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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Élaboration d'une démarche "artscience" : prétextes, tentatives et questions

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Academic year: 2021

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ÉLABORATION D’UNE DÉMARCHE « ARTSCIENCE » :

PRÉTEXTES, TENTATIVES ET QUESTIONS

Nathalie DELPRAT

Université Pierre et Marie Curie, Paris et LIMSI-CNRS, Université Paris-Sud 11, Orsay

MOTS-CLÉS : INTERDISCIPLINARITÉ – ARTSCIENCE – SIMULATION NUMÉRIQUE –

IMAGINAIRE

RÉSUMÉ : Il s'agit de s'interroger sur les caractéristiques d'une démarche interdisciplinaire d’un

genre particulier, l'artscience, et de l’expérimenter dans le cadre de projets ou collaborations artistiques. On s’intéressera en particulier à la problématique de l'imaginaire dans le nouveau lien instauré par la simulation numérique entre réel et virtuel.

ABSTRACT : Our purpose is to present the so-called artscience approach and to experiment it

through different interdisciplinary works and artistic collaborations. In particular, we are interested in the new links established by numerical simulations between reality and virtuality and in the role played by the imaginary aspects.

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« pratiquer la liaison des contraires »

G. Bachelard

1. EXPLORATION DE L’ENTRE-DEUX

Les interactions entre art et science peuvent avoir de multiples formes, se réaliser dans des cadres très différents et poursuivre des objectifs variés (création artistique, expérience pédagogique, développement de nouveaux outils…). Pour clarifier d’emblée le point de vue qui sera pris ici, il faut préciser le choix du mot artscience (et non pas celui d’art-science) qui est un emprunt direct au titre du livre de David Edwards Artscience : creativity in the post-google generation. Cet accolement ne correspond en aucun cas au désir de fusionner les genres mais signifie plutôt la volonté de se placer du côté du processus créatif avant que le résultat de ce processus ne soit devenu œuvre d’art ou travail scientifique. Le dérangement des catégories induit par le retrait de ce tiret conduit aussi à des glissements de sens qu’il est intéressant de creuser, comme par exemple le passage des notions d’interdisciplinarité et de technicité à celles d’indisciplinarité et de technoscientificité. Enfin, le terme d’artscience permet de qualifier une démarche créative empruntant concepts et méthodes aux deux domaines et qui se caractérise avant tout par un état d’esprit, une façon particulière d’interroger les problèmes. C’est à partir de ce changement de perspective que va pouvoir se construire une trajectoire singulière dans un entre-deux aux contours flous décrit par Paul Valéry dans son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci : « c’est

mouvantes, irrésolues, encore à la merci d’un moment que les opérations de l’esprit vont pouvoir nous servir, avant qu’on les ait appelées divertissement ou loi, théorème ou chose d’art et qu’elles se soient éloignées, en s’achevant de leur ressemblance ». Le point de vue artscience est donc

propice aux bifurcations, aux écarts, aux rencontres inattendues. Aussi lorsqu’on a déjà tenté une telle démarche, il est rare que l’on ne cherche pas à la poursuivre à la faveur d’expériences qui s’inventent chemin faisant.

2. RÉSISTANCES ET APPROPRIATION

Ceux qui ont essayé de créer des cours interdisciplinaires autour d’une thématique artistique dans une université scientifique ou d’inviter officiellement un artiste dans un laboratoire connaissent les nombreuses barrières culturelles et disciplinaires qu’il faut franchir pour arriver à ses fins. Bien que l’interdisciplinarité soit toujours encouragée ou favorablement estimée, sa mise en œuvre rencontre souvent de fortes résistances car elle s’accompagne toujours de changements de repère, de

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nouvelles mises en relation qui bousculent l’organisation habituelle et la hiérarchisation institutionnelle. Quand l’approche proposée est non conforme et se construit de façon autonome en dehors des champs définis, les difficultés se multiplient pour imposer la fragilité du nouveau et l’incertitude qu’il recèle. C’est pourquoi, comme tout parcours interdisciplinaire mais peut-être de façon encore plus déterminée, la démarche d’artscience s’appuie sur un geste premier d’indiscipline qualifiée. Geste d’indiscipline car on ne traverse pas les frontières par simple curiosité ou défi mais en réponse à une évidence pour poursuivre un objectif précis. Indiscipline qualifiée car il faut avoir une formation solide pour que la traversée soit fructueuse et que l’on puisse éprouver ses connaissances : l’intérêt n’est pas d’aller chercher de la nouveauté ailleurs mais de chercher à construire quelque chose de nouveau. C’est peut-être ce que voulait évoquer Max Planck lorsqu’il parlait « de l’imagination artistiquement créatrice » requise pour engendrer des idées neuves. Sous sa plume, l’expression reste énigmatique si l’on se réfère à son conservatisme et à ses réticences vis-à-vis du caractère transgressif de ses propres travaux. Pourtant, il s’agit bien de prendre la liberté de s’affranchir, au moins pour un moment, de ce qui fait référence et de favoriser le détournement des concepts et des outils existants. C’est à cette condition d’appropriation que le partage de technicité entre artistes et scientifiques peut être réciproquement fertile. Dans le cas du transfert d’outils numériques, cette appropriation est d’autant plus importante que nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour bien appréhender leur influence sur notre perception et notre pensée. En art comme en science, notre capacité imaginative est transformée par le nouveau statut de la simulation numérique lié aux récentes évolutions technologiques. L’objet simulé ne s’interprète plus par son seul écart au réel en tant que représentation numérique d’un modèle. Il ne reproduit pas simplement la complexité du sensible mais peut interagir de façon autonome avec l’environnement aux travers d’interfaces mixtes (physiques et numériques). Il nous faut donc acquérir ce qu’on pourrait appeler une technoscientificité, c’est-à-dire la maîtrise expérimentale et conceptuelle d’un outil par rapport à ses usages, pour considérer le rôle de l’imaginaire dans les rapports renouvelés entre virtuel et réel. Si le questionnement d’un artiste ou d’un scientifique diffère dans ses modalités, les expériences partagées notamment en art numérique, permettront certainement de progresser dans cette maîtrise. À cela s’ajoute la condition implicite qu’il y ait concordance entre le développement des applications et la réflexion sur l’outil lui-même.

3. MATÉRIALITÉ VIRTUELLE ET IMAGINAIRE

Dans sa nouvelle relation à la matérialité, la simulation ouvre un champ d’investigation très grand qui s’étend de la réalité virtuelle à la réalité augmentée ou mixte selon le degré de fusion entre les

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mondes réels et simulés. Le projet PEPS-CNRS sur Simulation technologique et Matérialisation

artistique, proposé par Samuel Bianchini (artiste, Univ. Valenciennes) et Christian Jacquemin

(informaticien, LIMSI), a réuni durant l’année 2008 des artistes et des scientifiques pour dégager des pistes de recherche et de collaboration. Dans ce cadre, j’ai participé à un travail exploratoire sur la simulation du brouillard avec C. Jacquemin et R.Ajaj (LIMSI). L’idée était de faire émerger différentes questions autour de cette problématique et de les confronter avant de discuter de prolongements possibles du côté d’applications scientifiques ou artistiques. Très rapidement, trois thèmes ont été retenus. Le premier concernait les aspects cognitifs relatifs à la perception dans un environnement visuellement bruité. Le second était lié à la simulation d’un brouillard virtuel et à la question de la continuité perceptive avec un brouillard réel. Le troisième s’intéressait à la possibilité d’expérimenter virtuellement la matière « vapeur ». Dans ce dernier cas, il s’agit d’étudier la relation corps/espace à partir de la visualisation de notre propre image (capturée en temps réel) ayant la densité d’un nuage. Des variations de densité obtenues par une simulation en nuage de points pourraient en effet permettre de transformer le lien habituel entre mouvement et forme ou de modifier radicalement la nature des interactions avec notre environnement. Au-delà de l’effet perçu, ce que l’on désire c’est re-interroger des notions classiques comme celle de lieu, de présence ou d’identité dans le cadre d’un espace virtuel. C’est aussi et surtout construire un outil pour tester l’action imaginante en pénétrant virtuellement la matière, en matérialisant l’imaginaire et les aspects symboliques liés à cette matière. La référence directe aux travaux de Bachelard n’est pas fortuite. Elle sous-tend ce thème et le nourrit sans pour autant chercher à faire une simple transposition virtuelle de la poétique bachelardienne. À ce stade préliminaire, tous les sujets vont être étudiés et pourront interagir les uns avec les autres. Précisons pour compléter que de nombreux artistes ont déjà exploré la matière brumeuse et joué avec le brouillage perceptif créé par la perte de repères visuels (Fog sculptures de F. Nakaya, Installations d’A. Gormley par exemple). S’il est encore trop tôt pour savoir si nos travaux conduiront à des réalisations artistiques, nous espérons que le point de vue adopté permettra une exploration croisée riche de ses différences.

4. PROLONGEMENTS

Il n’est pas question de chercher à établir la recette de l’élaboration d’une démarche artscience. Par sa nature même, cette démarche est difficile à cerner parce que singulière et évolutive. Il serait donc paradoxal de vouloir définir rigoureusement les conditions de son développement. Remarquons simplement que certains contextes ou problématiques sont plus favorables à la mise à jour d’interrogations anciennes ou au dévoilement de perspectives différentes par cette approche. Il est

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évident que les nouvelles modalités sensorielles instaurées par la simulation d’environnements virtuels ou par l’ajout au monde réel d’informations impossibles à percevoir sans un traitement numérique des signaux physiques sont des sources potentielles d’expériences d’artscience. La réalisation de tels projets est généralement complexe. Elle nécessite une collaboration étroite entre artistes et scientifiques dans le cadre d’une création souvent unique car spécifique à un lieu ou à une demande institutionnelle précise. Cet objectif commun a donc des contraintes fortes qui peuvent conduire à certains choix esthétiques ou techniques qui n’étaient pas prévus au départ. De la même façon, l’intrusion du numérique dans un espace n’est jamais neutre et peut faire surgir des interrogations inattendues aux prolongements riches de possibles. Là encore, le point de vue artscience requiert une disponibilité d’esprit, une attention particulière pour se laisser « impressionner » et être réceptif à l’instant. Libre ensuite à chacun d’explorer les sensations ressenties ou de tenter de résoudre les questions qu’elles suscitent. Dans ce nouveau lien entre nature et artifice, réel et imaginaire, les couples classiques de beauté/vérité ou de sensibilité/rationalité deviennent insuffisants pour analyser les rapports entre art et science. Il faut donc s’engager dans une remise en question de ces critères et essayer de mieux comprendre les bouleversements perceptifs et conceptuels que la simulation numérique permet d’expérimenter actuellement. Cette prise de distance est aussi nécessaire pour faire contrepoids à la perte d’individuation technique et esthétique liée en grande partie, selon B.Stiegler, à la perte de

participation engendrée par la délégation de l’imagination dans les machines. De la manipulation

au simulacre, de la recherche à la création de nouveau, l’enjeu n’est pas de simplement tester nos capacités d’adaptation ou d’interaction avec une représentation qui transforme notre expérience du sensible. Il est dans notre volonté d’interroger le sens de cette réalité ambiguë et de choisir notre façon de construire (de se construire) avec elle.

5. RISQUER ET TENIR

L’époque actuelle n’est guère propice à la dérive, aux détours buissonniers qui permettraient d’explorer en tous sens de nouveaux territoires. Il faut innover mais vite et dans les conditions d’un système qui ignore délibérément le temps des ratures, des essais et des erreurs. Difficile dans ce contexte de risquer l’inconnu et tous les écueils ou les doutes profonds qui l’accompagne. Même si le courant est contraire, et on peut s’attendre à ce qu’il le soit de plus en plus, il est primordial de continuer à favoriser les échanges entre art et science dans la recherche mais aussi dans l’enseignement. Le questionnement autour du rôle de la simulation dans le processus créatif offre un vaste champ de réflexion qui est très formateur pour les scientifiques comme pour les artistes.

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C’est aussi un excellent antidote aux visées utilitaires et opératoires de la technoscience ou plutôt de ceux qui participent à sa dissémination dans tous les domaines du savoir. Comme dans chaque période de mutation technique, il est difficile de ne pas succomber à une exploration effrénée des potentialités d’un outil en constante évolution. Ainsi, la question du sens de ce qui est produit risque d’être indéfiniment reportée au profit de l’exploitation technique d’un procédé. La multiplicité des regards et leurs différences sont utiles pour éviter un emballement qui entretiendrait l’illusion d’une performance illimitée. Des projets d’artscience comme des expériences pédagogiques partagées peuvent aussi aider à fournir des armes intellectuelles et techniques pour mettre en œuvre l’esprit critique et élargir les perspectives. Car apprendre, ce n’est pas seulement acquérir une maîtrise (et encore moins une compétence pourrait-on ajouter). Apprendre, c’est devenir autre. Un autre libre et

souverain (P. Dusapin). Dans la formation scientifique ou l’apprentissage artistique, il est important

de rappeler cet objectif essentiel, moteur premier de la transmission des connaissances, et faire savoir que l’on y tient. Enfin, en artscience comme dans toute démarche créative, il ne faut pas sous-estimer la résistance du matériau auquel on s’attaque. Que l’on travaille avec le réel ou le virtuel, on est toujours confronté au même paradoxe : envisager l’improbable et découvrir l’évidence. Un motif supplémentaire pour continuer à parcourir les chemins de travers(e) avec obstination.

BIBLIOGRAPHIE/SITOGRAPHIE

Bachelard, G. (1943). L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement. Paris : Livre de Poche, Biblio Essais, édition 6.

Baudrillard, J. (1999). L’échange impossible. Éditions Galilée, Collection L’espace critique.

Dusapin, P. (2009). Une musique entrain de se faire. Paris : Éditions du Seuil, La Librairie du XXIe siècle.

Edwards, D. (2008). Artscience, Creativity in the Post-Google Generation. Harvard University Press.

Nouvel, P. (2000). L’art d’aimer la science. Paris : PUF, Collection Science, Histoire, Société. Stiegler, B. (2007). De la misère symbolique. Tome 2, La catastrophe du sensible. Éditions Galilée,

Collection Incises.

Valéry, P. (1894). Introduction à la méthode de Léonard de Vinci. Paris : Gallimard, Collection Folio/Essais.

http://vida.limsi.fr et http://www.limsi.fr

Références

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