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Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation

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Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des

pratiques de management contrastées dans un contexte

en mutation

Rémi Bourguignon, Solène Hazouard, Martine Le Boulaire, Jean-Louis Rocca

To cite this version:

Rémi Bourguignon, Solène Hazouard, Martine Le Boulaire, Jean-Louis Rocca. Les entreprises françaises et allemandes en Chine : des pratiques de management contrastées dans un contexte en mutation. [Rapport de recherche] Centre d’Etudes et de Recherches Internationales - Sciences Po. 2011. �halshs-02021588�

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les

études

du

Ceri

Centre d’Études

et de

Recherches

Internationales

Les entreprises françaises et allemandes en Chine :

des pratiques de management contrastées

dans un contexte en mutation

Rémi Bourguignon, Solène Hazouard,

Martine Le Boulaire, Jean-Louis Rocca

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Ce rapport constitue le troisième volet1 d’une série d’études consacrées à l’implantation

des entreprises occidentales en Chine, un pays qui représente un environnement des affaires atypique, entre exploit et danger. Son rythme de croissance effréné et ses équilibres sociaux, son contexte politique et social apparaissent comme autant de défis. Pour les entreprises occidentales, notamment, il n’est pas possible de s’en remettre à un transfert pur et simple des pratiques managériales. Le présent rapport s’efforce d’enrichir et de compléter les observations antérieures par la prise en compte d’une dimension comparative. Cinq nouvelles entreprises seront spécifiquement étudiées, deux d’origine française et trois d’origine allemande, portant ainsi notre panel global à près de trente cas d’entreprises.

Nos observations, à visée exploratoire, permettent d’isoler quelques différences notables dans les stratégies d’implantation des entreprises françaises et allemandes, nous conduisant à avancer une hypothèse : la présence des entreprises allemandes en Chine est organisée, là où les firmes françaises semblent agir en ordre dispersé. Cette présence s’appuie sur des partenariats et des accords de coopération relativement centralisés ; elle bénéficie de divers relais institutionnels, intra- et intersectoriels. Une telle organisation n’est pas sans lien avec d’autres propriétés dont témoignent les entreprises allemandes : une meilleure disposition à l’égard des transferts de technologie et de la coopération en matière de recherche et développement ; une plus grande institutionnalisation des dispositifs de formation. Les entreprises françaises, de leur côté, semblent agir de manière isolée mais seraient, de ce fait même, plus à même de déléguer le management aux équipes chinoises.

1 « Entreprendre en Chine : contexte politique, management, réalités sociales », Les Etudes du CERI, n° 128-129, octobre 2006, coédité par Entreprise&Personnel, CERI-Sciences Po et CSO-CNRS, et « Les Entreprises françaises en Chine : environnement politique, enjeux socio-économiques et pratiques managériales », Les Etudes du CERI,

Les entreprises françaises et allemandes en Chine :

des pratiques de management contrastées

dans un contexte en mutation

Rémi Bourguignon, IAE Paris-I – Panthéon-Sorbonne, Solène Hazouard, CIRAC, Martine Le Boulaire, Entreprise&Personnel, Jean-Louis Rocca, Sciences Po-CERI

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Depuis la fin des années 1980, on prédit l’écroulement du régime chinois, du fait de la contradiction entre une croissance économique et une évolution sociale fulgurante, d’un côté, et l’absence de changement politique, de l’autre. Dernièrement, la crainte (ou l’espoir) a resurgi avec la révolte dite « du jasmin » qui, pour de nombreux observateurs, aurait dû donner lieu à une variété chinoise. L’hypothèse a sombré dans le ridicule lorsque les supposés rassemblements du jasmin ont mis face à face une police auto-intoxiquée par sa propre angoisse et des journalistes étrangers accourus de toutes parts pour assister à l’événement. D’événement, il n’y eut pas, puisque les principaux acteurs du drame – les Chinois – étaient absents.

Cette façon d’entrevoir l’avenir immédiat de la Chine – la fin du « miracle chinois » du fait de l’incapacité de ses dirigeants à « démocratiser » le pays, à répondre aux supposés et indéfinis besoins démocratiques de la population – repose sur un soubassement théorique. Il s’agit du paradigme de la modernisation, dogme devenu aujourd’hui inconscient, qui voudrait que les sociétés suivent un parcours déterminé les menant, étape après étape, vers la modernité – c’est-à-dire la démocratie de marché. Ainsi, la Chine est sommée de répondre à ce modèle censé résumer une trajectoire historique de trois siècles, débordante de contradictions, de hasards, de variantes, de retours en arrière. Comment retrouver la voie vertueuse vers la démocratie à travers l’histoire de l’Europe, ses phases de crise et de croissance, de stabilité et de révolution, de démocratisation (complète, partielle, minimum) et de totalitarisme, de libéralisation et de raidissement des mœurs, etc. ?

Le paradoxe est que la société chinoise elle-même reprend à son compte cette façon de penser, signe que la Chine est bien « moderne ». Jusqu’aux responsables de la sécurité du pays, qui considèrent que l’ultime étape des réformes – les élections – est mère de tous les dangers pour la stabilité du pays, mais qu’elle est incontournable à long terme. D’où la crainte qui les habite à la moindre opposition politique et le phénomène d’auto-intoxication auquel j’ai déjà fait allusion. On parle beaucoup d’un « modèle chinois » alternatif de développement, mais on ne perçoit pas une confiance très affirmée de la société chinoise dans ce supposé modèle. La démocratie de marché semble constituer l’horizon plus ou moins lointain auquel se réfèrent gouvernants et gouvernés (y compris, et ils sont nombreux, les « contestataires »). On sent les Chinois eux-mêmes étonnés de ce qu’un pays où règne la « corruption », où la « démocratie » est absente, où le « marché » est contrôlé par les élites et où les inégalités sont éclatantes puisse produire une économie florissante, une société dynamique et un gouvernement... populaire, dans les deux sens du terme.

Peut-on néanmoins, et malgré leur omniprésence, écarter les lieux communs de la modernisation pour faire le point sur le « miracle chinois », d’une part, et dégager quelques défis auxquels ce pays devra faire face dans les années à venir, d’autre part ?

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De la stabilité du miracle chinois...

L’étonnement des observateurs devant le refus des Chinois de s’insurger contre leur gouvernement ne tient pas seulement aux imperfections du miracle, mais aussi à la constance avec laquelle la Chine proteste. Propriétaires d’appartement contre promoteurs immobiliers et gestionnaires de résidence, paysans contre cadres locaux vendant « leurs terres » sans leur accord ou en échange de sommes ridicules, locataires refusant les compensations financières à leur expulsion, ouvriers migrants contre patrons exploiteurs, riverains contre usines polluantes... font de la Chine un des pays les plus protestataires au monde. Et pourtant, ce mécontentement cohabite avec une large satisfaction à l’égard des politiques menées. Il existe une sorte de clivage politique. D’un côté, un programme politique apprécié et assez consensuel – plus de liberté, plus d’argent, plus d’opportunité, plus de loisirs, plus de droits, plus de protection –, de l’autre, des bureaucraties locales et des groupes d’intérêts qui rechignent à l’appliquer sans pour autant pouvoir le négliger. Et, autour, le spectre de l’instabilité (politique, sociale, culturelle) qui pourrait remettre en cause les beaux acquis des réformes. Ce clivage n’est pas propre à la Chine. Après tout, les principes républicains récoltent un large consensus parmi les Français et les luttes sociales ont souvent pour objectif de les voir s’incarner dans la réalité. La différence est que les Chinois n’ont pas la possibilité d’exprimer politiquement leur mécontentement. Il n’en est pas moins vrai que, dans les deux cas, on peut être critique sans vouloir changer de régime.

Ce consensus critique peut s’expliquer par une série de phénomènes dont la plupart sont étroitement liés entre eux.

• Une ouverture des possibilités d’ascension sociale

L’accroissement des écarts de revenus et de statut social depuis la fin des années 1990 s’est accompagné d’une accélération de la mobilité sociale. Le paradoxe n’est qu’apparent : tout le monde a profité de la croissance, mais certains beaucoup plus que d’autres. Si l’on divise la société en trois strates sociales (haut, bas et moyen), on constate que les écarts s’accroissent entre celles-ci, mais qu’à l’intérieur de chacune la mobilité est forte. Il est facile d’augmenter nettement son revenu et son statut en passant de paysan à ouvrier migrant, d’urbain modeste à urbain-classe moyenne. En revanche, devenir « classe moyenne » pour un ouvrier migrant ou « riche » pour un membre de la classe moyenne reste une gageure.

L’« émergence » de la classe moyenne est un bon exemple de ce phénomène. Emergence ne signifie pas que des gens « d’en bas » rejoignent ses rangs, mais que l’ancienne classe moyenne (les ouvriers et les employés des villes) a aujourd’hui un revenu et un mode vie proches (en termes de pouvoir d’achat) de ceux des classes moyennes des sociétés dites développées. Quant aux migrants, l’exploitation qu’ils subissent et leurs conditions de vie difficiles ne peuvent cacher une mobilité objective ascendante en termes de revenu, mais aussi de statut à l’intérieur de leur milieu social d’origine, notamment grâce aux transferts d’argent. Mais l’effet subjectif est tout aussi spectaculaire : ce sont eux les plus optimistes parmi toutes les couches sociales – ce qui, nous le verrons, n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle pour le régime.

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Dans la plupart des milieux sociaux, les attentes ont été assez bien satisfaites et ont rendu supportable le spectacle criant des inégalités. C’est d’autant plus vrai que les politiques menées depuis quelques années ont contribué, modestement mais significativement, à réduire les écarts de condition. Le fardeau fiscal des paysans a été allégé, d’importants travaux d’infrastructure ont désenclavé des régions entières, des fonds d’assurance maladie et de retraite ont été créés pour les ruraux, le salaire minimum et les salaires des migrants ont été fortement augmentés. Il reste beaucoup à faire, nous y reviendrons, mais l’effet de ces mesures s’apprécie à l’aune de la difficulté que rencontrent dorénavant les patrons les plus exploiteurs à recruter des ouvriers. On manque de plusieurs millions de bras dans la province du Guangdong. Des ouvriers préfèrent rentrer chez eux, rarement pour redevenir paysans à plein temps mais plus souvent pour créer une petite affaire ou se faire embaucher dans des usines plus proches de leur lieu d’origine.

Il faut préciser que les écarts de revenus peuvent être constatés sans pour autant être mesurés. Par le biais de primes, d’avantages en nature, de rémunérations grises, d’une pluriactivité étendue, la prospérité a permis aux Chinois d’accroître leurs revenus sans que les statistiques puissent rendre compte du mouvement. On perçoit bien ce phénomène à travers le boom de l’immobilier, qui a conduit près de 80% des urbains à devenir propriétaires de leur appartement, et beaucoup d’entre eux multipropriétaires.

Dans ce cadre, les luttes sociales ne visent pas le renversement du régime, et donc la disparition des avantages que les différents groupes sociaux ont obtenus des réformes, mais à protéger leurs intérêts. Les propriétaires voudraient plus de protection juridique vis-à-vis des promoteurs, les migrants des patrons, les expropriés de meilleures compensations financières, etc. En ce début d’année 2011, les préoccupations tournent plus autour de l’inflation et de la hausse du prix de l’immobilier que des troubles politiques dans les pays arabes.

• Des élites à large spectre, une administration solide et « corrompue »

Il est indéniable que les sources d’accumulation en termes de revenu et de statut social sont contrôlées par une élite à large spectre. Celle-ci comprend bien sûr l’élite politique et économique nationale, composée de familles très élargies et de groupes d’intérêts issus de l’ex-élite « révolutionnaire ». Mais elle a su s’étendre en cooptant des hommes d’affaires via le principe des trois représentativités, et tout un milieu intellectuel qui se place dans une situation de conseiller-critique du prince. Ces nouveaux venus – issus pour l’essentiel de la classe moyenne de l’époque socialiste – ne sont pas enrôlés parce qu’ils ont fait leurs preuves ; leur intégration progressive est d’emblée la condition de leur réussite. Réussite économique, puisque tout business implique des autorisations, des coups de tampon, des protections. Réussite critique, puisque l’on ne peut remettre en cause efficacement les politiques menées qu’en parlant de l’intérieur, qu’en faisant partie de journaux, de cercles de discussion, d’universités, de comités, etc. A cette élite nationale, il convient d’ajouter les élites locales qui contrôlent les ressources de leur fief en y associant, ici aussi, une masse non négligeable de personnes.

On est donc loin d’une situation dans laquelle une petite clique de gens aurait fait main basse sur le pays. Les membres du Parti communiste représentent 6 % de la population – soit, si l’on

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ajoute la famille et les dépendants, de 10 à 15 %. C’est trop peu pour faire perdre à l’adhésion son sens « élitaire », trop pour analyser cette élite en termes de « mafia » ou « de clique ».

Tout le monde peut réussir : il suffit pour cela de connaître les bonnes personnes, de graisser les bons rouages. Du moment que les affaires rapportent et que les bénéfices profitent à tous... Dans ce cadre, parler de « corruption » n’a guère de sens, puisqu’il s’agit d’un ensemble de relations qui sont constitutives du fonctionnement du bon business – ou alors, il faut prendre les études plaçant la Chine dans les rangs des pays les plus corrompus du monde comme un encouragement au vice. Oui, on ne peut faire de bonnes affaires en Chine sans s’appuyer sur des amis, des alliés, des parents, des échanges de bons procédés, des pots-de-vin, la distribution d’avantages en nature. Cela commence, au plus bas niveau, lorsque l’on ouvre un petit commerce et que l’on doit stipendier la police, le bureau de l’hygiène, du commerce et de l’industrie, le comité de quartier, etc. Mais attention, le système a créé ses propres garde-fous. D’abord, il est ouvert aux outsiders – à condition qu’ils aient les bonnes pratiques. Ensuite, il doit rapporter, non seulement aux intéressés mais aussi à la collectivité. La bureaucratie est jugée à travers un système d’évaluation complexe, à partir de ses résultats économiques, de ses réalisations en termes d’équipement public et de politiques sociales, de stabilité sociale, etc. De fait, la « corruption » est organisée, planifiée, négociée. Enfin, la Chine est sans nul doute le pays du monde où la lutte contre la corruption est la plus acharnée. Chaque année, des dizaines de hauts fonctionnaires – maires de grandes villes, ministres, gouverneurs de province – et des milliers de fonctionnaires moyens passent à la trappe. Leur crime : être… corrompus. Ils ont reçu des cadeaux, de l’argent, des avantages en nature, etc., en quantité non raisonnable ; ils ont exagéré, ils n’ont pas joué le jeu, leurs agissements ont eu des prolongements dramatiques, ils n’ont pas redistribué, ils n’ont pas su gérer des conflits sociaux liés à leurs malversations, etc. Certes, il est possible de tricher, de cacher ses fautes et ses excès, mais l’épée de Damoclès est là. Ce qui ne peut pas ne pas avoir d’effet sur les mœurs et sur les appétits. Au total, la bureaucratie chinoise est tout aussi efficace, parfois plus que d’autres, comme l’indienne ou, plus récemment, la japonaise, qui évoluent pourtant dans un système démocratique...

• Le maintien de fortes solidarités sociales

Contrairement à ce que la vulgate de la modernisation prédisait, la croissance économique et la « marchandisation » n’ont pas conduit à une « individualisation », à une « atomisation » des comportements. Bien au contraire, les réseaux sociaux noués par l’intermédiaire de la famille, du voisinage, des études, du travail ou des loisirs constituent des ressources déterminantes dans la course à la réussite sociale. Ils facilitent la recherche d’un travail ou le développement des affaires, offrent des possibilités de stage, de bourse, etc.

Une large socialité permet aussi de se protéger des aléas de la vie. Le démantèlement du système de protection sociale dans les zones urbaines à la fin des années 1990 n’a pu être supporté par la société qu’au prix d’un recours massif à la solidarité. Les retraités sans pension, les licenciés sans allocations, les malades devant subir une opération ou un traitement coûteux ne doivent souvent leur survie ou le maintien d’une certaine qualité de vie qu’à des aides procurées par leurs enfants, leurs parents, leurs amis, voire (mais de manière moins généreuse)

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des administrations locales ou des organismes de charité. De plus, le principe plus général selon lequel l’Etat doit s’occuper du social est toujours ancré dans les mœurs. Les ouvriers licenciés par les entreprises d’Etat ont conservé leur appartement et beaucoup ont pu l’acheter pour une somme modique. De même, les locataires dont le logement est détruit reçoivent une compensation leur permettant d’accéder à la propriété, même si celle-ci est généralement très éloignée du centre-ville. Il n’existe pas de « sans domicile fixe » parmi les urbains.

Dès le début du xxie siècle, on a assisté à l’émergence de politiques sociales. Des dispositifs

de protection sont mis en place, y compris, nous l’avons vu, dans les campagnes. L’effort est modeste, mais significatif d’un « souci du social » sans doute hérité de l’idéologie socialiste et de la répugnance « culturelle » de l’appareil bureaucratique à laisser des zones d’incertitude dans les structures sociales. Bien sûr, la relative marginalité des migrants, qui ne profitent d’aucune aide en matière de logement ou de protection sociale, crée une zone d’incertitude, et c’est à celle-ci qu’il s’agit maintenant de s’attaquer.

• Un nationalisme utilitariste

Le patriotisme est un facteur important de cohésion. Entre les Hans (93 % de la population), nulle barrière ethnique, religieuse ou clanique sérieuse. Cette unité n’empêche pas la concurrence, les identifications localistes ou les affirmations culturelles locales, mais elle affirme néanmoins l’existence d’un destin commun liant chaque Chinois à la Chine. Autrement dit, ce qui est bon pour le pays en termes de puissance, de richesse, d’opportunités d’affaires est « bon pour moi ». D’où les réactions fortes dès que la nation est censée avoir été « agressée » par un événement, une mesure ou une politique quelconque. Pour la plupart des Chinois, c’est grâce à l’émergence de la Chine sur la scène internationale que ses habitants ont vu leurs revenus s’accroître, qu’ils peuvent obtenir des bourses ou du travail à l’étranger, qu’ils jouissent d’une certaine aura et d’un respect mêlé de peur (« les Chinois sont partout »).

Ce nationalisme ombrageux s’accompagne d’un sentiment d’infériorité. La « qualité » de la population chinoise n’est pas bonne. Il y a encore trop de gens mal éduqués, de zones grises de la modernité, d’espaces ruraux sous-développés. De la même façon que l’on veut continuer à améliorer sa vie matérielle, on a l’ambition de se « civiliser », de s’élever moralement. Et cette élévation doit être collective. Les participants aux mouvements de protestation ou les activistes qui les soutiennent ne sont pas moins nationalistes que les autres. Ils défendent souvent comme un seul homme le gouvernement lorsqu’il est « attaqué ». C’est au nom de la modernisation de la nation chinoise qu’ils agissent, afin que celle-ci jouisse des mêmes droits que le reste du monde. Il faut que la Chine ait sa législation sociale, ses ONG, ses tribunaux indépendants, qu’elle puisse s’imposer comme une puissance économique, mais aussi culturelle et morale. La fierté chinoise n’est pas seulement une question de croissance économique, c’est aussi une question de dignité.

Ce nationalisme n’est donc pas un nationalisme de repli belliqueux contre le monde, mais au contraire d’affirmation et de reconnaissance du fait chinois. Il converge avec la « modernisation » du pays et représente un point d’unification des points de vue et des comportements. Cela n’empêche pas qu’il puisse devenir un élément de déstabilisation de l’ordre mondial.

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• Une indéniable démocratisation

Les partisans d’un changement de régime, c’est-à-dire ceux qui disent haut et fort que le Parti communiste doit abandonner le pouvoir et introduire un système d’élection compétitive, sont toujours pourchassés. Les autorités continuent à contrôler Internet et à poursuivre tous ceux qui dépassent les limites fixées par une censure dont la logique n’est pas toujours facile à comprendre. Pourtant, dans le même temps, une forme de démocratisation se fait jour. Les propos, même séditieux, exprimés dans la vie privée sont tolérés, et même les critiques publiques du gouvernement quand elles ne touchent pas le régime. Les journaux évoquent de plus en plus largement les difficultés que rencontre la population du fait de mauvaises politiques ou d’agissements illégitimes ou illégaux. La presse est même devenue un enjeu de lutte entre les différentes factions politiques, très à l’écoute de l’opinion publique. On dénonce la mauvaise qualité des produits alimentaires, l’utilisation frauduleuse des deniers publics, l’inflation, la pollution.

Les intellectuels, les chercheurs, les journalistes sont de plus en plus consultés et écoutés par les politiques. On demande aux spécialistes des conflits sociaux, de la pauvreté et des problèmes urbains de venir « plancher » dans les écoles du Parti, les ministères ou les administrations locales pour dresser un tableau sans concession de la situation. Certes, la parole critique est toujours contrôlée, réservée à une frange déterminée de la population, mais le mécontentement populaire s’exprime néanmoins dans les blogs et sur les sites Internet.

Enfin, il se constitue peu à peu un champ plus ou moins toléré de la protestation sociale. Grâce à l’adoption de nouvelles réglementations, les propriétaires en lutte contre les promoteurs commencent à influencer les politiques locales dans un sens plus favorable à leurs intérêts. Les compensations lors des expulsions ont augmenté, les droits des expulsés sont mieux respectés. Les autorités locales sont incitées à adopter une position plus équilibrée lorsque éclatent des conflits entre patrons et ouvriers, et à favoriser l’amélioration la vie et les conditions de travail des migrants. De manière générale, les plaignants devront être mieux traités et, surtout, voir leurs problèmes réglés rapidement. Ce sont certes de petits pas qui méritent confirmation, mais qui dénotent une volonté de canaliser et non plus seulement de réprimer la protestation sociale.

• La peur de l’insécurité sociale

La peur de l’insécurité sociale est un profond ferment de cohésion sociale. Elle est bien sûr un legs de la période précédente, marquée par des changements politiques et des mouvements de répression incessants, une violence institutionnalisée qui a donné naissance à de terribles crises alimentaires et démographiques. La génération des cinquantenaires, qui occupent aujourd’hui des positions dominantes dans tous les domaines, politique, économique, intellectuel, culturel ou tout simplement en tant que « chef de famille », a goûté à toutes les répressions depuis les années 1960, y compris celle de 1989. Elle a donc tendance à se méfier de la « politique », des questions de régime et de révolution, préférant défendre ses intérêts sur les terrains du droit, des règlements et des avantages sociaux.

Il faut aussi tenir compte de l’impact des espoirs d’ascension sociale sur les esprits. Pourquoi perdre des avancées en quelques jours pour des principes dont on n’est même pas sûr qu’ils

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soient bénéfiques à la société et qu’ils puissent préserver des acquis que personne n’aurait pu espérer il y a vingt ans. Aucune des formes de contestation actuelle ne défend le désordre. Bien au contraire, la contestation est toujours censée contribuer à un renforcement de l’ordre. Une augmentation du salaire et une amélioration des conditions de vie, le respect des droits des propriétaires ou de l’environnement doivent conduire à une atténuation des tensions sociales dans un cadre qui doit rester un régime d’ordre. Pour un urbain, l’appartement idéal est situé dans une résidence entourée de hauts murs et protégée par des gardiens ; une résidence où il fait bon vivre entre soi. Les migrants n’aspirent pas à autre chose : un foyer, la possibilité donnée à leurs enfants de poursuivre des études, etc. Contrairement aux lieux communs, les « parvenus » des réformes, ainsi que ceux qui voudraient le devenir, ne veulent rien révolutionner ; ils veulent seulement réformer le système pour continuer leur ascension. Cet « idéal » sied parfaitement au régime, qui rêve d’une société de « propriétaires moyens », modérés et conciliants.

… à l’instabilité future

Néanmoins, l’existence de puissants facteurs de stabilité, qui semblent exclure une « révolte », n’est pas une si bonne nouvelle pour les classes dominantes, tant ils peuvent rapidement devenir des facteurs d’instabilité. En cas de remise en cause de la croissance, les ambitions déçues affaibliraient le tissu social, le gouvernement perdrait son crédit, la protestation n’aurait plus à respecter le régime. Mais le danger est plus profond, il tient à la nécessité aujourd’hui manifeste de remettre en cause les fondements de la croissance pour permettre sa poursuite. La main-d’œuvre bon marché n’est plus aussi abondante que par le passé et l’industrie manufacturière a du mal à maintenir ses marges, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le sous-développement de l’économie chinoise et sa dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs, affirmer la nécessité de stimuler la consommation, d’investir dans le high-tech et les produits à forte valeur ajoutée, d’« urbaniser » une large partie de la population migrante, de créer de véritables canaux d’expression du mécontentement pour régler les conflits en amont, etc. Il en va donc de contraintes d’ordre extrêmement varié – indépendance nationale, justice sociale, remontée des filières, stabilité sociale –, dont il n’est pas question de dresser ici l’inventaire. Essayons de nous concentrer sur quelques enjeux déterminants.

• L’intégration des migrants à la ville

Jusqu’à aujourd’hui, cette population est restée dans une position intermédiaire, largement employée dans les secteurs dynamiques (manufacture, construction, services bas de gamme), mais non intégrée à l’espace urbain. Si l’on en croit les déclarations faites à l’occasion de la dernière session de l’Assemblée nationale, le 12e plan quinquennal (2011-2015) vise à urbaniser

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le taux d’urbanisation de 47,5% à 51,5%. Les migrants devront profiter de la construction d’appartements bon marché (36 millions en cinq ans) au même titre que les urbains, d’une couverture sociale totale et de larges opportunités de formation professionnelle, leurs enfants pourront passer l’examen d’entrée à l’université sur leur lieu réel de résidence et leurs salaires connaître une augmentation conséquente, le salaire minimum ne devra pas augmenter de moins de 13% par an.

Par le biais de ces politiques, on compte accroître considérablement le nombre de « Chinois moyens », augmenter la consommation intérieure et satisfaire une « deuxième » ou « troisième » génération de migrants dont on pressent qu’elle sera plus gourmande que la précédente. Le défi est d’importance : où trouver l’argent pour construire ces logements et comment permettre aux migrants – on parle ici des plus argentés – de rembourser leur achat ? Quelles seront les conséquences d’une démocratisation de l’Université sur le statut social des jeunes urbains, quand on sait que c’est largement par ce biais que s’est constituée la classe moyenne et que, d’ores et déjà, de nombreux jeunes diplômés des universités les moins prestigieuses auront du mal à trouver du travail ? Quel va être le coût de l’élévation du niveau de vie des migrants sur la compétitivité des entreprises chinoises ?

• L’atterrissage en douceur de l’immobilier

Un autre dossier épineux concerne l’immobilier qui, depuis une quinzaine d’années, représente un secteur-clé et a contribué de manière très significative à la croissance économique et à l’emploi des ouvriers migrants. Il a ainsi permis des transferts très importants entre les zones urbaines et rurales, rempli les poches des grandes compagnies immobilières et celles de leurs employés. La construction a également enrichi les administrations locales, qui ont vendu des droits d’usage de la terre qui ne leur ont rien coûté. Même si une partie de cet argent a servi à améliorer l’ordinaire des officiels, il a largement concouru à l’amélioration des équipements et des infrastructures publics. Enfin, les urbains ont pu profiter de l’augmentation drastique du prix de l’immobilier pour obtenir des taux considérables de valorisation de leur épargne.

Pourtant, des signes d’épuisement se font sentir. Non seulement les migrants n’ont pas accès au marché immobilier, mais beaucoup d’urbains, notamment les jeunes, ne peuvent plus acheter. Dorénavant, les réglementations régissant l’achat du droit d’usage du sol ou celles définissant les relations entre propriétaires et promoteurs et entre propriétaires et sociétés de gestion des résidences sont de moins en moins favorables au complexe bureaucratico-immobilier. Les autorités devront faire plus de social dans le logement. Les conditions de prêt pour l’achat d’un appartement sont de plus en plus restrictives, et le nombre d’achats est dorénavant limité. On parle d’obliger les propriétaires ne vivant pas dans leur logement à les louer (certains estiment à 30% le nombre de logements vides). Quelles seront les conséquences de telles mesures sur la croissance, c’est-à-dire les profits tirés de l’immobilier, et sur l’état des finances publiques locales quand on sait leur importance dans le développement économique du pays ? Comment les anciens acheteurs vont-ils réagir à un ralentissement de l’augmentation de leur épargne ? Que vont faire les ouvriers migrants si le secteur de la construction ralentit sa croissance ?

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• Modèle économique et emploi

Le nouveau modèle économique prôné par une grande partie de la société chinoise a toutes les vertus. La remontée des filières conduit à privilégier les investissements en équipements et en nouvelles technologiques et à introduire de profondes réformes en matière d’organisation du travail. Dans ce cadre, la main-d’œuvre d’origine rurale pourrait connaître une nette amélioration de ses conditions de vie et de travail – des salaires plus élevés, une véritable protection sociale, une formation professionnelle, une réelle intégration urbaine. Les patrons y gagneraient une main-d’œuvre moins versatile et mieux formée et des débouchés accrus pour leurs produits. Une croissance davantage centrée sur la demande intérieure permettrait de satisfaire les besoins de la population, mais aussi d’assurer l’indépendance nationale dans un monde jugé instable. Les grandes entreprises déjà implantées à l’étranger continueraient à gagner des parts de marché dans des secteurs de pointe. Une politique fiscale moins accommodante avec les revenus du capital, les primes grises et les avantages en nature réduirait les écarts de condition. Le renforcement de l’indépendance de la justice et l’apparition de contre-pouvoirs moraliseraient l’accès à la réussite sociale. Enfin, le développement des services au détriment du secteur secondaire – qui représente encore plus de la moitié de l’économie – conduirait à une croissance du travail qualifié qui pourrait à son tour permettre aux jeunes diplômés du supérieur, de plus en plus confrontés au chômage, de trouver du travail.

Mais quel sera l’impact de ce beau programme sur l’emploi ? La Chine connaît en effet une situation de suremploi dans tous les domaines. Du fait des bas salaires et de la prépondérance du travail physique sur le travail intellectuel, la productivité du travail est faible. Il y a toujours trop de serveurs dans les restaurants, trop de vendeurs dans les magasins, trop d’ouvriers dans les usines, trop de responsables dans les banques, etc. L’exploitation du travail prend la forme d’un allongement de la journée de labeur et non d’une intensification des cadences. Une remise en cause du modèle contribuera sans nul doute à de fortes tensions sur le marché du travail. Si les salaires augmentent, la question de la productivité du travail deviendra centrale et l’on embauchera moins généreusement. L’économie chinoise sera-t-elle capable de compenser ces destructions d’emploi par l’explosion de nouveaux secteurs qui concurrenceront directement les multinationales ?

• Question de politiques

Comment démocratiser le pays sans introduire un système d’élections compétitives ? C’est ainsi que le gouvernement chinois, mais aussi une large partie de la population, se pose la question politique. Une telle approche semble décalée par rapport à l’air du temps. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse que la « communauté internationale » demande aux classes dominantes : des élections même si la démocratisation – c’est-à-dire la capacité croissante de la population à peser sur les choix politiques – n’est pas garantie. Autrement dit, les élites peuvent continuer à contrôler l’appareil politique à partir du moment où, à intervalles réguliers, ont lieu des consultations électorales plus ou moins équitables.

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En Chine, les élections n’ont guère de partisans en dehors du milieu fort réduit des dissidents. On craint les incertitudes du système, les possibilités qui seraient offertes aux riches et aux gens mal intentionnés de les contrôler, les bagarres incessantes entre politiciens. On craint aussi les lenteurs des décisions et de leur application lorsqu’elles doivent être sanctionnées par la démocratie parlementaire, etc. En bref, que pourrait-on gagner au change ? Des fonctionnaires plus efficaces et moins corrompus ? Une croissance aussi forte ? Des politiques plus justes et plus à même à garantir le droit des plus faibles ? Personne ne peut le garantir.

A l’inverse, la population aspire à une vraie démocratisation. Elle réclame des contre-pouvoirs permettant la dénonciation des malversations, des infractions, des magouilles des oligarchies qui contrôlent les positions de pouvoir et d’enrichissement. Les seuls sésames de la réussite devraient être les talents personnels, le travail, le niveau d’éducation. Position très « classe moyenne » – c’est de fait le point de vue de la classe moyenne qui s’exprime dans les journaux et sur les blogs –, mais position assez hypocrite puisque son statut dépend largement de la rente « éducation » et « relations sociales » qu’elle possède. La population demande également plus de sécurité : alimentaire et environnementale, mais aussi sécurité des biens et des personnes. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une plus grande liberté de la presse et de l’opinion, une justice plus indépendante, un véritable champ de contestation légitimé par le gouvernement, une forme plus institutionnalisée de représentation des intérêts sociaux. Le gouvernement essaie de répondre à ces demandes en promouvant le rôle accru de la population dans la « surveillance de l’administration » et en favorisant la transparence. Ainsi, certaines villes ont adopté un moratoire sur la destruction des vieilles bâtisses des centres anciens à la suite de l’opposition de nombreux propriétaires, et l’on annonce la publication d’informations sur la façon dont est utilisé le parc automobile public.

Mais, là aussi, l’impact d’un tel processus sur la croissance et la stabilité est inconnu. Moins d’oligarchie, plus de concurrence, c’est peut-être aussi moins d’accumulation. Plus de légitimité pour les mouvements sociaux, plus de dénonciations, c’est peut-être plus de troubles.

Rendez-vous dans quelques années

Le changement de modèle place la Chine sur le fil du rasoir. Moins de croissance, moins de désirs et d’optimisme, moins de stabilité et de sécurité risquent de faire resurgir le politique. La Chine peut basculer aisément dans l’un (durcissement) ou l’autre (révolte « démocratique ») extrême politique à la faveur d’un incident ou d’un phénomène inattendu. Le cas récent du jasmin, fané avant d’avoir fleuri, en est un bon exemple. Il a suffi de troubles à des milliers de kilomètres de distance, de quelques messages sur Internet et d’une agitation médiatique pour que la censure se renforce ; et cela sans qu’aucun véritable danger ne se soit présenté. D’un autre côté, une moindre mobilité ascendante ou une détérioration du sentiment de sécurité pourraient faire de la « haine des riches et des puissants » parmi la « classe moyenne » une force apte à casser le consensus qui la lie aux classes dominantes. Elle pourrait alors considérer que les élections sont, après tout, la moins mauvaise des solutions, idée dominante dans le monde. Que ce « choix » conduise alors à une vraie démocratisation, ce sera d’abord aux pays arabes de nous le dire.

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Le contexte chinois est en train de muter : la Chine tente de changer de modèle économique et social sans toucher à son modèle politique. Pour autant, ce contexte ne ralentit pas l’afflux des investissements directs étrangers (IDE) dans ce pays. Bien au contraire, les nouveaux arrivants affrontent à leur tour les difficultés ou les surprises liées à leur implantation déjà décrites dans nos travaux précédents. Mais alors que la compétition s’amplifie, peut-on déceler dans les pratiques de management des entreprises occidentales implantées localement des modes de management et de gestion des ressources humaines (GRH) qui « feraient la différence » en Chine ?

C’est ce que nous tenterons d’analyser dans ce chapitre en nous appuyant, après avoir posé le cadre de leur implantation respective, sur les pratiques d’un panel d’entreprises françaises et allemandes.

Un contexte économique en évolution

• En 2010, les investissements européens en Chine continuent de progresser

La Chine continue d’attirer les investissements directs à l’étranger. En 2010, ceux-ci ont augmenté de 17,4 % pour s’établir à un niveau record de 105,74 milliards de dollars. Les pays européens ne sont évidemment pas absents de cette dynamique, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne occupant respectivement de la 7e à la 10e place

du top dix. Ainsi, les investissements directs européens en Chine représentaient en 2010 plus de 4 % des IDE réalisés dans ce pays, soit plus que les Etats-Unis.

La présence française en Chine représente pour sa part 1%, soit un stock d’investissements de 8milliards de dollars en 2008. En augmentation de 70% depuis 2002, elle se traduit par l’implantation, aujourd’hui, de près de neuf centsentreprises, qui sont réparties sur mille huit centssites.

3 Par Martine Le Boulaire, directeur du développement d’Entreprise&Personnel, Rémi Bourguignon, maître de conférences à l’IAE Paris-I – Panthéon-Sorbonne, Solène Hazouard, ingénieur d’étude au CIRAC.

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La provenance des investissements directs en Chine en 2010

Montants

en millions de dollars Pourcentages

Hong Kong 67 474 63,8 Taiwan 6 701 6,3 Singapour 5 657 5,4 Japon 4 242 4,0 Etats-Unis 4 052 3,8 Republique de Corée 2 693 2,5 Royaume-Uni 1 642 1,6 France 1 239 1,2 Pays-Bas 952 0,9 Allemagne 933 0,9 Top dix 95 585 90,4 Total 105 735 100,0

Source : ministère chinois du Commerce

Ce développement s’est opéré au travers de trois vagues successives d’implantation : – Les premières entreprises sont arrivées dans les années 1980 (Alstom, ELF et Total en 1979).

– Dans les années 1990, alors que les grands groupes dominent (Citroën en 1990, Valeo en 1994), on observe la venue d’entreprises familiales de taille moyenne (Aldes, Somfy, Seb), ainsi que de la grande distribution (Carrefour, Auchan).

– Les années 2000 sont marquées par l’arrivée d’entreprises de taille plus modeste (SAFT, Biomérieux, DMC, Manitou…) et l’intensification du rythme des investissements en lien avec l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 et la levée des obstacles réglementaires.

De son côté, l’Allemagne apparaît depuis 1999 comme le principal investisseur européen en Chine. Bien que ses nouveaux investissements pour 2010 accusent une légère baisse, plaçant le pays derrière la France et les Pays-Bas, on recensait 17 milliards de dollars d’investissements cumulés à la fin de l’année 2009, principalement dans les secteurs de la chimie (BASF, Bayer), de l’automobile (Volkswagen, BMW, Daimler) et de la construction mécanique. De fait, l’Allemagne ne cesse d’intensifier ses relations avec la Chine. Depuis 2000, les échanges commerciaux entre les deux pays ont été quasiment multipliés par cinq pour atteindre en 2010, selon les estimations de l’Office fédéral des statistiques,

un peu plus de 130milliards d’euros (soit +38,5 % par rapport à 2009). La Chine est

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Pays-Bas. En 2010, elle est notamment devenue le premier fournisseur de l’Allemagne, avec 76,5milliards d’euros de biens importés (+35% par rapport à 2009).

• Un marché du travail en mutation

Ces investissements interviennent sur un marché du travail chinois en pleine évolution. D’une part, la structuration du droit du travail s’est accélérée ces dernières années. En 2008, deux nouvelles lois – l’une sur le contrat de travail, l’autre sur la promotion de l’emploi – sont entrées en vigueur en remplacement de la législation de 1994. Ces lois font du CDI la norme et tendent à limiter la précarité. En effet, elles encadrent les possibilités de recours au travail à durée déterminée et prévoient des indemnités de licenciement en cas de rupture du contrat par l’employeur. La durée légale du travail est désormais fixée à quarante heures et les salariés bénéficient de jours de repos, de journées fériées et de congés payés.

D’autre part, le renforcement de l’encadrement légal du travail et de l’emploi s’accompagne d’une hausse sensible des salaires. Le gouvernement chinois, qui souhaite développer son marché intérieur, a annoncé en mars 2011 que le salaire minimum continuerait d’augmenter dans les cinq prochaines années. D’ores et déjà, les chiffres officiels indiquent que les salaires des employés urbains ont crû de 13,1% en 2007, de 11,7% en 2008 et de 12,8%

en 2009, alors que le salaire minimum était majoré de 20% début 2010.

Parallèlement, le marché du travail chinois continue d’être affecté par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. L’ensemble des entreprises rencontrées fait de l’attraction et de la fidélisation des salariés une préoccupation majeure. Cela est vrai des activités hautement qualifiées comme des activités réalisées par des travailleurs faiblement qualifiés, mais contraintes par des normes insuffisamment partagées. Ainsi, Sodexo s’efforce d’appliquer à son activité de restauration en Chine des normes d’hygiène européennes.

• Une diversification des attentes des salariés

Le rapport de 2008 déjà cité relevait un certain nombre de paradoxes qui font de la Chine un pays déroutant pour le manager occidental. Ces paradoxes dessinent un champ de tensions à l’origine des profondes évolutions de la société chinoise. Il est, dans cet esprit, courant de rappeler combien le sacrifice et le don de soi sont des valeurs prégnantes dans la société chinoise. Mais, si elles se sont longtemps traduites par une primauté du collectif sur l’individuel, on observe depuis plusieurs années une réinterprétation de ces valeurs dans le cadre de la montée d’une forme d’individualisme, du moins à l’intérieur des entreprises. Nombre de jeunes cadres très qualifiés seraient toujours prêts à se sacrifier… mais pour leur carrière. C’est finalement à une rude concurrence que se livreraient ces individus, qui profitent d’une grande mobilité pour obtenir une hausse rapide de leur salaire.

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On peut toutefois repérer d’autres tendances en cours, aux conséquences différentes en termes de management et de gestion des ressources humaines. Lors de notre visite au laboratoire de recherche et développement d’Orange, nous avons ainsi eu l’occasion de nous entretenir avec un jeune ingénieur qui nous a dit n’envisager, pour sa part, aucune mobilité professionnelle en raison d’une quête de stabilité dans sa vie familiale. Et l’ingénieur de nous expliquer qu’une mobilité remettrait en cause l’emploi de sa femme et pourrait affecter plus généralement ses relations sociales… Cette anecdote semble témoigner d’un renversement, pour certains salariés tout au moins, des priorités entre vie privée et vie professionnelle. Et, à en croire le DRH de Sodexo, l’exemple ne serait pas isolé. Pour lui, il convient d’avoir en tête que la politique de l’enfant unique date de 1979 et qu’elle constitue le contexte de socialisation des jeunes cadres trentenaires, dont l’éducation aura été davantage marquée par la générosité et le confort que par le sacrifice. Témoin de cette évolution, le sondage commandé par le prestataire de services RH zahopin.com paru en juin 20104. On y apprend que, sur les six mille salariés chinois

interrogés, 48 % envisageaient de prendre des congés ou de s’autoriser des retards (voire des absences !) au travail pour pouvoir suivre la Coupe du monde de football. Et ce alors même que la Chine ne s’était pas qualifiée pour cette compétition.

Par ailleurs, les salariés chinois se montrent sensibles à l’image de leur entreprise. Travailler pour une entreprise bénéficiant d’une bonne image sur le marché est un moyen de se valoriser sur le marché du travail. Pour Orange, l’absence d’activité commerciale en Chine5 constitue, de ce point de vue, un handicap majeur, alors que Sodexo se heurte

à une image de « service » qui rebute dans un pays valorisant l’industrie et associant le service aux autres à une activité vile. Pour Daimler, la question se pose en d’autres termes puisque, si le groupe est peu connu, la marque Mercedes jouit d’un capital image indéniable.

• Un système de relations sociales encore peu mature

Malgré ses évolutions récentes, le système de représentation des salariés en Chine reste peu utile pour les entreprises occidentales, qui n’y décèlent pas de potentiel de régulation. De fait, le syndicalisme y joue un rôle atypique en comparaison des pays occidentaux. La conception harmonieuse de l’économie que défend le gouvernement chinois implique la minimisation, pour ne pas dire le déni, des conflits d’intérêts qui animent le capitalisme. Dit autrement, il ne saurait y avoir, dans un système de ce type, d’espace pour la négociation, celle-ci se justifiant par la rencontre d’intérêts plus ou moins opposés. Cette recherche de l’unité se traduit par un unilatéralisme fort en matière de production des normes sociales : c’est au gouvernement qu’il revient d’accorder de nouveaux droits sociaux aux salariés chinois – ce qu’il s’efforce, au demeurant, de faire depuis quelques années pour développer un marché économique interne, comme nous l’avons vu avec la législation de 2008 sur le contrat de travail. Reste que le syndicalisme

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chinois n’est pas porteur des aspirations des salariés, mais se présente plutôt comme un outil au service du gouvernement pour garantir l’effectivité de cette unité en contraignant les employeurs à respecter le droit du travail. Si les conflits sociaux croissent ces dernières années en Chine, ils ne concernent que marginalement des revendications de droits nouveaux. Comme l’indique le rapport 2010 de la Confédération syndicale internationale, les conflits du travail portent, dans la plupart des cas, sur des différends liés aux contrats de travail, aux arriérés salariaux, au paiement de certaines prestations et à la non-compensation des heures supplémentaires.

Aussi, les entreprises respectueuses du droit du travail et offrant même parfois des conditions de travail et d’emploi supérieures aux habitudes locales, comme c’est le cas des entreprises occidentales, connaissent une activité syndicale limitée. Quand celle-ci existe, elle se définit explicitement comme une part de l’action managériale, à l’image de cette entreprise française dans laquelle la représentante syndicale n’est autre que la responsable rémunérations et avantages sociaux de l’entreprise…

Cette faiblesse du système de relations apparaît comme un défi majeur pour les entreprises françaises, et surtout allemandes, habituées à la concertation et à la participation des salariés à la conception des process. D’autant que s’y ajoute la faible appétence des salariés chinois pour l’autonomie dans le travail. Alors que les managers occidentaux s’en remettent spontanément à la responsabilité des salariés pour adapter les process aux problématiques organisationnelles locales, les entreprises rencontrées sont confrontées à la tendance des salariés chinois à la stricte application des prescriptions.

Stratégies d’implantation, transfert technologique et soutien aux entreprises

• S’installer en Chine, une condition pour rester dans la « course économique » mondiale

L’étude conduite en 2008 avait permis de confirmer la typologie des enjeux d’implantation des entreprises françaises. Ceux-ci se distribuaient inégalement autour de quatre logiques dominantes : s’implanter sur le marché chinois pour accéder au plus grand marché du monde (1,340 milliard d’habitants) ; créer une base d’exportation à partir de la production à bas coût de main-d’œuvre ; rechercher des fournisseurs locaux permettant d’acheter des biens ou des composants à des prix compétitifs ; enfin, profiter des compétences locales pour développer une capacité d’innovation.

En 2011, le paysage de ces enjeux a évolué : les entreprises françaises, au départ réticentes, accélèrent l’implantation des métiers de recherche et développement (R&D) en Chine. Dans l’automobile, par exemple, où il est acquis que l’essentiel de la croissance du marché automobile mondial va venir de l’Asie, et particulièrement de la Chine, un constructeur comme PSA fait monter en puissance ses studios de style et bureaux d’études à Shanghai dans la perspective de doubler sa production sur place à moyen terme. Délocalisation de la R&D ou adaptation des produits au marché chinois ? Il est clair que, pour beaucoup

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d’industriels, rapprocher les activités de conception des activités industrielles pour analyser et satisfaire la demande locale est devenue une urgence.

Pour leur part, Veolia Environnement, Orange Labs ou Sodexo n’expriment pas autre chose quand elles mettent l’accent sur la nécessité de continuer à investir localement (même en l’absence de retour sur investissement rapide) pour tirer parti du panel de talents qui se développent en Chine dans leurs domaines, contribuer au développement global de l’entreprise en captant les innovations et, surtout, compter parmi les premiers acteurs à introduire et à structurer de nouveaux métiers (eau, propreté pour Veolia, restauration collective et facility management pour Sodexo) qui n’existent pas en Chine.

Du côté allemand, les enjeux semblent à la fois proches et différents. Si, à l’origine, l’implantation des entreprises allemandes a répondu à une stratégie de production à bas coûts, certaines entreprises potentiellement polluantes (pollution de l’air et de l’eau, transport et stockage de substances à risques) ou fortement consommatrices d’énergie ont cherché à échapper à une législation particulièrement contraignante en Europe (chimie, pharmacie, biologie notamment).

Mais une des caractéristiques spécifiques des entreprises allemandes étudiées demeure la conviction partagée par leurs dirigeants que les acteurs mondiaux majeurs dans leur secteur seront, dans les prochaines années, ceux qui auront fait les premiers le pari du développement en Chine. Pour ces dirigeants, seules les entreprises qui auront su intensifier leurs relations avec ce pays, dont dépend plus que jamais la future croissance mondiale, resteront dans la « course économique ». C’est la raison pour laquelle BASF n’a pas hésité à transférer en Chine un membre de son conseil d’administration. Pour Daimler, implanté en Chine depuis 2001, l’ambition est claire : conquérir le marché chinois. Alors que la Chine figurait au 14e rang des ventes réalisées par le groupe jusqu’en 2005, ce

pays constitue à présent le plus gros marché au monde de Daimler derrière l’Allemagne et les Etats-Unis.

Une autre caractéristique de la stratégie d’entrée des entreprises allemandes en Chine consiste à prendre en considération non pas le seul marché chinois mais celui de l’ensemble de l’Asie. Ainsi, au lieu de viser isolément chacun des marchés de la région, ces entreprises concentrent leur production dans un seul pays, ce qui leur permet de s’approvisionner dans les autres pays de la région ou d’y vendre leurs produits. La multiplication des accords bilatéraux ou intrarégionaux conclus par l’Allemagne au sein de la région Asie a considérablement fluidifié les échanges, ce qui incite les entreprises à y constituer des réseaux globaux d’activités – allant des achats à la distribution en passant par la production. Cette nouvelle approche globale du marché asiatique élargit la latitude d’action des entreprises tout en réduisant les risques, bien qu’elle s’accompagne de contraintes accrues en matière de veille et de planification stratégique. Quoi qu’il en soit, « les entreprises allemandes ont définitivement perdu cette naïveté avec laquelle elles s’engageaient en Chine voici seulement dix ans. Elles ont compris qu’il n’y a pas de recette miracle. Elles sont désormais conscientes qu’un tel engagement demande à être soigneusement planifié et qu’il requiert une solide analyse des

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risques en termes de coûts-avantages. Et que c’est sur cette base qu’elles doivent développer une stratégie originale pour s’installer en Chine6 ».

Mais ce qui caractérise par-dessus tout la comparaison France-Allemagne en matière d’implantation est la grande disparité des pratiques de soutien aux entreprises.

Les entreprises françaises installées en Chine, même si leur nombre est de cinq fois et demie inférieur à celui des entreprises allemandes sur le même territoire, ne travaillent pas en réseau et déplorent localement le manque de soutien en matière de services correspondant à leurs besoins (en conseil en GRH par exemple, alors que les cabinets de recrutement ou juridiques foisonnent). Le sentiment qui prévaut en Chine est qu’elles agissent seules, en relation avec leur direction Asie quand elle existe, ou avec leur seule maison-mère basée à Paris... Jean-Pascal Tricoire, président du directoire de Schneider Electric, qui a vécu en Chine, souligne cette lacune française. « Il faut aborder le marché en s’aidant les uns les autres… Beaucoup d’industriels se rendent en Chine en oubliant leur passeport. C’est une erreur, les Chinois associent une nationalité à une entreprise. Ils comprennent mal que nous venions en ordre dispersé. Il faut faire comme nos amis allemands, américains ou japonais et jouer collectif et partir groupés7. »

A la différence de la France, l’Allemagne s’est dotée depuis longtemps d’un dispositif conséquent d’accompagnement. La présence des entreprises allemandes en Chine est organisée, alors que celle des firmes françaises semble dispersée. Cette présence s’appuie sur un réseau de partenariats et de relais institutionnels très développé.

La représentation institutionnelle des entreprises allemandes passe par la chambre de commerce allemande en Chine, qui possède des bureaux de délégués à Pékin, Shanghai et Canton. Cette institution reflète l’engagement des grands industriels dans la coopération économique sino-allemande : elle est dirigée par le vice-président exécutif de Daimler AG et président de Daimler Northeast Asia Ltd., Ulrich Walker, qui compte parmi ses collaborateurs des représentants de la Lufthansa, de Siemens ou encore de Volkswagen. Les activités est-asiatiques des fédérations de l’industrie allemande (BDI), des chambres de commerce et d’industrie (DIHK), des banques (BdB) et du commerce extérieur et de gros (BGA) ainsi que les travaux de l’association spécialiste de l’Asie qu’est l’Ostasiatischer Verein sont par ailleurs coordonnées d’Allemagne depuis 1993 par le Comité Asie-Pacifique de l’économie allemande (Asien-Pazifik-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft, APA), avec à sa tête l’actuel président de Siemens, Peter Löscher.

OAV

L’association Ostasiatischer Verein (OAV) fut créée en 1900 par des « pionniers de l’Asie » : de grands commerçants des villes hanséatiques de Brême et de Hambourg. Née de l’initiative privée et indépendante de toute influence politique, elle conserve encore aujourd’hui sa mission d’origine, qui consiste à défendre les

6 M. Stärk, « Considérer la Chine avec le respect dû à un partenaire », Regards sur l’économie allemande, n° 87, 2008.

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intérêts des responsables économiques auprès de la sphère politique en Allemagne et en Asie. Ce réseau de plus de 500 entreprises fédère des entreprises de tous secteurs, réparties sur l’ensemble du territoire allemand. Il propose une offre d’expertise, d’accompagnement et de conseil à toutes les entreprises désireuses de s’implanter en Chine, notamment les PME industrielles du Bade-Wurtemberg, de Bavière, Rhénanie-Palatinat ou Rhénanie du Nord-Westphalie. L’association est l’un des membres fondateurs du comité Asien-Pazifik-Ausschuss (APA), plateforme des activités asiatiques des grandes fédérations professionnelles et des chambres de commerce allemandes.

Le soutien allemand aux entreprises s’installant en Chine est donc très tangible, et fait la différence avec la situation des entreprises françaises implantées également sur le sol chinois. Les German Centres de Pékin et de Shanghai, issus notamment de la coopération entre banques publiques, fédérations professionnelles et ministères, sont des lieux de contact mettant à disposition des entreprises des locaux commerciaux et des salles de conférences.

S’agissant de l’Union européenne, il n’existe pas de politique commune visant à élaborer une stratégie communautaire, et donc à renforcer l’implantation des entreprises dans ce pays, mais là aussi le lobbying allemand est très présent. La chambre de commerce de l’UE en Chine (EUCCC) joue un rôle-clé en matière de lobbying politique. Au sein de son conseil, de grandes entreprises allemandes sont représentées : ThyssenKrupp, Siemens, BASF, Deutsche Bank, Evonik, SAP, Volkswagen et Bayer. Son dernier président, Jeorg Wuttke, délégué général de BASF en Chine, est l’auteur d’un rapport retentissant sur l’environnement des affaires en Chine8, où il dénonce les difficultés grandissantes

que rencontrent les entreprises européennes tant en matière d’accès aux marchés, de transparence juridique et politique dans les décisions qu’au plan de la protection des droits de propriété. Comme acteur du lobbying institutionnel local, et en s’appuyant sur des cas concrets, la Chambre européenne de commerce encourage la Chine, dans ce rapport, à créer un environnement des affaires plus équitable pour tous les acteurs, rappelant que, si la Chine est importante pour l’Europe, l’Europe est encore plus importante pour la Chine, car elle est son premier partenaire commercial…

• L’innovation et le transfert de technologies : une approche différente de la globalisation

Depuis la fin des années 1990, la Chine se détache progressivement de son image de « premier atelier du monde » pour s’imposer comme une puissance en matière d’innovation et de recherche. Selon l’OCDE, les dépenses chinoises en R&D sont ainsi passées de

0,6% à 1,23% entre 1995 et 2004 (en pourcentage du PIB), tandis que le nombre de

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chercheurs a augmenté de 77% sur la même période. Loin d’être en retard, ni même « subordonnée » aux techniques occidentales (comme on l’imagine souvent, naïvement), la Chine est donc devenue, selon certains observateurs, une « terre de R&D » pour les économies étrangères, qui n’hésitent plus à y installer leurs pôles de compétitivité.

En matière de R&D, nous avons eu l’occasion de montrer que les objectifs de l’implantation en Chine ne se réduisent pas à une recherche de réduction des coûts. Il s’agit, d’une part, de composer des équipes de recherche qualifiées (à ce titre, le nombre de publications, de brevets, mais aussi d’étudiants en Chine, a fortement augmenté ces dernières années), et, d’autre part, de se positionner sur des marchés en expansion où sont susceptibles de naître de nouvelles pratiques et de nouveaux comportements de la part des consommateurs. Enfin, il s’agit aussi de bénéficier de l’« œil extérieur », en décalage, et potentiellement innovateur, que peut apporter une équipe de recherche travaillant à l’autre bout de la planète. Les secteurs qui investissent dans des pôles de R&D en Chine sont principalement ceux des hautes technologies (télécoms, équipements automobiles, transports et énergies…). L’étude précédente9 avait montrécombien l’implantation en Chine

d’activités de R&D d’entreprises telles que Orange et Schneider constituait une stratégie efficace dans leur démarche d’innovation.

Néanmoins, pour la plupart des entreprises d’origine européenne, la stratégie a plutôt consisté jusqu’ici à « retenir » les derniers développements technologiques pour ne pas avoir à les céder lors de l’installation en Chine. En clair, dans les domaines qui comptent aux yeux des dirigeants chinois pour accroître la montée en gamme de leur économie (aéronautique, défense, transports ferroviaires…), le modèle dominant visait à transférer à la Chine les technologies les plus « amorties » pour s’assurer la maîtrise de l’innovation et de l’avance en recherche et développement… Cette stratégie a été longtemps privilégiée par Alstom, notamment, qui, après avoir installé en Chine une équipe d’ingénierie dans le domaine des transports, l’a vite supprimée de peur de fournir aux équipes chinoises la maîtrise des nouvelles technologies développées en matière de transports ferroviaires et de signalisation : la politique de R&D d’Alstom voulait qu’il n’y ait aucun centre de R&D en Chine pour garder la mainmise sur le cœur de métier, un choix stratégique profondément ancré dans la culture de l’entreprise jusqu’en juillet 2010 (« nous ne sommes pas prêts mentalement »). Quand le transfert s’avère nécessaire, les produits développés font l’objet de définition de règles de protection de la propriété intellectuelle très précises pour chacune des parties de la joint-venture.

Dans le même temps, les constructeurs allemands et canadiens Siemens et Bombardier, qui ont adopté la stratégie inverse (c’est-à-dire l’acceptation du transfert), ont su gagner une position importante sur le marché chinois. Pour une entreprise comme Lesaffre, la question de l’opportunité du transfert de technologies n’est plus la vraie question.

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LesAffre : unspéciAListedeLAbOuLAngerieindustrieLLeen chine

Numéro 1 mondial de la levure de boulangerie, Lesaffre est une entreprise familiale originaire du nord de la France. Elle possède 48 usines dans le monde et est présente dans 19 pays pour un chiffre d’affaires de 1,2 milliard en 2010. Elle emploie 7 000 personnes.

Le groupe, installé depuis plusieurs années en Chine, a mis en place une stratégie très volontariste dès 2008, visant à conquérir le leadership sur ce marché et à mettre en place une plateforme pour l’export mondial. Le groupe considère que la Chine, qui ne représente aujourd’hui que 5 % de son chiffre d’affaires, servira avec l’Asie-Pacifique 25 % de l’activité avant la fin de la décennie. De fait, pour Lesaffre, la question du transfert de technologies ne se pose plus en termes d’acception ou de rejet.

Selon son président en Chine, Lesaffre en est déjà au deuxième stade du développement de l’innovation et du transfert de technologies.

Si la recherche fondamentale (qui travaille à l’identification de nouvelles souches de levure pour tout le groupe) demeure à Marcq-en-Barœul, l’entreprise a vite saisi la nécessité de faire du développement en Chine pour comprendre les besoins des clients au plus près des marchés, en mobilisant les équipes techniques et commerciales (au plan alimentaire, les 27 régions chinoises sont autant de marchés différents), pour continuer à se différencier de ses concurrents, pour développer et imposer son savoir-faire d’industrialisation, ses standards de qualité-produit respectueux des standards mondiaux. Lesaffre va même plus loin : les responsables de cette entreprise de taille intermédiaire par son chiffre d’affaires (ETI) sont convaincus qu’en étant présents en Chine, où existe un concurrent de taille respectable (Angel), l’entreprise a aussi accès à des savoirs spécifiques qui, combinés à ses propres actifs, sont sources d’avantages technologiques. Cet effet est d’autant plus fort que cette entreprise, comme on l’a vu, est en contact étroit avec l’environnement local.

Mais implanter un centre de R&D en Chine ne va pas de soi, comme nous avons pu le constater en analysant les perceptions des salariés chinois employés dans ces activités. C’est ce que nous avons observé, par exemple, chez Orange Labs. Quand on parle avec des ingénieurs ou des techniciens de ces centres de « R&D délocalisés », on est d’abord frappé par un sentiment de décalage.

Décalage entre vision de l’innovation de la maison-mère et vision chinoise, qui se manifeste par des incompréhensions. Ainsi, les chercheurs et ingénieurs se plaignent du peu de suite donné à leurs projets et propositions d’innovation. Les business models chinois n’ayant pas les mêmes conditions de réussite que les business models européens, il leur paraît plus difficile de convaincre et d’argumenter du bien-fondé d’un projet de recherche ou de développement. De plus, les modes d’organisation du travail privilégiés, à base d’équipes matricielles dans lesquelles les différentes parties prenantes d’un projet se trouvent séparées par des distances

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processus de décision. Décalage aussi entre vision de la compétence de la maison-mère et vision de la compétence en Chine. Pour nombre d’ingénieurs chinois rencontrés, la recherche et l’innovation sont devenues courantes dans les entreprises chinoises et s’imposent comme une pratique locale affranchie des savoir-faire occidentaux. Le plan quinquennal chinois 2006-2010 pour les sciences et technologies constitue à cet égard un investissement d’importance destiné à hisser la Chine au rang de nation technologique.

Du côté allemand, la position à l’égard du transfert de technologies diffère sensiblement de celle des entreprises françaises. Malgré le risque bien réel de transferts illégaux, l’Allemagne a misé de manière relativement précoce sur la coopération scientifique et technologique avec la Chine, concrétisée par la signature, en 1978, d’un accord gouvernemental bilatéral. L’année suivante, la Chine et l’Allemagne décident de mettre en place un échange sur le système normatif allemand (DIN) : les voyages diplomatiques de spécialistes techniques et représentants économiques se multiplient, de sorte qu’au fil du temps de nombreux standards sont adoptés en Chine sur le modèle allemand. Un nouveau mode de coopération sur projets est mis en place, relayé bientôt par une coopération institutionnelle qui aboutit à la création de centres de recherche binationaux en 2004 et 2005. Le ministère fédéral de la Formation et de la Recherche travaille ainsi en partenariat avec le ministère chinois de la Science et de la Technologie ainsi qu’avec le ministère chinois de l’Education.

Outre la collaboration scientifique intergouvernementale, les organismes de recherche allemands extra-universitaires de droit privé à but non lucratif ont développé une coopération directe avec leurs partenaires chinois : ainsi, le Centre sino-allemand pour la promotion de la recherche (Deutsch-Chinesisches Zentrum für Wissenschaftsförderung), géré conjointement par la Fondation allemande pour la recherche (Deutsche Forschungsgemeinschaft, DFG) et le National Natural Science Foundation of China a vu le jour à Pékin. Les instituts Fraunhofer ont ouvert par ailleurs deux centres de recherche en partenariat avec le High Technology Research and Development Center de l’université d’astronautique et d’aéronautique de Pékin : le Sino-German Joint Software Institute (JSI) à Pékin et le Sino-German Mobile Communication Institute (MCI) à Berlin. L’Institut Max-Planck a, quant à lui, créé en 2005 un centre de Computational Biology à Shanghai, en collaboration avec l’Académie chinoise des sciences. La Communauté Leibniz œuvre depuis 2004 à la mise en place d’un réseau reliant entre eux ses propres instituts, des instituts de recherche chinois et des partenaires industriels, afin de pouvoir isoler, caractériser et expérimenter des substances biologiques actives issues des plantes de la médecine traditionnelle chinoise. Enfin, les centres Helmholtz travaillent conjointement avec un réseau étendu de grands établissements chinois, notamment en matière d’environnement, de santé et d’énergie.

Il est significatif que nombre d’entreprises allemandes considèrent aujourd’hui la Chine comme un marché d’importance stratégique. Selon elles, c’est, entre autres facteurs, de la réussite du positionnement sur ce marché que dépendra l’évolution de l’économie européenne. Cela est particulièrement vrai eu égard à la rapidité fulgurante des progrès technologiques réalisés par la Chine, qu’ils soient le résultat d’un effort d’innovation propre ou d’un transfert de technologies imposé. La présence d’entreprises allemandes sur le marché chinois est dès lors impérative pour préserver la compétitivité de l’Allemagne et de l’Europe, ainsi que pour participer au développement de standards conjoints.

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