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Le processus de prise de conscience de la violence chez les hommes qui en ont été victimes dans le cadre d'une relation intime ou amoureuse avec un autre homme

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Academic year: 2021

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Le processus de prise de conscience de la violence

chez les hommes qui en ont été victimes dans le cadre

d'une relation intime ou amoureuse avec un autre

homme

Mémoire

Olivier Pilon-Rousseau

Maîtrise en service social - avec mémoire

Maître en service social (M. Serv. soc.)

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Le processus de prise de conscience de la violence chez les hommes qui en ont été victimes dans le cadre d’une relation intime ou amoureuse avec un autre homme

Mémoire

Olivier Pilon Rousseau

Sous la direction de Valérie Roy, directrice de recherche

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Résumé

Même si des écrits scientifiques portant sur la violence dans les relations intimes ou amoureuses entre hommes sont publiés depuis trente ans, ce problème n’est reconnu socialement que depuis quelques années. Les pratiques de prévention et d’intervention auprès de cette population sont encore en élaboration à ce jour. Dans ce contexte, comprendre le processus de prise de conscience des hommes victimes de violence conjugale dans une relation homosexuelle pourrait contribuer au développement d’outils de sensibilisation. Quelques recherches sur la prise de conscience ont été réalisées auprès de femmes hétérosexuelles vivant la même situation, mais ces résultats pourraient ne pas s’appliquer directement aux hommes. De plus, ces modèles n’expliquent pas comment s’amorce la prise de conscience. Ce mémoire vise principalement à comprendre comment les hommes ayant une relation intime ou amoureuse avec un autre homme prennent conscience de la violence dont ils sont victimes. Il tente également de spécifier les formes de violence vécues et leurs conséquences. Pour ce faire, dix participants ont été rencontrés lors d’entrevues semi-dirigées portant sur la violence conjugale. Les résultats de l’analyse thématique indiquent que tous ont vécu de la violence sexuelle, presque tous ont subi de la violence psychologique et la majorité a connu au moins un épisode de violence économique ou physique. Les conséquences sont diverses et perdurent dans le temps. L’analyse a conduit à modéliser le processus de prise de conscience de la violence en trois phases. Durant la première phase, les comportements violents sont interprétés comme un aspect normal de la relation. Durant la seconde, ils sont perçus comme anormaux et dangereux, et c’est dans la troisième phase qu’ils sont compris comme de la violence. À la lumière de ces résultats, des recommandations sont formulées concernant la recherche et l’intervention auprès d’hommes victimes de violence.

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Abstract

Even though the scientific community has recognized intimate partner violence in same-sex relationships for more than 30 years, this problem has only been socially recognized in recent years. Prevention and intervention practices for this population are still under development. Therefore, studying the process by which male victims of intimate partner violence by a same-sex partner understand their situation as violence could help to inform practices. The few researches on the subject explored this process using samples of heterosexual females, their result might not apply to male victims. Moreover, these models don’t explain how this process is initiated. This research seeks to better understand how French-speaking men victims of an intimate partner violence by a same-sex partner become aware of this violence. This research also seeks to understand the type of violence experienced, and the consequences associated with them. Ten participants took part in a semi-structured interview exploring intimate partner violence. Results of thematic analysis suggest all participants experienced sexual violence, almost all experienced psychological violence and most reported economic and physical violence. The consequences of this violence are diverse and persist over time. Analysis led to a three-phase model of the violence awareness process. First, violent behaviors are understood as a normal part of the relationship. Second, they are perceived as something abnormal and dangerous. Third, they are finally understood as intimate partner violence. In light of these results, implications for prevention, intervention practices as well as research on intimate partner violence in same-sex relationships are discussed.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Liste des tableaux... vii

Liste des acronymes ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre 1 Problématique et recension des écrits ... 2

1.1 Problématique ... 2

1.1.1 Définition de la violence ... 2

1.1.2 Taux de violence au sein des couples d’HARIAH ... 3

1.1.3 Dynamiques de violence au sein des couples d’HARIAH ... 4

1.1.4 Conséquences de la violence chez les HARIAH ... 4

1.1.5 Reconnaissance sociale de la violence chez les HARIAH ... 5

1.1.6 Services offerts aux HARIAH... 6

1.2 Recension des écrits ... 7

1.2.1 Prise de conscience selon les modèles en violence conjugale ... 8

1.2.2 Facteurs de risque de victimisation chez les HARIAH ... 12

1.2.3 Limites des recherches ... 17

1.2.4 Question de recherche ... 18

1.2.5 Pertinence sociale et scientifique ... 18

Chapitre 2 Cadre théorique ... 20

2.1 Orientation épistémologique ... 20

2.2 Modèle du champ psychologique ... 20

2.2.1 Structure du champ... 21

2.2.2 Dynamique du champ... 22

2.3 Modèle bioécologique ... 23

2.3 Pertinence des deux modèles... 24

2.4 Définition des concepts ... 25

Chapitre 3 Méthodologie... 27

3.1 Présentation du projet de recherche dans lequel s’inscrit ce mémoire ... 27

3.2 Approche et type de recherche ... 28

(6)

3.5 Présentation de l’échantillon ... 30

3.6 Méthode de collecte de données ... 31

3.7 Analyse ... 32

3.8 Considérations éthiques ... 35

Chapitre 4 Résultats : les formes de violence et leurs conséquences ... 37

4.1 Formes de violence ... 37 4.1.1 Violence sexuelle ... 37 4.1.2 Violence psychologique ... 40 4.1.4 Violence économique ... 43 4.1.5 Violence physique ... 45 4.2 Conséquences de la violence ... 47 4.2.1 Conséquences psychologiques ... 47 4.2.2 Conséquences financières ... 50

4.2.3 Conséquences sur la vie amoureuse et sexuelle ... 51

5.2.4 Conséquences sociales ... 52

5.2.5 Conséquences physiques ... 54

4.3 Conclusion ... 56

Chapitre 5 Résultats : les processus de prise de conscience ... 57

5.1 Processus cognitifs ... 59

5.1.1 Acclimatation ... 59

5.1.2 Découverte des problèmes ... 61

5.1.3 Évaluation du pour et du contre ... 64

5.1.4 Prise de conscience du danger ... 65

5.1.5 Désignation de la violence ... 68

5.2 Stratégies comportementales ... 72

5.2.1 Conciliation ... 72

5.2.2 Acheter la paix ... 73

5.2.3 Résistance ... 75

5.2.4 Couper les ponts ... 76

5.2.5 Récupération... 77

5.2.6 Recherche de soutien ... 78

5.3 Conclusion ... 82

Chapitre 6 Discussion ... 84

6.1 Manifestations de la violence et conséquences ... 84

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6.1.2 Conséquences de la violence ... 87

6.2 Prise de conscience ... 88

6.2.2 Phase de normalité ... 89

6.2.3 Phase d’anormalité ... 91

6.2.4 Phase de décryptage ... 94

6.3 Caractéristiques de la personne et de son environnement ... 96

6.4 Limites ... 98

6.5 Recommandations ... 100

Conclusion ... 103

Références... 106

ANNEXE A Affiche publicitaire ... 116

ANNEXE B Dépliant décrivant le projet de recherche... 117

ANNEXE C Formulaire de transmission des coordonnées à l'intention des participants... 118

ANNEXE D Courriel envoyé aux communautés universitaires ... 119

ANNEXE E Carte contenant les coordonnées du projet de recherche ... 120

ANNEXE F Communication téléphonique : l’intervieweur contacte le participant pour prendre rendez-vous... 121

ANNEXE G Guide d’entrevue auprès des hommes (1re étape du projet) ... 123

ANNEXE H Liste des facteurs de risque et de protection ... 133

ANNEXE I Liste de codes prédéfinis ... 134

ANNEXE J Formulaire de consentement ... 141

ANNEXE K Liste des ressources par région... 145

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Liste des tableaux

Tableau 1. Définition des concepts... 26

Tableau 2. Caractéristiques sociodémographiques des participants ... 31

Tableau 3. Codification de la prise de conscience... 33

Tableau 4. Réduction des codes de prise de conscience... 34

Tableau 5. Liste des stratégies comportementales et des processus cognitifs ... 35

Tableau 6. Formes de violence rapportées, manifestations et exemples ... 46

Tableau 7. Conséquences de la violence ... 55

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Liste des acronymes

VC : Violence conjugale

HARIAH : Hommes ayant des relations intimes ou amoureuses avec d’autres hommes LGBT : Lesbiennes, gais, bisexuels ou bisexuelles et transsexuelles ou transgenres PC : Prise de conscience

OMS : Organisation mondiale de la Santé

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Remerciements

Je tiens d’abord à remercier les participants qui ont accepté que leurs expériences soient utilisées dans le cadre de ce projet de recherche et de la réalisation de ce mémoire.

Je tiens aussi à remercier ma directrice de recherche, Valérie Roy, qui a su m’accompagner avec patience et rigueur durant le processus d’écriture de ce mémoire. De toute évidence, ce niveau de qualité n’aurait pas été atteint sans son aide.

Un grand merci à ma partenaire, Mélanie, qui m’a offert un soutien constant durant la rédaction de ce mémoire.

J’aimerais également remercier ma famille, qui m’a soutenu durant ce long parcours que constituent les études universitaires.

Finalement, j’aimerais remercier les corps professoraux du département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’École de service social et de criminologie de l’Université Laval, qui ont contribué à façonner l’étudiant que je suis.

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Introduction

Depuis les années 1970, la violence conjugale (VC) est considérée comme un problème social d’importance. Pourtant, celle concernant les hommes ayant des relations intimes ou amoureuses avec des hommes (HARIAH) reste peu documentée sur le plan scientifique (INSPQ, 2018; Messinger, 2014; Secrétariat à la condition féminine, 2018), malgré les recherches suggérant qu’ils en sont victimes dans des proportions plus grandes que les personnes hétérosexuelles, hommes ou femmes (Statistique Canada, 2016; Messinger, 2011). Sur le plan social, elle reste encore peu reconnue, notamment en raison de conceptions traditionnelles et hétérosexistes (Barocas, Emery, & Mills, 2016; Conseil québécois LGBT, 2018; Ristock & Timbang, 2011). Ainsi, peu de services sont offerts au HARIAH. Pourtant, les conséquences de cette violence sont préoccupantes (Island & Letellier, 1991; Langenderfer-Magruder, Walls, Whitfield, Brown, & Barrett, 2016) et appellent à développer des actions pour mieux sensibiliser les HARIAH à ce problème et mieux répondre à leurs besoins (Secrétariat à la condition féminine, 2018). Dans ce contexte, il s’avère intéressant de comprendre comment ces derniers prennent conscience de la VC dont ils sont victimes. Les connaissances sur le processus de prise de conscience (PC) ont surtout été développées chez les femmes, dans le contexte de relations hétérosexuelles, et sont pratiquement inexistantes chez les HARIAH.

L’objectif principal de ce mémoire est de mieux comprendre comment les HARIAH prennent conscience de la violence conjugale dont ils sont victimes. Les objectifs spécifiques sont : (1) spécifier les formes de violence dont les hommes sont victimes, ainsi que leurs conséquences, et (2) identifier les processus cognitifs et les stratégies comportementales mises en place par les hommes qui prennent conscience de la violence.

Le premier chapitre dresse le portrait de la VC chez les HARIAH, ainsi que des modèles utilisés pour en étudier la prise de conscience et les facteurs de risque, pour ensuite démontrer la pertinence sociale et scientifique du mémoire. Le deuxième chapitre présente le cadre théorique du mémoire, soit le modèle bioécologique et la théorie du champ psychologique. Le troisième, quant à lui, décrit la méthodologie de recherche. Les chapitres quatre et cinq rapportent les résultats de recherche pour chacun des objectifs, lesquels sont ensuite discutés au chapitre six, où des recommandations pour la pratique et la recherche sont

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Chapitre 1

Problématique et recension des écrits

Ce premier chapitre explore la problématique de VC1 chez les HARIAH2 et justifie

l’intérêt porté à sa prise de conscience par les victimes. D’abord, le problème social de la VC chez les HARIAH est illustré. Ensuite, la recension des écrits dresse un portrait des modèles qui en abordent la prise de conscience et les facteurs de risque s’appliquant aux HARIAH. Par la suite, la question de recherche et les objectifs spécifiques sont présentés. Enfin, les éléments justifiant la recherche sont explicités.

1.1 Problématique

Cette section présente la définition, l’ampleur et les manifestations de la VC chez les HARIAH. Ses dynamiques, les facteurs sociaux qui limitent sa reconnaissance sociale ainsi que les enjeux associés à l’offre de services auprès de cette population y sont donc abordés.

1.1.1 Définition de la violence

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS, 2016), la VC se définit comme étant « tout comportement qui, dans le cadre d’une relation intime (partenaire ou ex-partenaire), cause un préjudice d’ordre physique, sexuel ou psychologique, notamment les actes d’agression physique, les relations sexuelles forcées, la violence psychologique et tout autre acte de domination ». En d’autres mots, elle peut se manifester par des coups, des bris d’objets (violence physique), des insultes, des menaces (violence psychologique), des attouchements non consentis, des rapports sexuels forcés (violence sexuelle) ou par tout autre acte de domination, dont le vol (violence économique) (Lussier, Wright, Lafontaine, Brassard, & Epstein, 2008; Secrétariat à la condition féminine, 2018). On remarque que les HARIAH peuvent être exposés à des manifestations de violence sexuelle ou psychologique qui instrumentalisent leur orientation sexuelle et leur expérience de stigmatisation (ex. :

1 Malgré le fait que le terme « violence entre partenaires intimes » inclurait mieux la diversité des configurations conjugales des relations entre hommes (Ristock & Timbang, 2011), le terme « VC » est préféré : il permet d’alléger le texte et demeure le plus utilisé au Québec.

2 Le terme « relations intimes ou amoureuses » est préféré à « hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) » (Gouvernement du Canada, 2013), qui n’inclut pas nécessairement la dimension affective (ex. : travail du sexe). Le premier est d’ailleurs plus utilisé par les ressources communautaires au Québec (RÉZO, 2019).

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insultes à caractère homophobe) (Greenberg, 2012; Hanson & Maloney, 1999; Kubicek, McNeeley, & Collins, 2016).

1.1.2 Taux de violence au sein des couples d’HARIAH

Les enquêtes populationnelles qui mesurent la violence conjugale chez les HARIAH indiquent des taux de victimisation équivalents ou supérieurs à ceux des hommes et des femmes hétérosexuels. En effet, l’enquête de Statistique Canada (2016) révèle qu’en 2014, 11 % des personnes LGBT rapportaient avoir été victimes de violence conjugale dans les cinq dernières années. Dans le cas des hommes et des femmes hétérosexuels, les taux de victimisation étaient de 4 %. Ces taux pourraient être plus importants, car la recension des écrits sur ce sujet réalisée par Finneran et Stephenson (2013) rapporte des taux de victimisation des HARIAH d’au moins 29,7 % et d’au plus 78 %. Concernant les manifestations de VC, selon le National Violence Against Women Survey (2011), 65,2 % des HARIAH vivaient de la violence verbale, 33,33 % de la violence physique et 3,13 % de la violence sexuelle. Pour les femmes hétérosexuelles, ces pourcentages étaient respectivement de 37,36 %, 21,17 % et 4,51 % (Messinger, 2011). En 2019, une étude de Statistique Canada utilisant des données policières indique que les voies de fait de niveau 13 sont la forme la plus courante de VC rapportée par les HARIAH (59 % des cas). Ces derniers sont également plus nombreux (18 %) que les lesbiennes (12%) à relater des voies de fait de niveaux 2 ou 3. En somme, ces données suggèrent que les HARIAH risquent autant sinon plus d’être victimes de VC que les femmes hétérosexuelles (Blosnich & Bossarte, 2009; Finneran et al., 2013; Messinger, 2011; Statistique Canada, 2016). Ces données remettent en question ce que Barocas et al. (2016) qualifient de « paradigme traditionnel de la violence », selon lequel la VC est principalement le fait d’auteurs de genre et de sexe masculin envers des victimes de genre et de sexe féminin.

3Le terme « voie de fait simple » signifie que des lésions sont occasionnées. La voie de fait de niveau 2 consiste

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1.1.3 Dynamiques de violence au sein des couples d’HARIAH

Les recherches auprès des HARIAH remettent aussi en question le caractère unidirectionnel de la VC. En effet, plusieurs chercheurs indiquent qu’elle peut être bidirectionnelle au sein de couples d’hommes, c’est-à-dire que les partenaires peuvent en être à la fois auteurs et victimes (Bartholomew, Regan, Oram, & White, 2008a; Langhinrichsen-Rohling, Misra, Selwyn, & Langhinrichsen-Rohling, 2012; Oliffe, Han, Maria, Lohan, Howard, Stewart, & MacMillan, 2014; Stanley, Bartholomew, Taylor, Oram, & Landolt, 2006; Stiles-Shields & Carroll, 2015). À titre d’exemple, 40 % des 285 participants de l’étude de Bartholomew, Regan, White, & Oram (2008b) affirment être, à différents moments, victimes et auteurs d’actes violents dans la même relation. Ces résultats invitent les chercheurs à adapter le paradigme traditionnel de la VC aux réalités des HARIAH (Ristock et al., 2011).

Ces résultats rejoignent le modèle élaboré par Johnson concernant les dynamiques de VC (Johnson, 1995, 2011; Kelly & Johnson, 2008). La première, soit le contrôle coercitif, s’inscrit dans le paradigme traditionnel et se veut une dynamique de domination cyclique dans laquelle un auteur de VC domine une victime qui le craint. La deuxième, soit la violence situationnelle, se caractérise par une relation dans laquelle les deux partenaires peuvent utiliser la violence de manière irrégulière, sans viser à dominer l’autre. La troisième et dernière, soit la violence réactionnelle, est une réaction violente de la part d’une personne victime visant à mettre fin au contrôle coercitif. En somme, ce modèle aide à comprendre comment les HARIAH peuvent être uniquement auteurs de VC, uniquement victimes ou avoir des comportements associés aux deux rôles. Cela dit, l’applicabilité de ce modèle aux populations homosexuelles est remise en question par certains auteurs (Dutton, Hamel, & Aaronson, 2010; Stanley et al. 2006).

1.1.4 Conséquences de la violence chez les HARIAH

Que ce soit dans une dynamique unidirectionnelle ou non, être victime de VC a des conséquences sur la santé des HARIAH. En effet, ceux qui en sont victimes rapportent plus de symptômes dépressifs (Dickerson-Amaya & Coston, 2019; Gehring & Vaske, 2017; Gillum & DiFulvio, 2014; Houston & McKirnan, 2007) ou de stress post-traumatique (Dickerson-Amaya et al., 2019; Gillum et al., 2014; Island et al., 1991) et plus de tentatives de suicide ou une consommation plus importante de tabac, d’alcool et de drogues

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(McLaughlin, Hatzenbuehler, Xuan, & Conron, 2012) que ceux qui n’en sont pas victimes. D’autres recherches ont également documenté les conséquences physiques de la VC, dont des blessures et des ecchymoses (Bartholomew et al. 2008b). Même si les conséquences sont semblables à celles vécues par les femmes hétérosexuelles victimes de VC (INSPQ, 2018), peu d’efforts sont mis en place pour répondre au problème qu’elle constitue chez les HARIAH, notamment en raison du manque de reconnaissance du vécu et des besoins de cette population (Conseil québécois LGBT, 2018).

1.1.5 Reconnaissance sociale de la violence chez les HARIAH

En premier lieu, les conceptions conjugales hétéronormatives, selon lesquelles les couples « normaux » sont composés d’un homme et d’une femme, ont longtemps nui à la reconnaissance des droits4 et du vécu des personnes LGBT (Conseil québécois LGBT, 2018; Ristock et al., 2011). De façon spécifique à la VC, ces conceptions trouvent écho dans le paradigme traditionnel : reconnaître la VC dans la communauté LGBT est une antinomie. En effet, cela oblige à admettre l’existence de femmes auteures et d’hommes victimes de VC (Baker, Buick, Kim, Moniz, & Nava, 2013; Barocas et al., 2016; Conseil québécois LGBT, 2018; Messinger, 2014). Ces conceptions hétéronormatives limitent la reconnaissance sociale du problème et la recherche de réponses sociales, ainsi que la capacité des populations LGBT elles-mêmes à reconnaître le problème.

Les femmes victimes de VC s’identifiant comme lesbiennes sont les premières à dénoncer ces conceptions. Dès les années 1980, elles attirent l’attention sur le fait que les ressources pour les victimes, développées pour les femmes hétérosexuelles, ne répondent pas à leurs besoins (Hester, Donovan, & Fahmy, 2010). Dans les années 1990, elles commencent à établir des ressources adaptées à leurs besoins (Messinger, 2014), mais sont parfois accusées de détourner le discours de la VC vécue par les femmes hétérosexuelles, ou craignent de le faire elles-mêmes (Russo, 1999), et d’alimenter les discours homophobes en abordant la VC au sein de la communauté LGBT (INSPQ, 2018; Island et al., 1991; Russo, 1999; St-Pierre, 2017; Lavoie & Thibault, 2016).

4 Au Canada, la sodomie a été décriminalisée en 1969, et ce n’est qu’au début des années 1980 que l’orientation sexuelle a été reconnue comme motif de discrimination (Thibault, 2010). Au Québec, les unions civiles entre conjoints de même sexe sont reconnues depuis 2002 (Roy, 2005), et le droit au mariage depuis 2005 (Duguay,

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Malgré l’émergence d’écrits sur la VC chez les HARIAH durant la décennie 1990, les institutions semblent hésitantes à reconnaître ce problème et à intervenir (Rogers, 1999; Russo, 1999). Par exemple, au Québec, la Politique d’intervention en matière de violence conjugale de 1995 reconnaît les hommes gais et les hommes violentés5 comme des

« populations particulières » (Gouvernement du Québec, 1995, p. 6). Il faut attendre le Plan d’action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale pour que l’État favorise plus spécifiquement la mise en place de mesures de sensibilisation visant les hommes victimes d’un ou d’une partenaire (Gouvernement du Québec, 2012). Le plan d’action 2018-2023 reconduit ces mesures et reconnaît tant la présence de préjugés et de tabous restreignant l’accès à l’information sur la VC que l’importance d’adapter les ressources aux besoins des HARIAH. Cette reconnaissance marquée n’est certainement pas étrangère au fait que les services ne semblent pas suffisamment nombreux et adaptés pour répondre aux besoins de cette population.

1.1.6 Services offerts aux HARIAH

Développés selon le paradigme traditionnel et en fonction d’orientations genrées et hétéronormatives, les services sont peu accessibles aux HARIAH qui sont victimes de VC. Les services aux victimes s’adressent principalement aux femmes hétérosexuelles, alors que ceux offerts aux auteurs sont pour leurs conjoints. Plusieurs intervenants adhèrent aussi au paradigme traditionnel de la VC (Conseil québécois LGBT, 2018; Kay & Jeffries, 2010; Ristock et al., 2011; St-Pierre, 2017; Lavoie & Thibault, 2016) et paraissent peu sensibles aux réalités des HARIAH (Brown & Herman, 2015; Turell & Herrmann, 2008; Turell, Herrmann, Hollander, & Galletly, 2012). Certains minimisent même l’importance des actes violents (Banks & Fedewa, 2012; Brown, 2008) ou normalisent la violence entre hommes (Conseil québécois LGBT, 2018; Lavoie & Thibault, 2016). À titre d’exemple, les études de Wise et Bowman (1997) et de Brown et Groscup (2009) révèlent que des intervenants tendent à recommander l’intervention policière lorsqu’une mise en situation implique une femme

5Une distinction est établie par la politique entre un homme gai et un homme violenté, ce qui traduit une conception hétérosexiste de la VC : la population particulière des hommes violentés réfère aux victimes de leur conjointe, alors que celle des hommes gais inclut autant les auteurs que les victimes.

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hétérosexuelle vivant de la violence, mais conseillent une thérapie de couple lorsque les partenaires sont de même sexe.

Par ailleurs, pour les HARIAH, contacter les services peut constituer un double dévoilement à des intervenants présumant leur hétérosexualité. En effet, ils divulguent leur orientation sexuelle, mais aussi le fait qu’ils sont victimes de VC (Brown et al., 2015; St-Pierre, 2017; Conseil québécois LGBT, 2018). Par exemple, des HARIAH craignent d’interpeller le système judiciaire et les policiers, car ils ont déjà été victimes de discrimination de la part de ces instances ou veulent éviter de l’être (Brown et al., 2015; Conseil québécois LGBT, 2018; Kay et al., 2010; St-Pierre, 2017). En somme, la stigmatisation sociale associée à l’orientation sexuelle peut expliquer en partie la réticence des HARIAH à y faire appel (Conseil québécois LGBT, 2018; Ristock, 2001; Thibault, 2008, 2016).

D’autres lacunes sont également observables. En effet, les services existants pour les HARIAH victimes de VC sont rarement spécialisés, sont peu connus de cette clientèle (Brown et al., 2015) et sont rares ou inexistants en région (Conseil québécois LGBT, 2018). Au Québec, ils sont souvent offerts par des organismes communautaires, dont trois principaux types : les ressources travaillant auprès des hommes en difficultés (ex : Autonhommie, à Québec), celles pour auteurs de VC (ex : Gapi, à Québec) ou celles pour membres de la diversité sexuelle (ex : RÉZO, à Montréal). De rares ressources offrent des services aux hommes victimes de violence sans égard au contexte conjugal ou à l’orientation sexuelle, dont le Service d’aide aux conjoints, à Montréal. Malgré les efforts faits pour adapter ces services, les intervenants qui y œuvrent, particulièrement en région, sont insuffisamment formés pour accompagner les HARIAH victimes de VC (Conseil québécois LGBT, 2018). Ces derniers ont donc accès à un nombre limité de ressources pouvant répondre à leurs besoins, malgré des taux de victimisation importants.

1.2 Recension des écrits

Cette section présente l’état des connaissances sur la VC chez les HARIAH, produit en trois étapes. D’abord, des mots clés (homosexuality, male homosexuality, same-sex, men who have sex with men, same-gender, LGBT, domestic violence, partner abuse, sexual abuse, psychological abuse, family violence, spouse abuse, victimisation, intrafamily violence et

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partner violence) ont été regroupés à l’aide d’opérateurs booléens « OR/OU, AND/ET et NOT/SAUF » dans différentes banques de données, soit Ariane 2.0, Psych Info, Social Services Abstract, Social Work Abstracts, Sociological Abstracts, Medline et Criminal Justice Abstracts. Dans un deuxième temps, la notion de prise de conscience a été explorée dans ces mêmes banques à l’aide des mots clés suivants : awareness, perception, attitudes, realization, insight et acknowledge. Enfin, la démarche documentaire s’est poursuivie selon un processus itératif en ajoutant les mots clés masculinity et cognitive dissonance, et en consultant la littérature grise (ex. : documents produits par le Conseil québécois LGBT). Bien que le mémoire s’intéresse aux HARIAH, des écrits sur les personnes bisexuelles, lesbiennes, trans et hétérosexuelles ont parfois été inclus, considérant le nombre limité de recherches, particulièrement sur la prise de conscience (PC).

1.2.1 Prise de conscience selon les modèles en violence conjugale

Selon Turcotte (2012), la PC peut se définir comme un changement progressif ou soudain de la manière dont une personne comprend sa situation. Quelques recherches ont étudié ce processus et cette section présente celles effectuées auprès d’HARIAH ainsi que de femmes lesbiennes et hétérosexuelles victimes de VC.

La première recherche présentée a été réalisée par Oliffe et al. (2014) auprès de 14 HARIAH qui ont vécu de la VC en tant qu’auteurs et victimes. Elle utilise une approche de théorisation ancrée et une analyse basée sur le concept de masculinité hégémonique afin de proposer un modèle de PC en trois phases. Ce modèle établit son point de départ au moment où les participants réalisent qu’une dynamique de pouvoir prévaut et que leur partenaire fait usage de la force de manière prévisible et cyclique. En premier lieu, les participants normalisent ou dissimulent la violence. Ils affirment leur masculinité soit en tolérant la violence, démontrant ainsi leur caractère stoïque, soit en exerçant la violence, exprimant ainsi leur force. En second lieu, les hommes réalisent que la relation est nuisible. Ils s’appuient donc sur les valeurs d’indépendance qu’ils associent à la masculinité pour mettre fin à la relation. Enfin, s’éloignant des caractéristiques de la masculinité traditionnelle, les hommes abandonnent la colère ressentie envers le partenaire, font le deuil de leur relation, apprennent l’autocompassion et reprennent progressivement les activités qu’ils avaient abandonnées. Cette recherche indique que la manière dont les HARIAH comprennent leur

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masculinité, de même que le sens qu’ils donnent à la VC, influencent leurs réactions aux comportements violents. En contrepartie, elle ne permet pas de comprendre comment les participants réalisent que leur partenaire utilise la violence de manière cyclique et prévisible, ainsi que les éléments qui favorisent ou freinent cette prise de conscience.

La recherche exploratoire de Walters (2011), faite par théorisation ancrée auprès de quatre femmes victimes de VC s’identifiant comme lesbiennes, permet de comprendre comment des facteurs personnels et environnementaux influencent l’identification de la VC. Sur le plan personnel, les femmes lesbiennes ayant subi de la violence durant l’enfance apparaissent moins aptes à se percevoir comme victimes de VC. Elles auraient développé un seuil de tolérance plus élevé, ce qui contribuerait à minimiser la violence à l’âge adulte. Celles adhérant à une définition traditionnelle de la VC auraient également plus de difficultés à la reconnaître du fait qu’elles sont victimisées par leur conjointe et non par un homme. Sur le plan environnemental, avoir un réseau qui minimise la VC limite aussi la capacité de ces femmes à établir leur victimisation, ou encore à être reconnues dans leur expérience. Vivre dans une communauté qui véhicule l’idée selon laquelle les relations entre femmes sont égalitaires et exemptes des rapports de pouvoir patriarcaux associés à la VC constitue un autre frein. En somme, la manière dont la personne et son réseau conçoivent la VC affecte la PC. Croire que la VC est normale, selon les participants d’Oliffe et al. (2014), ou qu’elle est impossible dans une relation de couple entre femmes, selon les participantes de Walters (2011), semble retarder la PC.

Bien que non associée directement à la PC, la théorie du cycle de la violence, développée par Walker (1979) selon une perspective féministe, est néanmoins utile pour mieux comprendre l’expérience des victimes. Selon la version originale de cette théorie, la VC se produit selon un cycle divisé en trois phases qui se reproduisent de plus en plus rapidement et dans lesquelles les comportements violents tendent à être de plus en plus graves. Durant la première phase, soit l’escalade de la tension, des incidents mineurs de violence verbale et physique apparaissent et la victime tente de calmer son partenaire. Selon Walker (1979), les femmes savent qu’elles vivent de la violence dès les premiers incidents, mais tendent à utiliser des mécanismes de déni et de normalisation pour composer avec elle et se convaincre que leur partenaire peut modifier son comportement. Durant la seconde

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violent plus grave. La victime présente généralement une attitude de choc, de déni, un sentiment d’impuissance et des symptômes dépressifs. Dans la troisième phase, l’auteur de violence exprime de la honte et tente de réparer ses gestes, ce qui renforcerait, chez les femmes, les mécanismes de déni et de normalisation, et l’espoir que le partenaire puisse changer. Plusieurs auteurs font référence à ce modèle pour comprendre la VC au sein des couples d’hommes (Island et al., 1991; Kubicek et al., 2016; Thibault, 2001), alors que d’autres croient qu’il est potentiellement hétéronormatif et ne rendrait pas compte du vécu des personnes homosexuelles (Kwong-Lai Poon, 2011; Messinger, 2014; Ristock et al., 2011).

Le modèle de Wuest et Merritt-Gray (1999) permet quant à lui de comprendre comment la violence affecte l’image de soi des femmes victimes, des premiers incidents jusqu’après la séparation. Il a été développé dans une perspective féministe à partir d’entrevues auprès de 14 participantes hétérosexuelles victimes de VC en processus de séparation ou séparées, en utilisant la méthode de théorisation ancrée. Selon les auteurs, la séparation se produit sous la forme d’un processus cyclique en quatre phases, durant lequel les femmes redéfinissent leur identité. Durant la première phase, que les auteurs nomment counteracting abuse, elles se protègent de la souffrance occasionnée par la VC en minimisant son importance. Un sous-processus nommé fortifying defenses s’amorce alors. Durant la fortification des défenses (traduction libre), les femmes commencent à se distancier de leur conjoint en s’investissant dans des activités hors de la relation et en développant un plan pour la quitter. Durant le deuxième stade, dit du breaking free, elles tentent de mettre fin à la relation, ce qui peut s’avérer plus difficile pour certaines, confrontées à des contraintes environnementales (ex. : la famille encourage à maintenir la relation). Enfin, durant le stade de not going back, les femmes font le deuil de la relation, assurent leur sécurité, justifient leur décision à leur réseau et apprennent à composer avec l’impact du rôle de « victime » de VC dans leurs interactions sociales. Après la séparation, elles entrent dans le stade de moving on, durant lequel elles retrouvent peu à peu les aspects d’elles-mêmes qu’elles avaient mis de côté.

La recherche de Keeling, Smith, et Fisher (2016) explore quant à elle les changements d’attitude ayant mené des femmes hétérosexuelles à mettre fin à la relation. D’abord, elles vivent un premier changement d’attitude à l’égard d’elles-mêmes : elles cessent de se responsabiliser pour la VC dont elles sont victimes et attribuent cette responsabilité à leur

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conjoint, sans pour autant le quitter. Un deuxième changement survient lorsqu’elles sentent que leur survie est mise en danger. Dès lors, les femmes choisissent de ne plus être victimes et rompent promptement. Selon ce modèle, être consciente du fait que l’on est victime de violence n’est pas un motif suffisant pour mettre fin à la relation. La victime doit sentir que sa sécurité est menacée avant de décider de partir.

Finalement, le modèle développé par Whiting, Smith, Oka, et Karakurt (2012), à l’aide d’une méthode de théorisation ancrée auprès de 15 hommes et de 22 femmes6, permet de

comprendre comment le fait de percevoir une menace influence les réactions des personnes victimes sur les plans physiologique, émotionnel et comportemental. Dans ce modèle, les participants agissent selon qu’ils s’estiment en sécurité ou menacés par des facteurs dits contextuels (ex. : les comportements du partenaire, les expériences de victimisation antérieures). En réponse à cette estimation, les participants ont d’abord une réaction de nature émotionnelle et cognitive, suivie d’une réponse comportementale. Par exemple, ceux qui s’estiment en sécurité tendent à considérer que leur partenaire est soutenant et que la relation est solide. Ils adoptent ainsi des comportements visant à favoriser l’intimité avec lui. Par contre, lorsqu’ils se sentent menacés, ils ressentent de la peur, de la colère ou de la honte et tentent de justifier leurs comportements ou ceux de l’autre, y compris la violence. Ils adoptent alors des comportements visant à contrôler soit leurs propres réactions (ex. : en ignorant leurs émotions ou leur partenaire), soit celles de leur partenaire (ex. : en usant de violence ou en essayant de l’apaiser). Ce modèle permet de comprendre comment l’interprétation d’une situation influence les comportements. Par contre, il n’indique pas comment l’évaluation de la sécurité ou d’une menace évolue. Par exemple, il ne permet pas de savoir si une manifestation de VC telle que la jalousie peut avoir été perçue comme une marque d’affection à un moment, puis comme une menace à un autre.

En conclusion, les modèles présentent certains éléments communs. D’abord, dans la majorité des cas, les victimes sont conscientes qu’elles vivent de la VC, mais ne mettent pas fin à leur relation. Pour la plupart, la violence est normalisée. Certaines sentent qu’elles ont causé l’acte violent; d’autres la tolèrent. Pour d’autres, la violence vécue durant l’enfance est

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plus grave que la VC actuelle, qui leur semble alors tolérable. La majorité des modèles indiquent que, pour quitter la relation, la victime doit se détacher affectivement du partenaire et lui attribuer la responsabilité de ses gestes violents. Enfin, les modèles qui abordent la séparation indiquent que les victimes décident de rompre quand la relation est considérée dangereuse et intolérable (Henderson, 2012). En somme, prendre conscience de la VC est un processus, parfois cyclique, qui implique non seulement de percevoir la menace, mais aussi de s’en protéger.

1.2.2 Facteurs de risque de victimisation chez les HARIAH

Bien qu’il n’y ait pas de facteurs associés à la prise de conscience, la recension des écrits permet d’établir plusieurs facteurs de risque7 associés à la VC chez les HARIAH. Ceux-ci sont principalement constatés par des recherches de nature quantitative qui déterminent des caractéristiques relevant de la personne, de son réseau, des services offerts et du contexte social dans lequel elle évolue.

1.2.2.1 Caractéristiques de la personne. Plusieurs recherches ont examiné la présence de corrélations entre la victimisation et des caractéristiques personnelles des HARIAH, soit l’âge, le statut socio-économique, l’identité de genre, l’orientation sexuelle et les problèmes de santé (physique et mentale).

D’abord, la majorité des recherches rapportent des taux de victimisation similaires pour les HARIAH de toutes les tranches d’âge, sauf pour les 60 ans et plus, chez qui les taux de violence rapportés tendent à diminuer (Bartholomew et al., 2008b; Houston et al., 2007; Stephenson, Rentsch, Salazar, & Sullivan, 2011). Par exemple, l’enquête téléphonique réalisée par Greenwood, Relf, Huang, Pollack, Canchola, et Catania (2002) auprès de 2 881 HARIAH révèle que ceux qui ont moins de 40 ans sont beaucoup plus susceptibles d’être victimes de VC que ceux de 60 ans et plus. L’enquête de Statistique Canada (2019), quant à elle, rapporte que 72 % des victimes masculines avaient entre 18 et 44 ans.

7Même s’il serait plus exact de parler de facteurs associés, la notion de facteur de risque est retenue en raison

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Sur le plan du statut socio-économique8, les HARIAH qui sont moins scolarisés, qui ont un revenu plus bas ou qui sont sans emploi tendent à rapporter plus de victimisation (Bartholomew et al., 2008a; Stephenson et al., 2011). Par exemple, la recherche de Houston et al. (2007), réalisée auprès de 817 HARIAH, indique qu’un statut socio-économique plus bas est associé à une augmentation de la victimisation. Selon les intervenants rencontrés par Kay et Jeffries (2010), les conjoints mieux nantis utiliseraient le chantage financier pour contrôler leur partenaire.

Les recherches prenant en compte l’identité de genre9 suggèrent que les personnes

trans10 sont particulièrement susceptibles d’être victimes (Greenberg, 2012), soit entre

31,1 % et 50 %, selon la recension de Brown et al. (2015). Ces taux pourraient s’expliquer par la marginalisation de cette population au sein d’une société hétéronormative alors que leur « expérience transgresse les idéologies dominantes concernant le genre » ([traduction libre], Barrett & Sheridan, 2016, p. 141). Cette situation peut augmenter les risques de VC, car, selon Greenberg (2012), les personnes trans sont plus stigmatisées, isolées et susceptibles d’internaliser des stéréotypes transphobes, et peuvent craindre que leur transition, lorsque c’est le cas, soit dévoilée.

Selon les recherches, l’orientation sexuelle, c’est-à-dire « la capacité à ressentir une attirance émotionnelle affective ou sexuelle envers des individus de sexe opposé [hétérosexualité], de même sexe [homosexualité] ou de plus d’un sexe [bisexualité] » (Comission des droits de la personne et des droits de la jeunesse Québec, 2018), peut accroître le risque d’être victime de VC. En effet, les personnes qui s’identifient11 comme bisexuelles ou en questionnement rapportent des taux de VC plus élevés que les personnes s’identifiant

8 Le statut socio-économique est une mesure du niveau social standardisé qui peut prendre en compte le revenu, le nombre d’années d’études complétées, le type d’emploi et les relations sociales ou familiales (American Psychological Association, 2017).

9 Le genre réfère aux comportements, rôles et attributs associés à la masculinité ou à la féminité dans une société donnée, transmis par la socialisation. Alors qu’un individu peut s’identifier au genre de son choix (Butler, 1990), le sexe est attribué à la naissance selon les caractéristiques biologiques de l’individu, notamment les organes génitaux (Dorais, 2015).

10 La notion de personnes trans inclut les personnes ayant subi ou non une intervention médicale pour réattribuer leurs caractéristiques sexuelles discordantes avec leur genre (Dorais, 2015).

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comme étant exclusivement homosexuelles (Barrett & St. Pierre, 2013; Langenderfer-Magruder et al., 2016; McLaughlin et al., 2012). À ces risques de vivre de la VC s’ajoute la discrimination. Dans les ressources, les femmes bisexuelles rapportent être ostracisées par les femmes homosexuelles et hétérosexuelles, qui les accusent de ne pas vraiment être lesbiennes ou hétérosexuelles (Sulis, 1999).

La séropositivité est aussi associée au risque d’être victime de VC (Bartholomew et al., 2008a; Nieves-Rosa, Carballo-Dieguez, & Dolezal, 2000; Pantalone, Schneider, Valentine, & Simoni, 2012; Shelton, Atkinson, Risser, McCurdy, Useche, & Padgett, 2005). Selon Hanson et al. (1999), la séropositivité place la personne dans une situation de vulnérabilité pouvant être instrumentalisée par le conjoint. Par exemple, ce dernier peut menacer de porter plainte à la police en affirmant qu’il n’avait pas été informé du statut sérologique de son conjoint avant d’avoir un rapport sexuel12. Il peut aussi menacer de dévoiler le statut

sérologique de son partenaire à ses proches (Kay et al., 2010).

Les problèmes de santé mentale chez les HARIAH ont aussi été associés à la VC. L’analyse secondaire des données de trois études américaines permet de constater que les jeunes LGBT victimes de VC (n=472) sont plus susceptibles d’effectuer une tentative de suicide et de présenter des symptômes dépressifs que les personnes hétérosexuelles dans la même situation (n=13 490) (McLaughlin et al., 2012). Même si plusieurs considèrent que la VC contribue à l’apparition de ces problèmes de santé mentale (Houston et al., 2007; Island et al., 1991; McLaughlin et al., 2012), les données actuelles permettent seulement d’affirmer qu’il existe une corrélation entre les deux.

Enfin, la consommation de substances (alcool et drogues) est associée à des taux de victimisation plus élevés (Bartholomew, Cobb, & Dutton, 2015; Langenderfer-Magruder, Walls, Whitfield, Brown, & Barrett, 2016; Stults, Javdani, Greenbaum, Kapadia, & Halkitis, 2015). Par ailleurs, les participants rencontrés par Oliffe et al. (2014) rapportent que leur consommation a limité leur capacité à rompre avec un partenaire violent.

12 Au Canada, les personnes dont le statut sérologique est supérieur à « faible » sont dans l’obligation de le dévoiler avant un rapport sexuel vaginal ou anal, même si elles portent le condom (Réseau juridique canadien VIH/s, 2014).

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1.2.2.2 Caractéristiques du réseau. Les HARIAH victimes de VC évoluent au sein d’une famille, d’un couple et de groupes sociaux qui peuvent augmenter ou réduire leurs risques de victimisation.

D’abord, les HARIAH exposés à la violence intrafamiliale durant l’enfance, sans toutefois l’avoir subie eux-mêmes, sont plus susceptibles d’être victimisés à l’âge adulte (Landolt & Dutton, 1997; McLaughlin et al., 2012; Nieves-Rosa et al., 2000). Il en est de même pour ceux ayant subi personnellement ce type de violence (Bartholomew et al., 2008b; Toro-Alfonso & Rodríguez-Madera, 2004). Les HARIAH, témoins ou victimes de ce type de violence, sont plus susceptibles de développer un attachement anxieux (Craft & Serovich, 2005) associé à la victimisation à l’âge adulte (Bartholomew et al., 2008b; Landolt et al., 1997). Il se pourrait aussi qu’ils développent un seuil de tolérance plus élevé à la violence, comme c’est le cas des femmes rencontrées par Walters (2011).

Sur le plan conjugal, des lacunes quant aux habiletés relationnelles (ex. : dans la gestion de conflits et la résolution de problèmes) augmentent les risques qu’un incident violent se produise au sein des couples d’HARIAH (Toro-Alfonso & Rodríguez-Madera, 2004). Par exemple, l’analyse de 69 entrevues réalisées par Stanley et al. (2006) auprès d’HARIAH ayant vécu de la VC indique que la violence physique tend à se manifester quand un conflit de couple atteint une impasse, quand un partenaire ressent de la frustration ou à la suite d’insultes. En contrepartie, les conjoints qui atteignent un accord dans les décisions concernant le couple sont plus satisfaits de leur relation et rapportent moins de victimisation (Stephenson et al., 2011). Ainsi, la manière dont les conjoints communiquent et règlent leurs conflits peut favoriser ou limiter l’apparition de comportements violents.

Les recherches suggèrent que les HARIAH victimes de VC reçoivent un soutien limité de la part de leur réseau (Kay & Jeffries, 2010). Plusieurs de ceux rencontrés par Merrill et Wolfe (2000) ont dit maintenir leur relation avec un conjoint violent afin d’éviter une situation d’itinérance s’ils quittaient la résidence. Selon Langenderfer-Magruder et al. (2016), le fait que 44,59 % des jeunes LGBT qui ont vécu de la VC (n=73) rapportent avoir été en situation d’itinérance s’explique par l’absence d’un réseau de soutien pouvant les accueillir.

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1.2.2.3 Facteurs sociaux et culturels. Sur le plan sociétal, les conceptions qui sont transmises concernant la masculinité, l’homosexualité masculine, le stress minoritaire associé ainsi que les conceptions de la VC semblent affecter la manière dont les HARIAH comprennent la violence dont ils sont victimes, et y réagissent.

D’abord, les valeurs sociales transmises aux hommes, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, peuvent les rendre réticents à reconnaître leur victimisation et à demander de l’aide, notamment quand ils sont victimes de VC (Tremblay et al., 2016). En effet, la socialisation des hommes occidentaux tend à valoriser des comportements d’affirmation et d’autonomie, ainsi que l’expression de la colère et de l’agressivité (Tremblay & L’Heureux, 2010). De plus, elle rejette les caractéristiques socialement attribuées aux femmes, dont le rôle de victime, la demande d’aide et l’admission de la vulnérabilité (Tremblay & L’Heureux, 2010).

Les HARIAH victimes de VC composent aussi avec le besoin de négocier leur masculinité dans un contexte où la masculinité homosexuelle est subordonnée à celle hétérosexuelle (Connell, 2005). En effet, selon Connell (2005) et Oliffe et al. (2014), les HARIAH tendent à adhérer à certains comportements prescrits par la socialisation des hommes, ou à y surenchérir, afin d’affirmer et de légitimer leur masculinité. Certains rapportent croire qu’utiliser la violence est justifié (Oliffe et al., 2014), qu’être victimisé est « émasculant » (Turell & Herrmann, 2008) et que dénoncer les présentera comme « faibles » (Kay et al., 2010). Les HARIAH rencontrés par l’équipe de Bacchus et al. (2018) notent qu’ils seraient mal à l’aise d’aborder la violence avec un intervenant du même sexe qu’eux. Toutes ces tentatives de négocier et d’affirmer leur masculinité peuvent les encourager à tolérer la violence, voire à y répliquer.

Cette masculinité subordonnée fait écho au statut de minorité associé au concept de stress minoritaire des HARIAH, ou « minority stress ». Cela les expose aux effets néfastes des conceptions hétéronormatives et homophobes et accroît leur risque d’être auteurs ou victimes de violence (Carvalho, Lewis, Derlega, Winstead, & Viggiano, 2011; Kay et al., 2010; Stephenson et al., 2011). Selon Meyer (1995, 2003), trois processus favorisent l’apparition de ce stress : avoir été victime de stigmatisation et de préjugés homophobes, anticiper une telle stigmatisation ou de tels préjugés, et intégrer des attitudes ou des préjugés

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homophobes à sa conception de soi (homophobie intériorisée). Les deux premiers renvoient aux obstacles documentés précédemment dans les services offerts aux HARIAH. En ce qui concerne le processus d’homophobie intériorisée, il peut exposer les personnes LGBT à certaines formes de violences spécifiques. Par exemple, un individu ayant internalisé des préjugés homophobes peut craindre que son orientation sexuelle, qu’il perçoit comme un stigma, soit dévoilée par son partenaire (Gehring et al., 2017). En fait, évoluer dans un environnement qui transmet des conceptions homophobes semble décourager les HARIAH de consulter les ressources, et les expose à des formes de violences qui leur sont spécifiques.

Finalement, la manière dont ils comprennent la violence conjugale influence leur capacité à se percevoir comme victimes de violence. En effet, selon Bacchus et al. (2017), les hommes semblent associer uniquement les violences physiques au concept de VC. Par exemple, lors d’une étude mixte réalisée par Bachus et al. (2018), les participants HARIAH rapportent tous les types de violence dans un questionnaire standardisé. Par contre, durant l’entrevue de recherche subséquente, ils rapportent uniquement les incidents de violence physique lorsqu’il leur est demandé de nommer la violence dont ils ont été victimes (Bacchus et al., 2018). En somme, la culture dans laquelle ils évoluent transmet des conceptions de la masculinité, de l’homosexualité masculine et de la VC qui semblent limiter leurs capacités à reconnaître cette dernière et à demander de l’aide.

1.2.3 Limites des recherches

Plusieurs limites sont à prendre en considération concernant les recherches abordant le processus de prise de conscience de la VC chez les HARIAH. D’abord, les recherches sur le sujet sont inexistantes en contexte québécois, à notre connaissance. Ensuite, la majorité des modèles débutent au moment où la personne prend conscience de la VC. Ils n’indiquent donc pas comment elle était perçue avant la PC, ou même si elle était présente. Par exemple, même si le modèle d’Oliffe et al. (2014) indique que les participants sont conscients du fait que leur partenaire utilise la force de manière cyclique, il n’est pas clair qu’ils associent cette dynamique au concept de violence conjugale. Les recherches tendent aussi à se concentrer sur un nombre limité de facteurs. Par exemple, Oliffe et al. (2014) explorent comment l’affirmation de la masculinité influence les réactions des hommes face à la VC sans explorer l’influence d’autres facteurs (ex. : âge, utilisation des services).

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D’autres limites s’ajoutent lorsqu’il est question de recherches portant sur la VC vécue par les HARIAH et sur les facteurs de risque. D’abord, la manière dont les recherches définissent la violence conjugale varie : elles ne sont donc pas toutes comparables entre elles (Lussier et al., 2008). Par exemple, dans leur recension, Finneran et al. (2013) ont recenssé 16 définitions différentes de la VC dans les 28 recherches qu’ils ont analysées. Ensuite, la majorité des recherches réalisées auprès des HARIAH utilisent des outils quantitatifs validés auprès des populations hétérosexuelles (Hester et al., 2010). Ces outils peuvent endosser une vision hétéronormative de la VC qui ne représente pas la manière dont les HARIAH définissent leur expérience (Ristock et al., 2011). Qui plus est, même si un certain nombre de recherches permettent de lier des facteurs de risque à la VC, celles-ci ne permettent pas de comprendre l’interaction entre la présence de ces facteurs de risque et les processus de prise de conscience. De plus, à l’exception du mémoire de Thibault (2001), les recherches portant sur les HARIAH proviennent principalement des États-Unis et du Canada anglais. Elles ne permettent donc pas de prendre en compte les particularités du contexte québécois, autant par rapport aux politiques sociales et aux services entourant la VC qu’à celles relatives aux droits des membres de la diversité sexuelle.

1.2.4 Question de recherche

L’objectif général de ce mémoire est de comprendre comment les HARIAH prennent conscience de la violence conjugale dont ils sont victimes de la part de leur partenaire. Ce mémoire vise ainsi à répondre à la question générale suivante : quels sont les processus favorisant la prise de conscience de la VC chez les HARIAH qui en sont victimes?

Pour répondre à cette question, deux objectifs spécifiques ont été déterminés : • Spécifier les formes de violence conjugale dont les hommes sont victimes, ainsi que

leurs conséquences.

• Identifier les processus cognitifs et les stratégies comportementales mises en place par les hommes qui prennent conscience de la violence conjugale.

1.2.5 Pertinence sociale et scientifique

Dans un contexte où les HARIAH rapportent des taux de victimisation équivalents ou plus importants que ceux relatés par les populations hétérosexuelles, étudier la prise de

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conscience de la violence permet de mieux comprendre ce qu’ils considèrent être des gestes violents. En effet, étant donné les enjeux entourant la définition de la VC, comprendre ce que les HARIAH perçoivent comme étant de la VC peut être utile pour mieux adapter à leurs réalités le dépistage et les campagnes de sensibilisation, notamment par rapport à ce qui fait obstacle à la PC. Par exemple, les résultats de ce mémoire permettront peut-être de mieux connaître les manifestations que les HARIAH reconnaissent et associent à la VC, les conditions qui leur permettent de considérer qu’il s’agit d’un problème et les motifs qui les poussent à demander de l’aide. Cette contribution possible rejoint les orientations du dernier plan d’action concernant la violence conjugale, qui suggère de sensibiliser les membres des communautés LGBT à la VC (Secrétariat à la condition féminine, 2018). Ce mémoire, malgré sa portée limitée, peut contribuer à sensibiliser les intervenants aux réalités des HARIAH qui en sont victimes.

En ce qui a trait aux connaissances scientifiques, ce mémoire explore la question de la prise de conscience, surtout abordée dans des recherches auprès des femmes victimes de VC. Il ajoute également aux connaissances sur la VC chez les HARIAH en contexte québécois, notamment à partir de leur propre point de vue et expérience compte tenu du devis qualitatif retenu. Sur le plan théorique, à notre connaissance, la théorie du champ psychologique n’a jamais été appliquée à l’étude de la PC de la VC et permet, donc, d’explorer cette dernière sous un angle différent. L’utilisation du modèle écologique et de la théorie du champ psychologique est aussi une combinaison inédite dans ce champ d’étude. En effet, cette combinaison permet de mieux comprendre comment l’interaction entre la personne et son environnement influence la manière dont elle comprend sa situation et la VC dont elle est victime. Enfin, ce mémoire remplit une fonction heuristique en présentant un modèle préliminaire de la prise de conscience qui intègre le vécu des participants et le savoir issu des recherches antérieures. Il présente donc une formulation de la PC spécifique aux HARIAH québécois sur laquelle il sera possible de développer d’autres modélisations plus élaborées.

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Chapitre 2 Cadre théorique

Cette section présente l’orientation épistémologique de ce mémoire et son cadre théorique pour analyser le processus de prise de conscience de la violence chez les HARIAH, ce dernier étant composé de la théorie du champ psychologique développée par Kurt Lewin (Lewin, 1935/2013, 1936/2013) et du modèle bioécologique de Bronfenbrenner (1979; 2005).

2.1 Orientation épistémologique

Ce mémoire s’inscrit dans un paradigme constructiviste. Ces postulats soutiennent que si la réalité existe, elle n’est pas totalement accessible aux sens (ex. : vue, ouïe) et qu’elle est en fait interprétée et construite à travers l’expérience que la personne en a. Dans le cadre de ce mémoire, cela signifie que la violence conjugale est un concept représentant une réalité indépendante de la personne (Lincoln, Lynham, & Guba, 2011), un construit social en évolution, tel que documenté dans le chapitre 1. Par contre, la manière dont chaque personne comprend ce concept se construit à travers ses propres expériences et ses interactions avec l'environnement. Par exemple, elle peut construire son interprétation du concept sur la base de publicités ou de sa propre expérience en tant que victime.

2.2 Modèle du champ psychologique

La théorie du champ psychologique s’inscrit dans le courant de la gestalt et a été développée dans les années 1930-1940 par Kurt Lewin. Selon cette théorie, le comportement d’un individu est choisi en fonction des capacités qu’il croit avoir pour répondre à ses besoins, et de la manière dont il comprend le contexte particulier dans lequel il se trouve (Lewin, 1935/2013, 1936/2013, 1939, 1941/2011). En lien avec les modèles de PC recensés au chapitre précédent, cette théorie peut rejoindre le modèle de Whiting et al. (2012), selon lequel les individus réagissent différemment en fonction des indices contextuels qui leur permettent de déterminer s’ils sont en sécurité ou menacés. Selon la théorie de Lewin, des personnes ayant besoin de se sentir en sécurité pourraient tenter d’apaiser leur partenaire, car ils sentent qu’ils ont la capacité de le faire et croient que leur partenaire sera réceptif à leur tentative d’apaisement. D’autres, qui ne percevraient pas cette réceptivité chez leur partenaire, pourraient tenter d’ignorer ce dernier ou réagir avec violence s’ils croient que ce

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comportement leur permettra de répondre à leur besoin de sécurité. En somme, le modèle du champ psychologique postule que la manière dont les HARIAH comprennent le contexte dans lequel ils vivent de la violence conjugale orientera les actions qu’ils mettront en place afin de répondre à leurs besoins.

2.2.1 Structure du champ

Selon le modèle de Lewin, les individus interprètent leurs expériences internes et leur contexte à l’aide de trois structures : l’espace de libre mouvement, la perspective temporelle et le baromètre de réalité.

D’abord, l’espace de libre mouvement se veut un répertoire des expériences qui permet à la personne de comprendre et de nommer à la fois son ressenti interne (ex. : émotions et pensées) et celui du contexte dans lequel elle se trouve (ex. : ce qu’elle voit et entend). Ce répertoire s’étoffe par le contact entre la personne et son environnement, que ce soit directement ou par l’usage de la pensée (ex. : imaginer une situation) (Lewin, 1936/2013). Une expérience est donc divisée et stockée dans l’espace de libre mouvement sous trois formes distinctes :

• La forme conceptuelle réfère aux mots et aux symboles qui sont utilisés pour décrire et définir l’expérience. Par exemple, les femmes lesbiennes rencontrées par Walters (2011) ont du mal à se percevoir comme victimes de VC, car elles en adoptent une définition traditionnelle qui les exclut d’emblée. La manière dont une personne définit la VC peut donc favoriser ou limiter sa capacité à se concevoir comme en étant victime.

• La forme physique réfère aux sensations concrètes associées à l’expérience. Par exemple, les participants de Whiting et al. (2012) qui perçoivent un contexte menaçant ressentent physiologiquement l’effet de la colère ou de la peur. La connaissance expérientielle de la violence au sens physique peut fournir à la personne des indices lui permettant de comprendre qu’elle perçoit une menace.

• La forme sociale réfère à la connaissance des schémas d’interactions, des rapports de pouvoir et des rôles au sein d’une société. Par exemple, dans la recherche d’Oliffe et al. (2014), les participants normalisent la violence ou y répondent par la violence afin d’affirmer leur masculinité. Ici, la façon dont les participants croient qu’ils doivent

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« agir » pour affirmer leur masculinité renvoie à l’aspect social de l’expérience d’être un homme et contribue à normaliser la VC.

Ces trois formes de l’expérience influencent ainsi la manière dont les HARIAH perçoivent la VC et y réagissent. Par exemple, les participants d’Oliffe et al. (2014) ont des conséquences physiques de la violence (forme physique) et associent ces comportements au concept de violence (forme conceptuelle) mais le normalisent, car ils ont l’impression qu’il s’agit d’une caractéristique normale des relations entre hommes (forme sociale). Ainsi, ce répertoire d’expériences influence la manière dont la personne comprend son contexte et y réagit.

Le second élément du champ psychologique, nommé perspective temporelle, s’appuie sur les expériences que la personne stocke dans l’espace de libre mouvement sous forme de souvenirs afin d’anticiper la suite des évènements (Lewin, 1941/2011). Par exemple, les participants rencontrés par Oliffe et al. (2014) tentent de prédire la violence en observant les signes précurseurs qui sont survenus auparavant. Cette structure permet de comprendre comment l’expérience antérieure peut contribuer à l’anticipation d’une violence future.

Enfin, le baromètre de réalité est une structure permettant à la personne d’établir une distinction entre ce qu’elle estime comme étant probable et ce qu’elle considère comme fantaisiste ou improbable (Lewin, 1941/2011). Par exemple, les femmes victimes d’un premier acte de VC croient qu’il est possible que leur partenaire change ses comportements (Walker, 1979), alors que celles victimes depuis de nombreuses années en viennent à croire qu’un tel changement est improbable (Keeling et al., 2016). Ce serait aussi cette structure qui aurait permis aux participants d’Oliffe et al. (2014) et de Keeling, Smith, et Fisher (2016) d’estimer que la relation présente un danger réel. En somme, le baromètre de réalité permet aux victimes d’évaluer les risques que la violence se produise à répétition et qu’elle ait des conséquences néfastes, lui donnant ainsi un caractère réel aux yeux de la personne.

2.2.2 Dynamique du champ

Selon le modèle de Lewin, l’individu a un rôle actif dans la définition de son expérience. En effet, lorsqu’il agit, il modifie le contexte dans lequel il se situe et peut donc en développer une nouvelle compréhension. Lewin établit trois mécanismes par lesquels la

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compréhension qu’un individu a de son expérience peut évoluer et prendre un autre sens (Lewin, 1936/2013).

• En premier lieu, la différentiation s’opère quand l’interprétation d’une situation se modifie de manière à remplacer totalement l’interprétation précédente (Lewin, 1936/2013). Par exemple, les femmes rencontrées par Keeling et al. (2016) cessent de se percevoir comme responsables de la VC pour l’attribuer à leur conjoint. • Ensuite, l’intégration se produit quand le participant établit des liens entre deux

expériences ou concepts qu’il croyait distincts. Par exemple, quand les participants d’Oliffe et al. (2014) considèrent que leur relation représente un danger, ils choisissent de partir. Dans ce cas, l’intégration du concept de dangerosité à la manière dont ils conçoivent leur relation permet d’interpréter celle-ci comme dangereuse. • Enfin, l’insight est décrit comme un « déclic » (Lewin, 1935/2013) et correspond

à « une réorganisation de la totalité du champ » ([traduction libre] Lewin, 1935/2013 p. 333). Ce mécanisme se produit soudainement lors de situations de forte tension ou d’impasse qui limitent la résolution d’un problème, ou quand la personne est en mesure de prendre du recul (Lewin, 1935/2013). Cette description rappelle la prise de conscience soudaine des femmes rencontrées par Keeling et al. (2016). Contrairement aux deux autres mécanismes, quand l’insight se produit, la personne qui subit la VC modifie son interprétation de l’ensemble du contexte. Ainsi, le sens qu’elle attribue à l’ensemble des situations vécues dans son couple prend une nouvelle signification.

En résumé, le modèle de Lewin permet d’analyser la prise de conscience de la violence, car il prend en compte la manière dont une personne comprend sa situation et celle par laquelle des changements, qu’ils soient progressifs ou soudains, peuvent modifier cette compréhension.

2.3 Modèle bioécologique

Le chapitre 1 a documenté certaines caractéristiques des HARIAH et de leur environnement pouvant les rendre plus susceptibles de vivre de la VC. Le modèle bioécologique permet justement d’explorer la manière dont les interactions entre un HARIAH victime de VC et les membres de son réseau, les institutions et la culture

Figure

Tableau 1. Définition des concepts
Tableau 2. Caractéristiques sociodémographiques des participants  Participants  Région  Montréal  3  Capitale-Nationale  3  Bas-Saint-Laurent  1  Outaouais  2  Mauricie  1  Âge   20-29  2  30-39  1  40-49  2  50-59  2  60-69  1  70 et plus  2
Tableau 3. Codification de la prise de conscience  Entrevues codées  Nombre de codes
Tableau 4. Réduction des codes de prise de conscience
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Références

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