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LE JOURNALISTE EST L'OTAGE DANS L'INFORMATION DE GUERRE

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LE JOURNALISTE EST L’OTAGE DANS

L’INFORMATION DE GUERRE

Gerald Arboit

To cite this version:

Gerald Arboit. LE JOURNALISTE EST L’OTAGE DANS L’INFORMATION DE GUERRE. Centre Thucydide. Annuaire français de relations internationales, VII, Bruyland, 2007. �hal-01104984�

(2)

LE JOURNALISTE EST L’OTAGE DANS L’INFORMATION DE GUERRE

PAR

GERALD ARBOIT1

La libération de Florence Aubenas, le 11 juin 2005, met fin à un épisode tragique de la presse française en Iraq, commencé dix mois plus tôt, le 20 août 2004, avec l’enlèvement de Georges Malbrunot et Christian Chesnot. L’événement marque également la fin d’une série d’enlèvements amorcée au printemps 2004, une année après la médiatique annonce par George W. Bush, après son atterrissage sur le porte-avions Abraham Lincoln, de la fin des opérations militaires contre l’Iraq. Dans cet intervalle, vingt-huit journalistes ont été retenus contre leur gré par la volonté de groupuscules iraquiens de résistance. Un seul, le reporter indépendant italien Enzo Baldoni, a été assassiné, le 26 août 2004, soit six jours après sa disparition, par l’Armée islamique en Iraq2.

Cette stratégie de la guérilla marque le retour des enlèvements dans la sphère médiatique. Un rapport du Foreign Policy Centre de Londres avait noté, trois ans plus tôt, que cette activité «n’était pas aussi visible qu’elle le devrait»3. En cette période précédant les attentats du 11 septembre 2001, le constat se fondait sur la comparaison entre l’étrange et sobre – du point de vue journalistique – crise des otages de Jolo de l’été précédent et celles qui avaient donné lieu à des traitements particuliers au cours des années 1980, tant pour Téhéran que pour Beyrouth. Le catalogue de l’Inathèque, qui recèle depuis 1995 l’intégralité des programmes de radio et de télévision diffusés, ne fait ressortir qu’un seul événement antérieur à la guerre contre le terrorisme – dont l’Iraq n’était que la seconde étape après l’Afghanistan : il concerne la libération, le 12 décembre 1995, des deux pilotes français, Frédéric Chiffot et José-Manuel Souvignet, retenus par les paramilitaires serbes du général Ratko Mladic. Et encore ne devait-il sa présence qu’à une confusion des genres dans le champ lexical – ces mdevait-ilitaires étaient considérés comme des prisonniers de guerre par les Serbes…

L’intérêt qu’ont produit les enlèvements d’Occidentaux en Iraq et, dans une plus ou moins grande mesure, de journalistes repose d’abord sur la dimension spectaculaire et morbide que leur ont donné les preneurs d’otages à travers des vidéos qui, diffusées depuis des sites Internet, ont semblé formatées pour les télévisions d’information en continu. Les nouvelles (news) ont pris un tour particulier, rappelant l’époque libanaise. Par réflexe corporatiste, elles ont engendré une médiatisation plus importante que pour un quelconque camionneur

yougoslave, mais ont également fait ressurgir une peur au sein de la profession.

UNE INFORMATION

La nouvelle de la prise en otage d’un journaliste n’avait plus fait les gros titres de la presse française, écrite et audiovisuelle confondues, depuis le Liban, entre mars 1986 et mai 1988. Le caractère asymétrique des opérations militaires en cours a inévitablement impliqué le recours à cette arme-symbole de la privatisation des conflits et des différentes formes de personnalisation de la violence. Pour ceux qui couvrent le conflit, l’otage, quel que soit son statut d’homme libre, est d’abord une information.

Une situation particulière à l’Iraq

Les enlèvements ont commencé en Iraq à la date anniversaire du début de l’occupation anglo-américaine, alors que le conflit faisait rage du côté de Falluja, après que quatre hommes d’une société militaire privée, d’anciens marines, eurent été assassinés par des habitants de cette ville agricole, conservatrice, tribale et sunnite. Les scènes de déprédation des dépouilles, qui finissent pendues à un pont de fer enjambant le Tigre, ont été diffusées sur les chaînes du monde entier. Elles avaient été filmées, non par le hasard de la

1

Chercheur au Centre d’études et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (CERIME) de l’Université Robert Schuman (Strasbourg, France) et rédacteur en chef de la revue Renseignement et opérations spéciales.

2

Anne-Sophie LE MAUFF, «Enzo Baldoni, journaliste et homme de paix», l’Humanité, 30 août 2004. 3

(3)

présence d’un de ces citizens reporters4, mais bien par les éléments d’une guérilla iraquienne qui, au fait de l’utilisation psychologique des chaînes satellitaires d’information en continu, enfin autorisées dans le pays, entendait dorénavant utiliser le terrorisme et la guerre asymétrique pour atteindre ses buts politiques. Il n’y a pas eu d’innovation par rapport à ce qui se fait depuis le début de la guerre israélo-arabe et la mise en place du terrorisme palestinien, sans compter les années de guerre civile au Yémen et au Liban. Seule la puissance de la télévision a permis une dissémination planétaire immédiate de chaque succès ou échec, éliminant virtuellement, par bien des aspects, le besoin d’un système de commandement, de contrôle et d’information5.

La réponse américaine aurait dû prendre en compte ces éléments. Cependant, la vigueur de l’opération contre Falluja, si elle a assuré un succès tactique immédiat, s’est révélée

stratégiquement contre-productive. La guérilla a ainsi trouvé une légitimité politique importante dans la perspective d’un transfert de souveraineté de l’Autorité provisoire de la coalition à un gouvernement démocratiquement formé. Le 9 avril 2004, s’est produit le premier enlèvement d’étrangers. Cet acte est venu renforcer les techniques utilisées jusque-là par les insurgés : attentats aveugles ou ciblés, harcèlement, attaques anti-aériennes ou de convois routiers… Sur le plan de la propagande simple, il a offert une couverture immédiate et a apporté un nouveau «programme» pour Al Jazira et Al Arabiya : grâce à ces chaînes satellitaires, les groupes iraquiens ont été assurés d’atteindre les opinions publiques locales et internationales et ont pu frapper, directement, les gouvernements démocratiques des pays de la coalition.

Dans ce «nouvel ordre médiatique» généré par l’évolution des technologies de l’information et de la communication, les otages ont instantanément intégré la «large panoplie de

manœuvres politiques et psychologiques […], un levier démultipliant leurs forces réelles»6. La première forme d’utilisation de ces «atrocités utiles», comme les appelle l’analyste du Centre for Strategic and International Studies, Anthony H. Cordesman, semble avoir été faite pour la télévision. Elle faisait écho à un précédent sud-asiatique de l’immédiat

après-11 septembre. La décapitation de Daniel Pearl, le journaliste du Washington Post, disparu le 23 janvier 2002, alors qu’il enquêtait sur les mouvements islamistes de Karachi, et assassiné, le 21 février, avait été filmée, montée et adressée, sous le titre «The Slaugher of the

Spy-Journalist, the Jew Daniel Pearl»7, aux gouvernements pakistanais et américain. La rapide arrestation des assassins avait empêché une diffusion plus large. Pourtant, début mai, un site islamiste saoudien mit en ligne la vidéo, qui fut aussitôt diffusée le 14 mai par la chaîne américaine CBS8, à la stupeur de la famille et malgré les pressions du Département d’Etat. Avant d’être diffusées depuis l’Iraq sous forme de DVD, la plupart de ces vidéos l’ont été sur Internet, passant de sites temporaires et anonymes à des formats plus permanents, disséminés autant par des sites islamistes qu’antiterroristes, conspirationistes ou pornographiques, rejoignant le rayon des snuff-movies. Ces «productions» varient peu quant à leur contenu ou leur format. Elles s’intègrent à un mode de communication des mouvements terroristes

moyen-orientaux élaboré depuis la fin des années 1980. L’évolution technologique et la baisse des coûts ont permis la diffusion des prêches radicaux par vidéos numériques et non plus par cassettes audio comme au temps de l’ayatollah Khomeyni. Al Qaïda, le Hamas et le

Hezbollah se sont même spécialisés dans ce genre de film, notamment pour l’instruction opérationnelle de leurs fidèles. Ils n’ont pas tardé à faire des émules auprès de groupuscules moins puissants.

4

Isabelle NATAF, «Nous sommes tous des ‘citizens reporters’», Le Figaro, 1er déc. 2005.

5

Anthony H. CORDESMAN, Hostages, Murders, and Desecrated Corpses : Iraqi Political and Psychological Warfare, Centre for Strategic and International Studies, Washington, 11 avr. 2004, pp. 2-3.

6

Ibid., p. 5.

7

«L’exécution du journaliste espion, le juif Daniel Pearl.» 8

AFP / Reuters, 16 mai 2002. Le 23 mai suivant, le FBI ordonnait à un fournisseur d’accès d’enlever la vidéo de Daniel Pearl de ses serveurs, arguant d’une loi sur l’obscénité de 1996. Après une certaine mauvaise publicité, le FBI a retiré sa réclamation sans fondement.

(4)

En dehors des vidéos d’otages, existent trois autres types de séquences filmées. Le plus courant est le clip montrant, sur fond de musique religieuse, une série d’images

interchangeables d’insurgés en action, d’adoration des héros vivants de l’Islam radical (Oussama Ben Laden, Ayman al Zawahiri, Abou Moussa al Zarqaoui), des attentats du 11 septembre ou de Musulmans opprimés par les troupes américaines ou israéliennes. Viennent ensuite les confessions des martyrs, volontaires pour un attentat suicide, ou morts lors d’un affrontement avec les «ennemis de l’Islam». Enfin, des «documentaires» magnifient les attaques terroristes et les opérations de l’insurrection iraquienne ou palestinienne. Ces trois types de films ont très tôt connu un impact sur les assistances de la «cible» moyen-orientale, mais ils n’ont véritablement commencé à toucher les audiences occidentales qu’avec l’afflux d’Iraq des vidéos effroyables d’otages.

Celles-ci peuvent être de deux catégories. Les premières mettent en scène égorgements et décapitions dans la plus pure tradition islamique – au sabre –, mais terriblement occidentales – les détenus sont vêtus de combinaisons orange, comme ceux de Guantanamo et d’Abu Ghraib – et soigneusement montées. Elles correspondent à ce que le politologue Gilles Kepel nomme le «grand bricolage de la tradition islamique» d’Al Qaïda9, un assemblage de

morceaux épars de tradition décontextualisés et universalisés. Les secondes sont plus «consensuelles», en ce sens qu’elles entrent dans le champ du «kidnapping business»,

appelant à rançon malgré leur apparente politisation. Christian Chesnot et Georges Malbrunot en ont «tourné» dix pendant leurs quatre mois de détention. Leur nombre témoigne autant de la nature de l’enlèvement que des vicissitudes des négociations, soumises aux aléas de la paranoïa des terroristes autant qu’aux interférences multiples avec le travail des négociateurs. La première vidéo semble déterminer le sort de l’otage. Maltraité, comme ce garde du corps d’Ahmad Chalabi qui partage un court moment la cellule des deux Français, ou humilié, «du

type agenouillé, arme sur la tempe»10, revêtu d’une combinaison orange, comme le journaliste Enzo Baldoni, il connaîtra la mort. Au contraire, si «l’ambiance [est] plutôt décontractée», prenant «rapidement un caractère surréaliste», il connaîtra l’attente, l’angoisse et enchaînera les présentations et les déclarations, fixant le point rouge de la caméra que tient un individu cagoulé11.

Le journaliste pour cible

Le journaliste n’est pas devenu immédiatement un otage. Il n’a d’abord été que le spectateur de ce théâtre tragique en Iraq. Il a contribué à prolonger l’avantage psychologique des terroristes, non seulement sur les lieux de la guérilla, mais également au-delà, au sein de la coalition et parmi ses affidés, jusqu’aux opinions publiques occidentales. Les insurgés ont cherché des étrangers. Dans leur stratégie de la terreur, ils ont décidé de s’en prendre à tous ceux qui aident la coalition d’une manière ou d’une autre : humanitaires, personnel diplomatique, représentants des Nations Unies, affairistes… Il s’est agi autant de créer un climat d’insécurité, repoussant toute perspective de mise en place de relations diplomatiques et économiques, que d’attester que les troupes anglo-italo-américaines ne contrôlaient pas le pays, empêchant ainsi tout

développement des processus d’aide économique et politico-militaire12.

Arabes, Asiatiques, Occidentaux ou Iraquiens, ressortissants de membres de la coalition ou non, aucun pays n’a été épargné. Au total, trente-huit otages sur deux cent vingt-cinq ont été tués. Le premier étranger assassiné est, le 14 avril 2004, l’Italien Fabrizio Quattrocchi, enlevé deux jours plus tôt avec trois de ses compatriotes, libérés, quant à eux, le 8 juin : les

ravisseurs réclamaient un retrait des troupes italiennes. Même revendication pour l’autre

9

Gilles KEPEL, «Ce que dit vraiment Al Qaïda», Le Nouvel Observateur, 1er sept. 2005, pp. 78-79. Cf. également Gilles KEPEL / Jean-Pierre MILELLI

(dir.), Al Qaïda dans le texte. Ecrits d’Oussama Ben Laden, Abdallah Azzam, Ayman al-Zawahiri et Abou Moussab al Zarqawi, PUF, Paris, sept. 2005. 10

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, Mémoires d’otages, Calmann-Lévy, Paris, 2005, p. 108. Cf. les conditions de détentions des otages français à Beyrouth dans «Humiliations, chaînes, simulacres d’exécution : trois ans de cauchemar», Le Monde, 8 mai 1988.

11

Ibid., pp. 85-86. Cf. aussi Dominique DHOMBRES, «Des silhouettes mouvantes sur fond de décor de propagande», Le Monde, 31 août 2004. 12

(5)

Italien, Enzo Baldoni, assassiné fin août par l’Armée islamique. Le premier assassinat médiatisé survient le 11 mai, avec la diffusion, sur un site Internet, d’une vidéo montrant la décapitation de l’Américain Nicholas Berg. La première femme assassinée est la britannico-iraquienne Margaret Hassan, représentante en Iraq de l’ONG Care, à la mi-novembre 2004. Cet assassinat ne sera jamais confirmé de source officielle, mais M. Hassan est le deuxième otage britannique tué en Iraq, après Kenneth Bigley13, décapité début octobre. Fin novembre 2005, il restait cinq Occidentaux retenus et menacés de mort : quatre membres de

l’organisation humanitaire Christian Peacemakers Teams, les Canadiens James Loney et Harmeet Singh Sooden, le Britannique Norman Kember et l’Américain Tom Fox, ainsi qu’une archéologue allemande, Susanne Osthoff.

Les journalistes ont commencé à être pris pour cible après que la stratégie terroriste a petit à petit porté ses fruits. Auparavant, ils ne représentaient que leur nationalité. Ainsi,

concurremment avec l’annonce de l’assassinat de Fabrizio Quattrocchi, Alexandre Jordanov, reporter de l’agence Capa, a été retenu trois jours en avril 2004, dans une usine de ciment, humilié et frappé, parce que ses ravisseurs le prenaient pour un agent israélien, malgré son passeport français. Une fois sa nationalité établie, son cadreur Ivan Cerieix a été libéré dès le lendemain14. La même mésaventure est arrivée en mai, à une équipe de France 2, retenue dix heures à Falluja avant d’être libérée15.

Même si la nouvelle n’a fait l’objet que d’une brève dans les principaux médias français, il a été difficile pour les journalistes de ne pas s’interroger sur les conditions d’exercice de leur métier : jusqu’à quel point peut-on risquer sa vie, ou celle des autres, pour informer? Question lancinante de cette profession, qui a vu sept des siens mourir lors d’actions militaires,

révolutionnaires ou de guérilla depuis 1989. Question insistante depuis que le caméraman français Frédéric Nérac a disparu, le 22 mars 2003, alors qu’il circulait en voiture siglée «Presse» au sud de Bassora16.

Cette question inhérente au journalisme de guerre s’est posée avec acuité à partir du printemps 2004. A cette époque, les responsables des rédactions françaises se montraient encore dubitatifs, hésitant entre rappeler les équipes, les maintenir à Bagdad ou leur faire observer des consignes de sécurité. Six mois plus tard, avec l’enlèvement de Christian Chesnot et Georges Malbrunot et quarante et un journalistes tués depuis le début de la guerre en Iraq, la profession s’est montrée plus circonspecte17. Même si chaque média est resté seul maître de ses choix, l’annonce du retrait des journalistes de TF1 et de France 318 a semblé marquer la fin d’une couverture approfondie du marigot iraquien. La RTBF et RTL-TVI en étaient déjà partis depuis août.

Il ne restait plus, fin septembre 2004, que le rédacteur en chef de l’émission d’actualité de Canal + «90 minutes», Luc Hermann, travaillant à la fois pour la chaîne cryptée et sa filiale d’information en continu I-Télévision. «Par solidarité et par amitié» avec les deux Français enlevés, l’équipe de France 2 a aussi été maintenue sur place. L’envoyé spécial de la radio Europe 1, Franck Berruyer, demeure à Bagdad et travaille pour France 5. Etaient encore présentes CNN et la BBC, certes «bunkerisées» dans les hôtels de la «zone verte»19. D’autres, comme Nicolas Hénin, le correspondant de Radio France, se repliaient sur Amman, d’où ils ne bougeaient plus, la route de Bagdad étant devenue un repère de brigands. D’une manière

13

Sur les conséquences de cet assassinat en Grande-Bretagne, cf. Brendan O’NEILL, «Behind the hostage crisis. How the Iraqi kidnappers captured Britain’s attention», 24 sept. 2004, disponible sur le site Internet www.spiked-online.com/Articles/0000000CA705. htm.

14

Bertrand D’ARMAGNAC / Guy DUTHEIL, «Un journaliste français a été enlevé au sud de Bagdad», Le Monde, 15 avr. 2004; AFP, «Le journaliste français a été libéré», 14 avr. 2005.

15

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, op. cit., p. 68. 16

Jean-Pierre STROOBANTS, «L’énigme Fred Nérac, premier journaliste disparu en Iraq», Le Monde, 18 déc. 2005. 17

Laurence GIRARD / Bénédicte MATHIEU, «Les rédactions s’interrogent sur leur présence en Iraq», Le Monde, 1er sept. 2004.

18

AFP, 26 sept. 2004. 19

(6)

générale, la plupart des médias européens ont mis en place un dispositif d’envoyés spéciaux à brefs séjours pour couvrir l’actualité présente en Iraq.

Après l’enlèvement des journalistes des quotidiens français Libération, Florence Aubenas, le 5 janvier 2005, et italien Manifesto, Giuliana Sgrena, le 4 février, imitant en cela leurs collègues américains et britanniques, les gouvernements français20 et italiens ont déconseillé «formellement» aux responsables des rédactions d’y envoyer des journalistes. En France, la tendance des rédactions était déjà de faire couvrir l’Iraq depuis Amman21. Le 6 janvier, le président de Radio France, Jean-Paul Cluzel, a confirmé, lors de la présentation de ses vœux, que «jusqu’à nouvel ordre, toutes les rédactions de Radio France, avec mon accord, ont pris

la décision de n’avoir aucun journaliste en Iraq tant que la situation ne serait pas améliorée».

Alors qu’une forme de psychose a gagné les rédactions françaises, l’Europe ne semble pas avoir partagé cet état d’esprit. Seuls les patrons de presse britanniques, qui avaient réduit leur dispositif depuis l’enlèvement et la mort de Margaret Hassan en octobre 2004, et les trois agences russes Interfax, Itar-Tass et Ria Novosti n’ont plus maintenu personne, mais trois grandes chaînes de télévision nationale ont envoyé des équipes pour les élections. Si la RTBF n’a plus envoyé de journaliste à Badgad, le quotidien Le Soir a toujours eu une correspondante sur place. Les envoyés spéciaux de la ZDF, deuxième chaîne publique allemande, ne quittent pas Bagdad sans autorisation de leur rédacteur en chef et ont tourné par vacations de deux à trois semaines. Le magazine Stern avait toujours un correspondant à Bagdad. La télévision publique italienne, la RAI, les chaînes privées et les principaux quotidiens nationaux avaient encore des correspondants à Bagdad et à Nassiriyah, où opéraient trois mille militaires italiens. Les radios et télévisions publiques polonaises et l’agence PAP avaient un studio permanent au QG de la force polonaise à Diwaniyah. Les télévisions, publique TVP et privée TVN, comptaient envoyer des journalistes pour couvrir les élections22.

Les journalistes ont fini par revenir à Bagdad ou par en sortir. Ceux de la BBC, d’ITV News, de Channel 4 News et de Sky News ont profité du mouvement du fameux Royal Highland Regiment, le Black Watch, qui opérait dans la région de Bassora, repositionné dans le centre de l’Iraq pour permettre aux troupes

américaines d’en finir avec le siège de Falluja. Pour leurs rédactions londoniennes, il s’agissait là de deux sujets d’importance23. Dix mois plus tard, ces quatre chaînes ont songé à les rappeler, après l’enlèvement, suivi de sa prompte libération, du correspondant du Guardian, Rory Carroll24.

UNE MEDIATISATION

Les annonces de l’enlèvement de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, puis de l’assassinat d’Enzo Baldoni et de Kenneth Bigley se sont télescopées avec l’actualité de la rentrée scolaire 2004 en Russie, marquée par la sanglante prise d’otages de l’école de Beslan25. De toute part, le terrorisme s’est invité à la une des médias, en particulier via la télévision. Légitime quand il s’agissait d’information, cette surexposition n’a pas été, en Iraq, sans inconvénient.

Entre devoir d’informer…

Roger Mosey a été parmi les premiers à s’inquiéter de cette tendance. L’homme est connu pour ses positions contre ce «cocktail toxique» de télé-réalité, d’émissions obscènes et de directs du confessionnal, qui caractérise trop souvent l’explosion des chaînes commerciales et pas seulement d’ailleurs26. Le 25 septembre 2004, il a appelé à s’interroger sur le sens donné à cette médiatisation de l’indicible : «les

terroristes veulent clairement fixer l’ordre du jour international de l’information. Il y a donc un danger qu’ils commettent les pires atrocités pour obtenir plus d’audience. Il doit y avoir une discussion parmi les

20

Michel BOLE-RICHARD, «Iraq : l’avertissement de Jacques Chirac, le dilemme des médias», Le Monde, 9 janv. 2005. 21

Pendant la guerre civile libanaise, particulièrement au plus fort de la «crise des otages», entre 1985 et 1988, les journalistes couvrant les événements s’étaient repliés à Chypre.

22

UPF, «Repli de la presse sur le terrain en Iraq», 7 janv. 2005. Aucun média grec n’avait de correspondant permanent en Iraq, mais les raisons étaient avant tout financières.

23

Jason DEANS, op. cit.. 24

Stephen BROOK, «Reporter’s kidnapping brings safety issues to the fore», The Guardian, 24 oct. 2005. 25

Dominic TIMMS, «Terror warning for news journalists», The Guardian, 8 oct. 2004. 26

(7)

journalistes. Il n’est plus suffisant de dire que ces images finiront par atteindre le domaine public et de nous en faire une excuse pour les montrer» 27.

A la base du raisonnement du directeur de l’information de la BBC se trouve le fait que les terroristes accèdent, par le biais des technologies modernes, aux journaux et aux télévisions occidentales et savent s’en servir pour contrebalancer leur asymétrie militaire. Christian Chesnot et Georges Malbrunot ne sont-ils pas confrontés à des ravisseurs apparemment concernés par la loi sur le voile islamique28? L’enlèvement de Giuliana Sgrena n’est-il pas intervenu au moment où le Parlement italien se prononçait sur le décret prorogeant de six mois la mission du corps expéditionnaire italien en Iraq29? Florence Aubenas n’a-t-elle pas lancé un appel au député français Didier Julia, dont l’équipée destinée à faire libérer les deux journalistes français, en septembre 2004, avait tourné au fiasco, créant ainsi un tumulte inutile dans la classe politico-médiatique française30? Il y a également le traitement que la presse britannique a accordé, quelques semaines plus tôt, aux deux Français : si le Financial Times a mis en exergue le refus du Président français de céder aux terroristes, les journaux du groupe Murdoch ont adopté un ton largement anti-français. The Times mettait en exergue le fait que Jacques Chirac ne critiquait pas «les ravisseurs, mais [s’efforçait] de les convaincre en

expliquant les principes démocratiques derrière l’interdiction du foulard islamique», tandis

que The Daily Telegraph, connu pour sa francophobie, préférait ironiser sur «la panique qui [a] gagné le gouvernement» de Jean-Pierre Raffarin31.

D’une certaine manière, Roger Mosey n’a-t-il pas encore pointé cette mobilisation autour des confrères séquestrés? Dans cette forme de conflits reposant sur la gestion des perceptions, la réponse doit être psychologique. Or, les gouvernements ne peuvent s’opposer ainsi aux manœuvres des terroristes; tout juste peuvent-ils intervenir à la télévision, comme lors de chaque événement terroriste32. En France, Reporters sans frontières a pris le parti de la mettre en œuvre. L’association dirigée par Robert Ménard a tenu à afficher sa solidarité avec tous les journalistes enlevés. Elle a testé sa stratégie avec Christian Chesnot et Georges Malbrunot, l’a amplifiée avec Florence Aubenas33 et l’a exporté en Italie pour Giuliana Sgrena34. Elle a lutté à part égale avec les ravisseurs, puisque Al Jazira, la chaîne du Qatar accusée par Washington de «propager une rhétorique de guerre» depuis qu’elle a reçu en exclusivité les

revendications préenregistrées des Talibans afghans et d’Al Qaïda35, et sa concurrente

saoudienne, Al Arabiya, ont prolongé son discours jusqu’en Iraq et ont ouvert leurs antennes à ceux qui, dans le monde musulman, condamnaient fermement ces actes.

Dans une certaine mesure, la mobilisation populaire dont a profité le «comité de soutien» à la première a prolongé celle qui avait entouré le «comité pour la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot», composé d’intellectuels arabes et de représentants d’instances

religieuses musulmanes et de défense des droits de l’homme. L’ampleur des démonstrations – affichage des portraits, pétitions, rassemblements de masse, animation de sites Internet – autour de Florence Aubenas en a fait une «icône […], victime innocente, mais victime

courageuse»36.

27

Cité par David SMITH, «Concerns over media coverage», The Observer, 26 sept. 2004. 28

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, op. cit., p. 104. 29

«Missione in Iraq, dalla Camera via libera definitivo alla proroga», La Repubblica, 15 oct. 2005. 30

Patrice CLAUDE, «Au 55e jour de détention, une vidéo comme ‘preuve de vie’», et Christophe JAKUBYSZYN / Philippe RIDET, «L’appel de Florence

Aubenas relance la polémique sur Didier Julia», Le Monde, 3 mars 2005. 31

Jacques DUPLOUICH, «La presse britannique ironise sur la ‘panique’ de Paris», Le Figaro, 31 août 2004. 32

Vanessa SCHNEIDER, «Chirac, professionnel du regard mouillé», Libération, 23 déc. 2005. 33

Thiébault DROMARD, «Les médias se mobilisent pour les journalistes otages», Le Figaro, 8 fév. 2005. 34

«Tanti appelli per Giuliana Sgrena. E il padre chiede : ‘Liberatela’», La Repubblica, 5 fév. 2005; Richard HEUZE, «L’Italie derrière Giuliana Sgrena», Le Figaro, 8 fév. 2005.

35

Tewfiq HAKEM, «Al-Jazira traite de la prise d’otages sans prêter le flanc aux critiques passées à son endroit», Le Monde, 2 sept. 2004. 36

(8)

Cette mobilisation, dont l’espoir était toujours d’atteindre ceux qui étaient privés de liberté, a été différente selon les pays. Si les médias français et italiens ont adopté la même attitude, la presse britannique, qui n’a pas eu à déplorer de journalistes otages, sinon la brève aventure de Rory Carroll, a porté le débat, en septembre 2004 et en octobre 2005, sur l’utilisation des vidéos transmises par les ravisseurs, avant de s’intéresser à la sécurité de ses reporters37. La même controverse a eu lieu en Italie, au printemps 2004, l’instrumentalisation politique en plus38. En France, la médiatisation s’est largement inspirée des dispositifs mis en place lors de la crise libanaise, entre 1986 et 1988. Le Figaro, employeur de Georges Malbrunot, s’est souvenu de la mobilisation d’Antenne 2 pour les otages français au Liban et a publié en une les photos des deux journalistes, accompagnées du décompte des jours passés en captivité. Dès la mi-septembre, les antennes de Radio France et de RTL ont accueilli les messages, de vingt secondes, de personnalités des arts, du journalisme et de la politique, rappelant que «tant qu’ils sont otages, nous le sommes aussi», puis en novembre «ne les oubliez pas!»

Libération a également bénéficié de l’écho et du malaise créé par la séquestration de Christian

Chesnot et de Georges Malbrunot.

Le 24 janvier 2005, son directeur, Serge July, a ainsi pu réunir autour de Florence Aubenas les responsables des rédactions d’une quarantaine de quotidiens, d’hebdomadaires, de radios, de télévisions et d’agences de presse pour lancer un appel conjoint à la solidarité. Le lendemain, il a fait la une du quotidien et a été repris par les autres médias. Le 22 mars, à Bruxelles, il s’est ouvert aux directeurs des médias d’information européens, a reçu le soutien de

l’Association mondiale des journaux, de l’Union européenne de radio-télévision et du World Editor Forum et s’est adressé aux institutions européennes39. Le 5 mai, plusieurs dizaines de journaux, dont The Times, Die Welt, El Pais, ont publié cette déclaration. Un voyage des directeurs de rédactions français à Bagdad a même été évoqué40.

Personne ne pourra dire si ces mobilisations ont porté quelque fruit. Après avoir appris de leurs ravisseurs ce qui avait été fait pour eux en Europe, Christian Chesnot et Georges Malbrunot en ont surpris quelques échos sur Al Jazira41. Pour Florence Aubenas, ce sera sur TV 542. Giuliana Sgrena a raconté qu’elle avait vu, par l’entrebâillement d’une porte, un journal télévisé montrant une manifestation en son honneur en Italie. Cependant, aucun ne peut prétendre que ces mobilisations ont aidé à leur libération. Peut-être leur ont-elle apporté seulement «un courage inouï», comme à Jean-Paul Kauffmann, otage du Hezbollah à

Beyrouth, de 1985 à 198843? Une chose est cependant certaine : parmi d’autres, des ravisseurs n’ont pas voulu entendre l’appel à la clémence, relayé par Al Jazira, de deux enfants d’Enzo Baldoni44.

… et discrétion des négociations

Pour autant, cette mobilisation n’a fait que correspondre à une attitude classique des médias (watchdog) en matière de relations internationales et de pré-crises, c’est-à-dire pendant cet instant où les gouvernements restent enclins à respecter toutes les formes de non-ingérence dans les affaires d’un pays indépendant. Pour Georges Malbrunot, d’accord avec son «grand ancien» Jean-Paul Kauffmann, «son importance est

37

David SMITH, op. cit.; Dominic TIMMS, op. cit.; Stephen BROOK, op. cit. 38

Les élections européennes allaient avoir lieu lorsque, le 8 juin 2004, trois otages italiens ont été libérés. Cf. la revue de presse de l’ambassade de France en Italie du 29 mai au 11 juin 2004, disponible sur le site Internet www.ambafrance-it.org/_fr/actualite/documents/Ambassade-de-France_Synthèse-de-la-presse-italienne_29-05-04.doc.

39

Julie MAJERCZAK, «L’appel des médias européens pour libérer les otages», Libération, 23 mars 2005. Cf. L’Express, 15 avr. 2005. A compter du 28 mars, l’appel faisait également référence aux trois journalistes roumains pris en otages, Marie Jeanne Ion, Sorin Dumitru Miscoci et Eduard Ovidiu Ohanesian. A l’exception de Chypre et de Malte, tous les pays membres de l’Union européenne figuraient parmi les signataires.

40

Thiébault DROMARD, op. cit. 41

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, op. cit., pp. 103 et 118. 42

«Questions autour d’un rapt», Libération, 15 juin 2005. 43

Jean-Paul KAUFFMANN, «La mobilisation n’est pas la guerre», Médias, n° 5, juin 2005, p. 67. 44

(9)

essentielle les premiers jours qui suivent la capture, une fois la nouvelle de la détention officialisée»45. Cependant, si le premier y voit plutôt un prolongement de l’action psychologique des terroristes, le second estime plus classiquement qu’«elle fait violence [aux] dirigeants pour qu’ils aillent de l’avant. Fort de

l’adhésion des Français, le gouvernement est aussi plus à l’aise pour négocier»46. En la matière, un sondage commandé à CSA par Reporters sans frontières fin avril 2005 montre que près d’un Français sur deux estime que les médias font «juste ce qu’il faut» (47%), au contraire du gouvernement (57%)47.

Dans les sphères diplomatiques, ces interférences sont bien comprises et, parfois, même souhaitées. Le Moyen-Orient est même un terrain d’application privilégié de la «media

diplomacy», depuis qu’Henry Kissinger a utilisé la presse américaine pour engager les

Israéliens à négocier. Les premières phases des prises d’otages de la région, des plus

anciennes, comme l’ambassade américaine à Téhéran (1979-1981)48 ou l’avion de la TWA à Beyrouth (1985)49, aux plus récentes, en Iraq, les gouvernements n’ont pas hésité à utiliser la télévision pour entrer en contact avec ces ravisseurs, palliant ainsi à l’impossibilité des services diplomatiques d’agir. Le 22 mars 1988, lorsque Bernard Pivot s’adresse aux terroristes, au cours du journal de 13 heures d’Antenne 2, mais aussi à l’Iran, il est de facto chargé de permettre un contact50.

Seize ans plus tard, le paysage audiovisuel a évolué, offrant d’autres outils. Dès le 1er

septembre 2004, le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, est intervenu sur Al Jazira, dans une interview exclusive51 et a demandé l’aide du prédicateur de la chaîne, Youssouf al Qaradawi. Ce canal a été réutilisé pour entrer en contact avec les ravisseurs de Florence Aubenas52. Ont également été utilisées toutes les ressources qu’offre l’audiovisuel extérieur de la France, principalement RFI et RMC Moyen-Orient, déjà mobilisé pour leurs collègues. Après la disparition de Giuliana Sgrena, le ministre italien des Affaires étrangères, Gian Franco Fini, a accordé dans l’urgence un entretien téléphonique à la chaîne qatarie, le 5 février 200553.

Bien avant les satellites et les chaînes d’information en continu, la spécificité de la situation au Moyen-Orient rendait possible l’utilisation de la «media diplomacy». Journalistes

occidentaux et locaux avaient appris à se connaître, à travailler ensemble. Il en allait de même avec la classe politique. Des connexions étaient possibles lors de périodes de crise, comme celle d’hommes et de femmes retenus contre leur gré et menacés de mort. D’autres que les journalistes, comme l’«étrange Monsieur Julia», ont tenté de s’insérer dans cette diplomatie parallèle. Cependant, suite à son échec de septembre 200454 largement médiatisé, le député français et son équipe n’ont réussi qu’à donner aux ravisseurs de Florence Aubenas des éléments supplémentaires de dissension dans l’opinion publique française...

C’est dire combien la «media diplomacy» est d’un usage particulièrement délicat. Le 10 juillet 2000, France 2 a appris que trois professionnels chevronnés, la journaliste Maryse Burgot, le caméraman Jean-Jacques Le Garrec et le preneur de son Roland Madura étaient tombés aux

45

Georges MALBRUNOT, «Jamais trop», Médias, n° 5, juin 2005, p. 65. 46

Jean-Paul KAUFFMANN, op. cit.. 47

Sondage réalisé les 26 et 27 avril 2005 et rendu public le 3 mai 2005, à l’occasion de la 15e Journée internationale de la liberté de la presse et des

vingt ans de l’association. 48

Eytan GILBOA, «Media diplomacy : conceptual Divergence and applications», The Harvard International Journal of Press/Politics, n° 3, 1998, pp. 56-75; Eytan GILBOA, «Media Diplomacy in the Arab-Israeli Conflict», in Eytan GILBOA (dir.), Media and Conflict. Framing Issues, Making Policy,

Shaping Opinions, Transnational Publishers, Ardsley, 2002, pp. 193-211, et «Effects of televised presidential addresses on public opinion : President

Reagan and terrorism in the Middle East», Presidential Studies Quarterly, vol. XX, n° 1, hiv. 1990, pp. 43-53. 49

James F. LARSON, «Television and U.S. foreign policy : the case of Iran hostage crisis», Journal of Communication, vol. XXXVI, n° 4, 1986, pp. 108-130.

50

Cf. le site Internet www.ina.fr/actualite/dossiers/2005/Mai2005.fr.html. A cette époque, suite aux attentats qui avaient ensanglanté Paris au

printemps 1986 et à l’affaire Gordji qui s’en était suivi, la France avait suspendu ses relations diplomatiques avec l’Iran le 17 juillet 1987. 51

Cf. le site Internet www.ambafrance.org.br/afr/actualite/diplomatie/diplo26.htm.

52

Ian HAMEL, «Youssef Al-Qaradhawi : ‘le ministre français des Affaires étrangères m’a félicité après la libération de Florence Aubenas’», 26 sept. 2005, disponible sur le site Internet oumma.com/ article.php3?id_article=1693.

53

«Fini su Al Jazira : ‘Giuliana amica degli iracheni’», Il Corriere della Sera, 6 fév. 2005. 54

(10)

mains de ravisseurs philippins, des rebelles musulmans du groupe Abou Sayaf, sur l’île de Jolo (extrême sud des Philippines). L’équipe de la chaîne publique était partie enquêter sur le sort des otages, alors détenus depuis le 23 avril par les mêmes ravisseurs. «Nous ne

renouvellerons pas le dispositif qui avait été mis en place pour le Liban, en rappelant chaque jour la situation des otages. Au Liban, on pouvait espérer avoir un certain impact sur les ravisseurs. Pas là, puisque France 2 n’est pas reçue aux Philippines», précisa la chaîne

publique. Elle décida de laisser les Affaires étrangères agir et de ne pas mener de négociations parallèles, qui pourraient s’avérer contre-productives.

La «media diplomacy» doit pouvoir s’arrêter à partir du moment où les diplomates et les agents mandatés commencent leur travail, au risque de le compliquer inutilement. Parlant pour ses collègues de 2004-2005, Jean-Charles Marchiani, libérateur des otages français au Liban, en mai 1988, et des pilotes français, en décembre 1995, estime que «chaque fois que

les journalistes parlaient des otages, cela faisait monter les enchères […] Ajoutez à cela que ce sont les mêmes qui demandent à cor et à cri qu’on fasse tout pour libérer les otages et qui passent leur temps à traîner dans la boue ceux qui, justement, entreprennent des démarches pour obtenir justement ces libérations»55.

Le 15 décembre 2004, après avoir essuyé de telles critiques pendant toute la crise, le

gouvernement français a décidé, dans la dernière phase de la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, un embargo sur l’information. La veille de leur prise en charge par des hommes des services de renseignement français, Michel Barnier a confié à RTL que sa «conviction […] fondée sur la confiance que nous obtiendrons leur libération»56. Il entendait ainsi se prémunir de nouveaux désagréments comme lorsque, le 3 septembre, la presse française avait repris «une information faisant état d’une rançon de cinq millions de dollars,

ce qui [accentua] la colère des ravisseurs»57. Cette question était, avec l’inaction des autorités et l’incapacité des services de renseignement58, le poncif préféré des médias pour compenser l’absence de nouvelles. Si elle ne surgit pendant la négociation, elle intervient inévitablement après59. Il est vrai que, en France, la position officielle du gouvernement comme des médias est de ne jamais verser de rançon. France 2 a agi ainsi lors de l’affaire de Jolo, alors que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a négocié la libération de son correspondant, Andreas Lorenz60. Enlevé le 2 juillet 2000, ce dernier a été relâché le 2761, alors que les Français ont dû attendre encore un mois, pour Maryse Burgot, libérée avec les autres femmes, et deux mois pour les hommes, qui ont réussi à s’évader le 21 septembre 2000… Il est également vrai que la question de la rançon versée aux ravisseurs du Hezbollah libanais n’est toujours pas médiatiquement réglée en France62.

DES OTAGES

La médiatisation des affaires d’otages ne s’achève pas avec leur libération ou, comme pour Michel Seurat, leur mort. Elle se poursuit dans le temps, pas sous la forme de commémoration, éternel marronnier

55

Robert MENARD, «Jean-Charles Marchiani : ‘la médiatisation fait monter les enchères’», Médias, n° 5, juin 2005, pp. 69-70. 56

Cf. le texte de l’entretien, disponible sur le site Internet

www.diplomatie.gouv.fr/fr/archivage-rubriques_5049/les-precedents-entretiens-avec-presse_4151/les-otages-candidature-turquie-relations-transatlantiques-entretien-m.-michel-barnier-avec-rtl-paris-20-decembre-2004_10350.html. 57

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, op. cit., p. 209. 58

Sur les médias et les services de renseignement, cf. Gerald ARBOIT / Michel MATHIEN, «Médias et exploitation politique des services du renseignement», Annuaire français de relations internationales, vol. VI, 2005, pp. 955-967. Cf. aussi Daniel SCHNEIDERMANN, «Otages, le récit et le ‘no comment’», Libération, 17 juin 2005.

59

Jacques DUPLOUICH, op. cit.; David WOOD, «France did not pay ransom for hostages’ release», The Guardian, 22 déc. 2004; Fabrice LHOMME, «Dans de précédentes libérations d’otages français, les soupçons de rançon ont vite surgi», Le Monde, 24 décembre 2004; Chris TRYHORN, «France denies paying ransom to free journalist», The Guardian, 13 juin 2005.

60

AFP, «Une rançon a été payée par Der Spiegel», 1er août 2000.

61

Nicole VULSER, op. cit. 62

Tel un marronnier, elle ressort à chaque échéance électorale ou à chaque frasque du préfet Marchiani : cf. Philippe MALHON, «Otages du Liban : y a-t-il eu rançon?», LCI, 4 janvier; «Otages du Liban : rançon et soupçons», Le Monde, 4 janv. 2002.

(11)

dont le sujet réapparaîtrait à date fixe. Elle quitte la scène de l’actualité pour intégrer la mémoire collective. Pour l’opinion publique se dessine alors une certaine idée du Moyen-Orient. Pour la profession, il reste l’idée d’une menace qu’il convient de contourner pour continuer à informer.

Le Kidnapping Business

Dans un monde surmédiatisé, une information sur une prise d’otages devient rapidement un récit. Elle est dépendante des choix d’action des médias dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Les otages deviennent ainsi «aussi célèbre que Lady Di», pour reprendre les propos des ravisseurs de Florence Aubenas. La conférence de presse que cette dernière a donnée, le 14 juin, deux jours après son retour à Paris, «avec tout le monde pour ne pas qu’il y ait de course à l’exclusivité», a répondu à une volonté farouche de démentir cette prédiction et de communautariser un récit dont elle avait le sentiment qu’il ne lui appartenait plus. C’est également le choix de son employeur, Libération, qui a consacré les 14 et 15 juin 2005 entre un tiers et la moitié de ses pages à l’événement. Le soir de leur arrivée à Villacoublay, Pierre Rousselin, chef du service étranger du Figaro, n’avait pas accueilli Georges Malbrunot d’une invitation à relater le tout dans l’édition du lendemain63. Boutade ou pas, rédactions et éditeurs savent qu’il existe une actualité pour cette aventure et un récit à construire.

Jusqu’à présent, Florence Aubenas a refusé cette notoriété soudaine, considérant sa détention comme «un accident professionnel»64 sur lequel il n’est pas besoin de s’étendre. En cela, elle rejoint le long parcours des autres otages français, du Tchad, du Liban, du Daghestan, de Tchétchénie, des Philippines, qui ont renoué avec l’anonymat. Pour eux, la vie n’est plus pareille. Seule une tentative thérapeutique non médicale les pousse à écrire. Ce n’est que dix ans après son retour de captivité que Jean-Paul Kauffmann a exorcisé sa réclusion, en se penchant sur celle de Napoléon, dans La Chambre noire de Longwood (Gallimard, 1998). Cette pudeur rejoint celle de Florence Aubenas, «profitant» de sa soudaine notoriété pour recommencer, à la lumière de son expérience, et publier La Méprise. L’affaire d’Outreau (Seuil, 2005), un livre qui «était presque achevé, lorsqu’il [lui] est arrivé, à [elle] aussi, une

histoire. Quand on est enfermé, un rien peut vous briser. Je ne voulais plus penser à cette affaire à laquelle il me fallait désormais renoncer», note-t-elle dans son introduction.

Brice Fleutiaux, photographe indépendant, a livré un livre introspectif, Otage en Tchétchénie (Robert Laffont, 2001), pour tenter de conjurer sa longue détention, du 1er octobre 1999 au 12 juin 2000, avant de se suicider cinq jours plus tard. La logique de Jean-Jacques Le Garrec, retenu aux Philippines en 2000, comme de Christian Chesnot et Georges Malbrunot est différente : poursuivant leur travail de journaliste par un moyen devenu commun dans les médias65, ceux-ci ont mis en récit, peu après leur retour, leurs Evasions. 74 jours à Jolo (XO, 2000) et leurs Mémoires d’otages (Calmann-Lévy, 2005).

Ce dernier livre était même annoncé dès le 20 janvier 2005, quinze jours après l’enlèvement de la journaliste française et un mois après leur retour, sur France 3, dans un numéro de l’émission «Pièces à conviction». Acteurs et médias ont configuré a posteriori le récit dans le but de répondre à de supposées attentes du public. Si l’épisode des Roumains dans la

libération de l’otage française a rapidement été endigué, son expression la plus accomplie est diffusée le 9 mai : Canal + présente l’«autopsie d’une libération d’otages» dans le cadre de «Lundi investigation». Comme le sujet concerne l’épisode de Fabrizio Quattrocchi, assassiné un an avant, le reportage a été proposé au Corriere della Sera qui, intéressé, a refusé de le rémunérer66. La palme revient peut-être au «Droit de savoir», dont une «rumeur», selon l’éditeur Calmann-Lévy, voudrait que ses producteurs aient pensé à une docu-fiction retraçant

63

Christian CHESNOT/Georges MALBRUNOT, op. cit., p. 54. 64

Comme elle dit dans l’entretien qu’elle accorde à Robert Ménard et Emmanuelle Duverger, Médias, n° 7, déc. 2005, pp. 6-11. 65

Cf. Patrice LESTROHAN, «Ces livres dont les journaux se nourrissent», Médias, n° 5, juin 2005, pp. 94-96. 66

Sur toute cette affaire, cf. Sophie ROSTAIN, «Tractations dans l’ombre», Libération, 9 mai 2005, et les propos du journaliste Enrico Porsia, disponibles sur les sites Internet www.amnistia.net/news/articles/guerirak/ otagital/libotag_1248.htm et www.amnistia.net/news/articles/guerirak/otagital/corrierfr_1250.htm, ainsi que dans le Corriere della Sera, 10 mai 2005.

(12)

la détention de Christian Chesnot et Georges Malbrunot67…, ou à Time qui a fait de Florence Aubenas un «héros européen» de l’année 200568.

Toute la presse, quotidienne ou périodique, a couvert ces événements heureux, sous formes de une, d’enquêtes ou de reportages. Dans tous les cas domine le registre de l’émotion et du spectaculaire, plutôt que le commentaire ou l’accompagnement explicatif69. Derrière le déluge de faits, tous apparemment patents pour le lecteur ou le téléspectateur profane, se dessine cette logique de création de ses propres nouvelles comme dans les émissions de télé-réalité. Ce comportement est à rapprocher de l’attrait des télévisions pour la diffusion des vidéos des otages tournées par les ravisseurs. Le constat de Luc Rosenzweig sur la «ruée médiatique vers Jolo» reprend ici toute sa valeur : «on se prend à rêver que, de tragédie, cette histoire se

transforme en farce, en dépit de précédents horribles. En tout cas, ils sont super, nos otages!»

70

Cette médiatisation de l’instant conduit, comme toujours en pareil cas, à la construction d’un récit fondé sur des hypothèses hasardeuses. Elle offre à la famille d’Ingrid Betancourt

l’occasion de s’approprier une part de celui consacré à Florence Aubenas pour réactualiser dans l’opinion publique l’intérêt pour cette sénatrice franco-colombienne otage des Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia-Ejercito Popular depuis le 23 février 200271. Elle tend ainsi à faire de la prise en otage une constante aussi incontournable qu’endémique du Moyen-Orient. Et d’en déduire des considérations religieuses et culturelles fondamentalistes.

Pourtant, la réalité des faits est tout autre : les statistiques internationales montrent que le monde arabe arrive loin derrière l’Amérique latine, le sous-continent indien et le Sud-Est asiatique72. Cependant, dans ces régions, les enlèvements concernent souvent des

ressortissants locaux, pour des raisons simplement financières, et la presse occidentale n’en rend pas compte, à la différence des prises d’otages de journalistes occidentaux en Iraq73.

Une profession menacée

Cette découverte n’a toutefois pas été complète. Le récit doit être intelligible pour le public. Aussi les médias de chaque pays se sont-ils mobilisés pour les leurs. Seule la concomitance de l’enlèvement de Florence Aubenas et Giuliana Sgrena, et la force de l’exemple de la mobilisation en faveur de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot ont permis un semblant d’européanisation de la question des otages. Pour autant, hormis dans l’intervalle avril-septembre 2004, les médias n’ont pas tous senti la menace contre leurs journalistes au même moment et avec la même acuité. Qui s’est soucié du sort de Rory Carroll en octobre 2005 dans la presse française?

L’addition des chiffres des reporters tués ou enlevés en Iraq depuis mars 2003 peut sembler impressionnante et justifier les débats sur la sécurité qui ont eu lieu dans la presse ou entre professionnels, comme le 15 juin 2005, au Centre d’accueil de la presse étrangère, à la Maison de Radio France, à Paris. Ces débats ont porté sur les questions de sécurité, sur la formation à ce genre de risque, sur le «ridicule» à devenir le quatrième journaliste français pris en otage, sur la fracture avec l’opinion… Toutes sortes de considérations utiles à la poursuite du récit des otages en Occident, mais loin de la réalité que vivent les journalistes en Iraq : début novembre 2005, soixante-quatorze d’entre eux avaient été tués et trente-huit kidnappés depuis le début de l’intervention américaine, le 22 mars 2003.

67

«Ex-otages en docu-fiction?», 20 minutes, 29 avr. 2005, et Le Nouvel Economiste, 30 avr. 2005. 68

Jonathan SHENFIELD, «Happy ending», Time, 10 oct. 2005, diosponible sur le site Internet www.time.com/time/europe/hero2005/aubenas.html. 69

Robert MENARD / Emmanuelle DUVERGER, op. cit., p. 9; Luc ROSENZWEIG, dans «Exclusivement vôtre», Le Monde, 16 mai 2000, disait la même chose à propos des otages de Jolo.

70

Luc ROSENZWEIG, «Nos otages sont super!», Le Monde, 18 mai 2000 71

Renaud lui a consacré une chanson de son nouvel album, «Dans la jungle», et Florence Aubenas comme Christian Chesnot ont participé à plusieurs manifestations de son comité de soutien à l’automne 2005.

72

Xavier RAUFER, Dictionnaire technique et critique des nouvelles menaces, PUF, Paris, 1998, p. 101; Rachel Briggs, op. cit., p. 15. 73

Cf. Cécile HENNION, «L’industrie du rapt, ‘nouveau fléau de l’Iraq’, est en pleine expansion», Le Monde, 28 sept. 2004; Patrice CLAUDE, «En Iraq, les preneurs d’otages ne sont jamais ‘apolitiques’», Le Monde, 5 mars 2005; les chroniques de Richard Labévière et de Farida Ayari, RFI, 13 juin 2005.

(13)

Cela fait de la guerre en Iraq le conflit interétatique le plus meurtrier pour les journalistes depuis la guerre du Vietnam74. La violence à l’égard de la presse s’est exercée dès le premier jour du conflit, d’abord du fait de l’armée américaine, comme le montre notamment l’incident de l’hôtel Palestine, puis de la guérilla. Paul Moran, caméraman australien de la chaîne ABC, avait été victime d’un attentat dès le 22 mars 2003. Onze journalistes et collaborateurs des médias avaient été tués dans les jours et le mois suivants. La situation s’est lentement apaisée, pour se dégrader à nouveau, début 2004, au moment de la recrudescence des attentats et actions de groupes armés présents dans tout le pays. Un pic a été atteint au mois de mai 2004, avec la mort de neuf représentants de la presse. Depuis, presque chaque mois, un ou plusieurs journalistes ont été assassinés. Dix-huit d’entre eux sont tombés depuis le début de l’année 2005.

Les journalistes américains et anglais ne sont pas les plus touchés par ces violences. «Bunkerisés» dans des chambres d’hôtel surprotégées ou embedded avec les troupes de la coalition, ils bénéficient des moyens déployés par leurs employeurs, sans commune mesure avec ceux de leurs confrères étrangers. De fait, la plupart des victimes (66%) sont des fixers, collaborateurs des journalistes occidentaux, et des professionnels iraquiens, sous-traitants de l’information nécessaire aux médias mondiaux. Une comptabilité qui importe peu aux médias occidentaux : le sort de Muhammad al Jundi, compagnon d’infortune de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, ne les a pas vraiment préoccupés, tranchant particulièrement avec la notoriété accordée à Husayn Hanun al Sa’di, le traducteur de Florence Aubenas, sur

l’insistance de Libération.

Ce constat n’est pas sans conséquences pour l’information rapportée. Les déplacements de journalistes occidentaux sont réduits au strict minimum, leurs contacts avec la population ne se font que par l’intermédiaire de collaborateurs locaux, d’immenses parties du territoire ne sont pas couvertes. Peut-être s’agit-il d’une concession à ce contexte d’extrême tension. Ces mesures témoignent de la peur qui touche une profession et sont probablement nécessaires pour maintenir une présence indispensable de la presse internationale en Iraq. La nationalité des journalistes enlevés prouve bien que le combat politique n’est pas la seule motivation des ravisseurs. L’aspect rémunérateur de ces prises d’otages, comme l’entêtement de certains groupes à maintenir le pays dans un chaos général, est primordial. Ainsi, la proportion des journalistes occidentaux s’inverse-t-elle entre tués et enlevés : ils ne sont que 44% dans le premier cas, mais 79% dans le second. La France paye dans ce cas le plus lourd tribut, avec six otages depuis mars 2003.

LES JOURNALISTES FACE AU DILEMME TRADITIONNEL

Les prises d’otages ont fini par redevenir visibles à l’occasion de la guerre en Iraq et de la présence de journalistes parmi les victimes. Elles le sont redevenues au moyen d’une sur-médiatisation d’un épiphénomène dans une région elle-même sujette à l’observation accrue des opinions publiques mondiales. Elles ont donné lieu à une mobilisation des journalistes, une profession devenue l’enjeu d’un conflit analysable à l’aune d’une nouvelle dimension, justement informationnelle. La gestion des perceptions est un objectif militaire de première ampleur et plus encore dans une perspective asymétrique comme l’est devenu l’Iraq depuis le 1er mai 2003.

Cependant, si la guerre a changé, les pratiques journalistiques, qui ont évolué sur bien d’autres points, ne l’ont pas encore intégré. D’où cette apparente incompréhension de la profession face à l’évolution des risques à couvrir une guerre. La couverture des enlèvements de leurs collègues a suppléé par l’émotion le manque d’information. Mieux, en France, elle a amené sur le devant de la scène des questions de sécurité (gardes armés, «bunkerisation»,

74

Soixante-trois journalistes avaient été tués entre 1955 et 1975. En ex-Yougoslavie, entre 1991 et 1995, quarante-neuf professionnels des médias avaient trouvé la mort. En Algérie, cinquante-sept journalistes et vingt collaborateurs des médias avaient été tués de 1993 à 1996.

(14)

embedding) qu’elle refusait sempiternellement au nom de la «liberté d’information». Ailleurs,

particulièrement en Grande-Bretagne, le débat s’est voulu plutôt éthique, dépassant le simple cas des journalistes pour embrasser toute la question de la dimension psychologique inhérente aux nouvelles guerres, en particulier l’éthique présidant à la diffusion des vidéos des

terroristes.

Toutes ces réflexions ne sont pas, à proprement parler, apparues à l’occasion des prises d’otages en Iraq et encore moins depuis le 11 septembre et le Patriot Act. Elles sont le résultat d’une évolution générale des médias depuis l’apparition de nouvelles techniques de

communication au cours des années 1980. Il aura peut-être fallu cet enchaînement de conflits, depuis janvier 1991, pour que la profession redécouvre le risque inhérent à la couverture d’une guerre et prenne conscience des débordements qu’encourage la course à l’audience à tout prix.

Christian Chesnot et Georges Malbrunot, otages en Iraq, et Chris Cramer, directeur général de la chaîne d’information en continu qui a le mieux profité du climat belliciste de la décennie écoulée, CNN, apportent chacun des éléments de réponse. Les premiers revisitent le droit à l’information : «le résultat paraît bien mince, tant sur la qualité de l’information que dans

l’incidence des ventes en kiosque, quand cette information pourrait être recueillie depuis une zone frontalière plutôt que d’un hôtel de Bagdad, où la plupart des journalistes

anglo-américains sont restés enfermés, envoyant des fixers filmer à leur place dans les rues»75. Le second estime que l’utilisation de plus en plus sophistiquée d’Internet et l’utilisation

croissante de la vidéo numérique par les groupes terroristes peuvent placer les médias, en premier lieu les diffuseurs audiovisuels, dans la position où ils seraient employés comme relais des demandes terroristes. Si les sites Internet ont conféré «presque une légitimité

perverse à leurs éditeurs», ils ont mis les diffuseurs «responsables» sous la pression

incroyable de ce qu’il faut montrer. Cela place les médias face au dilemme traditionnel qui consiste à être accusés de donner de l’oxygène aux terroristes tout en subissant la censure de l’autre76.

75

Christian CHESNOT / Georges MALBRUNOT, op. cit., p. 253. 76

Cité par Dominic TIMMS, op. cit.. Chris Cramer donnait une conférence en Allemagne peu après la prise d’otages à Beslan et l’assassinat de Kenneth Bigley.

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