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Le continuum des violences genrées dans les trajectoires migratoires des Colombiennes en situation de refuge en Équateur

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Le continuum des violences genrées dans les

trajectoires migratoires des Colombiennes en

situation de refuge en Équateur

Thèse

Isabelle Auclair

Doctorat en anthropologie

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Isabelle Auclair, 2016

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Le continuum des violences genrées dans les

trajectoires migratoires des Colombiennes en

situation de refuge en Équateur

Thèse

Isabelle Auclair

Sous la direction de :

Martin Hébert, directeur de recherche

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RÉSUMÉ

La migration internationale, expérience centrale et de plus en plus féminisée de la mondialisation, semble fortement structurée par les rapports de genre qui peuvent faciliter ou limiter la trajectoire. En outre, une attention particulière doit être portée à la vulnérabilité différenciée des femmes face aux violences dans les processus de recrutement, de déplacement et de passage des frontières. Le contexte de déplacement forcé en étant un particulier, il est essentiel de prendre en compte la situation et le point de vue des femmes en situation de refuge tout comme il est nécessaire de questionner les structures mises en place pour assurer leur accès aux services ainsi que le respect de leurs droits. Dans ce contexte, cette recherche s’intéresse à l’importance de l’interaction entre les différents axes d’inégalités sociales dans la production et la transformation des formes de violences basées sur le genre vécues par les déplacées colombiennes tant dans la phase prédépart, dans l’étape de déplacement que lors de leur insertion dans le pays voisin où elles cherchent refuge : l’Équateur. En plus de s’amalgamer aux autres axes de différenciation sociale tels que l’âge, l’ethnie, la classe sociale et l’orientation sexuelle les caractéristiques vulnérabilisantes liées au genre se dévoilent dans un continuum de violences qui vient à son tour influencer les rapports inégaux. L’utilisation d’un concept comme celui du continuum permet une réflexion sur la nature multi-facétique de la violence. En plus d’aller plus loin que la hiérarchisation des abus, ce concept favorise l’exploration de formes de violences qui, contrairement aux violences extrêmes et directes, sont moins communément étudiées. En effet, les violences basées sur le genre ne sont pas des phénomènes isolés, mais des manifestations qui s’entrecroisent le long d’un continuum au cours duquel elles se supportent, se nourrissent mutuellement et parfois se fusionnent pour se transformer.

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ABSTRACT

International migration, a central and increasingly feminized experience of globalization, seems highly structured by gendered relations, which may facilitate or restrict the trajectory. Furthermore, special attention must be paid to the differentiated vulnerabilities to violence women are facing in the process of recruitment, travel and border crossing. Forced displacement being a peculiar situation, it is essential to take into account the perspective and experience of displaced and refugee women as well as it is necessary to question the structures put in place to ensure their access to services and the respect of their rights. In this context, this research focuses on the importance of the interaction between the different social inequalities in the production and transformation of gendered violences experienced by displaced Colombians in the pre-departure phase, while crossing the border and during their integration in the neighbouring country where they seek refuge: Ecuador. In addition to being amalgamated to other lines of social distinctions such as age, ethnic group or social class, the characteristics binded to gender, those making it vulnerable, are unveiled in a violence continuum which in turn has an impact on social inequities. The use of a concept such as a continuum allows a reflection on the numerous sides of violence. This concept favors the exploration of different forms of violence, which unlike extreme and direct violences, are much less commonly studied, and furthermore, go deeper in the hierarchisation of abuses. Indeed, gender-based violences are not isolated phenomena, but rather events that intersect along a continuum in which they support, feed each other, and sometimes even merge together to eventually be transformed.

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RESUMEN

La migración internacional, experiencia central y cada vez mas feminizada de la mundialización, parece altamente estructurada por las relaciones de género la cuales pueden facilitar o limitar la trayectoria. Además, es importante poner una atención particular a las vulnerabilidades diferenciadas de las mujeres frente a las violencias en los procesos de reclutamiento, de desplazamiento y de cruce de fronteras. Reconociendo las particularidades del contexto de desplazamiento forzado, es esencial tomar en cuenta la situación y el punto de vista de las mujeres en situación de refugio así como es necesario cuestionar las estructuras garantizando su accesos a los servicios y el respeto de sus derechos. En este contexto, esta investigación se interesa a la importancia de la interacción entre los diferentes ejes de desigualdades en la producción y transformación de las formas de violencias basadas en género experimentada por las desplazadas colombianas en la fase de pre-salida, en la fase de desplazamiento así como durante su inserción en el país vecino donde buscan refugio: el Ecuador. Además de combinarse a los otros ejes de diferenciación social tales como la edad, la etnia, la clase social y la orientación sexual, las inequidades género revelan un continuum de violencias. El uso de un concepto como el continuum permite una reflexión sobre la naturaleza múltiple de la violencia. Proponiendo un análisis mas complejo que la simple jerarquización de los abusos, este concepto promueve la exploración de formas de violencia que, a diferencia de las violencias extremas y directas, son estudiadas con menos frecuencia. De hecho, las violencias de género no son fenómenos aislados, sino acontecimientos que se entrecruzan a lo largo de un continuum en el que se apoyan, se alimentan mutualmente y a veces se fusionan para transformarse.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

RESUMEN ... v

TABLE DES MATIÈRES ... vi

LISTE DES TABLEAUX ... x

LISTE DES FIGURES ... xi

ABRÉVIATIONS ET SIGLES ... xii

REMERCIEMENTS ... xiii

INTRODUCTION ... 1

SECTION 1 ... 8

1 CHAPITRE 1 : Cadre théorique ... 9

1.1 Aborder la diversité des migrantes grâce aux approches féministes ... 10

1.1.1 La prise en compte des différents axes d’inégalités sociales ... 13

1.1.2 L’analyse intersectionnelle des inégalités sociales ... 19

1.2 Le continuum des violences basées sur le genre dans le processus migratoire ... 26

1.2.1 La multiplication et l’entrecroisement des violences : la création d’un continuum ... 26

1.2.2 La nécessité d’un concept englobant ... 27

1.2.3 Quelques définitions du continuum ... 28

1.2.4 Différentes utilisations du concept de continuum des violences ... 31

1.2.5 Aller plus loin que la hiérarchisation des abus ... 37

1.2.6 Mettre en évidence les violences naturalisées et invisibilisées ... 39

1.3 Conclusion ... 43

2 CHAPITRE 2 : Méthodologie et techniques de recherche ... 44

2.1 Les implications méthodologiques de l’intersectionnalité ... 44

2.1.1 Mettre en évidence l’influence des différents axes d’inégalités sociales sur la production des violences genrées ... 45

2.1.2 Donner la parole aux femmes en situation de refuge ... 46

2.2 Comprendre l’influence des systèmes de pouvoir dans le continuum des violences genrées... 50

2.2.1 La recherche bibliographique et documentaire ... 50

2.2.2 Le travail de terrain en deux étapes ... 52

2.3 Cerner les effets des systèmes et structures inégalitaires sur les parcours individuels 53 2.3.1 Les récits de vie : documenter ce que les déplacées disent ... 53

2.3.2 Les silences : documenter ce que les déplacées taisent ... 59

2.3.3 Les entrevues semi-dirigées ... 61

2.3.4 L’observation participante... 62

2.4 Analyse de données ... 63

2.5 Conclusion ... 67

3 CHAPITRE 3 : Du conflit colombien à la situation de refuge en Équateur; un contexte migratoire caractérisé par les violences genrées ... 69

(7)

3.1 La situation prédépart : fuir les violences basées sur le genre engendrées par le conflit 69

3.1.1 L’État de guerre : la violence généralisée et genrée ... 70

3.1.2 Les effets différenciés du conflit ... 74

3.1.3 Les violences directes et indirectes : la «décision» de partir ... 77

3.2 L’impact du conflit colombien sur les relations et la mobilité transfrontalière ... 80

3.3 Quand l’insertion dans le pays d’accueil signifie la continuité et l’accumulation des violences ... 85

3.3.1 Le processus de refuge et les violences genrées... 85

3.3.2 L’accumulation des discriminations et des violences ... 87

3.4 Conclusion ... 89

SECTION 2 ... 90

4 CHAPITRE 4 : Système patriarcal et manifestations machistes : naturalisation des inégalités et exacerbation des violences genrées ... 91

4.1 Le système patriarcal en Colombie et ses manifestations dans le contexte prédépart 94 4.1.1 La construction de la masculinité et de la féminité en contexte de conflit ... 94

4.1.1.1 Une enfance généralement marquée par les violences ... 94

4.1.1.2 L’imaginaire lié au narcotrafic et les menaces de recrutement forcé... 103

4.1.1.3 Le couple dans la situation prédépart : les femmes comme victimes directes et collatérales du conflit 108 4.1.2 Manifestations violentes et machistes menant à la décision de migrer ... 113

4.1.2.1 Des menaces sexospécifiques : le récit de Martha ... 113

4.1.2.2 Le pouvoir patriarcal et l’exacerbation des violences intrafamiliales : le récit de Norma 114 4.2 La traversée de la frontière et ses violences : une expérience différente pour les femmes ... 118

4.2.1 La traversée : une étape chaotique marquée par l’insécurité et la peur de l’inconnu . 119 4.2.2 Hiérarchisation et exacerbation des inégalités au passage de la frontière ... 121

4.2.3 La région frontalière entre hypermasculinisation et actes de solidarité féminine ... 126

4.3 Le système patriarcal et ses manifestations dans la vie des femmes en situation de refuge en Équateur ... 131

4.3.1 Le contrôle et la naturalisation des violences genrées ... 131

4.3.1.1 Le couple : gage de protection ou espace de multiplication des violences? ... 131

4.3.1.2 La maternité en situation de refuge ... 140

4.3.1.3 Les Colombiennes demandeuses d’asile : entre affirmation et soumission ... 144

4.3.2 Illustration des manifestations machistes dans le pays d’accueil ... 146

4.3.2.1 La reproduction des violences et la culpabilité maternelle : le récit de Katia ... 146

4.3.2.2 Le continuum des violences de genre : le récit de Belen ... 147

4.4 Conclusion ... 150

5 CHAPITRE 5 : Droits des femmes déplacées et en situation de refuge : entre protection et discriminations ... 154

5.1 Les droits et services aux victimes du conflit colombien ... 155

5.1.1 La législation colombienne en matière de droits des femmes et des personnes déplacées... 156

5.1.2 Les stratégies violentes pour assurer la loi du silence ... 159

5.1.3 Quand dénoncer engendre des menaces de mort : le récit de Rita ... 164

5.2 Du déplacement forcé à la situation de refuge ... 167

5.2.1 Cadre international de protection et de soutien organisationnel aux femmes déplacées et en situation de refuge dans la région andine. ... 167 5.2.2 Entre la méconnaissance de ses droits et la peur de se faire refuser l’entrée en Équateur

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5.3 Les droits et services aux Colombiennes en situation de refuge en Équateur ... 179

5.3.1 Législation équatorienne en matière de droits des femmes et des personnes en situation de refuge ... 179

5.3.1.1 Le processus de demande de refuge ... 184

5.3.1.2 L’enregistrement élargi : un moment historique pour la reconnaissance des réfugié-e-s . 188 5.3.1.3 L’influence des axes d’inégalités sociales dans l’accès aux services ... 191

5.3.1.4 Les violences institutionnelles dans le processus de demande de refuge : le récit de Rita 194 5.3.2 Différentes formes de discriminations liées à la situation de refuge : différentes formes de violences ... 197

5.3.2.1 Discriminations dans l’accès au travail ... 197

5.3.2.2 Discriminations dans l’accès au logement ... 207

5.3.2.3 Discriminations dans l’accès à l’éducation ... 210

5.3.2.4 Discriminations quotidiennes dans les espaces publics ... 215

5.3.3 Briser l’isolement grâce au réseautage ... 217

5.4 Conclusion ... 224

6 CHAPITRE 6 : Exacerbation des violences directes : le corps des femmes en situation de refuge ... 229

6.1 Le conflit colombien, le territoire et les violences faites aux femmes... 229

6.1.1 Le corps des femmes comme champs de bataille ... 230

6.1.2 L’insécurité, les menaces et les violences directes ... 237

6.1.3 L’appropriation des corps féminins par la violence : les récits de Maria, Estefania et Cintia 246 6.2 Les violences directes et à caractère sexuel dans la région frontalière ... 250

6.2.1 Le corps des femmes comme monnaie d’échange à la frontière ... 250

6.2.2 De la traite au sexe transactionnel, la multiplication des violences sexuelles : les récits de Mariarosa et de Natalia ... 261

6.3 Les violences qui se perpétuent en situation de refuge ... 264

6.3.1 Le corps des Colombiennes comme objet de convoitise : du harcèlement de rue au viol 264 6.3.2 Les changements corporels et la haine du corps comme résultat du processus migratoire violent ... 270

6.3.3 Processus de réappropriation de la trajectoire migratoire ... 276

6.3.4 Quand le corps ne répond pas aux construits genrés : le récit de Leo ... 279

6.4 Conclusions ... 283

Conclusion ... 286

Bibliographie ... 300

ANNEXES ... 325

ANNEXE 1 : CARTE DE L’ÉQUATEUR ... 326

ANNEXE 2 : QUELQUES DONNÉES HISTORIQUES SUR L’ÉQUATEUR ... 327

ANNEXE 3 : DEMANDES D’ASILE EN ÉQUATEUR ... 329

ANNEXE 4 : CARTE DE LA COLOMBIE ... 330

ANNEXE 5 : QUELQUES DONNÉES HISTORIQUES SUR LA COLOMBIE ... 331

ANNEXE 6 : CARTE DE LA FRONTIÈRE ENTRE L’ÉQUATEUR ET LA COLOMBIE ... 333

(9)

ANNEXE 8 : GUIDE DES THÉMATIQUES POUR LES RÉCITS DE VIE

(VERSION FRANÇAISE) ... 338 ANNEXE 9 : GUIDE DES THÉMATIQUES POUR LES RÉCITS DE VIE

(VERSION ESPAGNOLE) ... 340 ANNEXE 10 : GUIDE D’ENTREVUES SEMI-DIRIGÉES (VERSION FRANÇAISE) ... 342 ANNEXE 11 : GRILLE D’ENTREVUES SEMI-DIRIGÉES (VERSION

ESPAGNOLE) ... 344 ANNEXE 12 : FORMULAIRE D’INFORMATION (VERSION FRANÇAISE) ... 346 ANNEXE 13 : FORMULAIRE D’INFORMATION (VERSION ESPAGNOLE) ... 349 ANNEXE 14 : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT POUR INTERVENANT-E-S D’ORGANISMES (VERSION FRANÇAISE) ... 352 ANNEXE 15 : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT POUR INTERVENANT-E-S D’ORGANISMES (VERSION FRANÇAISE) ... 355

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Participantes aux récits de vie

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Intersection des rapports sociaux inégalitaires

Figure 1.1 : Intersection des rapports sociaux à partir de la dimension genre Figure 2 : Continuum des violences genrées

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ABRÉVIATIONS ET SIGLES

A Académie

AAE Asylum Access Ecuador

AI Amnistie Internationale

CAN Communauté Andine des Nations

CÉDEF Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

CÉDEF Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

CHCV Comisión Histórica del Conflicto y sus Víctimas

CLADEM Comité de Latina America y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer

CNMH Centre National de Mémoire historique

CNR Consejo Noruego de Refugiados

DIAH Développement international et action humanitaire

ELN Ejército de Liberación Nacional

FARC-EP Fuerzas Armadas Revolucionarias Colombianas – Ejército Popular

FMS Federación de Mujeres de Sucumbíos

HIAS Immigrant Aid Society

HRW Human Rights Watch

IEP Institut pour l’économie et la paix

INREDH Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos

OÉA Organisation des États Américains

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations unies

PDP-FN Programa de Desarrollo y Paz – Frontera Norte

RCS Résolution du conseil de sécurité

RedTRabSex Red de Trabajadoras Sexuales RPM Ruta Pacífica de las Mujeres

SI Spécialiste indépendante

UNFPA Fonds des Nations Unies pour la population

UNHCR Agence des Nations Unies pour les réfugiés

UNODC Office des Nations Unies contre la drogue et le crime

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont permis, d’une façon ou d’une autre, la réalisation de cette aventure (qu’on dit solitaire) qu’est le doctorat.

Premièrement, merci aux personnes qui ont accepté de raconter leur histoire et leur parcours migratoire. Je serai toujours reconnaissante de votre ouverture et de votre confiance à mon égard. Je n’oublierai jamais l’opportunité que vous m’avez donnée de grandir académiquement, mais surtout humainement, en acceptant de partager avec moi vos récits. Tout comme je n’oublierai jamais votre force, individuelle et collective, votre courage face à l’adversité, votre capacité à dévoiler vos vulnérabilités…les larmes qui ont coulées, mais également les rires et les espoirs que vous avez partagés.

Je souhaite ensuite remercier infiniment les organisations qui m’ont ouvert leurs portes en me donnant la possibilité de réaliser ma collecte de données dans des endroits sécuritaires pour les femmes en situation de refuge. J’ai une reconnaissance particulière envers les professionnel-le-s et les spécialistes qui ont accepté de discuter avec moi des défis qu’ils et elles rencontrent dans le contexte de leur travail. Votre force, votre courage et votre dévouement sont également à souligner.

Je tiens à remercier très sincèrement Martin Hébert, mon directeur de recherche, qui a cru en mon projet dès le début et qui m’a permis, par ses conseils judicieux et son analyse fine des violences, de pousser ma réflexion et de rendre cette thèse possible. Mes remerciements chaleureux à Marie France Labrecque, ma codirectrice, qui a non seulement accepté de poursuivre le soutien continu qu’elle m’a généreusement offert depuis mon entrée au baccalauréat, mais qui a également été la première à me donner les outils théoriques pour développer une analyse et une approche de travail féministes.

Je remercie également le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), le Département d’anthropologie ainsi que le Bureau international de l’Université Laval pour leur soutien financier.

Le milieu académique et professionnel dans lequel j’ai eu la chance d’évoluer au cours de mes études doctorales a été des plus enrichissants aux plans personnel et professionnel. En ce sens, je remercie le Département d’anthropologie de m’avoir fait confiance et m’avoir permis de me découvrir une passion, en me donnant une première expérience d’enseignement. À mes collègues féministes (mais qui sont surtout devenues mes amies) de la Chaire Claire-Bonenfant, de la CLÉ Femmes et Organisations et de l’Atelier F. : Caroline Roy-Blais, Marilyne Brisebois (un merci particulier pour le temps et l’énergie consacrés à la relecture de ma thèse), Hélène Charron, Joëlle Steben-Chabot, Catherine Plouffe Jetté, Dominique Tanguay, Sophie Brière et Hélène Lee-Gosselin; merci pour toutes les discussions, les réflexions, les remises en question et le soutien constant. Vous êtes chacune des sources d’inspiration dans votre travail pour un monde plus égalitaire. Merci à mon amoureux, qui a accepté de me suivre dans cette aventure, de changer de pays, d’apprendre une nouvelle langue et de s’éloigner de sa famille pour que je puisse aller au

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bout de ce projet. Merci à ma famille qui m’a soutenue avec respect et amour dans ce doctorat comme dans tout ce que j’ai entrepris dans ma vie; mes parents qui sont et seront toujours mes modèles à suivre, ma sœur Marie-Jo, une inspiration constante dans l’accomplissement de mes rêves, mon presque frère Fred dont les talents professionnels ont permis d’illustrer clairement mes idées, et mes merveilleuses nièces Magou et Oli qui sont les soleils de ma vie. À ma famille équatorienne, mes beaux-parents, Javier, Ximena, Rita, Gabo et Romina ainsi que mes ami-e-s Jenny, Sofia et Cesar : merci pour votre soutien lors de mes séjours sur le terrain tout comme à distance. À mes amies de toujours, Ann, Pascale et Émilie : vos encouragements, mais surtout votre présence et la persévérance qui émane de chacune de vous m’ont toujours poussée à aller au bout des choses tout en restant moi-même.

C’est grâce à toutes les personnes mentionnées ici (et à bien d’autres) que mon expérience de doctorat, malgré ses défis, n’a pas été marquée par la solitude, mais plutôt par le soutien fourni par un entourage et un encadrement hors du commun. Merci!

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INTRODUCTION

« La violence à l’égard des femmes ne se limite pas à une culture, une région ou un pays en particulier ni à des groupes spécifiques de femmes au sein d’une société. Les racines de la violence contre les femmes se trouvent dans la discrimination persistante à leur égard » (ONU Femmes, 2015). Tout en reconnaissant l’importance des violences genrées au niveau international, force est de constater que certains contextes participent à leur intensification. Pour plusieurs raisons interconnectées, notamment l’exacerbation des iniquités de genre déjà existantes ainsi que l’augmentation des violences physiques, les conflits armés contribuent à la mise en place des conditions permettant la multiplication des abus contre les droits humains des femmes (El Jack, 2003). Dans ce contexte, entreprendre un processus migratoire peut devenir la seule avenue envisageable pour fuir les violences.

Toutefois, les personnes en situation de déplacement forcé se retrouvent confrontées aux limitations découlant du paradoxe des frontières. D’un côté nous observons la multiplication des échanges, des circulations et des déplacements alors que de l’autre nous assistons à un resserrement des limites nationales ainsi qu’au durcissement des règles migratoires. Selon l’endroit où l’on naît, selon le genre auquel on appartient et selon la classe sociale de laquelle on est issu, la possibilité de traverser la frontière et de s’établir dans un pays étranger diffèrera. Pour certain-e-s, les frontières ne sont que virtuelles et peuvent être franchies relativement facilement tandis que pour d’autres, notamment les femmes fuyant un contexte violent, ce parcours est empreint d’embûches et de difficultés de toutes sortes. Reconnaissant la particularité de ces dynamiques, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté, au tournant du siècle, la première résolution (RCS 1325) mettant de l’avant la nécessité d’aborder les conséquences spécifiques des conflits sur les femmes ainsi que leur participation équitable aux processus de prévention et de pacification. Quinze ans plus tard, l’adoption d’une huitième résolution sur les femmes, la paix et la sécurité (RSC 2242) démontre que les violences faites aux femmes, particulièrement en situation de conflit, constituent toujours un enjeu d’ampleur mondiale qui doit nous interpeler à la fois comme citoyen-ne-s et comme scientifiques.

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Au cours des dernières décennies, plutôt que de se résorber, les violences genrées sont en augmentation et demeurent un élément central dans les revendications et les recherches féministes (voir notamment : FMS 2009, Héritier 2005, Giles et Hyndman 2004, Kelly 1988). Dans le monde, jusqu’à 70% de femmes seront, au cours de leur vie, victimes d’actes violents (ONU Femmes, 2015) et celles en situation de refuge se voient encore plus susceptibles d’en subir. La nécessité de se pencher sur les trajectoires migratoires en analysant les différentes formes de violences genrées s’y déployant est indéniable. Ce constat, à la source de mon choix de réaliser cette recherche, émerge de mon expérience en tant que spécialiste de l’intégration des perspectives de genre et de prévention de conflit au sein des Nations Unies en Équateur. Cette expérience professionnelle, au cours de laquelle j’ai travaillé auprès des groupes de femmes et des organismes spécialistes de la protection des réfugié-e-s et des violences genrées, m’a permis d’engager un processus de réflexion face aux limites conceptuelles, organisationnelles et structurelles des projets de développement et des services offerts aux femmes en situation de refuge et vivant des violences. Ces limites se traduisaient par la difficile prise en compte de l’ensemble de leur trajectoire ainsi que la diversité des inégalités et des violences caractérisant leur parcours. Il m’apparaissait alors important de réfléchir à ces parcours individuels en les resituant dans les systèmes et les structures globales dans lesquels ils s’inscrivent. Dans cette optique, ma recherche, en plus de s’inscrire dans les théories féministes et anthropologiques des déplacements forcés et du refuge, vise à appréhender l’ensemble du processus migratoire afin de mettre en lumière l’influence des divers rapports sociaux inégalitaires dans l’exacerbation des violences basées sur le genre.

Tout en reconnaissant les apports spécifiques de la discipline anthropologique aux études portant sur les mouvements migratoires, plusieurs auteur-e-s insistent sur la multidisciplinarité inhérente à ce domaine de recherche (voir notamment Brettell et Hollifield 2014, Cuche et coll. 2009, Horevitz 2009, Tillman 2013). C’est à partir de la deuxième moitié du XXe siècle que les anthropologues, qui favorisaient jusque-là les études

portant sur les petites localités et les déplacements ruraux-urbains, ont élargi leurs intérêts pour les déplacements humains à plus grande échelle ce qui a résulté en l’émergence d’apports théoriques et empiriques novateurs (Cuche et coll. 2009, Lanz 2013).

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Historiquement, les théories et les thèmes abordés en anthropologie des migrations se sont développés en accord avec les enjeux contemporains. En ce sens, actuellement, l’émergence des études portant sur les déplacements forcés, le refuge et les violences en situation de conflit et de guerre est notable (par exemple; Agier 2002, Chimni 2009, Fresia 2007, Harrell-Bond et Voutira 1992 et Malkki 1995). Par ailleurs, le développement des recherches féministes (Colson 2003, Eastmond 2007, Indra 1999, Malher et Pessar 2006, Nolin 2006), a mis en exergue les limites des théories traditionnelles dans la compréhension des circonstances menant les femmes à migrer ou à demander asile, en plus de démontrer l’importance de considérer l’influence des construits genrés dans l’ensemble de la trajectoire migratoire (Boyd et Grieco, 2003 : 1).

La migration internationale semble fortement structurée par les construits genrés qui peuvent faciliter ou limiter la trajectoire (Gaytán Cuesta, 2008). En effet, « les rapports de genre qui précèdent la migration [sont] susceptibles d’affecter les départs, les flux et les rapports consécutifs de la migration » (Morokvasic, 2010 : 115). En outre, de nombreuses recherches attirent l’attention sur la vulnérabilité différenciée des femmes face aux violences dans les processus de recrutement, de déplacement et de passage des frontières (voir entre autres : Adelman 2004, Cowburn 2011, Kaya et Cook 2010, Mora 2008 et Walton-Roberts 2008). Comme le soulèvent les auteur-e-s adoptant une approche féministe : ces actes violents ne sont pas des cas isolés et doivent être compris dans le contexte global dans lequel ils s’inscrivent (Ibarra, 2003 : 276-277). Dans cette perspective, j’ai choisi d’explorer comment les différents axes d’inégalités sociales influencent la production et la transformation des formes de violences basées sur le genre qui affectent les déplacées colombiennes tant dans la phase prédépart, dans l’étape de déplacement que lors de leur insertion dans le pays voisin où elles cherchent refuge, l’Équateur. Ce découpage permet de considérer chacune des étapes en tant que processus social comportant ses particularités, sans omettre leur articulation pour former l’ensemble de la trajectoire entre le pays d’origine et celui d’accueil.

Jusqu’ici les travaux portant sur les violences basées sur le genre se concentrent plus spécifiquement sur l’expérience vécue et le quotidien des sujets. Pour leur part, les travaux

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sur la migration tendent à négliger la question du genre. En contextualisant les violences, en reconnaissant leur historicité et en favorisant une compréhension de leurs dynamiques de transformation à la faveur d’une étude de l’expérience vécue et une analyse des rapports sociaux inégalitaires, ma recherche permet de pousser plus loin les connaissances dont nous disposons déjà en proposant une réflexion globale sur le continuum des violences genrées dans les trajectoires migratoires. Afin de présenter cette réflexion globale et l’analyse des résultats, j’ai structuré ma thèse en deux sections comportant chacune trois chapitres. Dans un premier temps, après avoir présenté le cadre théorique guidant la réflexion ainsi que les méthodologies déployées afin de documenter la recherche, le contexte des trajectoires migratoires recueillies sera présenté. Dans un deuxième temps, l’analyse du continuum des violences sera divisée en trois chapitres alors que j’aborderai premièrement le système inégalitaire et patriarcal, les discriminations systémiques, structurelles et institutionnelles et, finalement, l’exacerbation des violences physiques et directes.

Reconnaissant le processus de féminisation comme phénomène central de la mobilité humaine et de la migration, je considère essentiel d’aborder celui-ci depuis une analyse genrée (Ambrosetti et coll. 2008, Arteaga 2010, Camacho 2009, Chapkis 2003, Falquet et

coll., 2010, Herrera et Ramirez 2008, Mahler et Pessar 2006, Mora 2007 et Pessar et coll.

2006). En ce sens, les trajectoires migratoires des femmes, en plus d’être en expansion, sont caractérisées par des systèmes et des structures sociales spécifiques favorisant ou limitant leur mobilité. Ces axes d’inégalités sociales, en plus de caractériser le parcours migratoire, influencent la production et la reproduction de violences diverses. Pour comprendre ces formes de subordination et les violences sous-jacentes, il est important de s’attarder aux discriminations, inégalités et stéréotypes, notamment genrés, qui incitent souvent à la naturalisation de la violence et àl’assujettissementdes femmes dans leur société d’origine, dans leur expérience du passage des frontières, ainsi qu’une fois arrivées en sol étranger. En ce sens, afin d’analyser ces dynamiques, j’ai préconisé un cadre théorique s’appuyant sur les théories féministes (Bilge 2009, Crenshaw 1989, Hill Collins 1990) ainsi que sur le concept de continuum des violences (Bourgeois 2004 et Kelly 1987, 1988 et 2012).

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Afin de contextualiser et d’analyser ce continuum dans les trajectoires migratoires des Colombiennes en situation de refuge en Équateur, je propose d’adopter une stratégie méthodologique alliant la reconnaissance de l’importance de donner la parole aux sujets de la recherche et celled’utiliser des techniques permettant d’alimenter la réflexion depuis une approche critique féministe. Ces techniques s’inscrivent dans la logique préconisée par le cadre d’analyse intersectionnelle et découlant de la théorie de la connaissance située. L’intersectionnalité implique l’utilisation d’une grille multidimensionnelle mettant en évidence les différents axes d’inégalités sociales, de même que la façon dont ils interagissent (Palomares et Testenoire, 2010 : 16), se renforcent et s’affaiblissent (Winker et Degele, 2011 : 51). L’adoption de cette approche permet également de comprendre comment ces axes d’inégalités influencent la multiplication des violences genrées dans les trajectoires des Colombiennes en situation de refuge. Par ailleurs, afin d’analyser les rapports de domination inhérents aux violences vécues par les femmes déplacées et réfugiées, il est primordial que leurs expériences soient écoutées, prises en compte et documentées. Les méthodes découlant de la théorie de la connaissance située ont permis de donner la parole à des Colombiennes ayant complété les trois étapes de leur trajectoire migratoire afin qu’elles-mêmes racontent, dans leurs mots et depuis leur vision, leur histoire personnelle. Ces démarches et méthodes féministes se distinguent notamment par la reconnaissance des savoirs situés en tant que savoirs scientifiques. Les données recueillies viennent nourrir la réflexion quant au continuum grâce aux récits et interprétations que les sujets font elles-mêmes des violences vécues.

En outre, une réelle compréhension de ces récits nécessite la contextualisation des différentes étapes de la trajectoire migratoire. Il s’agit de situer les contextes de prédépart, de déplacement et de situation de refuge afin de permettre une analyse plus approfondie des violences qui y émergent et qui caractérisent l’ensemble du parcours. La situation conflictuelle colombienne est à la source des déplacements forcés. Les conséquences des décennies de conflit et de violences en Colombie sont nombreuses et impliquent diverses violations aux droits humains des femmes (Victoria et Ibarra Melo, 2010 : 248). En ce sens, « [a]ffirmer que la violence a acquis en Colombie un caractère «protéiforme», ou «multidimensionnel» signifie qu’elle affecte désormais tous les acteurs sociaux » (Daviaud,

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2010 : 37). Bien que certains protagonistes soient impliqués directement dans le conflit (notamment les guérillas, les paramilitaires, les narcotrafiquants et l’État), les effets violents du conflit affectent l’ensemble de la population colombienne (CNMH, 2013). Cette généralisation des violences n’est toutefois pas exempte de spécificités et les différents axes d’inégalités sociales, notamment le genre, participent à l’exacerbation de violences particulières (RPM, 2013c) qui mènent les Colombiennes à fuir leur pays d’origine. La période de déplacement, qui débute avec la décision ou l’obligation de migrer et s’étend jusqu’à l’arrivée dans le pays où sera demandé l’asile, est de courte durée, mais chargée en tensions. Durant cette période, en plus des violences physiques, la violence institutionnelle devient systématique alors que les déplacées entrent dans le processus administratif de demande de légitimation de leur statut de réfugiée (Moscoso et Burneo 2014, Rojas 2003). C’est en Équateur, pays accueillant le plus grand nombre de réfugié-e-es en Amérique latine, que la majorité des Colombiennes cherchent refuge. Cette dernière étape migratoire est elle aussi marquée par une multitude de manifestations violentes (Camacho, 2005, INREDH 2004, Opsina et coll. 2012).

L’analyse proposée ici se divise en trois chapitres. Le premier, intitulé «Chapitre 4 : Système patriarcal et manifestations machistes : naturalisation des inégalités et exacerbation des violences genrées», aborde plus spécifiquement les systèmes inégalitaires dans l’ensemble du parcours. Ces systèmes de domination, présents dans chacune des étapes migratoires, s’appuient sur les constructions culturelles genrées ancrées dans une vision androcentrique et hétéronormative de la réalité. Ce qui participe à la hiérarchisation des individus, essentialise les différences et cautionne la reproduction des violences envers les personnes considérées comme subordonnées ou non conformes aux normes établies.

Le deuxième chapitre analytique, intitulé «Chapitre 5 : Droits des femmes déplacées et en situation de refuge : entre protection et discriminations», aborde les violences institutionnalisées observables dans le décalage entre les discours protectionnistes et de droits en termes de violence et de déplacements forcés et les discriminations vécues par les femmes en situation de déplacement et de refuge. L’analyse approfondie des politiques migratoires permet de dévoiler ce décalage et de questionner les raisons favorisant le

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maintien de l’impunité et la perpétuation des différentes formes de discriminations dont sont victimes les Colombiennes déplacées et réfugiées.

Le troisième et dernier chapitre analytique, intitulé « Chapitre 6 : Exacerbation des violences directes : le corps des femmes en situation de refuge », démontre comment le continuum participe à la perpétuation de violences extrêmes. Celles-ci résultant du système patriarcal, sont validées par les structures inégalitaires et prennent un caractère des plus personnel lorsqu’elles s’inscrivent directement dans le corps des femmes. Qu’il s’agisse de l’utilisation de leur corps comme arme de guerre ou comme extension du territoire à posséder dans le conflit colombien, comme monnaie d’échange à la frontière ou comme objet de convoitise dans le pays d’accueil : l’objectivation du corps des déplacées et les agressions physiques et sexuelles participent à la perpétuation du continuum des violences.

Analysé à la lumière des différents axes d’inégalités sociales et appliquées aux trajectoires, le continuum permet de cerner les multiples facettes de la violence. Dépassant la conceptualisation hiérarchisant les abus, ce concept favorise la mise en évidence de formes de violences qui, contrairement aux violences physiques et directes, sont moins communément étudiées. Comme il sera démontré tout au long de l’analyse déployée dans cette thèse, les violences basées sur le genre ne sont pas des phénomènes isolés, mais des manifestations qui s’entrecroisent le long d’un continuum au cours duquel elles se supportent, se nourrissent mutuellement et parfois se fusionnent pour se transformer.

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CHAPITRE 1 : Cadre théorique

Récemment, plusieurs études ont porté sur la féminisation de la mobilité humaine et de la migration,1 et ce, depuis une analyse genrée. Les changements dans les dynamiques

migratoires elles-mêmes et dans les raisons et les façons dont migrent les femmes ont entraîné un changement conceptuel. Camacho affirme qu’afin de comprendre la complexité des déplacements humains, et particulièrement ceux des femmes, il est nécessaire d’articuler une réflexion socioéconomique et macro-structurelle à une analyse du contexte microsocial et culturel dans lequel elles évoluent. Pour ce faire, il est recommandé d’aborder les questions liées à la féminisation de la migration et à la migration féminine depuis une approche qui questionne notamment les relations de genre, de classe et d’ethnie (Camacho, 2009 : 243). Ces facteurs, à l’instar de l’âge et de l’orientation sexuelle, représentent différents axes d’inégalités sociales associés à autant de systèmes de domination qui favorisent la mobilité des groupes dominants, tout en limitant celle des groupes subordonnés.

L’analyse des trajectoires migratoires à la lumière des réflexions critiques et féministes favorise la remise en question des rapports sociaux inégalitaires participant à l’inclusion et à l’exclusion de certains individus dans les processus migratoires, venant justement limiter les possibilités de déplacement (Mahler et Pessar, 2006). Ainsi, l’analyse genrée et intersectionnelle permet d’aborder les dynamiques migratoires sous un nouvel angle. En recensant brièvement l’évolution de l’incorporation du concept de genre dans les recherches sur les déplacements humains, on constate que les thématiques privilégiées d’emblée sont liées aux différentes formes de subordination des femmes dans le contexte global où se déroulent les flux migratoires (Ambrossetti et al 2008, Falquet et coll. 2010, Horevitz 2009, Levitt et Jaworsky 2007, Mahler et Pessar 2006, Mora 2007, Pessar 2006). Pour comprendre ces formes de subordination et les violences sous-jacentes, il est important de s’attarder aux systèmes de domination qui incitent souvent à la naturalisation

1 Ambrossettti et al. 2008, Andrew 2010, Arteaga 2010, Bilge 2010, Berger 2010, Camacho 2009, Chapkis 2003, Coll 2009, Falquet et coll. 2010, Gonzales-Lopez 2000, Guillemaut 2006, Herrera et Ramirez 2008, Hirsch 1999, Ibarra 2003, Khandelwal 2009, Mahler et Pessar 2006, Menjívar et Salcido 2002, Mora 2007,

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de la violence et à l’assujettissement des femmes dans leur société d’origine, dans leur expérience du passage des frontières, ainsi qu’une fois en sol étranger.

1.1 Aborder la diversité des migrantes grâce aux approches féministes

L’incorporation d’une analyse différenciée selon le genre dans les études sur les migrations et la mobilité est un phénomène relativement récent qui apparaît dans les dernières décennies (voir notamment Mahler et Pessar, 2006 et Pearce et coll., 2011)2. La

féminisation de la migration est un phénomène international (Pearce et coll., 2011 : 4) dans lequel chaque parcours est conditionné par les différences genrées. En ce sens « (…) la décision d’immigrer, le choix de la destination, l’accès aux connaissances ou aux ressources financières nécessaires sont des prérogatives typiquement masculines. Les processus d’adaptation, de réinstallation et d’intégration dans les pays d’accueil ont des répercussions différentes sur les femmes et les hommes » (Condition féminine Canada, 1998 : 45).

Tel que le soulignent Mahler et Pessar (2006), la terminologie employée pour expliquer ou analyser les processus migratoires n’est jamais neutre. Par contre, plusieurs chercheuses décident d’utiliser de façon interchangeable les termes d’immigration et de migration, tout en reconnaissant que l’idée d’«immigrer» est associée aux paradigmes du mouvement unidirectionnel et permanent, alors que le concept de «migrer» réfère plutôt à l’idée d’«impermanence» (Horevitz, 2009 : 747-748).

L’Organisation Internationale pour les Migrations (2007 : 47) définit la migration comme le « [d]éplacement d’une personne ou d’un groupe de personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire. La notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition, leur durée, incluant ainsi notamment les

2 En fait, plusieurs auteures s’accordent pour dire que malgré un nombre grandissant de recherches incorporant des données divisées selon le sexe, une réelle analyse de genre est souvent omise. Certaines auteures, notamment Malkki (1995) et Pessar (2006) vont même jusqu’à soulever qu’il serait opportun de revenir sur des études passées et de les retravailler en y intégrant la perspective de genre, ce qui permettrait de voir les résultats obtenus sous un angle novateur et de formuler de nouvelles conclusions.

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mouvements des travailleurs, des réfugiés, des personnes déplacées ou déracinées ». Toujours selon cette organisation, même si aucune définition n’est universellement acceptée, la notion de migrant est généralement utilisée lorsque « (…) la décision d’émigrer est prise librement par l’individu concerné, pour des raisons « de convenance personnelle » et sans intervention d’un facteur contraignant externe. Ce terme s’applique donc aux personnes se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles et sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leur famille » (OIM : 2007 : 45). Bien que le désir d’améliorer leurs conditions de vie puisse s’appliquer aux migrantes visées par la présente recherche, il convient de nuancer le caractère libre de la prise de décision et de considérer les effets contraignants des violences qui caractérisent leur parcours.

En outre, le vocabulaire utilisé pour désigner les Colombiennes cherchant refuge en Équateur diffère selon l’étape de la trajectoire à laquelle elles se trouvent et le statut migratoire leur étant accordé. Dans la période prédépart, les notions de déplacées, de déplacées internes et de déplacées forcées seront utilisées. Ces concepts renvoient à la définition proposée par le UNHCR (2009 : 100) de toute personne « (…) obligée ou contrainte de fuir son foyer ou son lieu de résidence habituel notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme ou pour en éviter les effets, et qui n'a pas franchi les frontières internationalement reconnues d'un État ».

Lors du passage entre le pays d’origine et celui d’accueil, les Colombiennes amorçant le processus de demande de refuge seront considérées comme des demandeuses d’asile. Selon le UNHCR, il s’agit de personnes sollicitant la protection internationale. L’organisation précise que « [d]ans les pays appliquant des procédures d’examen individualisées, un demandeur d’asile est un individu dont la demande d’asile n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive de la part du pays d’accueil potentiel. Tout demandeur d’asile ne sera pas nécessairement reconnu comme réfugié à l’issue du processus, mais tout réfugié a dans un premier temps été demandeur d’asile » (UNHCR, 2005 : 442).

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Le statut de réfugiée sera octroyé aux personnes qui, suite à l’analyse de leur dossier, sont considérées comme « (…) répondant aux critères d’admissibilité énoncés dans la définition du réfugié applicable en vertu des instruments internationaux et régionaux, au titre du mandat de l’UNHCR ou conformément au droit national ou international » (UNHCR, 2005 : 446). En ce sens, la demandeuse d’asile est une personne dont la demande de refuge n’a pas encore été examinée de manière définitive par le gouvernement hôte. Ce dernier s’appuiera sur son système national d’asile ainsi que sur les outils internationaux qu’il aura ratifiés afin d’établir quels critères seront pris en compte pour l’obtention du statut de réfugié et l’accès aux mesures de protection.

À l’inverse, les demandeurs et demandeuses d’asile essuyant un refus sont renvoyé-e-s dans leur pays d’origine ou dans le dernier pays visité. Considérant les effets vulnérabilisants et les situations d’insécurité liées à ces deux éventualités, certain-e-s choisiront d’utiliser les voies légales en faisant appel de la décision alors que d’autres choisiront de rester illégalement en territoire équatorien. Il est également possible que certaines personnes, même si elles correspondent aux critères établis par le gouvernement récepteur, choisissent de ne pas amorcer le processus de demande d’asile. Elles seront désignées alors comme étant dans une situation apparentée à celle des réfugiées. Cette catégorie comprend « (…) des groupes de personnes hors de leur pays d’origine et qui ont besoin de protection tout comme les réfugiés, mais pour qui le statut de réfugié n’a pas été déterminé, que ce soit pour des raisons pratiques ou autres » (UNHCR, 2009 : 104).

Dans la présente recherche, c’est le concept de personne en situation de refuge qui sera utilisé pour désigner l’ensemble des personnes qui en sont aux deuxième et troisième étapes migratoires. Cette notion englobe toutes celles se trouvant dans une situation semblable à celle des réfugiées, qu’elles aient ou non amorcé leur processus et que celui-ci se soit soldé positivement ou négativement. Ainsi, tout en reconnaissant la diversité des situations vécues par les demandeuses d’asile et les réfugiées, cette catégorie permet de prendre en considération toutes les personnes ayant besoin de protection internationale, indépendamment de la reconnaissance légale de celles-ci. Par ailleurs, ce concept s’inscrit dans l’approche féministe préconisée dans cette recherche en favorisant la prise en compte

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de la posture qu’ont les déplacées sur leur propre trajectoire, notamment leur identification en tant que personnes en besoin de protection internationale et situation de refuge.

1.1.1 La prise en compte des différents axes d’inégalités sociales

Dans les années 1970, plusieurs spécialistes féministes de l’anthropologie, de l’histoire et de la sociologie ont ouvert la voie aux analyses de genre en empruntant à l’anthropologie une variable fondamentale de l’analyse des sociétés et des cultures : le «sexe» (Pessar, 2006). D’une part, Mahler et Pessar (2006 : 27) soulignent que les ethnographes provenant des disciplines anthropologiques et sociologiques ont d’abord tenté d’inclure la perspective de genre dans les études sur la mobilité humaine. En outre, bien que le genre ait été incorporé, difficilement, mais progressivement, dans les études sur les migrations, cette démarche ne s’est pas limitée à la considération de variables divisées selon les sexes, mais s’est aussi doublée d’un questionnement sur les structures sociales et les constructions culturelles genrées et leurs multiples liens avec les phénomènes sociaux, dont la violence (Pessar, 2006).

L’analyse intersectionnelle, cherchant à aborder l’imbrication des divers structures et systèmes de dominations, a été intégrée aux recherches académiques dans le contexte de la « (…) mise en doute des vérités scientifiques et du positivisme qu’a encouragé le postmodernisme, ce qui, dans la sociologie contemporaine, a conduit à l’abandon des explications unidimensionnelles de la stratification sociale, qui la réduisaient aux rapports de classe, et à un gain d’intérêt pour la question de l’inégalité complexe et des discriminations multiples » (Bilge, 2010 : 49). L’adoption de ce cadre d’analyse implique la prise en compte de l’intersection des rapports sociaux inégalitaires tout en considérant que ceux-ci, malgré leurs particularités, ne peuvent être considérés en vase clos. En ce sens, la prise en compte de la consubstantialité des différents rapports sociaux est nécessaire à la compréhension des particularités genrées participant à l’émergence du continuum des violences.

Préalablement à l’approfondissement de cette intersection, je proposerai des définitions de chacun des axes en les situant dans les systèmes de domination desquels ils découlent.

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Considérant la particularité de mon objet de recherche, je m’intéresserai aux discriminations basées sur le sexe, le genre, l’appartenance ethnique et raciale, l’orientation sexuelle, la classe et l’âge.

Dans un premier temps, il convient de bien définir le concept de discrimination. De façon générale, la notion de discrimination fait référence à « (…) the unequal treatment of groups based on their particular identities – generally, racial and ethnic groups but also extending to nearly any distinguishable identity category, including age (ageism) and gender (sexism)» (Calhoun, 2002 : 126). Trois dimensions fondamentales à toutes formes de discrimination sont également identifiées : « (…) son caractère concret (elle est d’abord un processus qui a des effets concrets sur les personnes qu’elle concerne); ensuite le traitement inégal qui peut être comparé entre des individus ; enfin le fait qu’elle distingue ces individus au titre de leur appartenance à des groupes sociaux distinguables et distingués » (Collectif Manouchian, 2012 : en ligne)3.

Les discriminations, en plus d’être basées sur divers systèmes de domination, prennent différentes formes. Elles peuvent notamment être directes, indirectes, institutionnelles ou systémiques. La première forme réfère à « [u]ne pratique sociale concrète se fondant sur une caractéristique personnelle d’un individu ayant pour effet le déni de traitement égal en matière d’éducation, d’emploi, d’accès aux services publics et le déni d’exercice des droits de la personne » (Labelle, 2006 : 29). La deuxième implique la négation, comme résultat du fonctionnement social, de l’égalité de chance et de droits à des individus ou des groupes (Schaefer, 1995: 82 dans Labelle 2006: 29). La troisième forme, la discrimination institutionnelle, est « (…) the day-do-day practices of organizations and institutions that have a harmful impact on members of subordinate groups» (Kendall, 1997: 306 dans Labelle 2006: 29). Finalement, la notion de discrimination systémique reconnaît la construction historique de déséquilibres socioéconomiques par « (…) les processus qui produisent et reproduisent les places sociales inégalitaires en fonction de l’appartenance à une « classe », une « race » ou un « sexe », cette appartenance pouvant être réelle ou supposée » (Collectif Manouchian, 2012 : en ligne). Dans cette perspective, les

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discriminations directes, indirectes, institutionnelles et systémiques résultent des rapports sociaux inégalitaires et les nourrissent.

L’analyse des rapports sociaux de sexes met en lumière les structures sexistes qui favorisent la discrimination d’une personne ou d’un groupe de personne en raison de leur sexe. Le genre, beaucoup plus que la division dichotomique et biologique entre les sexes et loin d’être une caractéristique statique, est l’un des principaux facteurs qui organisent la vie sociale et qui conditionnent ce qui est culturellement accepté comme masculin et féminin dans une culture et une époque données (Arteaga 2010, Coll 2009, Hollander 2001, Legault 1993, Pessar 2006). Cette construction sociale de ce que signifie être un homme ou être une femme caractérisera, dès la naissance et tout au cours de la vie, la liberté ou l’impossibilité d’agir, de choisir ou d’être en contrôle. Le genre est l’ensemble des pratiques, des comportements et des attitudes qui sont considérés comme étant appropriés à une certaine catégorie sexuelle. Cette définition s’inscrit dans la perspective constructiviste cherchant à analyser la dissymétrie, la binarisation et la hiérarchisation des rapports sociaux de sexe. Historiquement, la construction binaire associant le masculin à la sphère publique, à la culture, à la production et au pouvoir et le féminin à la sphère privée, à la nature4, à la

reproduction et à la soumission, a placé les hommes dans une position qui est perçue comme avantageuse et dominante et les femmes dans une situation désavantageuse et de soumission (Kergoat, 2004). Les chercheuses féministes ont développé le concept d’androcentrisme afin de déconstruire la vision du monde dans laquelle « (…) l’homme est considéré comme le modèle de l’être humain et, par conséquent, l’amélioration suprême pour la femme serait de s’élever à la catégorie des hommes » (Facio, 1999 : 6).

Renforçant les inégalités genrées, la vision androcentrique favorise et légitime le système et les structures patriarcales. Historiquement, le patriarcat est un « (…) système de domination qui renvoie à l’origine au rôle dominant du mâle adulte hétérosexuel dans la famille tradi-tionnelle qui exerce le contrôle sur corps/vie de toutEs les autres membres de la famille et en dispose (« il padre padrone » ou le père patron) et en même temps la garantit » (De

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Mond, 2013 : en ligne). Selon Delphy, le patriarcat « (…) désigne une formation sociale où les hommes détiennent le pouvoir, ou encore, le pouvoir des hommes. Il est ainsi quasi synonyme de « domination masculine » ou d’oppression des femmes » (2004 : 155). Ce système de dévalorisation du féminin, soutenu par les structures inégalitaires et nourri par les manifestations machistes, engendre la subordination des individus associés à ce groupe. Walby (1990 : 93) qualifie le patriarcat de système de relations sociales dans lequel les hommes dominent les femmes par l’entremise de six structures :

(…) patriarchal mode of production; patriarchal relation in paid work; patriarchal relations in the state; male violence; patriarchal relation in sexuality; and patriarchal relations in cultural institutions including religion, media, education (…). In different times and places some of the structures are more important than others. The elimination of any one patriarchal structure does not lead to the demise of the system as a whole.

Le système et les structures patriarcales participeraient ainsi à l’établissement de normes sociales en ce qui a trait à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle. En ce sens, la non-correspondance et la non-conformité aux normes établies se traduisent généralement par la discrimination et les traitements inégalitaires. Les concepts d’hétérosexisme et d’hétéronormativité sont alors utilisés. Selon Bastien Charlebois (2011 : 130), ce dernier correspond « (…) à une volonté d’examiner l’infériorisation des sexualités non hétérosexuelles et des genres non conventionnels à travers les gestes et les discours du quotidien, qu’ils soient négatifs ou positifs ». L’auteure (2011 : 131) précise que la définition de l’hétéronormativité proposée par Chambers (2007) « (…) s’inspire de la matrice sexe/genre/désir de Butler (2006) selon laquelle il doit y avoir cohérence entre le sexe qui est conçu comme « mâle » ou « femelle », le genre qui est conçu comme « masculin » ou « féminin » et le désir qui est conçu comme complémentaire — hétérosexuel». Ainsi, la normalisation sociale de cette combinaison aurait pour effet de discriminer et d’inférioriser ceux et celles considéré-e-s hors normes. Par ailleurs, l’hétérosexisme, qui s’appuie sur le privilège hétérosexuel ainsi que sur la présomption d’hétérosexualité, met en lumière les « (…) dimensions idéologique, institutionnelle, politique et structurelle soutenant la hiérarchie des orientations sexuelles. Ainsi dépasse-t-on le seul problème des débordements émotifs et inclut-dépasse-t-on les processus d’infériorisatidépasse-t-on

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parfois calmes et subtils des sexualités non hétérosexuelles » (Bastien Charlebois, 2011 : 130).

À la lumière de cette réflexion, nous constatons que les personnes ne correspondant pas aux normes établies socialement, notamment celles ne s’identifiant pas au sexe leur ayant été assigné à la naissance, sont plus susceptibles de vivre des discriminations. Par ailleurs, les personnes s’identifiant au sexe et/ou au genre leur ayant été assigné à la naissance, nommées cissexuelles et cissgenre, seront rarement conscientes du privilège découlant de la cissnormativité. Johnson (2013 : 138) précise que la domination de genre se manifeste dans le cissexisme et la transphobie :

According to Serano (2007), cissexism is ‘‘the belief that transsexuals’ identified genders are inferior to, or less authentic than, those of cissexuals’’ (p. 12). Transphobia is all manner of hostility toward trans- persons, including ‘‘...hatred, loathing, rage, or moral indignation . . .’’ (Bettcher, 2007, p. 46) as well as ‘‘irrational fear, discrimination against, social rejection, hatred or persecution’’ (Scott-Dixon, 2006, p. 248). As is true of all discourses, cissexism and transphobia manifest in our gendered attitudes and actions, including our assumptions about what are considered ‘‘normal’’ (legitimate) embodiment, activity, and modes of being/belonging.

À l’instar des systèmes de dominations que sont le sexe, le genre et l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique et raciale s’appuie sur « [l’]assignation à une place sociale sur la base des critères qui essentialisent un groupe » (Delphy, 2006 : 69). Alors que la définition traditionnelle de la race renvoie aux caractéristiques physiques et aux critères biologiques, la notion d’ethnie réfère aux facteurs culturels et à l’appartenance à un groupe social. Tel que le soulève Quijano (2013 : 67), la notion de race est un instrument de domination imposé comme critère « (…) fondamental de classification universelle de la population mondiale ». Cette classification inégalitaire des populations selon leur appartenance à un groupe ethnique ou à un groupe racisé5 permet l’émergence du racisme. La notion de

racisation renvoie quant à elle au processus de construction historique, politique et économique des « (…) social relations to which ‘racial’ meanings are attached. The use of the term emphasizes the process of creating racial definitions and underlines the

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constructed rather than the given nature of race » (Bluff et coll., 2003 dans Labelle, 2006 : 3). Pour Essed (2005 : 103), le racisme qualifié de quotidien « (…) s’exprime le plus souvent non pas en termes de «race», mais renvoie à de prétendues insuffisances liées à la culture et à l’origine ethnique ». Dans cette même perspective, selon Scrinzi (2008 : paragraphe 14), les discriminations basées sur l’appartenance ethnique et raciale s’inscrivent dans un racisme contemporain dont les référents renvoient aux catégories «(…) de culture, d’« ethnie », de tradition, d’héritage et seulement de façon occasionnelle au sang et à la « race », comme c’était le cas pour le racisme colonialiste moderne du XIXe siècle ».

Ce racisme contemporain a pour effet de naturaliser et d’essentialiser les rapports sociaux inégalitaires entre les différentes cultures et selon l’appartenance ethnique des individus.

Finalement, deux autres systèmes d’oppressions seront pris en considération dans les trajectoires migratoires de Colombiennes en situation de refuge en Équateur. Il s’agit de l’âgisme et du classisme. Le premier, à l’instar du sexisme et du racisme, « (…) se sert de caractéristiques biologiques pour justifier des différences de statut entre un groupe de personnes et les autres, pour administrer l’accès à des droits ou services et même pour justifier des comportements abusifs » (Plamondon : 2009 : 49). Le deuxième renvoie à la discrimination basée sur la classe sociale. En reprenant les propos de Lamboley et coll. (2014 : 132), je considère que « [t]ous ces systèmes d’oppression que sont le patriarcat, l’hétérosexisme, le capitalisme, la suprématie blanche et l’âgisme, dépendamment du positionnement social de la personne (…), viennent nécessairement colorer les composantes de son identité. En contexte de migration, la société d’accueil vient renforcer ou confronter ces différents systèmes d’oppression ». Le choix d’utiliser l’intersectionnalité afin d’aborder les trajectoires migratoires réside dans l’intérêt de reconnaître la co-construction des différents rapports sociaux inégalitaire et de mettre en exergue les effets imprévisibles de leur articulation (Bilge, 2010 : 45) sur les dynamiques liées aux déplacements humains, notamment les violences pouvant être vécues lors des trajectoires migratoires.

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1.1.2 L’analyse intersectionnelle des inégalités sociales

La théorisation de la différenciation sociale et des inégalités, tel que le soulève Bilge (2010), peut se faire depuis trois approches impliquant des raisonnements et des modèles divers. La première perspective, qualifiée de moniste propose un raisonnement analogique et s’appuie sur la hiérarchisation des différents rapports de pouvoir. Les postulats inhérents à cette perspective « (…) reposent sur une même logique d’appréhension de la domination et des liens entre la domination principale qu’il faut combattre et les dominations secondaires qui disparaîtront lorsque la première aura été anéantie » (Bilge, 2010 : 52). La deuxième perspective, qui propose un raisonnement arithmétique et s’appuie sur les modèles additifs et multiplicatifs, est nommée pluraliste. La reconnaissance des différents axes d’inégalités est importante, mais les limites des modèles pluralistes sont critiquées. La simplicité et les effets essentialisant de l’analyse statistique découlant du modèle additif et la confusion portant sur la divisibilité des axes d’inégalités dans le modèle multiplicatif sont reprochés (Bilge, 2010 : 55-58). La troisième perspective, nommée holiste, cherche à pallier ces limites en proposant une approche dans laquelle

(…) les différents éléments constituant le système sont liés autant par leurs similitudes que leurs différences. On ne peut ni réduire le tout à la somme de ses parties, ni déduire les parties de l’ensemble. Et il n’y a pas nécessairement de correspondances entre les différentes composantes. Il faut donc analyser les mécanismes de leur articulation et se pencher tant sur les invariants que sur les variantes selon les époques et les contextes (Bilge, 2010 : 59).

Les définitions et les utilisations de l’intersectionnalité sont diverses (Crenshaw 1989, Cole 2009, Yuval-Davis 2006, Bilge 2009). Certaines chercheuses présentent l’intersectionnalité comme une théorie, un dispositif heuristique ou une stratégie analytique (Cole, 2009 : 565). Les postures conceptuelles et le vocabulaire opposent également celles favorisant la notion d’axes à celui de processus dynamiques (Davis 2008 dans Cole 2009 : 565). La notion d’axes d’inégalités sociales, ici préconisée, met en évidence l’intersection des différents systèmes d’oppression qui interagissent tout en étant simultanés et consubstantiels. En ce sens, « (…) l’analyse d’une situation en particulier peut mettre en relief l’impact démesuré de certains systèmes d’oppression dans un contexte spécifique sans pour autant ordonnancer la lutte contre les systèmes dans leur totalité » (FFQ, 2015 : 8). Par exemple, dans le cadre de ma recherche, l’impact démesuré des inégalités de genre est mis en relief

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