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Le theme et les images de la mort dans Madame Bovary

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Academic year: 2021

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(2)

par

Jacinthe Laurin

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche

en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal. Québec

Juillet, 1995

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(4)

Utilisant la perspective thématique et l'analyse textuelle comme méthode, ce mémoire propose une étude du thème et des images de la mort dans Madame Bovary. Ce travail analyse la représentation de la mort, ses relations avec les survivants et ses rapports avec le personnage principal. Il démontre la perception égoïste de la mort chez les survivants et explique l'ascension thématique dans le chapitre VIII de la troisième partie du roman. Les éléments périphériques à la mort, comme le personnage de Lestiboudois, le cimetière, les tabous et les idées reçues, sont étudiés dans le premier chapitre. Le deuxième est consacré à la conception romantique de la mort chez Emma Bovary, en analysant influences et inspirations artistiques, son mysticisme romantique et sa compialsance à l'idée de la mort. Nous nous penchons sur les causes de son suicide, son désir de mourir, sa détresse amoureuse, sa faillite flnancière et ses vertiges dans ie troisième chapitre, qui se termine sur i'étude de la «spirale» thématique du chapitre VIII de ia troisième partie: la course, Dieu, le temps, l'amour, la nature, i'angoisse, le vertige et la mort; sans oublier les diverses interprétations de la chansonnette de l'Aveugle. Le quatrième chapitre étudie le deuil, ia souffrance et les conventions sociales, i'influence d'outre-tombe sur les survivants, le tombeau, les souvenirs et i'immortalité. Le dernier chapitre analyse enfln les conséquences de chaque décès du roman chez les survivants et leurs réactions, de façon à intégrer les diverses notions exposées dans les précédents chapitres.

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ABSTRACT

Integrating a thematic perspective and textual analysis into the method. this Master's thesis proposes to study the theme an~

images of death in Madame Bavary. This essay analyses the representation of death. the relationships with the survivors and the links with the main character. It demonstrates the egoistlc perception of death among the survivors and explains the thematic advancement in chapter VllI of the third part of the novel. The peripheral elements of death. such as the character Lestiboudois. the cemetary. the taboos and the generalIy accepted ideas. are studied in the first chapter. The second is devoted to Emma Bovary's roman tic conception of death. through an analysls of artistic Influences and Inspirations. romantic mysticism. and complacency wlth regards to the Idea of death. 1 will be studying the causes of her suicide. her desire to die. her distress experienced in love. her flnancial bankrupcy and her emotional and physlcal disequillbrium ln the third chapter. which ends with the study of the thematie «spirah. In chapter VIII of the third section: the race. God. time. love. natur~.

anguish. emotional and physical disequillbrium and death, wlthout neglecting the various Interpretations of the Blind Man's dltty. In the fourth chapter. 1 study the mournlng. sufferlng and social conventions. the influence from beyond the grave upon the survlvors. the grave. the memories and immortality. F1nally. the last chapter. sa as to integrate the various notions explained in the preceding chapters, analyses the consequences of each death in the novel upon the survivors and their reactlons.

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Il Ya toujours après la mort de

quelqu'un comme une stupéfaction qui se dégage, tantilest difficile de comprendre cette survenue du néant et de se résigner

àycroire.

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LE THEr--1E ET LES IMAGES DE LA t-IORT DANS MADAt-1E BaVARY TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1

CHAPITRE PREMIER: LES ELEMENTS SECONDAIRES RELATIFS À lA MORT DANS MADAME SOVARY 19

1.1 Lestiboudois et le cimetière 19 1.2 Les idées reçues et le tabou 21

1.3 La nature et la science 30

CHAPITRE DEUX: EMMA ET SA PERCEPTION ROMANTIQUE

DE lA MORT 38

2.1 La mort et ses représentations

artistiques 38

2.2 Le mysticisme d'Emma 45

2.3

sa

complaisanceà l'idée de la mort 50

CHAPITRE TROIS: lA MORT D'EMMA 56

3.1 Les causes de sa mort 56 3.2 L'ascension. ou la «spirale». thématique

de la mort dans le chapitre VIll

de latroisième partie du roman 69 3.2.1 Les principaux thèmes 69 3.2.2 L'analyse textuelle iO

CHAPITRE QUATRE: lA CONCEPTION DU DEUIL 89

4.1 Les survivants et leur deuil 89 4.2 L'influence outre-tombe 95 4.3 Le tombeau: le souvenir et

(8)

LE THEME ET LES IMAGES DE LA MORT DANS t>IADAME BOVARY TABLE DES MATIERES (suite)

CHAPITRE CINQ;

CONCLUSION

BlBLlOGRAPHlE

LE COMPORTEMENT DES SURVIVANTS 104

5.1 Madame Dubreuil 104

5.2 Madame Bovary mère 105

5.3 Charles Bovary 106

5.4 Le beau-père de Monsieur Bovary

(le grand-père maternel de Charles)lOS 5.5 Fils de Théodore Rouault (frère aîné

d'Emma) 109

5.6 Madame Boulanger

(mère de Rodolpne) 109

5.ï Héloïse Dubuc (première épouse

de Charles) 109

S.S Charles-Denis-Bartholomé Bovary

(père de Charles) 112

5.9 Madame Rouault (mère d'Emma) 113

5.10 Emma Bovary 114

118

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LE THEME ET LES IMAGES DE LI\ MORT DANS MADAME BOVARY lNfRODUcnON

Aujourd'hui encore, la mort est un sujet sacré, presque tabou: on en parle peu, on l'évacue ou bien on la banalise. Cependant, on trouve des oeuvres romanesques dans lesquelles la représentation de la mort occupe une grande place. C'est le cas dans M<ldame Bov<ll)'.

Nous chercherons donc à savoir quelle est la représentation de la mort dans ce roman précis, par rapport aux personnages survivants et par rapport à Emma Bovary elle-même. Cette étude inclura deux volets. Le premier sera consacré à la question suivante: comment les morts sont-ils perçus par les vivants dans ce roman de Flaubert? Nous voulons démontrer que les vivants perçoivent égoïstement les morts, car ils ne s'Inquiètent que de leur propre vie après cette perte, ou de leur propre mortà venirà travers leur deuil. Dans le deuxième volet du mémoire, on se demandera comment le thème de la mort se présente au chapitre VIII de la troisième partie de Madame Bovary. Ici, nous tenterons de démontrer qu'il existe une «spirale» dans le traitement des thèmes, entre autres dans les motifs de lamort.

La genèse de Madame Bovaryannonce une telle richesse qu'il est juste de dire que le roman possède plusieurs points de départ. Pour un rapide aperçu de la recherche que Claudine Gothot-Mersch a faite pour La genèse de Madame Bovary, la mort prématurée de

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Delphine Delamarc, une des premières nouvelles de l'auteur (Passion

el vertu) ct les Mémoires de Madame Ludovica (que l'on sait être

Louise Pradier) sont des événements ou des documents qui ont inspiré Flaubert. L'anecdote de Ry met en scène un médecin, veuf, qui se rem:lrie avec une jeune fille de dix-sept ans, "une créature volage et dépensière"1. Elle s'empoisonne à vingt-sb. ans. Son mari la suit

dans la tombe un an ~lus tard, en avalant du cyanure de potassium. Comme le dit C. Gothot-Mersch: "On pourrait se demander ce qui a séduit Flaubert dans cette histoire. Probablement la mort prématurée de Delphine Delamare."2 Cet incident a pu rappeler à Flaubert Passion

et vertu. La mort de Delphine Delamare et celle de Mazza Willers,

personnage principal de la nouvelle, sont toutes deux tragiques, et elles ont pu lui suggérer la fin dramatique d'Emma Bovary. Les

Mémoires de Madame Ludovicaont aussi un lien avec le fait divers

rillois: la frivolité du personnage volage et dépensier. Ainsi, l'événement de Ry, Passion et vertu et les Mémoires de Madame

Ludovica se recouperaient dans la génétique de Madame BaVaI)'.

Selon Claudine Gothot-Mersch, le premier scénario du roman est déjà l'histoire d'une jeune femme romanesque qui, déçue par son mari et par le milieu où elle doit vivre, cherche le bonheur dans les bras d'autres hommes, s'endettte, et finit, quand tout s'écroule, par se suicider.[...] Lesantécédents de Charles et ceu.x d'Emma, la vie d'Emma jeune mariée, le

changement de pays, 1es deux amants successifs, les rêves delajeune femme, son goût pour le luxe, sa

1 Gothot-Mersch. Claudine. Lagenèse de Madame BovaJY, Paris. Librairie José Corti.I966. p. 21•

(11)

déchéance, sa mort, puis la mort de Charles: tout est prévu.3

Flaubert a minutieusement établi les axes du déroulement de son roman. Le récit de Madame Boval},est le sujet apparent du roman. Percy Lubbock a bien résumé ce sujet de surface:

Charles Bovary, jeune médecin de campagne un peu simple et d'esprit lourd, fait un sage mariage, mais perd peu après son épouse ennuyeuse et déjà d'un certain âge. Il tombe alors amoureux de la fiUe du fermier voisin, une jolie femme pleine de fantaisie qu'il épouse. La vie dans un petit bourg de province ennuie ceHe-ci profondément, eUe trouve un amant. se lasse de lui, s'enfonce dans les dettes.

s'empoisonne et meurt. Après sa mort Bovary découvre la preuve de son infidélité, mais son cerveau lent est trop abîmé par les soucis et les chagrins de la vie en général, pour ressentir

vraiment une peine extrême. Il meurt bientôt à son tour.4

En résumant ainsi le roman de Flaubert, P. Lubbock met en valeur le

fildu récit, le sujet apparent de l'oeuvre. Geneviève BoUème explique que "l'histoire d'Emma est ceHe d'une femme exaltée qui, en se mariant, croit devoir obligatoirement découvrir ce qu'est l'amour, est déçue, s'ennuie, cherche cet amour ailleurs, rêve d'une passion platonique, s'ennuie encore, prend un amant qui la quitte, s'ennuie encore, prend un autre amant, s'ennuie autant, est toujours déçue, et se tue."s La structure du récit de Madame BovaI}' est établie de la

3 Gothot-Mersch. Claudine, Op. cit., p. 89.

4 Lubbock, Percy, "Le point de vue narratif chez Aauben" cIans Debray-Genene, Raymonde, Flaubert. Paris. Firmin-Didot {:tude et librairie Marcel Didier, 1970, "Miroir de la critique". p. 74. 5 Bollème. Geneviève. La leçon de Flaubert. Paris. JullIard. 1964. "Les Lettres

Nouvelles", p. 142.

(12)

même façon que celle d'autres romans du XIXe siècle, dans l'éclairage de l'affirmation de Georges Lukàcs: "Pour le roman du XiXe siècle, c'est l'autre type de relation nécessairement inadéquate entre l'âme et la réalité qui a pris plus d'importance: l'inadaptation qui tient à ce que l'âme est plus large et plus vaste que tous les destins que la vie peut lui offir."6 Emma Bovary se cherche un destin qu'elle ne peut pas atteindre. C'est dans cette perspective que le roman reiève de cette conception. Cependant, on ne peut conclure que le véritable sujet s'accorde avec cette théorie, car, comme l'expose bien Eugène Gilbert:

Emma n'inspire qu'une pitié relative et elle a des côtés ignobles. Bovary est un sot, le curé, un rustique

maldégrossi, Rodolphe, un fat imbécile, Homals, un chef d'oeuvre d'idiotisme.[...] L'intrigue laissait le lecteur froid, tandis que rien ne le transportait comme la vérité des scènes et des détails, les tableaux achevés et

criants

de réalité: le Comice agricole d'Yonville, l'empoisonnement d'Emma, les conversations du curé avec Homais, la noce

villageoise, le navrant et banal enterrement de l'héroïne, etc.[...] Tout le malheur d'Emma Bovary vient de ses élans vers un monde supérieur à celui où elle doir passer sa vie.7

E. Gilbert démontre bien l'absurdité du récit et dévoile la réalité du sujet apparent.Parcontre, il n'exprime pasexplicitement le sujet réel du roman, mals il laisse son lecteur en deviner l'existence. Revenons au sujet apparent. Comme l'affirme Alison Fairlie dans son étude

6 Lukàcs. Georges. La théoriedu romaLl, traduit de l'allemand parJean Clairevoye, Genève, Gonthier, 1963. "Bibliothèque Médiations",p. 109.

7 Gilbert. Eugène. Leroman en France pendantleXIXe siècle, troisième édition. Paris, librairie Plon. 189i, p. 169.

(13)

Flauberr: Madame Boval}-8, Emma est à la recherche de l'absolu. Elle

ne sera satisfaite que lorsqu'elle atteindra cet absolu. Alain De Lattre perçoit bien cette quête: "Elle vit - et meurt - de l'espoir acharné de trouver dans le monde quelque chose qui soit à la hauteur de ses rêves, et de rêves qui n'ont d'autre fonction que de nier le monde. Tel est le paradoxe insoutenable qui ne peut trouver d'autre issue que l'arsenic et le vomissement d'entrailles crucifiées."') L'éducation religieuse d'Emma et sa tendance au romantisme exalté la conduisent d'une déception à l'autre: "Ledépart pour Yonville est le premier pas d'Emma dans sa quête du bonheur. c'est aussi son premier pas sur la pente qui, de désillusion en désillusion. la mènera jusqu'au suicide."la La quête d'Emma se poursuit. d'une certaine manière. après sa mort. Charles persiste à faire survivre l'image de sa défunte épouse. Ainsi, comme le dit Claudine Gothot-Mersch: "À la mort d'Emma. c'est Charles qui devient le personnage central..."ll Tous les Yonvillais

poursuivent leurs occupations après la disparition d'Emma. sauf le médecin. Sa seule préoccupation n'est pas de survivre à cette mort, mais de penser à la morte. Pourtant, la vie continue. Par cette continuité. Victor Brombert, dans Flaubert parlui-même. voit une des significations de la structure du roman: "Cependant cette vie hostile et inepte reste victorieuse. N'est-ce pas là le sens de la structure de ce roman qui. au début comme à la fin. déborde l'aventure d'Emma?

8 Fairlie. Alison. Flaubert: Madame Bovary.London. Edward Arnold

(Publishers) Ltd, 1962. "Studïes in French üterature no. S", SOp.

9 De Lattre.Alain. La bèrised'Emma Bovary, Paris. librairie José Corti, 19S0, p.

n.

laGothot-Mersch, Claudine. Op. cit..p. lOI. Il Ibid.. p. lOS.

(14)

Entre la mort d'Emma et la dernière ligne du livre, il n'y a pas moins de trois chapitres."12 D'ailleurs, dans The novels ofFlaubert, Victor

Brombert conclut à propos de la dernière phrase du roman ("11

[Homais] vient de recevoir la croLx d'honneur."13): "The temporal perspective of this sentence, with its stress on the present, suggests the permanence of the Homais of this world." 14 Le roman se termine donc sur la poursuite de la vie. Le destin d'Emma, pour sa part, e;;t tracé dans les détails du roman. Ainsi, selon Gérard Genette: "il faut connaitre le décor de Yonville pour comprendre ce qu'y sera la vie d'Emma."IS Avec les descriptions du village yonvi~lais et de la vie d'Emma au couvent, le lecteur comprend qu'elle n'arrivera pas à atteindre son but. Gérard Gengembre a alors raison de dire: "Le récit retrospectif[...] fait de l'adolescence un destin tracé, surtout détermine Emma comme une possédée du romanesque. Elle est déjà modélisée et ne pourra plus échapperà l'emprise des modèles, soit à une vie de répétition, de rechute perpétuelle dans des conventions."16 Pour Emma, le problème n'est pas sa quête, mais le milieu où elle est condamnée à vivre. Elle ne remet jamais en question sa recherche et elle critique Yonville, alors qu'elle est la seule responsable de ses malheurs. Mais elle croit au destin et à lafatalité; elle ne peut croire à sa faute; c'est la vie. "On a dit et redit que Madame BovaI)'est un

12 Brombert. Victor. Flaubert par lui-même, Paris,seuil, 1971, "Ecrivains de toujours" •p. 72.

13 Flaubert. Gustave, Madame Bovazy, édition de Claudine Gothot-Mersch, Paris, Bordas. 1990. "Classiques Garnier", p. 356.

14 Brombert. Victor. The noveIs ofFlaubert. Astudyoftbemes and rechnIques,

Princeton. Princeton University Press, 1966, p. 89.

15 Genette. Gérard, "Silences de Flaubert" dans Figures. essais.Paris,seuil, 1966, "Tel <8lel",p.234.

16Gengembre. Gérard, Gustave Rauberr. Madame Bovazy, Paris, Presses

(15)

roman de la fatalité" 1i Cette fatalité est la conséquence de la pensée

romanesque d'Emma; elle se laisse porter par ses fantaisies sans réfléchir à leurs répercussions: l'échec généralisé. "Roman de la fatalité, Madame BovaI)·est aussi le roman de l'échec. Livrées à elles-mêmes, en l'absence d'une volonté ordinatrice, les choses et les destinées vont vers le chaos, vers la mort - c'est ainsi que le mot «fatal» a pris dans notre langue un sens purement négatif."18 Cependant, en réalité, le destin et la fatalité,)a recherche d'Emma et son milieu de vie, le récit en tant que tel, ne sont que les sujets apparents du roman. Comme l'écrit Geneviève Bollème:

Tandis qu'en lisant Bovary nous découvrons que l'histoire a si peu d'importance qu'au fond le

véritable sujet de l'oeuvre c'est de n'en pas avoir. Ce qui compte le plus c'est la médiocrité de la vie

d'Emma, son échec, ce qui nous est raconté tout au long de ces pages avec des descriptions de paysages, d'arbres, de rivières et de ciel et fort peu de

dialogues.19

Sarah Webster Goodwin, pour sa part, tout en étant en accord avec l'idée de l'échec comme sujet réel du roman, propose cette prémisse comme élément déclencheur:

Beginning with, "Emma ne savaitpas valser"[...), and moving through Emma's envious thought, "Elle savait valser, celle-là!"[...), the last dance at the ball shows Emma just starting to cross a mental and dramatic threshold. Although she will never waltz again, she will spend the rest of her life trying to place herself

17 Gothot-Mersch, Claudine.Op.dt., p. 92.

18 Gothot-Mersch, Claudine, "Introduction" dans F1auben, Gustave, Madame

Bovazy,édition de Claudine Gothot-Mersch, Paris, Bordas, 1990, "Classiques Garnier", p. XXVllI•

19 Bollème, Geneviève,Op.dt., p. 144.

(16)

in the position which she imagines the other woman occupies.20

A partir du bal, Emma recherche un statut qu'elle ne peut trouver. Ses faits et gestes sont peu importants. Ce qui a de l'importance, c'est sa déchéance. Victor Brombert précise ici: "Qu'est-ce donc le vrai drame du livre sinon la victoire de l'existence sur la tragédie? La vie continue, médiocre et indifférente."21 L'histoire d'Emma semble un prétexte pour exploiter le véritable sujet. "L'événement ce n'est pas l'anecdote, ce n'est pas le mariage d'Emma, l'adultère, l'empoisonnement, c'est la dissolution de l'événement, c'est la médiocrité, notre déception."22 Geneviève Bollème croit avec raison que le sujet réel est la déception du lecteur lisant les espoirs et les échecs consécutifs de l'héroïne. Pour sapart, Alain DeLattre voit ainsi le sujet véritable du roman:

le réalisme de Flaubert est moins dans ce qu'il nous raconte que dans la forme et la façon dontil

l'approche et le décrit. Non dans l'objet qui n'est rien sans la phrase, mais dans la phrase seule qui fait et qui produit. Qui annule ce qu'elle dit parce que, dans le falt, il n'en est plus besoin. Lavérité de l'agonie d'Emma estdanssa mort: le cercueil se referme et la page demeure.23

C'est également la position de Claudine Gothot-Mersch: "C'est ce qui fait l'unité de ce livre où tout est dans tout, parce que tout découle de l'idée primitive. La rupture est déjà impliquée dans la rencontre, le

20Goodwin.sarahWebster, "Emma Bovary's Dc:nceof Death" dans Novel:A

forum on fiction, 1986 Spring, v.19, p. 197.

21 Brombert. Victor. Flaubert par lui-méme.p.57.

22Bollème. Geneviève. Op. cit., p. 177•

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finale dans le prélude."24 A son tour. Jean Rousset résume bien celte pensée en ces termes: "Madame Bovary constitue un organisme indépendant, un absolu qui se suffit à lui-même, un ensemble qui se comprend et s'éclaire par lui-même."25 La plupart des critiques s'accordent donc pour affirmer que la réalité essentielle du roman est la phrase flaubertienne, la structure des thématiques, l'unité de la construction interne; que le but de Flaubert était l'utilisation de la langue, et non pas de raconter une héroïne de province.

L'ironie, qui a une grande place dans le roman, entre aussi dans ce jeu de faussaire. Selon Alain De Lattre: "Des rêves qui s'effritent sur un monde qui meurt, cela finit, dans l'arsenic: on ne peut pas toujours, tout au long d'une vie, opposer rien à rien."26 L'Ironie se retrouve donc autant dans la phrase que dans la structure même du récit qui oppose le vide au vide. Comme le dit Gérard Gengembre: "Ainsi la quête de l'absolu est ridicule, et mène à la perte."27 Flaubert pratiquait cette ironie qui ridiculise et qui montre la tragédie d'une vie: "Ce sera, je crois, la première fois que l'on verra un livre qui se moque de sa jeune première[...]. L'ironie n'enlève rien au pathétique. Elle l'outre au contraire."28

24Gothot-Mersch, Claudine, "Introduction" dans Flaubert. Madame Bovazy,p. XXVIII.

2S Rousset, Jean,Forme etsignification. Essais sur les structures Uttéraires de

Corneilleà Claudel, Paris,librairie José Corti, 1962, p.

xx.

26DeLattre. Alain, Op. dt.,p. 89.

27 Gengembre, Gérard, Op. dt., p. 91.

28Flaubert, Gustave, Correspondance

n

(juillet 1851 àdécembre 1858), édition établie, présentée et annotée parJean Bruneau, Paris, GalJjmard, 1980, "BibliothèqueLaPléiade" , p. 172.

(18)

Bien que Flaubert reste évidemment l'auteur de Madame

Bovary, la critique littéraire a l'obligation d'Interpréter le texte sans

considérer le romancier. Comme Jean-Pierre Duquette l'expose dans

Flaubertou l'architecturedu vide "Il n'y a plus d'auteur, au moment où l'on ouvre un roman: il n'y a qu'une lecture. phrases et lecteur. sans que l'auteur soit totalement absent de son récit, bien au contraire. Mais Il est embusqué dans les mots, dans les rythmes. dans les paysages de son livre. Il est là tout en n'y étant pas."29 Flaubert. qui a écrit ce roman entre septembre 1851 et mai 1856, n'est présent à la lecture de Madame Bovaryque par le travail qu'il a fourni, que par les combinaisons de mots qu'il a choisies pour son roman. Le roman est le genre littéraire que Eugène Gilbert considère comme "celui qui reflète le mieux les moeurs et les idées sociaies qui lui sont contemporaines."30 Il envisage donc l'oeuvre de Flaubert dans cette perspective. D'ailleurs, il Juge ce roman comme le "plus célèbre des romans de G. Flaubert[...

l,

qui compte parmi les monuments romanesques du siècle."31 Pour sa part, Jean Rousset met Madame

Bovary en relation avec un siècle d'histoire littéraire du genre

romanesque:

Cette guerre déclarée au sujet depuis un siècle montre assez que le roman n'a pas attendu 1950

pour se sentir en état de crise et de rupture; quand le «nouveau roman» de nos jours s'insurge contre le «roman traditionnel», ils'en prend à un roman qui était lui-même insurgé. Certes, les différences

29 Duquene, Jean-Pierre, Flaubertou l'architecture du vide. Une lecture de

l'Education sentimentale, Montréal, Les Presses de l'Université deMontréal, 1972,p.7-8.

30Gilbert,Eugène,Op.dt., p.8•

(19)

existent. non seulement entre les créations qui

abritent ce refus. ce qui est évident. mais aussi entre les modèles condamnés: le non-sujet des uns devient souvent le sujet que rejetteront les romanciers

ultérieurs.32

Le travail d'un écrivain consiste toujours. quelle que soit son époque.

à placer la langue hors des conventions. Lorsque Flaubert écrit. on ne s'attend pas à lire le récit de la médiocrité d'une provinciale. ni à lire un roman qui se base sur le vide tout en étant plein de justesse. Flaubert choisit chaque mot méticuleusement, pour sa couleur et son harmonie. Comme le dit René Dumesnil: "par la justesse minutieuse des enchaînements, Il éveille dans l'esprit du lecteur des Idées que nul autre avant lui n'avait suggérées."33 Flaubert est reconnu pour cette précision. Dans "La notion lInguistique de champ sémantique et les possibilités de son assimilation dans la théorie de la littérature: l'exemple de Madame Bovary", Gvozden Eror choisit cette oeuvre comme objet d'analyse sémantique pour des raisons reliées à cette justesse:

Madame BaVaI)',en tant que roman et personnage,

se prête à une telle analyse pour des raisons qui concernent la place de Flaubert dans l'évolution du roman, son obsession du style, du «mot Juste» et les formes d'ambiguïté dans son procédé littéraire. Cette ambiguïté est particulièrement présente dans la construction du personnage principal, et les champs sémantiques qui le caractérisent peuvent se

concevoir comme les champs centraux du roman,

32 Rousset. Jean. "Madame Bovary ou le livre sur rien" dans Debray-Genene. Raymonde, Flaubert, Paris, Firmin-Didot Etude et librairie MarcelDidier, 1970,"Miroirdelacritique". p. 119.

33 Dumesnil. René, Gustave Flaubert, L'homme et l'oeuvre avec des documents

inédits, 3e édition.Paris, Desclée de Brouwer& Cie, 1947, "Temps et visages", p. 416.

(20)

étant donnée la «primauté du personnage par rapport àl'histoire» dans Madame BovaI}'.34

Madame BovaI}'peut donc faire l'objet d'une analyse pointue, portant

sur les liens sémantiques du vocabulaire car Flaubert choisissait ses mots pour parvenir à une image absolument juste de ce qu'il voulait représenter. Pour Geneviève Bolième: "Il nous a semblé que Madame

BavaI}'était sans équivalent dans l'oeuvre de Flaubert. que nul autre

de ses écrits n'atteignait cette perfection à nous narrer un minimum d'événements avec un maximum d'images."35 Ainsi. plusieurs critiques pourraient répondre àla question de Flaubert: "Et qui est-ce qui s'apercevra Jamais des profondes combinaisons que m'aura demandées un livre si simple? Quelle mécanique que le naturel, et comme il faut de ruses pour être vrai!"36 Flaubert cherchait la perfection absoiue du style. Il n'a cessé de la rechercher dans ses romans suivants. Cependant. cette perfection ne se trouve peut-être

pasdans le travail conscient de Flaubert, comme le suppose Gérard Genette:

DeBovaI}'à Pécuchet, Flaubert n'a cessé d'écrire des

romans tout en refusant -sans ie savoir, mais de tout son être- les exigences du discours romanesque. C'est ce refus qui nous importe, et la trace

involontaire, presque imperceptible, d'ennui,

d'indifférence, d'inattention. d'oubli, qu'il1aisse sur une oeuvre apparemment tendue vers une inutile

34 Eror. Gvozden. "lanotion linguistique de champ sémantique et les possibilités de son assimilation dansla théoriede la

littérature: l'exemple deMadame Bovat)l' •dansAcresdu XIIe

Congrès de l'Association LaremationaIede Littérature Comparée.vA. 1990. p. 541.

3S BoUème. Geneviève.Op.cit.. p. 141.

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perfection. et qui nous reste admir:-blement imparfaite. et comme absente d'elle-même,37

Son refus du discours romanesque. Flaubert l'a exprimé dans ses romans de façon inconsciente. mais Il l'a exprimé clairement en écrivant: "On me croit épris du réel. tandis que je l'exècre. Car c'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce roman."38 Pourtant. dans Flaubert's characters, The language ofIllusion39 de Diana Knlght. on

parle encore de deux approches de l'oeuvre de Flaubert: l'insistance sur l'absence d'une signification stable et un intérêt marqué pour l'être humain et sacomplexité morale; autrement dit. un Intérêt pour le réalisme des personnages. Eugène Gilbert prétend aussi que Flaubert fait partie des réalistes, en affirmant: "Le grand dogme du réalisme c'est l'impersonnalité."40 Cette notion est apparue avec

Flaubert qui est l'un des premiers à la travailler et à en rechercher l'effet. L'idée de lier l'objectivité fiaubertienne au réalisme n'est certainement pas inutile. mais le point de vue d'aujourd'hui sur l'histoire littéraire montre bien que le réalisme est impersonnel non

pas par labeur. mais par accident. Flaubert travaillaIt consciemment l'objectivité: "Madame Bovary n'a rien de vrai. C'est une histoire

totalement inventée; je n'y ai rien mis ni de mes sentiments ni de mon existence. L'illusion (s'il y en a une) vient au contraire de

l'impersonnalité de l'oeuvre."41 Il voulait écrire ses oeuvres

3;Genette.Gérard.Op.cit.,p. 243.

38 Flaubert. Gustave. Correspondance Il (juillet1851 à décembre 1858). p. 643. 39 Knight. Diana, Flaubert's cbaracters. Tbe language of illusion. Cambridge,

Cambridge University Press. 1985. "Cambridge Studiesin French", 125 p.

40 Gilbert, Eugène,Op.cit.. p. 161•

41 Flaubert, Gustave, Correspondance Il (juillet1851 à décembre 1858).p.691. 13

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lmpersonnellemenr. Son art est. comme l'a dit René Dum~snil. "un art de composition. Mais c'est d'abord un art d'observation."42 Il est vrai que Flaubert. voulant travailler dans l'impersonnalité. doit d'abord étre un observateur. Alain De Lattre dit à ce sujet "que tout est à reprendre ici d'une façon nouvelle: le réalisme de Flaubert est moins dans ce qu'il nous raconte que dans la forme et la façon dont il l'approche et le décrit."43 Flaubert observe donc avec acuité et cherche à donner forme à l'objet observé en travaillant la langue. Eugène Gilbert insiste là-dessus: "ce qui sera encore une qualité indispensable de la prochaine renaissance littéraire, c'est le souci de la forme, que le grand maître du roman français en cette seconde moitié du XIXe siècle, Flaubert, poussa si loin qu'il en mourut."44 La forme d'un texte vient évidemment de l'effort, du travail textuel de l'auteur. Pour Jacques Neefs et Claude Mouchard, dans Madame

Bovary. "La mise à mort du personnage semble alors être le

nécessaire achèvement de l'oeuvre, l'héroïsme de l'écriture aux prises avec sa propre force de création..."45 Letravail de l'auteur n'est

pas d'écrire sans règles. Flaubert a dû s'efforcer de terminer son roman selon le plan établi. Ila dû travailler et préciser la scène de la

mort d'Emma pour atteindre la vérité,pourGérard Gengembre: Comment ëcrlre la mort? Il faut une mise en scène narrative et, dans un premier temps, respecter les contraintes réalistes: la question d'argent, le vertige psychologique. La logique événementielle est

parfaitement lisible. Or cette causalité réaliste est

42 Dwnesuil,René.Op. dt..p.416. 43 DeLattre,AIaiD,Op.cit..p.68.

44Gilbert. Eugène, Op.dt.,p.454.

45 Neefs, Jacqueset Mouchard.Claude, Flaubert, Paris, BaJland, 1986,"Phares", p.I48.

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redoublée par une longue série d'échos et de préfigurations symboliques. D'où cette Idée que la mort d'Emma est due tout autant à la détermination réaliste qu'au travail du destin textuel.-l6

J. Neefs et C. Mouchard renchérissent: "La mort ainsi orchestrée du personnage[ ] est habitée d'un acharnement douloureuxà produire l'épouvante[ ] et la souffrance[...]. Et l'on sait avec quelle douleur Flaubert a rédigé l'agonie de son personnage[...]. L'intensité de l'écriture f1aubertienne est composée de cette force de destruction, de consommation de sol."47 Flaubert a travaillé, Il s'est Investi dans son travail pour parvenir à ses fins: "Flaubert[...] reproduit la vie réelle sans que jamais sa personnalité apparalsse."48 L'observation de l'humain ("TI ptudie l'IVE.'(' pénétration l'homme extérieur, tel qu'il se

manifeste par sa physionomie et son habitus"49) et le respect du principe de l'impersonnalité ont créé le chef d'oeuvre qu'est Madame

BavaI}'. Flaubert décrit la réalité des personnages à un tel point que m€ome l'intensite de l'imagination de ses personnages ne pose aucune limite face au réel: l'imagination se donne pour réel. Dans('f> roman, il

n'existe presque aucune coupure temporelle ou narrative entre le r€ove et le réel. L'évasion passe par le sens des détails gratuits. D'ailleurs, ces détails produisent autant le rêve et le réel que la signification. Comme le dit Jean-Pierre Duquette: "Nous découvrons ainsi dans les romans de Flaubert une multitude d'objets porteurs de

sens insoupçonné, aussi es.o;entiels que les personnages mêmes, et qui confèrent à la trame psychologique ou historique une dimension et

46 Gengembre, Gérarù,Op.dt., p. 92.

47Neefs, Jacques et Mouchard, Claude,Op.dt., p. 147-148. 48Gilbert, Eugène,Op.dt., p.159.

49 Ibid., p. 159.

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un relief saisissants."SD Pour illustrer cette pensée. nous pouvons prendre l'exemple des nomhreuses scènes développées à plusipurs niveaux dans Madame Bovarv.~ comme celle dps Comirps: "Nous avons toujours un nno snr fond d'accompagnement sonore et visuel: deux protagonistes sont isolés dans leurs phrases et leurs silpncps alors quI" la vip, autour d'eux, continue de se dérouler sans qu'ils y portent attention."S! Flaubert écrivait d'ailleurs à propos de cette scène:

CP soir, je viens d'esquLc;ser toute ma grande scène des Comices agricoles. Elle sera énorme; ça aura hlpn trpnte pages. Il faut, dans le récit de cette fête

rustico-municipale et parmi ses détails (où tous Ip.c; pprsonnagps secondaires du livre paraissent, parlent et agissent), que je poursuive, et au premier plan, le dialogup continn d'un monsieur chauffant une dame. J'ai de plus, au milieu, le discours solennel d'un

conseiller de préfecture, et à la fin (tout terminé) un article de journal fait par mon pharmacien, qui rend compte de la fête en bon style philosophique,

poétique et progressif.52

Plus tard, il dira encore, sur ces Comices: "si je réussis, ce sera bien symphoniqUe."53 Ainsi, dans Madame Bovary, Flaubert a fait des choix, il a pris une direction, il a planifié sa démarche et ce, dans un but ultime: créer une oeuvre impersonnelle où le fond est la forme et le récit, sur un sujet insipide et médiocre.

Gvozden Eror a choisi Madame Bovarycomme exemple au XIIe Congrès de l'Association Internationale de Littérature Comparée, où il présenta "La notion linguistique de champ sémantique et les 50 Duquette. Jean-Pierre. Op. dt.. p. 19.

5! ibid.p.51.

52 Flaubert. Gustave.Correspondance

n

(juillet 1851 à décembre 1858).p. 386• S3ibid.p. 426.

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possihilités de son assimilation dans la théorie de la littérature: l'exemple de Madame Rnvar)". 11 explique ainsi celle notion linguistique: "I.a théorie des champs sémantiques, c'est-à-dire des sous-ensemhlE's -dans le lexique- des termf>S conceptucllement apparentés, s'est montrée dans la sémantique structurale un domaine fécond de recherches linguistiques qui se sont développées dans plusieurs directions."54 Nous le savons, une de ces directions est la littérature. Donc, dans ce domaine, "un champ sémantique appliqué peut être construit, inhahituellement, d'éléments «périphériques» du champ lexicologique, donc d'éléments qui dans la langue courante ne sont pas proches du «noyau» dE' CE' champ."55 Î.E' qui pE'lIt E'xpllqllf'r

IE's champs sémantiques littéraires étendus. En littérature, et surtout dans le roman qui nous intéresse, le choix conscient dans lin IE'xlqllE' étendu vise une finalité, celle de l'ensemhle, du tout que forme le roman. Comme le dit encore G. F.ror. "li suffit de noter Ici que le champ sémantique (et conceptuel) dans le texte littéraire est avant tout un choix délibéré, «tendencleux» d'une certaine manière, dans le champ lexicologique approprié, qu'li est donc caractérisé par une forte composante «téléologique» immanente."5G Donc, le choix que G. F.ror a fait, en prenant Madame Rovary comme ohjet d'étude, est judiciE'l1x. Flauhert est reconnu pour la précision de son vocahulaire, l'étendu deses sous-ensemhles lexicaux et son but de former un tout. Par cette prémisse, nous avons lu le roman de façon à analyser son vocabulaire. la lecture que nou.e; avons privilégiée pour cette étude

54Eror, Gvozden, Op. Cit., p. 539. 5SIbid.,p. 540.

S6Ibid., p. 540.

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entremêle deux perspectives: la thématique et l'analyse textuelle. Par la théorie des champs sémantiques, nous pouvons haser notre recherche sur une analyse textuelle, c'est-à-dire sur une interprétation du texte en partant du texte lui-même, de sa structure, de ses phrases et de son lexique. De phlS, il ec;t posslhle de rassemhler les termes utl1lsés par l'auteur autour de plusieurs thèmes, dont ceux

du personnage principal et de la mort. Cest donc ainsi que nous concevons le texte de Madame Bovary: un tissu dont chaque fil se maintient dans sa dépendance aux autres.

Pour étudier le thème et les Images de la mort dans Madame

Bovary, nous avons diviséce travail en cinq chapitres traitant chacun

un aspect précis du sujet. Ainsi, les éléments secondaires relatifs à la mort dans Madame Bovary, la perception romantique de la mort chez Emma, sa propre mort, la conception du deuil dans le roman et les différents comportements des survivants sont les points que nous aborderons. Cest ainsi que nous répondrons aux deux questions posées au départ.

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LE THEME ET LES IMAGES DE LA MORT DANS MADAME BOVARY CHAPITRE PREMIER

LES ELEMENTS SECONDAIRES RELATIFS À LA MORT DANS MADAME BOVARY

Bien qu'il soit un personnage secondaire. Lestiboudois revient d'une manière récurrente au cours du récit. Il semble davantage un employé polyvaient qu'un homme qui se consacre à un seul métier. Sacristain de l'église. il remplit aussi la fonction de fossoyeur et celle de gardien du cimetière. Il offre égaiement ses services aux Yonvillais comme jardinier. Il réussit toujours à profiter de la situation. AInsi, il loue à son profit les chaises de l'église lors des Comices agricoles et utilise la partie inoccupée du cimetière pour y cultiver des pommes de terre. En tant que «personnage-paysage». il est toujours associé à la description du village. Yonville sans Lestiboudois, ce n'est plus Yonville. Il est partout: à l'église. au cimetière, dans les jardins... On ne peut décrire le cimetière sans lui; on le voit travaillant aux Comices; et Homais propose les services de Lestiboudois comme jardinIer lorsque les Bovary s'installent.

sa

présence est constante. De

plus, il suit chaque Yonvillais jusqu'à la tombe. Il l'accompagne de l'église au cimetière; sacristain, fossoyeur et gardien du cimetière sont nécessaires à chaque étape des obsèques, autant pour Emma que pour les autres.

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I.estlhoudois entretient une relation particulière avec le cimetière: de par ses fonctions, il représente en quelque sorte la mort. Mais son mptier, sa routine font en sorte qu'il en perd de vue le sens: investi d'un tahou qui fait fuir les Yonvlllals, le cimetière devient sa propriété presque exclusive. Il balaie la poussière des pierres tomhales sans trop y penser, comme il halale le plancher de l'église. rI cultive ses pommes de terre dans le sol Inoccupé du cimetière, inconscient de franchir un Interdit. I.e curé lui dit qu'il se nourrit des morts. Lestihoudois, pour sa part, ne voit pac; la différence entre la terre des jardins yonvlllais et celle du cimetière. TI outrepasse le tahou entourant la mort:

Lors du choléra, pour l'agrandir, on a ahattu un pan de mur [du cimetière] et acheté trois acrec; de terre à

côté; mais toutecetteportion nouvelle e'it presque inhabitée, les tombes, comme autrefois, continuantà

s'entac;ser vers laporte. Le gardien, qui en est en même temps fossoyeur et bedeau à l'église (tirant ainsi des cadavrec; de la paroisse un douhle

hénéfke), a profité du terrain vide pour y semer des pommes de terre. D'année en année, cependant, son petit champ rétrécit, et lorsqu'II survient une

épidémie, Il ne salt pas s'il doit se réjouir des décès ou s'affliger des sépultures.

- Vous vous nourrissez dec; morts, Lestihoudois! lui dit enfin, un jour, M. le curE'_

Cette parole sombre le fit réfléchir, elle l'arrêta pour quelque temps; mais aujourd'hui encore, il continue la culture de ses tubercules, et même soutient avec aplomb qu'ils poussent naturellement.57

57 Flaubert.Gustave. Madame Bovary, édition de Claudine Gothot-Mersch. Paris•

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Le rapport de I.estiboudois à la mort transgresse le tabou: il la côtoie tous les jours de sa vie et il ne voit pas en quoi sa culture de pommes de terre contrevient à un interdit. Ceux qui ont peur de la mort imposent le silence sur ce phénomène. Ils sont donc incapables de comprendre comment I.estiboudois peut se «nourrir» des morts. 11 est le seul à considérer le cimetière comme un simple lopin de terre. Les autres protagonistes considèrent cet endroit comme lugubre, funeste. Héloïse Dubuc, la première épouse de Charles Rovary, qui attirait l'attention de son mari en parlant de la mort, s'est toujours abstenue de parler du cimetière. Mêmeà son décès, le cimetière pa'iSe presque inaperçu. Par contre, à la mort d'Emma, l'enterrement est une scène marquante. Dans son cas, elle rêvait au calme des cimetières et souhaitait enfin s'y retrouver. Par la suite, le lieu de son dernier repos devient pour le veuf un lieu de recueillement, de souvenirs, presque de culte. Les enfants yonvillals, quant à eux, volent le cimetière comme un terrain d(~ jeux. lis ne sentent pa.. le tabou qui entoure ce lieu, tout comme I.estiboudois. Bien qu'eux et le gardien voient cet endroit comme un espace semblable aux autres, le cimetière demeure un lieu signifiant pour tous les autres personnages. Chacun le perçoit donc différemment.

Chez les personnages de Madame Bovary, les idées reçues se multiplient: elles font partie du discours courant et on comprend rapidement leur sens. Ii existe toute une gamme d'expres...ions, de lieux communs; des animaux qui «sentent» la mort jusqu'à cette idée voulant qu'un homme raisonnable ne doit pa..avoir peur de la mort ni de léguer son corps à la science. Rappelons entre autre... cette scène

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où Madame l.efrançois parle de son client le plus régulier, Monsieur Binet "On le tuerait plutôt que de le faire dîner ail\eurs'''58; 011encore

une autre à propos de l'artisan d'une cloche: "L'ouvrier qui l'a fondue pn pst mort dp joip... 59 Mais, il s'en trouve de plus intéressantes à analyser, comme les images reliant la mort à la vie; par exemple: "cela vous réveillerait un mort."60 L'apothicaire fait respirer du vinaigre aromatique à Emma inconsciente. Dans cette expression, on volt le \Ien entre la mort et la vie, mais on volt surtout le lien entre le sommeil et la mort. Plus loin, lorsque Madame I.efrançoi:c; hahille le cadavre d'Emma, elle dit: "Si l'on ne jurerait pas qu'elle va se lever tout à l'heure."61 Ici encore on lie la mort au sommeil. Cette expression confirme le fait que la mort est difficile à accepter et que l'on voudrait hien voir le mort s'éveiller, comme s'il dormait. C.ependant, on trouve aussi des expressions liant les mourants, les condamnés, à la vie, hien qu'on sache que la mort les emportera: "11 expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'Il le jugeait convenahle pour leur salut;"62 Les expressions utilisées par les vivants pour décrire un mort, la mort même ou une situation liée à la mort proviennent souvent d'une censure des tabous, d'où les liens créés avec lavie ou le sommeil. c.ependant, Il faut remarquer que même les survivants sont marqués à jamais par cet événement. Ainsi, Ils doivent obéir à

un code vestimentaire et on dit qu'lis sont orphelins de mère ou de

58 Flauben. Gustave.Madame Bovary.p.77.

59ibid.,p.247. 60 Ibid••p.213.

61 Ibid.,p. 338.

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père, ou encore veufs. D'ailleurs. les femmes portent plus longtemps la marque du deuil, comme la veuve Lefrançois (désignée sous ce

titre malgré le fait que son mari est mort bien avant le récit) ou encore la veuve Dubuc, première épouse de Charles, nommée encore ainsi après son deuxième mariage.

L'image que projette le décédé est toujours liée à la vision subjective des survivants. Ainsi, les vivants représentent cn sculpture la mort de Louis de Brézé, "se!gneur de Breval et de Montchauvet, comte de Maulevrier, baron de Mauny, chambellan du roi, chevalier de l'Ordre et pareillement gouverneur de Normandie"63 d'une façon plutôt romanesque: "cet homme prêt à descendre au tombeau vous figure exactement le même. 11 n'est point possible, n'est-ce pas, de voir une plus parfaite représentation du néant?"64 Le guide de la cathédrale de Rouen propose ici une interprétation de la sculpture en parlant plus de la disparition dans le néant de cet

homme que de sa seule mort. Le testament est souvent la dernière image du trépassé. Sile mort laisse derrière lui quelque chose, cette chose prend plus d'importance que sa mort même. Les vivants l'interprètent, sans vérifier sa signification réelle. Ainsi, lorsque le même guide parle des tombeaux d'Amboise, 11 met l'accent sur le fait qu'un de ces deux cardinaux et archevêques de Rouen, celui qui fut ministre de Louis XII, a laissé "dans son testament trente mme écus d'or pour les pauvres."6S Cependant, comme on le verra plus loin, les

63 Flaubert, Madame Bovary,p.247. 64 Ibid.,p.247•

6SIbid.,p. 248.

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testaments ne contiennent pas toujours ce à quoi les vivants s'attendent.

La dimension spirituelle de la mort touche aussi le corps. Le meilleur ~empleen est la célèbre scène de l'extrême-onction donnée à Emma:

Ensuite il récita la Misereatur et l'lndulgentiam,

trempa son pouce droit dans l'huile et commença les onctions: d'abord sur les yeux, qui avaient tant

convoité toutes les somptuosités terrestres; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la 1u.'Cure; puis sur les mains, qui se déiectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle couraità

l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient p1US.66

Bien qu'au départ le curé entende purifier par ce sacrement le corps d'Emma, le narrateur met plutôt ici l'accent sur la mort du corps, source de plaisir. Ce qui est d'abord de l'ordre spirituel devient dès lors très physique.

On retrouve de nombreux clichés sur la mort véhiculés par divers personnages dans ce roman. On en volt entre autres beaucoup sur le deuil. Il y a lastatue de laveuve pleurant lamort de son époux au bord du tombeau. Cette image est présentée par le personnage de Diane de Poitiers, "comtesse de Brézé, duchesse de Valentinois"67. les pleurs sont toujours liés au deuil. La tristesse en semble aussi un

66 Flaubert. Madame Bovary,p.331•

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synonyme: "Elle était si triste. si triste. qu'à la voir debout sur le seuil de sa maison. elle vous faisait l'effet d'un drap d'enterrement tendu devant la porte."68 Cependant. Emma surpasse toutes les veuves dans l'expression romantique de son grand deuil. Lorsque sa mère meurt. elle pleure. elle se fait faire un fétiche et elle exprime sa douleur d'une manière toute romantique:

Quand sa mère mourut, elle pleura beaucoup les premiers jours. Elle se fit faire un tableau funèbre avec les cheveux de la défunte, et. dans une lettre qu'elle envoyait aux Bertaux. toute pleine de réflexions tristes sur la vie. elle demandait qu'on l'ensevelit plus tard dans le même tombeau. Le

bonhomme la crut malade et vint la voir. Emma fut intérieurement satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idéal des existences pâles. où ne parviennent jamais les coeurs médiocres. Elle se laissa donc glisser dans les méandres lamartlniens. écouta les harpes sur les lacs. tous les chants de cygnes mourants. toutes les chutes de feuilles. les vierges pures qui montent au ciel. et la voix de l'Éternel discourant dans les vallons. Elle s'en ennuya. n'en voulut point convenir. continua par

habitude. ensuite parvanité. et fut enfin surprise de se sentir apaisée. et sans plus de tristesse au coeur que de rides sur son front.69

25

Dans les premiers jours. eUe exprime son véritable deuil. Ce qui vient ensuite n'est qu'une suite de poses pour la jeune Emma: elle joue les romantiques éplorées. Lorsqu'elle voit son père la prendre au sérieux. elle est heureuse de sa réussite et s'investit encore plus profondément dans son rôle. À partir de ce moment. elle voudrait être ce personnage. Plus tard.après la rupture avec Rodolphe, on volt

68 Flaubert. Madame Bovary.p. 112.

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que le personnage romantique qu'elle jouait adolescente est toujours vivant en elle:

Quand au souvenir de Rodolphe. elle l'avait descendu tout au fond de son coeur; et il restait là. plus

solennel et plus immobile qu'une momie de roi dans un souterrain. Une exhalaison s'échappait de ce

grand amour embaumé et qui, passant à travers tout, parfumait de tendresse l'atmosphère

d'immaculation où elle voulait vivre.70

Elle ne joue plus: elle s'efforce de vivre le personnage qu'elle s'était créé. Elle fera de moins en moins de distinction entre le rêve et la réalité. et elle sera constamment déçue par le terre-à-terre prosaïque de la vie yonvillaise.

L'événement funèbre est entourê d'un apparat de décence qu'il ne faut pas défier: il est nécessaire de se plier aux idées reçues des Yonvillals pour ne pas paraître malaux yeux des concitoyens. Homais est le juge de ce qui convient à YonvUle. Il estime que tel n' a pas eu la décence de venir jusqu'au cimetière; que tel autre aurait dû trouver un habit noir et ne pas porter du bleu; qu'il est indécent de fumer après les obsèques, etc. La mort doit être respectée même lorsque le deuil est terminé: il existe un code, un deuil social à assumer: "On remit à causer des arrangements d'intérêt; on avalt, d'ailleurs, du temps devant soi, puisque le mariage ne pouvait décemment avoir lieu avant la fin du deuil de Charles, c'est-à-dire vers le printemps de l'année prochaine."71 Voilà un bon exemple de

ce que nous entendons par <<code social du deuil»: Charles ne peut se

-0

1 Flaubert. MadameBovaIy.p. 220•

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remarier. même si intérieurement son deuil est terminé. Le point de vue de la société est plus important que les sentiments personnels. D'ailleurs. dans le roman. la société refuse que l'individu manifeste quoi que ce soit. Il faut que certaines émotions soient retenues. Ainsi la tristesse d'Emma. qui provient du fait qu'elle veut atteindre un but rêvé dans le territoire du réel. est marginalisée. Cette tristesse ne peut être exhibée sans raison valable comme une maladie: "Emma. ivre de tristesse, grelottait sous ses vêtements; et se sentait de plus en plus froid aux pieds, avec la mort dans l'âme."n On voit ici le rapport entre la tristesse, le froid et la mort. Emma est seule et elle peut ainsi vivre ouvertement son sentiment. Mais elle ressent le froid, et cette sensation mêiée à son sentiment de tristesse lui fait croire qu'elle a «la mort dans l'âme». Plus ioin, le narrateur exprime un de ses souhaits: "Elle aurait voulu ne plus vivre, ou continuellement dormir."73 Ces deux passages sont liéspar l'idée de la mort, mais aussi par une atmosphère pleine de tristesse. On remarque également dans cette phrase la présence du lien entre le sommeil et la mort que nous avons déjà relevé.

On retrouve aussi dans le roman cette idée que la mort rôde constamment. Elle se promène sous divers aspects. Ce sont parfois des mots qui concrétisent sa présence: "Ils examinèrent ses robes, le linge, le cabinet de toilette; et son existence, jusque dans ses recoins les plus intimes, fut, comme un cadavre que l'on autopsie, étalée tout du long aux regards de ces trois hommes."74 Cette présence passe

n Flaubert. Madame Bovazy.p. 273.

73Ibid.. p.297•

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parfois par le sens de certaines expressions: "Et il la regardait, tout étonné par la pâleur de son visage, qui tranchait en blanc sur le fond noir de la nuit. Elle lui apparut extraordinairement belle, et majestcuse comme un fantôme; sans comprendre ce qu'elle voulait, il pressentait quelque chose de terrlble."7S Ou encore, c'est le sens global du texte qui indique la présence de la mort: "Elle s'ac;sit à son secrétaire, et écrivit une lettre qu'elle cacheta lentement, ajoutant la date du jour et l'heure. Puis elle dit d'un ton solennel: -Tu la liras demain; d'ici là, je t'en prie, ne m'adresse pas une seule question!... Non, pas une!"76 Il n'y a pas ici un mot qui fasse allusion à la mort; cependant, on connait le contexte de cette rédaction.

Comme on a pu le constater, l'idée reçue à propos de la mort la camoufle plus qu'elle ne la divulgue, ce qui montre que la mort est toujours un sujet tabou. Le sociologue Jean Ziegler définit ainsi le tabou de la mort dans la société moderne occidentale:

Or, ma société, par les moyens de cette culture, ne se contente pasde priver l'homme de son agonie, de son deuil et de la claire conscience de sa finitude, elle ne se limite pas à frapper la mort d'un tabou, à refuser un statut social aux agonisants, à

pathologiser la vieillesse et à nihiliser les ancêtres. Elle nie l'existence même de la mort. La. mort est le néant.77

Certains éléments de cette définition sont illustrés dans Madame

Bovary: Emma est privée en partie de son agonie par l'action des

7S Flaubert. Madame Bovary.p. 320.

76ibid..p.321.

77 Ziegler. Jean. Les vivants et la mort, essaide sociologie,Paris,Seuil, 1975• "Esprit". p. 13.

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hommes de science; le deuil est une affaire sociale et non pcrsonneUe: les protagonistes ne sont pas conscients qu'ils vont aussi mourir un jour.

Comme les personnages sont inconscients de leur propre mort et qu'Il ne parlent pas de la mort en général, ils doivent d'autant camoufler leur désir de mourir: "EUe prétendit avoir besoin de tuer les rats qui l'empêchaient de dormlr."i8 Emma veut obtenir de l'arsenic dans le capharnaüm d'Homais, mals il lui est évidemment Impossible d'en demander à Justin en lui avouant ses véritables fins, car il refuserait. En mentant sur ses intentions, eUe tait sa douleur et son souhait de mourir.

Ce qui est vraiment au centre du phénomène de la mort. c'est le cadavre. Pour une cause quelconque. le corps cesse de vivre. Les survivants essaient toujours de trouver une raison à la mort. Parfois. cette raison est spirituelle; parfois. elle est scientifique. Mals les protagonistes répètent souvent Ici des Idées reçues. Par exemple Homais ne peut s'empêcher d'intervenir: "- Et même j'ai lu que différentes personnes s'étaient trouvées intoxiquées. docteur. et comme foudroyées par des boudins qui avaient subi une trop véhémente fumigation!"79 Il appuie tous ses discours sur la lecture d'un auteur célèbre pour poser ses diagnostics. Cela n'empêche pas qu'il cherche lui aussi une cause à la mort. À chaque mort. les personnages du roman cherchent à trouver un responsable. Parfois. ce sont les épidémies; d'autres fois. c'est une erreur de la victime,

78 Flaubert, Madame Bovary.p. 320•

79 Ibid.. p.329.

(38)

comme le dit Homals pour la mort d'Emma. Ainsi, ils font tout pour éloigner d'eux la responsabilité de la mort. Lorsque Justin comprend enfin ce qui se passe, Emma lui affirme qu'il doit se taire: "Il se désespérait, voulait appeler. - N'en dis rien, tout retomberait sur ton maitre!"80 Même ceux qui côtoient la mort fréquemment ne veulent pas se voir associés à ce phénomène: "Il [le docteur Larivière] sortit comme pour donner un ordre au postillon, avec le sieur Canivet, qui ne se souciait pas non plus de voir Emma mourir entre ses mains."8! La mort est frappée d'un tabou, on s'en tient aussi loin que l'on peut.

La nature et lascience sont deux autres éléments qui s'ajoutent au contexte de la mort. La nature est souvent liée à la mort. Ainsi, lorsqu'Emma éprouve son deuxième grand vertige, elle se trouve sur le chemin entre le domaine de la Huchette et Yonville: "Il lui sembla tout à coup que des globules couleur de feu éclataient dans l'air comme des balles fulminantes en s'aplatissant, et tournaient, tournaient, pour aller se fondre sur la neige, entre les branches des arbres."82 La nature est transfigurée pour Emma, à travers ses hallucinations. La neige et les branches des arbres semblent faire fondre ies globules de feu. Lors du cortège funèbre, la nature se coloreainsi: "Leciel pur était tacheté de nuages

roses;

des fumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières couvertes d'iris;"83 Cependant le spectacle de lanature ne s'accorde pasavec la tragédie:

80 Flaubert. Madame Bovazy.p. 321.

81 ibid..p. 32;-328.

82ibid..P. 319-320•

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autant elle s'harmoniserait avec un mariage. autant la situation présente est pleine de tristesse.

Dans les deux grands vertiges qu'éprouve Emma. la nature lui apparaît changée. Après avoir lu la lettre de rupture de Rodolphe. elle a son premier grand vertige et elle est appelée à la chute suicidaire: "Il lui semblait que le sol de la place oscillant s'élevait le long des murs, et que le plancher s'inclinait par le bout, à la manière d'un vaisseau qui tangue."84 I.e paysage de son univers champêtre et de son village devient une mer, elle est sur "un vaisseau qui tangue", qui l'entraîne vers l'abîme. Après sa dernière entrevue avec Rodolphe,lacampagne est encore une fois comparée à la mer: "Le sol sous ses pieds était plus mou qu'une onde, et les sillons lui parurent d'immenses vagues brunes, qui déferlaient."85 Ce deuxième vertige lui représente sa situation comme un gouffre. C'est ce qui ia pousse vers le suicide. D'ailleurs, la noirceur apparaît à cette occasion dans la nature: "La nuit tombait, les corneilles volaient."86 On peut voir dans cette brève phrase un présage lugubre du suicide d'Emma.

En général, Emma voit la nature à travers sa sensibilité romantique. Que ce soit une vision apocalyptique ("Elle jetait les yeux tout autour d'elle avec l'envie que le terre croulât."87), ou encore un clair de lune ("et même lui disait quelquefois, en regardant la lune: -Je suis sûre que là-haut, ensemble, elles approuvent notreamour."88),

84 Flaubert. Madame Bovary.p.211.

85Ibid.,p.319.

86Ibid..p.319.

87Ibid.,p. 210-211 .

88Ibid.,p. 1ï4-175.

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c'est le romantisme de la nature qui se manifeste. Il est même facile de la séduire en parlant de la nature. Rodolphe lui fait ainsi la conversation avant de lui faire la cour plus directement: "_Ah! oui. d'apparence. parce qu'au milieu du monde je sais mettre sur mon visage un masque railleur: et cependant que de fois. à la vue d'un cimetière, au clair de lune, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux d'aller rejoindre ceux qui sont à donnir...S9 Léon aussi parle

de la nature pour séduire Emma lors de leurs retrouvailles. -Et nos pauvres cactus. où sont-ils?

-Le froid les a tués cet hiver.

-Ah! que j'ai pensé à eux, savez-vous? Souvent je les revoyais comme autrefois, quand, par les matins d'été, le soleil frappalt sur les jalousies... et

j'apercevais vos deux bras nus qui passaient entre les fleurs.9O

Il lui parle de leurs cactus et choisit cette occo.sion pour lui avouer qu'il a souvent pensé à eUe.

Dans ses moments de tristesse ou de détresse, la nature est toujours agissante pour Emma: "Le bleu du ciel l'envahissait, l'air circulait dans sa tête creuse"91 (lors de sa première tentative de

suicide); "le chagrin s'engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les châteaux abandonnés."92

(au lendemain du départ de Léon). La romance de la nature revient constamment. Elle parlalt avec Rodolphe "des cloches du soir ou des

89 Aaubert. Madame BovalY.p. 142. 90Ibid..p. 240.

91 Ibid..p.211• 92 Ibid..p. 126.

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voix de la nature"93 et mettait en scène sa propre mort en faisant

semer "par terre des fleurs de dahlla"94, par Félicité. au moment où "elle s'était crue agonlsante"95

Cependant. la nature est Indifférente au sort des êtres. Pourtant les personnages du roman croient qu'elle leur donne des avertissements. Au décès d'Emma, on fait venir son père sans lui expliquer ce qui s'était passé: "Il aperçut trois poules noires qui dormaient dans un arbre; il tressaillit, épouvanté par e présage."% Léon Bopp éclaire très bien ce Paradoxe entre le présage de la nature et sa véritable indifférence:

Comme tous ceux qui éprouvent une grande appréhension, une grande douleur ou un grand amour, Rouault a le sentiment que la nature

environnante devrait s'associer à ses émotions. ou tout au moins le renseigner sur le sort de sa fllle:«SI elle était morte, songe-t-il, on le saurait» [...

l.

Mals

non, lanature est muette, elle semble même

manifester une sorte de sérénité heureuse: le ciel est bleu.97

SI lanature marquait l'émotion des humains, elle exprimerait plus de tristesse que de joie aux funérailles d'Emma; mals "Le ciel pur était tacheté de nuages roses; des fumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières couvertes d'irls"98. la nature s'accorde plus à une joie qu'à un deuil, et "cette même joie témoigne de l'Indifférence des

93 Flaubert, Madame BovaIy.p.174.

94 Ibid., p. 218.

95Ibid.,p.218.

% Ibid., p. 341.

97 Bopp, I.éon, l.ommenraire sur Madame Bovary, Neu("héitel, F.ditions de la BacoDlÜère,1951,p.519•

98 Flaubert, Madame Bovary,p. 344.

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choses aux chagrins de l'homme. de cette même indifférence qui se manifesta tout à l'heure au père Rouault [...] ou à Bovary..."99 La

nature évolue. indépendamment des humains: "Le petit cimetière qui l'entoure, clos d'un mur à hauteur d'appui, est si bien rempli de tombeaux, que les vieilles pierres àras du sol font un dallage continu, où l'herbe a dessiné de soi-même des carrés verts réguliers."loo L'herbe continue de croître, les pommes de terre poussent aussi bien dans la terre des jardins yonvUlais que dans celle du cimetière. Lestiboudois "continue la culture de ses tubercules, et même soutient avec apiomb qu'Us poussent naturellement."101 L'indifférence de la nature apparaît dans le roman à plusieurs reprises. De l'opération du pied-bot d'Hippolyte, où les résultats de la science sur la vie montre que celle-ci gagne souvent, à "l'envie que la terre croulât"102 d'Emma, souhait qui ne se réalisera pas, la nature suit son cours. Les personnages admettent parfois quela nature est souveraine: "puis Us mangèrent et trinquèrent, tout en ricanant un peu, sans savoir pourquoi, excités par cette gaieté vague qui vous prend après des séances de tristesse;"103 Ce petit goûter a lieu pendant la veillée mortuaire d'Emma. Les vivants doivent vivre, dormir et manger: c'est

lacontinuité de lavie. ". Pieurez, reprit ie pharmacien, donnez cours à la nature, cela vous soulagera!"l04 Celui-là même qui prône la science, Hornais, donne ici raison à la nature et à l'ordre des cboses.

99Bopp. Léon.Op.dL. p.521.

100F1auben. MadameBovary.p. i3.

101 Ibid..p.i5.

1021bid..p. 210.

103Ibid..p. 340-341•

(43)

Cependant la science a toujours une place prédominante dans sa pensée:

Je suis pour la Profession de foi du vicaire savo.vard

et les immortels principes de 89! Aussi. je n'admets pas qu'un bonhomme de bon Dieu qui se promène dans son parterre la canneà la main. loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un cri et ressuscite au bout de trois jours: choses

absurdes en elles-mêmes et complètement opposées, d'ailleurs, à toutes les lois de la physique: ce qui nous démontre, en passant, que les prêtres ont toujours croupi dans une ignorance turpide, où ils s'efforcent d'engloutir avec eux les populations.!05

Dans ce discours, l'apothicaire affirme ses convictions: il est anti-clérical, il croit à la liberté, à l'égalité et à la fraternité, et, surtout, il veut que tout puisse s'expliquer scientifiquement. C'est un progressiste: il lit des revues scientifiques, et à toutes choses il veut répondre scientifiquement. Homais essaie de démontrer aux médecins qu'il est, lui aussi, un homme de science et qu'il sait bien des choses sur le progrès scientifique. Il aimerait avoir le même statut que les médecins et il pratique aussi la médecine, en cachette: "Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y réussir, tant Homais les a tout de suite battus en brèche"l06 l.es médecins ont toujours bonne réputation dans le roman: "11 se disait qu'on la sauverait sans doute; les médecins découvriraient un remède, c'était sûr. Il se rappela toutes les guérisons miraculeuses qu'on lui avait contées."107 Mais ils sont

1OS Flaubert, Madame Bovazy,p.79-80.

106ibid.,p.356.

107Ibid.,p.342.

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humains et, dans le cas d'Emma. ils ne veulent pas être associés à sa mort: ie docteur Larivière "sortit comme pour donner un ordre au postillon, avec le sieur Canivet, qui ne se souciait pas non plus de voir Emma mourir entre ses mains."lOS

L'épisode du pied-bot est un bon exemple de cette confiance aveugle envers la science. Au départ, Charles ne veut pas opérer Hippolyte: c'est Homais et Emma qui le convainquent Bovary étudie dans ses livres avant de faire l'opération. Après, lorsqu'on doit amputer la jambe d'Hippolyte, Bovary souhaite qu'il ne meure pascar il se sent évidemment en cause. Cependant, le véritable responsable de cette tragédie, c'est bien Homais. C'est lui qui souhaite l'avancement de la science et qui manipule les gens pour se faire reconnaître en tant qu'homme de science. Il va même jusqu'à affirmer: "je le dis souvent, j'ai l'intention de léguer mon corps aux hopitaux' afin de servir plus tard la Science."109 Il s'offre donc à la

science, maisseulement après sa mort.

Le progrès de la science n'est pas uniquement positif: l'épisode de l'arsenic le démontre bien. Ce poison mortel tuera Emma qul savait où se procurer cette substance et qui en connaissait les effets. Elle savait aussi qu'Homais s'en savait responsable du point de vue de la loi: "Souvent Je m'épouvante moi-même, lorsque Je pense à ma responsabilité! car le gouvernement nous persécute, et l'absurde législation qui nous régit est comme une véritable épée de Damoclès

lOS Flaubert. Madame Bovary,p.32ï-328• 109ibid.,p. 338.

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