. Une main noirâtre se pose au même moment sur

(29)

13 son épaule. Léo sursaute et échappe l’instrument. Henri Sigouin se tient derrière lui.

HENRI SIGOUIN

Oh, oh. Nerveux mon petit monsieur? (lui tendant une feuille parsemée de résidus huileux) J’ai oublié de vous laisser votre copie rose.

Léo empoigne sèchement le document et dévisage Henri Sigouin. Il lui tourne le dos et grimpe à l’intérieur de sa voiture en faisant claquer la porte.

8. INTÉRIEUR JOUR, CHAMBRE À COUCHER DE LÉO

Léo se tient devant un grand miroir, suspendu derrière la porte de sa chambre à coucher. Vêtu d’un complet noir et d’une chemise blanche, il ajuste sa cravate. Il contemple son reflet dans le miroir, tapote de l’index les cernes sous ses yeux. Un grognement attire son attention. Le petit Benny, assis sur le lit, scrute et grogne contre le saxophone qui s’y trouve.

LÉO MAJOR

Hey Benny, c’est assez!

Le chien continuant sa mascarade, Léo empoigne le saxophone. Benny descend alors du lit et se met à mordre son bas de pantalon. Léo secoue la jambe pour se dérober du petit terrier insistant.

LÉO MAJOR

Benny, non! Mauvais chien! Arrête, tu vas abîmer mon costume!

Après maints efforts, il finit par se dégager et isole Benny dans la chambre. Au même moment, Ricky ouvre la porte d’entrée. Lui aussi porte un chic costume.

(30)

RICKY MILLER

J’ai cogné, mais sans réponse. Je me suis permis d’entrer.

LÉO MAJOR

Pas de problème, Ricky.

On entend Benny sauter et aboyer derrière la porte.

RICKY MILLER

Qu’est-ce qu’il a, ton chien?

LÉO MAJOR

Je ne sais pas, il a pété un plomb. Il s’est mis à grogner après le saxophone, sans raison.

RICKY MILLER

Tu t’es acheté un nouvel instrument? Et vintage à part de ça!

LÉO MAJOR

Non. Je l’ai récupéré chez le garagiste. Il était dans les affaires de Rebecca et Laura. Mon cadeau d’anniversaire.

Léo étouffe un sanglot. Rick va à sa rencontre, lui fait une accolade.

RICKY MILLER

J’suis là mon gars, j’suis là.

LÉO MAJOR

(se dégageant de l’étreinte de Ricky et s’essuyant les yeux) Ok, on devrait y aller pour ne pas être en retard.

(31)

15 RICKY MILLER

Ouais.

9. EXTÉRIEUR JOUR, CIMETIÈRE (SÉPULTURE DES DÉFUNTES)

Gros plan sur une pierre tombale d’un gris austère. Les inscriptions « Rebecca Bourbonnais 1980-2013 » et « Laura Major 2006-2013 » sont inscrites en guise d’épitaphe. De nombreuses personnes se tiennent debout autour d’un énorme trou, au fond duquel se trouvent deux cercueils de taille fort différente, placés l’un contre l’autre. Léo Major, les yeux bouffis et la mine abattue, s’avance cérémonieusement au bord du trou et y lance une rose blanche et une autre, d’un rouge sanglant. Il s’agenouille et se met à sangloter. Ricky Miller s’approche de lui et l’aide à se relever.

10. EXTÉRIEUR JOUR, CIMETIÈRE

Ricky marche aux côtés de Léo en lui tenant le bras. Ils se dirigent vers une voiture noire, garée au bout d’un petit corridor de terre. Derrière eux, les gens massés autour de la tombe de Laura et de Rebecca se dispersent lentement. Les deux hommes arrivent à la voiture et Léo appuie son dos contre elle.

RICKY MILLER

Grosse journée, mon gars. Je sais que c’est dur. Tu peux même venir chez-moi si tu veux. Aussi longtemps que tu en auras besoin. Ça pourrait te faire du bien

de changer d’air un peu, non?

LÉO MAJOR

Merci Ricky, mais j’ai besoin d’être seul. Et puis, je préfère être dans mes choses. Dans leurs choses…

RICKY MILLER

(32)

LÉO MAJOR Merci.

11. INTÉRIEUR NUIT, SALON DE LÉO

Léo est assis dans un gros fauteuil rouge, les mains pendantes, une bouteille d’alcool dans celle de droite. Benny, le poil tout ébouriffé, est étendu à ses côtés. Le vieux saxophone est posé sur la table de salon, juste devant lui. La pièce instrumentale Everyday de Carly Commando commence à jouer et un montage photos3 (environs six photos par seconde) débute. Léo reste

toujours au centre du cadre avec un visage inexpressif. Ses cheveux et sa barbe pousse à mesure que la vidéo progresse. La bouteille d’alcool se vide et se remplit. Rebecca et Laura apparaissent. Elles sont belles et vivantes au départ, mais elles se couvrent de sang et d’ecchymoses plus le montage avance. À la fin de la scène, elles disparaissent complètement. Léo est à nouveau seul à l’écran. Ses yeux sont creux, ses cheveux sont dépeignés, ses vêtements sont ternes. Son apparence physique est négligée. Fondu au noir.

12. INTÉRIEUR JOUR, CUISINE

La porte du frigo s’ouvre et laisse découvrir un réfrigérateur pratiquement vide. Une main un peu tremblante saisit un bocal d’olives déjà entamé. Léo l’ouvre et porte le pot à sa bouche, dont il avale le contenu d’un trait. Il soulève le couvercle de la poubelle débordante et y dépose le contenant vide. Puis, il se met à fouiller dans les armoires et les referme les unes après les autres, avec déception. Finalement, Léo trouve une bouteille d’alcool, mais elle se révèle pratiquement vide. Il prend son portefeuille sur la

3 Ceci est une parodie du populaire vidéo de Noah Kalina (qui a également été parodié

dans le cadre de l’émission de dessins animés The Simpsons). Il s’agit ici de créer un effet de rupture et d’évolution du personnage par un procédé de montage photos. Cela permet, dans le cadre de L’homme qui murmurait à l’oreille des morts, de créer un effet illustrant le temps qui passe, le personnage qui dépérit, le passé qui le hante. Tout cela dans un cadre visuel mouvant (voire sautillant), le personnage au centre étant statique et tout le reste autour de lui étant en mouvement. Pour un aperçu du résultat recherché voir le site internet suivant :

(33)

17 table et examine son contenu. Il n’y a que quelques sous noirs à l’intérieur. Léo se dirige alors dans une pièce au fond d’un corridor et y entre. Sur le mur, quatre saxophones rutilants sont accrochés. Un cinquième, celui qu’il a reçu le jour de l’accident, est posé sur une chaise, dans un coin de la pièce. Léo saisit les quatre saxophones sur le mur, les uns après les autres, et les range dans leur étui.

13. EXTÉRIEUR JOUR, SUR LA RUE DEVANT UN COMMERCE DE PRÊTEUR SUR GAGES

Léo sort de chez un prêteur sur gages. À travers la vitrine, on peut voir le commis qui manipule un saxophone. Trois autres instruments sont posés sur son comptoir. Léo marche dans la rue, une liasse de billets dans la main qu’il s’apprête à glisser dans sa poche. Un jeune homme presse le pas derrière lui.

PETIT VOYOU

Envoye le vieux. Donne-moi ce que t’as dans main.

LÉO MAJOR C’est à moi, scram!

PETIT VOYOU

Hey, t’es dur d’oreille ou quoi?

LÉO MAJOR

Je pense que c’est toi qui est dur de la feuille. J’ai dit, dégage p’tit con!

Le jeune voyou donne un violent coup de poing dans le ventre de Léo. Ce dernier en a le souffle coupé. Le voleur en profite pour lui arracher la liasse de billets et s’enfuit en courant, laissant sa victime pliée en deux et sans le sou.

(34)

14. INTÉRIEUR JOUR, CHAMBRE À COUCHER

Léo est allongé sur son lit. Il a l’air pensif. Il tourne la tête vers la table de chevet sur laquelle se trouve un téléphone. Il porte la main à l’appareil, puis se résigne. Il hésite à nouveau, puis se décide enfin à signaler. L’écran se divise en deux et permet de voir Léo et son interlocuteur simultanément.

LÉO MAJOR Rick, c’est Léo.

RICKY MILLER

Léo! Content d’avoir de tes nouvelles. On ne te voit plus beaucoup, ces temps-ci. Tu sais que mon offre de venir à la maison tient toujours… Tu tiens le coup?

LÉO MAJOR

Je t’appelle pas pour parler de ça. Écoute, j’ai besoin d’argent Rick. J’ai pu un

token, faut que je me refasse. T’aurais pas un gig pour moi dans les prochains

jours?

RICKY MILLER

Tu es sûr que t’es prêt pour ça? Tu m’as pas l’air à filer ben fort…

LÉO MAJOR

Occupe-toi pas de ça. T’es mon chum ou pas? J’ai besoin de cash pis vite. Vas-tu m’aider?

RICKY MILLER

Énerve-toi pas! Je pourrais peut-être te faire jouer demain soir. J’ai justement un trou dans ma programmation. Je vais juste décommander le DJ que j’avais

booké à la dernière minute.

LÉO MAJOR

(35)

19 RICKY MILLER

Viens pour 7h30. Le show commence à 8h30, mais tu peux prendre un verre en attendant de commencer, si tu veux. Marguerite va servir ce soir-là, je vais lui dire que c’est sur mon bras. Je devrais arriver pas longtemps après le début du show. J’ai un petit meeting avec des employés. Tu peux faire une heure?

LÉO MAJOR

Ouais, c’est bon. Merci. À demain.

RICKY MILLER À demain.

Léo raccroche. Ricky fait de même avec un regard inquiet. Ricky disparait de l’écran. Plan-séquence : Léo se lève et va dans la pièce voisine. Les supports où se trouvaient ses saxophones sont vides. Il saisit le vieux saxophone de l’accident. Il le contemple, l’inspecte et joue quelques notes. Il a l’air surpris que les sons qui sortent de l’instrument soient si mélodieux.

15. INTÉRIEUR SOIR, BAR DE RICKY Léo est assis au bar.

LÉO MAJOR (saoul)

Hey Margie chérie, un autre s’il te plait!

MARGUERITE LA BARMAID

Tu devrais peut-être slacker un peu, ton show va commencer dans cinq minutes et t’as déjà l’air défoncé.

LÉO MAJOR

(36)

MARGUERITE LA BARMAID

C’est Marguerite mon nom, pas Maggie, ni Margie… Écoute, tu devrais monter sur scène, je pense. Le public a l’air de s’emmerder. Et toi, t’es sur le bord de

pu être capable de marcher. Je pense que c’est le temps.

LÉO MAJOR

T’as ben raison, Marcy, je m’en vais casser la baraque (appuyant sur les mots et pointant le comptoir) right now! C’est mon nouveau saxophone, il est beau hein? C’est ma p’tite fille morte pis ma femme qui me l’ont acheté. Sont fines

hein?

MARGUERITE LA BARMAID (visiblement mal à l’aise)

Léo, écoute peut-être que tu devrais remettre ça, le show, finalement. On va laisser de la musique, Ricky va comprendre, je suis sûre.

LÉO MAJOR

Ben non, j’y vais tu suite là! Monte pas sur tes gros seins… Ah ah, excuse-moi, ils m’ont déconcentré. Je voulais dire, monte pas sur tes grands chevaux

Margigi.

Marguerite est exaspérée, mais ne s’offusque pas de la remarque désobligeante de Léo. Il se lève, ramasse son saxophone posé sur le tabouret à côté de lui et titube maladroitement jusqu’à la scène. Il commence à jouer. Il joue affreusement mal. Dans la salle, les gens s’échangent des regards perplexes. Léo, trop bourré, tombe à la renverse. Il se relève de peine et de misère. Ricky arrive et constate le fâcheux spectacle. Il monte sur scène et attrape Léo par le collet.

LÉO MAJOR Hey! Ricky!!

(37)

21 RICKY MILLER

T’es out! C’est fini pour toi à soir.

Ricky tire Léo hors de vue et le traîne jusque dans l’arrière-scène.

16. INTÉRIEUR SOIR, ARRIÈRE-SCÈNE

RICKY MILLER

Va t’en chez-vous. J’aurais pas dû…

LÉO MAJOR

Dis pas ça. Excuse-moi. Je vais me reprendre, ok? Laisse-moi une autre chance? J’y retourne là. J’suis correct.

RICKY MILLER

Non. Règle tes problèmes avant de rejouer.

LÉO MAJOR

J’ai trop bu. J’ai mal! C’est dur. J’ai jamais eu aussi mal. Laisse-moi une dernière chance, je t’en supplie. J’ai vraiment besoin d’argent. Je vais jouer

clean la prochaine fois.

RICKY MILLER (à contrecœur)

Ramène-toi ici samedi soir prochain. T’es mieux de tenir sur tes deux pattes, sinon (pesant ses mots) tu ne joues pas. C’est clair? Mon business j’y tiens et des affaires de même, je ne veux pas que ça se reproduise. Et slack la boisson,

tu fais peur à voir.

LÉO MAJOR

Merci Ricky, toi t’es un vrai. Le meilleur! Tu le regretteras pas buddy. Je te le dis.

(38)

17. INTÉRIEUR JOUR, CHAMBRE À COUCHER DE LÉO

Léo est couché sur le dos, dans son lit. Benny arrive dans la chambre et s’assoit à côté du lit. Il regarde Léo avec ses petits yeux bruns et se met à aboyer. Léo grommelle et tourne le dos à la petite bestiole. Benny contourne le lit et bondit aux côtés de son maître. Il se met à gémir. Léo ouvre les yeux avec peine et voit le petit terrier tout près de lui, qui lui tend amicalement la patte.

LÉO MAJOR

Mais qu’est-ce que tu veux toi?

Benny se remet à gémir.

LÉO MAJOR

Tu as envie d’aller dehors?

Benny se met à aboyer furieusement en guise de réponse.

LÉO MAJOR

C’est bon, Benny. Tu as gagné, je me lève.

18. INTÉRIEUR JOUR, CUISINE DE LÉO

Léo, complètement décoiffé et à moitié endormi, marche péniblement vers la porte de la cuisine qui donne sur la cour. Il l’ouvre et le petit Benny à la queue frétillante se précipite dehors. Léo referme la porte. Il sort une bouilloire, la remplit d’eau, la pose sur un rond de poêle, puis prend un pot de café instantané et une tasse. Il va s’asseoir à la table de la salle à manger, sur laquelle se trouve le saxophone. Il se met à caresser l’objet et à l’inspecter

(39)

23 sous toutes ses coutures. Ne pouvant résister, il en joue quelques notes. Au même moment, il entend une voiture freiner brusquement et le bruit d’un impact. Léo se précipite dehors.

19. EXTÉRIEUR JOUR, DEVANT LA MAISON DE LÉO

Une femme paniquée sort de sa voiture sport et se dirige vers l’avant de son véhicule. Léo aperçoit alors une coulée de sang près des roues de l’auto. En s’approchant, il voit une touffe de poils. La conductrice est hystérique. Léo se penche et constate qu’il s’agit de Benny. Son corps est plat comme une crêpe, comme si on en avait extirpé tout le contenu.

LA CONDUCTRICE HYSTÉRIQUE (avec un fort accent espagnol)

Monsieur, monsieur, qu’est-ce que c’est? J’ai pas vu. Je cherchais dans mon sac… Pas enfant, pas enfant!

LÉO MAJOR

(se relevant lentement et semblant dans un état second)

C’est Benny. (il tient à bout de bras la dépouille dégoulinante et aplatie de son chien) C’était mon chien.

LA CONDUCTRICE HYSTÉRIQUE

(Visiblement traumatisée par l’animal éventré) Ah, dios mío! Es monstruoso!

La femme retourne dans sa voiture en criant et démarre en trombe. Léo reste planté là un moment, tenant toujours le chien et le regardant, visiblement sous le choc. Des voisins, alertés eux aussi par l’impact, l’observent de leur perron ou de leurs fenêtres, d’un air indigné.

(40)

20. EXTÉRIEUR SOIR, COUR-ARRIÈRE DE LÉO

Léo se trouve dans le jardin, derrière la maison. Son front est couvert de sueur. Il est appuyé sur une pelle, enfoncée dans le sol. Il prend une gorgée d’une bouteille de scotch, tout en contemplant le trou qu’il a creusé, juste devant lui. Il s’essuie le front, avale une seconde gorgée de boisson, puis dépose la bouteille sur le sol. Il fait quelques pas vers la droite et empoigne un sac de jute qu’il dépose au fond du trou.

LÉO MAJOR

Je pense que Laura aurait aimé qu’on t’enterre ici, Benny. (cherchant ses mots) Je ne sais pas trop quoi dire… Repose en paix. Va trouver ta Laura, ma

Laura. Bon chien.

Léo reprend sa pelle et se met à recouvrir la dépouille du chien. Il jette un coup d’œil furtif à sa montre, continue à lancer quelques pelletées de terre sur le cadavre, puis regarde à nouveau l’heure.

LÉO MAJOR

Damn! Le spectacle…

Léo abandonne sa besogne et court en toute hâte jusqu’à la porte arrière de la maison. Il s’arrête subitement et retourne chercher la bouteille de scotch oubliée par terre. Il regagne sa demeure, laissant le sac de jute à moitié recouvert.

21. INTÉRIEUR SOIR, BAR DE RICKY

Léo entre dans le bar. Il se dirige immédiatement vers le comptoir de service, où il aperçoit Ricky qui sert un client. Le tenancier de bar lève les yeux vers lui et le dévisage.

(41)

25 LÉO MAJOR

Désolé du retard. Mon chien est mort…

RICKY MILLER

Mais non… Tu peux y aller même si tu es en retard.

LÉO MAJOR

Non, je veux dire, mon chien est réellement mort! Le petit Benny.

RICKY MILLER (réalisant le quiproquo)

Oh! Excuse-moi. Heu, tu peux jouer quand même?

LÉO MAJOR

Oui, oui. Ce n’était pas vraiment mon chien. On l’avait acheté pour Laura. Mais je l’ai enterré, je n’ai pas vu le temps filer.

RICKY MILLER (reniflant)

Et tu as trinqué à sa santé, on dirait. Tu es encore saoul. Je ne peux pas te laisser faire un fou de toi une autre fois. Déjà qu’il y a des fauteurs de trouble

dans la place ce soir, je n’ai pas besoin d’un musicien saoul mort en plus, qui risque de faire du grabuge. Rentre chez toi.

LÉO MAJOR

J’ai pris quelques lampées. Je suis encore capable de jouer. Je suis debout, non? Come on Rick! Je vais bien me conduire, tu as ma parole.

RICKY MILLER

Je ne sais pas comment tu y arrives, mais tu finis toujours par m’avoir. Allez! (pointant la scène) Grimpe!

(42)

Léo sourit et se précipite sur la scène. La salle est bondée. Il empoigne le pied du micro et s’adresse à la foule.

LÉO MAJOR

Salut tout le monde! Hi everybody! La première pièce s’intitule « Wild Night ».

Léo se met à jouer du saxophone de façon endiablée. Il ferme les yeux et tournoie sur lui-même. Il enchaîne ses pièces les unes après les autres. Il arrête sa prestation et s’adresse à la barmaid.

LÉO MAJOR

Hey, ma belle Margie, j’aurais besoin d’un bon scotch pour continuer!

La foule crie son approbation. Marguerite jette un œil à Rick, qui acquiesce de la tête. Elle apporte donc une boisson à Léo. Ce dernier boit tout d’un trait.

LÉO MAJOR Et c’est reparti!

Les spectateurs applaudissent le musicien qui se remet à jouer. Dans la salle, deux hommes se querellent. Complètement absorbé par sa musique, Léo ne s’en préoccupe pas. La mélodie devient de plus en plus furieuse. La dispute aussi. L’un des deux hommes sort un pistolet. Il abat son rival d’une balle au thorax. Ce dernier s’écroule au sol. Les spectateurs se ruent vers la sortie dans un mouvement de panique. Deux clans opposés restent dans la salle, braquent leurs armes les uns contre les autres et s’invectivent. Ricky et ses deux employés se réfugient dans une pièce adjacente au bar. Léo continue de jouer, il ne prête pas attention à ce qui se passe. L’homme mort se relève d’un trait et titube maladroitement vers celui qui l’a exécuté.

(43)

27 MEUTRIER

(paniqué)

What the hell? Je l’ai tiré en plein cœur! J’hallucine?

LE MORT (l’air menaçant)

Aeeeeeeeeeeeeerrrrraaaaaeeeeeerrrrrhhhhh…

À la vue de cet étrange comportement, les gangs rivaux rangent leurs armes et filent en vitesse, laissant Léo seul avec le mort-vivant. Le musicien termine sa pièce et constate qu’il ne reste plus qu’une personne dans la salle.

LÉO MAJOR

Salut toi. C’était si mauvais?

LE MORT

Maeerrrrrrrrrrrrghhhhhhaaarrrrrrrghhhh.

LÉO MAJOR

Bon bien, désolé mon frère, mais je crois qu’on va fermer boutique pour ce soir.

Léo bondit hors de la scène et se dirige droit vers le mort. Celui-ci tend les bras vers l’avant et émet toujours d’étranges lamentations. Léo arrive tout près de lui.

LÉO MAJOR

(44)

LE MORT (bondissant sur Léo)

Agrrrrrrrreeeeeeeeaaaaaaabouaaaaaaah!

LÉO MAJOR

Hey! C’est quoi ton problème? (le repoussant) Ne me touche pas!

Le mort bondit à nouveau sur Léo. Il a la bouche ouverte et une étrange fumée s’échappe de celle-ci.

LE MORT

Riiiiiiiigggggggggghhhhhaaaaaaarrrr…

LÉO MAJOR

(esquivant l’attaque et remuant la main devant son nez pour montrer son dégoût)

C’est quoi cette haleine? Je crois que t’as abusé… Laisse-moi passer!

LE MORT

(tentant à nouveau d’attraper Léo) Riiiiiiiigggggggggghhhhhaaaaaaarrrr…

LÉO MAJOR

On se calme! Tu te mesures ici à un gars qui a vu tous les films de Stallone, Schwarzie et Seagal. Et qui possède la filmographie complète de Van Damme.

Alors dégage ou je te la joue à la Chong-Li dans Bloodsport.

(45)

29 LÉO MAJOR

Tu l’auras voulu.

Léo fait mine d’esquisser un geste de kung-fu, en assénant un violent coup de saxophone à la tête de l’homme. Ce dernier tombe à la renverse et gigote nerveusement. Léo l’enjambe en lui écrasant une main au passage et sort du bar.

22. EXTÉRIEUR SOIR, SUR LA RUE CONWAY

Léo, l’air éméché, marche sur le trottoir, saxophone à la main. Derrière lui, on voit le bar au loin et les gyrophares des voitures de police qui éclairent la nuit noire.

23. INTÉRIEUR SOIR, SALON DE LÉO

Léo est assis dans son fauteuil de cuir rouge et fait clapoter ses doigts sur les touches du saxophone. Il se lève et sa peau moite décolle douloureusement de la cuirette. Il ouvre une fenêtre et regarde les photos accrochées sur le mur du salon.

LÉO MAJOR

Ta préférée, Rebecca. « Strangers in the night ».

Il entame la mélodie, mais s’arrête rapidement, intrigué par des bruits provenant du jardin. Il sort la tête par la fenêtre pour voir de quoi il s’agit, mais il fait sombre et il ne distingue rien de particulier. Alors qu’il se remet à jouer, le même son étrange se fait entendre. Il dépose son saxophone sur le fauteuil et se dirige vers la porte arrière.

(46)

24. EXTÉRIEUR SOIR, COUR-ARRIÈRE DE LÉO

Léo sort dans le jardin sans refermer la porte derrière lui. Il s’avance vers le trou creusé pour la dépouille de Benny et se penche au-dessus. Le chien a disparu. Un gémissement attire l’attention de Léo, qui se retourne brusquement. Une ombre franchit le seuil de la porte. Léo retourne avec précaution à l’intérieur.

25. INTÉRIEUR SOIR, CUISINE DE LÉO

Léo balaie la cuisine du regard. Le champ est libre, mais une longue traînée de sang trace son chemin à travers la pièce. Il ouvre un tiroir de cuisine et fouille son contenu, à la recherche d’un objet pour se défendre. Le tiroir étant très plein, il lance une louche, une microplane et une cuillère en bois par-dessus son épaule. Puis, il saisit un couteau de style couperet et referme le tiroir. Le même bruit étrange se fait entendre. Léo se retourne et voit à nouveau la mystérieuse ombre. Il suit les traces de sang qui parsèment le sol. Il avance en direction de l’intrus précautionneusement, arme à la main. Il entend l’importun visiteur monter l’escalier qui mène à l’étage. Léo l’imite. Un grognement provenant de sa chambre à coucher retentit. Toujours muni de son couperet, Léo pousse la porte qui s’ouvre en émettant un grincement sinistre. Sur le lit, Benny se gruge une patte de derrière de façon si vorace, qu’une partie de son os parait. Léo laisse échapper un petit cri d’horreur. Le chien cesse de se mutiler et lève la tête. De ses yeux entièrement blancs, il fixe Léo. Ses babines se retroussent et laissent entrevoir ses dents bien pointues. La petite terreur sur quatre pattes grogne. Sous la menace, Léo s’éloigne de quelques pas.

LÉO MAJOR (tremblant)

(47)

31 En entendant la voix de Léo, Benny se fait de plus en plus menaçant. Il se remet debout sur le lit, le dos arqué, la queue bien droite et hérissée et le museau tout froncé. Une sorte de halo de fumée s’échappe de sa gueule quand il aboie.

LÉO MAJOR

Tout doux Benny. Bon chien. Tout doux. (constatant avec angoisse que sa voix doucereuse ne semble pas calmer Benny) Merde, merde. Qu’est-ce qu’il a ce chien? Je l’ai enterré. Je l’ai enterré, ça ne se peut pas. Qu’est-ce qu’ils disent

déjà? (Léo se met à chanter une comptine sur l’attitude à adopter face à un chien agressif et acte les paroles à mesure qu’il les chante) ♫ Si devant un agressif, tu te trouves captif, il vaut mieux ne pas t’enfuir, car cela pourrait te

nuire. Ne le confronte pas, éloigne-toi, pas à pas. Ne regarde pas dans ses yeux, car il deviendrait hargneux. ♫

Furieux, Benny bondit hors du lit et se met à pourchasser Léo. Ce dernier tourne le dos au chien et tente de s’enfuir, mais Benny le rattrape et lui saute dessus. Léo tombe à la renverse et son couteau glisse hors d’atteinte. Benny l’attaque et ouvre sa gueule près de son visage, mais Léo se défend, le repousse en lui donnant une gifle. Le chien glisse un peu plus loin et semble désorienté. Léo en profite pour se relever et descendre en trombe à la cuisine. Benny reprend ses esprits, descend à son tour. Léo ramasse la microplane qu’il avait lancée sur le sol et se cache derrière l’îlot de cuisine. Benny gronde et renifle. Il se rapproche. Léo tend le cou vers la gauche pour voir si le chien est près. Rien. Il se retourne et tombe face à face avec le terrier menaçant. Avant que le chien n’ait eu le temps de bondir sur lui, Léo brandit sa microplane tel un sabre. Un peu de sang lui éclabousse le visage, mais son arme ne cause pas beaucoup de dommage, vu ses bords émoussés. Léo rampe alors jusqu’à la cuillère de bois qui repose sur le sol. À nouveau Benny ouvre sa gueule près de son visage. Une étrange fumée s’en échappe. Léo lui enfonce la cuillère dans la gueule avant que l’étrange substance ne l’atteigne. La cuillère éclate sous le coup et se plante verticalement dans le palais du chien, qui ne peut plus bouger les mâchoires. Léo se relève, saisit un grille-pain chromé sur le

(48)

comptoir, entre ses doigts dans les fentes, lève l’objet à bout-de-bras en regardant Benny… (Le coup porté à l’animal n’est pas montré.)

26. EXTÉRIEUR SOIR, COUR ARRIÈRE DE LÉO

Léo jette un sac de plastique blanc contenant la dépouille de Benny dans le même trou qu’il avait creusé plus tôt. Il le recouvre à nouveau de terre, puis va chercher une pierre qu’il dépose sur la terre fraîchement remuée. L’homme se gratte le menton, puis se ravise. Il enlève la pierre qu’il lance dans le fond du jardin et la remplace par une autre, beaucoup plus grosse celle-là, à tel point qu’il a du mal à la déplacer jusqu’à l’emplacement voulu. Léo regarde le travail accompli, l’air satisfait.

27. INTÉRIEUR JOUR, CUISINE DE LÉO

Léo est assis à la table de la cuisine et nettoie méthodiquement son saxophone avec un linge bleu. Il retire l’anche qu’il astique avec autant de soin. Le téléphone sonne. Il décroche le combiné.

LÉO MAJOR

Allo. […] Oui, c’est moi. […] Dans un salon funéraire? Heu… […] Oui, je veux bien. […] D’accord, j’y serai sans faute. Quand la cérémonie a-t-elle lieu? […]

Demain. Bon, c’est parfait madame.

Il raccroche en affichant un air pensif. Léo prend son saxophone et sort.

28. EXTÉRIEUR JOUR, CIMETIÈRE

Léo marche sous la pluie vers la pierre tombale de sa femme et de sa fille, le regard perdu dans le vague. Arrivé à l’endroit où repose sa famille, le musicien s’agenouille sur la terre humide et serre son saxophone contre sa poitrine.

(49)

33 LÉO MAJOR

Vous me manquez.

Léo appuie sa main droite contre la pierre. Les yeux fermés, il sanglote.

LÉO MAJOR

(désignant le saxophone)

C’est la dernière chose que je garde de vous. Je voulais que vous m’entendiez en jouer.

Le saxophoniste se met à jouer et se laisse absorber par la mélodie. Un grondement sourd se fait entendre, alors que la pluie tombe toujours. La terre remue sous lui. Un gros bourrelet de terre lui fait perdre l’équilibre. Inquiet, Léo se relève et constate que le sol bouge tout autour. Le musicien agrippe son instrument et se met à courir. Il croise un homme d’entretien du cimetière sur son chemin.

LÉO MAJOR

Monsieur, vous feriez mieux d’aller vous mettre à l’abri. Je crois qu’il y a un tremblement de terre.

Le gardien salue Léo, alors que celui-ci franchit le grillage de sortie du cimetière. Le gardien s’avance vers une petite remise. Soudainement, une main sort de terre et agrippe sa cheville.

LE GARDIEN Mais qu’est-ce que…?

(50)

L’homme trébuche et tombe à plat ventre. Il relève la tête, son visage souillé de terre. Il donne des coups pour dégager son pied. Tout autour de lui, la terre remue. La panique se lit sur son visage. Sur des mètres à la ronde, des mains dégoûtantes sortent de terre. Un revenant, complètement dégagé, s’approche de l’homme d’entretien, le saisit par les épaules et tente d’approcher sa bouche de la sienne. Le pauvre homme crie de terreur. Après un instant, le mort le relâche. Le gardien semble maintenant aussi léthargique que son assaillant. Aux alentours, plusieurs morts réussissent à sortir de leur tombe. Une vue aérienne s’éloigne de plus en plus du sol, laissant voir des centaines de morts émergés de leur sommeil et se diriger vers la sortie du cimetière.

29. EXTÉRIEUR SOIR, RUES DE LA VILLE

Dans les rues, déambulent des centaines de morts-vivants, certains en beaucoup plus piètre état que d’autres. Ils avancent lentement, en groupe. À leur vue, les passants prennent peur et s’enfuient.

30. EXTÉRIEUR JOUR, SALON FUNÉRAIRE

Léo arrive avec son saxophone devant le salon funéraire. Il hésite avant d’entrer, l’endroit lui rappelant de cruels instants.

31. INTÉRIEUR JOUR, SALLE D’EXPOSITION DU SALON FUNÉRAIRE

Léo se tient sur le pas de la porte. La pièce est vaste et tout au fond, se trouve un cercueil, richement orné. Les gens, vêtus pour la majorité de noir, discutent à faible voix. D’autres personnes pleurent ou reniflent bruyamment. Une vieille dame remarque l’arrivée du musicien et s’avance vers lui. La petite femme se démarque des autres endeuillés par son éclatant tailleur turquoise.

(51)

35 MADAME LÉDA

Bonjour monsieur Major, je suis Léda Rasco. Merci d’avoir accepté de venir jouer pour mon Roy. C’était un grand amateur de jazz. Je pense qu’il aurait

bien aimé.

LÉO MAJOR

Aucun problème, madame. Suis-je prêt à jouer?

MADAME LÉDA

Tout à fait! Vous pouvez vous placer près du cercueil. (Désignant l’endroit.) Juste-là. Installez-vous, je vais faire asseoir les gens. Merci.

LÉO MAJOR

Je vais passer au petit coin avant, si vous permettez.

MADAME LÉDA

Certainement, monsieur Major. Vous voyez la porte coulissante au fond de la pièce? Elle donne sur un petit corridor et la salle de bain est tout au fond.

LÉO MAJOR

Merci, madame. Je reviens tout de suite.

32. INTÉRIEUR JOUR, SALLE DE BAIN DU SALON FUNÉRAIRE

Léo entre dans la petite pièce. À gauche, un homme fait sa besogne devant un urinoir. Constatant sa présence, Léo bifurque vers la toilette et s’enferme derrière les panneaux à la laque rouge homard. Il retire de sa poche une flasque chromée, dont il dévisse le bouchon. D’un trait, il en avale tout le contenu et émet un soupir de soulagement. Content, il ressort en titubant. L’homme à l’urinoir le dévisage.

(52)

LÉO MAJOR (d’un ton narquois)

Ça soulage l’ami! On en a bien besoin dans un endroit pareil.

33. INTÉRIEUR JOUR, SALLE D’EXPOSITION DU SALON FUNÉRAIRE

De retour dans la salle, le musicien va chercher son instrument et se met en position. Les gens regagnent leur siège. Léo se place à proximité du cercueil et commence à jouer une pièce mélancolique. La plupart des gens ne peuvent s’empêcher de pleurer. Après une minute, des coups se mettent à se faire entendre. Léo continue de jouer, mais les coups s’intensifient et sont accompagnés de lamentations. Le musicien s’arrête. Les gens constatent que les coups proviennent du cercueil. Comme les bruits ne cessent pas, la foule prend peur et évacue le salon en criant. Léo se retrouve seul. Il décide d’ouvrir le cercueil. Le musicien soulève la partie supérieure, celle du bas demeurant close. À l’intérieur, un homme au visage partiellement brûlé s’agite. Il essaie d’attraper Léo, qui fait un bond en arrière pour s’éloigner. Le mort-vivant continue à gesticuler, mais est incapable de s’extirper de la moitié inférieure du cercueil. Léo regarde le saxophone et affiche un air perplexe. Il s’avance vers le mort et lui assène un violent coup de saxophone au visage. Le défunt arrête de bouger et s’allonge à nouveau, raide mort. Léo referme le cercueil et s’éloigne, tout en enlevant les bouts de chair coincés entre les touches de son instrument.

34. EXTÉRIEUR JOUR, STATIONNEMENT DU SALON FUNÉRAIRE

Les personnes paniquées se sont réunies à l’extérieur du salon. Léo sort et tout le monde le regarde. Il marche d’un pas décidé et triomphant. Il s’arrête devant la foule. Madame Léda semble terrorisée.

(53)

37 LÉO MAJOR

Ne vous en faites pas! Ce n’était qu’un opossum. Il s’est barré. Vous pouvez y retourner. C’est une véritable épidémie ces vermines cette année! Roy vous

attend, bien tranquille…

Alors que les visages des gens se décrispent à l’annonce faite par Léo, une autre scène attire les regards. Deux vieilles dames qui promènent leurs petits chiens sont attaquées par des morts-vivants.

VIEILLE DAME #1 À l’aide!

FEMME DE LA FOULE #1 Vite! Quelqu’un! Il faut les aider!

FEMME DE LA FOULE #2 Allez-y, vous!

Personne n’ose s’approcher des deux créatures qui s’attaquent aux aînées sans défense. L’une des victimes donne des coups de sac-à-main à son assaillant, mais ce dernier ne bronche pas. Les morts-vivants saisissent les femmes par les épaules, ouvrent la bouche, de laquelle s’échappe une fumée dorée. L’étrange substance va se loger dans les orifices des vieilles dames. Subitement, elles cessent de se débattre et deviennent aussi léthargiques que leurs attaquants. Un mouvement de panique s’abat sur la foule et tous prennent leurs jambes à leur cou. Léo, figé sur place, se fait rapidement entouré par une dizaine de zombies, qui tendent les bras vers son saxophone. Léo réussit à se dégager et se dirige à toute vitesse vers son véhicule. Il décolle en trombe.

(54)

35. INTÉRIEUR JOUR, HABITACLE DE LA VOITURE DE LÉO

Léo regarde le saxophone déposé sur le siège passager. Une série de

flashbacks reviennent à sa mémoire : le reflet étrange que lui renvoyait le

saxophone chez le garagiste, l’homme du bar à l’attitude anormale, l’attaque de Benny, la terre qui remuait au cimetière, Roy réveillé dans son cercueil. Revenant à lui, Léo aperçoit quelque chose sur la route à la dernière seconde et applique les freins violemment. Devant lui, un petit groupe de zombies le regarde. Certains d’entre eux tentent de monter sur le capot. Léo met alors la voiture en marche arrière, puis repart en les contournant.

36. INTÉRIEUR SOIR, SALON DE LÉO

Dans son salon, Léo fait les cent pas. Il tire furtivement les rideaux. Rien à signaler. Rassuré, il prend place dans son fauteuil rouge, allume le téléviseur. Les chaînes défilent, jusqu’à ce que l’appareil soit syntonisé sur la chaîne d’information locale. Le présentateur porte un complet anthracite, ainsi qu’un nœud papillon sarcelle, qui rend l’ensemble assez loufoque.

PRÉSENTATEUR

Si vous venez de vous joindre à nous, sachez que notre petite ville est la scène d’une terrible épidémie de source inconnue. À l’heure actuelle, les rues

sont prises d’assaut par une horde de contaminés. Les forces de l’ordre demandent à tous les citoyens et citoyennes de demeurer autant que possible

à l’intérieur, le temps que la situation soit régularisée. Oui, mesdames et messieurs, vous avez bien entendu, nous sommes aux prises avec une contamination de source inconnue. Nous joignons immédiatement Maximus

Vandry qui se trouve dans l’hélicoptère TV-YA pour un compte-rendu de la situation, du haut des airs. Maximus, vous m’entendez?

MAXIMUS VANDRY

Oui Paul, je vous reçois 10 sur 10. La situation est alarmante, chers téléspectateurs. Nous survolons actuellement le cimetière de notre ville, habituellement si paisible. Des actes de vandalisme sans précédent sont survenus au cours des dernières heures. Comme vous pouvez le constater, le terrain est miné sur des centaines de mètres à la ronde. Nous nous expliquons

Références

Documents relatifs

Cette décennie 70, grande décennie du « genre » et du « sous-genre » dans le monde entier, avant une rapide chute, fut donc marquée par une prolifération de films de fantaterror,

Résumé : La situation d'apprentissage de l'écriture et les difficultés qu'elle révèle mettent au jour des zones de la langue qui apparaissent caractéristiques

Enfin, nous présentons, dans la section 4, l’outil Lexicoscope 2.0 3 qui permet d’interroger les corpus de la PhraseoBase 4 , ainsi que les

Il s’agit de comparer alors les deux meilleurs modèles : celui optimisé par validation croisée (noté spam1.log21 et celui optimisé par échantillon de validation noté

• accepter et appuyer l’idée qu’à l’intérieur de notre discipline généraliste, nous puissions acquérir des compétences avancées dans des domaines propres à la

Même si cela pouvait créer une sorte de buzz autour du roman, l’auteur ne recherche a priori pas le but de glorification personnelle et tient à rappeler qu’il éprouve le plus

encore mieux cette "inflation" du contraste sanguin sinusoïdal périphérique qui parait correspondre à une stase provoquée par l'hypertrophie des secteurs bien

Quarante ans plus tard, le laboratoire ligérien de linguistique de l’université d’Orléans a entrepris un double projet : diffuser largement le corpus ESLO1 dans un