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L'Expression stylistique du fantastique d'Aurélia de Gérard de Nerval

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Maurice Elia

L'Express10. StYl1stigue

du

'antaetique

d' "Aurélia" de Gérard de Ber'Yal

Département de Laague et Littérature Française8

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28

jull1et

1971

(3)

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d'ordre stylistique, nous ne pouY1ons constaaaent reporter le

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Nous nous 8O_es ainsi perm:1.s de so1ll1.per ces passages d'Aurélia

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de dix espaces, coatraire.ent aux citation. d'auteurs

et autres biographes que nous avolls fait précéder d'uae .arge de

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ERfa, nous avons cru bon de ré SUJler dans ua appendice final le

contenu d'Aurélia, chapitre par chapitre. Bous avolls pensé qu'un tel

travail pouvait Itre utile et co..ode pour retrouver rapide.ent

certaias points de rep3re, nécessaires

l

la co.préhension générale

d'un récit dollt l'analyse stylistique se.blerait

a1asi

faci11tée.

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- J.

-••• Une tois persuadé que j'écrivais aa propre histoire, je me suis ais l

traduire tous aes rives, toutes aes iaot1ons, je ae suis atteadri l cet .-our pour une étoile fugitive qui a'abandonnait seUl dans la nuit de aa destinée, j'ai pleuré, j'ai

tréai des vaines apparitions de aon so . . eil.

PIns 1Ul rayon divin a lui dans .on enterl

entour' de .onstres contre lesquels je luttals obscuré.ent, j'ai saisi 1e t11 d'Ariane,

et d3. lors toutes aes Tisions sont devenues célestes. Qmelque jour, j'écrirai l'histoire de cette "descente

aux

eaters", et TOUS verrez qu'elle

a'a

pas été ent13rement dépourvae

de raisonnement si elle a toujours .anqu' de raison.

G. de MERVAL. A Alexandre Dwaa ••

(5)

NERVAL ECRIVAIN

-

"

-·~n livre avance. JI~ beaucoup travaillé et avec quelques retouches, cela sera bien.

Lettre

l

Arsane Houssaye,

10

déc.

1853

'JI écris un ouvrage pour La Revue de Paris qui

sera, je crois, remarquable.

Lettre au Dr Etienne Labrunie,

31

mai

1854.

Qui est le Nerval d'Aurélia?

Ce n'est pas le poate agréable et doux des prem1~res années, celui dont on vantait le charae et la délicatesse de la parole, celui dont l'admirable aisance de l'expression fascinait une époque incertaine et inconsciente.

Ce n'est pas le gracieux amoureux de Sylvie, cette jolie fille du Valois qui ne l'a jamais quitté, qui, sous des dehors de délicatesse ingénue, cachait précieusement des trésors de fidélité mentale et dont l'existence syabol1que n'a pas cessé de nous éaouvoir.

Ce n'est pas non plus l'hermétique po~te des Chia~res, précurseur de l'occultisme en poésie, habile dissiaulateur de la vérité,

créateur d'une obscure clarté, d'une blanche noirceur, d'un .onde féerique de contradictioDs l la fois merveilleuses et s1ngul1~res.

C'est encore aoins le prodigieux conteur de légendes, le Nerval des Proaenade. et Souvenirs, des Petit. Chlteaux de Boh8ae et des Nuits d'Octobre dont le style bienheureux et la bonhoaie ont séduit tous les proaeneurs des forêts natales et des terres lointaines,

l la recherche d'un passé fait de sourires et de larmes.

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Maurice Elia

L'Bxpressioa stYlistique du '&Dtastique d' "A11r6lla" de Gérard de Neryal.

Département de Laague et Littérature Françaises M.A.

28 juillet 1971

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.l VER'lIS§lXOT

Rous BOUS excusons d'avoir dt citer, l plusieurs reprises, des passages d'Aurélia, souvent .... peu lO8gs, mais notre propos étant d'ordre stylistique, nous ne pouvions conataament reporter le lecteur l ua texte qu'il n'aurait pas ~d1ateaent sous les yeux et qu'il devrait rechercher, ce qui a'obéirait en riea l la

techaique de l'analyse stylistique directe.

Nous nous 8O_es ainsi pends de so1ll1.gaer ces passages d'Aurélia par URe

aar,.

de dix espaces, coatraireaent aux citations d'auteurs et autres biographes que nous avons fait précéder d'uae aarge de qu1Jl.ze espace ••

ERf1l'l, JlOUS aTons cru Don de résu.aer dans ua appendice final le

contenu d'Aurélia, chapitre par chapitre. Bous avons pensé qu'un tel travail pouvait être utile et co..ad. pour retrouver rapideaent certains points de rep3re, nécessaires l la co.préhension générale d'un récit dont l'analyse stylistique seablerait aiasi facilitée.

(9)

l

-••• UDe tois persuadé que j'écrivais . . propre histoire, je me suis ais l

traduire tous aes rives, toutes aes e.otions, je ae suis atteadri l cet a.our pour une étoile tugitive qui a'abandonnait seul dans la Duit de aa destinée, j'ai pleuré, j'ai tréai des vaines apparitions de aon so . . eil. P1üs un rayoD divin a lui dans lIOn enterl entouré de monstres contre lesquels je luttais obscurément, j'ai saisi 1e t11 d'Ariane,

et d3. lors toutes aes visions sont devenues célestes. Qmelque jour, j'écrirai l'histoire de cette "descente aux enfers", et vous verrez qu'elle D'a pas été enti3rement dépourvue de raisonnement si elle a toujours aanqué de raison •.

G. de NERVAL. A Alexandre Dalla ••

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NERVAL ECRIVAIN

2

-'~n livre avance. J'~ beaucoup travaillé et avec quelques retouches, cela sera bien.

Lettre l ArsIne HoussaYe, 10 déc. 1853 'J'écris un ouvrage pour La Revue de Paris qui

sera, je crois, remarquable.

Lettre au Dr Etienne Labrunie, 31 mai 1854.

Qui est le Nerval d' Aurélia?

Ce n'est pas le p03te agréable et doux des prem13res années, celui dont on vantait le charae et la délicatesse de la parole, celui dont l'admirable aisance de l'expression fascinait une époque incertaine et inconsciente.

Ce n'est pas le gracieux amoureux de SylVie, cette jolie fille du Valois qui ne l'a jamais quitté, qui, sous des dehors de délicatesse ingénue, cachait précieusement des trésors de fidélité mentale et dont l'existence symbolique n'a pas cessé de nous éaouvoir.

Ce n'est pas non plus l'hermétique p03te des Chia~res, précurseur de l'occultisme en poésie, habile dissiaulateur de la vérité,

créateur d'une obscure clarté, d'une blanche noirceur, d'un monde féerique de contradictioDs l la fois merveilleuses et singu113res.

C'est encore aoins le prodigieux conteur de légendes, le Nerval des Proaenadea et Souvenirs, des Petits Chlteaux de Bohlae et des Nuits d'Octobre dont le style bienheureux et la bonhoaie ont séduit tous les promeneurs des forêts natales et des terres lointaines, 1 la recherche d'un passé fait de sourires et de larmes.

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3

-méthodiquement les différentes étapes de son mal. Mais il le fera avec la conscience de l'écrivain.

Le Berval d'Aurélia est avant tout un écrivain.

C'est un écrivain qui va fixer l'expérience sur papier grlce 1 un effort volontaire et conscient. Pour parvenir 1 l'écriture la plus parfaitement adéquate au but qu'il s'est fixé, Nerval va se concentrer. Il serait inexact de parler

Il

de narration, car on serait tenté de penser 1 un exposé écrit et détaillé d'une suite de faits. Ici, l'auteur enrichit son texte d'interprétations nombreuses,

d'explications et d'éclaircissements qui lui permettent d'analyser méticuleusement sa pensée, et ensuite de synthétiser le tout avec une précision digne des grands écrivains. Nerval ira de la profondeur asso.brie 1 la découverte de soi. Il passera par toutes les nuances de la souffrance, tous les stades de l'angOisse et de la crainte, "du pire abhe de tén3bres 1 l'éclosion de la lua13re"(1).

Le résultat de ce travail acharné est pourtant une oeuvre sobre et fra1che, d'une beauté tragique et fatale, qui doit sa force 1 son écriture légêre et détendue, une oeuvre sans recherche apparente, écrite hier et défiant le te.ps. Aurélia envisagée du point de vue stylistique, devient tout le contraire de l'Aurélia considérée sous l'oe11 littéraire. Ce recueil de nébuleuses visions, de r&ves étranges, de magie et de superstitions parvient 1 prendre aux yeux du

stylisticien des proportions de siaplicité et de sobriété in80upçonn6e8. Que ce soit grâce l l'habile exploration du r&ve m&lé 1 la vie,

du myst3re de l'invisible et de l'inexprimé, que ce soit lors de la description ainutieuse des visions divinatrices, des cryptes sacrées, de la tragédie du RIve en général, Nerval arrive l prendre du recul

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-

4-pour aieux observer et expliquer. Cet amant de l'irréel, tout re.pli d'émotions secr3tes, éY.1te avec un art conscient de se perdre dans le dédale des antiques ~boles religieux, de s'ab1mer dans les délires démentiels de SOD esprit chaviré. En fait, il s'y perd mais se retrouve, s'ablae pour ~eux se reconstruire.

Le rive, il va s'en approcher tellement qu'il se demandera en vertu de quels crit~res il n'est pas la vie. C'est derri3re "ces porte. d'ivoire" que le secret doit être découvert. Charles Nodier avait peur de ses rIves. Herva1, lui, va chercherl les comprendre, l

les expliquer. Il ~a s'aider de termes propres l cette recherche: tout un vocabulaire de l'illUsion, sans doute le plus riche et le plus co.plet de la littérature française, sera utilisé l cette fin. Nerval rêvera mIme de vivre dans le rIve et regrette que la chose ne lui soit pas possib1e (IIQuel malheur, dira-t-il, que, l défaut de gloire, la société ne permette l'illusion du rIve perpétuel"). Interpr3te de ses cauche~~~s, il hésitera pourtant longtemps l se prononcer sur leur exacte signification.

Les teraes graaœaticaŒX et les éléments syntaxique. alternent avec bonheur lors de l'évocatioD, dans tout Aurélia, des figure. ésotériques, de ces Y.1sages d'apocalypse oA se .êlent astrologie et alchimie. Des constructions riches et développées permettent l

Nerval de s'expriaer avec le plus de précision possible. Un appel aux civilisations du passé ajoute l la dimension démoniaque du récit et permet l Nerval de se placer confortablement parmi les premiers précurseurs du surréalisae.

Une recherche toute particuliare dans le domaine religieux et biblique fait d'Aurélia un ouvrage de composition presque mystique

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5

-Les terses du registre religieux ainsi que les constructions l allure biblique s'ajoutent au halo nébuleux d'un passé construit autour des a1eux généralement auréolés de sérénité, pour rendre caractéristique une généalogie mystérieuse et fascinante. Nerval essaiera de se définir sur le plan religieux l l'issue d'une aise au point condensée mais nnc3re.

Eafin, il ne faut pas oublier qu'Aurélia constitue ce qui devait être les derni3res lignes d'une oeuvre littéraire basée sur les sentiments intérieurs et les souvenirs du passé. La mort issue du désespoir y prom3nera tout au long son oabre obsédante, activant du .ame coup le feu tragique de la maladie. Dans de captivantes iaages, Berval expose ses idées sur la mort et l'on peut y découvrir les

geraes de la passion intérieure qui le conduira au suicide. Les effets de style contribuent! donner l l'idée de la Bort une valeur aymbolique: symboles humains, symboles dans la nature et les objets, culte vivifiant de la terre et des aorts.

"A.e d'ange essentiellement sympathique", disait de lui son ami Henri Heine.

eo ...

nt cet "ange" (qui serait le Nerval des souvenirs du Valois et de Sylvie) a-t-il pu revêtir, ! la recherche d'Aurélia, ces habits d'obscurité pour explorer les niabes et défier le spectre de l'ab!me? C'est toute une Douvelle vision du fantastique qui nous est présentée: le rêve sous ses différentes formes (rIve éveillé, rêverie, visions, hallucinations, rêves proprement dits, cauchemars), les éléments démoniaques, charpente d'un fantastique issu de la raison et de l'étude des religions passées, l'appel plaintif aux générations de l'au-dell, la mort vue sous l'angle d'un désespoir déchirant ••• Un fantastique aux accents empreints de vérité, basé sur la réalité, que le style vient rehausser par sa tempérance, sa Jaodération et sa retenue.

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6

-Dans 1es analyses qui suivront, nous avons adopté le syst~me

d'analyse descriptive que préconise Martinet (2). L'étude stylistique du récit que Nerval nous présente ne pouvait en effet se prêter

qu'A cette méthode qui accorde priorité aux correspondances directes entre 1a mani~re de s'exprimer et l'expression elle-même. Il y

a

constamment dans Aurélia cette idée primordiale de l'explication liée A l'entendement; autrement dit, on y trouve une corrélation intime entre le vocabulaire utilisé et les images vues, entre les constructions syntaxiques et le déroulement d'un r&ve par exemple.

(2) ":Martinet insiste sur le fait que lorsqu'il y a style, il y a une autre série de choix, qui ne visent plus la nature de l'expérience A communiquer, du moins en apparence, mais qui visent A élaborer la forme .&.e du message. C'est le cas oa l'émetteur choisit d'éliminer certaines sonor1t6., d'en

introduire d'autres, de préférer certains mota

A

certains autres pour leurs propriétés 'esthétiques', certaines structures A

certaines al\tres pour leur efficacité supposée ici et maintenant. Georges MouDiD, Clefs nour la Linguistique

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7

-CHAPITRE PREMIER

Le rêve ou

''1'

épanchement du songe dans la ne réelle"

A. Le Vocabulaire de l'Illusion B. Le Plan Fixé

C. Les Rêves et les Hallucinations: Choix des Termes et Procédés Syntaxiques.

a) La ne réelle interprétée b) Le stade ai-rêve mi-réel c) Le cauchemar

d) Le beau rêve de bonheur e) L'harmonie de la plume

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8

-Je ne sais co . . ent expliquer que,

dans mes idées, les événements terrestres pouvaient c01ncider avec ceux du monde surnaturel, cela est plus facile 1 sentir qu'l énoncer clairement.

Aurélia, 1,9. Selon ma pensée, les événements

terrestres étaient liés 1 ceux du monde invisible. C'est un de ces rapports étranges dont je De .e rends pas compte .oi-.3.e et qu'il est plus aisé d'indi-quer que de définir •••

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9

-CHAPITRE PREMIER

Le r3ve ou "l'épanchement du songe dans la vie réelle"

A. Le Vocabulaire de l'Illusion

---~---~~

Nerval s'est fixé un but: franchir le seuil qui le sépare du monde invisible. Il sait l l'avance qu'il ne détient pas les clés de "ces portes d'ivoire ou de corne", de "ces portes IIYstiques" de l'au-delA, mais il ne tient qu'A lui de partir

l leur recherche. C'est l la fin seulement, parvenu aux limites extr3mes de la vie réelle et du sommeil qu'il se rendra compte de la difficulté de son entreprise, mais entretemps, il aura passé par tous les stades de l'indécision, de l'incompréhension et du doute. Tout Aurélia est parsemé de ces formules vagues

o~ l'hésitation ~ s'exprimer se manifeste sous toutes les nuances: il me semblait, j'avais l'idée, je crus voir, comment interpréter?, je ne sais pourquoi, je me vis, j'avais entrevu,

je ne m'explique pas, je crus reconna1tre ••• Devant la multiplicité des iaages qui se présentent l son esprit,

Nerval se trouve en face d'une multiplicité d'interprétations. Comment choisir? Comment comprendre? Parfois, tr~s rarement, un tableau se précise, adopte des contours tr~s définis, se présente sous une forme parfaitement nette et concr~te: même daDS ce cas, Merval hésite A se prononcer.

Un soir, je crus avec certitude être transporté sur les bords du Rhin. (1,4)

Une telle alliance de mots (je crus avec certitude) ne peut que s'expliquer par l'effort énorme déployé par l'auteur pour

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10

-parvenir l se libérer totalement de l'emprise du sommeil et atteindre l l'explication claire de son état d'Ame.

Tout ua vocabulaire de l'illusion sera nécessaire 1 Nerval pour essayer de aettre au clair ses rAves qu'il hésite l

qual1f~er d'insensés car ce déploiement de termes qui viennent sous sa pluae ne pourront que le convaincre encore plus du contra1.re.

Les .ots rêve et image(s), 1 eux seuls, sont repris plus d'une quarantaine de fois dans tout le livre. Le mot rêverie appara1t soins souvent. Il désigne une aorte d'état incertain ol le rêve éve~llé prend des allures de méditation superficielle, généralement br~ye et souvent interrompue par un événement

de l'état de veille.

Peu l peu, je me remis l écrire et je coaposai une de mes meilleures nouvelles. Toutefois, je l'écrivais péniblement, presque toujours au crayon, sur des feuilles détachées, suivant le hasard de ma rêverie ou de ma promenade. (11,5)

Par contre, toute une foule de mots contribuent l l'illusion. Tous oat une signification qui rejoint de pr~s ou de loin la certitude le l'1amortalité future tout en plaçcant Nerval sur le cheaiD du retour vers l'obscure nostalgie des origines. Il se.ble qu'il se soit confié au rêve et l la mémoire pour s'évader vers l'incoDBn. Il serait abusif sinon fastidieux de relever tous ces .ota. Retenons tout de même ceux qu'on retrouve le plua fréqu_ent: IlIst~re, bizarre, DlaSque, monde invisible, rapports étranges, le Béant, les esprits, les fant8aes, vision, le délire, le! oabres, inexpriaable, insaisissable, les apparences,

!!.!

illusions, les -asques •••

(19)

11

-Tous ces termes du registre de l'illusion sont issus de la 1égende et du moi profond. Selon Jean Richer (3), l'univers nervalien est fait d'archétypes répartis

.Il

tldeux continents": d'un côté, la légende, l'histoire, la mort; de l'antre, le fond de la vie (souvenirs, désirs, tentations). La famille imaginaire que Nerval s'est créée obéit A ua arbre généalogique pour le moins étrange. Les chapitres 4 et 5 de la prem1~re partie d'Aurélia attestent bien cette double identité que d'aucuns jugent 1 tort contradictoire.

"Transporté sur les bords du Rhintl , Nerval se retrouve en visite chez un oncle maternel:

Il ae semblait que je rentrais dans une demeure connue, celle d'un oncle maternel, peintre flamand, mort depuis plUS d'un si~cle. (1,4)

Les étapes de la vision sont tr3s bien définies dans cette phrase d'une grande simplicité. D'abord, il n'est pas tr~s sdr de ce qu'il voit (il.e semblait); c'est une impression de déjl-vu qui l'envahit alors (une demeure connue); ensuite, les contours de cette maison se précisent (celle d'un oncle maternel). LA, surgit le th~ae de ces aleux 1aag1naires, résultat de souvenirs divers, présenté sous forme d'1aages appartenant au décor

fiamand qui entoura son enfance (il n'a jamais eu de peintre fiamand dans sa f8llille). Enfin, la phrase se termine par cette identité de race que Nerval a l'habitude de souligner daas ses visions ou ses rives: c'est bien dans le royaWle des IIOrts q. '11 pén~tre, cherchant A s'identifier l cet oncle, souhaitant dans son angOisse, retrouver la p~auve certaine de l'immortalité. En fait, l'adjectif maternel prend ici tout son sens: Nerval

(3) Cf. Jean Bicher, Herval: Expérience et Création (Paris: Hachette, 1964) •

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12

-veut croire qu'on retrouve les morts et, en particulier, qu'il retrouvera sa m~re.

Ce siaple exemple traduit bien laprécis10n avec laquelle le po~te entreprend la lourde tlche qu'il s'est imposée. L'expression syntaxique se rév~le d'une justesse parfaite et semble 3tre d'une aide précieuse: c'est grlce aux mots et au verbe en général qu'il dépouillera le r3ve, gardien des souvenirs oubliés par la vie consciente, pour mettre ces souvenirs en

relation avec une existence anté~ieure confuse.

Déjl, au chapitre suivant, il se met A craindre l'audace de son projet. Examinons attentivement le lien étroit de la pensée qui relie les trois phrases suivantes:

Etais-je allé trop loin dans ces hauteurs qui donnent le vertige? Il me sembla comprendre que ces questions étaient obscures ou dangereuses, m3me pour les esprits du monde que je percevais alors. Peut-être aussi un pouvoir supérieur m'interdisait-il ces recherches. (1,5)

Son raisonnement se fait par étapes. Une interrogative pose le probl~me: bien que, pour nous, Nerval semble avoir voulu descendre dans les profondeurs de l'inCOnnu, il parlera de hauteurs pUisqu'il pense y découvrir l'explication de tout ce qui le tourmente: c'est en quelque sorte une opération faite A

partir du passé, une remontée de la chaine compl~te d~s souvenirs. Le vertige dont il parle est celui des Romantiques ("Il Ile faut des gOUffres, des précipices qui me fassent bien peur", disait JeaD-Jacques Rousseau). La deuxi~me phrase tente de répondre l la question. Nerval hésite mais sugg~re une possible explication: des mots comae i l me sembla comprendre, obscures, les esprits du ~onde, je percevais attestent cet éclaircissement éventuel.

(21)

13

-Bafin, la phrase suivante, introduite par un prudent peut-Atre (qui est en fait une sorte d'interrogative avec inversion), remet tout en cause avec cette introduction du pouvoir supérieur. Le stade de ses recherches n'est que temporairement interrompu. Nous verrons que Merval nous offrira tout au long d'Aurélia une multitude de ces phrases aux termes qu'on crarait choisis avec une curiosité scientifique.

Ces deux exemples introductifs démontrent déjl les méthodes toutes

particuli~res qu'use Nerval pour saisir le rAve dans la totalité de son sens. Il fait confiance au rAve, "y voyant un moyen de découverte non seulement de soi-mAme mais de l'ultime réa1ité,,(4).

L'illusion, obéissant donc 1 toute cette foule de souvenirs

d'enfance et d'anciennes réminiscences, cesse de s'appeler illusion. On est en présence d'une conscience claire, d'un effort délibéré pour "diriger son rêve au lieu de le subir". Vocabulaire, matériel grammatical et syntaxe seront tous dirigés vers ce but. Il en résulte la création d'une littérature fantastique absolument originale et authentique, exprimée dans des imagea l la fois splendides et tragiques.

Dans un texte qu'on lui attribue, texte intitulé Fantastique (5), Herval expose en quelques lignes ironiques cette nouvelle vague qui a conquis son époque:

Beaucoup de gens s'étonnent de la tendance de l'époque vers les idées nouvelles en tous genres, et cela vient d'un manque d'observation. Pourquoi, en effet, rejetons-nous loin la littérature compassée du si~cle de Louis XIV, toute cette poésie tirée au cordeau comme les jardins de Versailles, toute cette prose en manchettes comme la cour du grand roi? - C'est qu'en littérature nous visons au fantastique. L'Ane Mort et le SDCCa. encyclopédique

d 'Hoff.anD; des sorciSres et ua manche" 1 bala:1; Victor Hugo, Janin, Eug3ne SUe, le bibliophile Jacob: voilA ce qui justifie mon dire.

(4) Albert Béguin, L'Aae Romantique et le RAve (Paris: José Corti, 19~),

p.

365.

(22)

14

-Naturellement, dans Aurélia, il s'agira d'une toute autre forme de fantastique, beaucoup moins lég~re, éloignée de toute coquetterie littéraire, mais ce texte de Nerval, écrit l l'Age de vingt-trois ans, est un indice intéressant quoique aineur sur ses premi~res

préo ccupations.

Le fantastique nervalien est celui des grands rIves cosmiques et religieux, de ces rêves magnifiques, d'une vérité onirique iDcontestable, apparentés aux rêves que Dostoievsky met dans ses romans. Devant cette passionnante perspective, on n'a plus qu'A se laisser guider par le poltte sur les routes de ces pays qui ne sont A personne et qui pourtant appartiennent 1 tous ceux qui se dORDent la peine de chercher A les visiter.

B. Le Plan Fixé

---Il est difficile d'analyser de quelque mani~re que ce soit les rAves de Nerval sans en faire un relevé co.plet et sans les

différencier des visions, des hallucinations, des "rIves éveillés", des souvenirs évoqués, des 1 •• g1nations ••• Rien de tout cela n'est difficile A définir. La prose de Nerval parvient l IlOUS les faire

distinguer les uns des autres avec une fascinante clarté et nous ---"ne sollUlles entrdnés dans la description d'une hallucination par

exemple que si nous y consentons de notre plein gré.

Il ne faut jamais oublier que pour Herval, écrire Aurélia, c'est non seulement créer une oeuvre d'art sais aussi essayer d'expliquer que ses rêves avaient un sens, que sa lucidité semble n'avoir jamais 'té affectée, que sa maladie D'en était pas une. C'est ainsi qU'OD lit constaa.Dlent sous sa plume des phrases introduites par je veux

(23)

"!> 15

-expliquer comment ••• , je m'encourageais A ••• , je m'appliauais A chercher le sens de •••

Si je ne pensais que la mission d'un écrivain est d'analyser sinc~rement ce qu'il éprouve dans les graves circonstances de la vie, et si je ne me proposais un but que je crois utile, je m'arr@terais ici, et je n'essaierais pas de décrire ce que j'éprouvai ensuite dans une série de visions insensées peut-3tre, ou vulgairement maladives ••• (I,3)

Pour cela, il lui fallait un ami qU'il pat mener par la main, pas

! pas, lentement, sur le chemin de l'obscurité, des tén~bres et de l'ombre jusqu'l la fulgurante ouverture finale, la compréhension de tout, la lumi~re. Ceci n'a pas été un exercice pour Nerval, mais plutOt la recherche d'un appui sinc~re qui veuille bien pr3ter son attention A son expérience. Cet ami, cet appui, c'est nous. Il a réussi A créer un lien si puissant entre lui et nous que c'est probablement de ce cOté-lA qU'il faudra chercher la raison pour

laq~elle ses biographes ont toujours cédé A l'envie de l'appeler par son prénom (6).

Voici comment Nerval divise son livre. 1. Définition du rAve pour lui.

- But qu'il se propose: "transcrire les iJllpressions d'une longue maladie".

- Division de sa "Vita Nuova" en deux phases (ce qui prouve l'iDtér@t et la précision qu'il apporte A son étude): a. Aurélia perdue, il part pour l'Orient pour s'étourdir. b. Il séduit une dame mais ne devient que son ami parce qU'il

consid~re un plus grand attachement comae "une profanation de (ses) souvenirs".

- Rencontre des deux fellUles plus tard. Gérard y voit "le pardon

(24)

16

-du passé" et déjl anDOnce sans le savoir le salut dans la conscience religieuse:

L'accent divin de la pitié donnait aux simples paroles qu'elle m'adressa une valeur inexprimable, co . . e si quelque chose de la religion se mêlait aux douceurs d'un amour jusque-Il profane, et lui imprimait le caract~re de l'éternité. (1,2)

2. Les premi~res rencontres avec l'aatre monde.

Rencontre de la .ort, premi3re hallucination (le numéro sur une porte étant celui de son âge). Il se persuade que c'est le lendemain qu'il mourra, vers ainuit.

Cette nuit-Il, le preaier rIve. Perdu, l la recherche de sa chambre, Gérard pénatre dans des salles consacrées 1 la conversa~ion et aux discussions philosophiques; il trouve un être qui voltige péniblement et finit par tomber.

- Le lendemain, c'est la prem1êre vision: il se met l chercher dans le ciel une étoile qu'il croit conna1tre, iaagine qu'une "force surhumaine" l.ui permet de se déplacer. Dans une

excl.amation violente, il refuse le ciel chrétien et dit suivre l'étoile de sa destinée od qu'elle se trouve.

3.

"L'épanchement du songe dans la vie réelle".

Il a une série d'hallucinations (cercl.es de couleurs, . . sques). Il seable attendre que l'étoile le touche mais co . . ence l regretter la terre et espêre échapper l l'"Bsprit qui (l') attire" l lui. U.e ronde de nuit le ramasse. Un iDCOBDU l ses cOtés devient

pour lui son double qu'il ne se retourne pas pour voir, obéissant

l Ulle vieille tradition allemande. Deux amis viennent le chercher. Transporté ensuite dans une maison de santé, il essaiera de

décrire la différence entre la veille et le somaeil. Ce sera la prea1~re de ses interprétations, grandes explications d'une

(25)

17

-sobriété parfaite ("Une série constante d'impressions ••• dont le rIve ••• continuait la probabilité".)

C'est la prea1~re série d'une suite de rIves, d'hallucinations et de visions qui se allent tantôt 1 des souvenirs d'un passé glorieux et pur, taat&t l l'idée d'un avenir chaotique oA la race détient le rôle capital.

4. Le salut.

Dans la lIlaison de santé du Dr Blanche, Gérard essaie d'entrer en contact avec un malade dont les souffrances lui font pitié. C'est la fin d'une longue période de caucheaars. le début d'une asc3se qui le re.plira de bonheur: ma "rIve délicieux" l'emporte dans une tour oâ UJl esprit le guide dans une campagne étoilée.

LA, il reçoit le pardon de sa "divill1té", apparue souriante du haut du ciel •

••• Et je bénissais l'Ame fraternelle qui, du sein du désespoir, .'avait fait rentrer dans les voies luaineuses de la religion ••• (Mémorables)

- C'est alors une suite de beaux rêves (qu'il place sous le titre de "Mé.orables").

- Gérard a fixé le rIve. Il en coDDa1t maintenant le secret profond: les deux .ondes du so . . eil et du rIve sont liés. - Même son aDIi le _alade finit par parler Cluand il murmure:

"J'ai lIOif".

- Gérard~itule bri~vement sa série d'épreuves illusoires. Ce plan est intéressant 1 tous les points de vue. Envisagé sous l'oei1 du stylisticien, il nous présente un ordre précis dans lequel 11 faut découvrir un homae et son probl~me. Il obéit 1 ce modeste

(26)

AURELIA l (preaiare démarche) AURELIA II (seconde démarche) MEMORABLES

18

-rencontre vers "l'étoile"

--- de +~--- de sa+---: monstres destinée

i

1 1

~

1 raves 1

i

PRESENT expliqués 1 1 1 l "J'ai offensé

I---~

la loi divine"

---+

ECHEC (effroi)

tout vers

n'est pas+---

la~---perdu religion

T

---1 t 1 t ~ longues lIlarches f 1 1 1 1 PRESENT REUSSITE 1-1 1 1 le "Tu. . ' as vis1 té 1

L---t pardon ---. cette nuit" __ J

de la "divinité" (bonheur)

=

secret du rave

On remarque cet effort chez Nerval pour s'eaparer de son mal et en faire l la fois un instrument de conquate métaphysique personnelle et une oeuvre d'art d'une modération et d'une limpidité sans égales. Cette sobriété de l'écriture et de la composition permet justement de aieux comprendre sa maladie.

(27)

19

-Il est pourtant des aots, des phrases que Nerval ne dit pas. On sait que dané le Manuscrit d'Aurélia, il avait effacé, avant l'impression, un passage oà l'obsession aaternelle se faisait trop explicite. (On a dit de Nerval qU'il était de ceux qu'il fallait interpréter par leurs mutismes autant que par leurs paroles). Pourtant, pas un instant, il n'a cessé de songer

A

sa mare, et on pourrait sans exagération dire qu'il a cherché, dans Aurélia même, les voies par lesquelles il edt pu rejoindre celle qui avait marqué son enfance. Le style des lettres qu'il adressera toute sa vie A son p~re refl~te

d'ailleurs un caractêre enfantin soucieux de bien faire: on y découvre le ton d'un fils parlant A sa m.re.

Nous verrons que le style de Nerval n'a rien d'imprévu, ni de três original. Pas un mot de trop, ni une construction trop violente. Les phrases se suivent, dans un déroulement tellement naturel qu'on

a dans l'oreille, en le lisant l haute voix, une impression de réalité quotidienne, de discrétion famili~re propre aux récits d'aventures habituels. C'est peut-Atre cette grlce diaphane de la parole, cette voix aux accents d'une tendresse si paisible qui ont donné lA. Béguin l'idée de ce jugeaent.(7):

On peut dire de ce style ce que Nerval dit du rêve: c'est "un habit tissé par les fées et d'une délicieuse odeur~

Comment décrire toutes ces visions d'apocalypse, tous ces cauchemars hideux, tout en conservant une langue aussi sobre, un calme aussi serein? C'est que Nerval a vu qu'il fallait, pour peindre le monde de la réalité et celui du rêve, utiliser le même langage. Ses yeux ont VU; sa plume transcrira. Il y aura dans son style un échange constant de vérité et d'imagination. Pour que cela soit possible,

(28)

20

-il fallait opter pour une écriture dépourvue d'ambages et sobre A dessein. C'est cette écriture que nous nous proposons d'analyser.

c.

Les R&ves et les Hallucinations: Choix des Termes et Procédés

§l!i8iigüëS---L'analyse des rêves et des hallucinations contenus dans Aurélia ne peut se faire en bloc. Elle nécessite au préalable une vue générale d'ensemble sur le type des Yisions décrites. Nous avons essayé de distinguer les rêves de Nerval et nous sommes parvenus A les classer en catégories. Ces cinq catégories sont naturellement plus ou moins arbitraires puisque dans chacune d'elles, de nombreuses subdivisions peuven, se créer d'elles-mêmes en tenant compte de

divers autres facteurs. Mais cela n'est point no~re propos. Ce que nous voudrions essayer de montrer, c'est que Nerval a toujours été "présent" sur la sc3ne de ses r&ves et que sa présence ne s'est pas

uniquement l1m1tée A son rÔle d'acteur. Nerval s'analyse, essaie de co.prendre. Face A ses cauchemars, il ne s'inqui~te pas. Il sait parfaitement s'il rIve ou rêvasse (il nous l'indique toujours),

s'il pense l'avenir ou évoque le passé (il nous l'explique toujours). La plUPart des fois, il arrive l situer les personnages sur la

sc3ne aouvementée de ses visions. Souvent, le rideau tombe trop vite, ou trop tôt. Mais lui, l la fois spectateur insatiable, comédien talentueux et réalisateur de génie, il reste lA l comparer, scruter,

fou~11er, l pénétrer le sens de tout.

Souvent, dans Aurél1a, c'est l'imagination qui joue le r01e

primordial. Un événement de la vie réelle est interprété en s'aidant de l'imagination (l~re catégorie). Parfois, Nerval est parfaitement

(29)

-21-conscient de ses hallucinations, se trouvant dans un stade intermé-diaire entre le réel et le rêve (2ème catégorie). Quand le rêve proprement dit se produit, il peut être de deux sortes: le vrai

cauchemar (3ème catégorie) ou le beau rêve de bonheur (4ème catégorie). Dans les deux cas, il y a, de temps l autre, sous la plume de Nerval, des éclairs de style o~ l'harmonie co~ncide

A

la perfection avec l'impression ressentie par le rêveur (5~me catégorie).

Pour illustrer ces cinq catégories, nous nous sommes permis de choisir cinq passages d'Aurélia qui répondent

A

notre penaée. (Nous nous servirons de cette même méthode dans les prochains chapitres).

a) La vie réelle interprétée

Gérard vient de faire une étrange découverte, celle d'un oiseau' qui parlait "mais dont le bavardage confus (lui) parut avoir un sens". Plus tard, un vieil ami qU'il rencontre l'invite chez lui et lui fait admirer la vue du haut de sa terrasse.

C'était au coucher dU solèil. En descendant les marches d'un escalier rustique, je fis un faux pas, et ma poitrine alla porter sur l'angle d'un meuble. J'eus assez de force pour ae relever et .'élançai jusqu'au milieu du jardin, me croyant frappé l mort, mais voulant, avant de mourir, jeter un dernier regard au soleil couchant. Au milieu des regrets qu'entraiDe un tel moment, je me seDtais heureux de mourir aiDsi, l cette heure, et au milieu des arbres, des treilles et des fleurs d'automne. Ce De fut cependant qu'un évanouis-sement, apras lequel j'eus encore la force de regagner aa demeur~our me remettre au lit. La fièvre s'empara de .oi; en me rappelant de quel point j'étais tombé, je me souvins que la vue que j'avais adairée donnait sur un ciaeti3re, celui mime o~ se trouvait le tombeau d'Aurélia. Je n'y pensai véritablement qu'alors; sans quoi, je pourrais attribuer ma chute l l'1apression que cet aspect m'aurait fait éprouyer. - Cela même me donna l'idée d'une fatalité plUS préCise. Je regrettai d'autant plus que la mort ne .'edt pas réuni l elle. (1,9)

La démarche de Nerval est la suivante:

1. 1. Il fait un faux pas et tombe. Vie réelle.

(30)

-~-Imagination due au choc physique.

3.

Il est heureux de mourir au milieu de la nature. Sentiment intérieur de consolation.

II. 1. Il rentre chez lui. 'Vie réelle.

2. Il essaie de se souvenir de son accident avec plus de précision. Appel ! la mémoire.

3.

La TUe admirée était celle du cimeti~re o~ repose Aurélia. Attachement ! un détail du souvenir.

4.

Il n'y avait pas pensé avant parce qu'il aurait pu croire que sa chute était la conséquence de la vue du cimeti~re. Besoin d'expliquer.

III. 1. Il regrette de ne l'avoir pas rejointe dans la mort. Sentiment intérieur d'amertume.

2. Il n'est pas digne de la rejoindre. Retour sur soi et mise au point intérieure.

On voit que Nerval utilise un petit événement réel ! des fins de création. Toute sa vie est remise en jeu. La rétrospection de son léger accident devient une introspection de tout son ~tre. Il va réapprendre! vivre, réajuster sa vie, en fonction du culte qu'il voue l la mémoire d'Aurélia.

Au niveau du vocabulaire, nous pouvons noter l'importance accordée

l

la nature et ! la beauté de la campagne

A

une heure privilégiée du jour (SOleil couchant, coucher du soleil, jardin, rustique). Il dit éprouver du bonheur

A

mourir "au milieu des arbres, des treilles et des fleurs d'automne" et s'élance dans le jardin pour "jeter un dernier regard au soleil couchant". C'est dans de telles phrases qu'apparait le Nerval romantique, avec ses sursauts passionnés et ses attitudes exaltées. On pense ! cette cél~bre gravure oà

(31)

23

-Jean-Jacques Rousseau, croyant sa derni~re venue, demande A Thér~se

Levasseur d'ouvrir la fen3tre pour qu'il puisse admirer la nature une

derni~re fois.

Si les mots du registre de la nature évoquent la beauté, ils s'associent A ceux du registre de la mort, th~me central de tout le récit d'Aurélia. La fin proche de l'auteur peut ~tre mise en parall~le

avec celle du jour (soleil couchant) et des beaux jours (fleurs d'automne). Les mots

!2!1

et mourir sont répétés cinq fois. Cette présence de la mort est tellement immédiate que tout se fait avec précipitation (je m'élancai). Lors de sa rétrospection, il se rend compte que la mort était lA, présente, en fa~e de lui (cimeti~re,

tombeau). C'est par la suite, lors de l'explication qu'il se donne, que la mort devient plus abstraite (chute au propre et au figuré, fatalité, regrettai, mémoire).

Du point de vue de la pensée, une br~ve étude des termes (en me rappelant, je me souvins, l'impression, me donna l'idée, je regrettai, je me représentai) nous fait remarquer que l'auteur a une vue tr~s

lucide de ce qu'il avance; aucun mot ne permet de penser

A

une illusion. C'est une interprétation tr~s claire et tr~s formelle de ce qu'il est A ce moment précis de sa vie. C'est une autre étape de son étude de lui-mIme placé au centre de tout (le mot milieu est répété trois fois).

Grammaticalement, ce passage fait largement usage des pronoms personnels.Î! et ~, ainsi que du possessif~, ce qui indique bien que l'étude de conscience entreprise par Nerval est purement subjective, destinée A lui permettre de se mieux conna1tre et de se comprendre.

Pourtant, bien que des questions ne soient pas directement posées dans ce texte, on sent que Nerval se les pose constamment et y répond.

(32)

-

24-Les verbes ont surtout leur importance. Ils sont tous

A

l'indicatif, mode qui exprime l'état ou l'action d'une mani~re certaine. La fluidité du passé simple cOtoie la clarté temporelle de l'imparfait. La

précision est encore renforcée par l'emploi de participes présents sous forme de gérondifs (en descendànt, en me rappelant, en songeant). Soulignons en passant la présence de onze verbes pronominaux aont huit.fléchis) qui viennent appuyer l'idée de réflexion et d'examen de soi.

Nerval n'écrit pas en phrases longues. Ce dont il veut parler est énoncé clairement. Dans une des notes éparses qu'il nous a laissées, il écrivait: "S'entretenir d'idées pures et saines pour avoir des

songes logiques". N'en est-il pas de mIme de son écriture? SUr une quarantaine de verbes, on ne trouve que trois pronoms relatifs, ce qui donne A ce passage une limpidité parfaite. On ne pourrait pas dire que Nerval a cherché la sobriété. De telles qualités syntaxiques

tiennent beaucoup plus du naturel que de la recherche. Il serait difficile par exemple de dire que des tronçons de phrase comme: "Au milieu des regrets ••• je ae sentais heureux" et "la vie que J'avais menée depuis sa mort" soient des antith~ses calculées.

En ce qui concerne la ponctuation, elle n'est point abusive, bien au contraire. Le tiret est tr~s iaportant chez Nerval. Il sert A délimiter ses rIves et visions: la plupart des fois, le rêve et la réalité ne sont séparés que par ce signe. Ici, le tiret introduit une explication que l'auteur veut donner. En fait, ce signe sépare le concret de l'abstrait,

c.

qui s'est passé de ce que cela veut dire.

On note souvent chez Nerval certaines "habitudes" de style qui rendent sa prose encore plus transparente: les paragraphes commençant par "tel": "Tels sont les souvenirs ... , "Telles furent les images ••• ",

(33)

25

-"Telles sont A peu pr~s les paroles ••• "; les répétitions comme: "Cette nuit-lA, je fis un rêve qui me confirma dans ma pensée."(I,2) et ''Un r~ve que je fis me confirma dans cette pensée."(I,5).

Au niveau des phrases, les constructions sont souvent analogues cOmlle dans le parallélisme suivant:

1. !~_!!_~!EE!!~ de quel point j'étais tombé,

3. que !!_~! gue j' avais a~2!

2. ~!_!!_~!E!2~~~!! am~rement

3. !!_!!!-S~!.J~!!!!I_~!~~!

depuis sa mort

Cette acuité du regard est une des qualités suprêmes de la prose nervalienne: il voit et enregistre; puis, il se souvient et regarde; enfin, il tire des conclusions et récapitule.

b) Le stade mi-rêve mi-réel

Gérard vient d'Atre ramassé par une ronde de nuit. Au milieu des soldats, les visions l'assaillent.

Etendu sur un lit de camp, je crus voir le ciel se dévoiler et s'ouvrir en mille aspects de magnificences inoUles. Le destin de l'Ame délivrée semblait se révéler

A

moi comme pour me donner le regret d'avoir voulu

reprendre pied de toutes les forces de mon esprit sur la terre que j'allais quitter ••• D'imaenses cercles se traçaient dans l'infini, comme les orbes que forme l'eau troublée par la chute d'un corps; chaque r~gion, peuplée de figures radieuses, se colorait, se mouvait et se fondait tour

A

tour, et une divinité, toujours la même, rejetait en souriant les masques furtifs de ses diverses incarnations, et se réfugiait enfin, insaisissable, dans les ~stiques splendeurs du ciel d'Asie.

Cette vision céleste, par un de ces phénom~nes que tout le monde a pu éprouver dans certains rêves, ne me laissait pas étranger l ce qui se passait autour de moi. Couché sur un lit de camp, j'entendais que les soldats s'entretenaient d'un inconnu arrêté comme moi et dont la voix avait retenti dans la même salle. Par un singulier effet de vibration, il me semblait que cette voix résonnait dans ma poitrine et que mon !me se dédoublait pour ainsi dire, - distinctement partagée entre la vision et la réalité. (1,3)

(34)

26

-Nerval continue ici le récit de sa premi~re crise. Il y a une transposition des faits réels dans le songe. Nous sommes en présence de toute une série de termes qui prêtent l confusion. Est-il vraiment éveillé ou r3ve-t-il? Deux débuts de phrases presque identiques

permettent cette interrogation: "Etendu sur un lit de camp, je crus voir ••• ", "Couché sur un lit de camp, j'entendais ••• u • D'autres mots appuient cette hésitation de Gérard l décrire ce qu'il voit: je crus

~, inouïes, semblait, phénom~nes, insaisissable, singulier effet de vibration, il me semblait ••• En fait, pour un long moment, tout se passe en dehors de sa propre volonté. Cela est bien visible par l'abus de verbes pronominaux réfléchis (une douzaine en tout). Il essaie de donner l sa description le plus de précision possible, s'aide de comparaisons susceptibles de donner l son lecteur la facalté de voir distinctement ce que lui voit avec tant de clarté (comme pour me donner le regret, comme les orbes gue forme l'eau troublée).

Mais cette vision est-elle vraiment "insaisissable" cOJlDle cette divinité souriante dont il semble reconna1tre les traits (toujours la m3me)? Ce ciel qui "s'ouvre et se dévoile", n'est-ce pas l nouveau le théâtre (il utilise le mot masques), ce théâtre qU'il est difficile de ne pas associer au nom de Jenny Colon?

Nerval n' est pas en proie l la contusion. Ses idées sont claires et c'est avec un soin tout particulier qu'il va composer le récit de sa vision, récit o~ le ~lange calculé de l'abstraction et de la concrétisation est fait ayec minutie. On dénombre par exemple une quantité parfaitement égale de substantifs abstraits et de substantifs concrets. On hésiterait pourtant l placer quelques-uns (figures,

divinité, masques) dans une catégorie précise. Ce dosage idéal peraet de croire l la lucidité compl~te de l'écrivain. (La co.paraison du

(35)

27

-texte définitif de la suite de ce chapitre avec la variante manuscrite permet de comprendre et de mieux saisir cette opération de

transcrip-tion précise des faits réels dans le SODge).

Une analyse plus précise du matériel grammatical nous a permis de dénombrer une plus grande quantité d'adjectifs féminins, ainsi qU'un nombre supérieur d'articles définis (19 contre 8 indéfinis). QUelle

conclusion peut-on en tirer? D'abord, l'importance du genre féminin dérive de la présence de la "divinité", qu'on retrouvera p1us loin ("Je suis la mAme que Marie, la mAme que ta mitre, la mAlle aussi que sous toutes les formes tu as toujours aim6e." II,5) et qui a déjl

plusieurs physionomies (les masques furtifs de ses diverses incar.nat1oDS). Pour le moment, la "divinité" se dissimule derri~re d'obscures liaiS

merveilleuses images orientales, souvenirs éloignés de voyages (" ••• se réfugiait enfin, insaisissable, dans les mystiques splendeurs du ciel d'Asie."), mais elle appara1tra dans tout son éclat l la fin du récit.

La vision parfaitement claire de Gérard explique d'autre part la multiplicité des articles définis.

D'un point de vue syntaxique, nous pouvons diviser ce passage, tr3s naturellement, en deux parties: d'abord, la description de la vision; ensuite, le fait que Gérard garde la comp1~te ma1trise de ses autres sens, son ouie en particulier (j'entendais, ~, effet de vibration).

Le passage se clOt avec cette idée du dédoublement de l'Ame "distinctement partagée entre la vision et la réalité". (Notons l nouveau la présence du tiret, annonçant la conclusion).

Une nouvelle fois, rien de trlts recherché dans la description de ce rêve qui se déroule devant nous, ! notre portée. C'est seulement un certain soin qui lui donne ce caract~re si intime, si personnel. Herval se .et ! notre niveau: n'importe qui peut ressentir ce qU'il

(36)

28

-ressent, c'est-!-dire cette corrélation entre le rêve et le réel. Admirons avec quel art Nerval introduit cette importante idée, entre deux virgules, en passant: "Cette vision céleste, par un de ces phénomènes que tout le monde a pu éprouver dans certains rêves, ne me laissait pas étranger A ce qui se passait autour de moi."

Cette vision est une définition parfaite de ce que Gérard appelle "l'épanchement du songe dans la vie réelle". L'expression y est si claire que l'on ne peut s'empêcher de penser au sens premier du mot "épanchement" qui est écoulement.

c) Le cauchemar

Gérard semble ne pas pouvoir se remettre du choc que lui a causé la rencontre avec son "double". Il sombre dans le désespoir.

Comment peindre l'étrange désespoir od ces idées me

réduisirent peu! peu? Un mauvais génie avait pris ma place dans le monde des Ames; - pour Aurélia, c'était moi-même,

et l'esprit désolé qui vivifiait mon corps, affaibli, dédaigné, méconnu d'elle, se voyait! jamais destiné au désespoir et au néant. J'employai toutes les forces de ma volonté pour pénétrer encore le myst3re dont J'avais levé quelques voiles. Le rêve se jouait parfois de mes efforts et n'amenait que des images grimaçantes et fugitives. Je ne puis donner ici qu'une idée assez bizarre de ce qui résulta de cette

contention d'esprit. Je me sentais glisser comme sur un fil

tend~ont la longueur était infinie. La terre, traversée de veines colorées de métaux en fusion, comme je l'avais vue d'jA, s'éclaircissait peu A peu par l'épanouissement du feu central, dont la blancheur se fondait avec les teintes cerise qui coloraient les flancs de l'orbe intérieur. Je m'étonnais de temps en temps de rencontrer de vastes flaques d'eau, suspendues comme le sont les nuages dans l'air, et toutefois offrant une telle densité qu'on pouvait en détacher des flocons; mais il est clair qu'il s'agissait lA d'un

liquide différent de l'eau terrestre, et qui était sans doute l'évaporation de celui qui figurait la mer et les fleuves pour le monde des esprits. (1,10)

La première remarque! faire, c'est que, placé face! face avec le mauvais génie (son double

A

nouveau: c'était moi-même), Gérard a une extrême difficulté! s'exprimer. Il ne sait vraiment pas lui-même comment se mettre! décrire le cauchemar horrible qu'il subit avec

(37)

29

-effroi. Des termes aux accents raides et pénibles témoignent de ces obstacles de l'expresSion: comment peindre?, corps affaibli, toutes les forces, mes efforts, contention d'esprit ••• Tout semble se dresser contre lui. Nous sommes! la fin de la prem1~re partie d'Aurélia, face! l'échec de sa premi~re démarche. Gérard vient de passer par les pires frustrations, les plus basses humiliations. EPuisé (!2!

corps affaibli), il se rend compte que mGme le rGve, cet ami qU'il consultait patiemment toutes les nuits, le rejette et l'écrase

(l!

rêve se jouait parfois de mes efforts).

La lutte devenant inégale, Gérard se laisse aller (je me sentais glisser), se laisse conduire par les images horrifiantes du cauchemar. Tout un vocabulaire fantastique donne

A

son rGve des allures de songe extraordinaire que les surréalistes ne désavoueraient pas (veines colorées, métaux en fusion, flaques d'eau suspendues). L'alchimie se mAle! l'astronomie (orbe intérieur). Il n'est pas question pour Gérard de nous expliquer ce qu'il voit, liaiS la précision de son

tableau fascine par ses images violemment colorées (~~cheur, teintes cerise), par son mélange constant de tous les éléments (fusion, ~

fondait) et par l'étonnante limpidité, la surprenante luminosité qui, malgré tout, s'en dégagent (s'éclaircissait peu A peu, il est clair) •

Tout est vu sous le sens négatif. Les dix premiers qualificatifs du passage sont des adjectifs A valeur totalement négative: étrange, mauvais, désolé, affaibli, dédaigné, méconnu, destiné (au désespoir), grimacantes, fugitives, bizarre. Le cauchemar auquel Gérard est en proie n'est pourtant pas encore vraiment effroyable. Il le sera par la suite lorsque "la T01x et l'accent d'Aurélia" le réveilleront en sursaut et qu'il croira avoir eu la volonté impie de pénétrer le

(38)

-

-_. __ . ; - - .

-30-myst~re divin. Pour le moment, il se perd dans l'inconnu, incapable de distinguer le vrai du faux, le mal du bien, subissant son rêve sans pouvoir l'expliquer (je ne puis donner ici qu'une idée assez bizarre).

Cet état de tension extrAme (bien symbolisé par ce fil tendu le long duquel il se laisse glisser), va se répercuter sur son écriture qu'il aura lourde et dense. Les deux derni~res phrases du passage semblent être 1 l'image de ce fil l "la longueur infinie". Ce sont des phrases tr~s organisées, tr3s structurées, compactes et pleines d'évocation, des phrases-blocs dont la densité (pareille l celle de l'eau suspendue) permet l Gérard d'essayer de s'exprimer dans un style auquel il n'est pas habitué. Dans ces seules phrases, on compte

en effet quatre conjonctives et autant de relatives. Même les

principales y sont étriquées, balancées par des compléments intercalés et rythmées par une mesure, une cadence qui n'ont de nervalien que l'assurance initiale et la construction solide.

Examinons cette derni~re phrase. Les flaques d'eau sont assimilées 1 des nuages dont la densité permettrait d'en détacher des flocons. Devant l'absurdité d'une telle image, Nerval croit comprendre (il est clair) que ces liquides en suspension n'ont rien de commun avec l'eau ordinaire. De plus, il va plus loin, expliquant scientifiquement le phénomêne (l'évaporation).

Tout est si clair dans son esprit et A la fois si confus qU'on a l'impression qu'il se livre l un jeu, qU'il joue le jeu du rAve

(le rêve se jouait de mes efforts), quitte l en sortir encore plus abattu et plus déprimé. L'essentiel, c'est qU'il ait cherché.

(39)

31

-d) Le beau rAve de bonheur

Gérard croit avoir compris la succession universelle du monde. Tout dépend de la race qui y joue un rÔle primordial. >'Nous vivons dans notre race, et notre race vit en nous" (1,4) et tout passé, tout présent, tout avenir sont ainsi expliqués. Gérard est alors transporté dans une ville populeuse qu'il décrit avec précision et avec cette absence totale d'incohérence qu'on lui connait.

Sans rien demander 1 mon guide, je compris par intuition que ces hauteurs et en mIme temps ces profondeurs étaient la retraite des habitants primitifs de la montagne. Bravant toujours le flot envahissant des accu.ulations de races nouvelles, ils vivaient lA, simples de moeurs, aimants et justes, adroits, fermes et ingénieux, - et pacifiquement vainqueurs des masses aveugles qui avaient tant de fois envahi leur héritage. Eh quoil ni corrompus, ni détruits, ni esclaves; purs, quoique ayant vaincu l'ignorance;

conservant dans l'aisance les vertus de la pauvreté. - Un enfant s'amusait l terre avec des cristaux, des coquillages et des pierres gravées, faisant sans doute un jeu d'une étude. Une femme !gée, mais belle encore, s'occupait des soins du ménage. En ce moment, plusieurs jeunes gens

entr~rent avec bruit, comme revenant de leurs travaux. Je m'étonnais de les voir tous vêtus de blanc; mais il parait que c'était une illusion de ma vue; pour la rendre sensible, mon guide se mit 1 dessiner leur costume qu'il teignit de couleurs vives, me faisant comprendre qu'ils étaient ainsi en réalité. La blancheur qui m'étonnait provenait peut-être d'un éclat particulier, d'un jeu de lumi~re o~ se confon-daient les teintes ordinaires du prisme. Je sortis de la chambre et je me vis sur une terrasse disposée en parterre. LA se promenaient et jouaient des jeunes filles et des enfants. Leurs vêtements me paraissaient blancs comme les autres, mais ils étaient agrémentés par des broderies de couleur rose. Ces personnes étaient si belles, leurs traits si gracieux, et l'éclat de leur !me transparaissait si vivement l travers leurs formes délicates, qu'elles inspiraient toutes une sorte d'amour sans préférence et sans désir, résumant tous les enivrements des passions vagues de la jeunesse. (1,5)

Nous somaes cette fois en présence d'une sorte d'illuaination spirituelle. Il est vrai que les images s'imposent A Gérard dans son rêve mais on ne peut ignorer qu'elles l'atteignent avec un éclat

tout particulier (qui nous a soufflé le mot d'illumination). En effet, le mot éclat est répété deux fois, le mot blanc (avec blancheur) trois

(40)

32

-fois. On y parle de couleurs vives, de jeu de lumi~re, de teintes ordiBa1res du prisme.

Gérard a retrouvé le paradis perdu, les sourires des Petits Châteaux de Boh8me, la grâce enjouée de Sylvie. Son style change et le voilA emporté dans la description d'un tableau charmant, ! la man1~re des Filles du Feu. Gérard c~de la place! Nerval. C'est l'écrivain qui s'avance. Est-ce véritablement un r8ve? N'y a-t-il pas une stylisation en rapport avec des souvenirs antérieurs? La "terrasse disposée en parterre" oà jouent et se prom~nent des jeunes filles, n'est-ce pas le jardin oà Delphine, une tr~s belle fille blonde! la robe blanche, vient danser et chanter? N'entendons-nous presque pas cette rengaine reprise en mesure par un groupe de fillettes:

Trois filles dedans un pré ••• Mon coeur volel

Mon coeur vole A votre grél (8)

Et ce sentiment "d'amour sans préférence et sans désir", n'est-il pas tr3s proche de cette émotion de Gérard l Senlis, l la recherche d'Angélique de Longueval:

Je n'étais pas un étranger, mais j'étais ému jusqu'aux larmes en reconnaissant, dans ces petites voix, des intonations, des roulades, des finesses d'accent,

autrefois entendues! - et qui, des m~res aux filles'(8) se conservent les memes •••

Oui, nous pouvons dire qu'il entre dans cette image pastorale plus d'imagination que d'exactitude. Peut-8tre est-ce cette forte clarté, dont nous avons relevé les termes et qui éblouit Gérard endormi. Il ne voit pas tr~s bien, aveuglé qu'il est par la blancheur de tout. VoilA quelque chose de tout l fait nouveau: le rAve dans le rêve. En d'autres termes, dans son rAve, Gérard croit rêver: "Il parait que c'était une illusion de ma vue". Toute cette théorie de l'opposition

(41)

-

33-du rAve et de la réalité con33-duit l une sorte d'absurdité. En effet, comment, rêvant profondément, Gérard a-t-il besoin que le personnage qu'il rencontre dans son rêve lui dessine les costumes qU'il voit

et lui fasse com.prendre "qu'ils étaient ainsi en réalité"? "En réalité", mais quelle réalité? Nous sommes en plein inconnu. Cela pourrait

s'expliquer par l'extase od le plonge le bonheur.

Le bonheur (s'amusait, se promenaient, jouaient, une sorte d'amour sans préférence et sans désir, enivrements, passions vagues) dériverait de l'addition de l'éternelle beauté (belle, belles, gracieux, formes délicates) et de la pure bonté (sim.ples de m.oeurs, aimants et justes, pacifiquement, ni corrompus ni détruits, vertus de la pauvreté). Et nous atteignons ainsi la signification compl~te de son rêve: le bonheur se trouve dans l'innocence passée.

Nostalgie et tendresse impr~gnent le tableau du paradis perdu et cela donne encore une fois l Gérard la certitude de l'immortalité des bes. Tout dans son rêve d'aujourd'hui a gardé ses traits d'autrefois (enfant répété deux fois, jeunes gens, jeunes filles, jeunesse). La "femme âgée" est "belle encore".

Rien ne finit ou du aoins rien ne se transfol'1lle que la mati~re et les si3cles écoulés se conservent tout entiers l l'état d'intelligences et d'ombres, dans une suite de régions concentriques, étendues l l'entour du monde matériel.

L1

ces fantÔmes accomnlissent encore ou rêvent d'accomplir les actions qui furent éclairées

jadis par le soleil de la vie, et dans lesquelles elles ont prouvé l'individualité de leur âme imaortelle. Il serait consolant de penser, en effet, que rien ne meurt de ce qui a frappé l'intelligence, et que l'éternité conserve dans son sein une sorte d'histoire universelle, visible par les yeux de l'Ame, synchronisme divin, qui nous ferait participer un jour l la science de Celui

qui voit d'un seul coup tout l'avenir et tout le passé.(9) Tout ce que le monde croit mort est absoluQent vivant et c'est une

(9) Préface au Second Faust (1840), cité dans L.-H. lébillotte, Le Secret de Gérard de Nerval (Paris: José Gorti, 1948), pp.

77-78.

(42)

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34-fausseté de penser que le passé n'existe plus. Presque tout le passage est rempli d'antith~ses, témoignant de cette éternité permanente! laquelle personne ne croit:

ces hauteuEs

1

ces profondeurs reces nouvell~s / habitants primitifs bravant le not envahissant • ••

1

ils vivaient Il •••

pacifiquement vainqueurs

1

des masses aveugles simples de moeurs

1

corrompus

adroits, fermes

1

détruits purs

1

quoique ayant vaincu l'ignorance

conservant dans l'aisance

1

les vertus de la pauvreté faisant sans doute un jeu / d'une étude

Et 1 mesure que Gérard parcourt cette contrée heureuse, 1 mesure que le rêve se déroule, la partie négative des antith3ses s'évapore, cédant la place 1 l'autre, c'est-l-dire 1 l'harmonie totale, 1 la paix retrouvée, concentrée dans cette derni~re phrase, aux accents d'émotion et 1 la structure homog~ne.

Dans cette phrase, nous trouvons trois qualificatifs 1 valeur

esthétique (belles, gracieux, délicates) rehaussés par l'adverbe ~

et se rapportant successivement 1 l'apparence générale (personnes), 1 l'aspect physique (traits) et 1 l'aspect intérieur en relation avec l'extérieur physique (foraes~ l'éclat de leur Ame) en une progression significative. Gérard accorde une importance 1 cette âme "transparente" qu'il dote d'un éclat interne, 1 l'origine de l'amour dont il semble ici n'avoir qU'une idée vague (une sorte

d'amour) et qu'il décrit pourtant si bien dans son ensemble (résumant). Ce participe présent en fin de paragraphe semble justement

"résuaer" toutes ces iapressions de bonheur et d'extase od il se trouve agréablement plongé et il allonge une phrase qui, 1 l'égal de son rêve délicieux, voudrait être indéfinie.

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