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L’évolution favorable de l’espérance de vie correspond-elle à une augmentation du bien-être lié à la santé ?

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Texte intégral

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ÉDIT

ORIAL

médecine/sciences m/s n° 3, vol. 32, mars 2016 DOI : 10.1051/medsci/20163203001 médecine/sciences 2016 ; 32 : 231-2

L’évolution favorable

de l’espérance de vie

correspond-elle à une augmentation

du bien-être lié à la santé ?

Florence Jusot

Éditorial

>

Jusqu’à récemment, la France avait connu une période sans précédent d’augmentation régulière de l’espérance de vie. Alors que la population ne pouvait s’attendre à vivre à peine plus de 50 ans en 1913, l’espérance de vie s’établit en 2015 à 85 ans pour les femmes et 78,9 ans pour les hommes. La France connaît en outre l’une des plus importantes longévités au monde, en raison notamment d’une mortalité particulièrement réduite aux âges élevés. Même si, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cet indicateur a connu un léger recul – de 0,3 an pour les hommes et 0,4 an pour les femmes –, en raison de conditions météorologiques particulièrement défavorables pour les personnes fragiles [1], ce constat souligne donc la situation particulièrement favorable de la France en matière de longévité moyenne. Pour autant, cette évolution favorable de l’espérance de vie correspond-elle à une véritable augmentation du bien-être lié à la santé pour la population ?

Une première question est de savoir si toute augmentation de la longévité correspond à une véritable avancée en santé pour la population [2] (➜).

En effet, l’espérance de vie rend compte des gains en quantité de vie, mais ne permet pas de juger de l’évolution de la qualité de vie liée

à la santé. Or, trois scénarios semblent a priori possibles. On peut tout d’abord se demander si la plus grande survie n’expose pas les plus âgés à des problèmes de santé plus nombreux et donc à une expansion des années vécues, avec des incapacités au sein de l’espérance de vie. Au contraire, celle-ci finissant par atteindre sa limite, les progrès sanitaires pourraient induire une compression du nombre d’années de mauvaise santé au sein des années à vivre. Enfin, on pourrait observer un équilibre dynamique, avec une aug-mentation de la prévalence des incapacités, mais une diminution de leur sévérité [3]. Pour répondre à cette question, un autre indicateur a été créé : « l’espérance de vie en santé ». Cet indi-cateur permet de séparer l’espérance de vie en deux parties, une part correspondant au nombre d’années que l’on peut s’attendre à vivre sans problème de santé et une part correspondant au nombre d’années de vie que l’on peut s’attendre à vivre avec des problèmes de santé. Ces derniers peuvent être mesurés, aussi bien par les incapacités, limitations fonctionnelles et restrictions d’activité, que par le fait d’avoir une maladie chronique ou encore par une mauvaise perception de son état de santé. Ainsi en 2008, l’espérance de vie à 50 ans était de 30 ans pour les hommes et de 36 ans pour les femmes, mais seulement 46 % et 38 % de ces

années, respectivement, étaient vécues sans limitation fonctionnelle physique ou sensorielle, et 86 % et 84 % sans limitations fonctionnelles cognitives. Les gênes pour les soins personnels occupaient 10 % de l’espérance de vie des hommes et 15 % de celle des femmes et les limitations d’activités en général 40 % et 50 %, respectivement [3]. Les femmes vivent donc nettement plus longtemps que les hommes, mais également plus longtemps avec des inca-pacités. La question est donc de savoir si les gains récents d’espérance de vie se sont traduits par des gains d’espé-rance de vie en santé. C’était incontestablement le cas au cours des années 1980, où les années de vie gagnées ont été des années sans incapacité sévère pour les hommes et les femmes et, même, sans incapacité modérée pour les hommes, conformément à l’hypothèse d’une compression de l’incapacité. Dans les années 1990, les années d’espé-rance de vie gagnées se sont accompagnées de difficultés dans certaines activités, mais pas de restriction sévère. C’est donc une forme d’équilibre dynamique qui a caracté-risé cette décennie. Au cours des années 2000, la tendance à l’équilibre dynamique s’est prolongée aux âges élevés, avec une expansion des années vécues accompagnées de limitations fonctionnelles et de limitations d’activités en général, du moins pour les hommes et, toujours, une com-pression des années vécues, avec des restrictions dans les activités de soins personnels. Mais entre 50 et 65 ans, on constate une tendance défavorable de l’espérance de vie, sans limitation fonctionnelle et sans restriction dans les activités domestiques pour les femmes, suggérant un schéma d’expansion de l’incapacité pour les générations de quinqua- et sexagénaires.

Une seconde question est de savoir quelle a été l’évo-lution de la distribution des années à vivre, au sein de cette évolution de l’espérance de vie. En effet, les individus ne s’intéressent pas uniquement au nombre moyen d’années qu’ils peuvent s’attendre à vivre, mais aussi au risque auquel ils s’exposent en matière de lon-gévité. Ainsi, tout individu opposé au risque préfèrera, pour un nombre d’années à vivre en moyenne équi-valent, avoir un risque plus limité, c’est-à-dire avoir moins de risques d’avoir une durée de vie très réduite, même si c’est en contrepartie d’une chance plus faible d’avoir une durée de vie extrêmement longue. Ainsi,

() Voir le Faits et chiffres de M. Tenand, m/s n° 2, février 2016, page 204

(2)

232 m/s n° 3, vol. 32, mars 2016

en outre, plus marqué aujourd’hui que dans les années 1970 [7]. Enfin, ces inégalités de longévité se doublent d’inégali-tés face à la santé et aux incapacid’inégali-tés. Les plus défavorisés passent donc un nombre d’années plus important avec des incapacités, au sein d’une vie déjà plus courte [8].

L’allongement spectaculaire de la durée de vie est sans aucun doute un marqueur important des gains en santé qu’a connu notre population, à mettre en partie au crédit de notre sys-tème de santé. Cependant, ce constat ne doit pas occulter les progrès qui restent à accomplir pour que ces années de vie gagnées soient des années en bonne santé et puissent bénéficier à tous. ‡

The favorable evolution of life expectancy: is it an increase of wellness related to health? LIENS D’INTÉRÊT

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

F. Jusot Paris sciences et lettres (PSL) Université Paris-Dauphine Laboratoire d’économie de Dauphine Laboratoire d’économie et gestion des organisations

de santé (Leda-Legos) Place du maréchal de Lattre-de-Tassigny 75775 Paris, France florence.jusot@dauphine.fr

RÉFÉRENCES

1. Bellamy V, Beaumel C. Bilan démographique 2015. Le nombre de décès au plus haut depuis l’après-guerre. Insee Première 2016 ; 1581.

2. Tenand M. Hausse des dépenses de santé : quel rôle joue le vieillissement démographique ? Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 204-10.

3. Cambois E, Robine JM. Le vieillissement de la population et les années de vie sans incapacité. In : Trivaille C, ed. Abrégé de gérontologie préventive, 3e ed.

Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson, 2016.

4. Peltzman S. Mortality inequality. J Econom Perspect 2009 ; 23 : 175-90.

5. Blanpain N. L’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent. Insee Première 2011 ; 1372.

6. Jusot F. The shape of the relationship between mortality and income in France. Health-insurance-equity (special issue). Ann Econom Stat 2006 ; 83-84 : 89-122.

7. Cambois E, Jusot F. Ampleur, tendance et causes des inégalités sociales de santé et de mortalité en Europe : une revue des études comparatives. Les inégalités sociales de santé en France en 2006 : éléments de l’état des lieux (numéro thématique). Bull Epidemiol Hebd 2007 ; 2-3 : 10-4.

8. Cambois E, Laborde C, Robine JM. La « double peine » des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte. Population et Sociétés 2008 ; 441. parce que la perte de bien-être liée aux pertes de chances

aux âges jeunes n’est pas compensée par les gains en bien-être aux âges élevés, les individus préféreront vivre dans un environnement où les inégalités absolues de longévité sont plus faibles. Or, les inégalités de longévité se sont considérablement réduites sur une longue période. Perz-man [4] montre ainsi que l’indice de Gini1 des longévités,

indicateur habituellement retenu pour quantifier les iné-galités de revenus, est passé de 0,45 en 1850 à 0,10 dans les années 2000. Cela signifie que, aujourd’hui, en tirant au hasard deux individus dans la population, leur écart de longévité correspondra en moyenne à 10 % de la longévité moyenne de la population. La transition démographique et la transition épidémiologique se sont ainsi accompagnées d’une concentration des âges au décès. Autrefois, les décès survenaient à tous les âges de la vie, avec un premier pic à la naissance suivi d’un second aux âges élevés. La baisse de la mortalité à la naissance a fait progressivement appa-raître une mortalité plus forte entre 20 et 50 ans, liée aux maladies infectieuses, aux accidents et à la mortalité des femmes en couche. La chronicisation des pathologies a conduit à un aplanissement de ce plateau au profit d’une concentration des décès aux âges élevés. Aujourd’hui, l’âge auquel le plus grand nombre de décès d’adultes survient atteint près de 90 ans pour les femmes, avec peu de décès avant 40 ans [3].

Si les progrès sanitaires ont permis de réduire considérable-ment ces inégalités absolues de longévité, il n’en est pas de même pour les inégalités sociales de longévité. En diminuant, la mortalité prématurée, qui reste toutefois importante en France par rapport aux autres pays européens, est devenue de plus en plus liée aux expositions et comportements à risque ainsi qu’aux difficultés d’accès à la prévention et aux soins et, donc, à la situation sociale. En conséquence, la France connaît des inégalités sociales de santé particu-lièrement marquées par rapport aux autres pays européens, et qui ne se sont pas réduites sur une longue période. Ainsi, un cadre de 35 ans a encore en moyenne plus de 47 ans à vivre, contre seulement moins de 41 ans pour un ouvrier [5] et un doublement des revenus est associé à une réduction de 43 % de la probabilité de décéder dans l’année [6]. Ce phénomène, connu sous le nom de gradient social de santé, ne se limite pas à un simple effet de la pauvreté. Si la mor-talité des 20 % d’individus les plus pauvres est supérieure de 40 % à la moyenne, la mortalité des 20 % les plus riches est, quant à elle, de 45 % inférieure à la moyenne. L’écart relatif de mortalité entre classe sociale ou niveau d’éducation est, 1 L’indice de Gini est un indicateur habituellement utilisé pour mesurer les inégalités de

salaires (de revenus, de niveaux de vie...). Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situa-tion d’égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie... seraient égaux. À l’autre extrême, il est égal à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où tous les salaires (les revenus, les niveaux de vie...) sauf un seraient nuls. Entre 0 et 1, l’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini est élevé.

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