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Pépite | Liberté du travail et contrat de travail.

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Academic year: 2021

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Sommaire

PREMIÈRE PARTIE. UNE APPROCHE STATIQUE DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ÉPROUVÉE

CHAPITRE I. UNE LIBERTÉ UNILATÉRALE DU TRAVAIL OPPOSABLE À L’EMPLOYEUR CHAPITRE II. UNE LIBERTÉ INDIVIDUELLE DU TRAVAIL OPPOSABLE AUX TIERS

SECONDE PARTIE. UNE APPROCHE DYNAMIQUE DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL AMORCÉE

CHAPITRE I. UNE BILATÉRALISATION DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL CHAPITRE II. UNE OBJECTIVISATION DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL

(3)

Remerciements

Que Monsieur Jean-Philippe Tricoit trouve ici l’expression de mes plus sincères remerciements pour sa disponibilité et son précieux aiguillage tout au long de la réalisation de ce mémoire.

Je remercie également l’ensemble du corps enseignant pour la richesse de leur enseignement.

Enfin, que ma famille et mes amis sachent qu’ils sont pour moi une source inépuisable d’inspiration, de motivation et de joie.


(4)

Table des abréviations

al. alinéa

art. article

Ass. Assemblée générale

Ass. plén. Assemblée plénière

C. civ. Code civil

C. pén. Code pénal

C. transp. Code des transports

C. trav. Code du travail

CA cour d’appel

CASF Code de l’action sociale et des familles

Cass. civ. chambre civile de la Cour de cassation

Cass. com. chambre commerciale de la Cour de

cassation

Cass. crim. chambre criminelle de la Cour de cassation Cass. soc. chambre sociale de la Cour de cassation

CE Conseil d’État

chron. chronique

coll. collection

comm. commentaire

Comm. com. électr. Communication Commerce électronique

concl. conclusions

Cons. const. Conseil constitutionnel

Conv. EDH Convention européenne de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales

Cour. EDH Cour européenne des droits de l’homme

D. Recueil Dalloz

dir. direction

Dr. soc. Revue de Droit social

éd. édition

(5)

JCP G La Semaine juridique Générale

JCP S La Semaine juridique Social

JS Lamy Jurisprudence Sociale Lamy

LGDJ Librairie générale de droit et de

jurisprudence

LPA Les Petites Affiches

n° numéro

not. notamment

OIT Organisation internationale du travail

op. cit. opus citatum, ouvrage précité

p. page(s)

préc. précédent

PUF Presses universitaires de France

RDSS Revue de droit sanitaire et social

Rép. Dalloz Répertoire Dalloz

RFDA Revue française de droit administratif

RFDC Revue française de droit constitutionnel

s. suivants

sect. section

spéc. spécialement

(6)

Introduction

M. Professeur J. Pélissier relève que si « la liberté du travail est, en France, considérée par

tous comme un principe bien établi, indiscutable », ce « principe ‘fondamental’ est traité avec particulièrement peu d'égards par le droit et par les juristes ». Ce désintérêt expliquerait selon lui 1 « peut-être en partie que les juges et les praticiens du droit n'attachent pas toujours à ce principe

les conséquences qui devraient en résulter. Notre droit positif consacre, en effet, (…) de graves atteintes à la liberté du travail ». Force est de constater qu’aujourd’hui encore, les textes et 2

décisions se réfèrent peu au principe de la liberté du travail alors que son élasticité pourrait permettre d’appréhender le changement de paradigme qui s’amorce en droit du travail avec l’apparition de nouvelles formes de travail. Préciser la définition et la portée de la notion de liberté du travail présente alors un enjeu certain.

En premier lieu, avant de définir la liberté du travail, il convient de définir le terme de « travail ».

D’une part, le travail, tiré du verbe travailler, du latin tripaliare signifie torturer avec l’instrument de torture dit tripalium. Il s’agit d’une « activité humaine, manuelle ou intellectuelle,

exercée en vue d’un résultat utile déterminé ». Dans un sens plus restreint, le terme travail s’utilise 3

pour désigner une activité salariée. Dans le langage courant, le travail se confond avec la notion 4

d'activité professionnelle, qui se réfère au travail dépendant ou indépendant, qui se caractérise par l’accomplissement régulier de certains actes, par opposition au travail occasionnel, et par la poursuite d’un but lucratif. Le travailleur indépendant n’est pas soumis au même régime que le 5

salarié. Le premier n’est pas lié par un contrat de travail avec l’entreprise ou la personne pour laquelle il exécute sa mission, travaille pour son propre compte et est autonome dans la gestion de son organisation, dans le choix de ses clients et dans la tarification de ses prestations. Le second est

Pélissier (J.), « La liberté du travail », Dr. soc., 1990, p. 19.

1

Pélissier (J.), op. cit., 1990, p. 19.

2

Cornu (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige, 11e éd., 2017, p. 1039.

3

Cornu (G.), op. cit., 2017, p. 1039.

4

Cornu (G.), op. cit., 2017, p. 29.

(7)

lié par un contrat de travail avec l’entreprise qui l’emploie. Le critère principal de distinction est le lien de subordination, que l’on évoquera tout au long de notre étude.

La liberté du travail ne peut se concevoir sans un individu qui engage « son activité, sa

personne et son corps dans le procès de travail » qui est la personne du travailleur. Du travailleur 6

et du travail ressort la question centrale de l’objet du contrat de travail.

Certains affirment de façon tranchée que le travail est intrinsèque à l’homme et ne peut dès lors faire l’objet d’un contrat car cela reviendrait à contracter sur des éléments du corps du travailleur : « le travail c’est l’homme même, dans son corps et dans son esprit, et il n’y a pas là

l’objet possible d’un contrat » . 7

D’autres dissocient le travail et le travailleur en considérant que l’objet du contrat de travail est exclusivement le travail et non la personne du travailleur. Quant à cette dissociation M. le 8

Professeur J.-M. Verdier soutient qu’« il y a en quelque sorte deux « parts » - presque deux hommes

- dans chaque travailleur salarié (…). Deux « êtres juridiques » : l’homme libre et le travailleur subordonné ? ». 9

Une approche plus nuancée que les deux évoquées consisterait à retenir que l’objet du contrat de travail est la force de travail, force qui est bel et bien dans le commerce juridique. Si cette force de travail est matériellement exercée par la personne du travailleur, ce dernier reste en dehors de tout commerce. Cela n’exclut pas des points de friction entre le travailleur et sa force de travail car, souligne M. le Professeur T. Revet, « la commercialité de la force de travail heurte de front le

principe d’extra-commercialité du sujet de droit ». L’exercice de la liberté du travail permet entre 10

autres au travailleur de disposer de sa force de travail en s’engageant contractuellement envers un employeur. La liberté de travailler fait ainsi de la « commercialité de la force de travail une règle de

principe ». 11

D’autre part, le travail est à distinguer de l’ « emploi ».

Cabrillac (R.) (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Maîtrise des connaissances et de la culture juridique, Dalloz,

6

2018, p. 964-985.

Ripert (G.), Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, n°109, p. 175.

7

Rivero (J.), « Les libertés publiques dans l’entreprise », Dr. soc., 1982.423.

8

Verdier (J.-M.), « Libertés et travail. Problématique des droits de l’homme et rôle du juge », D. 1988, chron. 70.

9

Revet (T.), « La liberté du travail » in Libertés et droits fondamentaux, dir. T. Revet, R. Cabrillac, M.-A.

Frison-10

Roche, 5e éd., Dalloz, 1999.

Revet (T.), « L’objet du contrat de travail », Dr. soc. 1992, p.859 et s.

(8)

Le terme « emploi », tiré d’employer, du latin implicare, englobe l’ensemble des mesures de contrôle des demandes d’emploi, embauchages et licenciements, ainsi que les politiques menées 12

par l’État « en vue d’atteindre ou de maintenir un équilibre satisfaisant de l’emploi, en facilitant le

placement des travailleurs et en favorisant la formation et la reconversion de ceux qui ne trouvent pas d’emploi ». Cette appréciation, objective, ne saurait exclure les deux composantes de 13

l’emploi, l’une individuelle, qui renvoie à la situation individuelle du salarié ou demandeur 14

d’emploi, l’autre collective, qui concerne l’état et la structure des effectifs. 15 16

Si le travail renvoie davantage à l’activité et à ses conditions d’exercice, l’emploi est appréhendé comme « un travail en tant qu’il est associé à un certain statut ». En ce sens, l’emploi 17

est le travail qui s’inscrit dans la durée, ce qui a pu amener certains à dire que « le travail 18

précaire, c’est plutôt le travail sans l’emploi ». Le critère différenciant l’emploi et le travail serait 19

alors la stabilité, qui est caractéristique de l’emploi, et à laquelle est éventuellement associée une évolution en terme de rémunération et de fonctions.

En deuxième lieu, lorsque le travail prend la forme du travail salarié, un contrat de travail doit être conclu. Ainsi, faut-il définir la notion de « contrat de travail ».

L’écrit était un instrument-support des obligations du salarié envers l’employeur même s’il ne se matérialisait pas forcément par la forme d’un contrat de travail.

Après la Révolution, la plupart des travailleurs manuels concluent des contrats de louage d’ouvrage. Pour les domestiques et les ouvriers subordonnés, seuls deux articles, les articles 1780 et 1781 (abrogé depuis) du Code civil, sont consacrés au contrat de louage de services. Le premier pose le caractère nécessairement temporaire du louage et le second expose le mode de preuve qui est favorable au « maître » qui est cru sur son affirmation en matière de salaires et de gages. Pour le

Cornu (G.), op. cit., 2017, p.397.

12

Cornu (G.), op. cit., 2017, p.397.

13

Jeammaud (A.), Le Friant (M.), « L’incertain droit à l’emploi », p.29 et s., spéc. p.31 in « L’emploi est-il un droit ? »,

14

La Revue du Mage, l’Harmattan, 1999, n°2.

Gaudu (F.), L’emploi dans l’entreprise privée. Essai de théorie juridique, thèse, Paris I, 1986, p.212 et s.

15

D’autres approches doctrinales existent. Par exemple, M.-L. Morin définit l’emploi comme désignant d’une part la

16

relation individuelle de travail résultant de la conclusion d’un contrat de travail et d’autre part la relation collective qui se matérialise par l’appartenance à une collectivité de travail régie par un statut collectif (Morin (M.-L.), « Les frontières de l’entreprise et la responsabilité de l’emploi », Dr. soc. 2001, p. 478 et s).

Lyon-Caen (A.), « L’emploi comme objet de la négociation collective », Dr. soc. 1998, p. 316. et s.

17

Morin (M.-L.) et Dauty (F.), « Entre le travail et l’emploi : la polyvalence des contrats à durée déterminée », p. 20 et

18

s., Travail et Emploi 1992, n°52.

Supiot (A.), « Du bon usage des lois en matière d’emploi », Dr. soc. 1997, p. 239.

(9)

reste, la loi du rapport de travail est celle des parties. Le rapport de travail est alors sujet à un encadrement fondé sur l’autonomie de la volonté, volonté qui est très largement à cette époque celle de l’employeur. Le droit pour un salarié de démissionner de son emploi était par ailleurs rendu difficile par l’existence du livret ouvrier, instauré par la loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803). 20

Pour pouvoir changer d’emploi, le travailleur devait être porteur du livret certifiant de l’acquit de ses engagements, en l’occurrence envers l’employeur car les avances accordées par ce dernier au salarié étaient fréquentes.

Le législateur a peu à peu édicté les règles relatives au contrat de travail. En outre, la loi n °73-4 du 2 janvier 1973 relative au code du travail, qui s’inscrit dans le mouvement de codification à droit constant, généralisera l’usage du terme contrat de travail. La loi du 13 juillet 1973, complétée par la loi du 2 août 1989 opère un changement radical en matière de rupture du contrat de travail en disposant que le licenciement n’est désormais licite que s’il est justifié par une cause réelle et sérieuse. La protection du salarié est alors renforcée et le pouvoir disciplinaire de l’employeur restreint. La rupture devant désormais être justifiée, cette loi a contribué à faire du contrat à durée indéterminée « la forme normale et générale de la relation de travail » qui le 21

caractérise aujourd’hui. Parallèlement, si les parties sont libres d’établir le contrat de travail selon les formes qu’ils souhaitent, la loi encadre de façon davantage stricte les cas de recours et la forme du contrat à durée déterminée.

Le contrat de travail prend encore racine dans le droit civil : « Le contrat de travail est soumis

aux règles du droit commun ». La liberté de conclure un contrat, de travail notamment, trouve sa 22

place dans le Code civil à l’article 1102 qui pose le principe de liberté contractuelle. Une fois conclu, le contrat doit être exécuté en vertu du principe de la force obligatoire de l’article 1103 du code précité. Il doit être exécuté de bonne foi en vertu de l’article 1104 et plus spécialement de l’article L.1222-1 du Code du travail en vertu duquel « le contrat de travail est exécuté de bonne

foi ».

Le juge a un rôle-clé dans la définition du contrat de travail. Depuis l’arrêt Bardou en date du 6 juillet 1931, le lien de subordination n’existe pas dans la dépendance économique du travailleur 23

mais dans le lien juridique de subordination. Par l’arrêt Société Générale en date du 13 novembre 1996, la Cour de cassation vient préciser les critères de caractérisation du lien de subordination en

Modifié plusieurs fois, le livret ouvrier sera aboli en 1890 au profit d’un simple certificat de travail.

20

C. trav., art. L. 1221-2.

21

C. trav., art. L. 1221-1.

22

Cass. civ., 6 juill. 1931.

(10)

affirmant que « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité

d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Il en ressort que l’état de subordination est 24

caractérisé par le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. Puis, le juge, par l’arrêt Labanne du 19 décembre 2000, pose la règle d’indisponibilité de la qualification du contrat de travail, laquelle s’apprécie in concreto : « l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté

exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ». L’appréciation in 25

concreto se fait notamment avec la méthode dite du « faisceau d’indices », dont l’arrêt Ile de la

tentation en date du 3 juin 2009 constitue une illustration évocatrice . La question de la 26

caractérisation du lien de subordination présent encore aujourd’hui un intérêt tout particulier. En effet, sa définition a eu l’occasion d’être réaffirmée et précisée récemment avec l’arrêt Take Eat Easy, qualifié par M. le Professeur G. Loiseau d’ « électrochoc » dans le secteur de l’économie 27

collaborative. Il conviendra d’aborder ce que cette question recouvre.

En troisième lieu, avant de définir la liberté du travail, il faut cerner les contours de la notion de « liberté ».

Si l’on met de côté la liberté « élémentaire et instinctive » de celui, tel un Robinson sur son île, « n’a besoin de personne ni de quoi que ce soit » et dont la « liberté extrême ne se découvre

qu’au prix de la solitude » , reste une « liberté relative, s’exprimant par rapport aux autres 28

hommes et au sein d’une société, à laquelle s’attache le droit, cette sorte de lien entre les solitudes » . M. le Professeur F. Terré va même jusqu’à avancer que le vocable de liberté est 29

devenu un « mot magique » qui sert de « prétexte à la manie de la revendication », invoqué pour 30

Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187.

24

Cass. soc., 19 déc. 2000, n°98-40.572.

25

Cass. soc., 3 juin 2009, n°08-40.981 à 08-40.983, n°08-41.712 à 08-41.714 : en l’espèce, l’obligation pour les

26

participants de prendre part aux activités, de suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur, de se faire dicter leur conduite, d’être disponible de façon permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et toutes ces obligations contractuelles pouvant être sanctionnées par le renvoi, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel a caractérisé l’existence d’un contrat de travail entre la société de production et les participants.

Loiseau (G.), Les livreurs sont-ils salariés des plateformes numériques ?, JCP S 2018, 1398.

27

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 3-6.

28

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 3-6.

29

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 3-6.

(11)

couvrir toutes les outrances. De façon plus nuancée, il est incontestable que la liberté est perpétuellement exposée à la tension entre préservation des acquis et élargissement de la marge de liberté de chacun.

Libertés publiques ou droits subjectifs, libertés publiques ou libertés fondamentales, droits 31 32

de l’homme ou droits fondamentaux, sont autant de distinctions qui permettent de préciser les 33

contours de la liberté et par là même, l’objet de notre étude. La distinction entre les droits fondamentaux et ceux qui ne le sont pas présente par ailleurs un intérêt certain là où le Code du travail se réfère aux « liberté[s] fondamentale[s] » dont la violation peut notamment entraîner la 34

mise à l’écart du barème des indemnités prud’homales fixé par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 dite « Macron », qui méritera notre attention.

L’appréhension du caractère fondamental d’un droit est limitée au droit français car le recours à l’adjectif fondamental pour qualifier des droits et libertés est plus systématisé dans d’autres pays, tels que l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Portugal qui dressent expressément, dans leur 35 36 37

Constitution, une liste les droits et libertés qualifiés de fondamentaux.

Cornu (G.), op. cit., 2017, p.467.

31

Les droits et libertés fondamentaux se distinguent des libertés publiques par les acteurs impliqués, les sources

32

textuelles et leurs garants. Tout d’abord, s’agissant des acteurs impliqués, les personnes physiques comme morales constituent les titulaires des droits et libertés fondamentaux et des libertés publiques. Mais la différence entre la liberté publique et le droit ou liberté fondamental s’observe au niveau de la personne envers laquelle elle est exercée. En effet, « les droits et libertés fondamentaux sont protégés contre le pouvoir exécutif mais aussi contre le pouvoir législatif alors que les libertés publiques sont essentiellement protégées contre le pouvoir exécutif ». (Favoreu (L.), « Universalité des droits fondamentaux et diversité culturelle », in L’effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone, colloque international de l’Île Maurice, 29 sept.-1er oct. 1993, éd. Aupelf-Uref, 1994, p. 48). En ce sens, qualifier un droit de fondamental induit une extension d’opposabilité. Ensuite, si les droits et libertés fondamentaux sont protégés, comme les libertés publiques, par la loi, ils le sont surtout par la Constitution ou les textes européens, internationaux qui sont supranationaux tels que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou la Déclaration universelle des droits de l’homme. Enfin, cette différence de sources textuelles transparaît sur les garants de ces droits et libertés, car si la protection des droits fondamentaux est assurée par le juge ordinaire comme elle l’est pour les libertés publiques, elle l’est de façon plus importante encore assurée par les juges constitutionnels et même les juges internationaux.

Les ambiguïtés notionnelles autour des contours des droits et libertés fondamentaux font que la catégorie de « droits

33

de l’homme » a parfois été préférée à celle des droits fondamentaux. En effet, selon certains, la diversité des définitions du terme de « liberté fondamentale » a entraîné son instrumentalisation « en un mot-valise fourre-tout parfois synonyme de droits de l’homme » (Cornu (G.), op. cit., 2017, p. 467). Néanmoins, le changement de terminologie marque une évolution historique. C’est ainsi que Mme le Professeur D. Lochak souligne que « si les droits de l’homme renvoient à une tradition, à des idéaux, à des combats politiques (…) ; les droits de l’homme [ne sont] ni éternels, ni immuables » (Lochak (D.), Les droits de l’homme, La Découverte, coll. Repères, 2002, p. 6). Les droits fondamentaux renvoient quant à eux « à un fondement, à un caractère inhérent et structurel, symboliseraient une pacification et une consolidation (illusoires ?) des droits, effaceraient les combats. » (Champeil-Desplats (V.), « Les droits et libertés fondamentaux en France. Genèse d’une qualification », in Lyon-Caen (A.), Lokiec (P.) (dir.), Droits fondamentaux et droit social, Thèmes et commentaires, Dalloz, 2005, 228 p., spéc. p. 11-37).

C. trav., art. L. 1235-3-1.

34

La Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland) du

35

8 mai 1949, v. I. « Les droits fondamentaux » (art. 1 à 19).

La Constitution espagnole de 1978, v. Titre I. « Des droits et des devoirs fondamentaux ».

36

La Constitution portugaise de 1976, v. Partie 1. « Droits et devoirs fondamentaux ».

(12)

En France, en dépit d’imprécisions textuelles, l’emploi de l’adjectif « fondamental » s’affirme vers la fin des années 1980 et s’accentuera au milieu des années 1990. En ce sens et dès 1992, le 38 39

législateur exige que les restrictions apportées « aux droits des personnes et aux libertés

individuelles et collectives » soient justifiées eu égard à la nature de la tâche à accomplir et

proportionnées au but recherché. Cette disposition, malgré la généralité des termes employés, s’avère être un « rempart contre toutes les formes d’atteintes aux libertés dans l’entreprise, parmi

lesquelles la liberté du travail dans toutes ses déclinaisons ». 40

C’est pourquoi, en quatrième et dernier lieu, après avoir défini distinctement le travail, le contrat de travail et la liberté, il convient d’aborder la notion de « liberté du travail ».

Appliquée au travail, la liberté nécessite une distinction entre la liberté du travail et la liberté

dans le travail.

La liberté « du » travail n’est quant à elle pas définie par le droit français.

Selon la doctrine majoritaire, elle renvoie au choix dont dispose une personne de travailler ou de ne pas travailler, et, si elle décide de travailler, de choisir sa profession ainsi que la façon dont elle l’exerce. Plusieurs personnes, publiques ou privées, peuvent porter atteinte à cette liberté, lorsque l’individu n’est pas (demandeur d’emploi) ou plus salarié (travailleur indépendant ou salarié pour un nouvel employeur). Il convient de relever que la question de l’inclusion du choix de la façon d’exercer sa profession est encore débattue quant à son inclusion dans la liberté du travail ou dans la liberté dans le travail. 41

Notamment dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, pour la première fois, dans la décision n°81-132

38

DC du 16 janv. 1982 sur les nationalisations affirme le caractère fondamental d’un droit (en l’occurrence le droit de propriété). En 1984 (Cons. const., 10 et 11 oct. 1984, n°84-181 DC), la liberté de communication des pensées et des opinions est à son tour qualifiée de fondamentale. C’est ainsi que se construit progressivement la catégorie des droits fondamentaux constitutionnels, qui contient entre autres les droits de la défense, le droit d’asile, la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale (Cons. const., 13 août 1993, n°93-325 DC). Le Conseil constitutionnel y inclut ensuite les droits et libertés fondamentaux reconnus aux employeurs et aux salariés parmi lesquels figure, notamment, la liberté proclamée par l’article 4 de la Déclaration de 1789, dont découle « la liberté d’entreprendre, l’égalité devant la loi et les charges publiques, le droit à l’emploi, le droit syndical, ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises » (Cons. const., 10 juin 1998, n°98-401 DC relative à la loi d’orientation et d’incitation à la réduction du temps de travail).

C. trav., art. L. 1121-1 ; anciennement C. trav. art. L. 120-2 introduit par la loi n°92-1446 du 31 décembre 1992.

39

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., p. 964-985.

40

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 964-985.

(13)

La liberté « dans » le travail renvoie à l’autonomie du travailleur dans l’exécution de son travail. À première vue, l’existence d’un contrat de travail caractérisé par le lien de subordination juridique porte atteinte à cette liberté dès lors que l’individu, salarié, n’est pas totalement libre quant à l’organisation de son travail. Si certains avancent qu’il existe « une antinomie fondamentale entre

l’affirmation de la liberté dans le travail et le travail salarié », il semble que cette approche, 42

tranchée, doit être nuancée. Des espaces de liberté dans le travail existent pour le salarié, il conviendra de les étudier.

La liberté du travail comprend la liberté dans le travail mais est plus large que cette dernière. Ces deux champs d’application ne sont pas totalement distincts. Il existe un point d’intersection, voire d’un champ d’intersection, que constitue le choix de la façon d’exercer sa profession, entre les deux libertés, du travail et dans le travail. L’exercice du choix pourrait alors entraîner une application cumulative, alternative ou exclusive des règles découlant de ces deux libertés.

L’on étudiera également le mouvement de bilatéralisation dans lequel s’inscrit la liberté du travail, qui ne serait pas seulement reconnue au salarié mais également à l’employeur « de recruter

qui lui plaît ». 43

S’intéresser aux fondements historiques de la liberté du travail permet de mieux comprendre les composantes de celle-ci. La liberté du travail est historiquement affiliée à la liberté du commerce et de l’industrie dont la reconnaissance est attribuée à la Révolution française. Cependant, dès février 1776, dans l’édit de Turgot, il est fait mention de la liberté de travail et de la liberté du 44

commerce et de l’industrie. La législation révolutionnaire reprendra cette notion pour dégager le principe du libre exercice d’une activité professionnelle. Ainsi peut-on lire en l’article 7 du décret d’Allarde des 2-17 mars 1791 qu’« il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer

telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon » conforté quelques semaines plus tard par la loi 45

Le Chapelier des 14-17 juin 1791 qui interdit les groupements intermédiaires, qu’ils prennent la

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 964-985.

42

Cornu (G.), op. cit., 2017, p. 613, v. « Liberté du travail ».

43

Edit de Turgot, 1776, préambule : « Chaque individu talentueux ou non doit pouvoir avoir la possibilité d’effectuer

44

quelque travail qu’il souhaite, ou même d’en effectuer plusieurs. Ainsi, cette liberté de travailler pour tous implique la volonté d’abolir les privilèges, les statuts, et surtout les institutions arbitraires qui ne permettent pas aux nécessiteux de vivre de leur travail, et qui semblent condamner la liberté de travail pour tous ». Les institutions arbitraires visées sont les jurandes et les communautés de métier (à côté des métiers libres existent les métiers jurés contrôlés par le royal et les métiers réglés contrôlés par les autorités municipales, quoique cette distinction est remise en cause par certains historiens en ce qu’elle ne prendrait pas suffisamment en compte les situations intermédiaires). Objet de contestations, le contenu de cet édit sera remplacé, en août 1776, par un dispositif moins radical.

A condition de payer une patente. Sont par ailleurs exclus les domestiques et ouvriers subordonnés.

(14)

forme de coalitions (par nature temporaires) ou de corporations (par nature pérennes), qui ont pour objet de « refuser de concert ou n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou

de leurs travaux » (art. 2). À l’époque, l’affirmation de la liberté du travail vise la suppression de

ces groupements nés sous l’Ancien Régime qui sont vus comme entraves au fonctionnement des marchés de par les règles restrictives d’accès aux métiers qu’ils posaient et l’important cloisonnement effectué entre lesdits métiers. La loi Le Chapelier ne distingue pas encore entre le droit d’association professionnelle et le droit de cesser le travail pour faire valoir des revendications. De la Révolution française à 1946, ainsi que les années 1830-1848, sont autant de 46

périodes durant lesquelles a été progressivement édifié le corpus de textes encadrant le travail subordonné. Selon certains, la liberté du travail apparaît être une « forme particulière » de la 47

liberté du commerce et de l’industrie . Néanmoins, aujourd’hui, la liberté d’établissement et la 48

liberté d’entreprendre viennent « compléter voire concurrencer » l’approche traditionnelle de la 49

liberté du commerce et de l’industrie. 50

D’une part, ces fondements historiques ont pu trouver des ancrages textuels.

La liberté du travail est mentionnée dans deux textes du droit français. Le premier texte, l’article L. 2141-4 du Code du travail, dispose que « l'exercice du droit syndical est reconnu dans 51 toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail ». Le second texte, l’article 431-1 du

Code pénal, sanctionne l’entrave à la liberté du travail sous l’angle du droit de grève.

1848 a constitué une année charnière pour la démocratie française avec les réformes électorales entreprises, ainsi que

46

pour le droit du travail avec l’émergence sur la scène publique de revendications issues directement des travailleurs, portées par les idées parfois divergentes de Charles Fourier (critique du système capitaliste), Pierre-Joseph Proudhon (qui oppose la propriété et le travail pour critiquer de façon virulente la propriété), Lamartine ou encore Louis Blanc qui, face au constat de l’aggravation des conditions de travail avec la hausse de la durée du travail et la baisse des salaires, critique la mise en concurrence des travailleurs : « Qu’est-ce que la concurrence relativement aux travailleurs ? C’est le travail mis aux enchères » (Louis Blanc, Organisation du travail, 5e éd., Bureau de la société fraternelle, Paris, 1848, p. 102 et s.).

Il convient de noter que la pensée révolutionnaire ne distingue pas le travail indépendant (autonome) et le travail

47

salarié (subordonné) selon J.-P. Le Crom, « La liberté du travail en droit français. Essai sur l’évolution d’une notion à usages multiples », Diritto romano attuale, 2006, p. 139-162.

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 964-985.

48

Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 944.

49

Encore que certains distinguent la liberté de l’industrie de la liberté du commerce. Selon cette distinction doctrinale,

50

la première est entendue strictement au sens d’activité de production et la seconde comme une activité d’acquisition et de revente. V. not. Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 953 : « la liberté pour le commerçant d’acquérir et de revendre comme il l’entend les produits mis sur le marché devrait être préférée à la liberté pour l’industriel de vendre et de faire revendre comme il le veut les produits qu’il a fabriqués. »

Il convient de relever que le droit syndical est affirmé depuis la loi de 1884 et se définit comme le droit pour chaque

51

(15)

Concernant le premier texte, la référence que fait l’article L. 2141-1 du Code du travail aux droits et libertés garantis par la Constitution donne à la liberté du travail une valeur constitutionnelle alors même que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie celle de 1958, ne mentionne pas un tel principe. 52

Concernant le deuxième texte, si l’on s’attarde sur l’énoncé des moyens réprimés par le droit pénal au titre du délit d’entrave à la liberté du travail, les « concert[ations] (…), coups, violences,

voies de fait, destructions ou dégradations » (ancien article 414 du Code pénal), s’inspire du délit

de coalition. La liberté du travail se situe désormais, au sens du droit pénal, dans le livre IV du 53

Code pénal relatif aux « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », plus spécialement dans le chapitre Ier relatif aux atteintes à la paix publique : « le fait d'entraver, d'une

manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. ». La peine est plus lourde si l’atteinte a été 54

effectuée « de manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou

dégradations ». La liberté du travail se situe donc en bonne place dans le Code pénal concernant 55

la qualification et la répression : l’atteinte à cette liberté constitue un délit intentionnel d’atteinte à 56

la paix publique, au même titre que les libertés d’expression, d’association, de réunion et de débats publics.

Le droit du travail ne précise pas davantage la notion de liberté du travail. La liberté du travail n’apparait pas sous ce vocable dans le Code du travail, même s’il se réfère volontiers aux « libertés

individuelles et collectives » de travail. 57

Il mentionne uniquement le devoir de chacun de travailler et le droit d’obtenir un emploi.

52

Si délit de coalition a été supprimé en 1864 par la loi Ollivier du 25 mai 1864, le délit d’entrave à la liberté du travail

53

continue d’exister et prendra successivement d’autres formes. En effet, la loi, avec l’article 414 du Code pénal, reconnaît indirectement le droit de grève, quand elle n’est pas accompagnée de violences ou d’atteintes à la liberté du travail. En effet, le législateur a substitué le délit d’entrave à la liberté du travail au délit de coalition, reconnaissant ainsi implicitement le droit de grève (Le Crom (J.-P.), op. cit., 2006, p. 139-162). Ensuite, si l’article 414 a depuis été supprimée du Code pénal par la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992, la répression actuelle des atteintes à la liberté du travail présente des similitudes avec les dispositions antérieures.

C. pén., art. 431-1, al. 1er. introduit par la loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code

54

pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l'État et la paix publique. C. pén. art. L. 431-1, al. 2.

55

Cette bonne place n’est que théorique car en pratique le délit d’entrave à la liberté du travail n’est que très rarement

56

caractérisé sur le plan pénal (Pradel (J.), « Au confluent des relations de travail et du droit pénal : l’exemple du délit d’entrave à la liberté du travail », Dr. soc. 1990, p.37).

C. trav., art. L. 1121-1.

(16)

D’autre part, ces fondements historiques ont été repris par le juge.

En raison de l’imprécision des textes, le juge joue un rôle majeur dans la définition et la protection de la liberté du travail, qui se révèle ainsi être une liberté de source largement jurisprudentielle. Néanmoins, la contribution des juges français dans la construction du principe de la liberté du travail n’est pas égale.

C’est véritablement le juge judiciaire qui est un acteur-clé en n’hésitant pas à se référer au caractère constitutionnel de la liberté du travail et en affirmant que le droit d’exercer librement 58

une activité professionnelle est une liberté fondamentale. 59

Si la fréquence d’invocation de la liberté du travail devant la Cour de cassation est particulièrement importante, la Cour de cassation, souvent, ne répond pas au moyen soulevé de la violation de la liberté du travail, que ce soit pour la retenir ou l’écarter. Elle préfère se fonder sur l’appréciation souveraine des juges du fond, ou se référer directement aux règles dégagées par la 60

jurisprudence (pour la clause de non-concurrence, la clause d’exclusivité, la clause de 61 62

rémunération variable , la clause de dédit-formation ) ou dégagées par la loi (l’obligation de 63 64

loyauté , le droit de grève, ou plus largement aux « atteinte[s] aux libertés et droits 65 66

fondamentaux » du salarié) là où la liberté du travail avait été soulevée par le moyen du pourvoi. 67

L’étude de l’immixtion du juge dans le contrat de travail en matière de liberté du travail présente alors un grand intérêt.

Le Conseil d’État ne s’est quant à lui pas prononcé sur la portée normative de liberté du travail. Si le Conseil d’État appliquait le principe de la liberté du commerce et de l’industrie en visant l’art. 7 du décret d’Allarde, il considère désormais cette liberté comme une liberté publique

Se réfèrent au « principe constitutionnel de la liberté du travail », not. Cass. soc., 19 nov. 1996, n°94-19.404, Cass.

58

soc., 18 déc. 1997, n°95-43.409, Cass. soc., 24 avr. 2001, n°99-40.796, Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45.135, 00-45.387, 99-43.334 à 99-43.336.

Cass. soc., 10 juill. 2002, n°00-45.135.

59

Cass. com., 24 oct. 2018, n°17-16.690, Cass. soc., 20 juin 2018, n°16-21.811, Cass. soc., 26 janv. 2017, n°15-26.202.

60

Cass. soc., 12 sept. 2018, n°17-10.853, Cass. com., 4 oct. 2016, n°15-15.996, Cass. com., 16 févr. 2016, n°13-28.277.

61

Cass. soc., 29 sept. 2016, n°14-24.296, Cass. soc., 25 nov. 2009, n°08-41.699.

62

Cass. soc. 28 oct. 2008, n°06-46.398.

63

Cass. soc., 21 mai 2002, n°00-42.909.

64

Cass. com., 5 oct. 2004, n°02-17.375.

65

Cass. soc., 16 janvier 2013, n°11-22.589, 11-22.593.

66

Cass. soc. 20 oct. 2004, n°02-41.860.

(17)

dont la protection est assurée par l’article 34 de la Constitution. Le Conseil d’État a eu par le passé 68

l’occasion de se prononcer sur la liberté du travail. Il s’est abstenu de le faire alors que dans l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge était visé le principe de la liberté du travail et celui de la liberté 69

du commerce et de l’industrie. Ce n’est qu’en 2001 avec l’arrêt Casanovas, dans le cadre d’un 70

référé-liberté, qu’il déclare que le droit à l’emploi n’est pas un droit dont on peut revendiquer directement le bénéfice devant une juridiction et de conclure qu’il ne constitue pas une liberté fondamentale pour l’application du référé-liberté. Il reste que la catégorie de « droit fondamental » 71

ne se fond pas totalement dans celle des droits constitutionnels et inversement. Néanmoins, la 72

présente étude n’aura pas pour objet de définir la notion de liberté fondamentale mais d’analyser les effets de la liberté du travail sur le droit du contrat de travail.

Le Conseil constitutionnel, en dépit de ses attributions, n’a eu jusque-là qu’un rôle assez limité, car il n’a jamais consacré de façon directe le principe de la liberté du travail, lui reconnaissant seulement le caractère d’objectif de valeur constitutionnelle, encore que cette qualification reste discutable et discutée.

Elle reconnaît la liberté du commerce et de l’industrie comme une liberté publique sans lui 73

reconnaitre de valeur constitutionnelle, contrairement à la liberté d’entreprendre. L’on pourrait 74

penser que, ce faisant, le juge reconnaît à la liberté d’entreprendre une valeur supérieure à la liberté du commerce et de l’industrie. Or, la liberté du travail, qui est déduite de la liberté du commerce et

CE, 28 oct. 1960, de Laboulaye, n°48293 : « libertés publiques au nombre desquelles figure la liberté du commerce et

68

de l’industrie ».

CE, Ass. 27 oct. 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727 : « le respect du principe de la liberté du travail et

69

de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ».

CE, sect., 28 févr. 2001, Casanovas, n°229163.

70

L’incertitude de la qualification de liberté fondamentale demeure toutefois présente car un arrêt de 2004 semble aller

71

à l’encontre de la solution dégagée par l’arrêt Casanovas en qualifiant expressément la liberté du travail de liberté fondamentale, en l’espèce, concernant la demande d’un employeur et de deux salariés de suspendre le refus de l’inspection du travail d’autoriser le licenciement d’un délégué du personnel accusé de harcèlement moral (CE, 8e et 3e sous-sections réunies, 4 oct. 2004, Société Mona Lisa Investissements, n°264310).

La commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions portant sur l’arrêt Casanovas énonce que : « Les libertés

72

fondamentales ont valeur constitutionnelle mais tous les principes et règles de valeur constitutionnelle ne sont pas nécessairement des libertés fondamentales » (CE, sect., 28 févr. 2001, Casanovas, préc., concl. P. Fombeur, RFDA, 2001, p. 339). Selon P. Fombeur, pour qu’un droit soit reconnu comme une liberté fondamentale, il faut pouvoir en revendiquer directement le bénéfice devant une juridiction ordinaire, ce qui n’est pas le cas du droit à l’emploi, qui n’est qu’une finalité que doit suivre le législateur. Ce raisonnement est transposable à la liberté du travail pour lui refuser la qualité de liberté fondamentale.

Cons. const. 29 juill. 1994, n°94-345 DC : La liberté du commerce et de l’industrie fait partie des libertés « qui ne

73

peuvent s’exercer que dans le cadre d’une réglementation instituée par la loi ».

Cons. const. 16 janv. 1982, n°81-132 DC : « la liberté (…) aux termes de l’article 4 de la Déclaration des droits de

74

l’homme et du citoyen (…) ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre ».

(18)

de l’industrie, ne jouit pas, au sens des décisions du Conseil constitutionnel, de la même valeur 75

que la liberté d’entreprendre. La Cour de cassation a fait de la liberté du commerce et de l’industrie un principe fondamental. Quid alors du rang des autres libertés rattachées à la liberté du 76

commerce et de l’industrie que sont le principe de libre concurrence, la liberté du travail ou la 77

liberté contractuelle ? La présente étude portera notamment sur l’articulation de ces libertés.

L’intérêt du sujet réside en outre dans l’ambivalence de la notion de liberté du travail, entre imprécision théorique et omniprésence pratique. En effet, la liberté du travail irrigue l’ensemble des droits d’accès, de maintien et de retour à l’emploi, et, sous le prisme du contrat de travail, l’ensemble du droit relatif à la conclusion, exécution et rupture du contrat de travail.

Dans quelle mesure s’amorce le passage d’une approche traditionnellement statique à une approche dynamique de la liberté du travail ?

La présente étude traitera de l’hypothèse de recherche suivante : La liberté du travail est une notion plurielle et pratique qui permet au juge, en raison d’imprécisions textuelles ou en dépit de stipulations contractuelles, de rétablir un certain équilibre dans les relations entre le salarié et son employeur. Elle a également été employée pour protéger le demandeur d’emploi, afin de tenter de faire naître (sans succès ?) un droit à l’emploi opposable à l’État. Il ressortira de notre étude que l’élasticité qui caractérise la notion de liberté du travail est sa force, de par son large champ d’application, mais également sa faiblesse. Initialement édictée dans un souci de protection par la staticité du salarié au sein de l’entreprise et opposable uniquement par lui, la liberté du travail tend à s’inscrire dans un mouvement de bilatéralisation et d’objectivisation, favorablement à l’employeur. L’on verra alors que la liberté du travail insuffle dans le contrat de travail un vent nouveau, celui du dynamisme dans l’exécution du contrat de travail, particulièrement exigeant envers le salarié et souple envers l’employeur. Il reste que même cette approche renouvelée de la liberté du travail continue de souffrir, nous le verrons, d’une absence de consécration par le législateur, dépassé par les nouvelles formes de travail. Amené à légiférer, ce serait l’occasion pour la liberté du travail de se voir reconnaître la place qu’elle mérite.


Cabrillac (R.) (dir.), op. cit., 2018, p. 964-985.

75

Cass. com., 24 oct. 2000, n°98-19.774.

76

La liberté d’entreprendre, générale, engloberait, selon certains, la liberté du travail et la liberté du commerce et de

77

(19)

À ce titre, il convient de s’intéresser, en premier lieu, à l’approche statique de la liberté du travail qui s’éprouve (Première partie), avant de traiter, en second lieu, de l’approche dynamique de la liberté du travail qui s’amorce (Seconde partie). 


(20)

PREMIÈRE PARTIE. UNE APPROCHE STATIQUE DE LA LIBERTÉ DU

TRAVAIL ÉPROUVÉE

La liberté du travail, qui peut être invoquée uniquement par le salarié contre son employeur, s’est progressivement érigée en instrument de protection du salarié. Cette protection, qui prend initialement la forme d’une recherche de stabilité voire staticité dans l’emploi, se trouvera progressivement mise à mal dans les relations entre le salarié et l’employeur (Chapitre I). Sans pour autant parler d’un déclin de la liberté du travail, l’on constatera que l’approche statique de la liberté du travail est éprouvée, allant jusqu’à remettre en cause la liberté individuelle du travail opposable aux tiers (Chapitre II).

CHAPITRE I. UNE LIBERTÉ UNILATÉRALE DU TRAVAIL OPPOSABLE À

L’EMPLOYEUR

La protection de la liberté du travail passe par la diversification des formes de travail hors du contrat de travail concurremment ou à l’exclusion de l’exécution du contrat de travail (Section 1) ainsi que par une protection accrue dans le travail (Section 2).

Section 1. La liberté hors du contrat de travail diversifiée

D’une part, la diversification de la liberté du travail hors du contrat de travail prend la forme d’une liberté de travailler à son compte ou pour le compte d’autrui (Paragraphe 1) ainsi que, d’autre part, d’une liberté de travailler pour le compte de plusieurs (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. La liberté de travailler à son compte ou pour le compte

d’autrui

Tout d’abord, concernant la liberté de travailler pour le compte d’autrui, un salarié peut exercer ce choix et à cette fin décider rompre le contrat de travail le liant à son employeur pour trouver sa liberté hors dudit contrat de travail. Chacune des parties au contrat dispose du droit de mettre fin à la relation de travail selon des règles plus ou moins restrictives. La subordination juridique ne saurait être ni totale ni définitive.

(21)

En effet, s’agissant du contrat à durée indéterminée, le Code du travail prévoit qu’il peut être rompu « à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord ». Ces trois modes de 78

ruptures, énoncés successivement, semblent être juridiquement sur le même plan. Sur le plan notionnel, le « pouvoir de rompre » est différent selon le type de contrat. Le contrat de travail à durée indéterminée « peut » être rompu par les deux parties. Le contrat de travail à durée 79

déterminée jouit quant à lui d’une distinction notionnelle. S’il ne « peut » être rompu sur l’accord 80

des parties ou sur l’initiative du salarié qu’à titre exceptionnel, le verbe « pouvoir » est tout de même employé par le législateur, ce qui n’est pas le cas pour la rupture à l’initiative de l’employeur : « la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à

l’initiative de l’employeur… ». La liberté de rompre est donc variable selon la qualité du 81

cocontractant et selon le type de contrat.

Plus précisément, s’agissant des modes de rupture du contrat de travail, certaines sont plus ou moins attentatoires à la liberté du travail, selon qu’elles soient de l’initiative du salarié ou de l’employeur.

S’agissant des ruptures du contrat de travail à l’initiative du salarié, a priori, l’on pourrait penser qu’aucune atteinte n’est portée à la liberté du travail, et même qu’au contraire, il s’agirait d’une forme d’expression de cette liberté étant donné que la rupture est dans ce cas voulue et exercée par le salarié dès lors que l’exigence d’une volonté claire et non équivoque de mettre fin à la relation de travail, appréciée de façon stricte voire restrictive. La liberté de rompre, composante 82

de la liberté du travail, est ainsi protégée.

Néanmoins, la liberté du travail peut être dans une certaine mesure atteinte même si la rupture est initiée et voulue par le salarié. En effet, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée à l’initiative du salarié peut ouvrir droit pour l'employeur à des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi, celle à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas prévus par la 83

loi, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts dont le montant est au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice d’une indemnité de fin

C. trav., art. L. 1231-1. 78 C. trav., art. L. 1231-1. 79 C. trav., art. L. 1243-1. 80

C. trav., art. L. 1243-4, al. 1er.

81

Cass. soc., 20 oct. 2015, n°13-26.890, Cass. soc., 18 déc. 2013, n°12-28.788 (une démission émise sous la menace

82

d’une procédure disciplinaire ou d’une plainte pénale a pu être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse). C. trav. art. L.1243-3.

(22)

de contrat. Qualitativement, une différence importance se dégage entre indemniser un « préjudice 84

subi » et indemniser les sommes qui auraient dû être perçues si le contrat avait duré jusqu’au terme.

En effet, dans le second cas, le droit fait fictivement perdurer, pour le calcul du montant de la réparation, le contrat de travail, à des fins de protection de la liberté du travail en prenant en compte volonté du salarié qui aurait été de poursuivre le contrat de travail. L’atteinte par le salarié au caractère statique, entendu ici comme le maintien dans l’entreprise, du contrat de travail est donc sanctionnée moins sévèrement qu’une atteinte portée par l’employeur à la liberté du travail du salarié.

Cette recherche de stabilité dite de protection du salarié se trouve également dans le type de contrat conclu. Elle justifie que le contrat à durée déterminée puisse être rompu par dérogation avant l’échéance du terme lorsque le salarié justifie de la conclusion d’un contrat à durée indéterminée. Par conséquent, la liberté hors du contrat de travail reste encadrée mais diverse. La 85

liberté hors du contrat de travail à durée déterminée est admise de façon restrictive et strictement encadrée.

La liberté du travail en dehors du contrat de travail (à durée indéterminée ou à durée déterminée) peut quant à elle être source de difficultés notamment lorsque le salarié, qui décide de travailler pour son compte ou pour le compte d’autrui, risque de concurrencer l’activité de son ancien employeur.

Ensuite, concernant la liberté de travailler pour son compte ou pour le compte d’autrui, la liberté d’entreprendre, au sens de libre exercice d’une activité indépendante, emporte la possibilité pour toute personne, physique ou morale, de s’installer en créant ou en acquérant une entreprise. 86 87

L’entrepreneur n'est pas le seul à jouir d’une telle liberté. Le salarié jouit aussi de la liberté d’exercer l’activité professionnelle de son choix. En l’absence de clause de non-concurrence, la liberté du travail s’exprime pleinement : « à lui seul, le fait, par un salarié non tenu par une clause

de non-concurrence, de se mettre après sa démission au service d'une entreprise concurrente, n'était que la manifestation normale du principe de la liberté du travail et ne constituait pas une faute ». En présence d’une clause de non-concurrence, il est porté atteinte à cette liberté. 88

C. trav., art. L. 1243-4, al. 1er.

84

C. trav., art. L. 1243-2.

85

Les personnes publiques ne disposent quant à elles pas, en principe, de la liberté du commerce et de l’industrie. Les

86

exceptions sont prévues par la loi (art. 34 de la Constitution).

La liberté d’installation peut être restreinte par l’existence des régimes des professions réglementées.

87

Cass. soc., 10 nov. 1998, n°96-40.910.

(23)

En effet, l’employeur peut, par l’insertion d’une clause de non-concurrence, venir limiter 89

l’activité professionnelle d’un salarié après la rupture de son contrat de travail en lui interdisant 90

d’exercer une activité professionnelle déterminée pour son compte ou celui d’un nouvel employeur. Parce qu’elle produit ses effets après la rupture du contrat, cette clause est de nature à 91

porter grandement atteinte à la liberté du travail, non plus du salarié mais plus largement du travailleur. La Cour de cassation a pu à maintes reprises censurer de telles clauses au nom du « principe fondamental de la liberté du travail ». 92

De par l’atteinte qu’elle porte à la liberté du travail, l’insertion d’une telle clause est très encadrée par la jurisprudence, qui n’en admet la licéité qu’à condition qu’elle soit « indispensable à

la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle 93 tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de 94 verser au salarié une contrepartie financière ». 95

L’intitulé de la clause a son importance. Pour échapper à l’obligation de versement de la contrepartie financière ou

89

plus largement à l’application du régime restrictif de la clause de non-concurrence, certains employeurs se contentent d’insérer une clause comportant des restrictions moins fortes, parfois intitulées « clause de non-captation de la clientèle » (Cass. soc., 19 mai 2009, 07-40.222), « clause de clientèle » (Cass. soc., 27 oct. 2009, n°08-41.501), « clause de respect de clientèle » (Cass. soc., 15 févr. 2012, n°10-21.328), « clause de protection de clientèle » (Cass. soc., 19 sept. 2012, n°11-15.319) ou « clause de non-sollicitation » (Cass. com., 11 juill. 2006, n°04-20.438). Le juge prête une attention particulière à l’analyse de l’intensité de la restriction apportée à l’activité professionnelle et n’hésite pas à requalifier de telles clauses en clause de non-concurrence lorsqu’elles contiennent une restriction telle qu’elles s’analysent en une clause de non-concurrence déguisée.

La limitation ne pourrait en aucun cas concerner un proche du salarié, conjoint, parents ou alliés : « la clause de

non-90

concurrence insérée dans un contrat de travail engage les seules parties à ce contrat ; qu'elle ne peut donc porter atteinte à la liberté du travail d'un tiers, fût-il le conjoint du salarié ou uni à lui par un lien de parenté ou d’alliance », qu’en l’espèce « concernait uniquement [le salarié] et non pas son épouse, peu important que certains clients de cette dernière aient pu considérer qu’elle prenait la suite de son mari » (Cass. soc., 4 juin 1998, n°95-43.133).

Cette clause est sans préjudice d’une action en responsabilité civile, certes davantage soumise à l’aléa judiciaire,

91

contre l’ancien salarié qui se livrerait à des actes de concurrence déloyale préjudiciables à l’entreprise, tels que la captation de clientèle, le dénigrement ou encore le débauchage de personnel. Il convient de préciser que la charge de la preuve des actes de concurrence portant violation de l’obligation de non-concurrence pèse sur le seul employeur (Cass. soc., 11 janv. 2012, n°10-30.308). Une clause contraire serait nulle.

Cass. soc., 26 janv. 2017, n°15-26.202, Cass. soc., 11 juill. 2012, n°11-19.433, Cass. soc., 20 oct. 2013, n°12-16.050.

92

Cass. soc., 14 mai 1992, n°89-45.300, Cass. soc., 18 déc. 1997, n°95-43.409 (il s’agit d’identifier le risque sérieux de

93

dommage, essentiellement économique, que causerait une future activité concurrentielle de l’ancien salarié par rapport à l’activité de l’entreprise qui l’avait employé).

Est écarté le risque de concurrence lorsque la qualification du salarié est insuffisante pour menacer les intérêts de

94

l’entreprise, c’est le cas pour : un laveur de vitres (Cass. soc., 14 mai 1992, n°89-45.300), un télévendeur (Cass. soc., 11 juill. 2001, n°99-42.915), un chauffeur-livreur (Cass. soc., 20 janv. 1999, n°99-45.305), un magasinier (Cass. soc., 18 déc. 1997, n°95-43.409).

Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45.135, 00-45.387, 99-43.334 99-43.336. C’est la dernière condition de validité

95

introduite, et pas des moindres. Dans le premier arrêt, la Cour casse l’arrêt des juges d’appel qui avaient rejeté la demande de dommages et intérêts au motif que la clause était licite et ne comportait pas de contrepartie, conformément à la convention collective applicable. Dans les deuxième et troisième arrêts, où le moyen est relevé d’office par la chambre sociale, sont cassées les décisions des juges du fond qui avaient condamné les salariés à payer une indemnité à leur employeur pour violation de la clause de non-concurrence, alors que celle-ci ne comportait pas d’indemnité compensatrice.

(24)

S’agissant de la contrepartie financière, sa création ex nihilo, qualifiée de « bouleversement 96

jurisprudentiel complet », a été fortement critiquée. Applicable à toutes les clauses de non-97 98

concurrence et non seulement à celles rédigées après le revirement, la doctrine n’a pas hésité à dénoncer l’insécurité juridique qui en résulte. M. le Professeur J. Pélissier qualifie par ailleurs 99

cette clause comme « juridiquement inacceptable, socialement injuste, économiquement

absurde ».100 La Cour de cassation considère quant à elle que la contrepartie financière répond à « l’impérieuse nécessité d’assurer la sauvegarde et l’effectivité de la liberté fondamentale d’exercer

une activité professionnelle »101. Fondée sur le visa combiné du principe fondamental de la libre exercice d’une activité professionnelle et de l’article L. 120-2 (actuellement L.1121-1) du Code du travail, la contrepartie financière serait donc un moyen d’élargir et de renforcer la protection de la liberté du travail, liberté dont jouit l’ancien salarié. L’objet de la contrepartie financière serait en quelque sorte d’atténuer l’effet de la clause à l’égard du salarié, qui voit l’atteinte à sa liberté du travail « compensée » financièrement. La Cour de cassation semble considérer que c’est parce que le revirement concerne une liberté qualifiée de fondamentale que la rétroactivité est justifiée. Or, cette position est contestable. Un principe fondamental ne se trouve-t-il pas au contraire contrarié par l’existence d'une contrepartie financière ?

En effet, en principe, les droits fondamentaux peuvent se retrouver limités dans trois hypothèses : par un souci de conciliation avec d’autres droits de même valeur, au nom d’exigences d’intérêt général, ou enfin, lorsque l’atteinte au droit n’est pas substantielle. Or, l’existence d’une contrepartie financière, qui conditionne la validité de la clause de non-concurrence, ne correspond à aucun de ces trois hypothèses. Il ressort que la contrepartie financière ne peut conditionner la validité d’une clause de non-concurrence. Plus encore, elle ne peut conditionner la justification de

facto de l’atteinte portée par la clause de non-concurrence à la liberté du travail.

La jurisprudence avait jusque-là toujours refusé de soumettre la validité d’une clause de non-concurrence à

96

l’existence d’une contrepartie financière (notamment Cass. soc., 20 oct. 1993, n°91-40.393).

Quétant (G.-P.), « Contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, revirement et rétroactivité, les

97

prud’hommes font de la résistance », JSL, 132/2003, p.4.

Le rapport Molfessis, intitulé Les revirements de jurisprudence (Rapport remis à M. le premier président de la Cour

98

de cassation, sous la direction de N. Molfessis, éd. Juris-classeur, coll. Cour de cassation, 2005) préconisera ensuite de mettre en oeuvre une « déontologie du revirement » pour éviter de déjouer les « prévisions raisonnables » des parties au contrat lesquels se trouvent sanctionnés alors que la règle était inexistante, et pour éviter de méconnaitre plus largement le principe de sécurité juridique, comme cela a été le cas pour le revirement effectué en juillet 2002.

Lyon-Caen (G.), « Les clauses restrictives de la liberté du travail (Clauses de concurrence ou de

non-99

réembauchage) », Dr. soc. 1963, p. 88-99. Pélissier (J.), op. cit., 1990, p.19.

100

Cass. soc., 17 déc. 2004, n°03-40.008.

(25)

Il en ressort que la protection de la prévisibilité de l’atteinte à la liberté du travail est inégale. Si la liberté du travail est atteinte par le revirement jurisprudentiel de 2002 qui déjoue les prévisions des parties, elle est préservée a minima par l’interdiction de prévoir une variation du montant de la contrepartie financière en fonction du mode de rupture du contrat de travail.102 Une telle clause serait réputée non écrite. De même, la liberté du travail ne saurait être protégée si le salarié ne peut être fixé, avant la fin de son contrat, sur la mise en oeuvre de la clause de non-concurrence. La faculté de renonciation doit être prévue par la clause et, si elle exercée, elle doit se faire dans le délai fixé103 par le contrat ou la convention collective104 et résulter d’une manifestation claire et sans équivoque. Donc, la vision que le juge retient de la liberté du travail est imposée par ce dernier avec force aux parties au contrat de travail.

Le juge pose le présupposé105 selon lequel la clause de non-concurrence porte en soi, par sa nature, atteinte à la liberté du travail : « la clause de non-concurrence (…) porte atteinte au principe

fondamental de la liberté du travail » , « une clause de non-concurrence, qui apporte une 106

restriction au principe de la liberté du travail, est d’interprétation stricte et ne peut être étendue au-delà de ses prévisions ».107

L’arrêt de la chambre sociale du 28 septembre 2011 est le dernier arrêt en date où la liberté du travail est mentionnée dans le « visa » de la Cour de cassation.108 La chambre sociale a ainsi pu viser, sur la clause de non-concurrence, en plus du « principe constitutionnel de la liberté du

travail », l’article 7 de la loi des 2-17 mars 1791109 parfois avec l’article 455 du Code de procédure

Cass. soc., 9 avr. 2015, n°13-25.847.

102

Le point de départ du délai de renonciation est la date d’envoi de la lettre de rupture (Cass. soc., 30 mars 2011, n

103

°09-41.583) ou le courrier du salarié par lequel il fait valoir ses droits à la retraite (Cass. soc., 21 juin 2017, n °16-15.271).

Si le délai fixé n’est pas respecté, la contrepartie financière sera due (Cass. soc., 2 mars 2017, n°15-26.691).

104

Ce principe n’a cependant pas toujours été affirmé avec la même puissance par le juge dans le passé, qui a pu retenir

105

qu’ « une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail est licite, si elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l’espace, compte tenu de la nature de l’activité du salarié et n'est illicite que dans la mesure où elle le fait » (Cass. soc., 13 oct. 1988, n°85-43.352, Cass. soc., 4 mars 1970, n °69-40.168), ou encore, qu’ « une convention ne pouvait valablement porter atteinte à la liberté du travail que si l’interdiction par elle formulée n’était pas illimitée dans le temps, dans l’espace et quant à la nature de l’activité exercée, la restriction devant être appréciée en fonction de ces trois critères » (Cass. soc., 20 mars 1973, n°72-10.760).

Cass. soc., 23 oct. 2013, n°12-16.050.

106

Cass. soc. 26 mai 2010, n°08-43.105, Cass. soc., 5 avril 2006, n°04-43.593, Cass. soc., 16 nov. 2005, n°03-43.312,

107

Cass. soc., 7 févr. 2001, n°99-41.470. Cass. soc., 28 sept. 2011, n°09-68.537.

108

Cass. soc., 22 mars 2000, n°97-45.872, Cass. soc., 10 févr. 1998, n°95-44.700, Cass. soc., 19 nov. 1996, n

109

Figure

Table des abréviations

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