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Les représentations de genre dans la danse orientale et la danse American Tribal : regards croisés sur des pratiques et des discours

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Academic year: 2021

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Submitted on 12 Feb 2021

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Les représentations de genre dans la danse orientale et

la danse American Tribal : regards croisés sur des

pratiques et des discours

Elisa Lhortolat

To cite this version:

Elisa Lhortolat. Les représentations de genre dans la danse orientale et la danse American Tribal : regards croisés sur des pratiques et des discours. Musique, musicologie et arts de la scène. Université Côte d’Azur, 2020. Français. �NNT : 2020COAZ2019�. �tel-03139961�

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Les représentations de genre dans la

danse orientale et la danse American

Tribal : regards croisés sur des

pratiques et des discours

Elisa LHORTOLAT

Centre

Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature et des arts

vivants

Présentée en vue de l’obtention

du grade de docteur en ART, dominante

danse

d’Université Côte d’Azur Dirigée par : Marina Nordera

Co-encadrée par : Federica Fratagnoli Soutenue le : 23 octobre 2020

Devant le jury, composé de :

Federica Fratagnoli, Maître de conférences, Université Côte d’Azur

Mariem Guellouz, Maître de conférences, Université Paris Descartes

Isabelle Launay, Professeure, Université Paris 8

Felicia McCarren, Professeure, Tulane University, US

Marina Nordera, Professeure, Université Côte d’Azur

S VIVANTS dominante danse

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Les représentations de genre dans la

danse orientale et la danse American

Tribal : regards croisés sur des

pratiques et des discours

Rapporteurs :

Isabelle Launay, Professeure, Université Paris 8 Felicia McCarren, Professeure, Tulane University, US Examinateurs :

Federica Fratagnoli, Maître de conférences, Université Côte d’Azur Marina Nordera, Professeure, Université Côte d’Azur

Invitée :

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TITRE : Les représentations de genre dans la danse orientale et la danse American Tribal :

regards croisés sur des pratiques et des discours

RESUMÉ : Cette étude a pour point de départ la pratique des danses orientales en France,

aujourd’hui marquée par de nombreux débats autour des questions de tradition et de modernité. Deux pratiques seront ainsi mises en dialogue : la danse orientale dite Sharki, considérée comme la plus « authentique » et proche de la tradition égyptienne, et la danse

American Tribal née aux États-Unis dans le contexte particulier de la contre-culture.

À partir d’un travail de terrain en régions PACA et parisienne, des questions transversales à ces deux disciplines transparaissent, notamment concernant l’image des corps, croisant ainsi les questionnements de genre dans ces pratiques presque exclusivement féminines. À travers les pratiques et le discours, deux archétypes distincts de la féminité apparaissent en filigrane, posant la question de la construction et de la représentation du féminin, mais aussi paradoxalement du masculin dans ces deux formes de danses, pourtant si proches.

Ce travail de recherche questionne à travers l’histoire, l’enquête de terrain mais aussi sur le plan du mouvement, la construction de ces visions stéréotypées du féminin. Quels images et imaginaires du féminin, et en conséquence du masculin, sont ici mis en jeu ? Comment s’inscrivent-ils dans les corps et dans le mouvement ?

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TITLE : The representations of gender in Bellydance and American Tribal dance : crossed

insights between practices and discourses.

ABSTRACT : This inquiry starts with the practice of bellydance in France, marked today

by numerous debates around tradition and modernity. Two practices will thus be compared. On the one hand, bellydance known as Sharki, which is considered as the most “authentic” practice and the closest to the Egyptian tradition. On the other hand, the American Tribal dance, which emerged in the United States in the specific context of counter-culture.

Based on fieldwork, some cross-questions common to these two practices are arising. Those are mostly about the vision of the body and the gender issues, in these almost exclusively female practices. Through the analysis of the practices and the discourses, two archetypes of femininity appear implicitly, raising the question of the construction and the representation of the feminine, but also, paradoxically, of the masculine in these two different forms of dance, yet so close one to the other.

This research puts into question the construction of these stereotypical visions of the feminine, through the history of these dance forms but also in terms of movement. What are these images and imaginary representations of the feminine, and consequently, of the masculine, how are they brought into play ? How are they embodied in dance movement ?

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REMERCIEMENTS

Je voudrais d’abord remercier mes directrices de recherche, Marina Nordera et Federica Fratagnoli pour leur aide et leur bienveillance tout au long de ce travail de recherche et de rédaction. Elles ont été un soutien précieux. Je voudrais également remercier Sarah Andrieu pour sa disponibilité et son avis éclairé à plusieurs moments de ma rédaction. J’ai également une pensée pour Mahalia Lassibille qui a été ma directrice de mémoire en Master 1 et qui m’a accompagnée sur les premiers pas de ma recherche.

Je souhaiterais également remercier l’association des Chercheurs en Danse (aCD) qui, grâce à l’attribution d’une bourse de recherche, m’a permis de mener une enquête de terrain dans la région parisienne.

Un immense merci à tou.te.s les danseur.se.s, professeur.e.s, élèves qui ont accepté de s’entretenir avec moi ou qui m’ont acceptée comme spectatrice dans leurs cours. Merci à Karen Charles d’avoir partagé ses connaissances sur l’ATS®, en tout simplicité, me relisant et me corrigeant avec beaucoup d’humanité. Tu es pour moi la vraie incarnation de ce fameux « esprit tribal ».

Je voudrais enfin remercier ceux qui m’ont accompagnée, soutenue, (supportée ?), durant ce travail de longue haleine : mes parents, ma sœur, Lili, Fiona, Souad, Elhamme et bien sûr Flo.

Merci enfin à tous ceux qui ont pu m’aider de quelque façon que ce soit pour réaliser ce travail.

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TABLE DES MATIERES Introduction ... 10 Chapitre 1 : Danse orientale et American Tribal en France, les sœurs ennemies ... 27 I. Danse orientale et American Tribal en France : état des lieux ... 28 A. La danse orientale en France des années 1980 à aujourd’hui ... 28 1. Apparition et développement ... 29 2. Enseignement et offres des cours ... 31 3. Visibilité sur les scènes françaises ... 35 B. L’American Tribal en France des années 2000 à aujourd’hui ... 38 1. La découverte de l’American Tribal en France : la compagnie américaine Bellydance Superstars ... 38 2. Se former au style American Tribal : des formations aux Etats-Unis aux premiers cours dans l’Hexagone ... 42 3. L’engouement et l’explosion de l’offre des cours ces dix dernières années ... 47 II. Le statut de professionnel : un enjeu dans le processus d’artification ... 48 A. Vers une mise en valeur de la pratique en lien avec le statut de professionnel ... 51 1. La volonté d’« artification » des acteurs ... 51 2. Etre reconnu comme un.e professionnel.le : le cadre législatif, administratif et organisationnel ... 53 3. Se définir soi-même comme professionnel.le : vivre de son art ... 58 B. Une légitimité du statut de professionnel : les formations ... 62 1. Des cours réguliers aux stages : les différents degrés d’apprentissage ... 63 2. Les formations professionnalisantes ... 68 3. Quelle légitimité ? ... 80 III. Une cohabitation difficile entre les deux disciplines en France : revendiquer sa différence ... 87 A. Une situation conflictuelle analysable sur le terrain ... 87 1. Des tensions entre les deux disciplines : faire un choix ... 88 2. De l’incompréhension au rejet ... 93 3. Deux visions différentes de la danseuse : la poupée orientale contre la guerrière tribale . 97 B. Des « communautés » différenciées ... 102 1. La notion de communauté : un terme prédominant dans le discours des pratiquantes d’American Tribal ... 102

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2. Tribu, tribal, tribalisme ... 104 C. La tradition et l’enjeu de l’authenticité : l’argument des danseuses orientales ... 107 1. Le rapport à la tradition et aux origines ... 108 2. Le lien avec l’Egypte : la « rhétorique » des origines ... 110 3. Penser la tradition dans un contexte mondialisé ... 113 Chapitre 2 : Une construction historiquement genrée ... 119 I. Danse orientale : entre réalité et fantasme de l’Orientale ... 119 A. La danse orientale et l’Égypte ... 120 1. La question problématique des origines ... 120

2. Une co-construction entre l’Orient et l’Occident (XIXème - XXème siècle) ... 123

3. Du cinéma égyptien à la chasse aux sorcières (1930 à aujourd’hui) ... 131 4. Les différents relais de diffusion de la danse orientale à partie de 1960 ... 156 B. La danse orientale en France : regard orientaliste et fantasme de l’odalisque ... 159 1. Danse du ventre et Odalisque : l’Orient vu par les Orientalistes ... 159 2. « La rue du Caire » et le personnage de la Fatma des expositions universelles (1889-1930) ……… ... 164 3. Danse orientale et music-hall en France ... 169 C. Des stéréotypes toujours d’actualité ? ... 173 1. Le cinéma et la presse ... 173 2. Stéréotypes et acteurs : une prise de conscience et une lutte sans fin ... 181 II. L’American Tribal : une pratique féministe ? ... 188 A. Les prémisses du style American Tribal dans le contexte contestataire de la contre-culture américaine ... 188 1. Le contexte fort de la contre-culture américaine ... 188 2. Jamila Salimpour et « Bal Anat » ... 192 3. De Jamila Salimpour à Carolena Nericcio ... 199 B. Carolena Nericcio et FatChance BellyDance® ... 202 1. Créer une nouvelle façon de danser ... 203 2. Créer une nouvelle façon de concevoir la danseuse : une danse féministe ? ... 208 3. De l’ATS® à ses évolutions récentes ... 212 Chapitre 3 : Des identités genrées hétérogènes ? ... 217 I. Une analyse des corps dansants : des pratiques si différentes ? ... 221 A. La posture ... 228 1. Le rôle de la colonne vertébrale et du bassin ... 229 2. La posture : lecture symbolique et figure de la spirale ... 235 B. Les mouvements ondulatoires ... 240 1. L’ondulation du buste : le « body wave » et le « chameau » ... 241

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2. L’ondulation du bassin : le « huit intérieur vertical » et le « taxeem » ... 247 C. Les mouvements vibratoires ... 252 1. La vibration du bassin ... 254 2. La vibration du buste ... 259 II. Codes esthétiques, corps, spiritualité : une construction du féminin ... 263 A. La construction d’une féminité au sein des cours de danse : l’entre soi ... 264 1. La préparation dans les vestiaires ... 265 2. Le temps des cours ... 271 3. Une communauté créée au sein des cours ... 278 B. De la scène à la vie quotidienne : l’incarnation d’un autre soi ... 282 1. Des prestations scéniques … ... 283 2. … à la vie quotidienne : cheveux longs et paillettes contre dreadlocks et tatouages ... 290 3. Expérimenter les modèles d’une féminité par la danse ... 296 C. Danser pour soi : quand la danse se fait « thérapie » ... 303 1. S’épanouir et s’assumer grâce à la danse ? ... 303 2. Quand danser devient « une thérapie » ... 308 3. Une influence de la pratique sur le plan moral et spirituel ... 313 III. Être un homme dans un univers de femmes ... 321 A. Cette danse dite de femme : une pratique genrée ... 321 1. Une parole encore délicate ? ... 322 2. Les hommes dans l’histoire des danses orientales ... 326 B. Danse et homosexualité : un paradigme à demi-mot ? ... 330 1. La construction du masculin dans le champ de la danse ... 331 2. Homosexualité, homophobie et Islam ... 334 3. Danseur et homosexualité : le cas de la danse orientale ... 337 C. Se revendiquer homme : corps, mouvement et esthétique ... 340 1. Les hommes au sein des cours de danse de loisir ... 340 2. Se réapproprier les codes esthétiques propres à une pratique féminine ... 343 3. Mouvements masculins ? Mouvements féminins ? ... 348 Conclusion ... 362 BIBLIOGRAPHIE ... 367 TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 386 ANNEXE 1 : Corpus de vidéos ... 390 ANNEXE 2 : Corpus d’entretien ... 393 ANNEXE 3 : Retranscription d’entretiens ... 395

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I. Entretiens réalisés en 2013 ... 395 1. Alexandra A., élève de danse orientale, entretien réalisé le 22 avril 2013 ... 395 2. Andréa C., élève de danse orientale, entretien réalisé en avril 2013. ... 398 3. Carole B., danseuse d’ATS® et de Tribal Fusion, entretien réalisé en février 2013. ... 400 4. Cécilia C., élève de danse orientale, entretien du 2 avril 2013. ... 405 5. Emma N., élève de danse orientale, entretien du 22 avril 2013. ... 416 6. Hélène I., danseuse de Tribal Fusion et de danse orientale, entretien réalisé en mars 2013. 419 7. Jessica D., danseuse de danse orientale, entretien réalisé en avril 2013. ... 423 8. C.V., danseuse et professeure de danse en danse orientale, Tribal Fusion et ATS®, entretien réalisé en février 2013. ... 425 9. K., élève de Tribal Fusion et d’ATS®, entretien réalisé en décembre 2012. ... 433 10. Magali I., élève d’ATS®, entretien du 23 mars 2013. ... 437 11. Marie-Christine, élève de danse orientale, entretien réalisé en avril 2013. ... 442 12. Sarah N., élève de danse orientale, entretien 22 avril 2013. ... 446 II. Entretiens réalisés en 2016 ... 447 1. E.I., professeure de Tribal Fusion et yoga, pratiquante de danse orientale, entretien réalisé en octobre 2016. ... 447 2. F.H., professeure de Tribal Fusion et d’ATS®, entretien réalisé en octobre 2016. ... 455 3. Zitoun, élève en ATS®, entretien réalisé en octobre 2016. ... 470

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Introduction

Les formes de danse que l’on regroupe sous l’appellation de « danses orientales » composent un ensemble de pratiques plus ou moins visibles dans le panorama des danses dites du monde aujourd’hui en France.

La danse orientale dite « traditionnelle », qui est la forme la plus médiatisée et que l’on appelle Raqs Sharki, est une pratique originaire d’Égypte, pays qui a participé à sa formalisation comme pratique scénique. Elle trouve son origine dans la période coloniale, héritière d’une co-construction des pratiques et des représentations entre l’Orient et l’Occident. Pour ce qui concerne la France, cette pratique dansée a été découverte par les soldats napoléoniens lors de la campagne d’Égypte (1798-1801). Ceux-ci lui donnent le nom de « danse du ventre » et leurs discours vont être également à l’origine de la construction d’un imaginaire sur la femme orientale qui va perdurer durant les périodes coloniales et post-coloniales. Au XIXème siècle, la danse dite orientale a connu des évolutions. Son succès dans le monde entier a entrainé une hybridation1 des pratiques. En effet en France, le marché des danses orientales est partagé entre plusieurs styles. D’un côté, la danse orientale Raqs Sharki. De l’autre, des danses que l’on réunit sous la catégorie de « fusion » car elles sont le fruit de fusions avec d’autres pratiques. C’est le cas des danses appelées Bellyfusion, et également de l’American Tribal qui vient des États-Unis et qui a depuis une vingtaine d’années percé le marché français des danses orientales. Si le style Raqs Sharki est assez représenté au sein des

1

La notion d’« hybridité » peut sans doute paraître contestable car elle induirait à penser qu’il existe un état « pur ». Or nous verrons que la forme de danse orientale que les pratiquants considèrent comme la plus « authentique et pure » est en fait elle-même une hybridation de pratiques. Néanmoins, il faut comprendre cette notion ici du point de vue des acteurs, comme « un moyen de conserver une identité dans un monde de post-identité, une manière de prétendre qu'il existe encore de traditions séparées pouvant être mélangées. »

Sally Banes, « Our hybrid tradition », in : Dance : distinct langage and cross-cultural influences, Actes de colloque du festival internationale de nouvelle danse de Montréal, Montréal, QC parachute, 1999, p.30. Voir également : Federica Fratagnoli, Les danses savantes de l'Inde à l'épreuve de l'Occident : formes hybrides

et contemporaines du religieux, Thèse en « Esthétique, sciences et technologies des arts » spécialité danse, sous

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écoles de danse, ce n’est pas encore le cas pour ces autres styles dont l’introduction en France est plus récente.

L’American Tribal regroupe en fait un ensemble de pratiques nées aux États-Unis entre les années 1970 et 2000. Il comprend l’American Tribal Style®, l’ITS ou encore le Tribal Fusion. Il naît de la volonté de plusieurs professeures de danse orientale de changer le regard que le grand public a sur cette danse. Jamila Salimpour sera la première de ces femmes, voulant créer une danse orientale précoloniale, loin des images fantasmées sur la danseuse orientale, et nourrie de plusieurs influences comme le flamenco gypsy et la danse indienne kathak. Le contexte singulier de la contre-culture américaine offre un arrière plan historique bouillonnant à cette pratique qui est née de l’initiative de femmes, pour les femmes. C’est Carolena Nericcio qui formalisera enfin l’American Tribal Style® dans les années 1980, fixant les règles de la pratique et affirmant une identité féminine forte dans ce style de danse où les hommes ne sont pas admis. Cette pratique est aujourd’hui en pleine expansion dans toute la France. Cela n’est pas sans susciter des animosités de la part des pratiquant.e.s de Raqs

Sharki, qui la juge bien trop éloignée du modèle égyptien et donc, pouvant donner une image

déformée de la danse orientale. Le discours des pratiquant.e.s de danse American Tribal

Style® n’est pas forcément tendre non plus envers les danseur.se.s de danse orientale Sharki.

Ces tensions constituent le point de départ de cette étude qui s’inscrit dans le champ de la recherche sur les danses orientales, malheureusement très pauvre.

Les danses orientales dans la recherche en danse en France

S’il y a de plus en plus de pratiquant.e.s de danses orientales en France, tous styles confondus, le sujet de la danse orientale Sharki dans les études en danses, ou plus largement dans la recherche académique, reste encore peu exploré. Quelques ouvrages historiques traitent de la danse orientale et de son histoire comme l’ouvrage de Christian Poché et Djamila Henni-Chebra2. D’autres ouvrages et articles analysent la danse orientale pour

2 Djamila Henni-Chebra, Christian Poché, eds., Les danses dans le monde Arabe, ou, l’héritage des Almées,

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même, pour sa singularité, mais traitent ce sujet en parallèle à d’autres danses du monde3.

Bien qu’intéressants pour comprendre leur histoire en France (souvent en lien avec la période coloniale), ces travaux laissent généralement de côté la pratique de la danse elle-même. En revanche, des travaux de thèses vont quant à eux plutôt dans le sens de l’analyse des pratiques, comme les travaux de Béatrice Boldrin4, en perspective philosophique, et de Julie Boukobza5, en perspective anthropologique. Enfin l’ouvrage de Virginie Recolin6, bien qu’il ne s’inscrive pas dans une démarche scientifique, est à ce jour le seul qui propose un effort d’analyse du mouvement de la danse orientale. On trouve également des ouvrages qui ont un but didactique7 mais qui sont souvent peu documentés sur des questions propres à la recherche en danse. À noter que la production scientifique en langue anglaise est plus prolifique et traite à la fois de l’histoire de la danse orientale, des pratiques actuelles dans les pays anglo-saxons ou bien s’articule autour de questions plus spécifiques comme celle du genre par exemple. Bien que les problématiques soulevées aient pu être des points de départ à ce travail de recherche, elles ont aussi souvent peu d’écho avec celles de la France8. Quant à

3 Anne Decoret-Ahiha, Les danses exotiques en France (1880-1940), ed. Centre national de la danse, Pantin,

2004.

Sophie Jacotot, Danser à Paris dans l’entre-deux-guerres: lieux, pratiques et imaginaires des danses de

société des Amériques, 1919-1939, Paris, Nouveau Monde éditions, 2013.

4 Beatrice Boldrin, La danse orientale entre stéréotypes et symboles : enjeux de féminité contemporaine,

Thèse de philosophie de l'université Paris Descartes, sous la direction de Michela Marzano, 2014.

5 Julie Boukobza, « Etre danseuse « orientale » au Caire. Construction, usages et enjeux d’une figure au

féminin», Thèse d'anthropologie de l'université d’Aix en Provence, sous la direction d'Hélène Claudot-Hawad, 2006.

6 Virginie Recolin, Introduction à la danse orientale, pratique du mouvement spiral, Paris, L’Harmattan,

2005.

7 Nadia Messaï, Initiation à la danse orientale, Paris, Grancher, 2012.

8 Sheila Marie Bock, Andrea Deagon, Barbara Sellers-Young, Antony Shay ou Wendy Buonaventura ont

écrit plusieurs ouvrages sur les danses orientales au pluriel. Plusieurs références sont disponibles en bibliographie.

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l’American Tribal, il est absent des recherches françaises, la pratique étant sans doute encore trop récente pour bénéficier de la même visibilité que la danse orientale9.

Après ce constat, il est évident que le travail de thèse que nous vous proposerons ici vient remplir un vide dans la recherche en danse. Ou plutôt : que je souhaite vous proposer ici. Car le nous de la recherche cache ici le « je » de la chercheuse mais aussi de la danseuse, celle qui est présente sur le terrain comme pratiquante et professeure de danse orientale et Tribal Fusion.

La difficile place du chercheur-acteur : du champ pratique au champ théorique

Quand j'entame ce travail de thèse en 2014, je suis déjà danseuse et professeure de danse. J’ai déjà de nombreuses années de pratique de la danse orientale quand je me tourne vers l’enseignement en 2009, un peu par hasard et sans que rien ne m’y destine au départ. Je dois effectuer un remplacement pour une amie souffrante, professeure de danse orientale. Ce remplacement qui devait durer quelques mois durera deux ans et me mènera à la création de

Kahina Oriental & Fusion en 2012, une association spécialisée dans les danses orientales

modernes et dites fusions. Elle comptait une vingtaine d’élèves à ce moment-ci.

En parallèle lors d’un spectacle, je découvre le Tribal Fusion. À cette époque, je décide de suivre des stages car ce style que je sais historiquement lié à la danse orientale me donne envie d’en savoir plus. En 2011, une association de la région niçoise organise une session de découverte de l’American Tribal Style® (ATS®). Je n’en ai absolument jamais entendu parler mais la publicité mentionne qu’il s’agit des « racines du style Tribal Fusion ». Je suis ce stage et je découvre alors une nouvelle façon de danser, sans chorégraphie, en semi-improvisation. Je m’inscris de fait pour les premières sessions de formation organisées à Nice quelques mois

9 Notons toutefois l’ouvrage de Christophe Apprill, Aurélien Djakouane et Maud Nicolas-Daniel,

L’enseignement des danses du monde et des danses traditionnelles, qui analyse les conditions et la réalité de la

transmission de la danse orientale entre autres et qui fait mention à la page 143 de la danse American Tribal en ces termes : « mélange de gestuelles issues de différentes danses et d’une esthétique spécifique à base de tatouages, piercings, plumes et costumes fusion ». Cette courte note reste critiquable car elle dresse un portrait très stéréotypé de cette danse, sans doute parce qu’elle tire ses sources des propos des danseuses orientales.

Christophe Appril, Aurélien Djakouane, et Maud Nicolas-Daniel, L’enseignement des danses du monde et

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plus tard. En 2013, une école me demande de donner des cours de Tribal Fusion juste « pour tester et voir s’il y a de la demande ». J’ai trois élèves à cette époque. Aujourd’hui j’enseigne toujours le Tribal Fusion : j’ai vingt élèves de niveau 4, neuf élèves de niveau 3 et seize élèves de niveau 1 en cette saison 2019-2020. C’est dire à quel point ce style trouve aujourd’hui son public et a su susciter un réel engouement en l’espace de huit ans.

D’ailleurs, après une sensible augmentation du nombre d’adhérentes, je décide en 2015 d’ouvrir ma micro-entreprise, l’enseignement de la danse devenant ma principale source de revenus. J’interviens également entre 2009 et 2019 dans de nombreuses écoles de danse de la région, mais aussi en milieu scolaire, périscolaire et universitaire.

Cela m’a mené à l’ouverture de mon école de danse Studio K en 2018 à Nice et qui compte à ce jour plus de cent soixante-dix adhérent.e.s. Ma passion pour la danse orientale et le Tribal Fusion ne s’est jamais démentie, ni même mon amour pour la transmission. Aujourd’hui je fais partie du peu d’enseignant.e.s de danse qui pratiquent et enseignent à la fois le Tribal Fusion et la danse orientale. Je me forme régulièrement dans les deux styles. Je gravite autour de ces deux univers et n’arrive pas à faire un choix. Non pas que je ne peux pas : je ne veux pas ! Les deux m’apportent autant. Il est vrai que souvent, on qualifie mon style en danse orientale de « moderne », de « fusion ». Je ne ferais pas partie des puristes d’après mes paires. Ce détail a son importance et d’autant plus dans mon travail de recherche et le déroulement de mon enquête de terrain.

Ma recherche est donc née de ma pratique et toutes deux se nourrissent mutuellement. Aussi, elles me nourrissent tour à tour si bien que ma place, ma légitimité mais aussi parfois mon regard peuvent poser question. La porosité entre mon sujet de recherche et ma vie professionnelle sonne comme une évidence qui m’a permis de lier théorie et pratique, mais aussi de remettre en question ce que je savais, ou plutôt ce que je pensais savoir sur ces pratiques qui font partie de mon quotidien.

La place du « je » dans l’écriture

Je choisis d’utiliser le « je » car je suis au cœur de ma recherche et ne peux faire autrement que de m’y inclure. Le « je » est un fil rouge dans mon travail : même quand il est absent, il est en fait très présent.

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L’ouvrage de Jeanne Favret-Saada10 a été une source d’inspiration méthodologique en ce

sens. Si elle commence son récit avec la première personne du pluriel, elle utilise très rapidement le « je », peu commun dans la littérature scientifique. Elle justifie ce changement en expliquant que le « on » c’est n’importe qui, « nous » c’est à la fois celui qui parle et celui qui écoute, « il » est indéfini, impersonnel11. Elle veut ainsi mettre en valeur et en relief son travail sur le terrain, ses propres erreurs, son propre cheminement. Elle était impliquée dans toutes les situations qui lui ont permis de tirer les conclusions qu’elle présente. Cela la concerne elle et elle ne déduit pas ici quelque chose qui pourrait être assimilé à une vérité générale. Je me suis sentie concernée par cette façon de penser la rédaction. Rédiger mon enquête avec le pronom « nous » n’aurait pas de sens dans une bonne partie de celle-ci car moi aussi, comme Jeanne Favret-Saada, j’ai été impliquée dès le départ dans ce sujet né avant tout de mon propre ressenti et de mes expériences. Je revendique une place centrale dans ce travail et je l’assume. Toutefois, celle-ci pourrait s’avérer problématique sur des temps précis de mon enquête.

La démarche de recherche

Cette multiplicité des voix entre la « chercheuse » et la « danseuse », le « je » et le « nous » scientifique, entraine aussi une multiplicité de champs puisque ma recherche croise à la fois l’histoire de la danse, l’anthropologie de la danse et enfin l’analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé. Parti du constat d’une incompréhension entre acteur.rice.s de la danse orientale dite « traditionnelle » et acteurs des danses orientales dites « modernes », mon itinéraire de recherche a croisé ensuite les champs du genre dans ces pratiques presque exclusivement féminines où chaque pratiquante revendique une identité de « femme ».

La partie historique d’abord n’entend pas doubler ou réactualiser les précédents ouvrages parus sur le sujet. Je me suis basée sur la littérature scientifique déjà existante. L’enquête d’archive ne rentre pas dans ma perspective de recherche. L’histoire ici sert de support et de repère à la compréhension et à l’étude de la situation actuelle. Je renvoie donc le lecteur aux ouvrages mentionnés en bibliographie s’il ressent le besoin d’avoir de plus amples

10 Jeanne Favret Saada, Les mots, la mort, les sorts, Gallimard, Paris, 1977. 11 Ibid., p.48.

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informations sur l’histoire de la danse orientale Sharki. En revanche, aucuns travaux approfondis n’ayant été menés sur l’histoire de l’ATS®, celle-ci sera beaucoup plus développée par souci de compréhension pour le lecteur, mais aussi pour enfin pouvoir exposer en langue française l’histoire de cette pratique.

L’anthropologie de la danse constitue l’arrière plan méthodologique à ma recherche puisque cette dernière est construite en grande partie à partir d’un travail de terrain. Ce choix est né de mon expérience de danseuse et de mes diverses rencontres avec des pratiquantes en France. Je travaille donc sur un « terrain proche12 ». À mon sens, un travail de terrain était important voire central pour se confronter aux acteur.rice.s de ces danses, recueillir leurs visions, leurs avis, leur vécu, et leurs points de vue sur leurs pratiques.

L’histoire et l’anthropologie de la danse croisent les champs des études de genre car nous sommes confrontés à des danses essentiellement féminines.

Enfin et bien sûr, il s’agit avant tout d’une pratique du corps dansant. Les études en danse notamment l’analyse fonctionnelle du mouvement, l’étude du corps et l’histoire de la danse servent aussi d’ancrage méthodologique. À partir des vidéos de danse, du point de vue des acteur.rice.s mais aussi de mon propre point de vue et ressenti, une étude comparative du mouvement permettra de comprendre sur le plan symbolique, ce qui se joue entre ces deux pratiques, dans leurs différences et dans leurs ressemblances. Également comment le langage du corps dansant concorde, ou non, avec les discours des pratiquant.e.s.

Le travail de terrain

Entre décembre 2012 et juin 2014, j’ai mené une première enquête de terrain dans le Sud-Est de la France, entre les Alpes Maritimes et le Var. J’ai pu ainsi rencontrer des danseuses de ces deux univers dans plusieurs contextes de pratiques : dans les cours, dans des évènements comme des stages ou des festivals, dans les vestiaires des cours de danse et même dans la vie

12 Cette notion est définie par Marc Abélès et Susan Carol Rogers qui font le constat d’un glissement des

travaux des ethnologues du terrain exotique vers le terrain de leur propre culture.

Abélès Marc, Rogers Susan Carol, « Introduction », L'Homme, 1992, tome 32, n°121, Anthropologie du proche, pp.7-13.

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de tous les jours puisque je suis amené par mon métier à côtoyer des pratiquantes qui sont pour certaines des amies. Aller interroger d’autres danseuses (et je dis bien danseuses et non danseurs ici) était indispensable. Concernant le choix des interlocuteurs, il s’agissait de personnes qui pratiquaient une des danses, voire les deux. Professeures, mais aussi amateur.rice.s et élèves ont été interrogés et leurs propos sont d’égale importance dans cette analyse.

Mes divers questionnements de départ étaient nés de mon expérience personnelle et des « on dit » dont j’étais témoin. Ils concernaient en majorité la nature des rapports entre danseuses orientales et danseuses d’American Tribal en France. La rivalité et l’incompréhension réciproques ont été exposées sur le terrain et dans tous les entretiens que j’ai pu mener.

Suite à cette première enquête, un manque crucial de parole masculine commençait à émerger dans mon étude et dans ma réflexion. Aucun professeur « homme » n’enseigne à Nice. La majorité d’entre eux se trouve en région parisienne. D’autre part, ma première enquête a aussi mis en relief que cette situation conflictuelle que j’avais décelé dans la région PACA, semblait être exacerbée dans la capitale. Très vite alors, le besoin de mener une seconde enquête de terrain dans la région parisienne s’est fait sentir. En 2016, et grâce à une aide financière attribuée par l’Association des Chercheurs en Danse (aCD), j’ai pu interroger deux femmes professeures et un danseur amateur.

Le travail de terrain m’a donc permis d’interroger dix-neuf personnes, dont un homme et donc dix-huit femmes, entre 2012 et 2016. Il y a parmi ces personnes, neuf qui pratiquaient uniquement la danse orientale, sept qui pratiquaient uniquement l’American Tribal et trois qui pratiquaient les deux disciplines. La totalité des professeurs masculins de danse orientale contactée n’a jamais donné suite, de même que la majorité des hommes danseurs13. Seul un m’a accordé un entretien.

En marge de l’enquête de terrain « officielle », il y a aussi l’enquête de terrain « officieuse ». Je me suis très souvent « cachée » sous la casquette de pratiquante : lors de

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stages, de rencontres fortuites. J’ai pu ainsi recueillir des témoignages et des avis sous la forme d’une observation flottante14. De même, un autre terrain de recherche a aussi été central

dans ce travail : un terrain dématérialisé sur Internet.

Internet : la dématérialisation du terrain de recherche

Internet a aujourd’hui un rôle central dans nos vies et change complètement la donne des rapports humains. La majorité des informations passe désormais par les réseaux sociaux. Les milieux de la danse orientale et de l’American Tribal n’en sont pas exemptés. Au contraire ! Au fil des années, nous avons assisté en tant que pratiquant.e.s à une dématérialisation totale de la diffusion d’informations et à la création de communautés en partie virtuelles. Pour exemple, ma propre liste d’amis sur Facebook est constituée à presque 80% de danseur.se.s, que je n’ai jamais rencontrés dans la vie réelle pour la plupart, dans le seul but d’être informée des évènements organisés en France et à l’étranger (stages, festivals, spectacles). Aujourd’hui les publicités pour les stages ou les cours, passent essentiellement par Facebook. Les questions que l’on se pose, les discussions, tout comme les coups de gueule passent par les forums sur les danses orientales. Aussi, les acteurs de danse orientale et d’American Tribal ont pris conscience du manque de ressources bibliographiques au sujet de leurs pratiques et on trouve sur Internet des articles, des sites et des webzines qui sont bien souvent produits par des associations qui questionnent leur pratique, ses enjeux et ses objectifs. Ce ne sont pas des écrits scientifiques, et leur impartialité peut être remise en cause sur certains aspects. Toutefois, ils participent à la connaissance de ces danses et à leur formalisation. Aussi, de nombreux professeur.e.s se sont fait le vecteur d’un enseignement virtuel. Diverses vidéos circulent sur le Web et sont destinées à l’apprentissage amateur. Des sites Internet se sont ainsi spécialisés dans l’enseignement en ligne et donnent accès à de nombreuses vidéos après le paiement d’un abonnement.

14

Pétonnet Colette, « L'Observation flottante. L'exemple d'un cimetière parisien », In: L'Homme, 1982, tome 22 n°4. Etudes d'anthropologie urbaine. pp. 37-47.

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Internet fait donc partie du quotidien des terrains sur lesquels j’enquête. Dans ce contexte, recourir à Internet s’inscrit naturellement dans la logique ethnographique afin de s’intégrer le plus possible aux habitudes quotidiennes des enquêtés15. Comme le soulignent Anne-Sophie Béliard et Baptiste Brossard, le développement d’Internet depuis les années 1990 et son intégration rapide au quotidien de nombreux individus et espaces sociaux rend cet outil incontournable à la conduite de bon nombre d’enquêtes en sciences sociales, quel que soit l’objet des recherches. Cependant, la manière concrète dont on peut l’utiliser dans le cadre d’un travail de terrain reste peu explorée16.

Dans le cadre de ma recherche, ce sont surtout les réseaux sociaux qui ont été une véritable mine d’informations. Ils sont le relai de nombreux points de vue des pratiquantes, souvent énoncés sans aucun complexe et de façon très vive. Internet est alors un terrain à part entière qui sera, a contrario de ce qu’énonce Anne-Sophie Béliard et Baptiste Brossard dans la citation ci-dessus, complètement exploité et exploré dans mon cas. Différents échanges, statuts, publications ont été enregistrés aux fils des mois et des années et constituent aujourd’hui un corpus de données à part entière. Ces données ont été traitées comme n’importe quelle autre observation faite en « réel ». Cachée moi aussi dans l’anonymat d’Internet, il a été facile de recueillir des paroles, des citations, des traits d’esprit. C’est aussi pour cette raison que la plupart des échanges tirés d’Internet seront rendus anonymes.

Pourtant, faire une enquête de terrain via un terrain dématérialisé comme l’est Internet fait aussi entrer en jeu certaines difficultés à prendre en considération. Comme questionnent Stéphane Héas et Véronique Poutrain :

Que devient le terrain de l’anthropologue lorsqu’il s’agit d’Internet ? Quelles sont les formes de rigueur, c’est-à-dire les formes de validation des données produites ? Sont-elles spécifiques au média utilisé ? Cet espace « virtuel » se présente comme un endroit où tout peut être exprimé de manière anonyme.

15 Anne-Sophie Béliard et Baptiste Brossard, « Internet et la méthode ethnographique : l’utilisation des

messageries instantanées dans le cadre d’une enquête de Terrain », Genèses 3, n°88, 2012, p.114.

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L’invisibilité corporelle, aussi bien celle du chercheur que celle des internautes, induit des interactions particulières17.

En effet, l’anonymat d’Internet permet souvent de prendre des positions très extrêmes avec des termes forts que les personnes n’emploieraient peut-être pas dans la vie réelle. Le rapport humain étant gommé au-delà de l’écran, la parole exprimée de manière brute, parfois même brutale peut aussi amener à des confusions d’interprétations. Aussi, ces traits de pensées, ces observations, ces relevés font partie d’un ensemble plus fragmentaire, parfois incomplet, qu’il est souvent difficile de reconstituer.

Car, la surinterprétation guette toujours le chercheur que ce soit à partir de la réduction des cas observés, des facteurs pris en compte pour expliquer ou comprendre les faits, soit dans une recherche quasi obsessionnelle de la cohérence, si ce n’est de la généralisation abusive. Dans le cadre d’Internet et l’utilisation des forums, ce dernier biais peut être important : la surabondance de « preuves », de citations, de références peut induire un réel décrochage par rapport à la réalité sous-jacente des phénomènes étudiés. Il s’agit avec Internet comme pour d’autres sources ou d’autres terrains de contrôler ces biais potentiels et ne pas rendre plus virtuel encore un terrain qui l’est en parti18.

Le chercheur qui travaille sur un terrain dématérialisé doit donc avoir la même rigueur et la même impartialité que s’il travaillait sur un terrain physique. C’est ce que j’ai essayé de faire tout au long de ce travail et j’espère y être arrivée en partie, même si mon statut et de fait mon positionnement ont été parfois délicats.

De la difficulté d’être juge et parti

Que ce soit sur un terrain réel ou virtuel, ma double casquette pratiquante/chercheuse peut être un avantage dans bien des cas car elle m’ouvre en quelques sortes des portes, en tout cas plus qu’elle peut m’en avoir fermé. J’ai pu ainsi facilement établir des contacts avec des

17 Stéphane Héas et Véronique Poutrain, « Les méthodes d’enquête qualitative sur Internet »,

Ethnographiques.org, n° 4, Novembre 2003, p.1.

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pratiquantes qui ont pu me donner des pistes de recherche. Je connais également les codes de ces milieux. La confiance que l’on pouvait me porter m’a permis de recueillir les témoignages involontaires de nombreuses danseuses que je côtoie tous les jours. Certaines étaient au courant de ma démarche, d’autres pas du tout. J’ai consigné après des discussions dans les vestiaires, dans les cours ou tout simplement lors de repas entre danseuses des bribes de phrases, des expressions, tout ce qui pouvait éveiller ma curiosité au moment-T. J’ai choisi de mener des entretiens auprès de différentes danseuses pour recueillir leurs témoignages et leurs impressions. J’ai aussi consigné les débats, souvent très riches, une fois l’enregistreur éteint : la discussion ayant aiguisé leur curiosité, beaucoup ont ressenti le « besoin » d’avoir mon avis en tant que danseuse sur plusieurs questions que j’avais pu leur poser, ce qui relançait indéniablement la discussion. Dans certains cas, cette conversation m’a révélé plus d’éléments que l’entretien lui-même. Les acteurs parlaient plus librement. Je n’ai jamais osé remettre l’enregistreur en marche. Néanmoins j’ai pris des notes des propos entendus. Ils constituent des témoignages plus libres, souvent très crus.

Mais travailler sur un terrain proche présente aussi des difficultés.

Dès lors que l’anthropologue mène des recherches de terrain dans sa « société » d’origine, voire dans son village natal, sa recherche est qualifiée d’« anthropologie chez soi ». Or, quelle que soit la place du chercheur par rapport à son objet d’étude, la description et l’interprétation des faits qu’il étudie requièrent de sa part des précautions méthodologiques et épistémologiques. Si l’altérité du chercheur peut produire des biais, son implication sur un terrain, préalable à la recherche, peut également influer sur la perception de la réalité qu’il tente de restituer19.

Fatoumata Ouattara explique que la proximité, l’implication et l’appartenance qu’un anthropologue « chez soi » peut avoir avec son objet de recherche doivent induire une vigilance descriptive et interprétative accrue. Cela demande de mener diverses stratégies de distanciation vis-à-vis des autres mais surtout vis à vis de soi-même et de ses propres a priori.

19 Fatoumata Ouattara, « Une étrange familiarité », Cahiers d’études africaines 44, n°175, Janvier 2004,

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Jeanne Favret-Saada dans le chapitre « Être affecté » de son ouvrage Désorceler20, définit

quant à elle la notion d’« affectation » comme l’idée que l’on arrive toujours sur un terrain avec des idées préconçues mais aussi qu’il faut très souvent entrer dans le système, dans la société étudiée pour obtenir des informations. Néanmoins et d’après Frédérique Fogel et Isabelle Rivoal21, la tension entre le chercheur et l’humain est au cœur de la recherche et l’ancre plus ou moins dans le subjectif : les affects et les émotions peuvent avoir un impact sur son rôle ou ses problématiques. Le chercheur ne peut pas être détaché de son objet d’étude et il est de toute façon, en tant qu’être humain, soumis à la subjectivité. La question est alors celle de la gestion de celle-ci car « on ne s’abstrait jamais totalement de la société dont on veut parler. L’intelligibilité passe par des mises en perspectives successives dans lesquelles il faut souvent tirer parti de sa propre subjectivité22 ». Les auteurs insistent sur le fait que c’est ensuite à l’ethnologue de mettre en place des stratégies de recherche pour saisir la richesse et le potentiel de son terrain malgré les problématiques qu’il lui impose. Il n’y a pas ici qu’une méthode à appliquer mais bien une diversité de méthodes, une sorte de bricolage propre à chacun et à chaque terrain.

La danse orientale et l’American Tribal forment une sorte de microcosme et c’est ce qui a fait naitre des difficultés dans ma démarche de recherche. Surtout à Nice, une ville de taille moyenne, tout le monde se connait ou presque. J’appartiens, au vu de mes divers projets professionnels et selon la « catégorisation » établie par les acteurs, à la branche « moderne » de la danse orientale. Si les danseuses d’American Tribal se sont montrées disponibles dès le début de mon enquête, les danseuses orientales ont été plus difficiles à convaincre. Aucune n’avait d’elle-même souhaité être interrogée. Aussi, la phrase « mais tu sais ce que je veux dire », sous-entendu « toi aussi tu connais cette situation/ce problème » est souvent revenue dans les discussions. Comment alors savoir exactement si en effet, je savais, ou si je pensais savoir ? Mes prétendues connaissances peuvent influer sur ma perception de la réalité, tant au niveau du sujet même de ma recherche, que de l’interprétation des propos des acteurs. Il est également difficile parfois de conjuguer familiarité et posture d’enquête car en étant souvent

20 Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, L'Olivier, 2009, pp.145-162.

21 Frédérique Fogel et Isabelle Rivoal, « Introduction », Ateliers du LESC, n°33, 2009. 22 Ibid., p.13.

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reconnue avant tout comme « la danseuse » et non pas comme « la chercheuse », certaines personnes peuvent se méfier de moi ou ne pas oser parler librement.

J’ai aussi assisté à plusieurs situations inédites pour moi. Certaines personnes, sous prétexte que j’étais aussi danseuse, ont totalement dévalorisée mon travail de recherche, le pensant orienté et agressif. Certaines danseuses mais aussi danseurs ont eu peur que je puisse leur porter préjudice et ont refusé tout entretien, sans doute par peur que je déforme leurs propos ou que je fasse la lumière sur des aspects de leur vie privée. Au contraire, certaines danseuses ont essayé de se servir de mon « nouveau statut » comme d’une valorisation de leur travail. Une danseuse d’ATS® de la région niçoise a souhaité par exemple être invitée aux colloques que je donnais pour y danser et pour, je la cite « faire connaître cette pratique dans un cadre un peu plus sérieux ». Ici, l’enquête prend alors une forme de monnayage : un entretien contre une visibilité. C’est pourtant aussi pour cette raison et afin de ne faire de bonne ou de mauvaise publicité à personne que la plupart des entretiens resteront anonymes. Alors ? Suis-je un danger ? Un intermédiaire ? Un faire-valoir de danseuses en mal de reconnaissance ? Je pense que ces réalités sont en fait des éléments supplémentaires d’étude à prendre en considération. Ces difficultés me demandent aussi de me remettre sans cesse en question.

Je souhaiterais finir cette intro(spection ?)duction par le bilan de ces diverses années de travail qu’elles soient pratiques et/ou théoriques. Ma démarche de recherche a considérablement évolué au cours de ces années, de même que mon regard et bien sûr ma pratique. En me détachant de mon objet de recherche pour en saisir toute la subtilité, je me suis aussi détachée de plusieurs éléments dans ma propre pratique. D’une part dans mon enseignement, la volonté de gommer certaines particularités esthétiques propres à l’une ou l’autre danse a été presque immédiate, j’y reviendrai par la suite. De même, moi qui avais participé aux premières formations ATS® sur la Côte d’Azur, je n’ai pas suivi d’autres stages en tant que danseuse depuis le début du travail de recherche en Master. Bien sûr je me suis formée à d’autres pratiques, notamment à l’ITS format Unmata. Mais ma démarche de recherche ayant fait apparaitre toutes les ambiguïtés de l’ATS®, je n’arrivais plus à pratiquer sans « réfléchir » et sans voir l’objet de recherche avant le simple plaisir de danser.

Cette remise en question perpétuelle fait bien sûr partie de tout projet de recherche et de l’éthique du chercheur. Mais dans cette étude, les ambivalences qui y participent ne font que

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renforcer ce besoin. J’espère ainsi pouvoir proposer au lecteur une vision la plus proche de ma, voire de nos, réalités sur le terrain de la pratique.

Danse orientale et American Tribal en France : les sœurs ennemies ?

Le point de départ de ma recherche est né de mon expérience personnelle et des « on dit ». Elle concerne la nature des rapports entre danseuses orientales et danseuses d’American

Tribal en France. La rivalité et l’incompréhension réciproques ont été formulées sur le terrain

et dans tous les entretiens que j’ai pu mener. À quoi tient alors cette rivalité ? Dans ces univers à forte dominance féminine, deux visions de la danse mais surtout de la danseuse se font face. Bien au-delà de simples questions de concurrence ou de jalousie, on touche ici à la vision d’un corps, d’une forme de féminité, et qui atteste de préoccupations esthétiques mais aussi, sous jacents, des questionnements sur le genre.

Comment ces visions stéréotypées du féminin participant à la rivalité entre danse orientale et

American Tribal, a pu se construire au cours de leur histoire et sur le plan de la pratique du

mouvement ? Quelles images et imaginaires du féminins sont ici mis en jeu et comment ? Également, comment les hommes, bien que minoritaire, traversent et incorporent les questionnements de genre dans ces pratiques ?

Je dresserai d’abord dans un premier chapitre un état de lieu des pratiques en danse orientale et en ATS® en France. Comment s’y sont-elles diffusées ? Le lien fort pour la danse orientale avec l’Égypte sera envisagé notamment via les notions d’« exotisme normée » et de « tradition » dans un contexte mondialisé. Pour l’ATS®, la découverte de la compagnie américaine Bellydance Superstars semble être un point d’ancrage de la pratique en France et qui mène au développement de l’offre des cours. La diffusion de ces deux pratiques entraîne également des processus d’artification qu’il faut comprendre, notamment via la question du statut professionnel qui reste difficile à définir. Le panorama de la scène française de ces deux pratiques permettra enfin de comprendre à quoi tient cette situation conflictuelle. Exemple d’un tribalisme moderne, la constitution de deux communautés régies par des règles distinctes va laisser naître deux images du féminins qui sont définies et acceptée par les actrices elles-mêmes : la poupée orientale et la guerrière tribale.

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Il s’agira ensuite dans un deuxième chapitre de comprendre cette construction de deux images du féminin sur le plan historique. Pourquoi aujourd’hui les acteurs parlent de la danseuse orientale comme d’une « poupée », et de la danseuse tribale comme d’une « guerrière » ? L’histoire de la danse orientale nous plongera dans sa formalisation en Égypte, entre instant fugace de gloire avec le cinéma égyptien et réputation sulfureuse donnée par le reflet du regard occidental. Cette étude permettra de comprendre ce qui se joue dans la figure de la danseuse orientale, qui a été à plusieurs reprises une figure politisée. Il faudra aussi envisager sa construction et sa découverte en France lors des expositions universelles où la Fatma est présentée pour correspondre à l’image orientaliste fantasmée que l’on se fait d’elle. L’histoire de la sexualisation de cette pratique nous mènera ainsi à comprendre comment

l’American Tribal a pu se construire dans les 1970, contre cette image sexualisée de la danse

orientale. Guidée vers ce qu’elle est aujourd’hui par trois femmes, Jamila Salimpour, Masha Archer et Carolena Nericcio, l’ATS® est une pratique novatrice dans le domaines des danses orientales, qui sera très influencée par les thèses féministes de l’époque et cette volonté de reconquête des femmes de leur droit et de leur corps.

Enfin, le troisième chapitre mettra la lumière sur le corps qui danse, en ATS® et en danse orientale, en cherchant à comprendre comment la construction historique de deux images du féminin pouvait interférer dans la pratique même de la danse et sur le corps des femmes. D’abord, une analyse fonctionnelle du mouvement sera menée à partir de plusieurs sortes de mouvements mis en miroir. Cette analyse permettra d’interroger la construction du féminin dans ces deux pratiques à travers le mouvement. Sont-elles si différentes quand elles sont éloignées de leur decorum, costume, histoire ? Quelle organisation du corps et quelle organisation symbolique sont en jeu ? Également, cette partie poussera la porte d’un cours de danse et analysera les transformations qui s’y opèrent. Ce cadre particulier d’apprentissage et d’enseignement sera envisagé comme un cercle de sociabilité féminine où chaque participante apprend les codes de sa pratique, qui parfois trouve une résonnance dans leur quotidien et entraîne des bouleversements dans leur vie et dans leur corps. Enfin, ce troisième chapitre tentera également de mettre dans la balance ceux qui se font discrets dans des univers essentiellement féminins : les hommes.

Entre l’Égype, la France et les États-Unis, d’un temps passé à un temps présent, il s’agit de fixer pour un instant toute la richesse et la complexité de ces danses en constante évolution.

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J’espère pouvoir conduire le lecteur vers des espaces de réflexion sur elles, faisant la lumière sur deux pratiques que l’on analyse encore peu voire pas dans le domaine de la recherche en danse.

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Chapitre 1 : Danse orientale et American Tribal en France, les sœurs ennemies

La danse orientale est aujourd’hui une pratique commune en France. Ayant peu à peu acquis son public, celle que dans le langage commun on appelle encore régulièrement « danse du ventre » compte de plus en plus d’adeptes : les cours, les produits dérivés et les activités annexes à la pratique dansée (spectacles, tenue de danses, tenues de cours etc.) se sont multipliés.

Si les cours de danse orientale sont aujourd’hui devenus ordinaires dans l’offre française des cours de danse, l’American Tribal est quant à lui en pleine conquête. Encore méconnue il y a une vingtaine d’années, cette fusion américaine des pratiques de la danse orientale tend pourtant à s’éloigner de sa « consœur » pour proposer un nouveau visage à cette discipline. Mais elle est souvent mal perçue par les pratiquantes de Raqs Sharki23. Cette nouvelle façon de représenter la danse orientale n’est pas sans poser problème aux puristes de cette danse.

Malgré cet engouement récent et rapide, le constat reste mitigé : l’une comme l’autre souffre d’une méconnaissance et d’un manque de considération dans le milieu artistique français. Les acteur.rice.s mettent en place diverses stratégies passant notamment par la formation professionnelle. Néanmoins leurs actions souffrent d’un manque d’homogénéité et font ressurgir des situations de tensions entre eux.

Professeure de danse à Nice, j’enseigne moi-même (et c’est une chose rare, nous le verrons) les deux disciplines et observe cette difficile cohabitation en France. Témoin de leur évolution récente via mon expérience comme professionnelle et comme chercheuse, je souhaiterais d’abord donner un bref aperçu de leur pratique et de leur engouement en France jusqu’aux revendications naissantes d’« artification », pour enfin m’attarder sur une première interrogation, point de départ dans ma recherche : pourquoi et comment cette rivalité entre elles ?

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I. Danse orientale et American Tribal en France : état des lieux

Bien que la danse orientale fasse aujourd’hui partie intégrante du panel des cours de danse en France, l’American Tribal semble encore rester discrète. Toutefois, sa récente expansion laisse entrevoir un engouement certain dans l’Hexagone pour les différentes pratiques qui composent en réalité ce style. Cet état des lieux va donc permettre de revenir sur l’histoire française de la diffusion de ces deux pratiques, leur visibilité dans les écoles de danse mais aussi sur les scènes de théâtres, et surtout les enjeux actuels qui leur sont liés et pour lesquels les pratiquantes œuvrent.

A. La danse orientale en France des années 1980 à aujourd’hui

Depuis son développement dans les années 1980, la danse orientale connait depuis quelques années un certain succès et est devenue aujourd’hui une pratique commune. Une étude menée par Christophe Apprill, Aurélien Djakouane et Maud Nicolas-Daniel, et publiée en 201324 dressait alors un état des lieux intéressant et inédit sur les pratiquant.e.s et les modes de transmission des danses du monde et des danses dites traditionnelles en France25. Près de 72% des cours de danse à la date de l’enquête en 2013, étaient rattachés au domaine des danses du monde dont 11% concernaient la danse orientale26. Cette étude a été un point de départ dans ma recherche puisqu’elle permet de « quantifier » la pratique des danses orientales en France. Mon travail de recherche est venu compléter cette étude quantitative par une étude de terrain.

24 Christophe Appril, Aurélien Djakouane, et Maud Nicolas-Daniel, L’enseignement des danses du monde et

des danses traditionnelles, Paris, l’Harmattan, 2013.

25 Cette enquête est vraiment centrale dans l’étude des pratiques de danses de monde qui étaient jusqu’alors

très peu représentées dans la recherche en danse. Cette situation n’est pas sans lien avec le désintéressement des pouvoirs publics face à ces danses qui ont pourtant connu depuis les années 1990 une explosion quasi spontanée grâce à des réseaux et des associations amateurs.

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Pourtant, malgré le récent engouement pour ces danses en France, leur pratique et leur enseignement ne sont pas réglementés. Aucun diplôme d’enseignement n’existe à l’heure actuelle. De même, la plupart des scènes institutionnalisées ne proposent pas à ce jour de spectacle autour des danses orientales. Entre volonté d’être légitimes et besoin de reconnaissance, les pratiquant.e.s ont su créer leur propre réseau de diffusion, non sans paradoxe.

1. Apparition et développement

Les premiers cours de danse orientale sont donnés en France dès la fin des années 1970 et au début des années 1980, d’abord en région parisienne et dans le Sud, puis progressivement dans le reste de la France. Ce développement progressif n’est pas sans lien avec les politiques d’immigration menées en France27 durant ces mêmes années28 et qui ont donné lieu à un engouement pour la culture orientale dont la danse, la musique Raï mais aussi la gastronomie font partie29. Dès le début de leur existence, les cours de danse orientale connaissent un certain succès mais aussi une considération de la part des professionnels du spectacle.

À la fin des années 1980, début des années 1990, la danse orientale faisait son entrée dans les théâtres nationaux. Le monde « élitiste » de la danse manifestait enfin un réel intérêt pour la danse orientale. […] Grâce à l’initiative du Théâtre contemporain de la Danse, une rencontre chorégraphique entre danse orientale et danse contemporaine fut programmée durant 5 soirées à l’Institut du Monde Arabe à Paris. Le succès de cette programmation, intitulée « Ya Salam »

27 La loi concernant le regroupement familial par exemple fût votée en France en avril 1976 par Valery

Giscard d’Estaing, son premier ministre Jacques Chirac et le ministre du travail Michel Durafour.

28 Comme le souligne très justement Jocelyne Dakhlia, il est naïf de penser que l’immigration musulmane en

Europe occidentale née des expéditions coloniales du XIXème siècle ou des migrations liées au travail au XXème

siècle. La France compte dès 1801 des réfugiés, notamment des égyptiens, et la figure du Mamelouk représente cette présence musulmane en France

Dakhlia Jocelyne et Vincent Bernard (dir), Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe, T1, Une intégration

invisible, Paris, Albin Michel, 2011, p.7 et p.106.

29 Dans les années 1990, le Raï, avec des artistes comme Khaled ou Cheb Mami, incarne cet engouement

pour la culture orientale. De même le couscous est classé en 2011 comme le troisième plat préféré des français (enquête réalisée en août 2011 pour le magazine Vie Pratique Gourmand).

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rassura les autres programmateurs et ouvrit la porte des théâtres nationaux et des festivals à cette danse, jusque-là ignorée des programmations de niveau national30.

Dans les années 1990 à 2000, l’offre des cours connaît une expansion. Également, les boutiques de produits spécialisés se multiplient ainsi que les sites Internet de même type. Irida, professeure à Marseille relate ce phénomène dès 2008.

Prenons le cas des deux magasins de Marseille qui proposent ce genre de produits [liés à la culture orientale]. Il y a quelques années, ils vendaient essentiellement des robes et des fournitures pour les mariages et les cérémonies orientaux. La danse orientale représentait une faible partie de leurs ventes. Progressivement, cette part a augmenté et aujourd’hui elle constitue la majorité de leurs revenus. En tant que propriétaire d’un site consacré à la danse orientale, qui a quasiment toujours été sur la première page de Google, je constate aussi une hausse permanente et régulière des visites et un usage de plus en plus intensif de mon forum, qui attire chaque jour de plus en plus de femmes souhaitant échanger des informations sur cette danse. Il faut savoir qu’il existe déjà plus d’une dizaine de forums en français de ce type. De même, je fais de la publicité sur Google pour ma boutique de danse orientale en ligne. La somme nécessaire pour que mes annonces soient affichées lors de toutes les recherches faites par les internautes autour de la danse orientale a été multipliée par quatre durant les six derniers mois, alors que le coût par clic est resté presque stable. Cela signifie qu’il y a quatre fois plus de recherches en français sur Internet à propos de la danse orientale31.

Aussi, de plus en plus d’activités annexes voient le jour, comme notamment les festivals de danse32. Ces temps de rencontre qui visent à rassembler les pratiquant.e.s autour de leur passion proposent des stages de danse avec des professeur.e.s invité.e.s de la France voire du

30 Djamila Henni-Chebra, « La danse orientale en France », in : Passion orientale, le magazine français de la

danse orientale, n°5, juin/septembre 2007, pp.30-35.

31 Irida, « La danse orientale en France », in : Raqs Passion, mis en ligne en 2008, consulté le 22 avril 2013.

Disponible sur : < http://www.webzinedanseorientale.fr/archives/52-La-danse-orientale-en-France.html>.

32 Nous pourrions citer par exemple Oriental Marathon (Montpellier, depuis 2013), Si l’Orient m’était conté

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monde entier. Plusieurs sont aujourd’hui des évènements incontournables pour se former mais aussi se faire connaître grâce notamment aux concours de danse qu’ils proposent.

Des boutiques en ligne se sont aussi multipliées dans le même temps, proposant des articles liés à la danse orientale comme des tenues de spectacle, costumes et accessoires mais aussi des tenues spécialement conçues pour les cours de danse orientale. C’est le cas des sites comme Harem d’As, Bellydancediscount, Orientaldiscount ou Perle orientale.

Le rôle d’Internet est aussi central. Il constitue le ciment de cette communauté éparse et permet un lien entre les pratiquant.e.s. Les associations se servent d’Internet pour donner du poids à leurs actions. La plupart des magazines disponibles sur la danse orientale sont des webzines : Raqs Passion ou Webzine d’Etoile des Sables par exemple. Nombreux sont les forums comme Adila, Forum Raqssharki, Babelqahira, Forum du Nil pour citer les principaux. Ces supports permettent une meilleure circulation des informations et participent à la diffusion des événements. L’autre élément essentiel reste les plateformes de réseaux sociaux. Aujourd’hui la plupart des associations et écoles de danse communiquent via

Facebook ou Twitter. Ces plateformes font naître des communautés. Le lien entre les

danseus.eur.es est renforcé et Internet participe clairement à la vie de ce qu’on pourrait définir comme un microcosme, la majorité des professeur.e.s se connaissant.

Depuis les années 2000, le succès de la danse orientale ne s’est pas démenti. Sur mon terrain de recherche à Nice, il y a en 2017 quatre professeurs de danse qui officient dans leur propre école. Sept centres municipaux niçois sur seize proposent également des cours dispensés par la professeure d’une structure associative ou par une professeure employée de la Ville de Nice. En tant que responsable d’une association de danse à Nice depuis 2012, je reçois très régulièrement des demandes d’animation avec des danseuses orientales pour des évènements privés (mariage, repas de comité d’entreprise, anniversaire etc.) et des évènements publics. Néanmoins, le succès qu’avait pu rencontrer la danse orientale sur les scènes institutionnelles dans les années 1980, n’a fait que s’estomper ces trente dernières années. Aujourd’hui, les théâtres ou salles de spectacle qui programment de la danse orientale de leur propre initiative restent rares.

2. Enseignement et offres des cours

En France, il n’existe pas de diplôme qui réglemente l’enseignement de la danse orientale. Les danseur.se.s souhaitant devenir professionnel.le.s sont invité.e.s à se former par

Figure

Illustration 1 : Bellydance Superstars.
Illustration 2 : Rachel Brice.
Illustration 3 : La certification CID par Yaël Zarca.
Illustration 5 : Fériel Rodriguez portant un de ses costumes de « fusion tango ».
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