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Le thème de la jalousie dans Du côté de chez Swann /

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Academic year: 2021

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(1)

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de VERTEUIL, M. M.A. ...

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thesia submi~ted to the Faculty of Graduate Studies

-and Researc~ in 'partial fulfillment for the requirements

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Mé~i1l University Montreal.

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DE VERTEUIL, H. : 1 July 1975 1976

# 4 L .

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The theme ',of jealousy in Du côtê de chez SwaI}n. Department of French language and literature.'

Michaelle de Verteuil H.A.

Abstract.

This study of jealousy in Du' côt€ de chez Swann will show that, according, to Proust, love is an illness which manifests itself when jealousy is awakened. The ambivalent feeling of love which is prim~ril1 jealousy, is made up of destructive elements which transform the personality of the lover. When overpowered by the emoeions of love and jealou~y, the lover finds himself powerless. In order to recover his , freedom, he will'have to rid himself of the lOve which

emprisons his soUle

, Ta sus tain this point of view, we have tr-ied to prave that aIl proustian, loves fallow the sarne est.ablished p~ttern,

with few differences.

Jealousy is a subjective feeling and its object, wornan, i5 interchangeable and affects in no ''lay the depth of love nor the extent to w~ich the lover suffers. The analysis of jealeusy enables qs te understand its meaning: jealousy ls

j'

the vehicle for an exhaustive and morbid introspection which brings to light the most inner feelings~ furthermore, i t

j)'

serves as a basis for aIl artistic creations .

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,Le th~me de la jalousie dans Du côté de chez Swann.

Département ge langue et de littérature francaises .

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Michaelle de Verteuil y- r1. A.

Résumé o

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Par l'étude de la jalousie dans Du côté de chez Swann, nous désirons·montrer que, selon Proust, l'amour est une mala-, die qui naît de la jalousie. Cet amour-jalousie constitue un ~

élé~ent destructeur qui ronge la personnalité. L'êtté en proie .ii

ce

sentiment est e'nfermé dans un carcan; il' faudra qu'il s'en

.

. débarrasse pour so~tir de l'~mpasse 06 l~ retient ce'sentiment.

A ll'appui de cette thêse, nous ë1:vons essayé de prouver que toutes les a~ours proustiennes suivent le même schême, à

quelques différences pr~s.

La 'jalousie est subjective et son objet,' la femme, est interchangeable et n'àffecte aucunement la profondeur du senti-men t ou de la douleur~ L'analyse. de cet te j alous ie perme t d Î en comprendre la signification: la jalousie e'st le véhicule d' un'e .. , introspection exhaustive et morbide q~i met ii jour les ~o~ndres I l replis de l'âme; de plus elle sert de base ii toute envolée

~."

esthétique.

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Plan propos€.et accept€ par Monsieur J.C. Morisot,

Président du Comit~ des Etudes Gradu~es, D~partement

des Etudes Françaises, Univerait~ McGill.

Le thème de la jalousie dans Du côté de .chez Swann.

1. -Ambiguité de l'amour: la jalousie.

~--~---Chapitre l

Chapitre II

Chapitre III:

Parallêle entre"ie drame du d~shabillage"

dans Combray et l'angoisse pathologique gui

naît de ce drame, ét la. j alou~,ie de Swann

dans Un amour de Swann.

Etude de la naissance et de l'évolution de

l'amour de Swan~ pour Odette (symptômes,

manifestations). Cet amour naît et se

nourrit de la jalousie: il est cette

ja-lousie même

l Etude détaillée de ce

senti-ment; en quoi,diffêre-t-il de l'amour? L'étude psychologique de Swann est faite! la lumiêre de cette jalousie qui accapare si totalement la personnalité de Swann qu'il n'y a plus place en lui pour aucun autre sen,timent.

,

II. Jeux de miroir.

Chapitre IV : Etude détaillée de i'am~ur du narrateur pour

Albertine faisant ressorti'r les similarités qui existent entre le sentiment du narrateur pour Albertine et celui de Swann pour Odette. Peut-on retracer des disparités importantes?

Chapi~re V Le schême de l'amour-jalousie est toujours le même dans la Recherche: ébauche 'dans l'amour

Chapitre VI

'du narrateur pour sa mêre, du narrateur pour Gilberte; amour-jalousie du narrateur pour Albertine,' de Saint-Loup pour Raéhél, de Charlus pour Morel.

"Les femmes sont les instruments interchan-geaoles d'un plaisir toujours identique."

(Marçel Proust). Les femmes S7~ ent de miroir

A ceux qui res aiment. . L'amour e peut être _

Source de bonheur. 'l;, - ( '

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JALOUSIE~OANp "DU COT~ DE CHEZ SWANN,n.

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C6n~truite sur le modêle d'une cathédràle,l la Recherche a pour assises le temps et la m~moire,' ee pour faIte la voca-tion artistique'du narrate~r. Mais l'amour prête son rYthme! l'oeuv~e entiêrei les passions- arnou~euses, comme autant d'ogives . 'fines et élancées, déployéè"s en perspective dans la voû:te et se

répétant d'un bout' ~ l'autre de.' la nef, suivent la coürbe 'lue Proust a prêt~e li l' arnoûr. Si l'écoulement du :tetilps et

l'évo--1

-cation du passé par la mémoire sont les él~ments de base, si toute l'oeuvre tourne autour d'une vocation artistique, l'amour

"

y occupe une place impor~ante, sinon essentielle. ~n partant

li la recherche du temps .perdu, le narrateur a souvent.rencontr~

l'amour. -Ce n'est pourtant p~s l' arnou'r a~uel la littératur~

romantique nous a habitués., Par sa~force, ~a vi<Jue~J.r et sa

ta-o

talîté, il resserit1;>le II l'~o~r que,Tristan éprouve pou)': Iseult, mais le rôle qti'y joue l'absence et la

sépar~tion

l'apparente plut8t ~,la passion d'Orphée pour Eurydice. Tel qu'il est

res-~

senti pàr les

.

person~ages de_la Recherche, , c~est un sentiment ambigu, régi '~troitement pp.r des lois immuables, et qui est

. /

2 ~

inévitablement voué II l'échec. Proust ne

connalt~ue.

l'amour

~

inquiet et jaloux, la passion dévorap~e et exclusive qui mine

la Phêdr-e de ~acine. l L !.:~_rm~nie, la cOI;1~iance, la communication

IMarcel Proust, Lettres rètrouvéès, (Lettre II Jean'de Gaigneron), 'présentées et annot~es par philip Kolb, Paris, Plon, 1966, p. 131.

(7)

t

sont 'exclues; l'amour ne trouvè jamais d'écho 'chez l'être aimé. L'amour paftagé - autant di~e l'amour - n'existe pas. Celui qui aime est ~un être tort,ur~ qui vit dans un climat de

souffran-,

ces et de mensonges~ Il évolue dans un univers tragique: " c'est Orphée impuis"sant descendu aux Enfers, dans le monde 'des ombres, toujours en train de ressusciter Eurydice. Par sa ré~

\

p~tition, par, la rigidité de son développement, pa~ la fixité

, ' '

de' ses normes, l'amour 'proustien sort du particulier pour attein~

dre'! la vérité profonde d'une loi universelle: l'amour est

.

,

'ill~s~ire,

'c'est un phénomêne totalement subjectif, une "sorte de création - d'une personne supplément'aire: distincte de celle qui porte le m~e nom dans le monde et dont la plupart des

~lé-ments sont tirés de nous-mêmes .,"1

Le sentiment dyn~ique qui propulse l'attachement sen-timental pour lui communiquer 1f1e vie propre et en faire un élé.-ment destructeur, c'~st la jalousie~ Elle joue le rôle de ca-talysevr, puis 'insidieusement, eile accapàre la tendresse, la \ . joie; elle corrompt l'amour naissant, l'~ssiêge, de toutes parts'

pour le transfprmer en jalousie pure. C'est la force motrice qui anime la vie entière de l'amoureux jusqu'! ce qu'un concours de circonstances propices survenant de l'extérieur fasse expirer brusquement ou lentément cette passion maléfique et dévorante.

Le thème de la jalousie e~ploité dans Du côté de chez

, 'I:r>

Swann obséqait Proust. On le retrouve déj! dans Les plaisirs et les jours, tout particulièrement développé dans La fin de

..

~Marcel Proust, A la rech~rehe du temps perdu, texte é~abli et

présenté par'Pierre Cla~c et,Andr~ Ferr~, Paris, Gallima~d,

,r" 1954, 3 volumes (Bibliothèque de la Pléiade), Tome l, p. 468.

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(8)

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la' jalousie, et dans Jean

~\.nteuil

oil' l'amour de Jean pour

,

Françoise, préfigurant. èêl ni' de Swann et, du narrateur, présente bien des aspects qui caractériseront plus tard les relations amoureuses de la Recherche: "Le plus souvent l'amour n'a pour objet un corps que si une émotion, la'peur de le perdre, l'in-certitude de ~e retrouver se fondent en lUi."1

Des fragments de la jalousie de Swann sont rejoués de • façon intégrale par d'autres couples de ~a Recherche à

l'inté-rieur de ~dres différents. C'est selon le même schême que se développera l'attachement du narrateur pour Gilberte. On le retrouvera intact dans les amours du baron de Charlus pour

.

l-Iorel et de Saint-Loup pour Rachel. Il se distendra jusqu'à prendre des proportions monstrueuses chez le, narrateur dans ses

..

rapports avec Albertine. Celui-ci ne semble connaître aucune autre forme d'amour. Par l'angoisse qu'il provoque~ l'être aimé exerce sur l'amant le pouvoir le plus comp1et puisque l~i seul

1 •

peut l'apaiser. Tout l'univers se ligue contre celui qui aime;

.

\} , ...

sa libération n'est possible que s'il a la cert~tude que l'etre aimé tient à lui, ou si l'oubli causé par l'absence s'installe au sein mêmeJde cette angoisse pour la désamorcer et l'effriter peu! peu. Lorsque ces conditions sont remplies, l'amant n'est plus rivé à son amour qui peut maintenant mourir. Il redevient lui-même.

La jalousie fait de l,' amant un possédé qui ne veut rien entendre. Toute son attention est dirigée sur l'objet de sa

jalousie. Il se transforme en instrument d'interprétation à

lMarcel proust, A la recherche du temps perdu, Tome III, p. 93 4

(9)

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'affût de chaque mot, geste, signe ou expressio'n; '" i l s'en

"

Impare pour en extraire une signification qui mettra à jour

1

l

s aspects qu'il ne '"v~ut ni ne peut accepter. Mais ces

vé-, ~

rOtés s'avêrent souvent subj~ctives et contradictoires, et le

i

jflloux harcel€ finit par ne plus savoir 'q~i croire et s 'oaffole.

"taiS

nous tâtonnons sans les trouver. De 111 la défiance, la

jtlousie, les persécutions. Nous perdons un temps précieux sur ur.e piste absurde et nous passons sans le soupçonner à côté du vrai. nl

1 Telle qu'elle est conçue par prou~t, la jalousie prend

~e tournure d'autant plus complexe qu" elle est reliée au thême

d~ Sodome et de Gomorrhe, monde étrange, inconnu et

incompré-i

Hensible dans lequel l'amant n'arrive pas à prendre.pied. Ce sont des sables mouvants on il ne peut s'aventurer. Même

"'.

lorsqu'il

la~pusse

jusqu'à ses flmites extrêmes, son imagina-tion ne lui permet pas de pén€trer dans cet univers dont les portes lui restent fermées. Mis au pied du mur par l'impossi-oilit€ oa il se trouve, de pouvoir offrir! l'être aimé les

p~aisirs défendus qu'il imagine d'autant plus intenses qu'il ne

les connaît pas, l'amant voit s'irriter sa jalousie et s'appro~

fondir la souffrance dont elle est la cause.

-IMarcel Proust, A la recherche du temps perdu, Tome III, p. 100.

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PREMI~RE PARTIE: AMBIGUIT~ DE L1AMOUR: LA JALOUSIE

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CI1APtTRE 1.

"Le drame du d~shabillage. Il

.

. La vis~on prou~tienne de l'amour ne laisse aucune place

,1

au bonheur., car c~ sentiment' est ~ntimernent li~

a

l'angoisse et

~

a

la jalousie. L'amour sè ma~ifeste seulement lorsque celui

qui 'aime éprouve un manque, un .vide

dan~

sa vie

af~ective.

Le

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seul

.

succ~dané' d~ bonheur qù~

.

soit accessible

a

l'am~nt, c'est

de combler ce manque,"apaisant ainsi l'angoisse et la jalousie qui

il'"

agi taient •

-~-Que l'on passe de l'amour exclusif du narrateur pour

sa ·mêre

AD

l'attachement de ~wann pou~ Odette, on aboutit

a

la

mêpte -.gitation incontrôlable, ,

a

la même_,angoisse - (iéc,h'iran~e, .!

la même t~ansformation aveugle du "moi Il habi,tuel. Car l'aJ'I\our

jalouX substi~ue pour quelque temps une no~velle personnalité

a

l'ancienne, qqi disgaraîtra ens.uite sans,que l'amoureux ait

été plu§ r~sPQnsable de sa naissance que de sa mort. Celui qui

,

.

aime n.' est libéré de 'Son 'angoisse que lorsque la présence de

l'être aimé lui apporte'l'apaisement qu'il recherche

passionné-mént~

La surimpression.du personnage du narrateur sur S~ann

1

.

est évidente. Le narr~teur fait souven~ al~usion aux ressem- .

blancèa qui

exist~nt e~re'l~

et le personnage de la Recherche

qui', lui tient le plus 1 coeur:

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Je me suis souve~t fait racont!er., b:i,en des années plus tard, quand je commençai ~ m'intéresser 3 son caractêre

fi:elui de SwannJ 3 cauSe des ressemblances qu'en toute autre chose il offrait avec le. ·mien ...

Mais l'identification est plus étroite encore que ne

17

laisse

..

penser le narrateur. De nombreux critiques ont assimilé le ~ héros de Combray à Swann et certains d'entre eux 'ont trouvé des

pre-,~Ye.s gui attestent cette volonté ,de l'auteur de rapprochei:

.

,

'j

ces deux personnages, de sorte qu'ils participent d'un même ca- \

., ,ractêre. André Maurois

a

trouvé un indice indéniable: _ "Swann apparaît comme une.incarnation" de

prous~ui~même

ainsi gu'on

l~

voit clairement dans

l~

versions des cahie'rs où

S~ann ~eune

est d'abord le héros d,s, aventùres ~ui deviendront ensuite ,celles

du

n~rrateur.

,,2 Maurice Bardêche, qui a eu le premier le'

privi-lêge de consulter les qahiers et les manuscrits de Proust actuel-lement en dépôt à la Bibliothêque Nationale de Papds, a~ dé€ect~ une autre preuve également indiscutable: "l.a conÙunination est si évidente que dans les addition's é'crites sur la PFlge gauche de ce cahier, Proust par ;'nadvertance passe du IL [de

swa~n].

-au '. JE '.[dU narra-eeur}.1/3 Jean-Yves Tadié se laisse

émer~ler

par

ce dédoublement; ilLe. miracle est gu1à la fois Swann soit déj!

~

.

le narrateur, et' qu'aucun lec·teur ne ·songerait à i~s confond~ ... 4

~

Tout se passe oomme si

le

na~rateur,

.

voulant ~tendre 'la

lMarcel P~oust, A la recherche du temps perdu, Tome l, p. 193.

2André Maurois, Le monde de Marcel Proust, Paris, Hachette, 1960,

p. 68.

3Maurice Bardêche, Marcel Proust ronta~cier, Paris, Editions les ~sept couleurs, 1971, (2 vol.), Vol. I, p. 276.

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.

4Jean-YVes'Tadié, Proust et le roman, Paris, E9itions êallimarà, 1971, p. 227.

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nappe du temps, projette dans un pa.ssê , \ i pr~cêde le sien, dans l'existence même de Swann, les manifestations d'une forme d'amour dont la répétition tout au long de la Recherche

justi-i.ra

la déduction des lois s'appliquant ~ la personnalit~. Re-foulant ainsi dans une génération antérieure la conceptiop

nou-o

velle qu'il" extrait des relations amoureuses de ses personnages, l'écrivain fournit ~ ses idées un appui a4ditionnel qui consoli-dera l'universalit~ et la gén~ralit~ de l'amour proustièn.

'o~ les rapports entre 'le drame du coucher qui se d~roule

a

Combray et l'angoiss~ pathologique qui s'empare de Swann s'avê-rent nombreux. Dans l'émotion qui agite le narrateur-enfant se trouvent déj~ les prémices de la passion de Swann. L'ébauche est

compl~te, et si les sentiments vont se déployer chez l'adulte et prendre des proportions que l'enfant n'~~as connues, on y retrou~ ve identiques

~e

même désir de

possess~on~lusive

transfigure par l'imagination, la mê~e impulsion nerveuse qu nul effort de

.

volonté ne peut arrêter, la "fuite" de l'être aimé. es éléments transformeront la tendresse, l'affection en un sentiment aladif: la jalousie. Car l'incàpacit~ pour celui qui aime de reconna re

.

l'indivi~ua1ité intrinsêque, la disponibilit~ et l'indépendance d

l'objet de son amour, t'ransforme en jalousie les liens d'affection qui les réunissen~. Les symptômes sont les mêmes. Dans ce pers on-nage double, l'amour filial qui engendre l'angoisse a trac~ des sillons et,tout naturellement, la passion de Swann pour Odètt~ les

~

.

suivra. Dans lès deux cas, cet amour est'un état pathologique. L!exclusivité qui caractérise l'amour du narrateur pour sa ~êre, l'angoisse et l'agitation maladives et nerveuses qui se manifestent

9

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lorsque l'apaisement imm~diat ne pe~t avoir ,lieu ou se fait at-tendre, la souffrance incontrôlable qui en r~sulte pr~figurent

l'attachement morbide qui lie Swann l Odette. Rien n'y manque, ni la passion égocentrique qui tourne

A

l'obsession, ni la

lu-cidit~ de clinicien qui établit la distance n~cessaire entre .

~ lui et son mal, ni cette propension à la douleur, ni cette com-plaisance devant la souffrance •. t'angoisse du narrate~r aaps sa chambre à Combray est la réplique exacte de l'exalta~ion

li

..

douloureuse de Swann en proie à la jalousie: ,

L'angoisse que je venais d'éprouver, je pensais que Swann s'en serait bien moqué s'il avait lu ma lettre et en avait devin~ le but; or, au contraire comme je

l'ai appris plüs tard, une àngoisse semblable fut le . tourment de 'longues' années de sa vie et personne aussi bien,que lui- peut-être n'aurait pu me comprendre:'~,

cette an ois se u'il a

A

sentir l'être u'on-aime dans

un l~eu de lais~r 0 1 on ne eut

le re o~ndre c est ur U1 a lU1 a a1t conna1tre, amour auque e e est en que que sorte pr dést~n~e,

par lequel elle sera accaparée, spécialisée; mais quand

~ comme moi, elle est entrée en nous avant qu'il ait encore fait son appa'rition dans notre vie, elle flotte en l'at-tendant, vague et libre, sans affectat~o~ déterminée, au servxce un jour q'un sentiment, le lendemain d'un autre, tantôt de la tendresse filiale, ou de l'amiti~ pbur un camarade. l r

Le narrateur et Swann.sont incapables de résister aux

impul-~~ns

nerveuses qui mettent en marche un "moi"

inhabi~uel,

ViO~

et avide. Les termes que le narrateur emploie font

pens~r

i"

une passion d'adulte plutôt qu'à un amour filial'."

Jean Rousset",- dans Forma et signification, ~tablit un rapport

~.

---.,.

entre l'amour du narrateur pour sa mêre et François le Champi

)

que lui lit sa mêre pour le calmer. Il croit y voir un~ forme

~

'~arce.l

Proust, A"'--_l....;.a;...;:;r ....

e...;:c..;;.h~e~r;..;c..;;.h~e~d:;.u=--t.;;;,em:;;,;;;plli:..::.s...a:;p.;::e;:r.;::d:.;:.u,

Tome 1, p. 30. (souligné par nous).

#',.1. :~., h __ . v •

...

(15)

..

de symbolis~e qui servirait! souligner l'amour passionné que

d~chire l'absence" . et q~li anime le narrateur-enfant pour sa mêre, amour idéal, mais combien absolu et possessif~ C'est

l'histoire d'un o~phe,in ~ qui ~e Il en tombe éPerdumen1amoureux et

- \

son désir de recevoir n baiijer de

jeune meUniêre se;t de mêre. "laisse timidement entendre la meuniêre comme s'il était

.

son vrai. fils, et puis, ayant reçu ce baiser, il va pleurer de joie à l'écar~."l

Pour retracer la conception proustienne de l~amour ja-loux, il faut remonter ! ~a scêne du baiser refusé, au drame

)

du déshabillage et à l'angoisse qui s'empare du narrateur-enfant ! Combr~y ~ Tous les soirs, avant qu'il ne 5 ' en(lorrne, sa mêre

vient le border et l'embrasser. L.' enfant nerveux attend ce' bai-ser dans l'anxiété~ il en a fait un rite auquel on ne peut, plus déroger. Son imag~nation exaltée entoure cette heure de poésie et la pare d'un charme qui en rehausse la valeur. Mais dans la joie du baiser, l'enfant perçoit le désarrqi qu'il ressentira <:lês que sa mêre le quittera. " Le plaisir éprouvé est déjll teinté

(

du regret qu'inspire sa fin prochaine. Il n'y a donc pa~ de vrai

1

bonheur même au moment oÜ on le détient. ,La mêre aurait bien vpulu que l'enfant perde cette habitude trop attendrissante pour son tempérament de nerveux. Mais devant son Chagrin elle

faiblis-/ '

sait et faisait une concession! sa tristesse. Mais c'était mal-gré tout un moment consacré li la souffrance, ~ançon de l'apaise-ment que lU,i apportait le baiser maternel:

lJean Rousset, Forme et signification, Paris, Corti, 1962,' p. 157.

(16)

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"

Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite que le moment on je l'entendais monter .•. ~tait

pour moi un moment, douloureux. Il annonçait celui qui allait suivre, 00. elle m'aurait quitté', 00. elle se-rait' , redescendue .'. •. j~ voulais la r.3ppeler ••• ma~s je savais qutaussit8t elle aurait le visage fâché ••• or la voir

fâchée détruisait tout le calme qu'elle m'avait apporté un instant avant, q.uand elle avait penché vers mon Lit sa figure aimante, et me l'avait tendue comme une hostie pour une communion de paix 00. mes.lêvres puiseraient sa présen-ce' réélle, et le pouvoir d~ m'endormir. l " , #

Mais lorsque le drame survient, ses parents ~eçoiv~nt des ami s et 011: 't'a èn'Voyé a~ lit sans s9n "viatiq~e

.

Il habi tueù.

Re-tenue par un invité, en lioccurrence Charles Swann, "l'auteur in-consoient des tristesses"2 du narrateur, la m~re ne 'peut parti-ciper au ri te du baiser du soir. L' en,fant est

l '

crise parce-q~e cet apaisement lui est refusé.

1

en plein état de '<1}

Ce s~nt des

ima-ges de mort que le narrateur choisit pour décrire son état d'âme: "Il fallait

...

creus'er mon propre tombeau, revêtir le suai~e de ma chemise de ~uit. Mais avant de m'ensevelir

sayer une ruse de condamné." 3

je voulus

es--Pour obtenir le soulagement qu'il recherche, il n'héaite

à Françoise un billet pour

12

pas à recourir au

menSOnge~Il

remet

sa, mêre" lui 'demandant de modter pour

,

Une fois le me~sage ~arti, son ~i~té'tOmbe: sa mère

de 1u~: ,

era bientôt aupr~s

Et la joie avec 1aqueile je fis mon premier apprentissage quand Françoise revint me dire que~ma lettre serait

remi-se, Swann l'avait bien connue, cette joie trompeuse que nous donne quelque ami, quelque parent de la femme que nous aimons, quand, arrivant! l'hôtel ou ~'th~âtre 00. elle se trouve, pour quelque bal, redoutè

au

première,

,

-1

lMarcel proust, A la recherche du temps perdu, Tome l, p. 13.

2 .. Ibid., p. 43 ..

--3 . ~., p. 28 a

(17)

1

cet ami ndus aperçoit,errant dehors, attendant dêsespêrê- ' ) ment quelque occasion de communiquer avec' elle .•• nous

promet de nous l'envoyer avant cinq minute~. Que nous 1

l'aimons .:.. comme en ce moment j'aimais Françoise - l'inter.,.' médiaire bien intentionné qui d'un mot vient de nous rendre supportable, humaine et presque propice la fête inconceva~

ble, infernale, 'au sein de laquelle nous croyions que des tourbillons ennemis, pervers et délicieux entraînaient lO,in de nous, la faisant rire de nous, celle que nous aimons. l

Mais la lettre n'apporte 'pas l'effet ,voulu. Un désespoir inde'scriptfble envahit l'enfant. La douleur est si puis,sante, si insupportable, si véritablement physique, qu'i~ nè peut pas se ré-signer. Il lui faut trouver le moyen d'apaiser les mouvements de son çoeur: "les battements de mon coe'ur de minute en It\ipute

deve-1

\1 \

naient plus doul?ureux parce que j'a~gmentais mon agf~ation en me -; ~

prêchant un 'calme qui ,était l'acceptation de mon infortune. ,,2 Pré-férant faire face aux pires catastrophes, conséquences d'une condui-te aussi folle, il déçide de braver la colêre du pêre et

d'atten-'1,

dre que sa mê're monte ap~ês le dîner pour obtenir l'apaisement in-dispensable du baiser maternel. Aussitôt qu'il entrevoit une solu-tion,~un moyen même inadmissible, il se calme; c'est le commence-'filent de. l' apaiseIl.'ent: "une félicité m'envahit connn)un médicament

Juissant nous enlêve' une douleur:3 Comme un supplicié, il attend

au haut de l'escalier que ses paren~s remontent puis, en larmes, il s'élance au cou de sa mêre. C'est elle qui remarquera

l'alté-•

. ration de ses traits: "Sauve-toi qu'au moins ton pêre ne t'ait pas

.

') .

vu ainsi attendant comme un foû

:.:.~

Mais il est trop tard, son

" ~

lMarcel Proust, A la recherche du teme~ perdu, Tome l, pp. 30-31.

2Ibid., p. 32.

3Ibid., p. 14.

4Ibid., p. 35.

,

(18)

4

t~ • • r ".', " ,

..

père le ·voit • . Coup 'de théâtre dramatiqué: ému et ~ttendri par 'cette souffrance d'enfant, le père propose à sa femme de passer

la nuit auprès de son fils. Malgré cette victoireJ le

narra-teur constate la défaite de sa mêre qui abando'nne l'idéal de vo-lonté et de virili~é qu'elle visait pour son fils, et qui re-connait tout haut que sa nervosité es~ un état maladif 'dont il ne peut cGntrôler l'impulsion. $euls la mère et le narrateur r-saisissent la signification d'une telle abdication. Il sent

..

~u'il a rompu la digue, qu'il a corrompu l'idéal, moral qu'elle,

cherchait à lui inculquer. Devant la tendresse infinie qu'elle lui manifeste ce soir-l~, la joie de l'enfant est teintée de remords et un sentimént' de culpabilité contamine l'apaisement que lui procure la présence de la mère aimée:

J'aurais dn être heureux~. je ne l'étais pas •.• il me semblait que je venais d'une main ,impie et secrête de . 'tracer dans~son âme une premiêre ride et d'y faire

apparaître un premie~ cheveu blanc. l

\

_ L'angoisse disparait mais le héro~ se sent coupable, com-me si en transgressant le,s principes de !:ia mère, il avait conunis

un sacrilêqe. Ce drame enfantin éclairera l~ tragédie de

l'adul-t>

14

te et ,lui imposera la marche l suivre: ce qu'il possêde~ c'est une mêre vaincue, amoindrie. Cette culpabilité .qu.' il ,'dev'{ne 'plus qui il ne la perçoit se jum,ellera si étroitement à tout sentlment de jouissance qu'elle accompagnera désormais se's joies à ,venir. Assez inexpliCablement, Swann ressentira ce même plaisir entaché

.

d'unè forme de remords. Aprês ces moments, bénis durant lesquels

..

elle met un baume sur sa, jalous1e, il couvrira Odette de ca~eaux,

lMarcel Proust, A la recherche du temps perdu, Tome IJ pp. 38-39.

(19)

....

.,

15

cOmme pour lui t~moigner une gratitude d'autant plus forte qu'il

..

ne croit pas mériter une telle preuve de tendresse.

Le narrateur sera marqu~ par la désillusion d'une mêre

r

qui abandonne l'idéal qu'elle avait construit 'pour son fils; elle

se donnera tout ~ntiêre à lui en' dépit de ses convictions et des principes ét'abl.is, et effacera le chagrin de son fils en l'entou-rant de sa tendresse. Or, l'enfant a bien saisi la défaite de la mère, plus significative encore qu~ sa propre victoire; il vou~

drait la libérer de ce fardeau et lui demander de se retirer, mais il est trop tard. Ce souvenir va raviver plus tard la culpabilité,

le' sentiment d'expiation qui s'infiltrera dans :la vie du narrateur

~

et qui

affect~

également Swann.

,

Il d~terminera les 'amours à venir qui s'élaboreront à partir d'une transgression; celui qui aime dérobera à l'être aimé la joie, l'apai~ement auxquels il ne croit pas avoir droit.- Ces

~our~ ~e

seront qu'une

~pétitiO~

du baiser rœfusé. Il en· découle que les plaisirs sensuels auront l'effet temporaire de drogue, d'analgésique, de calmants. C'est! l'exclu-sivité la plus complète' de la pensée, de l'attention de l'être ; , aimé qu'aspire celui qui aime; il d~couvri~a cependant que cette possession totale est irréalisable et ina'ccessible'" ,

.

A l'heure oe s'éveillait en moi cette angoisse qui plus tard émigre dans l'amour, et, ,p.eut devenir A jamais insé-parable de lui - je n'aurais souhaité que vînt me dire bonsoir une mêre plus belle et plus intelligente que la mienne. Non; de même que ce qu'il me fallait pour que"

je pusse m'endormir heureux, avec cette paix sans trouble qu'aucune maîtresse nIa pu me donner depuis, puisqu'on doute d!elles encore au moment oü on croit en élles et qu'on ne possède jamais leur coeur comme je recevais' dans

un b~iser celui de ma mêre, tout entier, sans la réserve

d'une arriêre-penséi' sans le reliquat d'une intention qui ne fat pas moi.

lMarcel Proust, ~,la .recherche du temps perdu, Tome I, p. 185.

- - :

,

(20)

\

'. '.

'

16

Dans leurs relations amoureuses,.ni SWann, ni le narra-teur ne trouveront dans l'être

,

aim~ cette tendresse d~sintéress~e,~

"sans limite et sans retour". Bien au contraire, ils n' y décou--vriront que la douleur.

Or, cette angoisse, cette anxi~t~ communes au narrateur et à Swan'n èt qu j il faut calmer à tout prix, d~coulent d'une dou-ble source. D'"une part, elles sont caus~'es par l'habitude 9ui

"-nous. fait oublier notre bonheur, mais qui rév~ne sa noci vi té par la souffrance ressentie lors de sa rupture:. "il me fallut partir . sans viatique .. '., montant contre mon .coeur qui voulait retourner

~ês

dè ma mêre

parc~ q~'e1le

ne

lu~

avait pas, en

mlembraSSan~

donné licenée' de me suivre • .,l; dl/autre part, elles naissent de

l'abs~nce qui provoque une jalousie atroce qui se mêle à l'amour

1

et le corrompt insidieusement pour se confondre en lui: "cette angoïsse qu'il

.

y a ~ sentir l'être qu'on aime dans un lieu de plaisir oil l'on n'est pas, oil'l'on ne p~ut le rejoindre'~ ,,2,

Pour le narrateur

l'a~goisse'revêt tou~ou~s ~torrneld~

la jalousie. El~e s'empare du r~seau émotif et_nerl;ux de l'en-fant, non seulement parce qu' il"est privé du baiser et de la

pré,-sen~

maternels, mais aussi parce qu'il la sait avec

d'a~tres

. personnes. Parce qu'elle me,sure sa tendresse po~r l'aider

a

for-\

.

tifier son caractêre et développer' sa volonté, la-mêre du

narra-.

teur se transforme en "être de fuite". Sans le vouloir, elle po-larise la pensée et les rêves pe l'enfant sur le baiser du soir,

lMarcel Proust, A la recherche du temps perdu, Tome l, p. 27.

1

(21)

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1 ~-~J ". ' 1 ~., " " f é ' 17

momenrtant attendu OÜ il possédera tout' entiêre l'attention

.

,

maternelle. Le désir de ,l'enfant est toujours raviv~ e~ peut se multiplier sans contraintè. Un moment l'angoisse se

dissi-1 ~ • '.

pe et une fois le call1'l.e- venu, le narrateur réintêgre s~ person-nalité habituelle: "Demain mes angoisses reprendraient et maman ne resterait pas l~. Nais quand mes angoisses étaient calmées" je ne les comprenais pl~'s." l Le même IPhénomêne se produit chez Swann:.son angoisse s'apaisant, il en oublie l'intensité. Ainsi

,

en amour l'expérience s'avêre inuti1

7.

r

La scêne du coucher joue un rôle capital dans la Recherche.

Pr~ust a souvent indiqué d'ailleurs que tous les thêmes de

l'oeu-vre sont,ébauchés dans Combray. 'C'est, â ce drame de l'enfance que les amours â venir vont faire écho. L'amour filial servira . de modêle à la passion de Swann gui se développera indépendamment

de luir comme ùne tumeur. Puisqu'il naît de la jalousie pour

être ensuite absorbé par elle,' l'amour, est une machine infernale,

un instrument de torture:

1

En réalité dan~ l'amour il y a une souffrance permanente que la joie neut~alise, rend virtuelle, ajourne, mais qui peut à tout moment devenir ce qu'e~le serait depuis long-temps si l'on n'avait pas obtenu ce qu'on souhaitait, atroce,2

Le drame du 'coucher ~tablit et fixe le schéma des amours de la Recherche. D'ailléurs, le narrateur fait de fréquentes

allusio~s A ce drame tout

au

long de cette oeuvre. Suivant la

IMarcel proust', A la reéherche .du temps perdu, TOme l, p. 43

2Ibid., p. 582

(22)

, ,

t

o

4

courbe du sentiment que le héros éprouve pour sa mêre, ProU'st s'en empare, le transpose, l'amplifie et en tire la passion'

dou-18

loureuse qui anime la Recherche. On voit constamment revenir, sous

des ~ormes différentes, des fa~s iqentiques. Les, éléments ~ont

.

les ~êmes bien que leur composition soit autre. Leur persistance

donne aux déductions de l'auteur une forCi,e de loi: "L'étude du détail de chacune aes parties de l'oeuvre dans ,ses rappor~s avec les autres permet

s~ule.

de comprendre

î'

étendue et ,-la profondeur du gigantesque systê~e d'échos, 'de reflets, de rappels construit par Proust." 1 CI , .':!,{ . " , " / /

lJean-Yves Tadié, Proust et le

~oma~ditions

1971, pp. 263-264.· _---~ ~ ---,. -- ---Gallimard,

.

, a "

(23)

~. " ~" l' ;;.t ~ :. r/./Il ~' :

.

~ ,

~ CHAPITRE II. UN AMOUR DE SWANN. ,

.

Retraçant la courbe affective déjà parcourue par le

n~r-rateur, Un amour de Sw~nn vient se juxtaposer au~drarne du éoucher. Toutes les s~ructures sont établies et la passion de Swann servira à éclairer, à étoffer et à confirmer les normes préexistantes

selon l~elles tout rapport 'amoureux va désorm~is se dérouler. On retrouvera cependant dans la transition du baiser refusé à l'a-mour de Swann, conune justifiées par la transfprma'tion de l'enfant en adulte, une ,progression, une amplification, et une dégradation de la joie qui se transforme presque exclusivement en doulèur,et

19

It

en souffrante:

o

Car ainsi S\>lann vi vai t dàns cette adaptation douloureuse qui avait déjà été assez puissante Pour faire éclore son amour ••.• Et il n'avait pas comme j'eus à Combray dans mon enfance, des journées heureuses pendant lesquelles s'ou-blient les souffrances qui renaîtront le soir. l .

L'épisode d'Un amour de Swann garde cependant toute son

individualité ca~ il constitue l'un,des rares récits objectifs de la Recherch~. Malgré la richesse de la peinture, il reste exté-rieur au narrateur. Le récit de la passion ja~oûse de/S~ann pour

Odett~ est un prélude indispen~able à l'amour tragique du

narra-teur pour Albertine. Ce double drame constitue un ensemble qui t~moigne de l'importance que Pr6us~ accorde au thême de la jalou-sie. DR plus, Swa~n joue dans la vie du narrateur le rôle d'ini-tiateur. Il rnqule le destin de ce,dernier qui, sans les impulsions

lMarcel Proust, A la recherche du temps perdu, Tome l, p. 295.

(24)

0

"

-20

que Swann lui a données, aurait pu être tout autre.

Ce même état latent d'angoisse, on le' retrouve chez SV.'ann , , lorsqu'il s'attache

a

Odette. C'est au théâtre qu'un de ses amis présénte Swann

a

Odette, lui glissant à l'oreille que c'est une femme fort agréable' mais dont la conquête pourrait s'avérer

diffi-..,

cile. Odette s'intéresse

a

lui et le poursuit de ses attentions;

, 1

il s'en trouve' flatté ét subit

~a

'pr1ésence avec amusemeht tout en espaç~nt quelque peu leurs rencontres qu'Odette aurait'voulu plus fréquentes: "Il s!1était excusé sur sa peur des amitiés 'nouvelles, l , ce qu' il avait appelé par galanterie, sa peur d' être malheureux. ,.1 A la dema~de d'Odette, il lui permet de venir chez lui et après son départ "Swann souriait en pensant qu'elle lui avait dit combien

"

1 • -""'- \ 2

le temps lui durerait j'usqu1:à .ce qu'il lui permit de revenir." • - 4 - " l , . .

Or, Odette n'est pas son qenre et n~lui plaît pas. Elle

' ? "

incarne même le contraire des femmes qui êxercent sur lui une at-tirance sensuelle; elle ne l'émouvait nullement:

1

Elle était app:arue ~ Swann non. pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun d~sir, lui causait même une sorte de répulsion physique. ' .

Mais Odette rapp+oche insensibtemént ses visites, pui~ l'introduit dans le salon des Verdurin dont elle est une habituée. Un lien ,s'établit entre eux, presque ~ l'insu de Swann. Deux

transposi-~

tiens vont transformer Odette et favoriser l'épanouissernen~ de cet

(

~ttachement. Tout ~ fait par hasard, Swann retrouve dans la

lf.1arcel Proust, A la 2Ibid • , p. 197.

3J:bid. , p. 195

recherche du ternEs Eerdu,

1

~

Torne l, p. 196.

/

(25)

.

,

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,

musique interprétée par le jeune pianiste ~es Verdurin, la petite phrase de la ~onate de Vinteuil qu'il avait entendue une fois et qui l'avait charmé:

I~ la'considérait mo~ns en elle-même - en ce qu'elle pou-vait"exprimer pour un musicien qui ignorait l'exist~nce

et de lui et q'Odette quand il '~'avait composée, et pour tous ceux qui l'entendraient dans des siècles - que pomme

un

gage, un souvenir de.son amour qbi, même pour, léS

Verdurin, pour le petit pianiste, faisait pense~ à Odette. , en même temps qu'à lui, les unissait. l

, ~

Ainsi la petite phrase de la sonate vient se substituer ~~~J~mage d'Odette. Identifiant le plai'sir qû'il ,avait' à l'entendre à

celui ~'être avec Odette, ,il int~riorise cett~, image et associe le sentirnenf'ge plénitude et dé joie que lui avait apporté la

rnu-21

sique de Vinteuil à la présence d'Odette. L~ petite phrase devien-dra l'hymne de leur amour et, chaque fois que cet amour

s'affai-t

blira, elle lui apportera un regain d'ardeur'.

La seconde transpo3ition a lieu un soir chez Odette. Swann

~

.

est frappé par la ressemblance qui existe entre Odette vêtue d'un peignoir soyeux et la ,Zéphora de Bottice~li. -Il retrouve dans le visage d'Odette un fragment'de la fresque romaine:

'-~ Il se félici~a que'le,p!aisir qu'il avait à voir Odette trouvât 'une jus'tification dans sa propre cu.+ture ~sthé­

tique. Il se dit qu'en" associant la pensée d ' Odette

a

ses ~ves de bo~eur, il ne s'était pas6résigné ft un pis

aller aussi imparfait qu'il avait cru jusqu'ici puisqu'elle

1 contentait en lui ses goûts d'art les plus raffinés.

il'

oubliait qu'Odette n'~ait pas plus pour. cela une' femme selon son' 4ésir •.•• Le mot d '.oeuvre florent.ine .:. lui per- l

mit conupe\

'fIn

titre de faire pénétrer l'image d'Odette dans . un monde 'de rêve on elle nfavait pas eu accès jusqu'ici et . oi\. elle s'imprégna de noblesse. 2 "

Ces transpositions, qu'on pourrait qualifier 'de ,

l . .

,Marcel- Proust, A la reche~he' àq temps perdu, Tome l,

p.

218.

l

2 Ibid., p. 224.

(26)

.... f-"', \

22

~ransmutations en ce qù'elles transforment la nature même d'Odette,

• , 1

vont cristàlliser l'ihtérêt que Swann commence à ressentir,pour

"

elle. Pour que son amour

~evien~e ~ne

possibilité, pour que la jalousie puisse s'intégrer â cet attachement, il faut au préalable que Swann'assimile cette femme aux plaisirs esthétiques que pro-voquent en lui la musique ou la p~lnture. Odette perd les parti-cularités physiques qui lui déplaisent. pour s~tifie~ à des chefs-d'oeuvre.

la transformation l'amant construit

, ,

Il nous a semblé impQrtant de mettre l'accent sur

d'Odette aux yeux 'de

swan~er comme~t

son propre t~mbeau, élabore lui~même jusqu'à la perfection l'instrument qui va le torturer.' Il. façonne la "pou'" pée intérieure" qui va faire son, malheur. Odette n'existe plus, seul émerge dans son imagination, un être dont il a mOdelé les , '\

1

e

,traits:

.. ·e

Tandis que la vue purement charnelle qu'il avait eue de cette femme, en re~uvelant perpétuellement ses doutes sur la qualité de son visage, de son corps, de toute sa beauté, affaiblissait son amour, 'ces doutes furent détruits, cet amour assuré quand il eut à la place pour base les données d'une esthétique certaine. l, '

Il n'est donc pas nécessaire que .1 'être aimé plaise avant tout car l'imagination peut le parer de charmes illimités: "il opposait çelui [le caractêre] d'Odette, bonne, naïve., éprise d'idéal, presque si incapable de ne "pas dire la vérité ••• .,2 est essentiel' ,cependant que la femme soit un "être de fuite",

Il

une-créature entoprée de mystêre, capable d'éch~pper l la posses-sion de l'amant. L'amour n'~xiste que sur le mode de la jalousie,

.1Marcel

2 '

Ibid. ,

Proust, A la recherche du tempS eerdu, Tome I, p. 224 • ,

(27)

~

J

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~

J

,

(. r ? ... 23

aussi est-il important que la femme se transforme en instrument de souffrance et qu'elle seule possêde le pouvoir d'~paiser la douleur.

C'est alors que se produit un incident qui va déclencher, avec la violence d'une explosion, l'angoisse et l'anxiété qui ,désormais caractériseront l'attachement de Swann pour Odette.

Ce qui jusqu'alors n'était qu'un simple désir de passer des moments agréables dans la compagnie d'une Jeune femme dont l'att~ntion le flattait, devient en un soir un besoin iapératif que seule la pré-sence d'Odette peut apaiser.

Swann avait contracté l'habitude de voir Odette tous les soirs. Il lui arriv~it cependant de c9nsidérer'ces rendez-vou~

quotidiens avec ennui et indifference. Une fois qu'il s'était trop attardé avec sa passion, du moment, une jeune ouvriêre, Odette était déjA partie quànd il arrive ch~z les Verduri~ .

En voyant qu'elle n'était plus dans le salon, Swann ressen~

tit une souffrance au coeur, il tremblait d'être privé d'un plaisir qu'il mesurait~pour la premiêre' fois, ayant eu jus-que-Il cette certitude de la trouver quand il le voulait: •• l Swann,part comme un fou, prêt! renverser avec sa voiture, pour ga~

gner,quelques minutes tput d'un coup dev~nues précieuses, les gens qui, traversant la rue, lui barrent le passage. Il n'a plus qu'upe idée ,en t~~: retrouver, Odette. Mais Odette n'est'pas chez Prévost et Swann ~ontinue,sa quête l pied. Il entre dans les restaurants, envoie son cocher Rémi! la recherche d'Odette. Il lui faut la re~

voir pour abolir son angoisse. Malgré les instances de Rémi, il

IMarcel Proust, A la .ecberche du temps perdu, ~ome l, p. 226.

,.

, ,

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(28)

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refuse de rentrer et "çomme un' fiévreux "1 co'ntinue' à arpenter ies trottoirs:

,

D'ailleurs on commençait! éteindre partout. Sous les arbres des boulevards, dans une obscurité mystérieuse~ le~ passants plus rares erraient, ! peine reconnaissables. 'Parfois l'ombre d'une,femme qui s'approchait de lui, lui

murmurait un mot à l''ore,ille, lui demandant de la ramener, fit tressaillir SWann. Il frôlait anxieusement tous ces corps ,obscurs comme si parmi les fantômes des' morts, dans le royaume sombre, il eût cherché Eurydice. 2, '

24

Finalement, marchant à grands pas papr rejoindre sa voiture, l'air. 'hagard, il se heurte à une femme: c'est Opette. Sa joie est.immen~

se, plus réelle en~ore qu'il ne l'avait espérée:

Il e~pérait en tremblant .•• que c'étaït la possession de

cette femme qui allait sortir d'entre les pétales mauves des cattleyas .~. et le plaisir qu'il éprouvait, déj' ••• lui semblait - comme il put paraître au premier homme qui" le goüta parmi ,les fleurs dU paradis terrestre - un plai-sir qui n'avait pas existé jusque-l!, qu'il cherchait à

créer, un plaisir , .~. entiêrement particulier et nouveau. 3

"

Ce soir-l!, il' possêde Odett~. Pourtant, 'il sait bien que dans la possession physique l'on'ne poss!de rien 4 e~ qu'elle n'est un plaisir ?ouveau que s'il s'agit ude .femmes difficiles - ou

èrues telles p~r nous .• "5 SWann le sait si bien qu'il a ten~ entre ses mains le visage d'une Odette non po~sédée comme pour garder. d'elle l'image d'une terre encore inconnue" pleine de charmes

cachés. fi "

0

\

,

,lMarcel Proust, A la recherche du ternES ,eerdu, Tome l, p.228.

2Ibid·. , p. 230. 4; 3Ibid. , p. ,234.,

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4Ibid., , p. 234. 5Ibid. , p. 234. 6Ibid. , p. 233.

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A partir de ce jour-là, Swann n'est plus le même, il n'est plus qu'un être incomplet; le noeud goraien s'est resserré èt les jeux sont faits: son amour s'est cristallis~ sur la person-ne d'Odette:

De tous les modes de production de l'amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l'un des plus 'efficaces, ce grand souffle d'agitation qui par-fois passe sur nous. Alors l'~tre avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c'est lui que nous aimerons. Il n'est même pas besoin qu'il nous' plat jusque-là plus ou même autant que d'autpes. Ce'

qu'il fallait,c'est que notre g06t 'pour lui devînt exclu-sif. Et cette condition-là est réalisée q~and - à ce

moment on il ~ous a fait défaut - à la recherche des' . plaisirs que son ag~érnent nous donnait, ,s'est brusquement 1

substitué 'en nous un besoin anxieux, qui a pour objet ce 1;,-'

être même, un besoin absurde que les lois de ce monde .. r" ~

rendent, ,impo~sible à satisfaire eu difficile ~ guérir -le besoin insensé et douloureux de -le posséder.1

Ainsi naît l'amour qui pendant de longs mois va traquer

.-Swann jusque dans les profondeurs de son être. Ce vide doulou-reux qu'a creusé en lui l'absence d'Odette

et~certitude

que, pour recouvrer son entité, il lui fallait combler ce manque,

"

d~terminent tous ses actes. La jalousie s'est instaliée dans son amour et quel que fût l'endroit oU Swann passait la soirée, il

25

se rendait toujours chez Odette avant de rentrer, pour tr0uver auprês d'elle, comme,le narrateur-enfant auprês de sa mêre, l'apai-sement, sinon le bonheur, qui êmane de la présence de l'être aimé;

l' f

Puis sans qu'il sten rendit compte, cette certitude

qu'ell~ l'attendait, qu'elle n'était pas' ailleurs avec'

d'autres, qu'il ne reviendrait pas sans l'avoir vue, neutralisait cette angoisse oubliée, mais toujours prê-te à renattre, qu'il avait. éprouvée le soir qu'Odetprê-te n'était plus chez les Verdurin et dont l'apaisement ac-tuel étai~ si doux. que cela pouvait s'appeler du bonheur.2

4It

lMarcel Proust, A la recherche du temps perdu, Tome l, p. 231.

2Ibid., p. ?35.

(30)

o

De~ant

la soudaineté de

~

douleur et la profondeur de sa sduf-france, Swann ne v,eut qu'une chose: il fau1- que cette angoisse ne survienne plus jamais. Cette décision de se protéger avant tout va déterminer les actions et les pensé~s de Swann. Elle ne l'em-,

26

pêche pourtant pas de souffrir, car la jalousie est un sentiment r~ dynamique et· toute stabilité lui est étrang~re. A l'~nsu de Swann,

elle va PFéparer le terrain propice ~ de nouvelles souffrances. Si elle cbnti~ue à opérer, la lucidit~ de Swann ne l'aide nullement. Il sait bien que son amour ne correspond ~ rien qui

lui soi~ extérieur, mais s'empresse d'écarter cette observation ~

l'aide d'images esthétiques tirées, de la musique et de la

pein-ture:' \,

Ou bien elle le regardait d'un air maussade, il revoyait un visage digne de figurer dans la Vie de MoIse de

Botticelli, il 'l'y situait, il donnait au çou d'Odette l'inclinaison nécessaire; et quand il l'avait bien pein-te à la détrempe, au XVe si~cre, sur la muraille de la Sixtine, l'idée qu'elle était cependant restée là, pr~s du piano, dans le moment actuel, prête à être embrassée et possédée, l'idée de sa rnatériali té et de sa vie veriai t l'énivrer· avec une telle force que, l'oeil' égaré, les mâchoires tendues comme pour dévorer, il se précipitait sur cette vierge 'de Botticelli et se mettait à lui pincer 'les joues. l

Au début 4e leur àmour,'Swan~ ne connaissait p~s l'emploi dU temps d'Odette, mais une fois que son imagination, aliment~e par quelques indices concrets, commence ~ fonctionner, la j'àlou-sie s'empare de cette faculté pour s'en nourrir:

Sa jalousie comme un~ pieuvre qU,i jette une premiêx:;e puis une seconde, puis une troisiême amarre, s'attacha soli-dement

a

ce moment de cinq heures du soir, puis ~ un autre, puis à un autre encore. Mais Swann ne savait pas inventer

1.

lMarcel'Proust, A ia recherahe du temps perdu, Tome I, p. 238.

(31)

,

.

, • > -;

ses sbuffrancès. Elles n'étaient que perpétuation d'une souffrance qui lui

dehors. l

.

le

souve~ir,~a

~tait venue du

Tout ce qui lui rappelait Odette le rapprochait d'elle, . devenai t'aimable et désirable, et tout ce qui 1 ' éloignait de sa pensée devenait l1immonde", conune ce nouvel invité qu'Oder.te avait introçuit dans le salon du "petit clan": '

\ '

Le charme qu'avait pour eux [d'autres hommes] son corps avait éveillé en lui un besoin douloureux déla maîtriser entiêrement dans les moindres parties de son coeur. Et .

i l avait commencé .d' attach~r un prix ineotimat,le ~ ces

moments passés ,chez elle le soir .,' •. 00 il recensait les " seuls biens ~ la possession desquels il tint maintenant

sur terre ••. il cherchait ~ lui enseigner selon les degrés de la reconnaissance qu'il lui t~rnoignait l'échel-"le des plaisirs qu'elle pouvait lui causer, e,t dont le . 'suprême était de~le garantir, pendant le temps que son

amour durerait et l'y rendrait vulnérable, des atteintes Qe la jalousie. 2

Swann cherche à s'attacher Odette, à .l~ forcer à dépendre de lui; il l'aide lorsqu 1 elle

a

des embarras d'argent pour q'ue le beso'in

qu'elle aurait de lui grandisse en proportion de l'utilité qu'elle lui reconnaîtrait. Il est heureux que quelqlue chose d'aussi

501i-IJ

de que l'intérêt le lie à Odette. S'il lui revient à la mémoire' des réflexions faites devqnt lui on on traite Odette de femme en-tretenue, il rejette ces commentaires sans s'y arrêter, ne pou~ vant conc~voir qu'Ode~te puisse recevoir de l'àrgent d'autres que de lui. Dans ces moments

on

il s'approche de la vérité, une sor-te de paresse s'empare de son esprit, reflet inconscient de sa vo-

...

lonté de garder intacte l'image de l'être aimé pour se préserver ~ de nouvelles

souffr~nces:

'fest étonnant comme 'la jalousie qui

o

lMarcel Proust, A fa recherche du temps ~rdu, Tome l, p'. 283 ...

2~., p. 271

(32)

st

"

..

.

,

pas~e son temps à faire des pëtites suppositions dans le faux, a peu d'imagination quand il s'agit de , d~couvrir le vrai. ,,1

Lorsqu'il quittait Odette, il partait heureux et apai-sé et loin d'elle, alimentait ses rêves des plaisirs qu'elle lui avait donnés, des sourires qu'elle lui avait adressés, de~ regards' mourants qu'elle lui avait' jetés alors qu'elle était blottie contre lui. Mais sa jalousie ne târdait

p~s.tI

se sai-sir de ces souvenirs agréables et apaisants pour les transfor-• mer en sources'de tourment:

' - 1

Mais aussitôt sa jalousie, comme si elle était 110mbre de son amour, se complétait du double de ce nouveau-sourire qu'elle lui avait adressé le soir même - et qui, inverse maintenant, raillait Swann et se chargeait d'amour pour un autre,_- de cette inclinaison de sa tête mais pour un autre, renversée vers d'autres lêvres, et, données à un autre,

de

toutes les marques de tendresse qu'elle avait eues pour lui. Et tous les souvenirs vo-luptueUx qu'il emportait de chez ~lle étaient comme au-tant d'esquisses, de "projets" pareils à ceux que vous , soumet un décorateur, et qui permettaient à Swann de se

faire une id~e des attitudes ardentes 'ou pamées qu'elle pouvait avoir avec d'autres. De sorte qu'il en arrivait

à regretter chaque plaisir qu'il goûtait pr~s d'elle, chaque caresse inventée et~ont il avait eu l'imprudence de lui signaler la .ouceur, chaque grâce qu'il lui dé-couvrait, ,car il savait qu'un instant aprês, ellès a~­

laient enrichir d'instruments nouveaux son supplice •

.

'

, ,

L'incident de la feriêtre,qui avait soulagé Swann, avait laissé en lui un point douloureux et le laissait vulnérable et perméable à de nouveaux doutes. Il ét~it mainten~nt aux aguets et assimilait'la moindre déception à un projet d'Odette d'oü il

~tait exclu et

on

elle voulait le tromper. La découverte du

...

~Marcel Proust, A la recherche du 'temps perdu, Tpme III, p •. 435 2 Idem. , Tome l, p .. 276.'

-...

28

(" "

(33)

,

,

"

premier mensonge d'Odette aiguise sa jalousie et ~on besoin de

,

vêrit~ :

Mais il ne lui fit pas remarquer cette contradiction, car il pensait que, livr~e A elle-même, Odette

produi-r~it peut-être quelque mensonge qui seraitOun ,faib~~ indice 'de la vêritê; elle parlait; il ne l'interrompait pas, il recueillait avec une piétê avide et douloureuse ces mots "qu'elle lui disait et qu'il sentait (justement parce qu'elle la'cachait derriêre tout en lui parlant) garder vaguement, comme le voile' sacr~, l:,empr'einte, dessi-ner l'incertain modelé, de cette réalité infiniment pré-cieuse et hélas! in trouvab le: - ce qu·' elle fais ai t tantôt A trois heures, quand il était venu - de laquélle 'il ne pos-séderait jamais que ces ~ensonges, illisibles et divins ve~­

tiges et qui' n'existait plus que dans .le souvenir reclHeur de cet être qui la contemplait sans savoir l'apprêcier mais' net la lui livrerait pas. l

29

Lorsque les Verdurin deviennent un obstacle à leurs

rencon-tree, il veut s'allier Odette en lui dêmontrant que les plaisirs

qu'elle recherche sont peu êlevés, et qu'il lui serait plus

avan-.

tageux de restèr avec lui. L'interruption dés soirées quotidien-'nes chez les Verdurin, maintenant qu'il est en disgrâce; exacerbe

l'imagination fébrile de Swann puisqu'il perd ainsi une source d'apaisement qu'il croyait assurée. Cette exclusion du "petit clan" élargit consid~rablement le champ de son imagination. D'ail-leurs, ce n'est plus Odette qui demande à le voir. Swann est lié

â elle par sa jalousie, et seule la présence d'Odette peut.l'apai-sere Celle-ci acquiert donc une importance extraordinaire. Tout'

en essay~nt, par un déploiement de volonté, de contrôler son désir

p

de la voir le plus

_.

s~uvënt possible, il trouve des raisons apparem-.

....

ment logiques et tout l fait eXt~rieures l lui et ! Odette qui.

";1;:

'lMarcel Proust, A la recherche du teml2s Eerdu, Tome I, pp. 278-279.

(34)

a

,

o

a,

1

1 30 "

l'obligent à passer chez elle: un~ question qu'il ava~~uOl~~e de lui poser, les valeurs de la bourse auxquelles elle s'~tait

intéress~e, la couleur de la nouvelle pe~nture pour sa voiture, tout l~i est pr~texte pour lui rendre visite. Alors que la sagesse lui conseille de montrer! Odette qu'il peut vivre sans

"

sa pr~sence, son anxiété le pousse vers elle:

• • • V01C1 que comme un caoutchouc tendu qu'on l~che ou

comme l'air dans une machine pneumatique qu'on entrouvr.e,

l'id~e de la revoir, des lointains on elle était~ainte­

nue, revenait d'un bond dans le champ du présen~ et des possibilit~s immédiates. l

Les conversationsqu'il a avec Odette durant -leurs réncontres qui se font, de plus en plus rares sont de v~ritables signaux de'

-d~tre~se. Voulant la garder le plus longtemps P9ssible, il lui

expose les raisons pour lesquelles elle aurait dû ~viter ces spectacles, ces concerts on elle va rejoindre des amis. Ces rares moments p~ssés avec Odette ne sont pourtant pas inutiles. Mobilisant sa sensibilie'é, lorsqu'Odette est loin, S\iann ,

recons~-,tue son amour: "Par le souvenir, Swann reliait ces parcelles,

abolissait les intervalles, Goulait comme en or une Odette de

bon-t~ et de calme~ n2 Il recherche. avec avidit~ les moindres traces de son amour pour lui, se délectant des rares attentions qu'elle

lui témOignJ. . .

Swann en venait même ! tirer une mince joie des d~fenses

qU'Odette lui faisait de la suivre, s~ disant que "c'êtait parce qu'il était en effet pour Odette quelqu'un de diff~rent des au-tres, son amant, et que cette restriction. apport~e pour lui au droit' universel de libre circulation. n'êtait qu'un~ des formes

IMarcel Proust, A la recherche du" temps perdu, Tome l, p. 306. 2Ibid., p. 314.,

(35)

a

.

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4

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de cet esclavage, de cet amour qui lui ~tait si, cher. ,,1 Même lorsque p,ar hasard ils se rencontraient en des lieux pub~ics,

Odette ne. lui permettait pas de la rejoin~re, pr~textant que cela ferait ~aser:

Bswannl la voyait mais n'osait pas rester de peur de l'irriter en ayant l'air d'épier les plaisirs qu'elle prenait avec d'autres et qui'- tandis qù'il .rentrait solitaire, qu'il allait se coucher anxieux comme 'e devais l~être moi-mê~ quelques ann~es plus-eard les soirs oü il viendrait dîner ~ la maison ~ Combray - lui Semb~aient illimités parce qu'il n'en avait pas vu'la

fin. .

31

Mais cette même jalousie qui lui faisait chérir davantage odette tournait "parfois ~ la haine. Lorsque la douleur le repre-nait, il l'imaq~~ait riante, s'amusant avec d'autres; alors i l

)

, .

se mettait à la d~tester:

Et sa haine, tout comme son amour, ayant besoin de se manifester et d ,1 agir, il se plaisait ~ pousser de plus

en plus. loin ses ·imaginations mauvaises parce que grâc~

aux perfidies qu'il prêtait ~ Odette, il la d~testait

davantage et pourrait, si - ce qu'il cherchait ~ se fi-gurer - elles se trouvaient être vraies, ~voir une occa-sion de la punir et d'assouvir sur elle sa rage grandis-3 r, ,

sante. •

Dans un mouv~ment de colêre, il pense même à la s~questrer:

"Ah! ••• si 4e cocher de la voiture qui l'emm~nerait à la gare avait cons~nei,r~ n'importe que~ prix, à la conduire dans un lieu

oU elle fat rest~e.quelque temps s~qUestr~e, cette f~rnme perfi~ de ••• ,,4 Il lui arrive pâme de souhaiter qu'elle meure.5 Mais ces

,

moments de rage ne durent.pas; . Odett~ lui maniféste quelque

IMarcel Proust, A la recherche du temps pe,rdu, Tome l, pp. 294-295. 2Ibid

.'1

p. 297 • 3Ibid., p. 301.

-4Ibid., p. 302 •

.

-5Ibid ., p. 3SS . --~

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