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Éditorial. Formation, emploi, territoires

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Éditorial

par Christian AZAÏS et Olivier GIRAUD

Dans un grand nombre de pays européens, et notamment en France, les liens entre la

formation et l’emploi ont fait l’objet ces dernières décennies d’un surinvestissement politique et institutionnel. Dans le même temps, les notions de « territoire » ou de « local » ont été, telles des formules magiques ou des incantations, massivement associées à la formation. Les stratégies de pilotage des relations entre la formation et l’emploi sont devenues partout plus sophistiquées. La notion de territoire constitue alors une opportunité bienvenue de questionner la variance des ajustements et désajustements qui se nouent à l’articulation entre formation et emploi. Le territoire donne en effet une assise pragmatique à l’analyse des interactions entre ces deux termes. Il est d’abord le lieu concret de la rencontre entre offre et demande de formation mais aussi entre offre et demande d’emploi. Ensuite, le territoire est le lieu

d’actualisation des inégalités quand elles concernent des personnes ou des groupes sociaux ou des disparités quand elles touchent à des équipements ou à des offres structurelles, de

formation ou d’emploi. Le territoire est enfin le lieu de réalisation de l’action publique, qu’elle soit à l’initiative d’acteurs publics ou privés comme les entreprises et les individus. Elle vient alors télescoper les pratiques sociales, elles aussi territorialisées, des acteurs de tout ordre.

Chacune de ces approches du territoire mériterait un traitement systématique. Les mécanismes marchands, les singularités territoriales et les processus d’action publique sont trois

caractéristiques essentielles et complémentaires des interactions actuelles entre formation et emploi. Les deux axes structurants autour desquels nous souhaitons ici engager la réflexion à propos d’une lecture par le territoire des liens problématiques entre formation et emploi sont cependant plus directement centrés sur le rôle du territoire dans l’action publique. Nous proposons alors une distinction assez simple entre deux dimensions, qui ne sont en pratique pas déconnectées entre elles, du territoire face à l’action publique. Dans une première version, les espaces sont des contenants du social, dans une seconde, ils sont à l’inverse un substrat, un générateur du social.

Les espaces sont en effet en de nombreuses occasions incarnés par des institutions, des organisations, des infrastructures ou même, dans une version plus immatérielle, par des normes, voire des traditions. Ils deviennent alors des cadres d’interaction organisés et ce faisant forment des territoires. Le politique, l’institutionnel, l’économique, tout comme les représentations que s’en font les acteurs, bref le social, se saisissent du territoire comme d’un outil. De façon active, réfléchie, souvent disputée, le territoire est construit comme un

instrument structurant de l’action publique. Les zones de compétence des rectorats en France ou des administrations scolaires en général, des Chambres de commerce et d’industrie, le territoire des communes ou d’autres acteurs publics de l’emploi renvoient directement à ces dimensions.

Dans d’autres circonstances, les territoires sont des substrats, des vecteurs du social. Les échanges, les contacts, les réseaux précèdent et parfois contredisent les cadres institués. Ces relations sociales, inscrites dans des territoires non institués, sont cependant des facteurs aussi importants de structuration du social. Les échanges informels, les réseaux familiaux ou locaux de recrutement, les habitudes d’orientation scolaire ancrées localement, les traditions

migratoires, etc., sont des exemples de ces territoires générateurs de social.

Ces secondes formes, plus spontanées, d’émergence territorialisée du social constituent d’ailleurs souvent aujourd’hui, cela de façon assez paradoxale, des objectifs souhaités par l’action publique. Cette dernière vise à la formation de réseaux, à la formulation d’un « intérêt général territorialisé », ou encore de « l’inscription territoriale ». Dans le domaine de l’emploi

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et de la formation, le terme qui s’est imposé est celui de « bassins ». Il existe des « bassins d’emploi », des « bassins emploi-formation » ou encore des « bassins d’éducation ». Ces termes qui ne renvoient pas à des découpages institutionnels classiques évoquent de façon parlante l’impact des modes de régulation sociale en termes de gouvernance. L’État ne veut plus et sans doute ne peut plus exercer son pouvoir sans mobiliser autant qu’il le peut les acteurs concernés au premier hef par le traitement des problèmes publics, faisant ainsi la part belle à la dimension micro, et aux dynamiques « bottom-up ».aux dynamiques « bottom-up ». Lucie Tanguy (1)a montré, il y a quelques années, comment l’État en France programmait, dans les années 1960, de façon intégrée, le développement surtout industriel des territoires en planifiant la construction des écoles, des lycées ou des centres de formation. Ces pratiques sont aujourd’hui révolues. L’État s’efforce avant tout de penser le territoire comme un cadre d’investissement collectif. Il donne certes des orientations normatives, fournit de l’expertise, finance des équipements, et prête sa légitimité pour accorder titres et certificats. Il construit aussi, et c’est sans doute cette dimension de la territorialisation qui est la plus pertinente dans le cadre de ce numéro, des cadres de coordination horizontale au sein desquels les réseaux d’acteurs locaux, régionaux, territoriaux, doivent se réunir, formuler leurs objectifs, articuler leurs projets, et finalement se saisir des ressources de pouvoir, pas toujours suffisantes, que l’État leur confie. L’idée est de favoriser ainsi l’émergence d’un intérêt général, inscrit dans des territoires et que l’État ne parvient plus à incarner par les seules vertus de son existence. Décentralisation, gouvernance, intérêt général territorialisé, empowerment des acteurs locaux… ces différents mots-clés s’appliquent bien à l’évolution de la formation et de l’emploi dans les territoires en Europe. Dans le cadre de ce numéro, la Belgique, la France et l’Italie fournissent des exemples illustrant ces diverses dimensions. Les différentes

contributions réunies ici illustrent, mettent au jour des mécanismes, comparent, analysent, critiquent (entre autres !) ce basculement du rôle de l’État dans le domaine de la formation. Toutes montrent bien quels sont les enjeux territoriaux de ces dynamiques. Les mécanismes marchands, les inégalités et les processus d’action publique sont au centre de la problématique territoriale en ce domaine de la formation et de l’emploi.

Un premier ensemble de contributions est précisément consacré à l’analyse de l’inscription territoriale du pilotage de la relation formation-emploi. Olivier Mériaux et Éric Verdier analysent, sur la base d’un important travail empirique, comment ces régulations sont dans le cas français de plus en plus intégrées à des visions englobantes du développement territorial, et mobilisent de façon croissante les acteurs publics et privés régionaux. La contribution de Maïten Bel et Thierry Berthet montre pour sa part comment la notion de proximité constitue aujourd’hui une grille d’analyse commune aux politistes et aux économistes pour comprendre les ajustements entre formation et emploi, notamment parce que les nouvelles politiques investissent la proximité de vertus à la fois politiques et économiques. Enfin, Olivier Giraud, à travers une analyse des interactions entre la régionalisation du pilotage de l’offre de formation professionnelle et les politiques de recrutement des firmes, propose une vision des régulations territoriales en trois dimensions qui correspondent à autant d’étapes de l’appropriation des instruments d’action publique par les acteurs régionaux, collectifs et individuels. La

contribution de Christian Azaïs propose un regard comparatif qui éclaire bien les processus de territorialisation à l’oeuvre. En Italie, en effet, le processus de différenciation régionale de l’offre de politiques de l’emploi et de mesures de formation est conduit de façon coordonnée avec le processus de flexibilisation, voire d’individualisation des régulations de l’ensemble du champ du travail et de l’emploi.

Un second ensemble de textes s’attache moins directement aux effets de l’action publique qu’à l’inscription territoriale des interactions sociales autour de la formation et de l’emploi. En premier lieu, le texte de Bruno Berenguel et Bernard Hillau analyse les inégalités sociales et leur transmission, à travers le prisme de la relation formation-emploi, saisie dans ses

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territoires. En mettant en perspective des facteurs sociaux (les trajectoires sociales familiales, les trajectoires scolaires et professionnelles des jeunes) et des facteurs plus structurels (l’offre éducative, la structure régionale des emplois), ces auteurs renouvellent de façon décisive l’analyse des mécanismes de la relation formation-emploi. Il en est de même du texte de Gilles Van Hamme. Il montre avec finesse que la forte augmentation globale des niveaux de qualification des jeunes dans les grandes métropoles européennes, à l’exemple de Bruxelles, provoque un accroissement des ségrégations et des dangers de marginalisation sur le marché de l’emploi. Autre regard sur la dimension strictement sociale et territoriale de la relation formation-emploi, le texte d’Elisabetta Pernigotti traite des enjeux de l’accès à la formation pour les femmes des territoires ruraux en butte à la restructuration économique. À nouveau, les effets de discrimination liés à la formation, cette fois-ci non seulement de classe, mais aussi de genre, apparaissent de façon alarmante. Enfin, le travail fouillé de Myriam Baron porte sur la structuration de l’offre régionale de formation universitaire. En la matière, l’analyse montre que les stratégies de la polyvalence et de la faible spécialisation des villes universitaires débouchent aujourd’hui sur une série d’impasses politiques et souffrent de la désaffection de la jeunesse.

Ce numéro spécial « Formation, emploi, territoires » est exemplaire de la fascination qu’exercent les dynamiques institutionnelles ou macrosociales. Il montre cependant également à quel point l’analyse par l’inscription territoriale renouvelle, parfois de façon radicale, le regard porté sur les mécanismes sociaux de la relation formation-emploi.

(1). Lucie Tanguy, « La mise en équivalence de la formation avec l’emploi dans les IVe etVe plans (1962-1970) », Revue française de sociologie, n° 4, volume 43, 2002, p. 685-709.

Références

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