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L' effet-idéologie dans les dialogues de la nouvelle "Arsène Guillot"

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Veffet-idéolof;ie dans les dialof;ues de la nouvelle "Arsène Guillot"

par

Marie-Josée Gagné

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl

Montréal, Québec

Mars [996

(3)

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ISBN 0-612-12029-5

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Remerciement~

La réalisation de ce mémoire de maîtrise est rendue possible par la collaboration généreuse de madame Gillian Lane-Mercier. Notre travail est fortement influencé par les productions critiques de cette dernière et profite de son aide ponctuelle hautement appréciée. Nous prenons donc ici quelques instants pour lui manifester notre gratitude .

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Résumé

Le genre romanesque tire son originalité stylistique de ce qu'i! est la mise en texte de l'homme parlant et de sa parole (Bakhtine. 1978). Le locuteur du roman est invariablement un idéologue. et ses paroles des idéologèmes. En sa qualité d'idéologème, le discours actoriel constitue J'objet camctéristique du récit. Le personnage s'offre comme une entité sociale concrète et son discours comme un langage social particulier. La nouvelle Arsène Guillot de

Prosper Mérimée (1927: 85-145) met en scène une dynamique de voix

emprisonnées, de paroles/images de l'homme conditionné par les normes de son univers social. Ce récit se construit sur une successi:m d'actes carnavalesques développant les thèmes de l'intronisation paradoxale d'Arsène la courtisane et de la destitution de Mme de Piennes la bourgeoise dévote. L'ouvrage Texte et idéologie de Hamon (1984) présente, par l'élaboration

d'une sémiotique des savoirs aetoriels, une décomposition de la notion

d'idéologie en des constituants transposables textuelIement, en un ensemble de normes évaluantes formant l'effet-idéologie du récit narratif. Grâce à la contribution des concepts d'univers de discours, de rapport de place. d'insigne et de visée de complétude élaborés par FJahault (1978). nous appliquons les articulations théoriques de Hamon à l'étude non exclusive des dialogues de notre corpus. Nous procédons ainsi à une mise en application ponctueIle de ces concepts critiques en vue de mieux cerner la spécificité de la composante dialogale, de mieux percevoir la manière dont elle est susceptible de contribuer aux lignes de pertinence idéologiques de cette nouvelle mériméenne .

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Abstract

The unique stylistic particularity of the novel as a Iiterary form is that it is the presentation of the speaking human and his words (Bakhtine, 1978). The speaker in a novel is an exponent of a specifie ideology and his words serve to express this ideology. For ail its ideological components, the noveI's dialogues form the characteristic feature of the narrative gender. The characters fiII concrete social roles and they speak from within the limits of those roles, their speach emerging from different social languages. Prosper Mérimée's short story, Arsène Guillot (1927: 85-145), offers an ensemble of

character' s constrained voices, of speakers imprisonned by their own social positions. The novel is developped as a sequence of carnivalesque reversaIs. Paradoxically, the text establishes a prostitute as an admirable figure (Arsène Guillot) and deposites a pious french bourgeoise from her social acknowledgements. Philippe Hamon, in his book Texte et Idéologie (1984),

presents a theory of the semiotic of character's normative knowledge. This factorisation of the ideology notion, in sep:<rated normative elementsj form a

group of knowledges composing the text' s ideology-effect. With the assistance of the critical concepts of speech universe, power and position struggle, discourse insignia and speaker's desire of fulfilment elaborated by François Flahault (1978), we apply the ideas of Hamon to the non-exclusive study of the dialogues in Arsène Guillot. Our pragmatic analysis emphasizes

on how the dialogue contributes to the construction of the novel's ideology-effect.

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Table des matières

Introduction

l.1-Remarques liminaires p.l

1.2-Présentation sommaire de l'optique de la rcchcrchc_ _ _ p.3

\.3-Présentation de la méthode pA

lA-Retour sur les principaux concepts théoriques utilisés 1.4.I-Notion d'illocutoire, d'actes de langage

direct et indirect (Austin, SearieL p.6 1.4.2-Notion de contenu posé et présupposé (DucrotL p.7 1.5-Présentation du contexte historique de l'époque

de la rédaction p.8

notesàl'introduction p.12

Chapitre premier: (s'inspirant de Flahault, 1978)

2.I-Notions de système discursif, de rapport de place,

d'insigne et de visée de complétude._ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.14 2.2-Application:

2.2.I-Application de ces outils conceptuels

sur un dialogue du corpus. p.17 2.2.2-Analyse de la première partie du dialogue:

fonctionnement de son système de place._ _ _ _ _ p.20 2.2.3-Analyse de la seconde partie du dialogue:

Stratégies discursives d'Arsène Guillot

et de Mme de Piennes._ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.29

notes au chapitre premier pAl

(8)

Chapitre second (s'inspirant de Hamon, 1984)

3.I-Conceptions critiques se rattachant à la notion d'effet-idéologie p.42 3.2-Évolution des savoirs (voir, dire, vivre) des personnages:

3.2.I-premier moment: structure normative de départ p.44 3.2.2-second moment: brouillage normatiC p.49 3.2.3-dernier moment: revirement normatiC p.65

notes au chapitre second . p.68

Conclusion

4.I-Réarticulation normative narrative p.69 4.2-Le langage institutionnalisé:

un outil de pouvoir dans l'échage discursiC _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.71 4.3-Effet-idéologie global d'Arsène Guillot:

condamnation de Mme de Piennes et de son programme-norme p.73

notes à la conclusion p.75 Annexes annexe 1 p.76 annexe 2 p.78 annexe 3 p.80 annexe 4 p.85 Bibliographie A-Corpus littéraire_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.86 B-Ouvrages critiques sur Mérimée et son époque_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ p.86

C-Bibliographie critique générale p.88

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INTRODUCTION

«the power rclationship ohtaining belween the participants inlininteraction and the institutionalnonlls within which

thal interaction takes place are central to the way in which the disc\Jurse is dcvclopcd and individual ulterances interpreled.» (Thomas. 19R5: 7(6)

I.1-Remarques liminaires

Le genre romanesque tire son originalité stylistique de ce qu'il est la mise en texte de l'homme parlant et de sa parole (Bakhtine, 1978). Le locuteur du roman est invariablement un idéologue, et ses paroles des idéologèmest • En sa qualité d'idéologème, le discours actoriel constitue l'objet caractéristique du récit. Le dialogue romanesque s'articule comme la mise à l'épreuve de l'idée, de la prétention à la vérité d'un type social particulier. Le personnage s'offre comme une entité sociale concrète et son discours comme un langage social particulier. L'acte de parole romanesque dote le sujet parlant d'une identité et d'un faire illocutoire qui fonctionnent essentiellement comme indicateurs d'appartenance à des univers sociaux donnés. La hiérarchisation des virtualités illocutoires organise l'élaboration des activités verbales intratextuelles et l'angle de leur perception extratextuelle.

La nouvelle Arsène Guillot de Prosper Mérimée (1927: 85-145) met en

scène une dynamique de voix emprisonnées, de paroles/images de l'homme conditionné par les normes de son univers social. Les prises de parole de ses personnages principaux, Arsène et Mme de Piennes, se rencontrent ct sc déchirent dans des échanges verbaux conflictuels qui présentent leurs savoir-vivre divergents. Arsène Guillot réunit dans un même ensemble narratif le

sacré et le profane, le sublime et les considérations charnelles. La nouvelle sc présente comme une succession d'actes carnavalesques développant le thème de l'intronisation paradoxale d'une courtisane et la destitution illocutoire d'une bourgeoise dévote. Ce récit mériméen s'inscrit à l'encontre de l'ordre normatif de l'époque de sa rédaction et biaise la perception historique de ces

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temps dévots. Cette conception fictive du monde ne connaît pas de parachèvement narratif. L'ultime parole du texte introduit un nouveau récit potentiel, celui de la chute de Mme de Piennes et, par elle, celle de son programme-norme social.

Le narrateur extra-diégétique omniscient d'Arsène Guillot montre l'utilisation hypocrite et intéressée de Mme de Piennes du langage codé propre à son univers de discours religieux. Il met en lumière le ridicule de cette prétention humaine à un ordre de sublimation éthérée (Ozwald, 1989, 1991). Le langage social introduit dans cette nouvelle par le personnage de la bourgeoise dévote et la perspective socio-idéologique de ses prises de parole sont présentés comme des réalités fausses et bornées, comme les manifestations d'un jugement non pertinent. Cet anti-héros est dénoncé en ce qu'il prétend indûment à une signification personnelle et sociale. Le narrateur trace, satiriquement, le récit de l'évolution idéologique de ce personnage qui incarne le langage typique d'une formation discursive déterminée, celle du catho~icisme.

La parole religieuse et morale, dominante dans l'extratexte, se voit privée dans Arsène Guillot de sa prédominance hiérarchique. Inversement la

voix d'Arsène, méconnue socialement et privée de légalité dans l'univers extratextuel, forme la parole narrative persuasive. Les conflits entre les programmes-normes des personnages du docteur K., de Max de SaIIigny, d'Arsène et de Mme de Piennes assurent l'élaboration de la trame narrative et l'orientation idéologique finale de la nouvelle. Les énonciations de Mme de Piennes visent systématiquement à assurer sa prédominance sur ses interlocuteurs, elles cherchent en vain à modifier la dynamique de leurs places relatives dans l'échange verbal. Les paroles d'Arsène (tout aussi monologiques) déstabilisent et transforment les rapports de force de son entourage social fictif. Notre travail consistera principalement en l'identification et l'interprétation des agirs discursifs des différents personnages, agirsdiscursifs qui forment une axilogique négative des valeurs

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de Mme de Piennes. Dans cette optique, nous reconnaissons (/ priori que l'acte d'énonciation s'inscrit dans la théorie, plus générale, de l'action. Comme la majorité des pragmalinguistes et des sociolinguistcs, nous concevons que la rencontre verbale interpersonnel1e a, entre au tres conséquences, l'effet de modifier les rapports de force et de place entre ceux qui s'y expriment. Considérant donc que l'actioll discursive forme l'unité de base des études pragmatiques, nous concentrerons nos efforts critiques sur l'analyse des corrélations systématiques unissant les prises de parole actorielles et les tactiques discursives les déterminant. Les concepts de rapport de place discursive, d'insigne, de force illocutoire et de contrainte présuppositionnel1e guideront l'élaboration de notre analyse et mettront en lumière l'existence d'une logique des actes de langage nous permettant de faire de cette étude de la composante dialogale d'Arsène Guillot, l'analyse d'un objet sémiotique à part entière.

1.2-Présentation sommaire de l'optique de la recherche

Tout romancier est un encyclopédiste du normatif, affirme Hamon. A ses yeux de chercheur, le matériau principal de tout roman se compose de règles prohibitives ou prescriptives et l'idée de norme détermine l'ensemble de l'élaboration narrative. S'inscrivant implicitement sur les traces de Bakhtine (1978) pour qui, nous le savons, l'objet esthétique s'offre comme une évaluation éthique exclusive du réel, l'ouvrage Texte et idéologie présente une décomposition de cette notion d'idéologie en des constituants transposables textuellement afin de cerner, dans l'étude critique des récits, leurs hiérarchisations normatives. Par ce biais, le critique cherche à voir dans quel1e mesure le texte littéraire incorpore à sa structure certaines particularités stylistiques propres à manifester des rapports évaluatifs. Le personnage-sujet, en tant qu'actant et patient, en tant que support anthropomorphe d'un certain nombre d'effets sémantiques représente un biais d'ancrage important de ces systèmes normatifs. Et les prises de parole des personnages s'avèrent être «le lieu d'inscription et de circulation par

3

\

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excellence de présupposés pragmatico-Iinguistiques et socio-idéologiques de provenance hors-textuelle» (Lane-Mercier ,1992: 321). L'étude de l'effet-idéologie appelle donc, à notre sens, celle de la composante dialogale des textes littéraires. Grâce à la contribution des concepts d'univers de discours2,

d'insigne et de visée de complétude élaborés par Flahault (1978) nous appliquerons les articulations théoriques d'Hamon à l'étude non exclusive des dialogues de notre corpus. Nous nous proposons avant tout de procéder à une mise en application ponctuelle des concepts critiques élaborés par Flahault et Hamon en vue de mieux cerner la spécificité de la composante dialogale, de mieux percevoir la manière dont elle est susceptible de contribuer ou de ne pas contribuer aux lignes de pertinence idéologiques de cette nouvelle mériméenne. Sur la base de ces quelques outils d'analyse nous utiliserons, au gré des interprétations, divers concepts analytiques élaborés dans les champs de recherches pragmatiques3et sociocritiques.

1.3-Présentation de la méthode

Notre travail se présente selon trois angles d'approche différents de l'étude de la parole romanesque4 et sur une sélection personnelle de

conceptualisations théoriques d'appartenance multidiciplinaires. L'ensemble de ces plans d'analyse tend vers l'identification des lignes présuppositionnelles assurant la cohérence des attributions dialogales; démarche menant, ultimement, à l'explication du fonctionnement de

l'effet-idéologie de l'oeuvre.

Comme nous le précisions plus avant cette étude mettra d'abord à profit, entre autres conceptualisations théoriques, les notions d'actes de langage, d'illocution et d'implicite. Ces notions conceptuelles nous conduiront vers la découverte des potentialités iIIocutoires qui mettent à la disposition des dialoguants les matrices destinées à situer l'interlocuteur par rapport à soi, à autrui, et àl'objet du discours. La seconde étape de notre démarche critique se composera de l'identification des modes d'organisation lexicale et

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syntaxique des unités immanentes de l'univers de discours l'Omancsquc. La reconnaissance des propriétés descriptives des différcntcs configunltions illocutoires des acteurs de la nouvelle, par la compamison dc coupcs synchroniques de leurs prises de parole respectivcs, nous pcrmctlm d'associer à ces mêmes personnages des univers de discours particulicrs entretenant entre eux des rapports de force et de place. Le recensement dc ces facteurs pragmatiques immanents par l'étude de la logique syntaxiquc actancielle, formulable en termes d'amélioration/dégradation des nlpports discursifs et de disjonction/conjonction des parcours narnltorial ct actoriels nous permettra, en troisième lieux, d'appréhender les principales voix du récit et les idéologèmes qu'elles véhiculent.

L'étude des modes de représentation microtextuels des dialogues nous mènera vers la reconnaissance des potentiels compétentiels des différents personnages du récit. L'observation du fonctionnement de la syntaxe phrastique et dialogale nous permettra de cerner les différentes stratégies à

l'oeuvre dans leurs performances discursives. L'analyse des contributions narratoriales et de la fonction de rapportage auctorielle nous renseignera, parallèlement, sur les efforts de distanciation/dégradation des paroles de

l'Autre par le narrateur. Les manifestations de l'illocutoire, à savoir

l'ensemble des actes de langage repérables à un niveau superficiel, leur caractère direct ou indirect (implications et sous-entendus) et la manipulation des présupposés linguistiques par les différents personnages, nous permettront de cerner les rapports hiérarchiques régissant la dynamique actorielle. Enfin, nous nous pencherons sur les présupposés linguistiques et idéologiques généraux de l'oeuvre, qui établissent l'angle global à partir duquel ses dialogues doivent être lus, et qui tracent la liaison des trois composantes structurales de notre analyse .

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1.4-Retour sur les principaux concepts théoriques utilisés

6

JI nous semble indispensable d'expliciter dès maintenant les concepts théoriques mis à profit plus avant dans notre analyse. La langue comporte, inscrit dans sa syntaxe et son lexique, tout un code de rapports humains, tout un dispositif de conventions et de lois gérant les interactions individuelles (Ducrot, (972). L'analyse conversationnelle cherche à identifier ces stratégies de production et d'interprétation adoptées par les interlocuteurs et à comprendre les implications de J'institution sociale sur le développement de ces interactions (Durrer, 1994).

1.4.1-Notions d'illocutoire, d'actes de langage? directs

et indirects

8

L'analyse dialogale puise ses premières inspirations de certains travaux de philosophie analytique. Austin et Searle, premiers auteurs d'une théorie des actes de langage, reconnaissent deux composants propres à l'énoncé: un contenu propositionnel direct doublé d'une force iIIocutoire. L'illocutoire, garantissant les modalités de continuation de la parole, organise l'ensemble hétérogène des compétences linguistiques et idéologiques, des relations intersubjectives et des donnés contextuelles du dialogue. À l'inverse des actes performatifs, dont le sémantisme de surface prévient toute équivoque concernant les intentions du locuteur, l'acte iliocutoire se présente comme un moyen de manipuler les contenus informationnels transmis; il forme un point focal où convergent compétences langagières, idéologiques et socioculturelles. Ce concept d'acte ilIocutoire, représentant selon Searle l'unité minimale de la communication, permet à la linguistique d'étendre considérablement son champ d'observation pour nouer des liens avec la psychologie, la sociologie et multiples autres domaines des sciences humaines. L'illocutoire est le lieu où se définissent les interlocuteurs relativement à des normes sociales et le lieu à partir duquel ils peuvent agir les uns sur les autres, grâce à ces mêmes conventions

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Mercier,1992:336). Ces actes de langage ne peuvent être interprétés que les uns par rapport aux autres; leur valeur est tributaire de l'enchaînement dans lequel ils prennent place et dont les règles ou les formules d'ugencement doivent être dégagées par l'identification de leurs présupposés constitutifs.

1.4.2-Notions de contenu posé et présupposé

Le posé et le présupposé forment les deux paliers du contenu sémantique de l'énoncé. Le posé renferme l'ensemble des informations explicites de ce qu'affirme le locuteur. Incorporé implicitement dans ce contenu Iittérul, le présupposé constitue la base sur laquelle s'articulent les posés. Le concept de présupposition maintient constant un noyau de représentations idéologiques, culturelIes, linguistiques et autres, assurant ainsi la cohérence interne du discours. La présupposition, objet de la complicité fondamentale liant entre eux les participants de l'échange communicatif, forme donc un outil théorique précieux «capable d'expliquer certains phénomènes macrodiscursifs et essentiel à l'analyse du dialogue romanesque» (Lane-Mercier, 1989:96).

Au niveau de l'énonciation, la présupposition apparaît comme une tactique argumentative des interlocuteurs; elle correspond à la façon dont «ils se provoquent, et prétendent s'imposer les uns aux autres une certaine façon de continuer le discours» (Ducrot,1984:43). La répartition du contenu des énoncés en éléments sémantiques posés, dont le locuteur endosse la responsabilité, et en éléments sémantiques implicites présupposés, dont il fait partager la responsabilité à l'auditeur, possède une fonction polémique. Présupposer un certain contenu c'est, en quelque sorte placer l'acceptation de ce contenu comme la condition de la continuité de l'échange dialogal. Par la loi d'enchaînement, fondement du concept présuppositionnel, la présupposition s'inscrit comme un acte ilIocutoire particulier: en encadrant pour l'orienter le discours ultérieur, elIe contient en elIe-même une alIusion

à sa propre perpétuation.

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l.s.Présentation du contexte !listorique de l'éjJoque de la rédaction

fi nous semble important de replacer notre corpus littéraire et son axiologisation normative dans leur contexte historique. Cette démarche nous permettra de percevoir avec plus de pertinence la logique immanente de cette oeuvre et son travail de structuration des valeurs. L'esquisse rapide de la dynamique sociale en cours à l'époque de la rédaction d'Arsène Guillot

nous renseignera sur l'organisation hiérarchique des discours dominant et dominé extratextuels sur laquelle se basent ses formations discursives actorielles et sur l'optique de présentation de cette réalité sociale par le narrateur/auteur.

Durant les siècles précédant la Révolution, l'Église et l'État français ont débattu de leurs droits et privilèges respectifs. Le clergé, militant défensivement pour garder la main-lT!ise sur ses affaires internes, a longtemps cherché à étendre ce pouvoir sur les préoccupations étatiques. Malgré ce qu'en ont dit certains historiens, 1789 n'a pas mis fin aux virulents combats entre ces deux pôles de pouvoir social. Les visées constitutionnelles de l'abolition de tout privilège aristocratique, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité de tous les Français ont entretenu des relations conflictuelles avec l'Église post-révolutionnaire. Le clergé possédait toujours, en tant que propriétaire terrien et titulaire de postes administratifs importants, une prédominance politique et sociale certaine. Les requêtes du droit de libre-expression s'inscrivent dans un contexte social contraignant, dans un jeu de pouvoir où l'Église usait, encore, d'une puissante autorité sur le monde intellectuel. L'anticléricalisme, particulièrement populaire après 1791, tire ses sources dans la censure imposée par l'Église sur la vie politique et artistique française. Le positivisme et le scepticisme philosophique de l'époque s'opposent ouvertement aux superstitions et au culte des reliques catholiques ainsi qu'au célibat des prêtres. Ils prônent la destitution du totalitarisme intellectuel imposé par l'Église.

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Par le Concordat de 1801 Napoléon restaure le gallicanisme politique et soumet ainsi l'Église à l'État. Cet accord entre l'empereur et le pape Pie VII accorde à tous les Français la liberté de choisir leur orientation spirituelle. La religion devient à ce moment une considération individuelle, et ses manifestations publiques demeurent soumises aux directives du gouvernement impérial. Les décisions napoléoniennes en matière de religion n'ont pourtant pas créé l'unanimité souhaitée parmi ses citoyens. L'hostilité des intellectuels envers le catholicisme ne connaît pas de diminution remarquable durant cette période. Malgré l'insistance impériale sur le respect officiel envers le culte, le mouvement anticlérical garde toute son importance. La grande majorité des instruits dénigrent la fervence catholique et des incroyants occupent les positions d'autorité dans les domaines de l'administration de l'État, dans la hiérarchie sociale, dans le monde de l'enseignement, des arts et des sciences.

L'Église connaît pourtant, sensiblement dans la même période, un processus de centralisation important. Le mouvement ultramontain grandissant rêve de rétablir l'Église dans la totalité de ses privilèges de l'Ancien Régime. Il cherche à recréer une version idéalisée de l'ordre pré-révolutionnaire et d'en assurer la stabilité par l'institution d'un gouvernement conservateur. La Restauration française (1814-1830) cautionne à un niveau public et politique leurs espérances religieuses. Le retour des Bourbons favorise l'expansion des idées ultramontaines. Les

ultras, formant dès lors une droite puissante, arrivent au pouvoir sous le ministère de Villèle en décembre 1821 et conservent ultérieurement leur autorité politique par l'accession au trône du comte d'Artois en 1824. Dès les débuts de la Restauration, les positions gouvernementales d'importance sont occupées par des catholiques. Les traditionalistes retrouvent leur puissance politique et mobilisent la partie de la population française touchée par les violences révolutionnaires. Le clergé et la noblesse menacent alors d'anéantir

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le jeune et instable système constitutionnel français. La liaison affichée entre le trône et l'autel réveille les craintes, endormies sous le Premier Empire, d'un rétablissement de l'Ancien Régime.

La Monarchie de Juillet, mise en place suite aux journées révolutionnaires de 1830, vient rétablir pour un moment la laïcité politique. Sans afficher publiquement une image catholique, ce régime initialement anticlérical favorise rapidement le retour du catholicisme. A partir des années 1833-1834, l'attitude du roi-citoyen devient moins hostile envers l'Église, qui lui apparaît alors comme une garante du maintien de l'ordre social. Le gouvernement monarchique soutient la renaissance religieuse du déhut des années trente. Progressivement, le catholicisme devient le ciment

social de la nouvelle classe bourgeoise française. Les bourgeois, tenant à la préservation d'un ordre qui leur offre la première place sociale, ont tout

intérêt à mettre de côté leur scepticisme voltairien et à faire de la religion leur alliée. Le rétablissement graduel du catholicisme réveille, vers

1842-1843, les craintes et les haines anticléricales.

Prosper Mérimée compose Arsène Guillot pendant cette période aux

échos anticléricaux. Écrite en 1843 la nouvelle est publiée pour la première fois dans la Revue des Deux Mondes le 15 mars 1844, le lendemain de la

nomination de son auteur à l'Académie Française. À sa lecture, plusieurs membres de cette institution regrettèrent d'avoir élu Mérimée un des leurs. Même si ce dernier atténue ce qu'il pourrait y avoir de trop direct dans sa satire d'une bourgeoise dévote en situant son histoire une vingtaine d'années en arrière, non seulement la publication de cette oeuvre soulève de virulentes condamnations, mais sa réception critique exprime une réprobation quasi-unanime. La prise de position de l'auteur contre le rétablissement d'un programme-norme religieux qu'il décrit comme faux et intéressé s'inscrit à l'encontre du christianisme en vogue dans son entourage social. Sa description péjorative de Mme de Piennes, type social commun à l'époque, éveille l'indignation de ceux qui se reconnaissent en elle.La violence de cette

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réaction du public bourgeois vient corroborer notre hypothèse cl'ltlque faisant d'Arsène Guillot le récit de la détronisation de Mme de Piennes et de ses savoirs évaluatifs. Notre objectif consiste à démontrer comment s'articule et se développe sur le plan du texte cette déconstruction normative tant reprochée à Mérimée .

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Notes

à

l'introduction

l-"Lc recoupement d'une organisation telttuelle (d'une pratique sémiotique) donnée avec les énoncés (séquences) qu'elle assimile dans son espace ou aUltquels elle renvoie dans l'espace des telttes (pratiques sémiotiques) elttérieurs, sera appelé un idéologème. L'idéologème est cette fonction intertelttuelle que l'on peut lire (matérialisée> aUlt différents niveault de la structure de chaque teltte, ct qui s'étend tout au long de son trajet en lui donnant ses coordonnées historiques et sociales», (Kristeva, 1969: 114 tiré de Lane-Mercier, 1989: 202). 2-La notion d'univers de discours de Flahault rejoint celle de Creel Froman dans son ouvrage Lanllualle and Power lorsqu'il traite de la construction/déconstruetion individuelle de la réalité par le biais du langage. Le sujet élabore, sur la base d'un système sémiotique personnel, une réalité manifestée au niveau social par l'élaboration d'un univers de discours particulier: «Language is tbe power to create reality, and one of the rcalities it creates in its own use is a structured reality of language production» (Froman, 1992: 64). Selon ce chercheur, il eltiste une «distinction between sharing reality and sharing language. A language is what reality is eonstructed in». Les interlocuteurs, tout cn partageant le même système de signcs linguistiques, possèdent des conceptions du réel divergentes. Si le sujct découvre le monde,le sens et le langage dans le même temps et par le même processus, il est des raisons de croire que chaque individu au cours de son évolution construit une conception personnelle de la réalité,une vision articulée par un discours qui lui est propre «(an act of meaning is not the coding and transmitting of some pre-existing information or state of mind, but a crilical component in a complex process of reality construction» (Halliday, 1992: 16». 3-«Par pragmatique,il faut entendre ce qui affecte les conditions de la communication, le rapport de l'énonciation à l'énoncé, et plus généralement, l'analyse de l'énonciation.» (Meyer, 1993: 66)

4-L'articulation théorique de ma recherche sc base, principalement, sur l'élaboration par Gillian Lane-Mercier dans son ouvrageLaparole romanesqued'une typologie des systèmes discursifs comme méthode d'organisation théorique de la composante discursive.

5-Fishman (I965) trace la différence entre «macro-sociolinguistics (language planning, correlational studies of substantial samples, work on class and sex-differentials, large-scale cultural and political phenomena) and micro-sociolinguistics (the study of the minutiac of vcrbal interaction in a small data-based corpus).» (Burton, 1980: 118)

6-Ce choix d'une présentation sommairc, simplificatrice à l'excès, de sujets par ailleurs richement eltplicités et commentés se justifie par l'ampleur limitée de ce travail. Les lecteurs désirant s'enrichir d'une connaissance plus étendue et nécessairement plus juste de ces concepts théoriques trouveront dans notre bibliographie critique générale des suggestions de lcctures propresàsatisfaire leurs attentes.

(21)

7-Cerlains critiques «Austin,1970), (Searle,1975,1979), (Fmser,1975)) ont lenté un classement paradigmutique des ueles de lunguge suns pourtunl en urriver 11 une norme unique. Cc concept appelle une eertuine unificulion des chumps d'étudc sémuntiquc ct pmgmulique (Wunderlieh, Gordon & Lakoff) ct offre, entre uutres, lcs buscs d'une théorie génémle du comportement linguistique (Scbegloff, Sucks, Muus).

8- «Sueh cases, in which the utterance has Iwo ilIocutionury forces (...). (...) euses in whieh one illoculionary act is performed indirectly by wuy of performing unolher.» (Seurle, «Indirect Speech Acts», in Duvis, 1991: 266) .

(22)

CHAPITRE PREMIER

2.I-Notions de système discursif,

de rapport de place, d'insigne et de visée de complétude

La langue, et son actualisation sous forme d'énoncés, comportent «tout un catalogue de rapports interhumains, toute une panoplie de rôles que le locuteur peut se choisir pour lui-même et imposer au destinataire» (Ducrot, 1980: 4). L'échange discursif, produit de l'interaction d'individus socialement organisés, constitue pour tout sujet l'un des divers moyens dont il dispose pour exercer son pouvoir. De fait, la compétence discursive du participant de la rencontre verbale conditionne l'inscription de son individualité dans cet espace dialogal où est mise en jeu sa réalisation personnelle. L'ouvrage critique de Flahault (1978) offre divers outils conceptuels permettant d'identifier les principales articulations de ces rapports de force et de pl<'.ce régissant le dialogue. Nous considérons les concepts théoriques élaborés par Flahault d'une valeur et d'une aide appréciables pour l'organisation de notre recherche. C'est pourquoi ce premier chapitre s'inspire principalement de ses travaux critiques. L'apport de l'auteur aux théories pragmatiques ajoute à notre compréhension de la composante dialogale littéraire et nous offre des paramètres précieux pour l'analyse ultérieure de son effet-idéologie. La reformulation théorique des notions d'illocutoire et de présupposition qu'il propose mène vers la reconnaissance des identités respectives des interlocuteurs et nous permet de jeter un premier regard critique sur le fonctionnement de l'effet-idéologie, concept nécessairement relié à l'organisation discursive des positions et des visées particulières des différents personnages romanesques. Sur les traces du critique nous tenterons donc de discerner, dans deux extraits dialogués de notre corpus, cette parole intermédiaire qui se donne à reconnaître sous couvert de ce que l'énoncé articule en premier plan.

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La théorie de Flahault rappelle en bien des points celle de Ducrot. Elle propose pourtant une expansion conceptuelle importante de celte dernière par l'exploitation de la notion d'idéologie dans la construction du concept d'univers de discours (Lane-Mercier, 1989: 125). Le système discursif (ou univers de discours) d'un sujet parlant sous-tend l'élaboration de son énonciation, chacune de ses prises de parole formant une actualisation ponctuelle de ce même système. L'univers de discours des interlocuteurs se compose d'une sélection particulière d'images collectives hors-textuelles organisées àpartir de valeurs sociales, éthiques, économiques, politiques et esthétiques culturellement déterminées. Ce système discursif individuel s'élabore en fonction de la position que le locuteur occupe à l'intérieur d'un univers idéologique global articulé en terme de discours dominants et de discours dominés. Son énonciation se forme à l'intérieur d'un système discursif qui lui est propre, et est conditionnée par le cadre idéologique, culturel et social dans lequel il construit sa parole. L'énoncé, de par sa situation historiquement datée et culturellement définie, se développe sous l'influence du cadre mouvant des discours sociaux l'environnant. Selon celte conceptualisation théorique, un mot unique peut se prévaloir de sens divers selon la nature du système discursif dont relève son énonciation. En tant qu'unité discursive la valeur du mot (au sens saussurien) est susceptible de se diversifier suivant le contexte dont il est partie intégrante. Pour que les interlocuteurs s'entendent sur le sens à accorder à tel ou tel vocable il est donc nécessaire qu'ils partagent les mêmes valeurs, ou encore, qu'ils soient conscients de l'hétérogénéité de leurs univers sémiologiques et puissent ainsi façonner leur compréhension et leurs stratégies discursives à la lumière des sens particuliers d'autrui.

Toute parole, si importante que soit sa valeur référentielle et informative, se formule à partir des rapports de force et de place existant entre les participants de l'échange dialogué. Par son énonciation, le locuteur assigne une place complémentaire à son interlocuteur et lui demande,

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implicitement, de reconnaître ce double positionnement. L'acte iIIocutoire, posé ou présupposé, tire sa valeur d'être l'énonciation d'un sujet qui occupe une certaine place par rapport à l'Autre dans une situation dialogale précise. De fait, la dynamique des places discursives articule l'élaboration des rapports de force: ce ne sont pas les seules caractéristiques de l'énoncé qui fondent sa valeur iIIocutoire, mais bien la relation de cette proposition avec le rapport de place qui fonctionne en réalité entre le sujet de l'énonciation et son destinataire.

Quatre registres de places sont à distinguer dans toute situation de production de parole. L'énonciation d'un locuteur est d'abord marquée par l'ensemble des énoncés et des relations iIIocutoires qui ont fixé le cadre de l'échange discursif. La prise de parole s'élabore ensuite sur la base de l'univers de discours qui correspond à sa place dans la formation sociale à

laquelle le locuteur appartient1. Elle s'inscrit troisièmement à partir de la

place qui lui est dévolue dans la dynamique de l'échange verbal en cours et, enfin, dans le cadre de la localisation d'insignes déterminés. Le jeu constant entre les diverses positions définies par le système de places en vigueur dans l'échange verbal s'articule par la circulation entre les locuteurs de ce que Flahault nomme l'insigne. Toute énonciation s'inscrit dans un horizon de corn plétude, se construit à l'intérieur d'une organisation conceptuelle correspondant à «une idéologie donnée et reposant sur des préconstruits d'ordre socioculturel, articulés au niveau présuppositionnel» (Flahault,1978: 74). La visée de complétude peut se comprendre comme l'aspiration de chacun des partis concernés à voir son énonciation revêtir, sous l'assentiment général, la pertinence propre

à

en faire une parole universelle. Le locuteur investi de cette mainmise sur la complétude détient l'insigne du dialogue. L'énonciation de ce sujet parlant vaut comme insigne en ce qu'elle donne à reconnaître à son interlocuteur les marques identifiables d'un certain rapport sien à la complétude. Si l'interlocuteur parvient à pointer le manque de pertinence des propos du prétendant à la complétude, l'insigne. du coup,

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passe de l'un à l'autre. Chaque énoncé se constitue par le rejet ou l'acceptation de l'insigne présent dans l'acte de parole auquel il répond et par l'anticipation de ce que sera la réception critique de la visée de complétude qu' il formule à son tour. Plus qu'à un simple travail de décoduge, le sujet est donc convié à se soumettre à ou à contester le système de places ct la circulation de l'insigne qui s'élaborent dans la situation dialogale à laquelle il participe.

2.2-Applicatioll

2.2.1-Applicatioll de ces olltils cOllceptllels sllr 1111 dialoglle dll corplls.

Flahault propose, comme mise en application de son système théorique, une série de démarches critiques faisant usage de di verses représentations schématiques et d'interprétations relevant des domaines des études pragmatique et sociocritique. Afin d'assurer la compréhension de nos analyses ultérieures, qui s'inspirent (assez librement il faut le dire) des schémas de Flahault, nous prendrons ici le temps d'expliciter le fonctionnement interprétatif des outils conceptuels élaborés par le critique. Nous lui emprunterons, pour ce faire, un exemple d'analyse dialogale présenté en conclusion de son ouvrage.

Une jeune femme demande à son mari si elle lui plaît dans les nouveaux vêtements qu'elle vient de se procurer:

(1) «Tu trouves ça bien, ce que j'ai mis?

(2) Tou! à fait; je verrais une fille habillée comme ça, je lui ferais aussitôt du gringue.

(3) De toute façon, tu es incapable de faire du gringueà une fille!»

(Flahault, 1978: 188)

Le critique débute son analyse en faisant apparaître ce qu'il nomme le fonctionnement discursif du dialogue. A bien y regarder, la seconde partie

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de la réponse (2) ne saurait se comprendre uniquement à partir du cadrediscursif fourni à la question (1). Elle n'en reprend que le «ce que j'ai mis», transformé en un «habillée comme ça». Cette dernière proposition est reprise dans la réponse du mari, mais à l'intérieur d'une supposition (<<je verrais») sur laquelle prend sa signification l'affirmation «je lui ferais aussitôt du gringue». Du système discursif sur la base duquel le mari formule sa réponse, on peut donc proposer le schéma ci-dessous:

["emole de schéma:

<

Je lui ferais du gringue (je ne lui ferais pas

de gringuel (

ablllée comme ça

Je puis faire

du gringue -Je uerrals une fille à une fille

(habillée autrement!

Flahault fait figurer à titre d'invariant discursif la proposition (je puis faire

du gringue à une fille) qui régit celles qui s'y greffent. Les propositions

(habillée autrement) et (je ne lui ferais pas de gringue) assurent simplement la pertinence des explicites (habillée comme ça) et (je lui ferais du gringue). Flahault les présente entre parenthèses pour signifier qu'elles ne jouent aucun rôle dans le dialogue. La proposition (je lui ferais du gringue) n'affiche pas, de façon évidente, son dénominateur implicite (je puis faire du

gringue à une fille). Elle n'est indiquée à travers les précédentes par aucune

marque linguistique et ne peut en être isolée qu'à la suite d'une démarche indispensable. Se placer en position d'entreprendre ou non une action n'a de sens que si, d'abord, on possède le potentiel de l'entreprendre. La présupposition (je puis faire du gringue à une fille) ne devient explicite que lorsqu'elle est contestée par la jeune femme dans l'énoncé (3). Jusque-là elle ne se présente pas comme un dit, mais comme un invariant discursif implicite, un fait dont le locuteur témoigne à travers sa parole, et qu'il atteste comme étant sa réalité. Le système discursif de l'énoncé (2) s'articule donc sur la base de ce présupposé, et c'est précisément cette affirmation implicite qui est niée par l'interlocutrice dans l'énoncé (3). La jeune femme

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s'attaque à la pertinence de la prise de parole du mari en la contestant radicalement. La réplique (3) ruine lu visée de complétude du mari dans l'énoncé (2), elIe lui fait «perdre la face»2. La forme linguistique de l'énoncé-réponse et le contenu qu'il pose ne sont pas réductibles à la seule réfutation ou la seule confirmation du système discursif du questionneur. Le sujet-répondant se doit de marquer son énonciation du rapport entre ce qu'il a à dire et ee que vient de dire son interlocuteur. Le sujet impliqué dans un échange dialogué possède ainsi une panoplie de moyens, de stratégies discursives lui permettant d'ébranler la pertinence d'un discours incompatible avec le sien et de faire reconnaître la pertinence de sn parole.

Pour rendre compte du fonctionnement discursif des échnnges dinlogués il faut tenir compte des éléments qui, dans la situation d'énonciation, sont des repères qui contribuent à donner, non pas le sens linguistique des énoncés, mais leur pertinence discursive. La question (1) est perçue l'nI' le mari comme une demande de reconnaissance. Il y répond d'une manière qui ne peut, semble-t-il, que satisfaire sa femme. Cependant la réponse de celle-ci connote une agressivité certaine ... En fait, l'énoncé (2) ne se limite pas à satisfaire une demande de reconnaissance; il en contient une, lui-même, adressée à la jeune épouse. La situation imaginaire Jon1 le mari fait la supposition correspond peut-être à une réalité: confronté à une fille «habillée comme ça», il essayerait de la séduire? L'énonciation (2) est donc un acte iIIocutoire ambigu par lequel le mari se reconnaît capable de plaire aux femmes en général. Cette énonciation, prise comme un compliment, serait appréciée de la jeune femme; mais pour autant qu'elIe vaut aussi comme une demande de reconnaissance, elIe est au contraire rejetée par la réplique (3). Le caractère apparemment banal des énoncés, les formules communes qui y sont utilisées n'empêchent pas que leur énonciation soit «un événement significatif, où quelque chose de leur vérité s'est dit sans se dire, dans [k:l discours intermédiaire» (Flahault, 1978: 196).

(28)

2.2.2.Analyse de la première partie du dialogue:

démonstration du fonctionnement du système de place

Après une première lecture du niveau linguistique de l'extrait présenté en annexe (1) permettant de distinguer grossièrement les enjeux de ce court échange verbal, nous tenterons de faire apparaître, à la lumière de la démarche de Flahault, les mécanismes de son fonctionnement discursif interne. Ces articulations générales seront présentées, en deux étapes successives, par l'identification première de leurs organisations discursives respectives. Pour ce faire, nous tenterons d'abord de reconnaître le topos central partagé par l'ensemble des interlocuteurs. Nous chercherons ensuite à préciser sur quels points l'univers discursif global se spécifie chez tel ou tel des protagonistes de l'échange en formant les divergences qui conditionnent les développements dialogaux. Notre analyse se poursuivra par l'élaboration d'une série de schématisations représentant les articulations discursives d'un nombre d'énoncés choisis dans notre premier corpus littéraire. Ces représentations schématiques ne chercheront pas à rendre compte de la particularité des formes linguistiques utilisées. Elles s'efforceront plutôt de faire apparaître à partir de quelle organisation de leurs perceptions, à partir de quel système discursif les interlocuteurs présentent leurs énoncés. Nous chercherons ainsi à discerner les continuités et les ruptures entre les différentes prises de parole discursives. Ces informations conditionneront notre analyse des divers rapports de force et place constituant les échanges étudiés.

La première partie de l'extrait choisi de la nouvelle mériméenne expose la mésentente, entre Mme de Piennes et le docteur K., autour du récit métadiégétique d'une analepse interne. Mlle Arsène Guillot, courtisane et

petit-rat

de l'opéra de Paris, a tenté de mettre fin à sa vie, au petit-matin du jour où se place la rencontre dialogale, en se jetant par la fenêtre de son logement situé devant la demeure de Mme de Piennes. Cette dernière,

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bourgeoise dévote, demande à son médecin et ami, le docteur K., de se joindre aux soins qu'elle entend offrir à la courtisane. Ils se retrouvent donc. tous les trois, entre les pauvres murs de la chambre d'Arsène, à débattre des raisons de son désespoir.

Isolons d'abord l'articulation discursive/sémiologique primaire sous-tendant la discussion. Pour ce faire nous cernerons ce qui, dans l'ensemble du dialogue, est reconnu par les trois locuteurs. Tous les membres de cet échange verbal identifient le désespoir d'Arsène comme le motif déterminant de son désir de suicide. Bien que cette idée fondamentale reste inexprimée dans le dialogue, elle n'y connaît aucun instant de contestation. Nous pouvons donc représenter ce topai' central comme suit:

Rrticulation sémiologique du oremier eHtralt:

- Cause des enuies de mort d'Rrséne: SDn désespoir

Si aucun des personnages ne s'oppose à ce thème, cela n'implique pourtant pas qu'ils y accordent la même signification. Compte tenu de leurs différentes places dans l'échange verbal, de la divergence de leurs systèmes discursifs, ils n'entretiennent pas un rapport identique à l'idée de «désespoir». Mme de Piennes et le docteur K. ne s'entendent pas sur la cause de la détresse d'Arsène. Leurs efforts pour s'entendre sur la nature de ce concept ne les conduisent pas à une tentative de définition linguistique, mais à un débat sur la prédominance de leurs définitions discursives respectives. Nous pouvons, ici, tracer le diagramme de leurs ententes et de leurs désaccords, dynamique formant le fonctionnement discursif global de ce premier extrait. La case entourée, le refus de Mme de Piennes de percevoir le désespoir d'Arsène selon un autre système discursif que le sien, entraîne les divergences autours desquelles s'organise le dialogue entier.

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Tableau 1;

CAUSE OE CE OÉSESPO 1A AASÈNE K Mme de PIENNES

accès Incriminable de folie

-

-

+

abandon d'un amant-entreteneur + + 8

Étudions maintenant de plus près ces formations discursives entretenant entre elles des rapports de continuité/discontinuité. Prenons, pour commencer, l'exemple de l'énoncé (1) («Vous étiez folle alors, ma chère amie; vous vous repentez à présent, n'est-ce pas?»). Cette prise de parole de Mme de Piennes masque un acte illocutoire implicite. La bourgeoise cherche à contraindre son interlocutrice à une réponse prédéterminée par une interrogation piège. Elle place dans la formulation de son énoncé une dichotomie qui restreint fortement le champ des répliques potentielles offertes à Arsène. En fait, l'énoncé (1) impose à sa destinataire la catégorie [suicide=folie/repentir=sagesse] dont celle-ci ne peut se libérer sans contester l'insigne de l'instance discursive qui la formule. L'énoncé (1) contient un présupposé apposant un jugement péjoratif sur les actes morbides d'Arsène

(le suicide est un acte de folie). Mme de Piennes cherche ainsi à inciter la courtisane au repentir, à l'amener à reconnaître son axiologisation négative de l'événement et à lui faire admettre la supériorité de l'univers de discours teinté de religiosité qu'elle affiche. Suivant ces pistes interprétatives, nous pouvons représenter l'énoncé (1) selon l'organisation schématique suivante:

schèma 1, (éooocé Il;

_____ uous repentez

le suicide est un acte de folie - uous<:.._

~ne uous repentez pas)

Cette menace implicite de folie vise àcontraindre Arsène àse soumettre à la visée de complétude de son interrogatrice. Si elle ne se conforme pas au repentir que Mme de Piennes exige d'elle, Arsène devra faire face à une accusation de débilité. L'énoncé (1) de Mme de Piennes renferme donc un acte illocutoire implicite adressé àla courtisane .

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Ce rapport de force qui s'impose à Arsène produit sur son énonciation des marques palpables. Rapportons maintenant la réponse (2) (<<OuL .. mais, quand on est malheureux, on n'a plus la tête à soL») à la question (1). La première section de cette réponse renvoie directement à l'interrogation/acte illocutoire de Mme de Piennes et y acquiesce simplement (lui laissant dans un premier temps l'insigne du dialogue). La seconde partie, précédée de points de suspension (témoins de l'hésitation de la locutrice), introduit la réplique polémique d'Arsène qui apporte une atténuation certaine à l'affirmation qui semblait, dans un premier temps, sans réserve. Par son «Oui» initial, la réponse (2) reprend l'invariant discursif implicité par Mme de Piennes (le suicide est un acte de folie) mais elle le biaise par l'ajout d'une nouvelle

perspective relevant d'un deuxième univers de discours, celui d'Arsène. Elle accorde valeur au présupposé de départ de la bourgeoise pour y joindre ensuite un «mais», marqueur argumentatif introduisant le rejet de la visée de complétude de celle-ci. Quand on est malheureux, nous dit Arsène, «on n'a plus la tête à soi». Elle reconnaît que le suicide est une folie, mais le malheur, lui, ne peut se soumettre à la même définition. L'idée nouvelle de «malheur» ne correspond pas au spectre d'application des exigences de repentir de Mme de Piennes. On ne se repent pas d'un malheur que l'on subit...

schéma 2. (énoncé 2):

(

mais, quand on est malheureUH, on n'a plus la tête àsoi

le suicide est un acte de folie- Oui

mais, quand on est heureuH, on a toute sa tête)

Le repère de pertinence mis en scène par la bourgeoise (le suicide est un acte defolie) ne sert ici que de point d'appui à l'énonciation d'Arsène. L'énoncé

(2), grâce à son «Oui» initial ne rompt pas totalement avec l'interrogation qui le détermine et n'occasionne pas, explicitement, de rupture discursive. Le rejet par Arsène de la catégorie sémantique imposée par Mme de Piennes

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[suicide=folie/repentir=sagesse] condamne les aspirations de cette dernière à la complétude. Sa réplique, introduite par un «Oui» trompeur, lui permet pourtant d'éviter d'aborder de front la question de sa place face à celle de son interlocutrice qui occupe un rang supérieur dans la hiérarchie de leur univers social. De fait, il inspire plus de pitié que de mécontentement à Mme de Piennes dupe des tactiques discursives d'Arsène.

Cette nouvelle proposition soumise par Arsène constitue elle-même le repère sur le fond duquel s'élabore la signification de l'énoncé (3) (<<Mais, mon enfant, dans aucune circonstance de la vie, il ne faut s'abandonner au désespoir.»). Cet énoncé de Mme de Piennes cherche à infirmer l'opposition portée à sa question (1) et à rétablir celle-ci dans l'intégrité de sa visée de complétude. Mme de Piennes, dans cet acte de langage, réinvestit le geste d'Arsène de la culpabilité qu'elle lui associait lors de son interrogation première. Le malheur/désespoir de l'énoncé second devient, par l'utilisation du présupposé (se désespérer est mal), tout aussi incriminable que l'action suicidaire elle-même. Le ton condescendant (<<mon enfant») de la locutrice vise à rappeler à la courtisane sa position d'infériorité dans la hiérarchie sociale de ce début XIXc siècle et, par là, à nier sa prétention (même implicite) à l'insigne de la rencontre verbale. Elle articule son argumentation sur la catégorie sémantique du [bien/mal] en vogue en cette époque fervente de la Restauration française (1814-1830). Son «il ne faut s'abandonner au désespoir» ramène l'action d'Arsène du côté de ce qui est proscrit, de ce qui est condamnable et qui appelle, donc, le repentir. Mme de Piennes confine son interlocutrice dans le jeu du Il jautlll ne faut pas propre à son univers sémiologique religieux. Ce raisonnement lui permet, une seconde fois, d'imposer à la courtisane sa prétention à l'insigne dialogal.

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schéma 3. (énoncé 31:se désespérer - Dans aucune circonstance

est mal de la ule

<

II ne faut s'abandonner au désespoir

. III ne faut ré.slster au désespoir)

L'énoncé (3) cache donc, de même, un acte illocutoire implicite. Mme de Piennes refuse encore de percevoir la situation d'Arsène d'un point de vue autre que celui offert par sa propre visée à la complétude et rejette, à son tour, l'insigne revendiqué par cette dernière dans l'énoncé (2).

La stratégie discursive de Mme de Piennes pour assurer la prédominance de son insigne dans la rencontre verbale avec Arsène est bien comprise par le troisième locuteur, le docteur K., qui vient s'inscrire à cet instant dans le rapport de force s'établissant entre les deux locutrices. 11 reprend aux énoncés (4-5) l'idée de «désespoir» manifeste dans l'énoncé moralisateur de Mme de Piennes afin de bien faire sentir que c'est àelle et àsa position dans le système de places qu'il s'attaque. La reprise de ce concept de l'énoncé (3) se manifeste par l'utilisation d'un marqueur linguistique (<<Vous en parlez») qui abrège l'expression complète (Vous parlez de son désespoir). Ce nouveau locuteur cherche à condamner la visée de complétude de Mme de Piennes en infirmant la pertinence des jugements de celle-ci sur Arsène. Il pousse son adversaire hors du «champ de bataille» en illustrant son inaptitude à saisir les composantes de la réalité de sa patiente. Les énoncés (4-5) (<<Vous en parlez bien àvotre aise, madame (Il')' Vous ne savez pas ce que c'est que rle perdre un beau jeune homme àmoustache.») met en lumière l'inadéquation entre les systèmes discursifs d'Arsène et de Mme de Piennes, et soustrait ainsi toute valeur aux raisonnements antérieurement posés par cette dernière. Le docteur K. rappelle à la bourgeoise par l'invariant discursif (Vous ne connaissez pas la nature de son désespoir) sa position exotopique faceàcette

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détresse qu'elle prétend connaître. Mme de Piennes traite du deuilsentimental d'Arsène du haut de sa position confortable dans l'échange verbal et dans l'univers social. Elle sermonne une courtisane, aux prises avec les souffrances consécutives àsa chute, sur un dilemme éthique qui échappe à

l' horizon de ses attentes immédiates.

schéma 4. (énoncé 5);

perdre un beau jeune homme

àmoustaches

uous ne connaissez pas- Uous ne sauez pas ce la nature de son que c'est que de

désespoIr

(gagner un beau jeune homme

àmoustaches)

Cette révélation d'intérêt charnel s'inscrit bien hors du champ des idéaux métaphysiques de la dévote et hors de la portée de son système discursif. Le docteur K. discrédite d'abord la parole de Mme de Piennes pour ensuite, à son tour, se dresser dans toute la force de sa position de supériorité sociale face à la courtisane, et dans toute la complétude qu'il s'assure en écrasant la parole de la bourgeoise. Le sixième énoncé, en plus de ridiculiser l'univers sémiologique religieux de Mme de Piennes par l'utilisation d'un vocable proscrit (<<diable!») à des fins blasphématoires, se présente comme une seconde morale imposée à Arsène (<<Mais, diable! pour courir après lui il ne faut pas sauter par la fenêtre.»). La bourgeoise et le docteur, du haut de leurs places prédominantes dans l'échange verbal et dans l'univers social, critiquent la courtisane chacun selon son propre système discursif. En affirmant ainsi la supériorité de sa parole sur celles qui l'entourent, le docteur K. s'empare, à son tour, de l'insigne de la rencontre dialoguée en y imposant la logique de son propre système discursif. Contrairement à Mme de Piennes, K. prend en considération la nature des systèmes discursifs des interlocutrices auxquelles il s'adresse, il construit son énonciation en fonction des univers discursifs de ses allocutaires. Il conçoit que le désespoir

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d'Arsène soit causé par l'abandon d'un amant-entreteneur, mais il condamne

à l'énoncé (6) la courtisane d'avoir choisi le suicide comme un moyen d'y échapper. La mort, en fait, ne ramènera pas l'amant fautif, ni ne permettra à

l'amante de le rejoindre. Si, comme le montre le schéma (4), le bonheur d'Arsène réside dans le fait d'avoir un partenaire pour assurer sa subsistance, le suicide n'offre pas le moyen de rétablir cette situation et peut, comme le suggère Mme de Piennes (mais selon des paramètres tout à fait différents: rationalistes versus métaphysiques), être considéré comme un acte de folie.

Comme le démontre la réaction vive de Mme de Piennes à l'énoncé (7) (<<Fi donc! docteur»), elle ressent l'impact négatif de la parole du docteur K. sur sa prétention de complétude. Mme de Piennes rejete en bloc l'énonciation de son interlocuteur menaçant en effectuant à l'énoncé (7) une rupture discursive linguistiquement marquée3 • Ce type de locution annonce que la proposition qu'elle introduit se veut une négation de la parole d'Autrui, en l'occurrence, de celle du docteur K.. De fait, Mme de Piennes termine son énonciation par la contestation explicite des affirmations de K. (<<la pauvre petite avait sans doute d'autres motifs pour... »). Le décalage entre les différents sens mis sous la notion de désespoir par Mme de Piennes et le docteur K. est particulièrement marqué à ce point du dialogue. Mme de Piennes, la fervente dévote, ne saurait accorder à ce vocable la même valeur discursive dont le dote le docteur K.. Ce dernier, comme nous le retrouvions dans un passage précédent de la nouvelle, est un médecin bourgeois bon vivant et fort épris d'opéra:

«Le tibia et le péroné, cela se ressoude... Ce qu'il y a de pis, c'est que le gratin de ce turbot est complètement desséché...J'ai peur pour le rôti, et nous manquerons le premier acte d' Otello.» (Mérimée, 1927: 94).

Cet intérêt pour les manifestations culturelles peut nous laisser croire qu'il perçoit, avec plus de justesse que la fervente bourgeoise, la nature de l'univers de discours d'Arsène le petit-rat.

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De fait, les énoncés (9-10) de la courtisane viennent confirmer la pertinence des affirmations du docteur K. et lui accordent ainsi l'insigne du dialogue (<<Puis, je me suis sentie abandonnée...personne pour s'intéresser à moi! ...Enfin, quelqu'un à qui je pensais plus qu'à tout le monde...madame, oublier jusqu'à mon nom! oui, je m'appelle Arsène Guillot, G, U, I, deux L; il m'écrit par un Y!»). La visée de complétude de Mme de Piennes, condamnée par K., est amputée de sa pertinence par ce témoignage d'Arsène qui donne tout le crédit à son adversaire. La source du désarroi de la courtisane est, comme il le supposait, l'infidélité d'un amant. Ce dernier réussit donc à faire admettre à ses interlocutrices la validité de ses prises de parole et la prédominance de sa visée de complétude. La réaction vive et triomphale du docteur dans l'énoncé (lI) (<<Je le disais bien, un infidèle! s'écria le docteur.») marque cette migration de l'insigne dialogal de Mme de Piennes vers lui. A partir de ce stade de la discussion, le docteur K. fera preuve de plus de certitude et de sécurité face à la stabilité de sa place prédominante dans l'échange verbal. Cette assurance se manifeste dans la dynamique des énoncés (l1-12) (<<Je le disais bien, un infidèle! s'écria le docteur. On ne voit que cela.»). Le «Je» du premier énoncé devient un «On» généralisateur au cours du second. Le docteur offre, sur un ton paternaliste et condescendant, son point de vue personnel comme détenteur de l'approbation générale, sa parole comme une volonté universelle. La mainmise du docteur K. sur la complétude de l'échange verbal est aussi marquée par le silence de Mme de Piennes, silence maintenu jusqu'à ce que ce locuteur vainqueur quitte la pièce et laisse ses interlocutrices face à une nouvelle dynamique de rapports de place à établir.

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2.2.3-Analyse de la seconde partie du dialogue:

Stratégies discursives d'Arsène Guillot et de Mme de Piennes

Dans cette seconde partie de notre extrait (annexe 2) Mme de Piennes se retrouve seule au chevet d'Arsène. Le détenteur de l'insigne du premier extrait dialogué laisse, par son départ, les deux interlocutrices fuce à une place d'uutorité à conquérir. Mme de Piennes tentera de récupérer l'insigne du dialogue face à cette interlocutrice dont le discours, sur un niveuu sociu\' est reconnu comme dominé. Pourtunt, dans ce second extrait, lu bourgeoise se laissera duper par les stratégies discursives de la courtisune. Arsène. riche désormais d'une connaissance certaine du système discursif de son interlocutrice, laissera croire à la dévote qu'elle a besoin d'elle pour lu réalisation du salut de son âme. Ce soudain désir de rédemption, s'inscrivunt hors des limites de ce que l'on connaît maintenant comme étant l'univers de discours de la courtisane, constitue la ruse discursive centrale de cc second extrait qui vise à exciter l'intérêt et la pitié de Mme de Piennes. Comme nous le fait remarquer l'auteur de La parole romanesque, «vouloir imposer un dire particulier à un interlocuteur récalcitrant nécessite souvent lu mobilisation de stratégies argumentatives pour que soient créés chez l'uutre un désir, le sentiment d'une lacune discursive concernant un savoir sur le monde [ou] une aptitude dialogale» (Lane-Mercier, 1989: 295). Arsène se choisira donc, dans la construction du nouveau rapport de place, une position susceptible d'attirer l'attention de son interlocutrice. Elle offrim une imuge soumise et humble d'elle-même, elle confirmera (à un niveau explicite) lu bourgeoise dans ses aspirations de domination et s'assurera des soins de cette dernière en lui démontrant tout ce qu'elle pourrait faire pour une puuvre fille délaissée et repentante, du haut de sa prétendue puissance et de sa connaissance des choses du ciel. Mme de Piennes, aveugle sur les raisons de ce changement radical des positions d'Arsène, se laissera complaisamment prendre par les tactiques discursives de la courtisane.

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Isolons d'abord, comme nous le faisions pour notre premier extrait, l'articulation discursive/sémiologique primaire sous-tendant leur discussion. Pour ce faire nous cernerons ce qui, dans l'ensemble du dialogue, est reconnu par les deux interlocutrices. Mme de Piennes et Arsène font de l'honnêteté le but ultime vers lequel doit tendre la courtisane. Nous pouvons donc représenter le thème dominant de ce second échange discursif ainsi:

Drtlculatlon sémiologique du second eHtralt:

- Que faire de la courtisane blessée: l ne honnête femme

Les deux protagonistes de la rencontre dialoguée identifient l'honnêteté comme le but à atteindre par Arsène. Ni la bourgeoise ni la courtisane ne s'opposent à ce topoï central, mais compte tenu de leurs différences de place

dans le discours et dans l'univers social, ce concept répond pour chacune à des visées de complétude établies de façon différente. Le tableau (2) expose ce décalage interprétatif central organisant le fonctionnement discursif de notre extrait:

Tableau 2:

sens «d'être honnête» DDSÈNE Mme DE PIENNES

-être déuot

-

+

-être riche +

D

Cette divergence de définition du sens accordé au concept d'honnêteté structure l'ensemble de la seconde partie du dialogue étudié. La case entourée, le refus de Mme de Piennes de percevoir le concept d'honnêteté selon la nature du système discursif d'Arsène, entraîne les divergences autour desquelles s'organise l'élaboration de l'échange entier. Leurs capacités variables de discernement et de compréhension de l'univers sémiologique de l'Autre orientent le déplacement et la localisation finale de

l'insigne. Arsène perçoit, comprend et profite du fonctionnement de

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discursives. Tandis que cette dernière, uttachéel'univers de discours de Mme de Piennes pour élahorer ses stratégiesà la réalisation apparente/explicite de sa visée de complétude dans l'échange, s'uveugle SUI' le rapport de force et de place réel en vigueur dans le dialogue.

Étudions maintenant de plus près ces formations discursives entretenant entre ,~Iles des rapports plus ou moins contlictuels. Prenons. pour commencer, l'exemple des énoncés (13-14-15) d'Arsène (<<Quund on est riche, il est aisé d'être honnête. Moi, j'aurais été honnête si j'en avais eu le moyen. (...). Si j'avais été riche, nous nous serions mariés, nous aurions fait souche d'honnête gens ...»). Ces quelques répliques forment la hase de la stratégie discursive d'Arsène. Elle y associe. dans un rapport de nécessité, l'honnêteté et la richesse. Ce raisonnement (honnêteté=richesse/ richesse=honnêteté) sous-tend invariablement chacune de ses allusions àl'un ou à l'autre de ces concepts. Arsène présente donc son désir de richesse (espérance pouvant potentiellement être comblée par son interlocutrice hi en nantie) sous couvert d'une aspiration àl'honnêteté, un désir louahle selon le système discursif de Mme de Piennes. Si Arsène avait été riche, elle aurait été honnête et se serait mariée; si Mme de Piennes fait d'Arsène une femme riche, elle en fera une femme honnête qui quittera le métier de courtisane. La proposition en italique (l'honnêteté vient avec la richesse) figure donc ici

àtitre d'invariant discursif implicite. schéma 5.lénoncés 13-14-15);

l'honnêteté uient - SI j'auais été riche

auec la richesse

) e me serais marié -'aurai été \.f

honnête (je serais célibataire)

(j'aurai été malhonnête)

Après avoir posé les bases de la catégorie sémantique articulant son système discursif, Arsène introduit le noyau central de sa tactique discursive dans la formulation de l'énoncé (16) (<<Mais vous êtes la seule femme

Figure

Tableau 4 . (oerceotlon oar Rrséne des 'moncés 39 31 - Jo 0

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