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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Mettre à la question : une « manière d'être » pédagogique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

METTRE À LA QUESTION :

UNE « MANIÈRE D'ÊTRE » PÉDAGOGIQUE

H. LETHIERRY, C. HAERI-SOULA

IUFM de Lyon

MOTS-CLÉS : ÉTONNEMENT – CURIOSITÉ – QUESTIONNEMENT – MAÏEUTIQUE –

« ÉDUCATION NÉGATIVE » – « MOMENT PHILOSOPHIQUE »

RESUME : La « question » désigne originellement un supplice. « Mettre en questions », pratiquer

une pédagogie de l'étonnement, c'est aussi SE mettre en question. Ainsi, lors d'une séance sur le vivant, les hypothèses concernant sa définition pourront s'affronter. (Des questions d'ordre philosophique sur la mort ne seront pas interdites) Socrate, Augustin fourniront quelques « jalons » théoriques de nature à « mettre à la question » notre sommeil dogmatico-pédagogique.

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P — Qu'est-ce que la morale ? A — L'interprète de l'âme.

P — Qu'est-ce qui donne naissance à la parole ? A — La langue.

P — Qu'est-ce que la langue ? A — Le fouet de l'air. P — Qu'est-ce que l'air ? A — Le conservateur de la vie. P — Qu'est-ce que la vie ?

A — Une jouissance pour les heureux, une douleur pour les misérables, l'attente de la mort. P — Qu'est-ce que la mort ?

A — Un événernent inévitable, un voyage incertain, un sujet de pleurs pour les vivants, la confirmation des testaments, le larron des hommes.

P — Qu'est-ce que l'homme ?

A — L'esclave de la mort, un voyageur passager, hôte dans sa demeure.

(Alcuin à Pépin - fils de Charlemagne - in coll. Histoire des idées pédagogiques, Belin)

1. ÉMETTRE DES QUESTIONS ?

La question est un supplice qui était utilisé au Moyen âge. Le mot « inquisition » vient de là. Le terme a été repris par Alleg dans le titre d'un livre, paru clandestinement pendant la guerre d'Algérie (était dénoncée la torture dont l'auteur - et bien d'autres - était victime). (Le mot « inquisition » vient de « question ». Le but est l'aveu). C'est en jouant sur les deux sens du terme que Derrida avait traité des relations entre « L'ironie, le doute et la question ».1 En effet, poser une ou des questions ne va pas de soi. C'est admettre en un sens son ignorance au moins provisoire. Même si on influence, par sa formulation, la réponse attendue :

• on se met dans un état d'infériorité ou de dépendance à l'égard d'un « maître » qui risque de nous renvoyer brutalement au sujet s'il est déstabilisé ou ignorant,

• on reconnaît qu'on ne sait pas quelque chose. Qui n'a pas fait cette expérience dans un pays étranger ou une région différente (l'accent alors rendant incompréhensible le message, d'où lé sentiment de part et d'autre que l'interlocuteur est inintelligent). Souvent, après un exposé, on sollicite des « questions », comme si l'auditoire, soumis à l'avis de l'expert, était incapable de réactions autonomes.

Par ailleurs répondre à une question n'est pas non plus aisé :

• cela peut m'entraîner sur le terrain de l'autre, me faire dévier de la « ligne » qui m'était tracée ; • parfois le questionnement prend la forme d'une interrogation policière2, d'une enquête journalistique au cœur duquel ou de laquelle je souhaiterais même répondre « en présence de mon

1 Dans un cours à la Sorbonne en 1963-64. L'ambiguïté du mot est soulignée aussi dans Heidegger et la question

(Flammarion).

2 Canguilhem disait que, quand on sort de la Sorbonne en descendant, on risquait de tomber sur la préfecture de police!

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avocat ». D'où la difficulté du métier d'élève. D'autant que (comme l'a dit Astolfi), dans la vie courante celui qui pose la question ne connaît pas la réponse et se met donc en question.

D'où une tentation dogmatique qui peut prendre des formes diverses : longueur du « rapport » de l'instance supérieure d'une organisation ou institution, rapidité d'un cours, objet de notes fébriles ! On dira pour se justifier que (ce qui est vrai par ailleurs) les programmes sont surchargés, l'ordre du jour complet, la réunion touche à sa fin, etc. Cela nous est apparu en travaillant, au sein d'un séminaire de stagiaires, la question de la mort dans le premier degré (comment l'aborder avec des enfants sans précéder leurs questions, en adaptant le concept au niveau de formulation qui est le leur, comment éviter le silence gêné ou le pieux mensonge).

Il n'y a pas à l'école que des problèmes clairement formulés, scientifiquement démontrables. Il y a également des mystères dans lesquels ma propre subjectivité se trouve impliquée. Certes, mettre en question, c'est toujours en un sens se mettre en question ; or il faut aux élèves et aux enfants encore plus qu'aux adultes des zones de stabilité, de confiance, il faut des savoirs acquis sur lesquels ils peuvent compter, il faut des certitudes provisoires pour pouvoir avancer et construire. Sans quoi le questionnement deviendrait très vite torture intellectuelle. Mais expliquer de façon prématurée, cela peut dispenser de chercher donc de comprendre. D'où l'intérêt d'une pédagogie sinon de l'inquiétude, du moins de l'étonnement, tel que la concevait Louis Legrand, affirmant « Nous parlons de l'étonnement vrai, celui qui succède à la surprise et où la pure passivité de l'agression subie, se mêle l'activité naissance de la recherche. Ce moment fondamental pour la pensée est celui, tout d'abord, où le monde apparaît dans son altérité radicale : par l'étonnement nous nous sentons étrangers dans l'univers qui nous enveloppe. (...) Cette insuffisance reconnue, nous la dominons dans l'entreprise d'une recherche qui implique la certitude d'un succès et la reconnaissance d'une dignité plus haute »3.

Lors d'une séance de « découverte du monde » en CE1, j'ai distribué aux élèves une fiche sur laquelle se trouvaient des dessins : une plante, un robot, une pierre, un chien, un camion, une étoile de mer, un œuf, un enfant, etc. L'objectif était de faire définir par les élèves les critères du vivant. Sous chaque image, ils devaient noter si le dessin représentait un être vivant ou non vivant. Après un moment de réflexion, nous avons confronté les réponses de chacun, des débats se sont engagés et les élèves sont finalement arrivés à une classification qui convenait à tout le monde… sauf à un élève qui était très étonné que personne ne souhaite mettre le camion dans les êtres vivants. En effet, un camion « naît », se déplace, « crie », s'alimente (en essence) et « meurt ». Suite à son argumentation, quelques élèves se sont laissé convaincre et les autres ne savaient plus comment expliquer les raisons de leur désaccord. Je leur ai alors simplement proposé de s'interroger sur le sens des termes naître et mourir. Très vite, ils ont fait la différence entre naître et être construit, et

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entre mourir et se casser. Le camion a alors été rangé chez les non vivants, emportant avec lui le robot mécanique… Les élèves ont donc procédé ici à une remise en question de leur conception spontanée du vivant et du non vivant, ce qui leur a permis ensuite d'énoncer les critères du vivant.

2. JALONS POUR UNE HISTOIRE EN QUESTIONS 2.1 La question de la maïeutique

Bien sûr, et c'est là toute l'ambiguïté de son art, Socrate menait le questionnement, choisissait les questions et ne les laissait pas réellement naître chez son interlocuteur. De plus, l'orientation et la formulation de ses questions n'étaient probablement pas sans effet sur le contenu des réponses… La méthode maïeutique est-elle donc une manipulation qu'il faut rejeter en pédagogie ? Mais cela impliquerait de toujours savoir faire naître les bonnes questions dans les esprits des élèves, et de tous les élèves… La maïeutique est donc une méthode indispensable lorsque l'on ne réussit pas à susciter de question, lorsqu'on souhaite relancer ou rediriger un questionnement qui s'essouffle ou qui est parti dans une « mauvaise » direction. Comme le dit un auteur qui a comparé le philosophe grec au « pédagogue » Saint-Augustin : « La méthode maïeutique est indispensable pour ouvrir une brèche, créer un manque, une véritable ignorance, un espace d'altérité pour le sujet où puisse se déployer son désir. Brèche indispensable car condition de possibilité de l'apprendre ; (...) le maître socratique (...) sera, par conséquent, celui qui renvoie le sujet à son propre manque, à son propre vide, comme le fait Socrate…4

2.2 Pratiques questionnantes

Prenons comme exemple, dans une classe de CM2, un « moment philosophique » consacré à « l'animal ». Les questions que nous nous sommes posées :

- Quelle est la différence entre nous et les animaux ? - Pourquoi les animaux ne parlent pas ?

- Est-ce que les perroquets parlent vraiment ? - Pourquoi les animaux ne vont pas à l'école ? - Et pourquoi les enfants y vont-ils ?

Quelques « réponses » qu'on croirait inventées pour nous faire plaisir, en tout cas suggérées par l'anthropomisme de certaines questions.

« La plupart des animaux courent beaucoup plus vite que nous et ont beaucoup plus de poils que nous. Mais ce n'est pas toujours vrai.

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Les animaux ne vont pas aux toilettes, ils font caca par terre et ils sont sales ! Nous, on est civilisés. La plupart des animaux sont sauvages, ils se battent souvent et ils ne laissent personne entrer sur leur territoire ; alors que nous, on s'invite les uns chez les autres et on s'offre des cadeaux. Mais quelquefois quand même, nous aussi on se bat pour notre territoire : quand les Allemands ont voulu prendre la France, c'était la guerre, on s'est battu.

Les animaux ne tombent pas amoureux et ne se marient pas. Leur mariage, c'est d'avoir des bébés, et après c'est fini. Mais quelquefois quand même, ils se marient : on le voit à la télé…

Quand les animaux vont chez le vétérinaire, ils sont dans des cages. Nous, à l'hôpital, on n'est pas dans des cages. On est libres.

A propos des perroquets : ils ne parlent pas vraiment, ils répètent. Nous, on dit ce qu'on veut, sauf les gros mots et les méchancetés qu'on n'a pas le droit de dire. Les perroquets ne sont pas libres de dire ce qu'ils veulent, ils répètent uniquement ce que les hommes leur ont appris.

Les animaux ne peuvent pas aller à l'école car ils ne peuvent pas se mélanger entre eux. Si un lion et une gazelle vont à l'école ensemble, le lion va manger la gazelle. Nous, on peut être tous ensemble : les Blancs, les Noirs, les grands, les petits… ».

« Réponses » qui sont en fait des questions renvoyant à d'autres questions. Les commenter demanderait trop de temps. Elles montrent en tout cas des potentialités de réflexion inexpliquées chez les élèves 5qui peuvent mettre en question l'enseignant, parfois désarçonné, dérouté par des interrogations insolites qui le traversent et le transpercent.

Nos pratiques qui consistent, en stage, à répondre aux « attentes » sollicitées au début, sont ainsi mises en question car le processus « apprendre » les fait évoluer ! Par ailleurs, dans le travail en groupes, les questions les plus intéressantes, minoritaires, ne seront pas retenues. (N'oublions pas que le titre de l'ouvrage de Ph. Meirieu Travailler en groupe se termine par un point d'interrogation.)

Certes notre préoccupation sera d'abord de transformer avec les élèves les questions en « hypothèses » expérimentalement vérifiables. Mais le réel ne peut être « arraisonné » sans reste. Sans énigme, sans un horizon d'inconnu toujours repoussé, à quoi servirait de construire des pyramides de savoir ? La curiosité nous pousse à chercher à la fois le « pourquoi » (voire, comme le voulait Bachelard, le « pourquoi pas ») et non le seul « comment ». La connaissance n'est pas une voie royale sans détour, ni retour. Ainsi prennent toute leur place, sur le chemin du savoir, les questions des apprenants qui mettent en question leurs représentations… et mettent « à la question »

5 Nous avons été témoins de la conversation suivante de deux petits maghrébins de 10 ans travaillant sur l'alimentation :

« — Le riz ça vient d'où ? — Du blé, idiot. — Et le blé ? — De la graine ! — Et la graine, ça vient d'où ? — De la terre ! — Et la terre ? ».

Entendre une telle discussion permet de l'exploiter jusqu'au bout. Il s'agit ici de la recherche d'un « premier moteur » bien connue de ceux qui ont étudié la philosophie au Moyen âge.

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l'enseignant s'il concevait son travail comme un long fleuve tranquille et la vérité comme un avoir qu'on posséderait par devers soi et définitivement.

3. CONCLUSION

Concluons par ce texte :

« Jha finit par leur demander : "Savez-vous ce que je vais vous raconter ?". L'assistance répondant par la négative, il leur dit : "Comment puis-je vous parler de ce que vous ignorez ?".

Le vendredi suivant, les fidèles avaient convenu de ce qu'ils répondraient si Jha essayait de nouveau d'éviter de s'adresser à eux. Après que celui-ci leur eut demandé une nouvelle fois : "Savez-vous ce que je vais vous dire ?", ils rétorquèrent en chœur : "Oui, nous le savons". Jha répliqua : "Mais alors ça sert à quoi de vous le dire ?", et il alla se rasseoir tranquillement parmi l'assistance.

Le troisième vendredi, l'assemblée crut enfin avoir trouvé la réplique qui lui permettrait de forcer enfin Jha à parler. À la question réitérée : "Savez-vous ce que je vais vous dire ?", une moitié des auditeurs répondit "Non" et l'autre moitié s'écria : "Oui". Jha de leur dire alors : "Que ceux qui savent le disent à ceux qui ne savent pas…" ».

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