• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Ligne droite et ligne courbe.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Ligne droite et ligne courbe."

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

A n d r é MASSAT

Inspecteur honoraire île l'Enseignement technique Ancien élève de l'E.N.S.E.T.,

Ligne droite

et ligne courbe

Loin d'annoncer une leçon de mathéma-tiques, ce titre veut être le thème d'une brève méditation sur l'influence des lignes droites et des lignes courbes sur le psychisme humain. Nous vivons en effet, au sein d'une profusion de surfaces et de volumes, au cœur d'une anar-chie polychrome de formes, au centre d'un univers d'images entremê'ées, surimprimées ou superposées. Lignes droites et lignes courbes dessinent êtres et choses, tissent la trame irré-gulière d'une pittoresque tapisserie, créent la dualité de notre décor familier, la profondeur et le degré d'harmonie des paysages. Nous subissons, souvent à notre insu, les charmes et les maléfices de ce monde bariolé, mais nous essayons aussi de le modifier pour le rendre plus favorable à notre vie. Il y a interéaction entre le milieu et l'homme, adapt tion réciproque, recherche permanente d'un équilibre psychique à tonalité agréable.

L'intrusion de la ligne droite dans l'espace naturel est due à l'homme. Ignoré lors de la création, conçu par l'esprit, cet être de la géo-métrie euclidienne, avant d'atfeindre une per-fection idéale et abstraite, a grandi dans la boue féconde de la vallée du Nil, parmi les fellahs obligés de retracer les limites de leurs champs effacées par les crues fertilisantes du fleuve. L'arpentage pragmatique des Egyp-tiens est à l'origine de la géométrie pure des Grecs. Ainsi, la pratique devient mère de la théorie, l'action, comme le dit Proudhon, donne naissance à la pensée. Toutes les lignes droites tracées par 1' magination entre une infinité d'infinis, les obliques, les verticales,

les horizontales, esclaves d'une définition qui les oblige toujours à co'ncider avec elles-mêmes, ne peuvent exister dans le réel que sous la forme étriquée du segment. Ces portions de ligne droite divisent les surfaces planes, limitent les polygones, définissent l'intersection des plans et forment les lignes brisées quand, ajoutées bout à bout, chacune d'elles s'oriente à sa guise. La ligne droite, sans cesse identique à elle-même, désolée comme un désert, monotone comme les longues heures d'attente, a la dureté tranchante du fil d'une lame acérée. Elle sym-bolise l'uniformité, la sécheresse, la discipline intransigeante. Fille d'une logique impérieuse et du laborieux esprit de géométrie, elle est réfractaire à la fantaisie, au rêve, à la poésie. Sa simplicité, sa netteté, sa rigueur, provoquent un ennui profond et le repliement de l'âme. La ligne droite est en accord avec les exigences de l'esprit cartésien, mais en désaccord avec les aspirations du cœur, avide de communication. A l'inverse de la ligne droite enfermée dans une stricte définition, la ligne courbe a droit à toutes les libertés, sauf à celle de faire des angles. Le point mobile qui l'engendre lui permet d'imiter les harmonieuses évolutions de l'aigle planant sur les hauteurs ou les auda-cieuses& figures de l'acrobatie aérienne. La ligne courbe fait la simplicité du lys et la complexité du chrysanthème. Si elle se mord la queue et se discipline, elle devient ainsi fermée sur elle-même, circonférence, ellipse, ove. Si elle obéit aux données numériques, elle représente sur les graphiques les équations les plus ardues. C'est une ligne protée. Elle se transforme 37

(2)

suivant le cas en hyperbole, parabole, sinu-soïde, hélice, spirale. Sous le crayon de l'artiste, elle se change en arc, anse de panier, ondulation, volute, boucle, arabesque. Elle donne un grand pouvoir de séduction aux volumes, en les rendant renflés, arrondis, cambrés, galbés. La nature inanimée a adopté la ligne courbe. Le relief se compose de synclinaux et d'anticlinaux et se décompose en montagnes, vallées et plaines, au profil arqué, sinueux ou bombé. Les rivières et les fleuves serpentent dans leur course et tracent coudes et méandres. Le souffle du vent ondule la mer et pousse vers les conca-vités et les convexités du rivage, les rouleaux écumeux des vagues. Toutes choses paraissent se plier à une volonté courbe et l'univers même lui obéit. Les êtres vivants racontent son extrême vieillesse. Elle seule existait aux origines. C'est la ligne de la vie. Toutes les plantes, tous les animaux lui doivent leur économie et leur académie. La tige, le tronc, la branche, la feuille, la fleur, la graine, le fruit, les membres et les organes, les canaux et les vaisseaux, tout ce qui porte la vie, l'entretient ou la protège, tout a recours à la ligne courbe. Un examen approfondi des structures intimes de la matière montre qu'elle s'organise aussi sur un mode incurvé. Dans l'atome, les électrons gravitent autour du noyau comme le font les planètes autour du soleil. L'infiniment petit est à l'image de l'infiniment grand. Une homothétie foncière paraît régir l'univers et se retrouver dans le microcosme comme dans le macrocosme. Le style curviligne se révèle aussi à tous les stades de la vie. La biochimie représente par un schéma en hélice la molécule d'acide nucléique (A.D.N.) et répartit sur une rampe en colimaçon les protéines. Dans le cytoplasme de la cellule vivante se baigne un noyau de forme sphérique. L'ovule, l'œuf, l'enfant dans le sein de la mère, prennent une forme arrondie. Le nid, le ber-ceau se creusent doucement pour se faire douillets La beauté en peinture et en sculpture n'ex-prime ses sortilèges que par la ligne courbe. Il suffit pour en être persuadé d'observer quel-ques-uns des chefs-d'œuvres artistiques les plus connus. Le Printemps et la Naissance de Vénus de Boticelli, les peintures de Rubens, les tableaux de Gauguin, Ingres, van Gogh, la Vénus de Milo, le Moïse de Michel Ange, les statues de Rude, les animaux de Pompon, les nus de Maillol, révèlent que leur puissant attrait résulte surtout d'une savante harmonie de lignes courbes et de volumes galbés. Il n'en est pas de même en architecture. Un

archi-tecte est à la fois un ingénieur et un artiste. Une maison, c'est d'abord une machine à habiter. Elle devient œuvre d'art quand à l'utile s'ajoute l'agréable. L'architecte doit obéir aux lois de la pesanteur, de l'équilibre des forces, de la résistance des matériaux; il est obligé d'introduire dans ses créations les verticales et les horizontales. Par suite, la beauté en archi-tecture naît d'un mariage heureux de lignes droites et de lignes courbes. Dans ce domaine, il suffit aussi d'une revue des chefs-d'œuvre de l'architecture pour en administrer la preuve. Il semble pourtant, qu'à première vue, le Par-thénon, le plus beau des monuments de l'An-tiquité, inflige un éclatant démenti à cette opinion. Cependant, on oublie trop souvent que ce temple dédié à la déesse Athéna, n'est qu'une colonnade dorique disposée en rectangle et que, par suite, sa splendeur provient d'une alliance parfaite des modes rectiligne et cur-viligne. De plus, l'architrave et toutes les hori-zontales s'incurvent au centre, les colonnes se renflent en leur milieu et se creusent de cannelures qui deviennent plus étroites à mesure qu'elles s'élèvent. En outre, le sculpteur Phidias et les architectes Ictinos et Callicrate, chargés de son édification, ont adouci la sévère beauté de l'œuvre en ornant le pourtour du temple de l'harmonieuse frise des Panathénées et les tympans triangulaires de sculptures représen-tant soit la naissance d'Athéna, soit la lutte d'Athéna contre Poséidon. Dès que la tech-nique de la voûte, ignorée par les Grecs, fut maîtrisée par les Romains, ceux-ci s'en servirent dans toutes leurs constructions. Pensez au Colisée, à la façade des arènes de Nîmes, au pont du Gard et autres aqueducs, aux divers arcs de triomphe. Maintenant, oubliez les Romains et sautez des siècles. Portez votre regard sur les cathédrales du Moyen Age, sur celle de Sainte-Cécile à Albi, de Saint-Sernin à Toulouse, de Notre-Dame à Paris et aussi sur celles de Chartres, d'Amiens, de Reims. De toutes ces grandes églises édifiées par une foi ardente, monteront vers vous une foule d'images incurvées : voûtes, coupoles, arcs ro-mans, arcs gothiques, arcs -boutants, ogives, piliers, rosaces, portails gardés par des statues racon-tant la Bible. La beauté de ces édifices religieux est due à un accord heureux de droites et courbes, à un équilibre accompli entre des rondeurs et des plans. D'autres exemples pourraient être cités aisément, mais il est préférable d'avoir recour 3 à l'esthétique industrielle pour corroborer cette vérité. Les ingénieurs enveloppent les organes mécaniques de carters, de capots, de gaines, de 38

(3)

Les gorges de la Vésubie (Alpes-Maritimes).

« L'intrusion de la ligne droite dans l'espace naturel est due à l'homme. »

Aoute sous la pluie dans la Brie.

(Photos Roger Viollet.) 39

(4)

m m n

V A N G O G H . — La route aux cyprès.

« La beauté en peinture et en sculpture n 'exprime ses sortilèges que parla ligne courbe. »

(5)
(6)

«La beauté en architecture naît d'un mariage heureux de lignes droites et de lignes courbes. »

couvercles au profil bombé, assoient les machines sur des bâtis ou des socles dépourvus d'angles. Enfin, il suffit d'observer les palais des exposi-tions de la Défense et de la porte de Versailles pour constater qu'un édifice à vocation utili-taire prend une allure élégante quand il s'habille de surfaces courbes.

Si la nature, la vie, la beauté ont adopté la ligne courbe, il en est de même pour le cœur et l'âme. Dans les profondeurs obscures de son inconscient, l'homme conserve le souvenir viscéral d'avoir été un fœtus pelotonné dans une poche ovoïde et nourricière. Il gardera toute sa vie la nostalgie de cet état de symbiose, de ce paradis perdu à jamais. Aussi, pour tenter de le retrouver, prendra-t-il le plus souvent pendant son sommeil la position recroquevillée de l'enfant avant sa naissance. Par ailleurs, le premier contact du nouveau-né avec le monde est celui du sein maternel, une de ses premières visions est celle d'une tendresse ronde. Ces sensations privilégiées marquent son

affecti-vité du sceau de la ligne courbe. La paume de ses mains, aux formes incurvées, est faite pou saisir les rondeurs. Tout cela explique l'exis tence chez l'homme de l'instinct de la ligne courbe, symbole de chaleur vitale, de douceur caressante, d'amour profond. Elle flatte le cœur et l'âme. Elle les fait s'épanouir comme des fleurs avides de soleil. Les enfants expriment leur joie en faisant des rondes et les hommes organisent des farandoles. Le style courbe est celui des gens heureux. Avec le bonheur de vivre, la courbe traduit aussi la souplesse, la grâce, l'élégance. C'est la ligne de l'harmonie et du charme. Elle incite aussi à la méditation et au rêve. Elle invite au dialogue. Elle donne aux êtres et aux choses « une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ». Elle humanise le paysage urbain. Quand un échange facile s'institue entre le moi et le milieu, l'homme éprouve une sensation de bien-être et se sent comme chez lui. Un climat bénéfique est néces-saire à son bonheur.

Ces considérations constituent un critère 42

(7)
(8)

suffisant pour apprécier le visage de Paris en l'an 2000, tel qu'il a été présenté dans un repor-tage photographique de l'hebdomadaire Paris-Match du 1e r juillet 1967. Elles nous aideront aussi à comprendre les jugements opposés qui ont été émis. Toutes les vues montrent une métropole aux formes carrées, un assemblage d'immeubles ressemblant à des blocs de marbre découpés à la scie, à un décor de peintre cubiste où triomphent verticales et horizontales et où les quelques courbes qui osent se risquer dans ce monde anguleux ont l'air de trouble-fête. Cet urbanisme sévère et froid, séduisant pour l'esprit, révèle une connaissance complète des besoins matériels des foules citadines. Il enthou-siasme les esprits cartésiens : tout est pratique, rationnel, fonctionnel. Mais si l'intelligence approuve ce déploiement d'édifices aux façades ajourées de rectangles, par contre le cœur n'adhère pas à cet urbanisme agressif et inhu-main. L'âme n'éprouve pas la moindre exal-tation à la vue d'une cité hostile au rêve. Ce panorama du Paris futur provoque l'éton-nement et non l'admiration. Il est plein de

hardiesse mais dépourvu de beauté, surprenant pour l'esprit mais décevant pour le cœur.

Le problème essentiel est de rendre les hommes heureux. Sa solution ne consiste pas à les entasser dans des villes tentaculaires et à les agglutiner dans des bâtiments démesurés. « L'homme devant rester la mesure de toutes choses », il attend pour demain la ville radieuse, l'archi-tecture de fête alliant utilité et beauté, mariant avec bonheur la ligne droite et la ligne courbe. Un paysage urbain est à l'échelle de l'homme quand il satisfait à la fois l'esprit et l'âme.

En terminant cette méditation, mon regard se porte sur une rose d'automne qui se meurt lentement en un vase vieillot puis, sur le chat, boule noire endormie sur un coussin, ensuite sur les iris dont les feuilles s'incurvent comme des lames de sabres orientaux, enfin sur les collines qui font le gros dos et qui, pareilles à des monstres, vont boire à l'azur estompé de l'horizon, et je suis heureux de constater que dans la nature les êtres et les choses chantent un hymne à la ligne courbe.

Références

Documents relatifs

– l’intoxication est certaine mais le toxique n’est pas connu ; un screening orienté par le tableau clinique (toxidrome) et adapté à la recherche des substan- ces les plus

De  la  même  façon,  les  indicateurs  hémodynamiques  basés  sur  les  interactions  cardiorespiratoires  (telle  la  variation  du  volume 

Méthanol (Alcool à brûler français : < 10 %) Coma Acidose métabolique Toxicité rétinienne Signes cliniques retardes (12 à 24H) Digestifs, neurologiques, respiratoires

L’article 10 procède à la coordination du code de la sécurité sociale, du code général des collectivités territoriales et de dispositions législatives non codifiées pour

Objectif : Évaluer la qualité physico-chimique et microbiologique des eaux de source du village de Mangouin-Yrongouin dans la localité de Biankouman (Côte d’Ivoire).. Méthodologie

De nombreux professionnels d’établissements hospitaliers ont répondu, le 30 mars, à l’appel de la CGT, CFDT et SUD en se mobilisant pour réclamer le retrait de l’article 30 de

que l’harmonisation du nombre de lits par infirmi(e)re en collecte mobile. 251 Les augmentations portant sur 2017 et 2018 ont été justifiées par le financement d’une

Des difficultés de mise en place des moyens de prévention peuvent survenir en raison de la « mobilité » de certains patients comme les patients recevant des soins dans le cadre