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L'autosabotage comme mode d'être adolescent

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Academic year: 2021

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Submitted on 24 Mar 2017

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Philippe Givre

To cite this version:

Philippe Givre. L’autosabotage comme mode d’être adolescent. Adolescence, GREUPP, 2004, At-taques du corps. �hal-01494783�

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L’autosabotage comme mode d’être adolescent

A propos des conduites d’autosabotage dans l’œuvre Ph. Jeammet

Philippe Givre

Consacrer un numéro à l’auto-mutilation imposait à l’évidence de revisiter la notion d’auto-sabotage développée par Ph. Jeammet, ne serait-ce que pour faciliter au lecteur, le repérage des divergences et convergences conceptuelles entre ces deux notions. Cela suppose dans un premier temps de reprendre les acceptions que l’auteur donne à la notion d’autosabotage, mais plus fondamentalement encore, de préciser si, au-delà d’une approche psychopathologique et phénoménologique, l’accent porté par Ph. Jeammet sur les conduites d’autosabotage ne lui donne pas l’opportunité de révéler certains aspects majeurs de l’économie psychique ainsi que de la fantasmatisation adolescentes.

En effet, si plusieurs propositions conceptuelles s’avèrent déterminantes dans le corpus métapsychologique qu’il initie, on pense par exemple à la notion d’espace psychique élargi1, à

celle d’écart narcissico-pulsionnel2, ou encore à celle de fantasme d’englobement3, la

description et la modélisation des conduites d’auto-sabotage recèlent, à notre sens, non seulement une pertinence clinique mais également une portée métapsychologique des plus féconde pour l’approfondissement des processus adolescents.

1 Ph. Jeammet, Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence,

Revue Française de psychanalyse, 3-4, pp.481-521.

2 « Nous appellerons écart narcissico-pulsionnel le chemin que l’adolescent a à parcourir pour reprendre à son

compte les fonctions de régulation de l’estime de soi et d’étayage tant anaclitique que narcissique qui sont largement le fait des parents jusqu’à l’adolescence. » Ph. Jeammet, Du familier à l’étranger. Territoire et trajets de l’adolescent », Neuropsychiat. Enf. et Ado., 1983, 31, 8-9, 361-381, p.369.

3 Ph. Jeammet note la prégnance dans des formes nouvelles de pathologies « d’un type de fantasme inconscient

qu’il qualifie de fantasme d’englobement sujet/objetavec une possible inversion contenant/contenu. On ne sait plus alors qui, du sujet et de l’objet englobe l’autre. Une représentation métaphorique de ce fantasme peut être donnée par les poupées-gigognes. Celles-ci s’emboitent l’une dans l’autre en un processus asymptotique, chacune étant l’exacte reproduction de l’autre sans cependant qu’elles puissent se confondre et être réductibles l’une à l’autre. Chacune conserve son individualité, n’est pas pénétrée par les autres, avec une autonomie potentielle, mais toujours limitée par la possibilité d’être sous la coupe d’une plus grande. On le voit, une telle représentation offre un modèle où les relations intersubjectives sont à la fois différentes d’une véritable altérité où la différence et la séparation seraient clairement représentées ; mais aussi des phénomènes d’interpénétration comme dans l’identification projective ; et de la relation en miroir du face-à-face narcissique. »

Ph. Jeammet, Actualité de l’agir, à propos de l’adolescence, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1985, XXXI, 201-222, p.214.

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Dans un souci de clarification, précisons tout de suite que les conduites d’autosabotage ne concernent pas une symptomatologie bruyante (en positif), mais bien davantage une symptomatologie où la passivité affichée, le retrait, le désinvestissement, plus ou moins teinté de négativisme dominent. Elles participent donc de conduites négatives (attaque du corps propre, échec scolaire, conduite d’opposition relationnelle, etc.) que l’on retrouvent fréquemment dans les différentes formes de toxicomanie, les troubles du comportement alimentaire, voire dans les tentatives de suicide. Sur un plan psychodynamique, ces conduites vont refléter le maintien d’une situation de dépendance et traduire un échec partiel des processus psychiques internes à aménager la relation. Dès lors, « elles acquièrent des

fonctions économiques multiples :

- Elles constituent un néo-langage entre l’adolescent et son entourage qui occupe une place

de plus en plus importante dans les échanges au détriment des autres modalités ;

- Elles ont une fonction de tiers médiateur entre l’adolescent et ses objets d’investissement ; - Elles deviennent sa chose et sa création, ce qui lui appartient en propre, ce qui met les

autres en échec, ce qui est le plus à lui, et finalement acquièrent le statut d’une néo-identité qu’ils ont auto-généré en un mouvement parthénogénétique négateur du rôle des parents et de la scène primitive. »4

Evoquer la création d’un néo-langage, assimilé à un langage comportemental revient à dire que les sujets concernés délaissent les registres plus secondarisés et objectalisés pour remplacer le lien objectal par des sensations. En d’autres termes, pour suppléer à une absence qui crée une détresse impensable, le sujet, avant tout soucieux de maintenir une continuité du sentiment d’existence, va s’autostimuler par le biais de sensations mécaniques, répétitives, sans plaisir, voire violentes et douloureuses (l’orgasme de la faim dans l’anorexie mentale, le besoin de se sentir remplie et de pourvoir contrôler la possibilité de se vider dans la boulimie, comme la recherche de flash pour se sentir exister ou la recherche du manque pour sentir sa continuité chez le toxicomane sont ici exemplaires de cette quête de sensations).

Par ailleurs, si elles sont constitutives d’une néo-identité cela nous laisse supposer que les conduites d’autosabotage cherchent à contrecarrer un trouble du sentiment d’identité et une atteinte de la cohésion ou des limites du moi. L’importance du mouvement régressif

4 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

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déclenché par les processus pubertaires ramène le fonctionnement psychique au plus proche d’un fonctionnement archaïque, tel qu’il a pu être décrit par A. Green, c’est-à-dire à un registre qui correspond « à un processus de perte des acquis et de différenciation qui menace

l’intégrité du Moi, ses limites et les moyens dont il dispose pour maintenir les différences nécessaires à son existence en tant qu’organisation fonctionnelle. »5

A un niveau intrapsychique toujours, il convient, pour appréhender les mécanismes qui sous-tendent l’irruption de ces conduites, de reprendre la question de l’auto-érotisme6 et de ses

destins. L’importance octroyée à la composante auto-érotique s’explique en partie par ce que Ph. Jeammet nomme « l’état de crise »7 de l’adolescent avec ses objets tant internes qu’externes ; dans l’incapacité de réguler la distance à l’objet, l’adolescent oscille sans cesse entre « attraction objectale » (Racamier) et craintes « d’agressions objectales » (Angelergues). S’il existe donc une propension naturelle chez l’adolescent à se replier sur l’activité auto-érotique, le mouvement régressif peut être tel que ce passage de l’objectalisation à l’auto-érotisme aboutisse à une forme d’autosadisme, évidemment impliqué dans les conduites d’autosabotage. L’ampleur de cette régression sera à apprécier en fonction de trois destins singuliers de l’auto-érotisme :

- le premier est celui de l’auto-érotisme solidement ancré sur des zones érogènes bien différenciées. Concernant ce destin, Ph. Jeammet dira qu’au « fond, l’auto-érotisme réussi

va être un auto-érotisme silencieux… Cet auto-érotisme autorise des processus d’intériorisation peu conflictuels facilitant les identifications et le travail de la représentation ainsi que l’émergence d’un fonctionnement génitalisé. »8

- le second est celui de l’auto-érotisme éclaté de la psychose ; c’est-à-dire une configuration beaucoup plus bruyante et particulièrement aliénante pour le sujet, dans la mesure où la frénésie de jouissance – qui émane des pulsions partielles morcelées – cherchera à combler les lacunes et les trous de l’étayage primaire indispensable à la constitution de l’auto-érotisme.

5 Ph. Jeammet, Notes sur le processus de pensée et le relation d’objet, Adolescence, 1991, 9,1, 83-90, p.88. 6 Sur cette question, Ph. Jeammet se rallie aux thèses de J. Laplanche qui postule que l’objet est présent dès

l’origine de l’auto-érotisme (en référence à la théorie de la séduction généralisée et au rôle central de l’étayage de la sexualité sur la satisfaction du besoin).

7 Ph. Jeammet, Du familier à l’étranger. Territoire et trajets de l’adolescent », Neuropsychiat. Enf. et Ado., 1983,

31, 8-9, 361-381, p.375.

8 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

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- Le troisième enfin est celui de l’auto-érotisme pétrifié ou perverti ; ce destin spécifie bien les mécanismes en jeu dans les conduites d’auto-sabotage. De fait, cette variante a comme point d’aboutissement le passage de l’activité auto-érotique à une activité d’autosabotage gouvernée par l’autosadisme (selon l’expression de J. Gilibert), lui-même associé à la pulsion d’emprise. Dans ce cas de figure, l’auto-érotisme accompagne le repli fantasmatique, en devenant une source et un facteur d’entretien d’une position masochiste9. « Mais ce mouvement de repli prend facilement un caractère régressif de

plus en plus marqué, entraînant une indifférenciation et une condensation des imagos. Le mouvement auto-érotique peut perdre ses liens fantasmatiques, comme son ancrage dans les zones érogènes et, se désobjectalisant, devenir purement machinal et autodestructeur, comme ce fut décrit dans l’anorexie mentale par E. Kestemberg. »10

Dans cette optique, les troubles du comportement adolescent, ceux marqués du sceau du négatif, sont d’abord appréhendés en rapport avec des liens archaïques qui auront permis ou non une bonne différenciation des imagos. On retrouve là l’une des hypothèses princeps de Ph. Jeammet, celle d’espace psychique élargi qui rend compte de la dialectique singulière qui s’instaure à la puberté entre temporalité et spatialité. En effet, la puberté et son facteur potentiel de dédifférenciation opère pour l’essentiel un travail de condensation temporel, inhérent aux effets de l’après-coup, qui amène l’adolescent à être tenter « de répondre par une

utilisation de l’espace, c’est-à-dire de l’agir, de la distance, et d’essayer de retrouver une maîtrise dans l’espace face à la perte de cette maîtrise par rapport à la temporalité »11. Pour le reformuler en des termes qui seraient plus proches de nos développements, nous dirions que l’auto-érotisme silencieux est le signe d’un impact pubertaire moindre dans la mesure où les effets de dédifférenciation s’avèrent ténus et ne viennent que très modérément mettre à mal la temporalisation psychique de l’adolescent. A l’inverse, les manifestations bruyantes d’un auto-érotisme convoqué par le traumatisme pubertaire attesteraient d’une dédifférenciation massive qui entraîne un travail de condensation du monde interne, c’est-à-dire une condensation entre l’infantile et le pubertaire ; entre l’imago maternelle et l’imago paternelle ;

9 « Le retournement contre soi ouvrant tout le champ du masochisme est un des moyens de conserver le lien avec

l’objet. la solution masochique s’impose au Moi comme un compromis toujours possible « à portée de main » pourrait-on dire quand le moi est menacé de débordement. »

Ph. Jeammet, Les liens, Fondements du sujet, De la contrainte au plaisir, Adolescence, 40, 20, 2, 227-239, p.236.

10 Ph. Jeammet, Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence,

Revue Française de psychanalyse, 3-4, pp.481-521, p.513.

11 Ph. Jeammet, Psychopathologie des conduites de dépendance et d’addiction à l’adolescence, Cliniques

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entre Surmoi et Idéal du Moi, entre problématique oedipienne et prégénitale ; et enfin entre problématique narcissique et objectale.

L’ensemble de ces propositions autour de l’auto-érotisme recoupe et s’étaye sur la théorisation du Soi que propose E. Kestemberg. En effet, en tant que première configuration organisée de l’appareil psychique, le Soi est défini, par elle, comme organisateur auto-érotique (qui contient l’objet sans que celui-ci y soit représenté ou figuré comme distinct). « Le Soi représente la continuité narcissique du sujet au sein d’un maniement auto-érotique

où l’objet, non représenté en tant que tel ni perçu, se trouve inclus en quelque sorte « en pointillé » et peut constamment être manié par le sujet. »12 On comprend donc que ce sont les assises du soi et la continuité narcissique qui vont être interrogées à l’adolescence puisque cette dernière va mettre à jour les failles de la constitution du soi et de l’auto-érotisme. « Ainsi

l’adolescence, en éveillant les conflits objectaux, révèle les insuffisances des processus d’intériorisation et le maintien de relations de dépendance, sollicitant le recours à l’auto-érotisme pour préserver la continuité du sujet et de ce fait en accusant les fragilités. »13 Les troubles du comportement de type addictif sont assez caractéristiques de cet auto-érotisme partiellement empêché14 ou perverti qui coupe le sujet de « ses sources objectales de

réapprovisionnement narcissique »15. De cette manière, plus la compulsion addictive

s’accélère et se répète, plus la dimension libidinale et le lien objectal s’amenuisent. L’auto-érotisme positif laisse la place à un auto-L’auto-érotisme négatif où la capacité de rêverie se dégrade pour laisser la place à un fonctionnement où les sensations de vide accaparent la scène psychique, au détriment des liens objectalisés. Ce phénomène de désobjectalisation induit du même coup un effet mortifère et assure de cette manière le progressif triomphe du narcissisme de mort sur le narcissisme de vie, c’est-à-dire le triomphe d’un auto-érotisme mortifère foncièrement anti-objectal, responsable d’une activité anti-introjective et anti-dépressive (dans la mesure où tout vécu dépressif serait synonyme d’effondrement).

12 E. Kestemberg, La relation fétichique à l’objet, Revue Française de Psychanalyse, 1978, 2, p.195-214, p.211. 13 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

1990, pp. 53-79, p.75.

14 Les thèses de Ph. Jeammet sont ici proches de celles développées par P. Fédida qui énonce : « Il est

certainement difficile de concevoir pour l’instant ce que signifie un auto-érotisme empêché. Mais s’il s’agit de véritables catastrophes survenues au début de la vie, ayant détruit la capacité imaginaire d’un cercle auto-érotique de la forme et affectant du même coup la ressource des moyens d’un soi et de ses défenses, y compris immunitaires, la perception – pour ainsi dire en abyme – de ces catastrophes est partiellement possible dans les tentatives de l’enfant pour se « donner » un organisme par autosensualité. »

P. Fédida, Auto-érotisme et autisme. Conditions d’efficacité d’un paradigme en psychopathologie, Revue Internationale de Psychopathologie, n°2/1990, pp.395-414, p.401.

15 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

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Incidences cliniques et thérapeutiques

Si l’adolescent est comme le dit Ph. Jeammet sommé de faire ses preuves, notamment « en

agissant et actualisant ce qui n’étaient que des potentialités dont la réalisation pouvait jusqu’alors être aisément différée », les conduites d’autosabotage témoigneraient davantage

d’un mode d’être adolescent qui tente de faire la preuve d’une existence subjective à un moment où la sauvegarde de l’identité et de ses limites est menacée d’engloutissement, d’aliénation, d’extinction ! Pour y parvenir, ce mode d’être s’étaye sur une sorte « d’auto-érotisme compensateur »16 qui se développe à la place, voire contre le lien objectal, donc sans pouvoir de liaison et de libidinisation ; il s’agit donc d’un mode d’être mortifère qui évite les émotions pour mieux éviter la rencontre avec les motions désirantes.

« Notons à ce sujet combien la relation de plaisir peut être difficile à supporter par

l’adolescent, dans la mesure où elle est reconnue et plus encore partagée. Le plaisir déborde la vigilance du Moi et dissout les frontières… A l’opposé, la relation masochique et la souffrance maintiennent les frontières et contrôlent l’objet. »17 On sait en effet que le

paradoxe du mauvais objet repose sur son indestructibilité qui lui permet de rester toujours disponible et donc de garantir au sujet sa propre permanence. Il est important toutefois de bien différencier ce qui serait de l’ordre du plaisir pris dans une relation objectale présente dans le fantasme et ce qui s’apparenterait davantage à la recherche compulsive d’une jouissance qui vise à substituer la sensation au plaisir objectalisé. Cette quête de jouissance, via la sensation, serait bien le propre du processus qui sous-tend les conduites d’auto-sabotage ; une jouissance aux antipodes du plaisir partagé.

De cette manière, ces sujets s’émancipent de la dimension conflictuelle pour être davantage dans une problématique du lien objectal, celui-ci étant maintenu, contrairement à ce qui se passe dans les désordres autistiques ou psychotiques, « mais au prix d’une altération de la

trame narcissique qui demeure en quelque sorte trouée, les trous étant occupés par les objets externes, maintenant une confusion partielle entre le sujet et ses objets primaires »18. Loin

16 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

1990, pp. 53-79, p.56.

17 Ph. Jeammet, Du familier à l’étranger. Territoire et trajets de l’adolescent », Neuropsychiat. Enf. et Ado., 1983,

31, 8-9, 361-381, p.376.

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d’être anodin, ce constat va infléchir considérablement les modalités de prise en charge de ce type de patient. En effet, avec ce type de patient, le travail d’élaboration psychique aurait d’abord pour finalité de « leur permettre de redevenir disponibles à ce qu’il y a de plus

tendre, de plus vulnérable »19 en eux, c’est-à-dire de solliciter ce que leur comportement a pour but de réprimer. Pour rendre plus accessible, le lien de l’adolescent à sa propre sphère émotionnelle, il n’est pas possible d’emblée, de les interpeller directement au niveau du langage fantasmatique, car ce serait nier le besoin qu’ils ont de cette mise en acte pour pouvoir s’exprimer.

Certes, il convient d’intervenir au plus tôt, pour éviter que l’adolescent ne cède à l’attrait des conduites négatives, pour freiner le mouvement de repli auto-érotique et de désobjectalisation, et pour tempérer les conséquences dénarcissisantes des conduites d’autosabotage qui ne manqueront pas d’entamer l’estime de soi. Longtemps en effet, une certaine appétence objectale demeure et il importe que d’autres soient porteurs d’une demande qu’ils ne peuvent prendre à leur compte. « L’image qui me vient à l’esprit pour décrire le fonctionnement de

certains de ces adolescents est celle d’un collapsus de l’espace psychique interne, qui a perdu le caractère différencié de ses structures et de ces composantes ainsi que les possibilités de jeu entre elles. Mais tels les contenus de sachets surgelés sous vide, il suffit d’y insuffler un peu d’air et de chaleur pour que les productions psychiques retrouvent leurs formes et que ce qui apparaissait monobloc et indifférencié s’avère de composition complexe et riche en nuances. »20 Il existe bien une note d’espoir, dans la mesure où pour faire face au monolithisme de l’imago interne, qui découle d’une régression massive jusqu’à la phase auto-érotique, l’aménagement d’un espace psychique élargi va favoriser l’organisation d’une « véritable circulation psychique extra-corporelle »21 qui dès lors octroie un rôle déterminant à l’environnement et aux objets externes.

L’impact de la réalité externe, en tant que support de projections, va être essentiel pour introduire une dynamique nouvelle, puisque la réponse de l’objet externe sera en mesure de corriger les projections en question. L’enjeu est de taille puisqu’il engage la possibilité d’une véritable remaniement de l’auto-érotisme à l’adolescence, dans le sens d’un remaillage et

19 Ph. Jeammet, L’approche psychanalytique des troubles des conduites alimentaires, Neuropsychiatrie de

l’enfance, 1993, 41 (5-6), p.244.

20 Ph. Jeammet, Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris, PUF,

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d’une consolidation du Soi ou à l’inverse dans le sens d’une détérioration du Soi. Il convient toutefois que l’influence de la scène externe sur la scène interne se fasse sentir avant que le pouvoir d’autorenforcement des conduites d’autosabotage n’exerce une emprise trop radicale sur la psyché. De fait, leur propension à s’autorenforcer confère à ces conduites le pouvoir de s’ériger en mode d’être au monde ; un mode d’être adolescent où le « trop d’auto-érotisme » présente le risque d’instaurer et d’installer « le goût de la déréliction, l’excitation de la

déréliction »22, en lieu et place de la dynamique désirante.

21 Ph. Jeammet, Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence,

Revue Française de psychanalyse, 3-4, pp.481-521, p.494.

22 E. Kestemberg, Installation dans l’âge adulte et auto-érotisme, In Devenir « adulte » ? (ouvr. Coll.), Paris,

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Résumé

Au-delà d’une simple conduite psychopathologique, l’autosabotage, dans l’acception que lui donne Ph. Jeammet, reflète le maintien d’une situation de dépendance et traduit un échec des processus psychiques internes à aménager la relation. Ainsi, via ce langage comportemental ou néo-langage, l’adolescent cherche à créer une néo-identité capable de compenser le déficit des processus d’intériorisation et cherche du même coup à juguler la présence de failles narcissiques que les processus adolescents auront mis à jour par la quête de sensations.

L’autosadisme sous-jacent à l’autosabotage repose de fait sur une sorte « d’auto-érotisme compensateur » qui est aussi un auto-érotisme pétrifié ou perverti pour devenir, comme dans les addictions, purement machinal et autodestructeur en favorisant notamment la désobjectalisation. Le risque inhérent à cet autoérotisme mortifère réside dans le pouvoir d’autorenforcement de ces conduites qui vont alors s’ériger en mode d’être ; un mode d’être qui instaure le goût de la déréliction en lieu et place de la dynamique désirante.

Mots clés

Auto-érotisme ; autosabotage ; désobjectalisation ; langage comportemental, néo-identité.

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