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La domination dans le théâtre de Molière /

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Texte intégral

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·~r.~··--~··-··.-LA DOMINATION DANS LE THEATRE DE MOLIERE A thesis submitted to

The Facul ty of Graduate Studies and Research McGill University

in partial fulfilrnent of the requireJœnt for the degree of

Master of Arts

by

Normand Truchon

Departrnent of French Language

and Literature

®

Normand Truchon 1966

April 1966

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La domination dans le thégtre de Nolière

by

Normand Truchon

Abstract

Si nous étudions l'histoire de la France, nous

l'eIIléII''-quons que le XVllième siècle est envahi par un puissant souffle de domination. Cette domination ne se retrouve pas uniquement sur le plan social, mais elle influence énormément la

littératu-re de l'époque. C'est ainsi que ce thème preoccupe les grands

classiques et se manifeste dans leurs oeuvres. Molière ne fait

pas exception. Il se limite cependant à traiter de l'injustice

de la domination, qu'il condanne par une violente satire. L'

au-teur étudie, nous le voyons à l'aide de quatre pièces, cette

do-mination injuste sous ses aspects les plus divers et à tous les

niveaux de la société. Le Misanthrope peint la haute société et

les essais de domination de ses membres; Dom Juan critique le

li-bertinage qui veut s'imposer aux hommes et contre Dieu; Tartuffe attaque l'emprise des faux dévots sur les faibles et les abus de l'autorité paternelle; L'Ecole des Femmes s'élève contre l'éduca-tion mal orientée des jeunes filles et le pouvoir incontesté du

ma-ri sur sa ferraœ. Bien que les personnages réusslssent plus ou llOinS

à s'imposer un certain temps, leur pouvoir est voué à l'échec. Si

Molière satirise la domination injuste, c'est qu'elle est contre-nature et contre une société bien ordonnée. Et, selon Bergson,

tout écart de la société engendre le rire, car il crée la distance

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TABLE DES MATIERES

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IN'l'ROoocrroN ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• l

CHAPITRE l - Le Misanthrope •••••••••••••••••••••••••• 9 CHAPITRE II - Dan Juan •••• 0 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 20 CHAPITRE III - Tartuffe •••••••••••••••••••••••••••••• 30

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CHAPITRE IV - L'Ecole des Femmes ••••••••••••••••••••• 43

.... J, CONCllJSION ••••••••••••••••••••••••••••• ,... 55 BIBLIOOAAPFiIE ••••••••••••••••• $ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 67 1:· , , , " " (, ~ \ ; t·,. ( i l 1·, , , f [ .--1" ~

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INTRODUcrION

Goethe nous livte par la bouche de son Faust une consta-tation intéressante sur la part que tient la société dans l'oeuvre d'un écrivain: l'oeuvre ne reflète pas la société du temps en elle-même, mais elle présente la visim que s'en fait l'auteur et ses re-lations envers elle. Si nous considérons la littérature sous cet angle, nous rem3.I'quons que Molière se confonne à cette regle. Il réagit contre les JOOeurs de son époque en les satirisant par la co-médie. Nous verrons brièvement quelle était la société du XVlIièrre siècle qui entourait Molière et comment il l'a ridiculisée. Dans ce travail, nous nous proposons d'étudier plus particulièreIœnt un des abus que l'on trouve condamnés à travers son oeuvre: la domina-tion.

Molière traite constamment la domination et l'envisage sous toutes ses fonnes. Les personnages principaux de ses canédies semblent exercer un empire presque absolu sur ceux qui vivent autour d'eux, et cet empire se diversifie dans une variété de facettes re-rrarquables. Il suffit de penser à Philaminte, Tartuffe, Harpagon, Argan, Monsieur Jourdain, pour voir se profiler la domination des mégères, des dévots, des pères égoistès, des névrosés et des méga-lornanes. Cette constante est révélatrice. Elle témoigna d'un mal

répandu à cette époque, n'étant pas seulement évident chez Molière, mais qui semble avoir rrarqué tous les auteurs du classicisrœ. l1erne

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les grands tragiques Corneille et Racine, tournés vers l'antiquité et ne puisant pas dans la société leur inspiration, suivent le cou-rant de cette influence. Ce thème se manifeste sur des registres fort différents chez ces deux génies.

Chez Corneille, la domination, d'ordre rooral, est pré-sentée conme une force légit:iJre, voire bienfaisante. Aussi Rodri-gue, par son prestige désormais incontesté, arrive-t-il à trianpher de tous les obstacles que lui oppose le sort, à réconcilier honneur et devoir, à vaincre ses ennemis, et à emporter l'admiration. C'est bien par l'admiration que le héros cornélien parvi\mt à en imposer

à tous. Enilie avait beau comploter l' assasinat d'Auguste: au

mo-Jœnt où elle se rend compte de la supériorité de celui-ci, sa haine

la quitte, elle s'incline avec joie devant cette grandeur d'âne et reconnatt son tort. Pareil phénooène se rencontre dans Nicodème, et même plus explicitement. Nicodème n'a même pas besoin, comne

R0-drigue et Auguste, ces héros "en devoir", de faire preuve de sa grandeur: il suffit d'opposer à ses ennemis un refus :imperturbable

et ironique pour que tous se rangent sans protester sous son auto-rité. Enfin, ~.nice (dans Tite et Bérénice), loin d'être l'hé-ro!ne éplorée de Racine, tient tête au peuple et au sénat romain, leur impose sa volonté et leur arrache l'autorisation d'épouser ce-lui qu'elle a:iJre. C'est de son plein gré qu'elle refuse un mariage qui serait contre le bien public, détruisant ainsi consciemment son bonheur. Elle part librement, personne n'ayant su la contraindre. Elle domine la situation où elle se trouve, les autres personnages,

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et jusqu'au sénat lui-même, ce sénat qui chez Racine est présenté comme doté d'une puissance quasi divine.

Chez Racine, la domination, d'authentique et admirable qu'elle était chez Corneille, devient illégitime et fausse. Non plus la domination, reis la volonté de la danination, la volonté de la contrainte. Pyrrl1us veut contraindre A'1dromaque qui, honnête fem-ne pourtant, doit avoir recours à la ruse et la coquetterie pour sauver son honneur. Néron cherche à s'imposer à Junie, se repaît du spectacle de son trouble et de sa terreur. Roxane, abusant de son pouvoir

à

peine légal, veut fo:rœr la rein de Bajazet, lui

im-poser un parti qu'il déteste. Partout dans l'oeuvre de Racine, nous constatons qu'un personnage que sa situation et non son carac-tère place dans une position d'autorité, veut obliger un autre personnage à se soumettre, à s'humilier. Cette autorité est arti-ficielle, non authentique: la personne de l'être légalerœnt infé-rieur peut être contrainte, reis non sa volonté. La tentative de domination chez Racine, qui est un acte de faiblesse et non de for-ce, échoue. Il en sera de même chez Molière, où la velléité, la déception de soi, se déguise ~ous le resque de l'autorité,

cher-chant à s'imposer, à dominer, et ne réussissant pas.

Le thèrœ de la danination n'est pas réservé au théâtre. Nous le retrouvons aussi dans la prose, dans les sennons de Bos-suet et surtout dans ses oraisons funèbres, qui en sont forterœnt imprégnées. La danination revêt ici l'aspect du pouvoir que Dieu a sur les hommes. Dans la conclusion de son Histoire universelle,

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Bossuet écrit: "Mais souvenez-vous, Monseigneur, que ce long enchaî-nement des oauses particulières, qui font et défont les empires, dé-pend des ordres secrets de la divine Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ••• C'est pourquoi tous ceux qui gouvernent se sentent assujettis à une force majeure."

Tous ces exemples, qui ne sont que les effets, illustrent l'attitude et la réaction de l'auteur à l'égard de son milieu, qui est la cause.

En

effet, le XVllième siècle est le siècle de l'ab-solutisme par excellence. La société est hiérarchisée et l'autori-té incontesl'autori-tée du roi se reflète à tous les degrés, jusqu'au der-nier bourgeois. Voyons, dans le contexte historique, les différents visages qu'emprunte la domination.

Il semble que ce phénomène aurait des origines d'ordre politique. A l'avènement de l'autorité absolue de la monarchie dans le royaume de France, a précédé une longue suite de tentati-ves pour briser la puissance des féodaux. Les grands rois du Moyen Age, Philippe Auguste, saint Louis, Philippe le Bel et Louis XI,

s'appliquèrent à cette tâche avec énergie et patience, affirmant ainsi leur droit. Le roi de France était "oint du Seigneur" et le sacre, un quasi sacrerœnt, l'élevait au-dessus du caramm des hamnes pour finalement le constituer arbitre non seulement des lois, mais de la IOOrale mêrœ. Et plus tard, quand la monarchie fut définiti-vement établie, désobéir au roi était équivalent à COlliœttre un pé-ché. Mais il y eut sous Henri III une péri:xl.e de déclin et ce n'est qu'avec Richelieu que l'autorité royale put reprendre son

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tion vers l'absolutisme. André Lévêque, dans son Histoire de la

ci-vilisation française, obseI'Ve: "On ne peut nier que le dur canHnal ait été un ministre d'une extraordinaire énergie, et un grand honvre d'Etat, selon les idées de son temps. En affaiblissant la Maison d'Autriche, il assura la prepondérance de la France en Europe; en brisant la puissance politique du parti huguenot, en ranenant la no-blesse à son devoir, c'est-à-dire à l'obéissance, i l prépare le

re-gne du Grand Roi. Après la mort de Richelieu, les forces hostiles au pouvoir absolu -- grands seigneurs et parlementaires -- se sou-levèrent une dernière fois et firent la Fronde; mais il était trop tard pour ~ter les progres de la monarchie vers l'absolutisJœ". (1) Louis XIV ne se contenta pas de régner, il voulut gouverner. Concernant la puissance du Roi Soleil, Lévêque conclut: "La loi était l'oeuvre du souverain et l'expression de sa volonté: Si veut le Roi, si veut la loi ... " (2).

Carme nous l'avons déjà rerrarqué, le pouvoir du roi qui visait à l'ordre par l'autorité s'étendait à la morale et il y eut bientôt des répercussions sur ce plan. La société du "grand siè-cle" est calquée sur les conditions politiques. C'est une société aristocratique qui a les yeux fixés sur la cour du roi. Elle co-pie les intrigues politiques. C'est la domination des mensonges sociaux, car la vie de cour produit des courtisans ••• Daniel Mamet

(1) LEVEQUE, André: Histoire de la civilisation française, pp. 168-169. (2) Idem: p. 231. 5.

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décrit très bien cette vie déterminée par une politesse faite de velléités et à double face. "Bossuet dira que le temps perdu à arrondir des vers ou une période, à s'occuper d 'histoire ou de science est un vol fait à Dieu. Un nommé Gousset écrira:

'Pourvu

que l'on soit civile et agréable en canpagnie, que l'on aœ les plaisirs, que l'on sache vivre avec cette politesse que la routine du ronde apprend, que l'on ait quelque habitude chez les grands, on passe aisément pour honnête hcmœ ••• "' (1). La. conduite de

"1 'honnête hcmœ" est fixée à l'avance et lui est imposée par des

"centaines de traités, de dissertations, de romms, de pièces de théâtre, de JlBl1Uels sans cesse œ( .. dités à l'usage des apprentis mondains" (2).

Ces évidentes déficiences sociales engendrent à leur tour d'autres fonœs de domination. Les abus mondains suscitent l'opposition des libertins, s'étendent au donaine religieux et expliquent la tyrannie domestique.

A propos des libertins, Gonzague de Reynold écrit: "L'athéisme plus ou moins sincère dont ils font plus ou moins pro-fession, c'est la négation, la destruction de l'idée de base sur quoi toute la reconstruction du XVIIièIœ siècle doit se faire" (3). Cette négation implique nécessairement opposition et l'oppo-sition chez le libertin se manifeste dans une tentative d'imposer

(1) Momet, Daniel: Molière, p. 109-110.

~) Idem, ibid.: p. 110.

(3) Reyndd, Gonzague de: Le XVIIième siècle, p. 63.

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ses valeurs à l' orore établi. I.e libertin est au plan IOOndain ce que le frondeur est au plan politique.

Carane le raffinenent de "l 'honnête hormœ" dégénère en

formules de politesse vides de sens, la religion se transforme en dictature religieuse. C'est d'ailleurs l'opinion de Momet. Par-lant de la Compagnie du Saint-Sacrenent, il souligne le caractère autoritaire de la cabale des dévots. C'était une " ••• compagnie secœte qui s ' était donné pour but, non seulerœnt et ms généreu-senent des oeuvres charitables, visites de prisonniers, aumônes, etc., mais encore la restauration de la foi et la pratique stricte des vertus exigées par la foi. Pour hâter cette restauration elle avait organisé un système savant de surveillance de la vie privée. Elle dénonçait aux parents les fils joueurs ou débauchés, aux ma-ris les femmes trop galantes et aux femmes les mama-ris qui couraient le guilledou ••• Elle poussait activerent aux honneurs ceux qui la

servaient et sévissaient durerrent contre ceux qu'elle tenait pour des pécheurs endurcis ••• C'est elle notamment qui luttait avec le plus d'intransigeance contre le goat du théatre et les canédiens"

(1). Cette domination de la secte dévote s'étendait jusqu'aux grands personnages de la cour, et nêJœ à la reine-mère.

Mais c'est dans le domaine de la famille que l'absolu-tisme fait le plus de tort. I.e père est un dictateur absolu et souvent tyrannique. Les filles surtout souffrent de cette

subju-(1) Momet, Daniel: Molière, p. 95-96 •

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gation. Dès leur jelIDe âge, elles sont élevées dans des couvents où on les garoe dans une ignorance complète de la vie. Elles ne sortent du couvent que pour être soumis~à une nouvelle servitude: celle du mari que leur impose le père et qu'elles doivent épouser par obéissance. Si l'éducation des garçons est moins rigoureuse, ceux-ci dépendent néanmoins du père pour leur héritage. I.e mari a sur sa fenme le même pouvoir que le père sur ses enfants. Son au-torité absolue de mari est souvent la seule emprise qu'il a sur elle, car dans la plupart des cas, elle l'a épousé mIgré elle. C'est peut-être d'ailleurs ce qui atténue la faute d'infidélité chez la femme et justifie la hantise du cocuage chez le mari.

C'est dans une telle société que vivait et écrivait Molière. Conscient de toutes les déficiences à l'intérieur de cette société, i l prend position et les condamne. Mais il s'élè-ve surtout contre la domination injuste. A l'aide des quatre piè-ces suivantes: le Misanthrope, Dcm Juan, Tartuffe et l'Ecole des Femnes, nous étudierons les différents aspects de cette domination et ses résultats. 8. , 1 1 \ ); , , ., ,

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CHAPITRE PREMIER LE MISANTHROPE

le Misanthrope, chef-d'oeuvre de la comédie de

caractè-re de Moliècaractè-re, présente peut-êtcaractè-re dans les personnages d'Alceste et de Célinène, les "dominants" les plus complexes. Il est fort

probable, et c'est d'ailleurs l'opinion de Lagrange (1), que

l'au-teur a puisé dans sa propre vie les traits ltIt'm!.uants de ses deux

protagonistes. Car Molière semble avoir connu la déception d'un

amour sincère pour une ferraœ volage, et le tourment d'une droite conscience aux prises avec une société hypocrite. Ces combats in-térieurs engendrent une ".iJmoortelle haine" pour la société IOOl1daine de son temps et la coquette qui la représente. Son dégoat pour la littérature galante, les petits rrarquis et le milieu

aristocrati-que qui perce dans toutes ses pièces est davantage mis en évidence

par la préciosité d'Alceste. C'est dans le Misanthrope que la

sa-tire sociale est la plus acerbe.

Si Alceste n'est au fond qu'une reprise de l'Arnolphe

de L'Ecole des Fennes, i l en diffère par le milieu social et sur

le plan de l'intrigue. Alors que L'Ecole des Ferraœs traite un

su-(1) "Lagrange, collaborateur et ami de Molière, n'a pas craint

d'af-firmer, pensant au Misanthrope, qu'il "s'est joué le premier en plusieurs endroits sur des affaires de sa famille, et q.li regar-daient ce qui se passait dans son dOJœstique". (SIMON, Alfred:

Molière par lui-nême, p. 117).

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jet tradi1:bnnel et présente une intrigue rommesque et invraisembla-ble, le Misanthrope a une structure différente. le sujet en est ori-ginal et sans véritable intrigue: il est fondé sur un jeu de senti-ments où la fantaisie ne trouve qu'une part mini.Jœ. Par contre, on retrouve dans les deux oeuvres une similitude de rapports entre l'h01lD'lle et la femœ aimée qui n'aime pas en retour. L'anant veut garder la fenrne pour lui, et la façonner selon son gont, nais i l échoue à cause de la résistance invincible que celle-ci lui oppose. Il y a cependant un équilibre différent en ce qui concerne l'

impor-tance de la fenvre à l'intérieur du couple: Cél:imène a un rôle beau-coup plus considérable qu'Agnès.

Examinons d'aboro le cas d'Alceste, la fome que prend chez lui la domination, les raisons qui le poussent à dominer et le résultat de cette tentative de s'imposer.

Conme tous les grands héros 1ID1iéresques aveuglés par

une passion, Alceste affiche une grande indépendance. Il veut éta-blir un ordre à part. La seule bonne conception de l'amitié, c'est la sienne. Tout le rnbnde devrait avoir la mârre. -le seul véritable aoour, c'est celui qui correspondi~ au sien. Il n'a de compte à

rendre à personne et se présente cc:mre créateur des principes de la morale.

Par cette attitude, Alceste se croit au-dessus de tout et surtout de la société. La prétention du héros est sans doute due au fait que, jeune, il manque de maturité. "Je veux qu'on l'œ distingue" (v. 63), déclare-t-il à Philinte. Plus loin ü lui

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"Tous les horraœs ne sont

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(vv. 111-112)

Après que Célirrène a tracé le portrait de ses relations, Alceste fait une brusque sortie contre ces médisances. Pour se venger de lui, Célimène dessine son propre portrait sous ses yeux. C'est trop fort! Alceste est profondérœnt offensé parce qu'il ne veut pas parattre ''horrrne du conmun". Par cette analyse, il voit son sérieux nié par Célirrène. D'ailleurs, il ne fait pas vrairœnt partie de cette société; à cause de ses convictions, il ne prend jamais part aux médisances mondaines, et sa soif de pureté le con-vainc encore plus de la méchanceté des hommes:

"Je ne trouve partout que lâche flatterie,

Qu'injustice, int~t, trahison, fourberie ••• " (vv. 93-94)

Avec de tels sentirœnts, on peut se demander ce qui in-cite Alceste à vouloir dominer une coquette. Les motifs qui gou-vernent Célirrène s'opposent carrément aux siens. Elle lui résiste en tout. S'il n'y avait pas d'opposition de la part de Célirnène, Alceste tenterait-il de la dominer? Il est fort probable que non. Contrairerœnt à Arnolphe, Alceste, dans la lignée de Dom Juan, ne veut dominer que là où il y a obstacle. Mais notre héros ne se contente pas, conme Dom Juan, d'une subjugation physique et intel-lectuelle, il veut recréer Célirnène tout entière à son image, en faire en quelque sorte une Alceste en jupon. Pour réaliser cette transformation, il doit l'éloigner de la société qui l'entoure et qui, selon lui, la corranpt. Il rend les petits marquis

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bles de· la mauvaise conduite de Célimène:

"Son hwneur satirique est sans cesse nourrie Par le coupable encens de votre flatterie,

Et son coeur à railler trouverait lOOinS d'appas S'il avait observé qu'on ne l'applaudit pas".

(vv. 661-664)

Le seul lOOyen pour "épurer" l'âme de la coquette est de l'empri-sonner dans son univers à lui. Dans son "désert", loin de toute corruption, l' aJOOur qu'il a pour elle la rendra mailleure:

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De ces vices du temps pourra purger son âme". (vv. 233-234) Voyons maintenant conrnent Alceste veut imposer sa vi-sion des choses à Célimène. Déjà dans sa première rencontre avec celle-ci, il l'aoorde de façon brusque et tyrannique. Il la som-ma de s'expliquer nettesom-mant SUI' ses sentiments à son égard, lui

reproche sa conduite et insiste pour qu'elle renvoie tous ses ad-mirateurs. Il veut que l'amour de Célimène soit total et sans partage:

"Vous avez trop d'amants, qu'on voit vous obséder; Et mon coeur de cela ne peut s' accamnoder" •

(vv. 459-460)

Ce désir de domination est si pressant qu'aucune déception ne peut l'anéantir. D'après Guicharnaud (l), le tyran fondamental qu'est Alceste est prêt à posséder même une illusion quand l'être réel lui échappe. S'il ne peut avoir Célimène elle-même, il se contentera de son ombre:

"Efforcez-vous ici de paraî.tre fidèle,

Et je m'efforcerai, moi, de vous croire telle". (vv. 1389-1390)

Cl) GUICHARNAUD, J.: Molière, une aventure théâtrale, p. !~48 ss. 12.

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Comme le professeur qui veut l'attachement d'Elisa dans pygmalion (G. B. Shaw), Alceste agit moins par amour que par amour-propre.

Et cœme Higgins veut le faire pour sa pupille, Alceste veut re-mouler Célimène.

Comment expliquer ce désir de domination chez Alceste? Deux facteurs nous semblent particulièrerrent significatifs: l'un d'ordre sociologique, l'autre d'ordre psychologique.

Ce qui détermine d'abord le caractère d'Alceste, c'est san mépris de la société. Il désapprouve toutes les pratiques hypocrites de cette société. Quand il candarra1e la flatterie de-vant Philinte, sa haine ne s'arrête pas aux coupables; elle s'é-tend

à

tous les horrmes:

" •••••••••••••••••••••• je hais tous les hommes: les uns parce qu'ils sont méchants et malfaisants, les autres pour être aux méchants complaisants".

(w. ll8-l20) Dans ces conditions, il ne lui reste qu'un plan à suivre: vivre à part. Et puisqu'il est le "seul" hcmœ intègre, il n'a de canpte à rendre qu'à lui-même; c'est un aristocratisme IOOral.

Puisqu'il ne peut accepter la fausse éthique du monde, il est in-capable de s 'y adapter. Il doit envisager ses relations avec le monde sous un autre ar'iSle; il veut l'adapter à son éthique per-sonnelle. Ce zèle

à

~oser ses règles d ' intégrité cache aussi une bonne part d'orgueil. Son langage est parsemé de "Je veux":

"Je veux qu'on soit sincère ••••••• " (v. 35) "Je veux que l'on soit hcmœ •••••• " Cv. 69)

Mais les causes les plus profondes de son besoin de

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daniner proviennent de la psychologie rrê!œ du personnage. Molière a donné corraœ sous-titre à sa pière l'Atrabilaire amoureux. En

effet, Alceste a tout du caractère atrebilaÎI'e. Il ~st d'humeur noire et irritable. Il est aussi aveugle et violent et s'emporte chaque fois qu'on s'oppose à sa conception des choses. Nous avons déjà fait l''eIIm'quer qu'il n'arrive pas à se faire une place dans la société et qu'il se réfugie dans un IOOnde à part, idéal, de sa création, où il est suprême. Ce désiquilibre constitue la précio-sité d'Alceste. L'aspect psychOlogique de la précioprécio-sité implique un désir de se donner du prix, d'être supérieur, une volonté de distinction IOOrale et personnelle. Le precieux se crée un monde au-dessus de la vulgarité de son milieu. Cette position rend Al-ceste vulnérable; il veut à tout prix agir selon son éthique per-sonnelle, mais il est Obligé de vivre dans un monde qui s'y oppose. S'il veut dominer, c'est pour concilier ces deux tendances. Si ceste ne veut pas venir à la société, que la société vienne à Al-ceste! •••

Quelles sont les raisons de l'échec d'Alceste? D'abord Cél:i..mène refuse ce IOOnde idéal qu'il veut lui imposer. Dans ce monde idéal, et hors de la société, célimène ne serait plus Céli-mène. Elle ne serait rrêrre pas la ferrrne qu'Alceste veut posséder

par la domination. (Souvenons-nous qu'Alceste aime l'obstacle ••• ) Mais surtout Alceste est lui-même cause de sa faillite. Il est voué à l'inaction parce qu'il n'arrive pas à s'intégrer dans la société, ni à s'en détacher. Il est clair que malgré sa

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tion des mondains, le misanthrope veut réussir aupres d'eux. Bien

qu'il soit convaincu que le sonnet d'Oronte est "bon à mettre au

cabinet", il a peur de se brouiller avec ce dernier en se déclarant trop ouvertem:mt. A trois reprises il s'évade: "Je ne dis pas

ce-la ... " (w. 352; 358; 362). Même s'il affirme vouloir perdre son

procès pour laisser aux horrares un "m::mwœnt" de son intégrité, ses

actions et ses paroles nous montrent qu'au fond il ne s'y désin-téresse pas autant qu'il le prétend et veut le gagner. Mais il

n'arrivera janais à s'intégrer. Il ne réussit pas non plus à se

détacher de son milieu. Si, à la fin, i l le fuit, c'est non pas

par sagesse réfléchie, nais par dépit, car il a perou et son

pro-cès et Célimène.

Examinons naintenant le cas de Cél:Uœne. La coquette

est la' contre-partie dû misanthrope. Elle ne peut exister que

par et dans·la société.

Avant tout, Céllmène est coquette. La vie pour elle

est un jeu. Elle inspire des sentirœnts sans les éprouver

elle-• et domine ainsi son entourage. Elle s'.mq;,ose aux petits

rœ.r-quis et

à

Oronte par son esprit. Ceci est notnre dans la scène

des portraits. Elle arruse ses prétendants et les chanœ. Sa

grace a inspiré de l'amour à Alceste et c'est par là qu'elle le

domine. Ce dernier doit avouer à Philinte:

"Je confesse mon faible, elle a l'art de rœ plaire ...

En dépit qu'on en ait, elle se fait a:imer;

Sa grace est la plus forte •••••••••••••••• "

(w.

230-233)

En effet, Célimène sait manier Alceste comme elle le veut. Elle

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sait ccmnander et faire ~a moue tour à tour; ses stratagèrres réussissent toujours:

Alc.: "Je sors. Cél.: Delœurez. Alc.: PO\ID:luoi faire? Cél.: Delœurez. Alc.: Je ne puis. Cél.: Je le veux •••

Je le veux, je le veux. Alc.: Non, il m'est impossible.

Cél.: Hé bien! allez, sortez, il vous est tout loisible".

(w. 553-558)

Et Alceste reste •••

Mais c'est dans la grande scène du billet (Acte IV, scène 3) que Célimène exhibe une véritable virtuosité de la domi-nation par la coquetterie. Alceste n'est qu'un jouet entre ses m:dns. Elle s'indigne, implore, menace, s:iJm.ù.e et ordonne, tou-jours certaine de l'effet qu'elle veut produire. Elle réussit d'autant plus qU'Alceste est aveuglé par sa passion. Et, dans la dernière scène, quand son j eu est découvert et que tous l'

aban-donnent, elle a encore du pouvoir sur Alceste. Par "l'indigne tendresse" qu'il continue à éprouver pour elle:

"Puis-je ainsi triompher de toute ma. tendresse? Et, quoique avec ardeur je veuille vous hair,

Trouvé-je un coeur en moi tout prêt à m'obéir?"

(w. 1748-1750)

Célimène demeure donc supérieure aux autres qu'elle manie à sa guise. Sa coquetterie est un jeu intellectuel, une politique so-ciale et amoureuse

elle contrôle les événements.

C'est cette politique amoureuse, faite de ruses et de démarches, qui explique la domination qu'exerce Célimène. Elle

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danine par son. jeu et joue pour ne pas être dominée: c'est un rnécanisJœ de défense. Elle maintient son rôle pour rester libre. Elle semble prodiguer ses faveurs à chacun de ses soupirants, mais en réalité, elle ne veut s'attacher à persOJUle. Sa coquetterie a cependant une fonction plus sérieuse. CéliIrene joue avec ses pre-tendants parce qu'elle a besoin d'eux. Ils représentent pour elle ce que Pascal comprenait par "divertissement" - un rooyen d'évasion. Elle ne se supporte pas elle-même. Pour cette raison, elle s'obsti-ne à rester toute en surface et refuse de voir le fond des choses.

Sa grande tâche et sa preoccupation première sont de vouloir paraî-tre. A cause de ce besoin constant d'exister en surface, CéliIrene

,

n'est "fenme" qu'en surface, car elle ne donne aucune tendresse ou compréhension à Alceste et ne peut donc pas vrairœnt l' aÏJœr. Tou-jours égale à elle-nêrne~ elle ne va jarrais en profondeur et s'em-pêch~ de sonder ses sentfulents pour lui. Elle préfère osciller dans l'incertitude. Eliante reIlIanlue justement:

"Conrnent pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'am? Son coeur de ce qu'il sent n'est pas bien sar lui-même; Il ë'.lme quelquefois sans qu'il le sache bien,

Et r;roit aiJœr aussi, parfois qu'il n'en est rien". (w. ll81-ll8~)

En plus célimène a une peur terrible de la solitude, qui amène l'ennui. Dans le "désert" d'Alceste, elle serait obligée de se faire face à elle-même:

"l.a solitude effraie une âme de vingt ans.

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, Pour Jœ resoudre à prendre un dessein de la sorte".

(w. l77~-1776) Mais Célimène ne réussit

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dominer complèternent que

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sa gr3ce, par l' ambiguité de ses actions, mais surtout parce que celui-ci l'aimait. Cependant elle échoue finalement. Le prin-cipe de base par lequel elle veut s'imposer n'est pas durable; son j eu tourne contre elle. Son prétexte de bienveillance pour insulter Arsinoé ne trompe

guère.

Celle-ci a bien compris et jure de se venger. C'est par elle qu'Alceste recevra le "fameux" bil-let. Les finesses de Célimène envers ses soupirants auront le mêma résultat. Elle sera découverte (Acte V, scène 4) et condaImée

par ses propres écrits. Elle qui doit par politique plaire à tout le monde, se brouille avec tout le monde. Tous lui échappent, et elle se retrouve en face de la solitude tant redoutée.

Alceste et Célimène, poussçs à la domination par leur caractère, n'arrivent à dominer ni les autres, ni eux-mêrres, car leurs règles de conduite ne sont pas applicables dans le milieu so-cial dans lequel ils se trouvent. C'est ainsi que Le Misanthrope est une pièce à portée sociale, d'inspiration pascalienne et nous

y retrouvons le jansénisrre qui dénonce tous les rapports humains. Les propos d'Alceste sont un écho de la philosophie pessimiste de Pascal: "Que le coeur de 1 'homme est creux et plein d'ordures:" Alceste ressemble aux héros pascaliens, conscients de la misérable condition de l'horruœ et aux prises avec les "puissances trompeuses" qui sont l'imagination, mais surtout la coutuJœ et l' aJOOur-propre, dans sa recherche du bonheur. Célimène aussi est un personnage pascalien; elle se jette

à

corps perdu dans les "divertissements"

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que constituent les jeux de société pour échapper

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l'ermui. Mais 1 'horrure ne peut se soustraire à sa misère: tous les rapports hu-nains, relations sociales, amitié et amour échouent. Les caractè-res, confrontés avec leur milieu et en plus déchirés intérieurement eux-rrêJœs $ n'ont pas la concentration nécessaire pour s'imposer.

Si ~limène ne semble pas affectée par son échec et est prête: à se replonger dans les distractions mondaines, Alceste, peut-être plus conscient de sa condition, semble plus assagi. Il constate le conflit qui existe entre sa morale et le JOOnde et se résout, du moins "en visière", à la solitude. Le "désert" d'Alceste serait sans doute la seule chose qui lui convienne et les faits qui l'amè-neraient à s' y retirer seraient peut-être une récompense pour sa doct'I'ine intouchable. Mais encore on se denande s'il ne reviendra pas sur sa décision, car hors de la soëiété qui lui fournit natière

à

critique, contre qui pourrait-il s'emporter? ..

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i ( \ CHAPITRE II DOM JUAN

I2 persormage de Dom Juan est sans doute l'un des plus riches de la littérature universelle. Après les

dramatur-ges espagnols et italiens, Molière se l'approprie à son tour et recrée ce héros légendaire dans le contexte de la France du

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XVllième siècle.' Héros issu de la Fronde, le

Dom

Juan de Moliè-re Moliè-reste et entend Moliè-rester - ,trait COll'DIlln à nombre des héros

mo-liéresques - hors de 'la sociét~. Dom Juan en effet refuse toute contrainte sociale, sent:iJœntale, religieuse. Cette rébellion contre les moeurs

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, ch~valeresques de son temps se traduit sur le plan intellectuel aussi bien que sur le plan IOOral. Cette d:iJœn-sian intellectuelle du caractère de Dom Juan constitue sans doute

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par lequel son Dom Juan, de roll'âIlesque qu'il était dans la litté-rature espagnole et italienne, devient dans l'oeuvre française un personnage résolwœnt comique. Ces deux fonctions, intellectuelle ~t IOOrale, ne sauraient être séparées. Il serait toutefois utile de les distinguer dans une analyse du caractère de Dom Juan. Aus-si allons-nous choiAus-sir, cornrœ objet d'étude, un aspect moral de son caractère: son désir de dominer. Nous examinerons tour à tour les

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différents personnages qu'il domine effectiverœnt ou qu'il tente de dominer. Car son désir, il ne le réalise pas toujours, bien s'en faut; et c'est ce décalage entre les intentions quasi sadi-ques de Dom Juan et leur réalisation qui nous livrera la clé de ce caractère complexe.

~è le début de la pièce, Dom Juan est décrit camne un séducteur qui se rroque de tout et ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Plus taro, à la scène 2, il paraît. C'est un grand seigneur de belle apparence: il a pour lui tout le pres-tige physique et social nécessaire aux conquêtes. En effet, il expose à Sganarelle, dans cette scène, sa philosophie de la pos-session. Il est livré tout entier à l'amour charnel et semble convaincu d'être dans le bon chemin. Ce n'est pas lui qui se

trompe, mais les autres, ceux qui sont fidèles. Pour lui, "la

constance n'est bonne que pour les ridicules" (Acte I, scène 2). Sans expliquer son comportement, Dom Juan se décrit lui-mêrœ en refusant de se poser des questions. Il ne fait qu'affinœr: "Les inclinations naissantes, après tout, ont des chanœs inexplica-bles, et tout le plaisir de l'aJrour est dans le changement" <ibid.). Voilà le Dom Juan "pèlerin". L'inconstance fait partie intégran-te de son "lIDi". Il veut dominer, posséder touintégran-tes les fenrnes, puisque la conquête est l'acte par excellence qui lui permet d'exister; mais, corrane nous le verrons plus loin, son pouvoir de domination risque d'être aussi transitoire que ses conquêtes.

Dan Juan a dominé Done Elvire à un ITIOIœl1t de sa vie,

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au point de la faire quitter son couvent pour l'épouser. LDrsqu'à sa première visite elle vient lui rappeler ses devoirs et lui dire qu'il encourt par sa mauvaise conduite la vengeance du ciel (Acte l, scène 3), il a encore une certaine emprise sur elle. Cela sa manifeste par l'acharnement qu'elle met à connaître les raisons de son départ; elle veut savoir parce qu'elle espère encore. Mais devant les explications de Dom Juan, tout s'écroule. Elle décou-vre le "vrai" Dom Juan et ce n'est plus l'épouse qui parle, mais

la fermœ offensée. Son amour sublimé l'élève dans une sphère su-périeure, auoldelà de celle de son époux.

I.e cas de Charlotte est différent. Pour Dan Juan, plus la conquête est difficile, plus elle a d'attrait. Il a pour prin-cipe que si toutes les jeunes filles "ont le droit de chanœr", il faudrait qu'elles n'appartiennent qu'à lui. Il fait porter tout son effort à séduire la jeune fille en misant sur son agréable physique, en faisant valoir le prestige de son rang et en usant de belles paroles. Il parvient à son but d'une certaine façon, mais non ccmne ill'aureit voulu, puisqu'à la fin il n'obtient pas la

paysanne. La mêJœ mésaventure se produit avec Mathurine, qui se voyait déjà "grande darne". Non seulement le stretagèrre de Dom

Juan échoue, mais Charlotte et Mathurine le rnettent ensemble en mauvaise posture. Elles veulent le forcer à faire un choix et à se déclarer. Mais il se dérobe. Pour Dan Juan, agir c'est conqué-rir, puis se dérober, mêJœ s'il n'est pas conscient des motifs qui l'y poussent. Ce n'est jamais posséder complètement. Son

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tance n'est pas seuletœnt l'effet de la sensualité; elle manifeste une insatisfaction profonde, le dégoat d'un plaisir stable et uni. Non content de vouloir dominer les fermes, la tyrannie de Dom Juan s'étend à tous son entourage. Il y a deux autres vic-times qui sont sans défense contre lui: Monsieur Dimmche et le Pauvre.

I.e seul personnage que Dom Juan domine vr.tiJrent dans la pièce est un personnage de second plan: Monsieur Dinanche, qui est absolument subjugué par les belles paroles de son débiteur qui méprise la bourgeoisie qu'il représente. Celui-ci ne lui laisse pas le temps d'expliquer la raison de sa visite et ne ces-se de lui témoigner de sirm.ü.ées rrarques de respect et d'amitié. Devant une telle gentillesse, Monsieur Dimmche n'a qu'à se reti-rer vaincu. Cette victoire du héros est sans doute attribuable au manque faàgrant de personnalité de son interlocuteur. Pour le dominer, il ne s ' agit que de lui couper la parole. D'ailleurs, Sganarelle réussit à l'éconduire en usant de la même tactique et sans payer sa dette.

Avec le Pauvre, Dom Juan attaque, il ébauche une ten-tative de domination sans y prêter grand intérêt d'ailleurs, seu-letœnt pour prouver qu'il a raison et qu'il est supérieur. Il a besoin de voir blasphéner cet homne parce qu'il le sent plus ver-tueux que lui. Si le Pauvre jurait, il pourrait ainsi dérrontrer à Sganarelle la supériorité de son systène éthique; ce serait une façon de prouver que lui, Dom Juan, est dans le vrai.

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SeJœIlt pour lui, il reste sur son désir puisque le Pauvre ne jure pas. Ce dernier est au-dessus de ces vanités et ne veut pas corn-pronettre sa foi pour de l'argent. "Va, va, je te le donne pour l'aJIIOUII de l' hurrani té" (Acte III, scène 2). Ces paroles de Dom

Juan ont été interprétées par quelques critiques, dont Bénichou

(1), comœ étant celles d'un paresseux qui donne au Pauvre le louis d'or plutôt que de le rerœttre dans sa poche. Mais nous croyons déceler deux raisons plus valables pour expliquer cette action. Il s'agirait peut-être d'une certaine nostalgie de la vertu chez le héros; il admire la loyauté inébranlable de cet homme pauvre et lui accoroe une sorte de récompense. Il semblerait surtout que Dom Juan accomplit cette "largesse" pour ne pas s'avoue!' vain-cu.

Dom Juan aspire à impressionner, c'est-à-dire dominer ceux qu'il rencontre, puis fuir; il va jusqu'à se fuir lui-rrêne. C'est ce désir constant de se fuir qui l'incite à vouloir dominer les autres. Sa vie est donc une série de gestes, une parade, une performmce. Voyons corrment il agit à l'égard des autres person-nages.

Les premières questions posées par Dom Juan à Sganarel-le ne sont pas très profondes et Sganarel-le font paraître superficiel. Est-oe par manque d'intérêt? ProbableJœIlt pas, car il aine par-ler avec son valet. C'est plutôt paree qu'il a peur; s'il

fouil-(1) BENIŒOU; ~Iorales du grand siècle, p. 168.

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lait davantage, s'il allait plus loin, cela le ramènerait face à

face avec le terrible "roi" qu'il veut fuir. Ainsi, quand il ap-prend que Sganarelle a conversé avec Gusman, il ne s'informe que de balivernes. Il aurait pu se renseigner sur Done Elvire, ce qui lui aurait pennis de ne pas rester bouche bée. Sganarelle n'en a pas soufflé rot parce que le naître ne le lui a "pas dem:m-dé". C'est toujours parIDuci de fuite qu'il refuse d'entendre ses quatre vérités et prétend mêJœ dominer les situations. Il néanti-se toute la portée du discours de Done Elvire venue éveiller sa conscience, en lui répondant par une dérobade: "Sganarelle, le ciel!" (Acte l, seène 3). le cas se presente égalenent avec Dan

Carlos. Ce dernier ne connaissant pas Dom Juan comnence à lui ré-péter ce qu'il a appris de lui: "La rencmunée n'en dit pas force bien, et c'est un haraœ dont la vie ••• " Dan Juan ne lui laisse pas terminer Sêi phrase: "Arrêtez, ronsieur, s' il vous plaî.t. Il

est un peu de mes amis" (Acte III, scène 2). Quand Dom louis vient lui déclarer son fait, il explose. Il souhaite mêIœ la rort de ce père qui ne désire que son bien: "Eh! lIIOureZ plus tôt que

vous pourrez, c'est le mieux que vous puissiez faire" (Acte IV,

scène 5).

La nostalgie de la vertu dont nous avons parlé en trai-tant du Pauvre, cette sorte d ' incapacité de supporter le bonheur d'autrui, est peut-être l'une des autres causes qui poussent Dom

Juan à vouloir dominer. I l est jaloux de ceux qui sont heureux selon le code commun et cherche à leur nuire. Parlant à

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le de sa nouvelle flàmlœ, une jeune fiancée, il avoue: "Jamais je n'ai w dewqersonnes être si contents l'un de l'autœ, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs nutuelles ardeurs rœ donna de l'érotion; j'en fus freppé au coeur, et JOOn amour comrœnça par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abom de les voir si bien ensemble; le dépit alltllIa rœs désirs, et je rœ figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligen-ce, et rompre cet attacherœnt, dont la délicatesse de mon coeur' se tenait offensée" (Acte I, scène 2).

La performance de Dan Juan s'effectue surtout devant Sganarelle, le public dont il a besoin et qui ne le quitte jamais. Avec le valet, il se retire toujours derrière son pouvoir, car Sganarelle a besoin de lui pour vivre. Mais il y a surtout une peur terrible des coups. Ce sont cette peur et cette dépendance matérielle qui expliquent souvent les attitudes grotesques de Sganarelle, mais i l n'y peut rien. Ce dernier confesse à Gusman: " • •• un grand Seigneur rœchant hœune est une terrible chose; il faut que je lui sois fidèle en dépit que j'en aie; la contrainte en moi fait office de zèle, bride rœs sentirœnts et rœ réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste" (Acte I, scè-ne 1). Dom Juan commande à son valet des choses qui lui semblent ridicules. Ainsi, quand il lui omonne d'inviter la statue à sou-per, SgëlIlélrelle reconnaît: "Quelle bizarrerie! ... je ris de ma sottise, mais c'est JOOn maître qui me la fait faire" (Acte III, scène 5).

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Dom Juan ne se nourrit que de lui-même. S'il n'est pas supérieureJœnt intelligent, il se situe quand mêrre au-dessus du médiocre. Tantôt i l se sert de son intelligence pour retourner

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la morale de Sganarelle et la ramener au rang d'une absuroité. Tantôt i l prend plaisir à le torturer en l'obligeant à donner les raisons de son départ à Done Elvire (Acte l, scène 3), ou encore en le terrorisant paree qu'il a goQ1é à l'un des plats qu'on a ap-portés (Acte IV, scène 7). Tantôt son sadisme JOOral se transfor-me en cruauté physique. Il n'éprouvera aucun rem:ml.s à giffler Pierrot qui lui a sauvé la vie et sur le domaine sentimental du-quel il empiète (Acte II, scène 3).

Dam Juan subjugue à tel point Sganarelle que sans lui ce dernier ne serait pas ce qu'il est. Sans l'emprise que Dom

Juan a sur lui, sa lâcheté, son ironie, son ridicule ne seraient pas mis en évidence. Après l'avoir entendu souhaiter la mort de son père, Sganarelle proteste: "Ah! JOOl'lsieur, vous avez tort" • Mais un coup d'oeil du maître, et il change de direction: "Oui, monsieur, vous avez tort d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les épaules ••• J'admire votre patience; et si j'avais été en votre place, je l'aurais envoyé prorœner •• " Puis il se reproche: "0 canplaisance maudite! à quoi me réduis-tu?" (Acte IV, scène 5).

Le pouvoir de Dom Juan sur Sganarelle ne se situe ce-pendant que sur les plans physique et intellectuel. Il n'a pas de prise sur la conscience de son valet. La preuve, c'est qu'il

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ne peut l'amener à accepter sa conduite morale. Tout en empruntant une formule détournée et maladroite, "je ne parle pas aussi à vous" (Acte l, scène 2), Sganarelle ne manque pas de lui faire la leçon. Tres souvent il fait "semblant" d'accepter la conduite de son maître. Regaroons-le acquiescer aux remarques de ce dernier en présence de Done Elvire ou de Charlotte, sans, au fond, approuver cette façon d'agir. Si sa conscience n'approuve pas, il se can-porte extérieurement comme si elle approuvait. C'est d'ailleurs le côté lâche du valet. Le trait se révèle particulièrement lors-qu'il conseille au Pauvre: "Va, va, jure un peu; il n' y a pas de mal" (Acte III, scène 2). Il veut lui dire: "Jure avec ta bouche

sans jurer avec ton coeur et tu obtiendras le louis d'or". C'est tout Sganarelle.

Comme nous l'avons constaté, Dom Juan ne danine que les faibles, et encore pas toujours. Ainsi il arrive à dominer

Mon-sieur Dinanche et Pierrot, mais non Sganarelle. Chez Charlotte et Mathurine, sa danination est déjà douteuse. Quand les person-nages lui opposent une force de caractère individuelle, ils lui échappent. Il n'a pas d'emprise sur le Pauvre et finit par n'en plus avoir sur Done Elvire. Dom Juan n'est donc pas le grand Seigneur invincible qu'il croit être.

Au contraire, Dan Juan est vaincu par lui-rrêJœ. Loin d'être libre, il est la proie de ses appétits et de ses caprices. A travers toutes ses tentatives de domination des personnes et des situations, il ne vise que son plaisir. Il veut ooblier

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pIètement le passé et ne vivre que pour le présent et l'avenir: "N'allons pas so.&ger au mal qui pourrait aITiver, et songeons seulement à ce qui peut nous donner du plaisir" (Acte l, scène 2).

Rien d'autre ne compte pour lui que sa recherche du plaisir. Il

est daniné par sa passion et de ce fait, par lui-mêIœ; 6'est ce qui l'empêche de réaliser ses intentions sur les autres.

Dom Juan est dans l'erreur en ce qui a trait à son ca-ractère, mais surtout en ce c;,~ a trait

à

sa morale. A propos du héros, Jacques Guicharnaud écrit: "Si Dan Juan n'est qu'un honuœ, il est le symbole de l'inhumain ••• mais s'il est aussi le maitre, s'il représente le pouvoir d'une caste sur d'autres, il symbolise ce qu'il y a d'illégitime dans ce pouvoir, puisqu'il est fondé sur exactenent le contraire de la loi" (1). Et nous ajoutons à la constatation de Guicharnaud cet autre point sur lequel Dom

Juan est objet d~ critique: il est aussi le symbole de la cons-cience qui se nie et qui cherche à se fuir •

(l) GUlœARNAUD, J.: Molière, une aventure théâtrale, p. 343.

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Dans Tartuffe, Molière attaque la forme de domination qui lui est la plus odieuse: celle du faux dévot qui s'impose en empruntant le nasque de la religion. C'est la pièce la plus au-dacieuse du dra.naturge, celle que beaucoup de ses contemporains ne lui ont jamais panionnée. L'hypocrite qui impose aux autres une morale qu'il ne pratique pas lui-même souffre d'un mal à la mode au XVIIièIœ siècle. En effet, ce type avait déjà été trai-té par Vital d' Audiguier dans Les amours d' Aristandre et Cléonis de 1624, et par Scarron dans Les Hypocrites de 1655. Mais ces oeuvres n'ont pas suscité la violente polémique qui s'éleva contre le Tartuffe. C'est que la critique de Molière y est plus causti-que parce que plus personnelle, l'auteur ayant lui-même eu des démêlés avec les dévots contre lesquels il s'insurge. La cabale de l'Ecole des Femnes avait précédé. Avec Tartuffe, Molière re-vient à l'attaque du parti dévot et, en particulier, de la

Compa-gnie du Saint-Sacrerrent. Cette ligue secrète, canposée de reli-gieux et de la!cs , visait à soulager les misères, nais surtout à ran:ùœr la dévotion et surveiller les rooeurs. Ses rrembres accu-saient d ' immoralité la satire de Molière et la verdeur de son

lan-gage. En 1669, l'accusation d'immoralité était une chose grave.

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C'était l'époque de la réforme religieuse qui "entraînait les âmes, transformait les maisons, travaillait la cour et suscitait aux amuseurs carore lui mille difficultés" (1). A ce roouvement se rattachaient beaucoup d'imposteurs qui profitaient de cette occa-sion pour exploiter les âmes simples. Molière condamne ces

tr0m-peurs aussi bien que les sots qui les écoutent.

A première vue, il Y a dans Tartuffe deux caractères qui s'imposent aux autres personnages: l' hypocrite qui s ' infiltre dans la famille et le père qui gouverne cette famille selon les préceptes de ce dernier. Car non seulement Tartuffe s'impose lui-même

à

Orgon, mais il s'impose

à

toute la maison

à

travers Orgon qui ne peut s'affirmer lui-rnêJœ, corraœ nÇ)Us le verrons plus loin.

Il est évident que Tartuffe est le plus fort des deux. Il n'entre pas en scène avant le troisièrœ acte, nais sa présence est sentie par le pouvoir qu'il exerce sur la famille d'Orgon.

Dé-jà dans la première scène, nous voyons son influence. Il est cause du partage de la famille en deux camps qui ne le voient pas de la mêrœ façon. Un côté, représenté par Madame Pernelle, l'admire et suit fidèlement ses principes:

"C'est un horrare de bien qu'il faut que l'on écoute". (v. 42)

"C'est contre le péché que son coeur se courrouce,

Et l' inté~t du ciel est tout ce qui le pousse".

(w. 77-78)

L'autre côté, représenté par les autres rœrnbres de la naison, et

(1) CALVET,

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Histoire de la littérature française, p. 338.

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surtout par Dorine, prend en mauvaise part son intrusion et désap-pl 'OUve son jeu:

"Certes, c'est une chose aussi qui scandalise

De voir qu'tin inconnu céans s'impatronise". (w. 61-62)

"Il passe pour un saint dans votre fantaisie:

Tout son fait, croyez-moi, n'est rien qu'hypocrisie". (w. 69-70)

I.a. domination de Tarfuffe n'est pas mise en doute. Ses "fidèles"

sont complètement Subjugués et même ceux qui le décrient le redou-tent. lDrsqu' il apparaît au troisième acte, ses actions et ses paroles confirment l'opinion que nous nous étions faite de lui. Dès qu'il met pied sur scène - et l10lière prend soin de préciser: "en apercevant Dorine" - il étale sa pénitence et ses bonnes oeu-vres. Son grand souci est de toujours apparaître en accord avec ses principes et de les jmposer aux autres. Il cOlllm3I1de à Do ... !~e:

"""" Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées".

(w. 960-962)

Contrairement à la servante, OI-gon, le pater-familias, est complètement dominé par Tartuffe. Voyons quels sont chez

ar-gon les traits de caractère qui favorisent cette subjugation et camnent se mmifeste J.'emprise que Tartuffe a sur lui.

Orgon a besoin de Tartuffe à cause de sa psychologie même. C'est un caractère qui veut faire preuve d'autorité, mais qui veut aussi échapper aux responsabilités de sa fonction de

pè-re. Cette faiblesse devant son devoir d'état le pousse à abandon-ner son pouvoir de chef

à

ceux qui lui semblent plus aptes

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32.

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l'exercer. Nous avons vu dans la première scène que M:idarre

Pemel-le affirnait son autorité sur toute la famille. Orgon lui a

rnani-festeJœnt abandonné une partie de son pouvoir. Quand celui-ci

énonce ses convictions morales dans les scènes qui suivent, ce

n'est de toute évidence qu'une adaptation de celles de sa

mère.

On peut donc supposer qu'avant de subir l'influence de Tartuffe,

Orgon était sous la férule de M:idarre Pemelle. C'est d'ailleurs

l'avis de Jacques Guichamaud, qui affinœ: "I.e coup de foudre qu'Orgon éprouve pour Tartuffe n'est que le signe de ce premier

choix pétrifié: il l'avait choisi avant de le rencontrer: la

dévo-tion et les exigences de sa rrère n'étaient qu'une pale .inage de

ce qu'il visait" (1). Tartuffe a su prendre la forme de l'idéal

que recherdhait Orgon en épousant ses contours psychologiques. C'est pourquoi Orgon est peut-être le seul personnage pleinerrent content dans son état de "subjugué". Tartuffe satis-fait les besoins profonds d'Orgon en lui :imposant des préceptes de vie, assumant ainsi sa responsabilité morale, tout en jouant le

"dominé" pour f3.àtter sa vanité. Cela explique le contenterœnt

d'Orgon:

"Qui suit bien ses leçons, gonte une paix profonde ••• "

(v. 273)

Tartuffe a bien compris que par cette "paix profonde" de la

cons-cience endonnie j ointe à un sentiment illusoire d ' autorité, Orgon

(1) GUlrnARNAUD, J.: Molière, une aventure théâtrale, p. 42.

(37)

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est pour lui \.IDe proie facile. Sous le charma de l'imposteur, Orgon n'a plus de volonté propre, ni d'opinion persormelle; il se borne

à

répéter les leçons de Tartuffe. Dans une de ses repllÎl-ques

à

Cléante, nous décelons nettement l'empreinte de ce Tarfuffe:

"Mon frère, ce discours sent le libertinage: Vous en êtes un peu dans votre âme entiché;

Et, cormœ je vous l'ai plus de dix fois prêché, Vous vous attirerez quelque méchante affaire".

(w. 314-317)

~ pouvoir qu'6rgon a abandormé

à

Tartuffe est sans borne. Après le comportement imprudent de ce dernier

à

l'égardd'Elmire et les accusations de Darois qui suivent, l' envoatement d'Orgon rrenace d'être rompu. Mais i l suffit

à

Tartuffe d'une courte entrevue pour réaffinner toute sa puissance. Il fait si bien qu'Orgon lui lègue sa fortlme, lui promet sa fille en mariage et déshérite son fils. Par ces gestes, le père se IOOntre plus possédé que janais et applique fidèlement les "dogmes" que Tartuffe lui a enseignés:

"Et je vais de ce pas, en fort bonne rranière, Vous faire de IOOn bien donation entière.

Un bon et franc ami que pour gendre je prends,

34.

M'est bien plus cher que fils, que ferme et que parents".

(w. 1177-1180)

la domination de Tartuffe semble complète. SGr de son pouvoir sur Orgon, il se vante

à

Elmire:

"C'est un homre, entre nous,

à

mener par le nez". (v. 1524)

Alors que les raisons qui font d'Orgon un "dominé" sont d'ordre psychologique, celles qui poussent Tartuffe

à

s'impe-ser dont d'abord d'ordre pratique. Il a le caractère du parasite:

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il a matériellement besoin des autres pour vivre. Avant d'être recueilli par Orgon, Dorine se souvient qu'il n'était:

35.

"Qu'un gueux, qui, quand il vint, n'avait pas de souliers, Et dont l'habit entier valait bien six deniers".

(vv. 63-64)

Tartuffe se rend bien compte que c'est en dominant Orgon qu'il peut arriver au "dolce far niente" dont il rêvait, car il semble ne convoiter que les plaisirs physiques, et surtout les plaisirs sensuels. Dès son arrivée chez Orgon, sa sensualité le porte vers l'élégante et channante EJmire. D'après Alfred Siroon, "le rôle de Tartuffe se concentre sur les rencontres avec EJmire. Orgon est un alibi, Mariane un prétexte; Elmire est le véritable sujet de l'imposteur, cc::mre Charlotte est le sujet de Dc:rn Juan" (1). Mais il pourrait y avoir un facteur lOOinS matériel, parce que peut-être

plus inconscient, qui jouerait dans son besoin de dominer. MêIœ quand il est certain de "tenir" Orgon, et qu'il ne serait aucune-ment nécessaire de manifester son pouvoir, Tartuffe prend plaisir à déployer tout l'art de ses ruses. La domination devient p6ur lui un stratagèrre subtil dont il maîtrise les secrets. Accusé par

Da-mis, il est si assuré des réactions d'argon qu' il sait pouvoir

avouer la vérité sans être cru:

"Oui, mon frère, je sùis un méchant, un coupable,

Un malheureux pécheur, tout plein d ' iniquité, I.e plus grand scélérat qui jamais ait été".

VVe 1074-1076) Il ose mêJœ Jœttre Orgon en ganle, prévoyant que celui-ci est

in-capable de le soupçonner:

(1) SIMON, A.: Molière par lui-mêrœ, p. 94.

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