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’Itinéraires de la faim’ des migrants subsahariens expulsés d’Algérie au Mali

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expulsés d’Algérie au Mali

Clara Lecadet

To cite this version:

Clara Lecadet. ’Itinéraires de la faim’ des migrants subsahariens expulsés d’Algérie au Mali : du rationnement carcéral à l’organisation de la survie. Anthropology of Food, Anthropology of Food, 2010. �hal-01809040�

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Anthropology of food

7  (December 2010)

Migrations, pratiques alimentaires et rapports sociaux

...

Clara Lecadet

’Itinéraires de la faim’ des migrants

subsahariens expulsés d’Algérie au

Mali

du rationnement carcéral à l’organisation de la

survie

...

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Clara Lecadet, « ’Itinéraires de la faim’ des migrants subsahariens expulsés d’Algérie au Mali », Anthropology of

food [Online], 7 | December 2010, Online since 25 December 2010, connection on 09 December 2012. URL : http://

aof.revues.org/6723 Publisher: Virginie Amilien http://aof.revues.org http://www.revues.org Document available online on: http://aof.revues.org/6723

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Clara Lecadet

’Itinéraires de la faim’ des migrants

subsahariens expulsés d’Algérie au Mali

du rationnement carcéral à l’organisation de la survie

« Cette histoire permet aussi de resituer et de rendre raison de comportements imprévus dans les camps, comme les listes de revendications du comité des réfugiés du camp de Boreah, le mouvement des femmes qui bloquent la piste principale du même camp, le geste de ce réfugié libérien qui agresse le délégué du HCR dans sa voiture à Conakry, les hurlements d’une réfugiée sierra-léonaise qui se prostitue dans le quartier très pauvre de Monrovia, West Point, pour moins d’un demi-dollar US la passe et qui crie ‘Arrêtez de faire des enquêtes, donnez-nous à manger !’ »… (Michel Agier, 2008)

«  Aucune justice pour nous, juste un itinéraire avec un traitement d’animaux. Et même, les animaux avaient droit aux repas » (Clariste Soh Moube, 2009 )

1 Depuis le début des années 2000, le débat sur l’externalisation des frontières a mis en évidence

le déplacement des processus de contrôle des frontières depuis l’Europe vers des pays tiers, comme le Maroc, l’Algérie et la Libye. Avec la création en 2005 de l’agence communautaire FRONTEX, l’Union Européenne s’est dotée d’un arsenal terrestre, maritime et aérien,déployé sur les côtes sénégalaises et libyennes pour surveiller et repousser les flux de migrants qui traversent la Méditerranée, et chargé de missions ponctuelles pour limiter l’arrivée des migrants en provenance d’Europe de l’Est. Ces dispositifs de contrôle et de refoulement complètent et renforcent ceux déjà mis en place pour renvoyer dans leurs pays ou dans des pays de transit les étrangers sans-papiers. La mise en cause des conditions dans lesquelles les migrants sont refoulés ou expulsés depuis le Maroc, la Libye ou l’Algérie, a réactivé en lui offrant une configuration relativement nouvelle la question juridico-politique des droits de l’homme, avec la parution de plusieurs rapports relatant ces pratiques et dénonçant la violation des droits, l’arbitraire, les abus et les crimes qui les dominent.

2 Les contraintes que ces dispositifs exercent sur les corps à travers la faim, l’épuisement,

la maladie, en constituent la part cachée, le trauma honteux. Du rationnement alimentaire drastique auquel sont soumis les étrangers dans les prisons algériennes aux modes de survie des expulsés abandonnés à la frontière avec le Mali, l’expérience de la faim émerge comme une donnée anthropologique majeure. Dans les enquêtes menées de juillet 2007 à janvier 2010 sur les lieux et les formes de regroupement des migrants expulsés de l’Algérie vers le Mali, à Tinzawaten et dans les villes de Kidal, Gao, Bamako, au Mali, la faim s’impose comme un des éléments clef de l’expérience vécue par les expulsés, avec la perte des biens et le sentiment d’une déchéance morale qui accompagne ces retours contraints. Avec la faim, l’expulsion apparaît dans sa dimension phénoménologique. Cette approche sensible permet d’entrevoir la nature du pouvoir exercé sur les migrants lors de leur expulsion, mais aussi d’envisager la manière dont ceux-ci s’organisent, que ce soit dans les campements-ghettos informels à la frontière, ou par l’entremise d’associations fondées par d’anciens expulsés pour accueillir les arrivants, protester contre les conditions de leur renvoi, revendiquer des droits. La faim, qui prédomine le déroulement de l’expulsion, reste une inquiétude constante dans la vie incertaine et précaire de l’après-expulsion. Elle apparaît à la fois comme une

expérience radicale mais aussi comme une donnée politique, tant le rationnement carcéral

paraît une composante inhérente du dispositif d’expulsion. Avec l’expression d’itinéraires de

la faim, on cherche à rendre compte des déplacements géographiques liés à l’expulsion et à

l’après-expulsion en même temps que de la souffrance inhérente à ces processus. Il s’agit de montrer la contrainte exercée sur les corps par le dispositif d’expulsion depuis l’Algérie et d’appréhender les ressorts de la survie ainsi que les formes de lien, d’accueil et de solidarité mises en œuvre par les migrants, à travers l’importance croissante prise par la restauration dans l’aide d’urgence aux expulsés et dans l’économie de leurs associations. La faim constitue en outre une interrogation éthique pour la recherche. Les récits au passé, mais aussi l’urgence

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quotidienne de se nourrir de l’après-expulsion, imposent au chercheur de définir une place, qui rende acceptables sa présence et son désir d’investigation.

Du dispositif à l’expérience

3 Les dispositifs aux frontières peuvent être mis en regard avec la notion de dispositif utilisée

par Foucault pour analyser ce qu’il appelle à partir des années 1970 « gouvernementalité » ou « gouvernement des hommes ». Si le modèle du Panoptique est selon Foucault à l’origine de l’institution carcérale, les mesures prises aujourd’hui pour contrôler, arrêter, enfermer et expulser les étrangers sans-papiers semblent marquer l’émergence de dispositifs dont le but n’est plus seulement de surveiller et punir, mais aussi de marquer un territoire, de faire frontière, de gérer des flux de mains d’œuvre, etc. Avec la notion de dispositif, Foucault tente de saisir les formes d’exercice du pouvoir qui se déclinent dans le jeu subtil des discours, des savoirs et des pouvoirs qui modèlent le corps social : stratégies locales qui se manifestent le plus nettement lorsqu’elles exercent une contrainte directe sur les corps. L’asile, la prison, constituaient selon Foucault les lieux emblématiques d’un contrôle social émanant d’une emprise sur les corps. Mais la notion de dispositif avait une portée plus générale que la critique des lieux les plus apparents de l’enfermement pour décrire la manière dont la société regarde, met à nu et finalement règlemente la vie, notamment à travers l’imposition de normes et de discours dans le domaine de la sexualité (Foucault, 1976). Dans Qu’est-ce

qu’un dispositif ? (2007), Agamben tente de faire la généalogie de la notion de dispositif

définie par Foucault et d’en découvrir les significations contemporaines. Il la rapproche de la notion de positivité chez Hegel et d’appareil chez Heidegger, qui désigne par ce terme les dispositions techniques qui s’imposent à l’individu comme un commandement. La notion de dispositif est également associée à l’idée d’une administration divine développée dans la théologie chrétienne ; un régime de pure administration des hommes, détaché de l’Être, au sens philosophique et religieux. Agamben étend la portée foucaldienne du dispositif, pour désigner tout ce qui modèle le comportement humain, depuis les prisons qui enferment, les écoles qui éduquent, les mesures juridiques qui contraignent, jusqu’au portable ou à l’ordinateur qui inaugurent de nouvelles manières de communiquer et contribuent à remodeler les relations entre les personnes.

4 En inscrivant le dispositif dans une généalogie philosophique et théologique et dans la plus

proche modernité, Agamben pose en filigrane la question de la reconfiguration des dispositifs dans le temps. À la fois très ancien et très moderne dispositif !

5 Déjà dans Surveiller et punir, Foucault faisait de l’évolution des dispositifs le cœur de sa

démonstration  : leurs formes et leurs objets sont fonction des préoccupations sociales et politiques qui marquent chaque époque. Les dispositifs se réactualisent en se déplaçant, en se transformant.

6 La situation des migrants expulsés par la police algérienne à la frontière Nord du Mali, montre

comment, une contrainte à l’origine politique, se transforme, par la puissance d’un dispositif, en une pure contrainte sur les corps. Expulsés en plein désert, les migrants font l’expérience de la survie : Tamanrasset-Tinzawaten constitue en effet depuis la fin des années 1990 l’axe majeur d’un dispositif régulier d’expulsion dans la région saharienne, par la constance de l’itinéraire emprunté par les policiers algériens pour convoyer les expulsés, mais aussi par le nombre de convois qui effectuent ce trajet. Chaque convoi se compose de trois à sept camions transportant chacun une quarantaine de personnes, principalement des hommes. Alors que la rébellion touarègue a généré dans les années 1990 un contrôle accru de l’État central malien sur la région qui s’étend de Gao jusqu’à l’Algérie, l’ancien commissaire de Kidal, une petite ville située à environ 350 km au Sud de la frontière algéro-malienne, a pris l’initiative d’enregistrer à partir du début des années 2000 l’ensemble des passages d’étrangers sur un registre, actant ainsi l’arrivée régulière de migrants expulsés dans cette zone. Ils seraient plus de 2000 chaque année. Le Mali, qui ne mène pas une politique restrictive en matière migratoire, ne contrevient pas à l’arrivée des migrants expulsés par voie terrestre d’autres pays (Algérie, Mauritanie, Maroc, Libye), quelle que soit leur nationalité. Cet axe paraît décisif, parce qu’il permet de regrouper en un point central de la région saharienne les migrants

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expulsés d’Algérie, refoulés du Maroc et, à une moindre échelle, de la Libye. Les nationalités les plus représentées parmi les migrants expulsés à la frontière algéro-malienne sont le Libéria, le Ghana, la Gambie, le Cameroun, le Mali, le Nigeria, le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger. La majeure partie des expulsions concernent des hommes, mais des femmes, souvent originaires du Nigeria, du Liberia ou du Cameroun, figurent aussi dans ces listes.

7 Ces expulsions collectives ne semblent pouvoir être appréhendées en dehors de ce qu’elles

produisent  ; des expériences, qui trahissent le régime à la fois individuel et collectif qui pèse sur les corps. Le dispositif pose in fine la question de la production du sujet : « Au développement infini des dispositifs de notre temps correspond un développement tout aussi infini des processus de subjectivation » (Agamben, 2007 : 32-33). Parmi les instances qui se succèdent pour opérer une expulsion, il y a sans doute des décisions politiques, une justice et/ou une police, toutes autorités qui dans leur généralité ne laissent que peu entrapercevoir les contraintes matérielles auxquelles les migrants sont confrontés. Au final, comme en écho aux analyses de Sayad sur le corps de l’immigré qui ne compte pas (Sayad, 1999), le corps est oublié. Peut-être gagnerions-nous à reprendre l’histoire d’une expulsion par le détail ; par la description concrète de tout ce qui, mis bout à bout, a transformé les « aventuriers » en hommes amaigris, fatigués à l’extrême, qui peinent à se reconnaître dans les photographies où ils prennent la pose, confiants et encore pleins d’espoir, dans les lieux qui ont marqué le voyage de l’aller ; dormir à même le sol, être transféré de prison en prison, manger si peu tout au long de ces étapes de l’enfermement que le terme de l’expulsion en a fait des hommes presque morts. Le rationnement se présente comme un trait du dispositif d’expulsion depuis l’Algérie, parmi d’autres techniques de coercition qui rendent les corps captifs et les sujets dociles. Le contexte particulier du désert saharien, en plus de compromettre les chances de survie dans cette zone, rend l’entreprise du retour extraordinairement compliquée. Les transports sont rares et coûteux. Les expulsés sont fatigués, quand ils ne sont pas malades. Le dispositif qui mène à leur expulsion ne commence pas à Tamanrasset, d’où partent les convois, mais dans les différentes villes d’Algérie, où ils ont été arrêtés puis transférés de dépôt d’étrangers en dépôt d’étrangers jusqu’à être acheminés et rassemblés à Tamanrasset, d’où ils seront finalement expulsés.

8 Les récits1 que les migrants font après coup de ces différents transferts, un processus qui s’étend

sur une période pouvant aller jusqu’à deux ou trois semaines, ressemblent à de véritables

itinéraires de la faim. La souffrance alimentaire scande chaque étape de ces parcours. La

rareté de la nourriture ou le dégoût suscité par la distribution de produits périmés, reviennent de façon récurrente dans les récits sur les conditions de détention en Algérie, les transferts successifs, la durée de la période qui précède l’expulsion à Tinzawaten, les traitements infligés par la police algérienne. Les mots sont sans emphase mais précis, lorsqu’il s’agit d’évoquer les traitements subis et ils donnent à entendre une expérience brute et minimale, qui se résume le plus souvent en une ration : un carton de lait et cinq pains sont distribués avant le départ, tôt le matin, à chaque groupe de cinq personnes dans les camions qui les emmènent à la frontière Nord du Mali. Le récit2 qu’Abdelkader a fait de son expulsion d’Algérie, dans les locaux de

l’Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali (ARACEM)3 à Bamako, ressemble à

une litanie de la faim. Il décrit la carence organisée qui a marqué chaque étape du processus d’expulsion, depuis son arrestation à Oran jusqu’à son expulsion à Tinzawaten. Ce n’est ni dans les termes d’une revendication, ni par l’évocation des violences subies qu’il raconte son expérience, mais en relatant de manière quotidienne et concrète le rationnement carcéral :

« Je voudrais que l’Union Européenne vienne voir comment les Algériens refoulent les immigrés, on est traité moins que des animaux. D’abord la nutrition, ils donnent deux pains par jour par personne. À Oran, je suis resté deux jours en cellule sans qu’ils me demandent si j’ai mangé ou pas. Ils m’ont transféré à Mostaganem, où j’ai passé deux jours sans manger. À Mostaganem, après deux jours sans manger, transfert encore dans une autre ville qu’on appelle Relizane… deux jours, là ils m’ont donné un petit bout de pain avec une sauce que je ne connaissais même pas, je n’ai même pas mangé parce que je ne sais même pas ce que c’est. Je ne pouvais pas manger parce que je savais pas ce que c’était, un petit bout de pain là, on a mis la sauce, la sauce c’est comme de l’huile. Moi, quand je ne connais pas, je peux pas manger, je reste comme ça. À Ghardaïa, on a pu manger, ils m’ont servi du pain avec de la pâte de pommes. Cinq jours à In Salah : on

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dort au sol, y a pas de matelas, rien, et pour la nutrition, par jour deux pains chacun avec du lait périmé, plusieurs personnes ont attrapé le mal de ventre. À Tamanrasset, toujours la même chose, du lait périmé, c’est tout ce qui sera mangé : une fois par jour ils donnent à manger à 14h, à 14hils donnent deux pains et un peu de lait, le lendemain même chose, on est restés trois jours à Tamanrasset. Sans la Croix Rouge Malienne, je serais mort, c’est à la Croix Rouge que je suis allé me présenter, elle nous a servi à manger, là-bas il n’y a rien à manger, c’est la Croix Rouge qui donne à manger aux gens pour pouvoir tenir un peu. La Croix Rouge nous a ramenés jusqu’à Gao et c’est l’ARACEM qui a pris la suite ».

9 Les rations de nourriture distribuées dans les centres de détention en Algérie sont à peine

compensées par la possibilité de cantiner dans certaines villes des denrées onéreuses et dont l’achat établit un partage impitoyable entre les migrants qui ont encore un peu d’argent et ceux qui n’ont plus rien. Cette distinction prévaut à chacune des étapes du processus d’expulsion et agit sans doute comme un facteur décisif en ce qui concerne les ressources matérielles et morales dont chacun dispose pour pouvoir tenir. Il existe aussi des partages, des solidarités, certains migrants rapportent l’existence de gestes ponctuels de la part des policiers qui les surveillent et les convoient. Pourtant, ce qui prédomine à la fois dans les récits des migrants et de ceux qui les accueillent dans les différentes villes du Nord du Mali, c’est la faim qui tenaille ces hommes et ces femmes, à l’issue de ce long processus.

10 Ibrahima Ousmanou, un des deux permanents camerounais de la Maison du migrant à Gao, qui

accueille régulièrement des groupes de cinquante migrants expulsés d’Algérie et transportés jusqu’à Gao par la Croix Rouge Malienne, raconte que « Les refoulés, leur premier souci,

c’est de manger d’abord. Dès leur descente du camion, il y en a qui pleurent que ‘non, non, on a faim ! »4. Il se rappelle de cet homme nigérien arrivé avec le premier convoi de la Croix

Rouge que la maison du migrant de Gao a reçu après son ouverture en mars 2009, et qui, au moment de l’enregistrement administratif, n’arrivait pas à parler, se contentant d’honorer ses hôtes d’une sorte de salut militaire : « Il avait faim. Il n’arrivait pas à parler. Dès qu’il a

mangé, il s’est couché et il s’est endormi. Le lendemain matin, il a donné son nom ».

Survivre, se nourrir

11 Le caractère régulier des convois depuis l’Algérie produit un flux sporadique de groupes qui,

une fois arrivés sur le lieu de leur expulsion, vont devoir s’organiser pour survivre, prendre la route du retour ou attendre à la frontière dans l’espoir de repartir vers l’Algérie. La question de la subsistance se pose de façon aiguë dans ce contexte. À la coercition exercée à l’encontre des migrants lors du processus d’expulsion succède une lutte pour la survie. Le retrait du dispositif policier fait place à des contraintes matérielles extrêmes qui font de l’hypothétique voyage du retour un processus fragmentaire, différé, parfois impossible. L’expulsion se transforme en une expérience de la survie. Les migrants expulsés en plein désert par les autorités algériennes luttent pour ne pas mourir. En même temps, les conditions et les modes de leurs regroupements dans ce lieu abandonné aux abords de la frontière prend d’emblée un caractère politique. Les groupes emmenés à Tinzawaten par la police algérienne, reforment immédiatement, dans un îlot de maisons en ruines séparé de l’Algérie par un oued asséché, des micro-communautés nationales. La terminologie qu’emploient les migrants pour décrire cette zone peut surprendre, puisqu’il est question de « Présidents », de «Ministres », mais aussi de « coups d’Etat », de « guerre civile », bref d’une organisation qui comporte toutes les fonctions et les tensions propres aux schèmes politiques traditionnels. Ces micro-communautés nationales, éphémères, s’emplissent et se désemplissent, se forment et se défont, au gré des arrivées et des départs. Leur structure perdure, des traces de leur existence fragile restent, notamment à travers des registres où chaque chef de ghetto inscrit les arrivées et les départs ; lorsqu’un ghetto se vide, le registre est confié à un autre chef de ghetto qui le remettra aux migrants de la nationalité concernée lors d’un prochain convoi. Ces micro-communautés dénotent l’institution d’un ordre propre aux migrants, sur le lieu même de leur rejet et de leur plus tragique relégation. Dans ce temps et cet espace de l’après expulsion, des réseaux se sont organisés à l’échelle régionale. Les migrants occupent une place centrale dans ces dispositifs d’aide et de survie, destinés à accueillir et à faciliter le retour au pays mais aussi, de façon plus discrète, à préparer les conditions d’un nouveau départ vers l’Algérie.

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12 On observe différents types de lieux dans ces parcours souvent erratiques de l’après expulsion :

le ghetto de Tinzawaten situé sur la zone frontière où la police algérienne décharge les expulsés, les foyers tenus par d’anciens migrants dans la ville de Kidal par laquelle transitent tous ceux qui veulent aller à Bamako et/ou retourner dans leurs pays d’origine, la Maison du migrant à Gao, le ghetto de Magnambougou à Bamako qui abritait jusqu’à son évacuation en octobre 2009 de nombreux ressortissants du Cameroun et d’Afrique Centrale expulsés d’Algérie, les lieux d’accueil pour les expulsés ouverts par différentes associations à Bamako (Association Malienne des Expulsés, Association Retour Travail et Dignité, Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali, Association Tounkan Tè Danbé Don) et dans les régions. Cette prolifération de lieux généralement conçus par et pour les migrants (à l’exception des maisons de passeurs, qui, notamment à Gao, sont tenues par des locaux), qu’ils soient officiels ou non, ouverts ou plus fermés, témoignent d’une capacité à s’organiser pour contrer les effets les plus dramatiques de l’expulsion mais leur précarité même en fait des lieux dont la durée de vie est incertaine. Une accumulation de loyers impayés peut obliger tel ghetto à fermer, quand ce n’est pas le propriétaire qui exige de reprendre son bien, comme on le verra par la suite avec la fermeture du ghetto des refoulés d’Afrique Centrale du quartier de Magnambougou à Bamako. Dans ces lieux, la question de la subsistance est centrale mais elle se pose différemment selon les modes d’organisation propres à chacun d’eux.

13 Dans les ghettos5 situés à la frontière, les migrants se regroupent généralement par nationalités

pour assurer leur subsistance. La plupart sont exténués, ont faim, certains sont gravement malades. L’approvisionnement dépend uniquement du village algérien voisin. Les membres des ghettos franchissent à pied la frontière pour acheterà quelques kilomètres de là les denrées nécessaires à la préparation des repas. Un chairman (ghetto nigérian), un general (ghetto libérien), des chefs de ghetto (ghettos maliens et camerounais), président ces micro-groupes éphémères générés par le processus d’expulsion depuis l’Algérie, et un système de collecte et de cotisation aide à rassembler l’argent nécessaire à l’achat des vivres. Dans le ghetto libérien, c’est le ex-force ou food supplier qui va faire les courses au marché dans le village algérien et qui prépare les repas ; il est démis de ses fonctions en cas de « corruption » (détournement de l’argent destiné à l’achat des vivres). Les repas sont organisés collectivement mais presque toujours par affiliation nationale, tandis que le ghetto nigérian, particulièrement organisé (il jouit d’une structure relativement pérenne, dans la mesure où les migrants s’en servent de base pour repartir ensuite en Algérie), est réputé pour avoir son propre restaurant et sa propre buvette. Cette capacité des individus à se mobiliser pour assurer leur survie dans cette zone est à la mesure de leur abandon et de leur isolement.

14 Ceux qui rejoignent Kidal grâce aux convois de la Croix Rouge Malienne ou par l’entremise de

transporteurs privés (tous les véhicules sont conduits par des chauffeurs Tamasheks), résident en général dans des foyers de migrants, qui servent de lieux de transit pour ceux qui partent mais aussi de refuges pour ceux qui ont été expulsés. L’organisation par nationalités est moins marquée qu’à la frontière, même si elle reste un facteur important de regroupement (le foyer sénégalais de Kébé, un Sénégalais installé à Kidal, le ghetto camerounais de Gao par exemple). Dans ces foyers, dont certains ont leurs propres activités (cuisson du pain dans un foyer qui a fermé en 2008, mais aussi petit commerce et trafics en tout genre), chacun cherche dès l’aube une tâche journalière, qui permettra de se payer à manger pour la journée. Vers 6h du matin, on voit beaucoup de migrants sortir des foyers, armés d’une pelle ou d’une pioche, et s’en aller travailler sur un des chantiers de la ville. La recherche de nourriture s’inscrit dans un temps aussi court que les besoins sont immédiats. Privés par l’expulsion de leurs effets personnels, ayant épuisé l’argent emporté avec soi pour financer le voyage – dépensé, volé sur la route ou « confisqué » au moment de leur arrestation –, ils sont dans une situation de dénuement où manger et trouver un transport pour rejoindre la ville prochaine figurent parmi les priorités.

15 Après l’expulsion, l’intervention humanitaire a longtemps occupé une place marginale par

rapport aux modes d’organisation propres aux migrants. Les retours assistés, notamment par le biais de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), représentent une quantité négligeable par rapport au flux continu des expulsions depuis l’Algérie. À Gao, seule l’action constante du père Anselme de la Mission catholique6 est saluée depuis plusieurs années par

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les migrants, qu’il soigne, qu’il nourrit et dont il finance occasionnellement le retour au pays, grâce à un budget alloué par le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD). Le père Anselme, qui se rend parfois à Kidal et à Tinzawaten, transporte à chacun de ses voyages à la frontière des sacs de riz : « Là-bas, ce n’est pas la peine d’y aller les mains

vides » explique-t-il. Dans cet état bien en deçà du droit, toute analyse en termes de violation

des droits humains, toute référence à des conventions internationales, paraît presque dérisoire par rapport à l’urgence de celui qui a faim. Si la Croix-Rouge malienne effectue depuis avril 2009 une mission d’assistance auprès des expulsés de Tinzawaten, auxquels elle a apporté des nattes et qu’elle ramène par groupe de cinquante personnes dans les villes de Kidal et de Gao, les migrants ont été contraints depuis longtemps à trouver des formes d’entraide et d’auto-organisation. Dans un champ où l’intervention humanitaire reste modeste et entachée de soupçons de corruption, ce sont des solidarités inhabituelles qui voient le jour. Certains migrants racontent ainsi qu’il arrive que les militaires maliens d’une caserne proche de la frontière donnent des vêtements ou partagent leur nourriture.

Migrants, humanitaires, chercheurs : qui est l’étranger ?

16 Le modèle humanitaire, dans son acception et sa forme occidentales, faisait encore récemment

l’objet d’une vive hostilité de la part des migrants réunis après l’expulsion dans ces lieux qu’ils nomment, soit des foyers, lorsqu’ils sont sous la responsabilité d’un tiers, soit des

ghettos, lorsqu’ils sont soumis en interne à un mode de gestion collectif. En février 2009,

les expulsés originaires d’Afrique centrale (tous non Maliens) rassemblés dans le ghetto de Magnambougou à Bamako, avaient décidé collégialement de fermer l’entrée de leur immeuble à tous les étrangers, après avoir fait l’expérience amère de plusieurs visites d’ONG avec leur corollaire de promesses non tenues. Une anecdote avait contribué à entériner ce rejet: deux visiteurs de la Croix Rouge malienne venus sur le site avaient donné une pommade à un habitant souffrant d’une irritation de peau chronique mais avaient refusé de lui donner 500 CFA pour manger. Les habitants du ghetto se demandaient a posteriori7 comment pouvait se

justifier qu’on dissocie ainsi les soins apportés au corps du besoin élémentaire de celui qui a faim. Un témoin de la scène avait alors lancé « C’est de la merde, vous venez, vous partez » et après coup les habitants du ghetto avec lesquels je m’entretenais, commentaient : « Ils

donnent un produit pour l’urticaire, mais tu fais quoi si tu n’as pas à manger […] Si tu vas compter sur ces gens, tu vas mourir dans ton rêve ». L’incursion des medias, des humanitaires,

mais aussi de certains représentants politiques dans ce lieu où les gens vivent difficilement, a suscité une colère proportionnelle à l’espoir qu’elle avait généré. Les promesses de certains représentants consulaires de construire des maisons de recasement, d’accueil pour les refoulés et les expulsés, sont restées sans suite et l’aide du Comité International de la Croix Rouge (CICR), qui est d’abord venu recueillir les doléances des habitants du ghetto puis a apporté quelques moustiquaires, des sacs de riz ainsi qu’un peu d’argent pour l’achat des ingrédients, était jugée dérisoire et rapidement balayée d’un sourire. En comparaison, l’aide apportée par les réseaux musulmans qui encouragent le prosélytisme par le biais de la charité, jouissait d’un plus grand crédit. Trois bœufs vivants avaient ainsi été offerts aux résidents du ghetto pour célébrer la fête de la Tabaski, et ceux qui se convertissaient à l’islam (les camerounais qui étaient majoritaires dans le ghetto étaient en général catholiques), recevaient des dons de fidèles à la mosquée et pouvaient trouver un parrain qui assurait les trois repas de la journée et prenait en charge les soins médicaux en cas de nécessité. Au reproche fait quant à la discontinuité et à l’inconsistance de l’offre apportée par les humanitaires, s’ajoutait une suspicion systématique sur le profit réalisé sur leur compte ; entre le business humanitaire et l’argent des medias, l’un d’entre eux résumait ainsi l’indignation collective : « Vous venez

vous faire de l’argent avec notre vie et nous on reste seuls ».

17 L’enquête anthropologique n’échappe pas à ce reproche, et elle impose de renouer avec

des usages de la convivialité qui permettent d’établir un cadre propice à l’échange. Les situations d’urgence aigue que vivent les migrants expulsés, font apparaître la démarche anthropologique, généralement associée à celle des journalistes et des ONG qui viennent seulement pour voir, questionner, photographier, constituer des rapports sans fournir aucune

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aide, comme une violence supplémentaire (Agier, 2008). La confrontation entre l’état d’abondance dans lequel se trouvent les enquêteurs et l’état de misère, d’incertitude et d’errance des migrants après l’expulsion, fait ressortir de manière tragique et douloureuse les raisons politiques et la partition géographique à l’origine de ces évictions. L’investigation de terrain de l’anthropologue, tout comme l’intervention humanitaire, même quand elle dispose de modes de représentation locales, sont souvent perçues comme une intrusion étrangère dans des situations de misère sociale et morale générées par les politiques occidentales. Sur le terrain, j’ai souvent été interpellée sur la politique migratoire menée par la France, et il n’est pas rare que dans leurs analyses, les migrants ainsi que les militants des associations d’expulsés, établissent un lien entre les formes de répression actuelles des sans-papiers et l’oppression vécue sous le colonialisme.

18 Las de toujours conter la même histoire sans profit, les habitants du ghetto exprimaient en outre

leur réticence à montrer des conditions de vie dégradantes, qui constituaient aussi une intimité qu’ils voulaient garder secrète. L’image d’eux-mêmes et le sentiment d’échec auxquels le ghetto les confrontait, étaient vécus douloureusement, augmentant encore l’aspiration à un ailleurs et à un avenir meilleurs. Ousmane, un camerounais de 22 ans qui s’était converti à l’islam pour faciliter son voyage vers le Maroc et qui vivait dans le ghetto depuis trois mois lorsque je le rencontrai en février 2009, racontait qu’il refuse qu’on le filme car « il en va

de la dignité de tout à chacun. […]. Je ne veux pas que ma famille me voit comme ça » et il

imaginait : « Si un jour je suis milliardaire, j’aimerais raconter à un enfant que j’ai demandé

de la nourriture pour manger, il ne croira pas et pourtant ce sera vrai ».

19 Fermé aux étrangers à l’issue d’une décision collégiale, l’accès au ghetto était en partie régulé

par les responsables de l’Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali (ARACEM), qui constituait une sorte d’interface entre la société civile et la situation cachée du ghetto. Le compromis auquel je parvins avec eux était que je rencontrerai, dans les locaux de l’association, des habitants du ghetto, auxquels je devais donner quelque chose en contrepartie. Cet arrangement se conclut, sans qu’il fût nécessaire d’en discuter très longuement, autour de la nourriture. Comme les entretiens avaient lieu le matin, j’apportais des viennoiseries et des boissons et je laissais de l’argent pour le déjeuner ; à la fin de mon séjour, nous nous sommes retrouvés pour dîner dans la pension où je logeais. Ces échanges réels et symboliques autour de la nourriture permirent de dépasser le premier refus d’enquête. Ces formes de conversation et de partage ressemblaient d’avantage à une relation entre convives (qui peuvent l’espace d’un repas se livrer à des conversations riches sans être engagés dans une relation dans le temps) qu’à une relation d’enquêteur à enquêtés, et une forme de respect et d’écoute mutuelle s’est assez vite installée. Il suffit parfois d’une tournée, d’un repas offert ou préparé, pour que les réticences s’estompent et qu’il devienne possible de parler d’une situation pourtant précaire et de la nourriture en particulier comme d’un sujet, d’une préoccupation vitale, mais un moment mise à distance par le cadre créé. Les habitants du ghetto regrettaient la monotonie des sempiternels plats de riz en sauce servis au Mali. La nourriture camerounaise (pays dont ils étaient pour la plupart originaires), la variété de ses ingrédients, la prépondérance des tubercules dans les mets cuisinés, étaient devenues l’expression de leur nostalgie. Les ingrédients introuvables au Mali augmentaient leur désarroi.

20 Le 19 octobre 2009, le ghetto a été fermé. La propriétaire souhaitait récupérer un bien qu’elle

jugeait dégradé par l’occupation d’une population indigente. Ce lieu, emblématique d’une capacité d’auto-organisation des expulsés en terre étrangère, se présentait en même temps comme une poche de fixation des migrants refoulés en transit, gênante pour les pouvoirs publics. L’évacuation de ce lieu a coïncidé avec la restructuration des associations engagées sur la question de l’accueil des expulsés, par le financement du Centre d’Information et de Gestion des Migrations (CIGEM), implanté à Bamako. Ce projet pilote financé par l’Union Européenne entend contribuer à l’harmonisation des politiques migratoires et à la gestion concertée des flux migratoires entre l’Europe et l’Afrique. Vivement critiqué, depuis son inauguration en 2008, par des personnalités de la société civile malienne comme Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la culture et intellectuelle influente, et Ousmane Diarra, président de l’Association Malienne des Expulsés (AME), le CIGEM, en finançant

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des initiatives locales, semblait à la fois soutenir et engager une «  politique d’accueil  » des expulsés, de nature à atténuer les critiques radicales portées aux différents dispositifs d’expulsion en Europe et en Afrique.

21 L’année 2009 semble ainsi avoir marqué un tournant dans les modes de prise en charge.

«  L’après-expulsion  » est apparue comme une question politique à part entière, dans le prolongement de celle des sans-papiers. Politiques et humanitaires tendent à investir ce domaine, jusque-là dominé par des modes d’organisation et de survie propres aux migrants. Des ONG européennes appuient financièrement des associations d’expulsés. L’Association Malienne des Expulsés, née en 1998 d’une initiative pionnière en termes de rassemblement des migrants expulsés, et qui constitue aujourd’hui le fer de lance des mobilisations contre les expulsions au Mali, reçoit ainsi un financement annuel de la Cimade (Comité Inter Mouvements Auprès Des Evacués, association française créée en 1939) et des financements ponctuels de Medico International (ONG allemande fondée en 1968) et de Helvetas (ONG de développement suisse fondée en 1955). L’AME conjugue des actions d’accueil concrètes avec un positionnement radicalement politique, qui consiste à porter avec des collectifs de sans-papiers en France des revendications précises sur le recouvrement des cotisations versées par les sans-papiers durant leur séjour et sur lesquelles l’expulsion leur fait perdre tout droit.

22 La mise en place d’une antenne de Médecins du Monde (ONG française fondée en 1980) à

Bamako depuis septembre 2009 ainsi que les résolutions prises par la Croix Rouge malienne pour assister les expulsés d’Algérie à Tinzawaten, semblent par ailleurs signer le début d’une mobilisation nouvelle de l’humanitaire. Le 14 avril 2009, un convoi de 200 personnes transportées par sept camions de police, arrivait à Tinzawaten ; depuis cette date, la Croix Rouge malienne a effectué treize voyages pour ramener des migrants expulsés. L’ONG effectue avec l’un de ses camions des allers-retours entre la frontière algéro-malienne et Gao. Les expulsés peuvent en principe bénéficier d’une aide financière pour rentrer dans leur pays, par le biais de la Maison du migrant situé à Gao. La plupart ne font pas ce choix, préférant, même exsangues, affronter un nouveau départ, ou vivre en transit dans une ville malienne. La mission de la Croix Rouge malienne vise moins à assurer la subsistance que le transport, en réacheminant les migrants vers des villes plus importantes comme Kidal et Gao. Les sacs de riz, de couscous ou de pâtes apportés ponctuellement par le personnel de la Croix Rouge malienne depuis Gao sur le lieu d’arrivée des expulsés à Tinzawaten, ne couvrent pas les besoins en nourriture des différents ghettos. L’ONG n’étant pas installée sur place – seule une petite tente inoccupée symbolise la mission qu’elle remplit sur place –, elle ne se supplante pas à la gestion collective de la subsistance par le biais des ghettos. La cotisation de 500 CFA versée quotidiennement par les membres des ghettos sert à faire les courses dans le village algérien voisin. L’argent étant néanmoins difficile à collecter (ceux qui ne peuvent pas payer leur cotisation ne sont pas pour autant exclus des repas collectifs), les repas se limitent en général à du riz ou à du couscous agrémentés d’une sauce toute prête. Les migrants consomment aussi des dattes, un aliment énergétique et bon marché. L’assistance de la Croix Rouge malienne n’entre pas réellement en tension avec l’organisation des migrants expulsés à la frontière, même si certains dénoncent la corruption générée par l’intervention des humanitaires qui monnaieraient le transport des expulsés vers Kidal et Gao, quand d’autres saluent la Croix Rouge malienne qui les a aidés à sortir de l’enfer de Tinzawaten et encouragent ce type d’initiative.

23 Certes, la spécificité des solidarités initiées par les migrants consiste à inventer, par delà

les pratiques d’expulsion, un ordre propre, à travers des formes de réorganisation collective, précaire et éphémère comme dans le ghetto de Tinzawaten, mais aussi à travers des associations pérennes, désormais installées, comme l’Association Malienne des Expulsés. Avec l’ouverture de la Maison du migrant de Gao en mars 2009, il semble que ces deux logiques – la logique d’auto-organisation des migrants et la logique humanitaire – aient fini par converger, concourant à définir des stratégies d’action commune. La Croix Rouge malienne prévient ainsi la veille la Maison du migrant de Gao de l’arrivée de cinquante personnes et donne directement aux responsables de la maison un chèque qui correspond à la ration alimentaire de 50 migrants (soit 2500 CFA par personne – environ 4 euros), qui doit

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couvrir la préparation de trois repas (petit déjeuner, déjeuner, dîner). On achète un mouton à chaque nouveau convoi, on le tue et on le découpe, avant de le cuisiner avec la sauce d’arachide et de la sauce tomate. Amadou Bazi Diallo, le cuisinier de la Maison du migrant, un Malien qui a longtemps travaillé au Niger comme employé de cuisine auprès de personnels d’ambassades, raconte « Avant qu’ils arrivent, le manger est déjà prêt » et explique que tout le monde mange ensemble, dans la pièce centrale de cette structure d’accueil. On distribue des assiettes en plastique, les uns et les autres mangent à la main ou avec une cuillère, selon les habitudes alimentaires contractées dans le pays d’origine. Tandis que la Maison du migrant est financée et soutenue par la mission catholique de Gao, à travers des budgets du Comité Catholique contre la Faim et le Développement (CCFD) et du Secours Catholique, la prise en charge alimentaire ponctuelle des groupes de migrants expulsés ramenés par la Croix Rouge, est assurée par la Croix Rouge elle-même. Cette diversité de financements ainsi que le caractère relativement original de cette structure, qui est cogérée par plusieurs associations d’expulsés (Association Malienne des Expulsés, Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali, Direy-Den) et d’aide aux expulsés (Aide Mali), montrent l’entrelacs croissant entre des initiatives locales, propres aux migrants qui ont vécu un parcours d’expulsion, et des formes d’assistance humanitaires et religieuses plus classiques.

Le restaurant : entre réparation, réinsertion et quête

d’autonomie

24 Dans ce contexte d’urgence et de précarité, le restaurant ressemble fort à une utopie. À Kidal

pourtant, où transitent la plupart des migrants expulsés d’Algérie, Modibo Diakité8, un peul

originaire de la région de Bamako, s’est engagé après son expulsion d’Algérie en 2003,dans l’aide à ceux qu’il nomme ses « frères expulsés ». À son retour d’Algérie, il a connu des jours de misère et d’incertitude mais il a aussi expérimenté la bonté de certains habitants, qui l’ont alors recueilli et nourri. Il fait partie de ces migrants qui se sont installés dans une zone relativement proche du lieu de leur expulsion. Son épouse l’y a rejoint avec ses deux premiers enfants, deux autres enfants sont nés à Kidal. En tissant progressivement un réseau de relations à l’intérieur de la ville, il a obtenu que la commune lui prête une maison en ruines, dans laquelle il a établi un foyer, qui abrite pour une durée variable des migrants expulsés en transit. À la différence des autres foyers de la ville, qui servent de lieux de passage sur la route des migrants vers l’Algérie, ce foyer ne reçoit que des expulsés. Modibo Diakité a en outre porté et mis en œuvre la construction et l’ouverture d’un restaurant et d’une boutique. Ce restaurant, d’abord conçu comme une activité connexe du foyer, privative et lucrative, est devenu au fil du temps un espace de transition essentiel entre le foyer comme espace de marginalité et de ghettoïsation où les migrants vivent souvent en situation d’impasse, de blocage et de désespérance, et la vie de la ville. Le restaurant a longtemps constitué un lieu d’approvisionnement à crédit qui permettait de ramener des vivres (sacs de riz, sauces, condiments, etc.) dans la cour du foyer où chaque jour, collectivement, la plupart des résidents cuisinaient et mangeaient.

25 L’activité de Modibo Diakité a bénéficié d’une reconnaissance croissante, auprès des autorités

locales mais aussi auprès des organisations internationales, comme le Centre d’Information et de Gestion des Migrations (CIGEM) et l’Organisation des Migrations Internationales (OMI), situées à Bamako. L’association qu’il a formée en son propre nom, bénéficie depuis octobre 2009 d’un financement du CIGEM, qui a sensiblement transformé les formes de restauration rattachées au foyer. La distribution des repas est désormais gratuite et fait partie des missions de l’association  : l’épouse de Modibo Diakité cuisine les trois repas de la journée pour l’ensemble des résidents dans une maisonnette qui fait face au foyer. Le restaurant proprement dit sert surtout aux groupes d’expulsés arrivant en soirée de la frontière algérienne : un jeune Gambien expulsé en novembre 2009 gère le restaurant et cuisine pour les groupes de nouveaux arrivants.

26 Le restaurant est un lieu symbolique : il offre un moment de repos, de réparation après les

épreuves, c’est aussi un espace de rencontre, de discussion et de partage. C’est là qu’on reprend des forces et que l’on se raconte les histoires du voyage, certaines tristement répétitives, d’autres cocasses, hilarantes. Le restaurant est synonyme en outre de réinsertion : il permet

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à ceux qui ont été expulsés de monter un projet avec un budget relativement modeste et de trouver des formes d’installation durable dans la zone même de leur expulsion. C’est le cas du restaurant de Doris, une Nigériane installée à Gao après son refoulement du Maroc vers l’Algérie. Si son restaurant est vite devenu un lieu prisé et sert une clientèle très large, il sert aussi de point de repère et de lieu de rendez-vous pour les expulsés nigérians qui retrouvent là les plats du pays. Le restaurant est emblématique, enfin, d’un type d’initiative propre aux migrants, qui tissent des solidarités indépendantes de l’intervention humanitaire.

27 La restauration a pris une place croissante dans les activités des associations d’expulsés. Elle

vise à nourrir les migrants expulsés mais aussi à soutenir l’économie de ces associations. Leur autonomisation par rapport aux fonds des bailleurs privés (en général des ONG ou des institutions gouvernementales) est devenue la condition principale de leur pérennité. Les associations cherchent ainsi des activités secondaires (transport, nourriture), qui constituent une source de revenus fixes. Mais il y a aussi derrière la mise en place de ces nouvelles sources de revenus une volonté de favoriser la réinsertion des expulsés, un aspect de plus en plus présent dans les préoccupations explicites de l’Association Malienne des Expulsés (AME) et de l’Association Retour Travail et Dignité (ARTD), qui siègent à Bamako. Ces activités apparemment connexes posent la question de la viabilité de ces associations et de leur indépendance financière. Assurer le gîte et le couvert de ceux qui viennent d’être expulsés, trouver une alternative à la dépendance financière vis-à-vis des bailleurs, réinsérer des expulsés dans les activités créées  : la question de l’alimentation est à la croisée des objectifs des associations en terme d’accueil temporaire des expulsés mais aussi pour ce qui concerne leur besoin d’autonomie et de stabilité.

28 Le restaurant ouvert par l’AME le 27 janvier 2010, à proximité des locaux de l’association,

dans le quartier de Djélibougou à Bamako, en constitue un exemple. Il s’agit de montrer que les associations ne s’en tiennent pas à des revendications souvent jugées stériles en termes de droit, ou à une simple protestation contre les politiques existantes, mais qu’elles sont aussi capables de proposer des formes de réinsertion aux expulsés. Le restaurant, baptisé Hand in

hand, a été ouvert grâce une attribution de 8000 euros par Medico International. Les mets sont

préparés le matin dans la cuisine de l’AME, où se trouvent les casseroles, les ustensiles, un réchaud à braises, un évier. Une fois prête, la nourriture est placée dans des plats en inox et dans d’imposantes bassines en plastique, couverts et emmenés par la cuisinière et son aide dans le restaurant tout proche, où les clients sont servis à partir de 13h. Le menu comprend des plats variés, comme le tô, le riz yassa et le tieb, le saka saka, l’attiéké, la sauce aux oignons ou la sauce fakoï… dans la pratique cependant, c’est le plus souvent entre deux plats que les clients du restaurant peuvent choisir. Le menu, qui repose sur un principe de sélection individualisée pour le consommateur, contraste avec la préparation collective des plats qui prévaut encore à l’intérieur des familles et dans les formes de restauration locales traditionnelles, où les clients paient une part prélevée sur un plat commun. Le menu affiche des possibilités mais c’est la cuisinière qui, pour des raisons de commodité et de quantité, décide chaque jour ce qu’elle servira. Si l’AME dispose d’un restaurant s’adressant à une clientèle large, chacune des associations disposant à Bamako d’une structure d’accueil pour les expulsés, a sa cuisine et la préparation des repas fait partie du cahier des charges, à chaque nouvelle arrivée, notamment dans le cadre des expulsions collectives d’Espagne ou de Libye. La restauration se présente par conséquent comme une réponse originale à la question de la survie des migrants posée par la régularité des expulsions terrestres depuis l’Algérie, mais aussi, plus généralement, des expulsions individuelles et/ou collectives depuis l’Europe ou la Libye. S’agissant du contexte malien, elle est révélatrice d’une capacité de mobilisation des expulsés pour organiser les conditions de leur survie et d’invention de contre-dispositifs.

29 Dans un article intitulé « Le sujet et pouvoir », Foucault nuance et complète ce qu’il a théorisé

avec la notion de dispositif. À la prégnance des dispositifs, il adosse la capacité toujours intacte des individus de lutter, de mettre en place des stratégies qui limitent les contraintes que les diverses formes d’exercice du pouvoir imposent sur leur vie. En d’autres termes, l’exercice du pouvoir est inséparable de cette liberté inaliénable par laquelle les individus peuvent non seulement contester le pouvoir mais aussi instiguer des « contre-feux » qui permettent

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d’atténuer les conséquences les plus dramatiques du rapport de force. Il ne s’agit pas ici de mettre sur un même plan le dispositif d’expulsion, qui requiert la force d’Etat, et les modes de survie des migrants expulsés à la frontière, ni même de suggérer une équivalence entre une politique étatique répressive sur les questions migratoires et les revendications, fussent-elles véhémentes et influentes, portées par les associations d’expulsés. Toutefois, dans l’exigence de la survie, se met en place une sorte de contre-dispositif, doté de tous les symboles du politique, lorsque les expulsés s’organisent en ghettos nationaux, avec leur hiérarchie, leurs postes de pouvoir, leur règlement interne. De même, ce sont de nouveaux acteurs politiques qui émergent à l’intérieur des associations d’expulsés, pour faire pression sur le gouvernement malien afin qu’il assure la protection de ses ressortissants expulsés d’Europe ou à l’intérieur de l’Afrique. La lutte pour la survie qui s’engage à travers l’organisation matérielle des ghettos à la frontière, se prolonge dans les luttes politiques des expulsés et de leurs soutiens.

30 La faim apparaît dans les récits de migrants comme une humiliation sciemment infligée,

composante inhérente au dispositif d’expulsion d’Algérie. L’émergence de la faim comme une donnée anthropologique extrême, propre à caractériser les itinéraires d’expulsion, va en outre à l’encontre d’un discours officiel qui tente de naturaliser les périls propres à l’expérience migratoire. Les campagnes d’information sur les dangers de l’immigration clandestine menées sous l’égide du Ministère des Maliens de l’Extérieur depuis 2008, avec le support politique et financier de l’Union Européenne et de l’Organisation Internationale des Migrations, insistent en effet sur les risques liésà la manipulation des migrants à l’intérieur des réseaux de passeurs et sur les périls naturels auxquels ils s’exposent lorsqu’ils traversent le désert ou la mer. Entre la prise en compte de la faim comme le ressort d’un dispositif politique et policier et comme une conséquence à plus long terme de ce dispositif (l’abandon dans le désert, la situation de survie dans la phase qui suit l’expulsion), et la réduction des « dangers » de la migration à des périls naturels, ce ne sont pas seulement des discours et des logiques politiques qui s’affrontent mais aussi des niveaux radicalement hétérogènes d’expérience.

Bibliography

AGAMBEN G., 2007, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Payot & Rivages, Paris.

AGIER M., 2008, Gérer les indésirables  : des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, Paris.

FOUCAULT M., 1994, « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits (pp. 222-243), IV, Gallimard, Paris. FOUCAULT M., 1976, Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Gallimard, Paris.

FOUCAULT M., 1975, Surveiller et punir : naissance de la prison, Gallimard, Paris. SAYAD A., 1999, La double absence, Le Seuil, Paris.

SOH MOUBE C., 2009, Le piège, Taama Editions, Bamako.

Notes

1  Je m’appuie ici sur des récits émanant d’entretiens que j’ai menés avec des migrants expulsés dans le foyer de Modibo Diakité à Kidal en février 2008 et en janvier 2010, ainsi qu’à la maison du migrant de Gao en janvier 2010.

2   Je tiens à adresser un remerciement particulier à Pascaline Chappart, doctorante au laboratoire Migrinter, pour m’avoir confié ce précieux matériau d’enquête, extrait d’un entretien qu’elle a réalisé en octobre 2009 avec un migrant de retour d’Algérie dans les locaux de l’Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali (ARACEM) à Bamako et pour avoir nourri de ses propres réflexions de terrain l’élaboration de cet article.

3  L’ARACEM a été créée en 2006 au Mali par des expulsés camerounais, afin de donner une visibilité à la situation des expulsés d’Algérie en transit au Mali.

4  Citation extraite d’un entretien mené le 8 janvier 2009, à la Maison du migrant de Gao, avec Ibrahima Ousmanou, Alassane Baba Maïga et Amadou Bazi Diallo, respectivement chargés de la gestion de l’activité interne, des affaires extérieures et de la cuisine de la Maison du migrant de Gao.

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5  Les expulsés utilisent ce terme de ghetto, pour désigner les campements de fortune aux abords de la frontière et les lieux loués ou occupés dans les villes, où se regroupent les migrants. Nous conservons ce terme, révélateur, dans le contexte des expulsions collectives, d’un processus de réappropriation et d’auto-désignation du schème d’exclusion et de relégation imposé par les États.

6   Le père Anselme a quitté la mission catholique de Gao en juin 2010. Dans la mesure où son action a été déterminante au niveau régional pour rassembler des fonds en faveur de l’aide d’urgence (soins, nourriture) et du financement d’aides au retour des migrants expulsés, son départ a dores et déjà déstabilisé le réseau d’entraide qui agit entre le site de Tinzawaten, et les villes de Kidal et Gao, faisant ressurgir de vives tensions entre les différents acteurs impliqués sur cette question.

7  Entretien mené avec quatre habitants du ghetto de Magnambougou à Bamako, en février 2009. 8  J’ai connu Modibo Diakité grâce à l’Association Malienne des Expulsés. Je suis allée à Kidal en février 2008, où je l’ai rencontré pour la première fois et où j’ai mené une enquête à l’intérieur du foyer et dans la ville. Il était alors le représentant de l’AME à Kidal. S’il a débuté son action auprès des expulsés en dehors de tout cadre associatif, il a ensuite été pressé par le gouverneur de Kidal de créer une association, qui lui assure une visibilité et donne à son action une existence sociale.

References

Electronic reference

Clara Lecadet, « ’Itinéraires de la faim’ des migrants subsahariens expulsés d’Algérie au Mali », Anthropology of food [Online], 7 | December 2010, Online since 25 December 2010, connection on 09 December 2012. URL : http://aof.revues.org/6723

Author

Clara Lecadet

Doctorante, École des Hautes Etudes en Sciences Sociales Paris, Centre des Études Africaines, clara.lecadet@wanadoo.fr

Copyright

© All rights reserved Abstracts

 

En Algérie, l’expulsion des migrants d’origine subsaharienne vers la frontière Nord du Mali est devenue depuis le début des années 2000 un processus régulier. Rationnement alimentaire drastique dans les prisons algériennes, angoisse vitale dans les ghettos organisés en micro-communautés nationales aux abords de la frontière, leitmotiv de l’aide d’urgence : la faim constitue une caractéristique majeure de l’expérience vécue par les expulsés. Elle est à la fois une violence intime, une donnée politique, un motif d’intervention humanitaire. On parlera ainsi d’itinéraires de la faim pour appréhender le processus de l’expulsion et les parcours erratiques de l’après-expulsion : ils sont ici envisagés à la fois du point de vue du dispositif étatique algérien qui en porte la responsabilité et des contre-dispositifs précaires mis en œuvre par les expulsés pour survivre. Les expulsés auto-organisés, les associations d’expulsés, l’intervention ponctuelle des ONG, tentent en effet de faire face aux expulsions par des formes de regroupement, d’accueil et de restauration atypiques dans un contexte d’abandon et de dénuement radical.

Organizing survival among sub-Saharan migrants expelled from

Algeria to Mali

Since the beginning of the century the expulsion of sub-Saharan migrants from Algeria to the Northern Malian border has become a regular event. Hunger is the main aspect of expelled migrant life, caused by poor rations in Algerian jails, daily fear in the ghettos organized into

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national micro-communities on the border and the limited supply of emergency aid. Hunger is simultaneously a primal suffering, a political issue and an argument for humanitarian aid. We describe the process of expulsion and the erratic journey of migrants after deportation as itineraries of hunger. These itineraries are considered from two points of view; the state processes involved in these collective deportations and the precarious strategies invented by expelled migrants to survive. A combination of self-organized expelled migrants, expelled migrants’ associations and the timely intervention of NGOs all attempt to deal with this deportation through the formation of groups and the atypical provision of hospitality and repatriation in a context of total destitution.

Index terms

Mots-clés : expulsion, faim, Mali, migrant, restaurant Keywords : deportation, hunger, Mali, migrants, restaurant

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