• Aucun résultat trouvé

Tenir compte des rapports sociaux de sexe dans l’appréciation du mal être au travail.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Tenir compte des rapports sociaux de sexe dans l’appréciation du mal être au travail."

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

Tenir compte des rapports sociaux de sexe dans l’appréciation du mal être au travail. Régine Bercot1 Référence : R. Bercot, Tenir compte des rapports sociaux de sexe dans l’appréciation du mal être au travail. Genre et santé au travail, Raison présente, numéro 190, 2ème trimestre 2014, 19-29.

La santé est définie au sens de l’OMS2 comme un état de bien-être. Pour analyser la question de la santé, il est important de faire une différence entre hommes et femmes non pas uniquement d’un point de vue épidémiologique (à savoir du point de vue des risques afférant au sexe biologique) mais en tenant compte de leur place sociale. Par conditions sociales on entend généralement les conditions de travail et d’emploi ; mais est-ce suffisant pour caractériser les différences, les inégalités ?

L’élément principal à considérer pour parler du travail des femmes est l’existence d’un rapport social de sexe : « Un rapport social est une relation antagonique entre deux groupes sociaux, établie autour d’un enjeu. C’est un rapport de production matérielle et idéelle (Godelier, 1982). Et c’est un rapport conflictuel. » (Kergoat,2009). On peut distinguer relations sociales qui se réfèrent à ce qui se passe entre des individus concrets et les rapports sociaux qui « sont, eux, abstraits et opposent des groupes sociaux autour d’un enjeu » (Kergoat 2009). Les deux dimensions–place occupée et relations concrètes –sont très articulées.

Le rapport social dans ses dimensions à la fois idéelle et concrète conduit à assigner des places aux femmes et aux hommes des attributs. L’habitude masque la conscience que nous avons de ces différences de rôles attribués, le plus souvent considérés comme normaux, liés au biologique. Toutefois les arguments sont maniés différemment selon les circonstances. Ainsi l’habilité des femmes est mise en exergue pour certains emplois ouvriers, mais ce trait n’est pas évoqué dans des métiers prestigieux comme la chirurgie. Si on peut noter une amélioration de la place des femmes en France et notamment sur le marché du travail, on peut aussi constater la perpétuation d’une division sexuelle du travail.

Ce sont les différentes dimensions associées à cette place des femmes qui ont un effet sur leur bien-être au travail. Nous soutenons ici la thèse selon laquelle le mal être au travail

1 Professeur de sociologie, Université Paris 8, CRESPPA-GTM, MOS-EHESP. 22 Organisation Mondiale de la Santé

(2)

des femmes diffère de celui des hommes du fait de l’existence de ce rapport social. En effet au vécu des contraintes organisationnelles, s’ajoute le vécu des contraintes liées au contexte idéel et concret qui accompagne l’existence d’un rapport social de sexe.

Mais les enquêtes nationales n’en rendent pas compte et les enquêtes qualitatives ne lient que très rarement les deux dimensions, rapport social de sexe et santé. Après avoir rappelé quelques éléments des apports de l’enquête SUMER3 et la manière dont elle caractérise les effets de l’organisation sur le travail des femmes, nous dirons quelles sont les dimensions du vécu social qui échappe ainsi au cadre de cette enquête.

Les risques de détérioration de la santé mentale au travail des femmes

La recherche des facteurs susceptibles de générer un problème de santé mentale s’est accompagnée du développement de différentes notions notamment celle de « stress » et de « risques psychosociaux ». Le stress est souvent évoqué pour désigner une source de mal être. Selon l’INRS4 le stress apparaît « lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d'évaluation des contraintes et des ressources soit d'ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité ». Selon Messing (2000), le stress est également lié aux difficultés et tensions physiques qu’éprouvent les salariés. S’il peut être parfois révélateur de fragilités individuelles, il révèle aussi très souvent les dysfonctionnements plus généraux dans l’entreprise. Lorsque les plaintes de « mal-être » au travail se multiplient et quand les facteurs qui en sont à l’origine sont liés au travail (intensification du travail, pressions multiples, exigences de la clientèle...), on peut en effet penser qu’il s’agit non d’un problème individuel mais d’une question concernant l’ensemble de l’entreprise et l’organisation du travail.

La coexistence de certains facteurs antagonistes affecte particulièrement la santé. Pour exemple, la double posture consistant à réduire le temps de la conversation et répondre à la demande du client engendre des stress antagonistes5. Le stress a des effets d’autant plus négatifs qu’existent une forte exigence de productivité et de faibles bénéfices procurés par le travail.

3Acronyme pour SUrveillance Médicale des Expositions aux Risques professionnels 4 INRS Institut National de Recherche et de Sécurité

5 Dans certains centres d’appels téléphoniques, les employés doivent, dans un temps limité respecter strictement un script de conversation avec le client tout en répondant à ses questions (faible marge de manœuvre dans la relation), en remplissant une fiche informatique, avec le rappel sur un écran du nombre de clients en attente…

(3)

L'état de stress chronique peut se traduire au fil du temps par un syndrome « métabolique », association de différents symptômes tels que l'obésité abdominale, la résistance à l'insuline (qui peut évoluer vers un diabète), l'hypertension artérielle et des perturbations du métabolisme des lipides (cholestérol, triglycérides…). De plus, le lien entre certains facteurs professionnels de stress et le risque d'accident cardio-vasculaire a été validé : on a ainsi pu démontrer un risque accru de maladies coronariennes et même de décès par maladies cardio-vasculaires chez des personnes exerçant une activité professionnelle sans grande marge de manœuvre. Les accidents vasculaires cérébraux sont également plus fréquents en cas de situation stressante au travail. Dans les études épidémiologiques, la différenciation par sexe n’est pas très développée ; il est donc difficile de savoir quelles sont les conséquences pour les femmes et les hommes. Les facteurs de stress ont une probabilité plus forte de porter atteinte à la santé lorsqu’ils s’inscrivent dans la durée et/ou lorsqu’ils sont subis.

La référence aux« risques psycho sociaux au travail » est maintenant courante ; elle est entendue comme risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par l’interaction de facteurs socio-économiques avec le psychisme des travailleurs » (Gollac, Bodier, 2011, p. 42). L’intérêt d’une telle définition est de lier l’état psychique, la santé mentale, aux conditions d’exercice de l’activité sans toutefois nier les dynamiques individuelles et collectives d’intervention.

Les disparités d’exposition au risque de santé mentale selon le sexe

Il existe en France un certain nombre d’enquêtes qui nous permettent de rendre compte de l’état de santé au travail des hommes et des femmes. Même si la différence sexuée n’est pas toujours exploitée dans les résultats6, il apparait que les effets négatifs du travail ne touchent pas les hommes et les femmes de la même manière. La principale enquête concernant les effets des contraintes organisationnelles sur l’état de santé de la population en France (les « risques psychosociaux ») est l’enquête SUMER. Elle s’inspire des modèles Karasek et Siegrist. Son questionnaire permet de repérer trois dimensions de l’activité de travail (Niedhammer et alii, 2001) : 1) La demande psychologique (ou charge psychologique) est appréhendée à partir de la quantité et la complexité des tâches, des tâches imprévues, des contraintes de temps, des interruptions et demandes contradictoires ; la complexité vient à la fois des ordres contradictoires et de la quantité de travail, du

6 On ne peut ici citer toutes les sources statistiques et les enquêtes disponibles. Un inventaire des sources statistiques a été effectué par Marie-France Cristofari (2005).

(4)

morcellement et de l’imprévisibilité ; 2) La latitude décisionnelle recouvre deux notions : l’autonomie décisionnelle (les marges de manœuvre) c'est-à-dire la possibilité qui est donnée de choisir comment faire son travail et de participer aux décisions qui s’y rattachent ; la possibilité d’utiliser ses compétences et ses qualifications et d’en développer de nouvelles ; 3) Le soutien social au travail est défini par l’aide et la reconnaissance des collègues et des supérieurs hiérarchiques. Le modèle Siegrist définit comme conditions de travail pathogènes celles qui associent des efforts élevés à de faibles récompenses ; un déséquilibre entre efforts et récompenses provoque des effets sur le plan à la fois émotionnel et physiologique. Les résultats de l’enquête sont précisés en partie par une analyse selon le sexe et nous permettent d’appréhender un certain nombre de différences.

Un travail plus souvent morcelé et répétitif, une position en lien avec le public Le travail des femmes est plus morcelé puisque 61 % d’entre elles contre 56 % pour les hommes doivent souvent abandonner une tâche en cours pour une autre plus urgente.

L’autonomie des femmes mesurée à la capacité de choisir ses méthodes de travail et de prendre des initiatives en cas d’incidents apparait proche de celle des hommes. Etre une femme accroit cependant la probabilité d’avoir un travail répétitif sur un temps court. Les empêchements de parler concernent également beaucoup plus les femmes que les hommes et elles le lient souvent au fait qu’elles occupent un poste isolé. L’abandon d’une tâche pour une autre diffère peu pour l’ensemble des hommes et des femmes.

Selon l’enquête SUMER, les contraintes organisationnelles spécifiques aux femmes concernent en majorité les risques psycho sociaux. L’enquête conditions de travail de 2005 montre que 75 % des femmes déclarent être en contact avec le public (contre 62 % pour les hommes) ; 46 % des femmes déclarent être en contact avec des personnes en situation de détresse (contre 31 % des hommes). Ce travail de relation avec le public les conduit à répondre plus souvent à une demande extérieure sans délai.

Job strain : forte demande psychologique et faible latitude professionnelle

Le modèle de Karasek permet de situer les salariés sur un graphique défini selon deux axes : en ordonnée la demande psychologique et en abscisse la latitude décisionnelle (Guignon et al. 1998). Les risques sur la santé sont particulièrement importants lorsqu’une forte demande psychologique s’accompagne d’une faible latitude décisionnelle. Le stress est aggravé lorsqu’il y a coexistence d’une forte exigence de productivité et d’une faible marge de manœuvre. C’est cette situation qui est appelée job strain ou tension au travail.

(5)

Le risque sur la santé est accru lorsqu’on constate, en plus d’une forte pression psychologique, de fortes exigences dans le travail. En outre, si un faible appui collectif s’ajoute à la latitude décisionnelle, les risques de santé sont renforcés. Les pathologies liées aux risques psychosociaux concernent les troubles cardio-vasculaires, psychiques et musculo-squelettiques. Selon l’enquête Sumer 2003, près du quart des salariés (23 %) sont concernés par le job strain.

La position sociale joue un rôle sur la manière dont les catégories sont touchées par le

job strain ; ainsi, les employés et les ouvriers le sont plus que les cadres. Des différenciations

existent aussi selon les secteurs : les salariés les plus concernés sont ceux de l’hôtellerie restauration, les transports et les activités financières. Les plus exposés sont les ouvriers non qualifiés de l’industrie de processus, ceux du textile et du cuir, les caissier-e-s et employé-e-s de libre-service, les opérateur-e-s informatiques, ainsi que la maîtrise de l’hôtellerie restauration.

Les femmes -à l’exception des cadres- sont plus nombreuses que les hommes à subir une très forte demande psychologique et ont beaucoup moins de latitudes décisionnelles que les hommes, ce qui est un facteur aggravant de risque pour la santé mentale. Le soutien social dont elles disposent diffère peu d’une catégorie à l’autre mais les femmes cadres et ouvrières en manquent souvent plus que leurs collègues masculins (Guignon, 2008). Au sein de la catégorie des « employés administratifs » les hommes signalent une latitude plus faible que les femmes ne le font. Cela peut s’expliquer par les emplois occupés : les emplois occupés par les hommes supposent moins d’initiative (23 % des hommes sont gardiens et 24 % sont agents de la catégorie la plus basse de la fonction publique) que ceux qu’occupent les femmes (37 % des femmes sont secrétaires en entreprise). En ce qui concerne les cadres, les femmes demandent une aide psychologique moins élevée que les hommes, cela pouvant s’expliquer par le fait qu’elles occupent en moyenne des postes à moindre responsabilité.

Arrêts et contraintes posturales

Les accidents de travail avec arrêt touchent plus souvent les hommes que les femmes (5,5 % contre 3 % pour les femmes). Ceci est lié au fait que les accidents concernent plus les ouvriers où les hommes sont majoritaires (Hamont-Cholet et al. 2007).

De plus, les femmes sont confrontées aux contraintes posturales comme les hommes mais d’après les enquêtes elles le sont moins. On distingue trois types de contraintes posturales : 1) les situations fatigantes qui regroupent plus de 20 heures par semaine, la station debout, les piétinements, et les déplacements à pied ainsi que les gestes répétitifs à cadences

(6)

élevée. 2) les postures pénibles : rester à genoux, les bras en l’air, accroupi ou en torsion du torse plus de 20 heures par semaine; 3) les contraintes cervicales : maintenir une position fixe de la tête et du cou plus de 20 heures par semaine. Dans le secteur tertiaire les salariés les plus concernés sont ceux des services personnels et domestiques (60%), les hôtels et restaurants (55%), le commerce et la réparation automobile (44%).

Toutes les catégories d’emplois occupés par les femmes (les employées administratives exceptées) sont concernées par des pathologies liées aux gestes répétitifs7.

Le « mal être » non repéré comme problème de santé

Nous avons choisi le terme mal être pour appréhender les problèmes spécifiques liés à la place et aux rôles des femmes,pour caractériser les difficultés rencontrées,non seulement dans l’emploi et le travail,mais aussi en rapport avec les rôles tenus dans la sphère familiale et sociale. On définira ainsi le mal être comme né des positions et des perspectives probables d’advenir (mobilité et mise en action), des tensions dans la rencontre entre un individu doté de caractéristiques sociales et les normes et valeurs d’une société (Cousteaux, Pan KéShon, 2008). Notre hypothèse est que le mal être ressenti par les femmes tient à la difficulté qui leur est faite d’atteindre certaines places et de s’y maintenir, de pouvoir occuper certaines positions dans l’emploi mais aussi dans l’activité avec une certaine sérénité ; on parle ici d’absence de sérénité car bien souvent les femmes sont confrontées à des difficultés particulières qui ne leur permettent pas d’être confiantes quant au résultat des transactions engagées avec autrui dans le travail. Elles se heurtent notamment à des préjugés concernant leur disponibilité, leur capacité à affronter certaines situations. Il arrive aussi qu’on leur conteste la manière dont elles mènent leur activité parce que celle-ci ne correspond pas à un modèle prédéfini par des modèles ou des normes masculines.

Le mal être peut ainsi se définir comme un malaise ressenti dans différentes situations.

Il peut se situer à différents degrés, être conscient ou plus diffus ; dans ce cas, cet état ne suppose pas toujours une conscience précise des causes qui l’engendrent ; il ne se révèle pas spontanément et de ce fait ne se traduit par une expression de souffrance. Il est rendu invisible par le fait que les situations apparaissent comme habituelles et donc normales, elles sont quasi naturalisées. Le terme mal être a une connotation moins forte que celui de souffrance, il peut être lié à des tensions ressenties, peut se révéler lorsque certaines injustices (voire discriminations) sont mal supportées. Les acteurs ne l’assimilent pas forcément à un problème

(7)

de santé. Etre exposé au mal être ne signifie pas que l’on ne trouve pas les moyens d’y faire face, cependant cela construit une probabilité plus grande de glisser du mal être à la souffrance. Ainsi il s’agit de causes, de processus rendus invisibles car non conscientisés. On peut clairement le percevoir lorsqu’on essaie de l’aborder dans des entretiens. Beaucoup de femmes nient ou minimisent ces dimensions ; cette négation participe d’une forme d’idéologie défensive visant à se protéger.

Les différentes sources spécifiques du mal être pour les femmes

Pour révéler le rapport social de genre et d’une certaine manière en rencontrer les effets sur celles qui vivent ce qu’il faut bien appeler une forme de domination (Bourdieu 1998), il s’avère indispensable de l’affronter d’emblée quand on traite de la santé et non pas uniquement quand on traite des inégalités. En se demandant ce qui différencie les conditions offertes aux hommes et aux femmes dans le travail pour l’obtention des places, la construction des itinéraires et des relations. Nous aborderons ici quelques-uns des éléments sans prétention à l’exhaustivité montrant qu’il n’est pas indifférent d’être un homme ou une femme dans la société, tant le sexe conduit à une position spécifique.

Légitimité à travailler et identité sociale

Le premier aspect est celui de la contestation de la légitimité de la place des femmes au travail. Cette contestation est relative puisque cette place est beaucoup mieux admise en France que dans nombre d’autres pays dans lesquels les femmes sont assignées à la sphère privée, laissant la sphère publique aux hommes. Cependant en France, on ne peut ignorer que la charge de travail des femmes est tout à la fois celle du travail de la sphère professionnelle et celle liée à la sphère privée, charge tout à la fois physique et mentale. Elle est visible dans le nombre d’heures passées à effectuer le travail domestique en plus du travail professionnel. Ceci est bien connu grâce notamment aux études de l’INSEE8. Mais les travaux sur la santé des femmes au travail en limitant l’analyse aux effets de l’organisation sur le travail, ne peuvent pas révéler les effets de cette double charge de travail en matière de santé.

En portant les enfants et en veillant de manière principale à leur bien-être, en assurant des prises en charges familiales diverses vis-à-vis également des aînés, les trajectoires professionnelles des femmes se trouvent perturbées, ce qui est générateur de stress, de

(8)

sentiment de culpabilité et d’insatisfaction permanente concernant les modalités de l’investissement à effectuer.

Par ailleurs les femmes ne sont pas considérées à leur place dans certaines activités et on le leur fait savoir ; cette contestation de la légitimité à occuper une place concerne des activités occupées traditionnellement par les hommes (activités de transport, métiers ouvriers à dominante masculine, certaines spécialités médicales comme la chirurgie etc.). Elle donne lieu à des processus d’exclusion, de domination qui prennent des formes diverses : empêcher de faire, demander de ne tenir que certains rôles dans certains secteurs (comme chez les policiers); femmes dans des métiers d’hommes elles peinent à se faire accepter. Les travaux que nous avons menés dans le domaine de la chirurgie montrent que les femmes ont beaucoup de mal à y construire une place équivalente aux hommes. Certains chirurgiens vont jusqu’à leur dénier la légitimité d’une présence dans l’activité de travail, déni qui se joue tant dans les manières d’accueillir les filles dans certaines spécialités chirurgicales et les former, ainsi que dans la manière de se comporter avec elles. Cela se traduit par des humiliations, un manque de respect, un discours les incitant à se replier sur le hors travail. De telles assertions présentées parfois sur le mode de la plaisanterie (mais pas toujours et loin s’en faut) sont révélatrices du point de vue masculin sur la place consentie aux femmes. Elles instaurent de manière réitérée un processus de déni de l’identité sociale revendiquée par ces femmes médecins, instituent un pouvoir au service de la misogynie.

Ces situations sont tellement courantes que les femmes ne les nomment plus lorsqu’il s’agit de considérer leur place au travail ; on peut aussi se poser la question si dans certaines circonstances, nier ces aspects n’est pas une manière de les supporter. Les affronter peut en effet conduire à un retrait. C’est ce qui se passe notamment avec des externes qui renoncent à faire chirurgie car elles ne souhaitent pas lutter pour s’imposer dans un monde qui les rejette et préfèrent se tourner vers un milieu moins hostile.

Reconnaissance et dévalorisation relative

A la division en activités, s’ajoute une division hiérarchique. Les salaires des femmes, on le sait sont souvent moins élevés à compétences égales (un écart de 20 % entre hommes et femmes en équivalent temps plein)9. On sait aussi que les femmes ne peuvent faire les mêmes carrières que les hommes et qu’il existe ce que l’on appelle un plafond de verre. Elles accèdent beaucoup plus difficilement aux responsabilités hiérarchiques (seules 17 % en

(9)

assurent contre 33 % pour les hommes). La composition des états-majors d’entreprise reflète cette même discrimination puisque sur 400 entreprises, les femmes ne sont que 9 % des effectifs des états-majors. Les recherches effectuées dans différents secteurs montrent que la possibilité de briguer des places dans le haut de la hiérarchie leur est contestée. Notamment il n’est pas toujours possible pour les femmes de participer aux réseaux ou aux rencontres qui sont un des éléments favorables pour la construction d’une carrière. Ainsi les manières d’exclure emprunte des modalités diverses.

La dimension genre est facile à repérer quand le secteur concerné emploie quasi exclusivement des hommes ou des femmes. Mais l’analyse est moins évidente dans les structures où existe une certaine mixité et les recherches sur ces questions sont encore insuffisamment développées. Quelques travaux néanmoins commencent à analyser la manière dont les interactions avec les autres modifient pour un même emploi le travail des hommes et des femmes. Les rôles attendus des hommes et des femmes ne sont pas les mêmes et ainsi génèrent des réactions différenciées des interlocuteurs. Ceci est abordé à propos par exemple de la mixité chez les policiers (Pruvost, 2007), ou dans les recherches sur le personnel pénitentiaire (Malochet, 2005, 2007). Des analyses montrent également que les infirmières qui entourent le chirurgien se comportent différemment quand il s’agit d’une femme. Les chirurgiennes ne peuvent pas exercer leur autorité de la même manière que les hommes (Cassel, 1998, Bercot et Horellou-Lafarge, 2010). Les relations ont ainsi une connotation liée au genre qu’il n’est pas toujours facile de débusquer et d’analyser mais qui pèsent sur le mal être des femmes au travail sans que pour autant cela soit mis en exergue quand on parle de santé au travail.

Conclusion

Les attributs liés au genre pèsent sur la définition des normes au travail, les comportements attendus des hommes et des femmes, les attitudes choisies, les modalités de la négociation entre les différents acteurs.

Les études qui se posent la question du vécu de ces dynamiques sociales et leurs effets sont peu développées, comme si la dimension subjective n’était pas la plus urgente à faire apparaître dans cette défense des droits des femmes. De ce fait, il existe une véritable invisibilité des effets de ces situations sur le mal être. Cela peut être lié au fait que les positions sont fortement intériorisées (Bourdieu, 1998), individualisées ne permettant pas la construction de représentations plus collectives. On peut penser que face aux multiples

(10)

problèmes qu’elles rencontrent, problèmes pour une part liés à leur appartenance de genre, les femmes s’adaptent ; peut-être est-ce lié au fait que leur place dans l’emploi salarié est relativement récente (Bouffartigues, 2010), sans doute peut- on aussi l’attribuer au fait qu’une situation minorée est plus facile à supporter.

Références bibliographiques :

Bercot, R. (2011), La santé des femmes au travail en France, Revue sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), Québec, Numéro spécial vol.6, n°2, 2011, p. 26 à 49.

http://www.remest.ca/documents/BercotREMESTVol6no2.pdf

Bercot R, Horellou-Lafarge C. (2010), Quand l'identité revendiquée défie l'identité attribuée, CRESPPA-GTM Université Paris 8, Colloque « Mutations des systèmes de santé et Communication entre organisations, professionnels, patients et Société civile», 78ème congrès international de l’ACFAS, Université de Montréal. Bouffartigues et al., (2010), La perception des liens travail/santé. Le rôle des normes de genre et de profession,

Revue Française de Sociologie , 51-2, 2010, p. 247- 280

Bourdieu,P. (1998), La Domination masculine, Paris : Seuil.

Cassel J. (1998), The women in the surgeon’s body, Cambridge: Harvard University Press

Cousteaux A-S., Pan KéShon J-L. (2008), Le mal-être a-t-il un genre ? Suicide, risque suicidaire, dépression et dépendance alcoolique, Revue française de sociologie, 49- 1, 2008, p. 53-92

Cristofari M-F. (2005), Les sources statistiques sur le travail et la santé. L’ergonomie et les chiffres de la santé

au travail : ressources, tensions et pièges, S. Volkoff, coord, Toulouse, Octares éditions, p. 122-232.

Gollac M. et Bodier M. (Dir.) (2011), « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser [Rapport] », Ministère chargé du travail, (Rapport disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/114000201/index.shtml).

Guignon N. (2008), Risques professionnels : les femmes sont-elles à l’abri ? Femmes et hommes : Regards sur

la parité. Paris, INSEE, coll. « INSEE références », p.51-63.

Guignon, N., Niedhammer, I., Sandret, N. (2008), Les facteurs psychosociaux au travail, une évaluation par le questionnaire de Karasek dans l’enquête Sumer 2003, DARES, Premières Informations et Premières

Synthèses, 22-1, 8 p.

Kergoat D. (2009), Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux. In Sexe, race, classe. Pour une

épistémologie de la domination. Ed. Elsa DORLIN. Paris : PUF.

Malochet G. (2005), Dans l’ombre des hommes. La féminisation du personnel de surveillance des prisons pour hommes, Sociétés Contemporaines, 59-60, p.199-220.

Malochet G. (2007), Des femmes dans la maison des hommes, l’exemple des surveillantes de prison, Travail,

Genre et sociétés, 17- avril, p.105-121.

Messing K. (2000), La Santé des travailleuses : la science est-elle aveugle ?, [traduit de l’anglais par Danielle Charron ; préface de Maria de Koninck]. Montréal. Editions du remue-ménage.

Molinier P. (2010), Souffrance, défenses, reconnaissance. Le point de vue du travail, Nouvelle revue de

psychosociologie, 10- 2, p. 99-110.

Niedhammer I., David S., Bugel I, Chea M. (2000), Catégorie socioprofessionnelle et exposition aux facteurs psychosociaux au travail dans une cohorte professionnelle, Travailler, 5- 1, p. 23-45.

Pruvost G. (2007), Profession : policier, sexe : féminin, éd. Maison des sciences de l’homme, Ethnologie de France.

Références

Documents relatifs

 L’impact  des  restrictions  budgétaires  ou  de  la  rationalisation  sur  ces  métiers 

Nous proposons tout d’abord ici de reprendre l’ensemble de ces mutations qui vont traverser et impacter le travail des collectifs (changements profonds autour des fondements du

[r]

Leur cahier des charges donne des obligations de moyens, c’est-à-dire qu’il décrit les conditions dans lesquel- les doivent être élevés les animaux et en particulier les

Jennifer Bélanger Carmen Castillo Marilou Craft Manuela Guevara Sanna Mansouri André Markowicz Manuela Martelli Olivia Tapiero. 25 et

•Ex ante, les comportements à risque – consommation d’alcool ou de tabac, usage de produits psychoactifs, cumul de ces substances– sont relativement fréquents dans

Notez que ce processus de bien-être à court terme est valable pour tout être humain mais beaucoup de cerveaux gauches arrivent quand même à fonctionner dans ce monde, de par leur

Les enfants apprécient énormément cette pratique à l’école car ils prennent un réel temps de pause pour eux, rien que pour eux, sans réussite ou échec, juste