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Voir l'objet : une question de point de vue : la communication ostensive-inférentielle : une approche de la médiation dans l'exposition

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VOIR L'OBJET : UNE QUESTION DE POINT DE VUE La communication ostensive-inférentielle : une approche de la médiation dans l'exposition

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en communication publique

pour l'obtention du grade de maître es arts (M. A.)

DEPARTEMENT D'INFORMATION ET DE COMMUNICATION FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

OCTOBRE 2006

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Alors qu'on n'a longtemps considéré l'objet que dans sa dimension matérielle, la redéfinition du musée, aujourd'hui, passe par une réflexion sur la mise en valeur de la dimension immatérielle de l'objet et du patrimoine. L'émergence d'une muséologie de point de vue centrée sur l'aventure humaine, sur l'expérience, appelle le musée à réfléchir sur l'objet comme illustration de la mémoire collective et à favoriser la médiation de sa dimension immatérielle. Je me suis donc intéressée aux mécanismes qui sous-tendent l'interaction des deux acteurs de la médiation : le concepteur et le visiteur. En abordant l'exposition comme une situation de communication ostensive-inférentielle, je me suis interrogée sur la façon dont le visiteur oriente sa propre activité de visite et contribue à faire sens du point de vue représenté par le concepteur. J'ai donc conçu un outil d'analyse basé sur les principes de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson (1995; 1989). Cet outil permet 1) de rendre compte du degré de pertinence accordé par le visiteur aux dimensions matérielle et immatérielle de l'objet, 2) d'évaluer la réussite de la médiation, 3) de dégager certains facteurs déterminants de la réussite de la médiation et 4) de qualifier le rôle du visiteur par l'élaboration de différents profils de visite. Un corpus composé de 15 entrevues réalisées auprès des visiteurs de l'exposition 26 objets en quête d'auteurs, au Musée de la civilisation, à Québec, m'aura permis de valider cet outil d'analyse et de déterminer, dans les limites d'une étude de cas, le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation de la dimension immatérielle de l'objet.

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Institution publique réalisant un certain nombre d'expositions et contrôlant presque entièrement la nature de ce qu'elle veut démontrer, le musée d'aujourd'hui n'est plus le lieu discret où des objets sont entassés et quelquefois montrés. Il a une responsabilité de protéger une parcelle du patrimoine certes et, à ce titre, il est possible de le considérer comme un service public, mais il s'est également doté d'un pouvoir de communication sur l'estrade publique et il devient en ce sens un instrument de la société à laquelle il appartient. (Lachapelle, 1992 : 96)

C'est ainsi que j'entre dans la grande sphère de la communication publique. Le musée, les collections, le patrimoine m'amènent à la rencontre de l'objet. Cet objet si présent et absent à la fois; objet de mon quotidien, objet de mon temps qui passe et reflet de mon vécu dans un monde aussi réel qu'imaginaire. Passeuse d'identité, la médiation culturelle m'est apparue la plus jolie porte d'entrée pour explorer ces mondes fascinants que sont le musée et l'exposition. Je vous invite maintenant à partager le plaisir que j'ai investi à mieux comprendre les espaces de sens construits au musée comme de petits mondes où le visiteur part à la rencontre... du concepteur.

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D'emblée, je tiens à remercier Isabelle Clerc, ma directrice, qui a cru en moi dès le premier courriel et le premier rendez-vous chez le désormais incontournable Bagel. Isabelle, tu m'auras épaulée, guidée et aiguillée en mentor exemplaire tout au long du processus, jusqu'à la date butoir. Je veux aussi remercier Yves Bergeron, mon autre bonne étoile, qui m'a accueillie de bon gré dans ses quartiers du Musée de la civilisation. Yves, je te serai toujours reconnaissante pour l'enthousiasme et la confiance que tu auras manifestés à mon égard, avec tout l'honneur de ta co-direction depuis l'UQAM. Merci aussi à Cung, pour ta sérénité, tes conseils, ta papaye verte et ta fidèle compagnie.

Un merci spécial à Cécile Ouellet, pour tout le précieux temps qu'elle m'a accordé, pour son sourire généreux et pour ses 26 paires d'objets et d'auteurs qui auront changé le cours de ma vie. Merci aussi à André Allaire, pour sa précieuse collaboration. Enfin, merci au Musée pour m'avoir ouvert ses portes.

Merci à mes éternelles acolytes, avec qui j'ai partagé les plus grands fous-rires jusqu'à London et Toronto, sans oublier nos multiples rendez-vous « gestion du stress ». France, je veux te dire que, sans toi, je ne sais pas si j'y serais parvenue avec autant de force et de confiance. Merci pour tout et pour le reste, tu es une amie inestimable. Karine, merci à ton tour pour ta grande sagesse et ton authenticité réconfortantes.

Merci à mes parents qui n'ont jamais cessé de me soutenir dans mes études. Sans vous, le parcours aurait été de loin plus difficile. Mon frère, je t'admire. Merci à Tatie pour ta complicité et à grand-papa pour ton courage. Merci à tous ceux et celles qui, de près ou de loin, ont soutenu mes efforts et m'ont appris à lire en moi.

Encore une fois merci à Isabelle, pour ta générosité et ta bienveillance. Tu auras été une personne déterminante dans ma vie. Je ne te remercierai jamais assez.

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RÉSUMÉ ii AVANT-PROPOS iii REMERCIEMENTS iv LISTE DES FIGURES viii LISTE DES TABLEAUX ix INTRODUCTION 1 CHAPITRE 1 - Problématique et question de recherche 3

1.1 La médiation culturelle et la médiation : pour une nouvelle perspective

communicationnelle 6 1.2 Question de recherche 9

CHAPITRE 2 - Mise en contexte des concepts 12

2.1 Le musée en transition : mise en contexte de trois grandes approches 12 2.1.1 D'une muséologie traditionnelle à une muséologie d'objets 13 2.1.2 D'une muséologie thématique à une muséologie de savoir 18 2.1.3 D'une muséologie nouvelle à une muséologie de point de vue 22 2.2 L'objet, témoin culturel : définition d'une double dimension 29 2.2.1 Les collections, le patrimoine et la mémoire collective 31 2.2.2 L'objet, témoin matériel et immatériel 34 2.2.3 La mise en exposition de l'objet 37

CHAPITRE 3 - État de la question 41

3.1 La production de l'exposition 41 3.2 La réception de l'exposition 47 3.3 L'intérêt d'étudier le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation 49

CHAPITRE 4 - Cadre théorique et propositions de recherche 56

4.1 Exploration d'un modèle au regard de l'exposition : la communication

ostensive-inférentielle et la théorie de la pertinence 57 4.2 Les mécanismes de la communication ostensive-inférentielle 60 4.3 La théorie de la pertinence dans l'exposition 63 4.4 Mesurer le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation 67 4.4.1 Les dimensions de la situation de communication ostensive-inférentielle 69 4.4.1.1 La dimension synthétique de l'exposition : information et cognition 70 4.4.1.2 La dimension symbolique de l'exposition : relation et affect 74 4.4.1.3 Synthèse des deux dimensions de l'exposition 81 4.5 Élaboration d'un outil d'analyse 83 4.6 Propositions et objectifs de recherche 86

CHAPITRE 5 - Méthode de recherche 89

5.1 Choix du terrain de recherche et collecte des données du pôle production 91 5.2 Choix de la méthode d'échantillonnage et collecte des données du pôle réception ....92

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CHAPITRE 6 - Présentation et analyse des résultats 99

6.1 L'activité ostensive dans le cas de l'exposition 26 objets en quête d'auteurs 99 6.1.1 Le contexte synthétique de l'exposition 100 6.1.2 Le contexte symbolique de l'exposition 102 6.2 L'activité inférentielle dans le cas de l'exposition 26 objets en quête d'auteurs 109 6.2.1 Le visiteur idéal-type 110 6.2.2 Le visiteur conquis 110 6.2.3 Le visiteur critique 111 6.2.4 Le visiteur expéditif 112

CHAPITRE 7 - Discussion des résultats 113 CONCLUSION 119 BIBLIOGRAPHIE 122 Annexe A - Photographies de l'exposition 26 objets en quête d'auteurs 129

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Figure 1 : Modélisation de l'expérience de visite selon la rencontre des quatre

mondes... 58 Figure 2 : Articulation de la dimension synthétique de l'exposition 74 Figure 3 : Articulation de la dimension symbolique de l'exposition 81 Figure 4 : Articulation des mécanismes internes de l'exposition 82 Figure 5 : Profils des visiteurs d'après leur point de vue vis-à-vis de l'objet et de

l'idée 109 Figure 6 : Articulation des inférences entre les composantes respectives des trois

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Tableau 1 : Grille d'analyse du récit en fonction du programme-type informatif 84 Tableau 2 : Liste des programmes-types synthétiques associés aux stimuli ostensifs ..101 Tableau 3 : Liste des programmes-types symboliques associés aux stimuli ostensifs.. 103 Tableau 4 : Grille d'analyse symbolique du récit en fonction de l'hypothèse

d'environnement mutuel symbolique de l'exposition 26 objets en quête

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seulement là; il est là, inséré dans un réseau de significations. Ce sont ces significations qui me permettent de structurer mes perceptions et de me faire une opinion. »

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Le musée d'aujourd'hui se trouve au carrefour de multiples changements qui amènent les professionnels des musées et les chercheurs en muséologie à se pencher sur les pratiques pour réinventer le musée aux limites de ses possibilités. Dans ce cadre, l'émergence d'une muséologie de point de vue appelle le musée à définir un contexte favorable à la médiation culturelle et à réfléchir à la place de l'objet dans l'exposition. Alors qu'on n'a longtemps considéré l'objet que dans sa dimension matérielle, ma problématique de recherche avance que la redéfinition du musée doit inévitablement passer par une profonde réflexion sur la mise en valeur de la dimension immatérielle de l'objet et du patrimoine. Or, au musée, la médiation culturelle s'opère au cœur de l'exposition par la médiation d'un point de vue entre le concepteur et le visiteur. Aborder l'exposition comme une situation de communication ostensive-inferentielle à l'intérieur de laquelle ces deux acteurs entrent en relation permet de déterminer les conditions de réussite de la médiation. Le concepteur construit une représentation de l'objet qu'il matérialise par la mise en exposition de stimuli représentatifs de ses intentions de communication. En retour, le visiteur construit une re-représentation de l'objet en interprétant la représentation qu'en a faite le concepteur. Ma recherche vise à comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette interaction. Considérant que le rôle du concepteur dans la réussite de la médiation a été largement abordé dans la littérature scientifique, je m'intéresse davantage au rôle du visiteur dans ce processus. La présente étude est donc soutenue par la question suivante : comment le visiteur oriente-t-il sa propre activité de visite et contribue-t-il, par lui-même, à faire sens du point de vue représenté par le concepteur? Dans un premier temps, la réponse à cette question nécessite la conception d'un outil d'analyse. Un tel outil doit rendre compte de la complexité de l'objet de recherche, permettre une analyse qualitative croisant l'activité ostensive et l'activité inférentielle et, finalement, rendre compte des deux facteurs intervenant directement sur l'expérience de visite : le contexte de l'exposition et l'effort que le visiteur est prêt à consentir. L'approfondissement du concept de communication ostensive-inferentielle et de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson (1995; 1989) conduisent à attribuer deux dimensions à ces facteurs : une dimension synthétique et une dimension symbolique. L'outil d'analyse développé est basé sur le jeu de ces dimensions au sein de l'exposition. Dans un deuxième temps, l'application de cette grille à un corpus représentatif de l'expérience de visite dans un contexte de mise en valeur de la dimension immatérielle de

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Musée de la civilisation, à Québec, m'aura permis de tester l'outil d'analyse et de répondre, dans une mesure relative à l'étude de cas, à ma question de recherche.

Au chapitre 1, je présenterai la problématique de recherche en prenant le soin de définir les concepts de médiation et de médiation culturelle dans une perspective communicationnelle. Ces précisions m'amèneront à poser ma question de recherche. Au chapitre 2, je procéderai à la mise en contexte de nombreux concepts essentiels à la compréhension des enjeux de la problématique de recherche. Dans un premier temps, il sera important de définir les trois grandes approches muséologiques, soit la muséologie d'objets, la muséologie de savoir et la muséologie de point de vue. Dans un deuxième temps, j'aborderai certains impératifs entourant l'objet et définirai les concepts de collection, de patrimoine et de mémoire collective pour, ensuite, circonscrire les deux dimensions de l'objet : la dimension matérielle et la dimension immatérielle. Ces précisions m'amèneront à parler de la mise en exposition de l'objet. Dans un troisième temps, je présenterai un état de la question dans le but d'inscrire mon étude à la croisée des recherches menées auprès de deux pôles complémentaires : la production et la réception de l'exposition. Je montrerai alors en quoi il est intéressant d'étudier le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation, dans un contexte de mise en valeur de la dimension immatérielle de l'objet. Au chapitre 3, j'élaborerai un cadre théorique inspiré de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson (1995; 1989). J'explorerai d'abord le modèle de la communication ostensive-inférentielle et la théorie de la pertinence. Ensuite, j'approfondirai les mécanismes de la dynamique ostentive-inférentielle pour mieux appliquer le modèle de la théorie de la pertinence à l'exposition. Je proposerai alors une façon de mesurer le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation et j'aborderai l'exposition sous deux dimensions : une dimension synthétique et une dimension symbolique. J'élaborerai une grille d'analyse en vue de répondre à ma question de recherche. Au chapitre 5, la méthode de recherche employée sera extrapolée. Le chapitre 6 sera consacré à la présentation et à l'analyse des résultats et sera suivi de la discussion des résultats au chapitre 7. Je conclurai ce mémoire sur des avenues de recherche possibles pour approfondir le processus de médiation, puis de médiation culturelle.

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Conservateurs, concepteurs d'expositions, vulgarisateurs scientifiques, gestionnaires et autres professionnels et chercheurs œuvrant dans le monde de la muséologie s'entendent pour dire que le musée est entré dans une ère de profond changement, et les mutations qui s'y opèrent renouvellent considérablement son potentiel.

Les musées sont à une époque charnière. Comme le souligne le philosophe Hilde Hegel (2000), un changement de paradigme s'est opéré entre l'institution ancienne, à qui était reconnu un rôle de productrice de valeurs, et l'institution nouvelle qui se propose en tant que productrice d'expériences. Les implications en sont nombreuses et on commence à en saisir l'importance : modifier les rapports de l'institution avec ses publics, c'est modifier du même coup les rapports que les musées entretiennent avec les objets. (Dubuc, 2002 : 32)

L'importance du visiteur et de la culture dans la conjoncture actuelle

La production d'expériences n'exclut pas la production de valeurs; ce n'est que la nature et la portée de ces valeurs qui ont changé. « Le centre d'intérêt du musée [se déplace] de la collection à la communication. Ce mouvement vers les visiteurs est vu comme la seule voie d'avenir. Trop longtemps, les musées ont prôné les valeurs du savoir, de la recherche et de la collection, au détriment des besoins des visiteurs. » (Montpetit, 2002 : 98) Aujourd'hui, à défaut de produire des valeurs élitistes et savantes, les musées s'efforcent de produire, à travers l'expérience muséale, des valeurs démocratiques, pédagogiques et des valeurs culturelles. Le musée laisse tomber son conservatisme pour offrir à ses visiteurs la liberté de s'approprier le musée, ses objets, son espace, ses expositions, ses activités. Grâce à des rencontres tantôt ludiques, tantôt scientifiques, tantôt thématiques avec ses collections, il renouvelle sa fonction et son offre au profit d'une production de sens. Il reconnaît aujourd'hui à ses visiteurs de tout horizon la capacité de faire sens (Montpetit, 2002). Ainsi, «l'approche intellectuelle des objets est combattue, au profit d'une attitude faisant davantage appel aux sentiments, aux émotions, voire à la sensualité du visiteur » (Poulot, 1981 : 108). Si l'approche intellectuelle des objets a longtemps sollicité une connaissance élitiste, la « nouvelle » attitude adoptée fait appel, elle, à des senseurs universels : les sentiments, les émotions, la sensualité. Ce virage s'explique par des facteurs comme la diversification et l'accroissement des publics, de même que le

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Dans un ordre économique, cette préoccupation accrue pour les publics répond, notamment, aux dictats d'une industrie culturelle (Tobelem, 2005; Schiele, 2002; Caillet, 1995) qui cherche tantôt la survie ou les profits, tantôt le financement ou l'autofinancement. Conséquemment, les instances culturelles s'arrachent l'intérêt d'un public de plus en plus exigeant (Bergeron, 2002c). De surcroît, l'enjeu du public rejoint des sens universels en faveur d'un éclatement des volontés de diffuser, de faire voir et de faire savoir l'histoire, la culture, le patrimoine, la société, bref Y identité culturelle. En effet, à l'heure de la Convention internationale concernant la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques de l'UNESCO, le besoin social et universel de définir son identité culturelle1 ouvre la voie à de nouveaux questionnements

dans les musées. Dubuc décrit bien dans quelle perspective s'inscrit ce questionnement :

Pour sortir de l'impasse dans laquelle se sont enfermés les musées, les rénovateurs de l'institution pensent que seule une capacité à se transformer pourra lui assurer un certain avenir. Il faudra pour cela trouver un « sens » aux objets ailleurs que dans leur « authenticité » et, notamment, pleinement reconnaître tous les aspects immatériels de la culture matérielle (Desvallées, 2000), arrêter de considérer les collections comme des entités absolues (Lacroix, 1999) et ne pas hésiter à remettre en question l'autorité du discours (Ames, 1992 : 158-160). (2002 : 35)

Encore faut-il trouver le moyen d'y parvenir. Puisque c'est dans l'exposition que se matérialise une large partie de ces transformations, le musée est tenu de se questionner sur la communication qui s'opère entre ses murs.

Le musée d'aujourd'hui, courroie de transmission culturelle

En effet, le musée est une institution qui communique sur la place publique, et l'exposition est une « situation de communication anticipée avec des entités visiteuses : un groupe, des personnes » (Le Marec, 2002: 36). C'est là que se joue le transfert de la connaissance, du savoir, du patrimoine, de la culture. Si l'intérêt montant pour une communication muséale à l'image des mises en exposition actuelles ne s'est vraiment opéré qu'à partir des années 1970 (Grandmont, 2002), il faut préciser que le concept de

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de marché et, d'autre part, la transmission du savoir passe par la médiatisation de ce savoir à travers l'exposition. C'est précisément cet aspect qui m'intéresse dans l'axe que je souhaite développer. Cette polysémie s'étend à toutes les transformations du musée, sur le plan de la forme comme du contenu. Dans la perspective de Le Marec, ces transformations, qui peuvent en certains points sembler contradictoires au traditionnalisme muséal, ne reposent pas tant sur une conception éclatée du concept de communication, mais de celui de culture :

Ces contradictions concernent en particulier les différentes conceptions de la culture [que les musées] mobilisent (la culture au sens de la philosophie classique, ou la culture au sens anthropologique des modes de vie partagés par les membres de communautés, ou encore la culture comme rapport au savoir partagé par un collectif). Elles concernent aussi les modèles de communication qui inspirent leurs relations avec le public. (2002 : 17)

Pour Montpetit, cette réflexion à propos de modèles de communication utiles au partage public de la culture s'inscrit directement dans « l'émergence de la muséologie elle-même en tant que discipline de médiation2 » (Montpetit, 2002 : 89). Pourquoi pas en tant que

discipline de communication? Parce qu'ici, la communication est surtout « ce par quoi on commence à être touché par l'idée d'aller au musée, le point initial, l'entrée » (Caillet, 1995: 167), alors que la culture est une référence commune que partagent un

individu et sa collectivité : un savoir commun, un folklore, un langage, des règles, des

rituels, des habitudes, des modes de vie, des attitudes, des croyances et des coutumes qui rassemblent et donnent une identité commune à un groupe particulier de gens, à un instant temporel précis3. Or la médiation dont parle Montpetit est propre à la production

d'événements culturels. Et à l'instar de Caillet :

[...] la communication s'appuie sur le 'faire connaître' (accroître la notoriété, la visibilité d'un établissement), sur la promotion, sur des relations avec les médias qui traiteront des événements ponctuels, et à qui il faudra sans cesse rappeler l'existence du musée plutôt par des opérations exceptionnelles ou

2 C'est moi qui souligne.

3 The term « culture » refers to the complex collection of knowledge, folklore, language, rules, rituals, habits,

lifestyles, attitudes, beliefs, and customs that link and give a common identity to a particular group of people at a spécifie point in time. [...] Three such functions that are particularly important from a communication perspective are (1) linking individuals to one another, (2) providing the basis for a common identity, and (3) creating a context for interaction and negotiation among members. (Schement, 2002 : 206-207)

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Le fait de réduire la « communication » à un outil de promotion du musée sur la place publique demande qu'on s'attarde à la spécificité propre des concepts proposés par les auteurs : la médiation, fonction de l'exposition, et la médiation culturelle, fonction du musée. En effet, si cette conception « marketing » de la communication est étendue, c'est peut-être parce qu'il s'agit de sa dimension la plus tangible aux yeux du public. La publicité et les médias s'imposent d'une façon telle, dans la conjoncture économique des dernières années, que l'on ne conçoit souvent plus que cet aspect de la communication, au détriment des autres dimensions qui permettent de penser l'exposition comme une situation de communication, un acte de langage au sens d'une communication d'individu à individu. En contrepartie, ça n'est pas non plus une si mauvaise chose, puisqu'elle permet de développer des concepts plus spécifiques à la transmission de la culture. Définir de tels concepts contribue sans doute à cerner avec plus de précision les moyens de « sortir de l'impasse »5.

1.1 La médiation culturelle et la médiation : pour une nouvelle perspective communicationnelle

Au Québec, le concept de médiation culturelle est peu présent dans l'espace public et la littérature scientifique, probablement parce qu'il commence tout juste à émerger dans les universités d'ici. À cet effet, il me faut souligner la création, en 2005, d'un doctorat international en muséologie, patrimoine et médiation à l'Université du Québec à Montréal. Toutefois, bien que le Québec ait tardé à développer ce concept dans les universités, les musées québécois, en particulier le Musée de la civilisation à Québec, ont mis en pratique ce principe. On doit notamment ce mouvement à Roland Arpin6, qui a réintroduit la

fonction éducative dans le musée et qui a donné une place primordiale à l'action culturelle. Cette approche a été reprise par les musées européens. À ce chapitre, depuis une quinzaine d'années, l'Europe francophone a déjà institutionnalisé le concept dans ses programmes universitaires, ses politiques culturelles gouvernementales, sa littérature scientifique. La médiation culturelle y prend le sens d'une manifestation de la culture dans

4 C'est moi qui souligne. 5 Dubuc (2002), cité plus haut.

6 Roland Arpin s'est vu confier la direction du Musée de la civilisation en 1987. Il en a été le directeur pendant

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déplace vers l'individu. On considère la médiation culturelle comme un moyen d'engager le citoyen dans la définition de sa propre culture, comme un acte de démocratisation de la culture, comme une « action culturelle ». .

Ainsi, la médiation culturelle s'inscrit directement dans la sphère de la communication publique, au sens où elle place le visiteur, en tant qu'individu, devant la culture. En effet, la médiation culturelle « évoque aussi ce qui fait lien social, dans une morale de l'intercompréhension qui serait au cœur de l'espace public » (Delcambre, 1998 :139), puis « demeure un processus permettant aux musées de jouer un rôle d'intermédiaire entre les savoirs et les publics » (Bergeron, 2002c : 175)7. Dans l'optique du musée comme espace

social, la médiation culturelle traduit la culture à travers l'exposition. Ici, c'est \'expérience muséologique qui devient un facteur déterminant. L'ambiance des salles d'exposition, l'architecture de l'endroit, le service d'accueil, même le coût du billet d'entrée constituent autant d'éléments contextuels qui placent le visiteur dans un état variable de réceptivité ou, plutôt, de satisfaction. Au-delà du degré de réceptivité du visiteur au cœur des diverses expositions, c'est, en somme, le degré de satisfaction qu'il ressent à la fin de l'expérience globale de visite, l'expérience muséologique, qui détermine la valeur, le sens qu'il donne à cette activité même. C'est ce que démontrent une vingtaine d'années de recherche sur la fréquentation et sur le comportement des visiteurs au musée.

La démocratisation du musée d'aujourd'hui, traduit par le concept de médiation culturelle, « manifeste un refus des méthodes dites "d'immersion", dans lesquelles il s'agit de mettre le néophyte dans "le bain" pour qu'il apprenne [...] pour user plutôt de méthodes d'accompagnement, de tutorat » (Caillet, 1995: 19). La médiation culturelle est alors entendue comme la socialisation de l'individu à travers sa culture et celle des autres8.

Comme acte de langage (Delcambre, 1998), la médiation culturelle permet de penser l'exposition comme un fait culturel (Lamizet, 1999) devenant prétexte à la découverte de

7 Sur le plan institutionnel, la médiation culturelle est un outil de langage dont se dote une société pour ancrer

la culture sur la place publique et se donner les moyens matériels de procéder à la promotion et à la diffusion culturelle dans le rayonnement de son territoire (Choffel-Mailfert, 2002; Lamizet, 1999; Caillet, 1995).

8 Dans la perspective de la communication entendue comme outil promotionnel, elle devient alors outil

de valorisation de la culture, au sens où Dinkel (1997) parle d'une protection plutôt informationnelle du patrimoine par le biais de la sensibilisation, de l'information et du consensus entre citoyens et

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sa propre identité à travers celle de sa collectivité. Mais il faut garder à l'esprit qu'avant tout, c'est le projet muséal qui définit l'exposition. Autrement dit, c'est la mission du musée qui représente son engagement vis-à-vis de la collectivité. Chaque institution possède une mission qui lui est propre et qu'elle s'efforce de respecter dans le choix des thèmes, des messages et du type de médiation qu'elle entreprend.de mettre en exposition. C'est pourquoi l'oubli, dans la littérature scientifique, de définir la médiation au regard de la médiation culturelle questionne le chercheur. En effet, en passant d'un concept à l'autre sans se formaliser, on suggère qu'il n'existe aucune distinction entre les deux. À mon sens, il existe une différence qu'il faut absolument marquer pour réfléchir aux moyens concrets d'opérer la transformation qui permettra au musée de redonner au citoyen sa place d'acteur culturel. Et ce, d'autant plus que, au Québec, le concept de médiation réfère, dans le sens commun, presque exclusivement au domaine juridique (au sens de médiation familiale, par exemple). Dans le milieu culturel, il est presque absent de l'espace public; dans la littérature scientifique, il est peu utilisé et mal circonscrit.

L'importance de l'exposition, au musée, exige qu'on se penche sur ses mécanismes internes, puisque c'est dans le contexte de l'expérience de visite9 que s'opère le segment

le plus fondamental de l'expérience muséologique. En effet, si l'expérience de visite regroupe l'ensemble des activités cognitives et affectives du visiteur au cœur de l'exposition, l'expérience muséologique désigne ces mêmes activités au sein de l'institution muséale. Autrement dit, l'expérience de visite constitue un fragment d'expérience muséologique, qui se greffe sur la somme des fragments de visite; c'est, en quelque sorte, la somme des expériences de visite qui donne son sens à l'expérience muséologique. L'expérience de visite est l'activité cognitive et affective globale du

visiteur à l'intérieur de l'exposition10. Ainsi, « [l]a situation du visiteur de musée exige

que l'on concentre l'effort de communication sur le bref moment qu'il passe dans l'institution » (Caillet, 1995 : 85). Cet effort de communication, c'est la médiation.

9 Dans un souci de définition de concepts et pour mieux répondre aux besoins de ma recherche, j'ai choisi

d'utiliser l'expression « expérience de visite » pour désigner l'expérience du visiteur exclusivement à l'intérieur de l'exposition. Je reconnais toutefois que certains auteurs emploient cette expression pour désigner ce que je définis ici par « expérience muséologique », qui réfère pour moi à une expérience plus large. Des chercheurs ayant démontré que l'exposition n'est pas la seule donnée à retenir pour mesurer l'expérience de visite, certains auteurs considèrent donc que l'expérience de visite débute au moment où le visiteur prépare sa visite et se termine au moment où il quitte le musée.

10 En effet, selon Dufresne-Tassé et Lebfevre (1995), la psychologie accorde deux dimensions au

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de l'objet...) et la représentation que construit le visiteur au fur et à mesure qu'il avance dans l'exposition. Ainsi, « le producteur construit un type de rapport entre le visiteur et l'exposé et, ce faisant, il instaure un espace commun11 entre des mondes de sorte que la

pratique du visiteur qui se trouve dans cet espace acquiert une signification [...] » (Davallon, 2000: 144). On peut dire que le visiteur et le concepteur entrent en

relation : d'une part, le processifs de médiation concerne le travail de représentation du

visiteur et, d'autre part, celui du concepteur d'exposition « [...] depuis le moment de la rencontre et de la prise de parole avec les gens ordinaires dans cette rencontre, jusqu'au moment où s'élabore le dispositif énonciatif gouvernant le montage »

(Delcambre, 1998 : 139).

1.2 Question de recherche

Au cœur de la médiation, le visiteur donne une signification à sa visite, à ce qu'on lui donne à voir et à penser, et la production même de ce sens est le noyau d'une médiation qui agit à plus grande échelle, une échelle sociale. Car la mission des musées est sociale : elle vise ce que Davallon appelle « l'opérativité symbolique », c'est-à-dire une « efficacité liée à la nature même de l'exposition, à la nature de la relation qu'elle instaure entre le producteur et le visiteur, entre le visiteur et les objets, entre les visiteurs et le monde représenté par les objets» (2000: 143). Cette opérativité symbolique est en quelque sorte l'optimum pragmatique d'un souci de médiation qui va au-delà de l'efficacité communicationnelle, au-delà d'un souci de médiation au sens où je l'entends. En pratique, comme on l'a déjà mentionné, la médiation est le passage obligé, au musée, pour aspirer à la médiation culturelle. Et quand le concepteur réussit à modifier la représentation du visiteur en faveur du point de vue qu'il entend lui faire partager, que l'interprétation du visiteur démontre sa compréhension du message, on peut dire que l'intention de médiation est atteinte. Plus simplement, on peut alors dire qu'il y a médiation, puis, globalement, qu'il y a médiation culturelle.

(20)

La médiation exige donc des deux partis, celui de la production et celui de la réception, de s'engager mutuellement dans la réussite de l'acte de communication. De part et d'autre, un effort de traitement d'information est nécessaire :

De son côté, le concepteur traite l'information qui lui permettra de démontrer au visiteur le point de vue qu'il souhaite lui transmettre. Il fait alors appel à divers moyens expographiques12 de mise en exposition. Parmi ces moyens figure l'objet,

outil de communication indispensable au musée. Parce qu'il souhaite ardemment la réussite de la médiation, le concepteur mettra tout ce qui est en son pouvoir, au meilleur de ses connaissances, pour en favoriser un résultat positif.

Le visiteur, lui, traite l'information qui lui est soumise par la mise en exposition. Il fait alors appel à son propre bagage de connaissances pour donner un sens à ce que le concepteur essaie de lui faire voir. Et si, au bout du compte, le visiteur ne souhaitait pas aussi ardemment que le concepteur la réussite de la médiation ? Bien entendu, on suppose que le visiteur présente un minimum d'intérêt pour ce qui l'a attiré au musée. Mais une fois sur place, il est bien possible qu'il sélectionne les expositions dans lesquelles il souhaite entrer en relation avec le concepteur et travailler à comprendre le point de vue représenté dans l'exposition.

Tenant pour acquis la volonté du concepteur de travailler à la réussite de la médiation et mettant en doute l'intérêt absolu du visiteur à ce que réussisse la médiation au cœur de l'exposition, je me demande quel rôle joue le visiteur dans ce processus de communication. Maintenant, parce que les expositions sont de natures diverses et que la médiation culturelle a pour objet la transmission de la culture et du patrimoine, je souhaite circonscrire ma question de recherche dans une exposition ayant pour principe la communication d'un point de vue sur l'objet. Dans une approche muséologique qui amène le visiteur à poser un regard culturel sur l'objet, je pose la question générale de recherche suivante :

QG Comment mesurer la façon dont le visiteur oriente sa propre activité de

visite et contribue, par lui-même, à faire sens du point de vue représenté par le concepteur? Autrement dit, comment mesurer son rôle dans la réussite de la médiation au cœur de l'exposition?

12 Bien que tous les auteurs ne s'accordent pas sur l'emploi des termes « expographique » et

« muséographique », je tranche ici dans ce qui m'apparaît l'acception la plus logique. D'abord, l'OQLF associe la muséographie à un « terme normalisé par un organisme international », qu'il définit comme l'ensemble des « techniques d'identification et de description des documents conservés dans les musées » ([s.d.]). Comme le suffixe « -graphie » renvoie à l'écriture, la muséographie aurait trait à « l'écriture » du musée, soit à la mise en musée, et l'expographie, à « l'écriture de l'exposition », soit à la mise en exposition. À mon avis, le choix du terme « expographique » est, ici, tout indiqué.

(21)

Pour soumettre une proposition de recherche qui découle de cette question, je dois avant tout dégager plusieurs concepts de la présente problématique. Dans un premier temps, pour comprendre les mécanismes de la médiation, je dois définir sur quels piliers repose le musée d'aujourd'hui, puisque sans ces précisions, la médiation perd tout son sens. En effet, définir la médiation est une entreprise qui demande de saisir les fondements du musée et de son évolution. Dans un deuxième temps, puisque le visiteur entre aussi en relation avec l'objet dans le monde de l'exposition, il importe de bien saisir la nature de l'objet de musée en passant par les concepts de collection, de patrimoine et de mémoire collective. Ces nouvelles connaissances m'amèneront à cerner l'objet dans une conception bidimensionnelle faisant écho au principe de la médiation culturelle. Il sera alors aisé de comprendre le rôle de l'objet dans l'exposition de même que dans l'expérience du visiteur. Dans un troisième temps, pour élaborer une avenue de recherche socialement et scientifiquement pertinente, je dois approfondir ce qu'on connaît du pôle conception et du pôle réception afin de dégager les apports théoriques et pratiques des recherches menées dans le contexte muséal. Dans un quatrième et dernier temps, je souhaite identifier un cadre théorique pouvant rendre compte du cadre conceptuel complexe qui découle de ma problématique, et ce, dans un abord très communicationnel du problème. En somme, c'est uniquement après l'approfondissement de ces cadres conceptuel et théorique que je serai en mesure :

• d'évaluer les besoins réels de ma recherche;

de soumettre une proposition de recherche basée sur des fondements théoriques;

• d'établir des objectifs clairs qui me permettront de vérifier ma proposition de recherche et de répondre à la question initiale.

(22)

Le présent chapitre servira de guide à l'élaboration d'un cadre théorique adéquat pour étudier le rôle du visiteur dans la réussite de la médiation. Il me permettra surtout de planter mon objet de recherche en plein cœur d'une conjoncture museologique complexe où la nécessité de la médiation culturelle prend tout son sens.

13

2.1 Le musée en transition : mise en contexte de trois grandes approches

Avant tout, il apparaît essentiel de cerner la notion même de musée. Pour ce faire, je m'en tiendrai à la définition du Conseil international des musées (ICOM, pour International Council of Muséums) :

Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation14. (ICOM, 200115)

En outre, depuis la Déclaration d'Istanbul en 2004, l'ICOM reconnaît également le patrimoine immatériel16 et protège, par exemple, des porteurs de traditions ou des

détenteurs de savoirs traditionnels, à l'instar de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO. On a alors défini le patrimoine culturel immatériel - ou le patrimoine culturel vivant - comme « les pratiques, représentations et expressions, les connaissances et savoir-faire que les communautés et les groupes et, dans certains cas, les individus, reconnaissent comme partie intégrante de leur patrimoine culturel ». Ainsi, bien que la conception du musée ait changé au fil des ans, sa définition17,

elle, est demeurée la même, l'accent étant mis sur le patrimoine matériel. Pour les fins de ma recherche, je propose donc une nouvelle définition :

13 La réflexion qui suit s'inspire d'un tableau dans lequel Davallon (2000 :113) décrit les caractéristiques de

trois formes de muséologie : la muséologie d'objets, la muséologie du savoir et la muséologie de point de vue. Davallon (2000) a d'ailleurs réalisé un exercice semblable à celui que je présente ici, mais sous un autre angle de traitement.

14 ICOM - Définition d'un Musée : http://icom.museum/definition_f r.html, consulté le 5 janvier 2006. 16 La définition du concept de musée est présentement en révision au sein de l'ICOM.

16 UNESCO (2003) :

http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=16429&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=-512.html, consulté le 2 novembre 2005. « Patrimoine culturel vivant » est aussi parfois employé.

17 Évolution de la définition du musée selon les statuts de l'ICOM (1951-2001) :

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Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels [et immatériels] de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation.

Certains types de musée se prêtent particulièrement bien au traitement des témoins immatériels, notamment les musées de société et d'ethnographie comme le Musée d'ethnographie de Neuchâtel, en Suisse, le Musée de la civilisation, à Québec, et le Musée canadien de la civilisation, à Hull.

On peut dire que les institutions ayant privilégié les approches muséologiques classiques et pédagogiques se sont donné les moyens de respecter leur mandat quant à l'étude, à la collection, à la conservation, à la communication et à l'exposition des témoins matériels. La « nouvelle muséologie », philosophie définie par Georges-Henri Rivière dans les années 1930 et dont le concept s'est précisé il y a une quinzaine d'années, cherche à enrichir les pratiques, les méthodes et les connaissances des deux premières approches pour en élargir la conception aux témoins immatériels. Intégrer cette nouvelle donne à la pratique représente l'un des principaux défis du musée actuel. En outre, toutes les muséologies doivent, aujourd'hui, viser à démocratiser leurs richesses, leur contenu et leurs savoirs tant matériels qu'immatériels, tout en mettant en place des expositions visant l'étude, l'éducation et la délectation18. Ce sera le seul moyen de remplir leur mission dans

sa globalité et de répondre adéquatement aux exigences de leurs publics nombreux et diversifiés.

2.1.1 D'une muséologie traditionnelle à une muséologie d'objets

Je n'entends pas, ici, remonter aux fondements du musée, mais je compte bien définir ce que les experts conçoivent comme une muséologie de type traditionnel. Hainard la décrit comme « celle qui consiste à présenter aux visiteurs des objets rares et précieux. Conservés, c'est-à-dire mis hors du temps, ils sont débarrassés de leurs contingences sociales et historiques de production et obligatoirement transformés en objets d'art, ils servent à la délectation du public » (1987 : 44). D'emblée, la muséologie traditionnelle a

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pour caractéristique évidente le souci de la monstration. La première monstration, et la plus importante, est la monstration artistique. Viennent ensuite la monstration des étrangetés et de l'inconnu, la monstration des découvertes de sciences naturelles, la monstration d'objets archéologiques et de civilisations anciennes et la monstration ethnographique. La muséologie traditionnelle montre des œuvres, des objets et, par ailleurs, l'approche esthétique est toujours dominante dans les musées. La définition donnée par l'ICOM en 1951 est représentative d'une approche traditionnelle :

Le mot musée désigne ici tout établissement permanent, administré dans l'intérêt général en vue de conserver, étudier, mettre en valeur par des

moyens divers et essentiellement exposer pour la délectation et l'éducation du public un ensemble d'éléments de valeur culturelle19 :

collections d'objets artistiques, historiques scientifiques et techniques, jardins botaniques et zoologiques, aquariums. [...]20

Cette approche est un peu, aussi, le prolongement des salons de beaux-arts où les David et les Delacroix ont connu la gloire, au Louvre, par exemple. La muséologie traditionnelle soumet l'œil à la contemplation des arts et à l'esthétique des grandes œuvres. Aujourd'hui, le musée de beaux-arts est, par ailleurs, un exemple persistant de tradition21,

en deçà des moyens contemporains mis à sa disposition pour assurer la diffusion et la démocratisation des œuvres d'art22. Qu'il s'agisse du musée ethnographique, du musée

de sciences naturelles ou du musée des beaux-arts, le rôle principal de chacun demeure l'activité de collection. Dans leur mission de démocratisation, ils ont pour objet la monstration des collections. Roland Arpin appelle musées fondamentalistes, « ces musées dont la collection demeure l'alpha et l'oméga, dont l'action est presque totalement consacrée à la recherche et à la mise en valeur de la collection permanente. [...] Fondamentalistes par conviction, de tels musées le sont aussi par obligation23 » (1997 :

35-36). On comprend donc que la production de sens n'est pas le centre même de cette approche muséologique. Le rôle de la muséologie traditionnelle n'en est pas moins

19 C'est moi qui souligne.

20 Évolution de la définition du musée selon les statuts de l'ICOM (1951-2001) :

http://icom.museum/hist_def J r . h t m l , consulté le 5 janvier 2006.

21 N é a n m o i n s , il existe des c a s o ù d e s m u s é e s d e beaux-arts s e rapprochent d e s m u s é e s de société e n

réalisant des expositions thématiques et e n introduisant une dimension sociale, c o m m e o n le verra à l a section suivante. C'est n o t a m m e n t le c a s d u M u s é e national d e s beaux-arts d u Q u é b e c depuis q u e J o h n Porter e n est le directeur.

22 Expositions à g r a n d déploiement, parcours a v e c audioguide, visites guidées, e t c .

23 L a tâche d e gardiens d'objets est souvent rigidement inscrite dans la mission d e c e type d'institutions : les

objets doivent s'y exprimer par eux-mêmes, tels qu'ils émanent, et éviter d e « subir » toute représentation susceptible d'orienter l e regard o u l'interprétation d e c e s « joyaux intouchables ».

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fondamental pour l'humanité, qu'il serve à l'enrichissement socioculturel mondial, sociétal ou communautaire à travers l'étude, la collection, la conservation et la diffusion des témoins matériels de l'homme et de son environnement. Ces grands musées qui rassemblaient de vastes collections ont tendance à disparaître au profit de musées spécialisés. On observe pour les musées le même phénomène que pour la radio et la télévision : la multiplication des canaux spécialisés, des chaînes thématiques.

Ainsi, l'exposition traditionnelle contiendra peu de texte, souvent par choix idéologique de la part des conservateurs qui se refusent à interpréter les œuvres et qui laissent plutôt le visiteur découvrir et y voir ce qu'il veut. Elle misera sur une présentation soignée qui met en valeur l'esthetisme des pièces données à voir et favorisera la présence d'une certaine abondance d'œuvres ou d'artefacts. Elle transmettra des notions souvent factuelles, techniques, historiques. Elle considérera l'objet comme sujet d'exposition et s'attendra à un visiteur attentif, intéressé de son propre gré. La plupart du temps, elle soumettra le visiteur à un parcours unique, mais pourra l'inviter à s'engager plus avant par le biais d'audioguides, de visites guidées ou de cahiers d'exposition, par exemple. Étant donné que « les visiteurs ne disposent pas du même savoir pour lire les oeuvres proposées » (Hainard, 1987: 44), la muséologie traditionnelle délaisse de plus en plus la neutralité d'une simple monstration pour teinter les œuvres d'un certain point de vue. En effet, le choix de la scénographie représente de plus en plus fréquemment un point de vue que le visiteur est invité à emprunter derrière le témoin matériel. À titre d'exemple, pour son exposition Camille Claudel et Rodin : la rencontre de deux destins, le Musée national des beaux-arts du Québec (2005) avait choisi de représenter sobrement l'atelier de Rodin pour plonger les visiteurs au cœur du travail des sculpteurs et de l'histoire d'amour tortueuse du grand maître et de sa jeune amante. Il s'agit là d'une belle illustration des possibilités de la mise en exposition pour faire dire et donner à voir des témoins matériels derrière lesquels se cachent techniques, efforts, passions... Si la muséologie traditionnelle a toujours privilégié les témoins matériels de l'homme et de son environnement, elle n'exclut pas pour autant certaines dimensions que l'on peut qualifier d'immatérielles, comme les sentiments ou le contexte émotionnel qui a donné lieu à une œuvre, par exemple. De nombreuses mises en expositions traditionnelles contemporaines en témoignent. Malgré tout, l'exposition traditionnelle se concentre toujours sur la matérialité de son contenu. À cet effet, en 1974, l'ICOM nuance sa définition de 1951 :

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Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la

société et de son développement, ouverte au public24, et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son

environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et

notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation25.

Ce n'est pas un hasard si la définition change au début des années 1970, car Rivière définit son concept d'écomusée26 en relation avec les grands bouleversements qui

marquent le monde. C'est également le moment où les musées se voient de plus en plus fréquentés en raison de l'apparition d'une classe moyenne plus éduquée et qui possède dorénavant les moyens d'entrer au musée. Ainsi, la muséologie traditionnelle change son angle de traitement pour s'attarder davantage à sa mission de démocratisation, à travers

la relation au public. Le souci de médiation commence à percer cette approche, à

l'intérieur de laquelle l'exposition des témoins matériels n'est plus le centre premier d'attention; c'est plutôt la « [matérialisation des] savoirs à travers la présentation elle-même des objets » (Davallon, 2004 : 114) qui devient le centre d'attention de cette forme de muséologie. Le déplacement de l'exposition vers une approche relationnelle, où le visiteur entre comme un second joueur au cœur de l'arène, ne permet plus de parler de muséologie traditionnelle, car le choix de placer l'objet au centre de l'exposition n'est plus « traditionnel », mais bien « éditorial ». En ce sens et à l'instar de Davallon (2000), on parlera, aujourd'hui, d'une muséologie d'objets. En effet, il s'agit d'une conception plus englobante où on délaisse la notion de monstration de l'objet vers le visiteur au profit de la notion de rencontre du visiteur avec l'objet. Le musée d'objets intègre tranquillement sa fonction de médiateur culturel, avec la multiplication, ces dernières années, des expositions à grand déploiement. On n'a qu'à penser aux efforts de communication remarquables du Musée des beaux-arts de Montréal, qui a connu, ces dernières années, des taux de fréquentation record27. Autrement dit, le visiteur vient y rencontrer l'objet et

non uniquement le contempler. Il vient rencontrer l'objet pour mieux savoir cet objet; l'exposition lui présente l'objet plutôt qu'il ne le lui montre. Or quand on se présente à quelqu'un, on entre en relation avec lui. À l'exemple de Camille Claudel et Hodin : la rencontre de deux destins, qui combine une mise en exposition axée sur l'œuvre avec la

24 C'est moi qui souligne dans ce paragraphe.

25 Évolution de la définition du musée selon les statuts de l'ICOM (1951-2001) :

http://icom.museum/hist_def_fr.html, consulté le 5 janvier 2006.

26 Q u i s e veut fondamentalement démocratique parce q u e faite p a r des citoyens. L e c o n c e p t d'écomuséologie

sera approfondi a u point 2.1.3.

27 E n 2 0 0 5 - 2 0 0 6 , le M B A M a c o n n u le plus haut taux d e fréquentation depuis l'année 1 9 9 0 - 1 9 9 1 .

(27)

possibilité pour le visiteur d'investir une autre dimension de ce qui lui est donné à voir28, la

matérialité du contenu demeure le noyau dur de la muséologie d'objets. Néanmoins, l'émergence d'un nouveau courant aura eu un lourd poids sur l'éclatement des musées auprès des publics. Ce tournant met au jour des témoins matériels par le biais de thématiques qui induisent une si forte relation entre le visiteur et l'objet qu'elles outrepassent la présentation de l'objet pour en faire la communication d'un savoir.

Aujourd'hui, la muséologie thématique est souvent plus explicite que la muséologie d'objets parce qu'elle choisit un angle de traitement bien axé sur la transmission d'un savoir. Elle répond ainsi à sa mission d'éducation telle qu'elle est dictée par l'ICOM, ce qu'avait longtemps négligé la muséologie traditionnelle, ses moyens et sa philosophie souvent rigide ne permettant pas d'envisager la muséologie comme la transmission d'un savoir. Ayant favorisé les érudits ou les spécialistes et repoussé les gens « ordinaires », le musée traditionnel a eu grand besoin de ce vent de changement, tant pour sa survie que pour le respect global de sa mission. C'est en ce sens que je parle d'un éclatement des musées auprès des publics; la muséologie ne sera plus jamais la même et aucun retour en arrière ne sera dorénavant envisageable. La muséologie d'objets aura toujours sa place, mais non sans miser sur l'aspect relationnel de ses expositions.

Le monde des musées a subi de nombreuses mutations dont le cumul et la diversité conduisent à repenser le sens de la muséologie contemporaine. En cela, Grandmont (2002) parle de filiation, comme un enchaînement, une succession, une suite naturelle, sociale, théorique et pratique des choses. En réalité, les musées modernes tels qu'on les connaît aujourd'hui sont apparus avec la révolution française. La création du Louvre et du Conservatoire des arts et métiers (musée de sciences) ont mis l'accent sur la démocratisation du patrimoine national et l'éducation populaire. Malgré ces intentions, les musées on rapidement bifurqué vers les élites qui s'en sont emparé et qui ont évacué le volet pédagogique du projet muséal. Il n'y a donc pas d'évolution en ligne droite, mais des allers et retours entre ces deux pôles. Ces mouvements sont dictés par des considérations économiques, politiques et idéologiques.

28 C'est-à-dire qu'elle permet au visiteur d'entrer en relation avec l'« objet-œuvre » par le biais de savoirs

(28)

2.1.2 D'une muséologie thématique à une muséologie de savoir

Dans sa définition de 1974, l'ÏCOM introduit la notion de communication en parlant des témoins matériels à « communiquer ». En ce sens, la communication a particulièrement imprégné les musées que Arpin qualifie de « syntoniseurs » ou, encore, de « synthétiseurs ». Ces derniers synthétisent « les grands phénomènes scientifiques [et] les réalités nouvelles issues [...] des sciences de la nature, des sciences humaines» (Arpin, 1997: 36) à l'aide de parcours d'exposition au sein desquels prennent place des objets signifiants. Il s'agit bien là de la transition sur laquelle j'ai conclu le paragraphe précédent : l'attention de l'exposition se déplace de la présentation des témoins matériels à la communication d'un thème dont ils sont les témoins. Sous l'éclairage d'une approche thématique, comme c'est le cas pour une approche d'objets, les témoins matériels conservent généralement une place centrale. S'ils illustrent la plupart du temps le propos thématique, leur importance en tant qu'objets témoins est parfois si minimale dans la mise en scène qu'ils peuvent en sembler absents. Je pense notamment à des expositions comme Vox Populi, la démocratie au musée, présentée au Musée de la civilisation à Québec. On y parle du rôle de la démocratie dans le développement des sociétés à travers des images photos et des vidéos, mais avec très peu d'objets. Bien que les images photos et vidéos constituent des témoins matériels très communicatifs, de nombreux objets peuvent, en appui, témoigner du thème de la démocratie en représentant la torture, la répression, la libération, la manifestation. C'est un choix de point de vue et sans doute un choix technique, les musées étant soumis à des contraintes aussi variées que l'espace disponible, le budget alloué, la durée de vie de l'exposition. Il faut savoir que dans le cas du Musée de la civilisation à Québec, les objets ne sont pas au cœur du musée. C'est plutôt l'inverse. Le musée est centré sur la communication - sur les messages - et les objets soutiennent le propos. Ces objets sont aussi bien des éléments multimédias, des textes, des illustrations que de objets29.

En réalité, l'approche de la nouvelle muséologie a déplacé l'objet dans la marge de l'exposition qui devient un processus de communication. Le design est au musée ce que la direction photo est au cinéma. Il y a un effort de séduction des musées. Ce n'est qu'après ce mouvement que les expositions ont été récupérées par l'approche marketing,

29 Ici, l'objet n'est pas considéré comme une œuvre d'art mais comme un sémiophore, c'est-à-dire comme

objets sortis de leur contexte d'origine et mis dans un autre contexte qui en dévoile la signification. Autrement dit, l'objet-sémiophore est un objet sans valeur matérielle, dont la véritable valeur d'échange est immatérielle (Pomian, 1987).

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intégrant le témoin matériel à des mises en scène colorées, souvent chargées, tape-à-l'œil, vendeuses30. Le rôle du témoin matériel demeure central, je l'ai dit. Mais l'exposition

ne se concentre pas tant sur la mise en valeur des objets, en tant que témoins matériels évocateurs, que sur le contexte, l'environnement dans lequel elle les met en scène. Ainsi, dans l'approche thématique, les témoins matériels témoignent justement du propos : plutôt que d'être donnés à voir, ils sont surtout utilisés pour donner à comprendre, à intégrer, à savoir. Ils ne sont plus présentés pour eux-mêmes ni pour ce dont ils témoignent proprement, mais appuient une idée, un concept cette fois. Les objets deviennent les acteurs d'une nouvelle mise en scène. La somme des témoins matériels devient une explication du propos, modelée notamment par la mise en espace et le texte qui constituent en partie la mise en scène. Depuis la fin des années 1980, le nombre d'expositions thématiques ne se compte plus.

Une exposition thématique donnée ferait entrer le visiteur dans un décor à l'intérieur duquel ce dernier apprendrait, par exemple, les us et coutumes d'une époque et découvrirait des phénomènes sociaux et historiques associés à cette époque. De nombreuses pièces ethnologiques, des objets du quotidien ou des instruments de l'époque pourraient illustrer le propos de l'exposition. C'est en ce sens que la muséologie thématique tend à se servir du témoin matériel pour expliquer le thème. L'idée devient alors prétexte à l'objet matériel. Quand le visiteur sort d'une telle exposition, parce que l'objectif visé est la transmission d'un savoir (Davallon, 2000), c'est souvent la mise en exposition, puis ses découvertes et apprentissages dont il se souviendra le plus. À moins que le visiteur ait été marqué par un objet, qu'il soit entré en relation avec cet objet en particulier, ses rapports aux objets, aux artefacts, aux images photos ou vidéos ne seront que fragments d'expérience dispersés, dilués dans la masse thématique et informationnelle de l'exposition. À moins de manipuler des objets comme on le fait dans des expositions interactives et parfois scientifiques, ce qui constitue une expérience marquante pour le visiteur, une exposition thématique présente une idée, un savoir, à partir d'objets matériels et non l'inverse. L'expérience du visiteur, au terme de sa visite, sera d'autant plus imprégnée qu'il lui aura donné sens.

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La muséologie thématique tombe-t-elle alors dans le panneau inverse en n'accordant son attention qu'à sa mission de communication d'un savoir au profit de la mise en valeur de témoins matériels? L'approche thématique démocratise l'objet en en faisant un outil de communication pédagogique qui sert à mettre des phénomènes ou des thèmes en lumière. La valeur de l'objet en tant que témoin matériel exposé pour sa qualité d'objet porteur d'un savoir, d'une technique, d'une pratique, etc. est, en quelque sorte, reléguée au second plan. La muséologie thématique répond-elle alors aux exigences des visiteurs en quête d'objets témoignant d'eux-mêmes de l'homme et de son environnement? En effet, si la muséologie du savoir remplit parfaitement son mandat d'éducation, elle escamote parfois la mise en valeur de l'objet et répond mal aux attentes des publics, de plus en plus exigeants (Bergeron, 2002c). Car la muséologie thématique est une approche qui a cherché à démocratiser à l'extrême l'institution muséale en s'accaparant la fonction éducative du musée. L'émergence d'expositions à saveur pédagogique va dans le même sens que la volonté de démocratisation et d'éducation au musée. On peut dire qu'en réaction à l'hermétisme et à la rigidité de la muséologie traditionnelle et aux témoins matériels dont la fonction et le sens demeuraient inaccessibles au large public, le rôle éducationnel du musée a pris d'assaut la mise en exposition des années 1980 et 1990. Cette orientation pédagogique a quelquefois été qualifiée de muséologie « facile » et « infantilisante » par les tenants d'une muséologie classique. Entre la présentation d'un savoir au visiteur et la représentation d'une idée que le visiteur est invité à traverser (Davallon, 2000), il existe une marge. La muséologie thématique peut apparemment chevaucher l'une ou l'autre des approches, à l'exemple de Vox Populi, la démocratie au musée. En ce sens, Davallon nous incite à parler de muséologie de savoir pour parler de l'approche qui consiste à présenter un savoir à l'aide d'une forte communication visuelle (panneaux, scénographies élaborées) ou interactive (nouvelles technologies, sons et lumières, multimédias).

À ce sujet, le Musée de la civilisation constitue le parfait exemple d'une institution tournée vers ses publics. Ayant instauré à même ses murs un Service de la recherche et de l'évaluation, il n'a de cesse d'ajuster son offre à la demande de ses publics. C'est le résultat des demandes du service du marketing, auxquelles le service de la recherche répond en menant des évaluations. Pour donner suite à ces réflexions sur la muséologie traditionnelle et la muséologie d'objets puis sur la muséologie thématique et la muséologie

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de savoir, il faut reconnaître un phénomène récent31 : le visiteur type du Musée de la

civilisation tend à se rapprocher du profil des visiteurs des musées classiques (Bergeron, 2002c). On peut donc parier qu'il sera davantage sensible à la présence d'oeuvres et d'objets authentiques et uniques dans les expositions. À la lumière de ce qui a été dit au sujet des deux approches, il semble temps de réfléchir à la place de l'objet au musée, plus particulièrement au Musée de la civilisation. Dans un même ordre d'idées, ce visiteur type serait, est-il aisé de le croire, moins attiré par l'interactivité, les scénographies complexes et l'utilisation de nouvelles technologies muséales. Au fond, le musée a affaire ici à un visiteur de musée traditionnel ou de musée d'objets qui, bien qu'il soit encore fidèle au Musée de la civilisation, se montrera de plus en plus critique à l'égard de ses produits. Puisque l'éclairage a été presque complètement détourné de l'objet au profit de la pédagogie, la muséologie du savoir ne permet-elle pas à l'objet d'occuper la place qui lui revient au musée? Le visiteur type dont on parle ici souhaite-t-il pour autant le retour d'une muséologie purement « monstratrice »? Rien n'est moins sûr. Néanmoins, une chose apparaît essentielle : il faudra plus que jamais faire appel à l'intelligence des visiteurs (Bergeron, 2002c). À ce titre, on peut souligner l'exemple du Musée national des beaux-arts du Québec, dont les expositions restent centrées sur les œuvres, mais dont l'approche thématique et l'usage du design contribuent à une meilleure transmission des messages dans les expositions.

Il faut accorder au musée de savoir un souci de médiation très fort. Et, bien que le musée puisse avoir sous-estimé de temps à autre l'intelligence des visiteurs en concentrant ses efforts sur des expositions familiales, en accordant une importance primordiale à l'idée, au thème, à l'explication, il a toujours cherché à :

[...] passer des principes relativement maîtrisés de conservation et d'exposition des traces matérielles (spécimens naturalisés, fossiles, instruments, œuvres...) à ceux, encore en élaboration aujourd'hui, de conservation et de présentation de processus naturels, culturels, techniques... relevant de l'intangible.

En d'autres termes, ce qui se joue [dans cette approche] [...] c'est la prise en compte, à côté du patrimoine traditionnel des musées, du patrimoine intangible non seulement dans la sphère des musées d'ethnologie, d'histoire... mais aussi de science et de technique. (Van Praët, 2002 : 69)

(32)

Ce souci de médiation très culturelle a inspiré, en marge d'une muséologie thématique et de savoir en pleine explosion dans les années 1990, des musées en rupture avec la tradition, en contradiction avec toute conception figée du musée. Dirigeant son attention sur la communication de l'intangible à travers la médiation, cette muséologie « rebelle », qu'on a appelé la « nouvelle muséologie », est dorénavant bien établie dans l'institution muséale. Concrètement, on parle surtout d'écomusées et de muséologie de la rupture. Il faut rappeler, ici, que la médiation culturelle permet de penser l'exposition comme un fait culturel (Lamizet, 1999) devenant prétexte à la découverte de sa propre identité à travers celle de sa collectivité. C'est très exactement le rôle que se donne cette troisième approche muséologique.

2.1.3 D'une muséologie nouvelle à une muséologie de point de vue

En rupture avec une conception traditionnelle du musée, la « nouvelle muséologie » cherche à redonner aux citoyens le musée qui leur appartient. Dans, ce courant, la démocratisation du musée prend un sens pour le moins engagé, dans un contexte socioculturel et socioéconomique ébranlé par l'industrialisation et la mise en marché du moindre produit culturel. Autrement dit, la nouvelle muséologie s'élève contre la dénaturalisation du produit culturel et contre la présentation de l'objet pour l'objet.

D'un côté, elle regroupe « [d]es musées en principe sans objets, des musées territoires, des musées miroirs d'une population. Des musées qui ont voulu se rapprocher de la population » (Arpin, 1997: 36)32. Soucieux de transmettre un patrimoine plus immatériel

que matériel, ces écomusées se concentrent sur l'objet intangible, tel que l'entend Van Praët (2002), l'objet tangible y étant pratiquement absent. Ces musées sont de véritables centres d'interprétation33, qui regorgent d'initiatives pour assurer leur propre

survie. La fabrication de produits dérivés en est probablement l'une des plus efficaces. En invitant le public à partager une tradition régionale, une activité économique locale, ces musées nouveau genre dorénavant trop nombreux pour les dire « nouveaux » -plongent les visiteurs dans un milieu souvent interactif qui leur communique des nécessités sociales et économiques, un terroir ou une nature laissés-pour-compte, des

32 Voir aussi Le Marec (2002) et Caillet (1995).

33 « Bâtiment principal d'un milieu patrimonial o ù sont regroupées diverses activités liées à l'interprétation et où

les visiteurs peuvent habituellement obtenir d e s renseignements s u r les services connexes offerts. » O Q L F (2001). « Centre d'interprétation - éducation ». Grand dictionnaire terminologique. [En ligne]. U R L : www.granddictionnaire.com, consulté le 21 février 2006.

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techniques de fabrication paraissant désuètes aux yeux d'une société de consommation industrialisée34. Le visiteur y découvre la force, l'acharnement, le développement et la

survie d'une identité : voilà en quoi ces nouveaux musées travaillent à la transmission d'un patrimoine immatériel.

De toutes les formes muséologiques, la nouvelle muséologie est la plus identitaire et la plus patrimoniale qui soit, au sens où elle s'ouvre au public pour l'inviter à s'approprier la culture, le fondement, le sens d'une collectivité, d'une époque, d'une tradition, d'une nature qui seraient, autrement, appelés soit à disparaître, soit à sombrer dans l'oubli ou dans l'ignorance. Or c'est plutôt dans leur forme que dans leur contenu que les écomusées35 et les centres d'interprétation se démarquent en tant qu'expression d'une

nouvelle muséologie : « Définis de manière plutôt polysémique, ces écomusées n'ont jamais vraiment fait consensus chez les muséologues mais une certaine audace dont ils ont su faire preuve, leur évident souci d'explorer des voies nouvelles, a souvent forcé leurs détracteurs eux-mêmes à évoluer vers une plus grande préoccupation à l'endroit des publics. » (Arpin, 1997: 36) L'écomuséologie, bien qu'elle participe d'une nouvelle muséologie, n'en est pas le fondement. Les institutions guidées par le principe d'écomuséologie36 sont des musées « à part », pourrait-on dire, par leur mode de

fonctionnement, leur mode de gestion et leur objet éclectique. Ces écomusées ont lancé d'importantes pistes de réflexion et ouvert des voies quant à la façon de faire le musée démocratique, mais Caillet démontre bien que l'expression « nouvelle muséologie », dont l'approche a déjà près de vingt ans d'existence, ne suffit plus à représenter le tournant qui est en train de s'opérer au sein de l'institution muséale. Dans la littérature, cette expression sert, la plupart du temps, à regrouper les écomusées et autres centres d'interprétation, laissant de côté une pratique beaucoup plus large que l'institution en soi. Pour sa part, Hainard (1987) parle des nouvelles muséologies : il fait référence à de nouvelles approches de communication en muséologie. Au centre du concept de nouvelle

34 « Plusieurs groupes sociaux sont sous-représentés dans nos institutions muséales et d'autres prétendent y

être bien mal représentés. Plusieurs cultures n'ont pas encore trouvé leur place légitime au sein de nos musées. Ce réveil des particularismes est une caractéristique essentielle de notre société moderne. » {Renaud, 1992 : 121)

5 « Comme les musées classiques, ils ont pour point de départ le patrimoine et privilégient les fonctions de

conservation, de mise en valeur, d'éducation et d'animation. Ils cherchent toujours à devenir et à être des équipements souples et polyvalents, adaptés aux attentes et aux besoins des communautés qu'ils desservent. Les assises fondamentales de ces institutions sont le territoire, le patrimoine collectif et la participation de la population. » (Renaud, 1992 :125)

Rivière fait référence à des musées de site : Pécomusée est un musée de l'habitat (OQLF, 1974), c'est-à-dire qu'il est créé pour et par les gens d'un habitat (une région, un site à valeur patrimoniale) pour mettre en valeur cet habitat et en perpétuer les traits caractéristiques (Rivière, 1989).

Figure

Figure 1 : Modélisation de l'expérience de visite selon la rencontre des quatre mondes
Figure 2 : Articulation de la dimension synthétique de l'exposition
Figure 3 : Articulation de la dimension symbolique de l'exposition
Figure 4 : Articulation des mécanismes internes de l'exposition
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