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Nous sommes Plusieurs

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Nous sommes Plusieurs

Mémoire

Julie Théberge

Maitrise en arts visuels

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Nous sommes plusieurs

Mémoire

Julie Théberge

Sous la direction de :

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- Résumé -

Ce mémoire est l’aboutissement de mes efforts à nommer et rendre concret ce qui voyage entre les synapses de mon cerveau en ce qui a trait à l’art, à mes visions de l’art, à mes manières de faire de l’art. À la place de l’art comme moteur de changement personnel et social. À la recherche en art. Bref, à l’art comme expérience sensorielle, conceptuelle et esthétique. Personnelle et collective.

Se rapprochant plus du style « écrit d’artiste » que d’un texte théorique, ce mémoire propose des réflexions en lien au commun dans ses deux significations. Soit celle qui réfère au banal et celle qui renvoie au collectif. Nous sommes plusieurs se veut une ode au précaire. À l’intuition, aux débuts, au processus. À l’ordinaire, au banal et au commun. À la communauté.

Depuis toujours, je baigne dans ces eaux. Je tourne autour de ce pot : le quotidien. Les lectures entreprises associées à ce champ de recherche ont été des plus révélatrices. Ce texte aborde donc les thématiques du quotidien, de l’excellence ordinaire, et des problématiques en lien avec les termes vulgaire, ambigu et superficiel.

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- Table des matières -

- Résumé - iii

- Liste des figures - v

- Remerciements - vii

- Introduction - 1

1 - Ma vie est mon téléroman préféré 2

Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. 3

We the people (2005) 4

Ouvrez les tiroirs, feuilletez les cahiers (2008) 5

P.S.O.O.V (2008, en cours) 6

J’avais prévu mourir à 96 ans (2013) 7

Septembre 2014 : transformer des intuitions en convictions? 9

2 - Tout et son contraire : s’inscrire dans le quotidien 11

Des maquettes, pas des immeubles 13

L’excellence ordinaire 14

3 – Expérimentations, mise en espace, constats 19

4- Nous sommes plusieurs 28

Le kiosque 45

La semaine aux Façades de la gare 51

- Conclusion - 55

- Bibliographie - 56

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- Liste des figures -

Figure 1. Julie Théberge. We the people, 2005. Page 5.

Figure 2. Julie Théberge. Ouvrez les tiroirs, feuilletez les cahiers, 2008. Page 6. Figure 3. Julie Théberge. P.S.O.O.V, 2008 à aujourd’hui. Page 7.

Figure 4. Julie Théberge. J’avais prévu mourir à 96 ans, 2013. Page 8. Figure 5. Julie Théberge. Gamme visuelle, 2016, page 10

Figure 6. Julie Théberge. Tout ceux qui croient le savent, 2015. Page 21. Figure 7. Julie Théberge. Underdog, 2015. Page 22.

Figure 8. Julie Théberge. Soyez vigilants, 2015. Page 22. Figure 9. Julie Théberge. Moi pis ma gang, 2015. Page 23.

Figure 10. Julie Théberge. Installations au RAB, montage photo. Page 23. Figure 11. Julie Théberge. Installations au RAB, vue partielle. Page 24. Figure 12. Julie Théberge. FNM. Page 24.

Figure 13. Julie Théberge. Tout et son contraire, vue partielle. Page 25. Figure 14. Julie Théberge. Tout et son contraire, détail. Page 25. Figure 15. Julie Théberge. Tout et son contraire, vue partielle. Page 26. Figure 16. Julie Théberge. Tout et son contraire, détail. Page 26. Figure 17. Julie Théberge. Tout et son contraire. Page 27. Figure 18. Julie Théberge. Installation au RAB. Page 27. Figure 19. Julie Théberge. Installation au RAB. Page 28. Figure 20. Anonyme. Semina, page 30.

Figure 21. Anonyme. Aspen, page 31. Figure 22. Anonyme. Avalanche, page 32. Figure 23. Anonyme. LIP, page 33. Figure 24. Anonyme. Riot Grrrl, page 33. Figure 25. Anonyme. Tripping Corpse, page 34. Figure 26. Anonyme. Julie Doucet, page 34.

Figure 27. Julie Théberge. Logo psycho / pop \ art. Page 36.

Figure 28. Julie Théberge. Pages 6 et 7, magazine Nous sommes plusieurs. Page 40

Figure 29. Julie Théberge. Première de couverture, magazine Nous sommes plusieurs. Page 42. Figure 30. Julie Théberge. Quatrième de couverture, magazine Nous sommes plusieurs. Page 43. Figure 31. Julie Théberge. Pages 106 et 107, magazine Nous sommes plusieurs. Page 44.

Figure 32. Julie Théberge. Pages 52 et 53, magazine Nous sommes plusieurs. Page 44. Figure 33. Julie Théberge. Pages 16 et 17, magazine Nous sommes plusieurs. Page 45. Figure 34. Julie Théberge. Pages 48 et 49, magazine Nous sommes plusieurs. Page 45. Figure 35.Julie Théberge. Premier plan du kiosque. Page 46.

Figure 36. Anonyme. Thomas Hirschhorn. Page 47.

Figure 37. Julie Théberge. Kiosque Nous sommes plusieurs aux Façades de la gare. Page 50. Figure 38. Julie Théberge. Kiosque Nous sommes plusieurs aux Façades de la gare. Page 51. Figure 39. Julie Théberge. Kiosque Nous sommes plusieurs aux Façades de la gare. Page 53. Figure 40. Julie Théberge. Nous sommes plusieurs. Page 54.

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vi À Hugo. Le bel Hugo. À Clémence et Louise. Bonnes avec la vie bonne avec elles.

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- Remerciements -

À Hugo, Clémence et Louise parce que vous êtes aux premières loges de tous mes états d’âme et que vous m’aimez quand même.

À mon directeur, le professeur Richard Baillargeon pour son encadrement et toutes les

discussions. Avec toi, il a été possible de me déployer à mon rythme, de m’obstiner, de réfléchir et ainsi de raffiner mes idées et mes œuvres.

À Sam Murdock, Juli Dutil, Ariane Plante, Blake S. Lanier, Marie-Claude Lamoureux, Philippe Guay et Hugo Lebel pour leurs riches contributions volontaires et instantanées au magazine. Vous n’avez pas idée à quel point votre intérêt et vos textes m’ont soutenus et motivés dans des périodes plus fragiles de ce projet.

À Juli Dutil. Je rédige ce texte et j’ai hâte au 8 octobre.

À mes parents et beaux-parents pour le soutien et l’amour inconditionnel.

À madame Élise Bergeron pour avoir rendu généreusement disponible l’espace aux Façades de la gare.

À Kim Gordon, Viv Albertine et Kathleen Hannah. Découvrir des femmes si fortes et fragiles à la fois, si propulsée par une énergie créatrice et authentique m’inspire continuellement.

À des auteurs et artistes tels que Allen Ruppersberg, Adrian Piper, Quino, Philip Geluck, René Magritte, Keith Haring, Sophie Calle, Barbara Kruger, Dan Eldon, Ed Rusha, Sigma

Polke,Thomas Demand, Thomas Hirschhorn, Jack White, Gordon Matta-Clark, Barbara Formis, Henri Levebvre, Fanny Britt, Joseph Cornell, Raymond Pettibond, Susan O’ Malley, Yoko Ono, Maira Kelman, Lena Dunham, Woody Allen, Margaret Atwood…

À Julie B, Marie-Andrée, Vincent, Marcio, Maud, Julie P, Chrystina, Olivier, mes précieux collègues à la maitrise.

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- Introduction -

« Making art by taking what is close at hand. Thinking about the biggest philosophical abstractions from the position of our most intimate experiences. Seeing change as part of our choices and responses to the inventory of demands and obligations in daily life.»1

Cette citation de Stephen Johnstone résume mes positions reliées à l’art et à comment vivre la vie qui nous ait donnée. Dans ma façon d’aborder les choses, l’art et la vie sont à la fois précaires et solides, faits de séries de processus se terminant, se poursuivant, s’alimentant. Différemment, certes, pour chacun des individus, mais se faisant ainsi, quand même, pour tous. Tout cela rendant tant la vie que l’art commun, normal et banal. À la fois extraordinaire et précieux, vulgaire et ambigu. Faire avec ce qui est disponible. Penser le grand à travers les détails. Prendre du pouvoir à travers nos choix et nos responsabilités au quotidien. Que ce soit « en art » ou « dans la vie ». Tels sont certaines des idées qui guident mes élans créatifs.

Ce texte d’accompagnement compte quatre chapitres principaux. Le premier chapitre est composé d’une biographie personnelle, de descriptions d’œuvre antérieures à la maitrise et se termine avec les motivations qui m’habitaient en entamant cette dernière. Le deuxième chapitre aborde le champ de recherche du quotidien, à travers les propos de chercheurs tels Barbara Formis et Henri Levebvre. Dans ce chapitre, je m’approprie les propos de ces auteurs afin de clarifier ce que je veux dire quand je parle « d’excellence ordinaire » et quand je qualifie mon travail comme étant vulgaire, superficiel et ambigu. Le troisième chapitre consiste en la description d’une installation réalisée au cours de la maitrise dans la salle d’exposition aux Ateliers du roulement à billes (RAB) de l’Université Laval. Le quatrième et dernier chapitre se concentre sur la présentation finale Nous sommes plusieurs et de ses composantes soit : le magazine, le kiosque et la semaine au Façades de la Gare, dans le quartier St-Roch, à Québec. Finalement, terminer sur une bonne note. Terminer sans terminer. Terminer pour poursuivre.

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1 - Ma vie est mon téléroman préféré

« Art should be familiar and enigmatic, just as human being themselves »2

Je suis née à Rouyn-Noranda en 1973. Fille d’un père concessionnaire automobile et d’une mère de famille. Être la troisième de trois enfants. Un bébé-stérilet pas prévu, mais voulu. Grandir en santé et normalement, les étapes du développement se suivant les unes après les autres. Tranquillement, platement, même un peu. Parce que tranquille égale plate, trop souvent dans l’opinion publique. Avoir des parents encore ensemble après plus de cinquante ans de vie commune. Une famille juste ce qu’il faut dysfonctionnelle et normale. Pas de drame majeur. Pas de grandes joies non plus. Un père homme d’affaires, une mère au tempérament rebel et artistique qui le soutient. Une grande sœur qui sait très jeune ce qu’elle veut faire dans la vie. Un grand frère qui me fait écouter du rock progressif et m’enseigne comment, entre autres, faire des boulettes à hamburger : le truc, comme dans tout, c’est de le faire avec amour.

Une vie normale, moyenne, ordinaire, banale. Pas de père marin ou de mère sénégalaise représentante à l’ONU. Faire l’école primaire, secondaire et les études collégiales dans cette ville anodine et magnifique. Commencer à tenir un journal intime en sixième année. Dessins, confidences, listes, retranscriptions de paroles de chansons. Déjà.

Grandir donc, en région éloignée, minée, aride. Selon mon amie Caroline, l’Abitibi-Témiscamingue est une « nature-répertoire ». Comme un film polonais, muet en noir et blanc. Une beauté pour les audacieux, qui se trouve en marge de ce qui est convenu. Qui est là sans artifice, pour qui veut bien se laisser toucher par un paysage au premier regard navrant, mais, recélant un charme à la fois improbable et manifeste. Ça part peut-être de là cet attrait pour le vulgaire. Pour les choses, les personnes, les lieux, qui n’ont pas la cote, au premier regard.

Étudier les sciences humaines avec mathématiques au CEGEP. Avoir fait capoter mon père avec toutes les fermetures de portes d’avenir que ce choix me causerait (on ne parle pas d’art, encore). Quitter la ville natale pour aller étudier la psychologie à l’Université McGill à Montréal.

2 Mc Collum, Allen, Ruppersberg : «What one loves about life are things that fade ». [En ligne]. http://allanmccolum.net/amcimages

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3 Découvrir l’anonymat et l’évidence d’être seule au monde. La seule et unique responsable de ma destinée. Délivrance, liberté, abandon. Terminer le baccalauréat en psychologie sans mention spéciale. Errer à Montréal. Travailler dans une panoplie de restaurants. Commencer à suivre des cours privés de batterie, dans le but de faire un DEC en musique qui n’a jamais été fait, finalement. Partir en tournée avec des ami(e)s à l’été 2000 et n’être plus jamais revenue habiter à Montréal. S’installer quelques années dans Charlevoix. Y faire deux projets d’exposition (une solo et une collective) grâce à la mesure « Jeunes Volontaires ». C’est là aussi que commence le travail en milieu communautaire. Un diplôme universitaire (même un simple baccalauréat) a une valeur en région. Centre-Femme et Maison des Jeunes. Se sentir utile. Commencer des cours de modelage et de dessin à raison d’un cours par semestre. Décider de m’y mettre sérieusement et quitter Charlevoix pour venir entreprendre un certificat en arts visuels à l’Université Laval. C’est également à cette époque que le travail au Centre Résidentiel et Communautaire Jacques-Cartier pour le projet de Cirque social Cirque du Monde s’enclenche.

C’était en 2003. Treize ans plus tard, travailler toujours pour le même projet et terminer la maitrise avec mémoire en arts visuels de l’Université Laval. Treize ans, deux enfants, un groupe de musique, le microprogramme en Création de livres d’artistes, des spectacles, des affiches, des pochettes d’album, la trentaine et puis la quarantaine. Une panoplie d’évènements (insignifiants ou majeurs), de rencontres et de choix ont mené ici, à la maitrise. C’est donc en septembre 2014 que cette aventure commence de façon officielle et encadrée.

Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient.

Méditer sur les notions du quotidien, de l’excellence et du commun. S’intéresser plus particulièrement aux questions liées à la norme, à l’authenticité et aux critères de réussite. À ce qui est singulier des personnes, des choses et des situations et à la place que ces singuliers, de prime abord et parfois banals, se tracent dans le commun. Observer les comportements, retenir de façon purement subjective les plus intéressants, leur donner un twist d’humour et de mystère en mot et en image et finalement, partager. Pour contribuer idéalement à nourrir une communauté, des communautés. Justes, égalitaires, inclusives. Aborder ces problématiques par le récit de soi dans le but que ce dernier trouve écho parmi les autres et leurs récits.

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4 Tenir un journal depuis plus de trente ans, y écrire quotidiennement presque tout avec le moins de censure possible. Croquis, liste, retranscription de phrases inspirantes. Encore. Se défouler, se raisonner, se répéter. Essayer de comprendre et parfois, y arriver. Le cahier de croquis, le journal et également l’atelier comme lieu de débuts, de conceptions. Travailler sur le long terme, en continuité. Être lente. Un petit peu chaque jour. Un croquis, un cliché, une idée griffonnée dans un cahier. La vie comme work in progress par excellence. Créer comme je vis, étape par étape, avec les éléments se construisant les uns par rapport aux autres. Être lente, mais m’y prendre d’avance. La création comme processus. S’intéresser plus aux étapes qui mènent à, plutôt qu’à la finalité.

Depuis aussi loin que la mémoire puisse se souvenir, il y a le dessin. Surtout des croquis, des dessins rapides, extrêmement graphiques, souvent dans un cahier de notes. À la maison, à l’atelier, au travail. En réunion, en attendant. Croquis, écriture, photographie. Une photographie tenant lieu souvent de fond, de support aux croquis et aux mots qui viennent ensuite. Une photographie de prétexte. Une photographie d’archive. Une photographie génératrice d’images, de souvenirs, de preuves. Les croquis, les mots, les photographies se réalisent en mode automatique, en élan volontaire, de façon assez simple et naturelle. Pas ou peu de mise en scène. Pas de reprise, de retouches, mais des variations, des ajouts, du trafic visuel. Une même image peut prendre diverses dimensions, peut resservir à la conception d’une autre image, peut participer à un autre projet. Ça se fait là et ça servira (peut-être, assurément) plus tard.

Voici ici quelques exemples de travaux réalisés, entre autres, au Baccalauréat en arts visuels. Ces derniers montrent une continuité tant dans mes propos et réflexions à propos de la communauté et du quotidien que de mes intérêts pour les collages, l’image et le mobilier.

We the people (2005)

Le projet We the people (figure 1) a été conçu lors du déploiement de la grève étudiante de 2005 dans un petit local adjacent à la classe de dessin de l’époque. Les collègues étudiants étaient invités à pénétrer dans la petite salle et à se promener parmi les « personnes » incarnées par les

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5 dessins à la gouache sur cartons. Au fond des rectangles rouges où il y était inscrit les premiers mots de la constitution américaine : We the people. Pour le côté rassembleur de ces mots et également pour souligner la force du nombre. Ce We the people d’antan se retrouve en partie dans le Nous sommes plusieurs dont il sera question au chapitre 3.

Figure 1. Julie Théberge, We the people, 2005, installation, gouaches, et papier kraft, dimensions 200 cm x120 cm x 200cm.

Ouvrez les tiroirs, feuilletez les cahiers (2008)

En 2008, pour l’exposition des finissants en Arts visuels de L’Université Laval, j’ai présenté

Ouvrez les tiroirs, feuilletez les cahiers (figure 2). Un meuble en pin de vingt tiroirs. Dans les

tiroirs, seize grilles photographiques et quatre cahiers. Au-dessus du meuble la citation suivante : « Some people have real problems ». Chaque lettre, une photo sur un bloc de MDF. Les images constituées de grilles photographiques proviennent essentiellement d’expériences du quotidien et de mes cahiers de croquis, de mes journaux intimes et agendas. Deux cahiers sont

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composés des bonshommes de We The People, un cahier de citations de chansons et un dernier de portraits d’artistes inspirants. Comme le titre l’indique, les gens étaient invités à ouvrir les tiroirs et découvrir ce qui s’y trouvait. Le propos était déjà de relativiser la place de l’art dans la vie, la société. Et de donner une place à la vie, à la société dans l’art.

Figure 2. Julie Théberge, Ouvrez les tiroirs, feuilletez les cahiers, 2008, installation, meuble en pin, grilles et citation photographique, livres artistes, dimension 180 cm x 70 cm x 150 cm.

P.S.O.O.V (2008, en cours)

P.S.O.O.V (Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient) est un projet toujours en cours,

mais, débuté en 2008, alors que j’étais en visite à Rouyn-Noranda, ma ville natale (figure 3). Les images proposées proviennent d’un projet d’auto publication. Ce sont des agrandissements des pages d’un livre Blurb3 en noir et blanc où certains éléments ont été redessinés. De ce fait, la trame d’impression ainsi que le trait au feutre deviennent très présents, donnant ainsi une allure de bande dessinée. Les interventions à l’encre mettent en avant-scène certains éléments, en cachent d'autres, et refont la scénographie de la prise de vue. Des années plus tard, j’ai réutilisé ce traitement avec d’autres images, notamment pour des photographies de mes tables de travail.

P.S.O.O.V est un projet encore en cours de réalisation. L’idée est de mettre en lien les clichés de

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ma ville natale, mon passé, avec la vie d’aujourd’hui afin d’explorer ces mystérieuses tournures d’évènements totalement imprévisibles qui m’ont amené jusqu’ici.

Figure 3. Julie Théberge, P.S.O.O.V, 2008-à aujourd’hui. Photographie, dessin. Dimensions variables.

J’avais prévu mourir à 96 ans (2013)

J’avais prévu mourir à 96 ans (figure 4) est un projet réalisé dans le cadre du

Microprogramme Création de livre d’artiste, à l’Université Laval en 2013. J’ai eu quarante ans le 8 juin 2013. L’année précédant cette date s’est déroulée principalement à anticiper ce tournant de vie. Il allait se passer quoi, à quarante ans? Cette anticipation m’a amené à penser à ce projet de livre : un bilan des quatre dernières décennies et une visualisation sommaire et pleine d’espoir des prochaines à venir. Le 9 juin 2013 au matin, le tournant effectué et la vie qui continue, j’ai

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8 respiré et me suis dit que le plus difficile, ce n’est pas d’avoir eu quarante ans, mais bien trente-neuf! Le projet est un coffret de dix livres. La source de tout ce qui s’y trouve provient de mes journaux intimes (plus d’une soixantaine) que j’ai feuilleté un à un, photocopiant les mots et les images qui étaient pertinentes. J’ai réalisé ensuite cent collages, de formats 5 ½ x 8 ½ pouces sur des papiers blancs commerciaux de 8 ½ x 11 pouces. Chaque collage devenant une page de livre. En tout, dix livres pour autant de décennies et un boitier qui contient une vie. Une vie qui tient dans un boitier. L’histoire d’une vie. Celle déjà vécue et celle à venir.

Figure 4. Julie Théberge, J’avais prévu mourir à 96 ans, 2013, livre d’artiste, papier, carton, photocopie, dimensions 15cm x 25 cm x10 cm.

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Septembre 2014 : transformer des intuitions en convictions?

Entreprendre la démarche de la maitrise avec le souhait de transformer mes intuitions en convictions. Des intuitions relatives au mobilier, aux tiroirs, aux espaces restreints en relation aux images et publications. Aux récits, biographiques ou non. Aux idées nuancées, ambigues, superficielles et vulgaires.

En septembre 2014 j’éprouvais une grande difficulté à identifier mes choix, mes préférences. Tout était encore possible. Je n’ai finalement pas transformé mes intuitions en convictions. Je ne tiens pas à avoir raison. Quand j’argumente un point je vois souvent la contre argument de ce dernier, qui peut au final, être pertinent aussi. De plus, il m’arrive de me contredire et même de changer d’idée (je ne crois pas être la seule, nous sommes surement plusieurs). Je n’ai donc pas transformé mes intuitions en conviction. J’ai tout de même pris confiance et conscience de la valeur de mes points de vue et du contour manifeste, mais large de ma pratique artistique. M’intéresser à un grand nombre de sujets. En entrant à la maitrise, j’avais le sentiment d’être tout et rien à la fois. Même si j’étais consciente de certaines préférences et tendances, mon identité en tant qu’artiste était encore floue. Avec la maitrise, ces contours de ma pratique se sont circonscrits. Ils sont larges, certes, mais les limites me sont plus clairs à présent. Ne pas vouloir convaincre, mais ne plus vouloir me taire, non plus.

Faire l’exercice de la maitrise m’a amené à éclaircir certaines problématiques. Premièrement, identifier quels objets font office de constantes dans ma pratique artistique et deuxièmement valider, auprès d’une communauté de pensée et de création, cette tendance que je possède à relativiser constamment. En effet, accorder une importance à la nuance des choses me semble être un de ces objets centraux qui m’anime. Qu’il soit question de valeurs accordées aux mots ou aux gens ou qu’on s’intéresse aux questions liées à la norme et à la réussite.

Il est périlleux de se définir quand on valorise la nuance. Vouloir croire en l’ambigüité de l’art et de l’expérience humaine n’est-il pas un peu contradictoire? Pour reprendre la citation en début de cette section, il me semble effectivement que l’art se doit d’être aussi énigmatique et familier que les humains eux-mêmes. C’est là où se situe toute la problématique de ma pratique artistique :

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10 Est-il possible d’arriver à cerner le travail de création, l’expérience de vie personnelle et collective sans limiter, hiérarchiser ou mettre en contradiction?

Aborder la vie et l’art dans un mode « continuum arborescent ». Dire quelque chose et parler de son contraire, en même temps. S’intéresser aux détails en gardant le « big picture » en tête. Être simple et complexe à la fois, décidée et ouverte, et ce tant dans la vie que dans l’art. Au quotidien.

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2 - Tout et son contraire : s’inscrire dans le quotidien

Aborder des problématiques relatives au quotidien, au commun, à la norme et la marginalité de façon évidemment subjective. Dans le cadre de la maitrise plusieurs lectures ont été entreprises sur le sujet du quotidien, dont des ouvrages tels Esthétique de la vie ordinaire de Barbara Formis, Critique de la vie quotidienne II : fondements d’une sociologie de la quotidienneté d’Henri Lefebvre, et surtout l’anthologie The everyday. Documents of contemporary art de Stephen Johnstone.

Depuis des décennies divers auteurs dans les domaines de l’art, de la philosophie et de la sociologie, se sont intéressés à la problématique du quotidien. Les Formis, Lefebvre, Danto, Perec, Blanchot, De Certeau, pour ne nommer que ceux-là, se sont penchés sur les questions liées au quotidien et aux sujets qui en découlent avec chacun leurs approches, leurs visions de ce sujet sont à la fois vagues et précis. L’écrivain George Perec à ce sujet écrit:

Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, ou est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infraordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire? Interroger l’habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. (…) Mais où est-elle, notre vie ? (…) Comment parler de ces " choses communes ", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.4

Des courants artistiques se sont également associés à des préoccupations du quotidien tels que Fluxus, Dada, et l’Internationale situationniste, par exemple.

C’est dans ces recherches à propos du quotidien que j’ai trouvé une communauté de pensée. Je ne suis pas d’accord avec tout, et je ne maitrise pas encore toute l’étendue de ces ouvrages en lien avec le sujet. Je sais cependant que depuis bien avant de lire ces livres, ces questions (du privé, du commun) me passionnaient et m’animaient déjà. Je sais maintenant que ces préoccupations se retrouvent dans un champ de recherche qui se désigne sous l’appellation du « quotidien ».

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12 Dans ces lectures j’ai trouvé des auteurs qui traitent de cette problématique en abordant l’ambigüité favorablement, comme dans cet extrait de Henri Lefebvre :

Il est vrai que la critique de la vie quotidienne soulève la question d’authenticité, mais à sa manière. En soi, la vie quotidienne n’est ni l’authentique ni l’inauthentique. Elle définirait plutôt le milieu et le temps où ils se confrontent. 5

J’ai certaines réticences face aux certitudes, aux experts qui croient tout comprendre, aux gens qui souhaitent fixer les choses et ne plus se poser de questions. Cette manière de parler d’une chose (que se soit le quotidien ou tout autre sujet) en tant que « temps ou un milieu » rejoint mes perceptions de l’art et de la vie.

C’est également dans ces lectures que j’ai trouvé des auteurs qui donnent du pouvoir et de la force aux moments simples de la vie. Regarder le quotidien, notre quotidien comme un lieu fait d’obligations et de responsabilités certes, mais également de choix et de pouvoirs. Pour les théoriciens du quotidien, les liens sont serrés entre les micros gestes de la vie quotidienne et les macros structures de société. Nikos Papastergiadis dans « Spatial aesthetics : art, place, and the everyday »6 à ce sujet :

The concept of the everyday was not a retreat or an escape from the social, but a means of rethinking the relationship between the particular and the general, or how attention to the detail of daily life can reveal an insight into the broader system.

Finalement, ces lectures ont validé ma vision sur comment les sphères de vie (personnelle, professionnelle, publique, etc.) et les domaines d’activité ou de recherche (art, philosophie, chimie, économie, etc.) sont singuliers et importants sans toutefois devoir les hiérarchiser. Tous, connectés et en constant dialogue les un avec les autres, dans un esprit de circulation et d’équivalence. Lefebvre, encore une fois :

5Lefebvre, Henri. Critique de la vie quotidienne II. Fondements d’une sociologie de la quotidienneté. L’arche éditeur à Paris,1961. p. 29

6 Papastergiadis, Nikos. Spatial aesthetics :art, place, and the everyday. Theory on demand #5, Institute of network culture, Amsterdam, 2010,

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C’est dans la vie quotidienne et à partir d’elle que s’accomplissent les véritables créations, celles qui produisent l’humain et que produisent les hommes au cours de leur humanisation : leurs œuvres. Ces activités supérieures naissent de germes contenus dans la pratique quotidienne. La raison s’y forme, dès l’instant où le groupe et l’individu peuvent et doivent prévoir, organiser leur temps, utiliser leurs moyens. Dans la banalité des jours, l’œil apprend à voir, l’oreille à entendre, le corps à suivre des rythmes. Mais l’essentiel n’est pas là. Le plus important, c’est de noter que les sentiments, les idées, les styles de vie, les jouissances se confirment dans la quotidienneté. Même et surtout quand des activités exceptionnelles les ont créées, il leur faut revenir vers la vie quotidienne pour vérifier et confirmer la validité de la création. Ce qui se produit ou se construit dans les sphères supérieures de la pratique sociale doit montrer sa vérité dans le quotidien, qu’il s’agisse de l’art, de la philosophie, de la politique.7

Des maquettes, pas des immeubles

Faire des raccourcis, des interprétations. Le champ de recherche à propos du quotidien est complexe et ne pourra pas être traité dans toute son étendue. Il s’agit ici de situer une pratique à l’intérieur d’un champ de recherche existant depuis longtemps et interrogé par plusieurs. Me joindre à eux bien humblement, mais totalement intriguée, curieuse et engagée. Ajouter ma contribution non pas en tant que philosophe ou sociologue, mais en tant qu’artiste.

À mon avis, cette posture d’artiste en est une noble et importante. Elle est également commune et banale. Précieuse et anodine. Elle échappe à toute autre catégorie de travail ou de recherche. Pourtant, l’art est sans conteste tout aussi important dans le développement de l’homme que n’importe quelle science (pures ou humaines). Quand je dis que j’aborde cette problématique en tant qu’artiste, c’est que je ne m’affiche en aucun cas comme spécialiste de cette dernière. Cela ne veut pas dire que mes réflexions ou observations ne soient pas éclairantes, ou pertinentes, mais l’approche se veut intuitive, expérientielle et imagée.

Un peu à la manière dont en parle Claude Lévis-Strauss, dans son livre La pensée sauvage. Pour lui « l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur »8. Lévis-Strauss décrivant le bricoleur comme celui qui fait avec ce qui lui tombe sous la main, de façon plus intuitive que son acolyte le savant qui cherche à créer de l’ordre afin de vaincre le chaos de l’existence humaine. Étant les deux à la fois, cela confère à l’artiste un statut ambigu. À la fois organisé et changeant. Réfléchi et intuitif.

7 ibid p 49-50

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14 Si j’énonce des maquettes, pas des immeubles, c’est ma manière bien personnelle d’illustrer ce propos de Lévis-Strauss. Ne pas en avoir contre les immeubles. Majestueux, solide, quasi permanent ; comment vivre sans maison, sans lieu de travail, de vie, de commerce, de culture? Associer bien librement les immeubles aux savants. Préférer toutefois les maquettes, les plans, les essais, les esquisses. Réalisés avec ce qui tombe sous la main, avec ce qui est disponible, tel un bricoleur. Une maquette est vulgaire à côté d’un immeuble. Vulgaire dans la simplicité de la réalisation, dans les matériaux utilisés, dans sa fonction. Une maquette c’est un début, ça ne sert à rien d’autre qu’à préparer. Ça reste à la surface. C’est rempli de promesses, de possibilités, de changements. Un immeuble se suffit à lui-même, il est déterminé. Son emplacement, sa fonction, sa finalité ne laissent place à aucun flou. Me situer plutôt du côté des maquettes, de ce qu’elles incarnent que de celui des immeubles. Simple question d’intérêt, d’attirance, d’émotion, car une maquette sans immeuble c’est dommage, et un immeuble sans maquette, risqué.

Tout cela donc, pour arriver à exprimer que ce que j’avance dans ce texte est purement subjectif, mais tout de même informé. Je ne me qualifierais jamais de spécialiste du quotidien ou même de l’art, ou de quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Me qualifier toutefois, d’adepte, de fervente, de passeuse d’idée.

L’excellence ordinaire

Quotidien, ordinaire, banal, commun, normal. Les termes se mélangent. Ils ne veulent pas tous dire la même chose. Il y a des nuances, mais ils naviguent dans des eaux communes. Dans son livre Esthétique de la vie ordinaire, Barbara Formis fait la différence entre l’ordinaire et le quotidien. Quoique liés, les deux termes possèdent des subtilités intéressantes :

En un sens, l’ordinaire englobe plusieurs quotidiens : il est une modalité de vivre, alors que le quotidien réunit les multiples applications singulières de cette modalité générale. Si le quotidien est privé et intime, l’ordinaire est collectif et social. Si le quotidien est ce que chacun fait, l’ordinaire est ce qui pourrait être fait par n’importe qui. Le quotidien est dans l’effectif, l’ordinaire dans le potentiel. (…) Si le quotidien consiste en une série d’activités personnelles journalières et reste donc dans l’ordre du réel, l’ordinaire, quant à lui n’est pas toujours une exécution, mais bien souvent une potentialité d’exécution. L’ordinaire ajoute au réel une dimension du possible.

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(…) Contrairement au quotidien, l’ordinaire aspire à l’universel, et ne peut le faire qu’en maintenant sa nature ordinaire, quitte à ne jamais devenir stupéfiant. L’universalité de l’ordinaire se mêle à sa neutralité.9

Ne pas chercher à hiérarchiser les termes. Les divers propos de ces lectures sur la problématique du quotidien fluctuent et sont certes critiquables. Tant mieux, c’est là tout l’intérêt porté à ce sujet : les associations et les confusions possibles entre « quotidien », « quotidienneté », « ordinaire », « vie », « norme » « commun » et « privé ». Tous ces mots se retrouvent associés les uns aux autres dans les citations de Perec, de Lefebvre et de Formis. Ce sont les associations qui m’intéressent, pas les catégorisations.

Ne pas avoir de préférence ni pour le terme « quotidien » ni pour « ordinaire ». Dans le contexte de ma pratique artistique, il y a du quotidien et de l’ordinaire. La pratique du journal intime, par sa répétition régulière et son contenu, est un des exemples de la place du quotidien dans ma pratique artistique. La majorité des images ou objet trouvent leur origine dans un de mes journaux intimes. C’est effectivement privé et quotidien et ça s’en va parfois dans la collectivité. Pour suggérer. Pour aller vers l’autre.

Honnêtement, pour chaque explication donnée pour parler de mon travail artistique il se trouve une tonne d’autres exemples d’artistes qui poussent ou ont poussé plus loin les propos que je tiens. S’il y a du quotidien dans mon travail, il y a aussi de l’ordinaire, ou ce que je nomme à l’occasion « faire de l’art normal ». Ne pas tester les limites. Préférer les seuils, les intersections. Avoir une vie normale. Faire de l’art normal. Rien de provocateur, rien de magistral, d’époustouflant. Ça va, c’est comme ça. Vivre la vie en santé, en couple, en travaillant. Faire de l’art est à la fois normal et exceptionnel, tout comme la vie qu’on bâtit, qu’on subit, qu’on choisit. Vivre des moments extraordinaires dans le banal du quotidien. Concevoir des œuvres dans le quotidien de l’atelier. Chaque chose autonome, mais liée les unes aux autres.

C’est dans la foulée de rapprocher des idées qui en apparence s’opposent que l’expression « excellence ordinaire » est apparue. Dans ma façon d’aborder la chose, cela veut dire vivre authentiquement. Par là j’entends dans le but de se plaire à soi. De répondre le plus fidèlement

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16 possible à nos propres aspirations, de vivre selon nos valeurs les plus intrinsèques sans se soucier ou le plus modestement possible de ce que le reste du monde peut bien en penser. Pour en revenir aux citations de Lefebvre, c’est de redorer l’expérience de la vie au quotidien. À l’ère des réseaux sociaux, de la société du spectacle et du branding personnel, vivre de cette manière semble aller à l’encontre d’un courant social occidental. L’excellence ordinaire est une action, un geste, qui n’aboutit pas sur Facebook, qui ne gagne pas de prix ou de mention, qui ne triomphe pas. Qui n’est pas supérieure à une autre, mais qui est. Authentique, complète et nécessaire. Savoir que plein d’autres personnes pensent la même chose tout en ayant l’impression de se trouver dans une structure sociale où ces visons de la vie demeurent en marge, et ce depuis longtemps. Ce genre de discours a toujours été tenu par des marginaux, des artistes, des intellectuels. Comment faire en sorte qu’il devienne la norme? C’est la question que je me pose continuellement.

Parler d’excellence ordinaire c’est aussi aborder la notion de valeur qu’on accorde aux mots, aux gens et aux objets. Cogiter depuis toujours sur la notion de valeur ; sur la nature et l’origine de cette valeur qu’on accorde bien subjectivement, et de comment s’établissent les échelles de valeurs. Tout n’est pas pareil, mais tout à une valeur.

Ambigüité, vulgarité et superficialité

Décrire ma pratique artistique comme étant vulgaire, ambigüe et superficielle. Pourquoi utiliser des termes nouveaux, à connotations « négatives » quand je pourrais perpétuer des termes déjà utilisés et expliqués historiquement? Parce que les mots sont neutres, en réalité. Ce sont les humains qui leur donnent une connotation « positive » ou « négative » et ce, selon les cultures et les moments de l’histoire. En utilisant des termes à connotation « négative », le but est de tenter de déhiarchiser autant les mots que de ce à quoi ils font référence.

Je pourrais, comme certains l’utilisent, parler d’indétermination, mais j’aime mieux parler d’ambigüité. La préférence pour le terme ambigüité est bien subjective : « indéterminé » est en relation avec « déterminé ». Quelque chose, une situation est indéterminée en attendant sa détermination. Le mot ambigüité se suffit à lui-même. Une situation une chose peut être ambigüe

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17 et se clarifier par la suite, mais, à mon avis, il n’y a pas ce sentiment d’attente, d’expectative de résolution de l’ambigüité. Une situation est ambigüe, car elle est deux choses en même temps et c’est comme ça.

Je pourrais aussi, toujours comme chez Formis, faire appel au terme « ordinaire », mais j’aime mieux utiliser le terme « vulgaire ». Ces deux mots sont tout de même apparentés : un truc commun ou ordinaire est souvent également qualifié de vulgaire comme dans la phrase « elle était coiffée d’un vulgaire chapeau ». On préfère de façon générale le terme « ordinaire » à « vulgaire ». Sûrement parce que le dernier fait référence au mauvais goût , mais ce qui est partagé de plusieurs n’est pas nécessairement de mauvais goût. Et le mauvais goût, qui le définit? Souvent une poignée de personnes décidant pour l’ensemble des autres. Donc, à ce moment, qui est vulgaire? Le mot vulgaire amène pourtant aussi le mot « vulgariser » qui veut dire rendre accessible. Finalement vulgaire, ça veut aussi signifier commun. Commun comme dans partagé de tous. Ne sommes-nous pas tous un peu vulgaires?

Le terme superficiel, quant à lui, réfère à ma nature généraliste, ou « spécialiste de rien », comme j’aime bien le dire, à la posture d’artiste dont il a été question plus haut dans ce texte et à cette idée d’approfondir en largeur. Couvrir horizontalement une large superficie plutôt que de fonctionner verticalement. Lefebvre sur ce sujet :

La critique de la vie quotidienne ne s’érige pas en spécialité nouvelle, en branche particulière de la sociologie. C’est une critique totale de la totalité qu’elle entreprend et assume. Les recherches les plus spécialisées et les plus techniques sont légitimes à une condition : qu’elles ne se transforment pas en dictature technocratique dans les sciences sociales (et ailleurs) et que les spécialistes admettent la « positivité » de plusieurs concepts négatifs et critiques, qui n’introduisent pas des jugements de valeur extérieurs aux faits, mais se révèlent nécessaires pour la connaissance des faits.10

Dans cette citation, Lefebvre fait référence au quotidien, mais je suis d’avis qu’il en est de même pour toutes les sphères de recherche. Idéalement arriver à faire en sorte que le travail soit vulgaire et recherché, superficiel et réfléchi, ambigu et juste. Être cohérente et hétéroclite. Les choses sont contradictoires seulement dans un mode de pensée binaire, en noir et blanc. En bons et en mauvais. En dedans et en dehors. N’aborder ni la vie ni l’art de cette manière. Tout est plus

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18 nuancé que ça. Vivre la vie en dégradé. Utiliser l’art afin de souligner les nuances, et ce dont je conçois être l’ambigüité, la vulgarité et la superficialité. Dans le quotidien et dans l’art. Aller à leur rencontre. Essayer de s’y soumettre. Arrêter de vouloir les contrer. Les embrasser, simplement.

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3 – Expérimentations, mise en espace, constats

Ce chapitre portera sur les expérimentations effectuées en atelier durant la maitrise et des constatations qui en ont résulté.

Aux mots, aux croquis et aux images faites lors du baccalauréat, s’est ajouté durant la maitrise le travail avec la linogravure, les cabinets anecdotiques, les autocollants, les tampons encreurs, et ce, toujours dans un esprit de continuité, de progression, de modulation et de développement. Constance dans les matériaux, les techniques, les stratégies de conception et les modes de présentation (figure 5).

Figure 5. Julie Théberge, gamme visuelle, 2016, post it, feutre, ruban collant, dimensions 30 cm x12 cm.

Penser ces outils et ces stratégies comme une sorte de gamme visuelle servant à composer. Comme les notes de base pour les musiciens. Sept notes qui donnent possibilité à une infinitude de mélodies. Fonctionner à la manière d’une auteure, compositrice, interprète, mais en arts visuels. Parfois photographie, parfois croquis, parfois linogravure. Les deux, les trois combinés en collage et/ou en grille et/ou en cabinet. Sur du carton ou du papier. Les techniques, matériaux,

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20 stratégies de conception et les modes de présentions s’amalgament, se changent, s’unissent et se mélangent selon ce qui est disponible, selon l’humeur et selon ce que dicte le travail en cours. Les premières explorations en atelier ont été les cabinets anecdotiques. Ces cabinets anecdotiques (figures 6, 7, 8, 9) sont des constructions de cartons où se posent des images découpées et collées, des tissus agrémentés de linogravures, des objets trouvés, parfois. Un cabinet anecdotique est un petit lieu où une histoire anodine prend place.

Figure 6. Julie Théberge. Tous ceux qui croient le savent, 2014, photographie, carton, papier, autocollants, 20 cm x 12 cm x 15 cm.

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21 Figure 7. Julie Théberge. Underdog, 2015, carton, tissus, duct tape, boite, figurine, linogravure, 43 cm x 55 cm x 8 cm, photographie Julie Bouffard.

Figure 8. Julie Théberge. Soyez vigilants, 2015, duct tape, carton, linogravure, ficelle, boutons. 20 cm x 15 cm x 26 cm, photographie Julie Bouffard.

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22 Figure 9. Julie Théberge. Nous sommes plusieurs, 2015, carton, tissus, transfert d’image, duct tape, photocopies, papiers, boutons, linogravure, 110 cm x 70 cm x 18 cm, photographie Julie Bouffard.

À mi-parcours de la maitrise (juillet 2015) et pour me préparer à l’examen de projet, j’ai réalisé une mise en espace dans la salle de critique au RAB (Figures 10 à 17). Des photos aux cadres en carton et duct tape, une grille de collage, une robe à motif de spirographe, des cabinets anecdotiques et autres conceptions se sont retrouvés hors de l’atelier, afin de tester leur valeur particulière et collective

Figure 10. Julie Théberge. Vue partielle montage photo, installation au RAB, 2015, pegboard, duct tape, photographies, clipboard.

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23 Figure 11. Julie Théberge. Vue partielle, installation au RAB, 2015, tablette, cadre, carton, étiquettes, bloc MDF, linogravure, papier. 135 cm x 15 cm x 28 cm, photographie Julie Bouffard.

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24 Figure 13. Julie Théberge. Tout et son contraire, vue partielle, 2015, boite, papier, duct tape,

linogravure, ruban, boutons, 80 cm x 60 cm, photographie Julie Bouffard.

Figure 14. Julie Théberge. Tout et son contraire, détail, 2015, carton, linogravure, papier carton, photographie Julie Bouffard.

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25 Figure 15. Julie Théberge. Tout et son contraire, vue partielle, 2015, robe, transfert d’image. 50 cm x 130 cm, photographie Julie Bouffard.

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26 Figure 17. Julie Théberge. Tout et son contraire, 2015, carton, duct tape, transfert d’image, linogravure, robe, photocopies, 220 cm x 140 cm x 200 cm, photographie Julie Bouffard.

Dans l’espace, des cimaises ont été installées afin de créer des lieux de consultation des propositions. Des chaises ont également été mise à la disposition du visiteur (figures 18 et 19) dans le but de l’encourager à rester un peu plus longtemps et ainsi profiter librement et confortablement de l’énergie qui se dégageait des œuvres.

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27 Figure 19. Julie Théberge. Installation au RAB, vue partielle, 2015, photographie Julie Bouffard.

Cette mise en espace a été des plus bénéfique pour les divers commentaires que j’ai reçus, mais surtout, pour le processus et la vision globale des pièces hors de l’atelier. Il y a incontestablement une cohérence, une facture esthétique visuelle qui se dégage des pièces. À ce moment, le constat était que malgré la particularité de chaque proposition, la coexistence des pièces était également possible. Chacune des propositions portait en elle la potentialité de se développer encore, de continuer à se décliner de plusieurs façons. Laquelle donc, devais-je poursuivre? Devais-je en créer une autre, qui resserrerait plus encore les liens entre les pièces? Dans cette mise en espace il n’y avait pas de publication. Suite à la mise en espace, l’appel du livre d’artiste et l’envie de travailler sur une direction plus cohérente pour la proposition finale se sont fait sentir.

C’est donc au fil des réflexions et discussions que s’est tramées l’idée de la présentation finale dont il sera question au prochain chapitre.

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4- Nous sommes plusieurs

Dans ce quatrième chapitre, il sera question de la présentation finale Nous sommes plusieurs; le magazine Nous sommes plusieurs. Fonctionner tel un entonnoir : explorer la forme générale des magazines, puis les magazines d’artistes et autres inspirations pour arriver aux détails de la proposition du magazine Nous sommes plusieurs.

La forme magazine

Au cours des années, une diversité de publications s’est développée et maintenue dans l’histoire. Qu’on parle d’almanachs, de bulletins, de revues, de magazines, de feuillets ou de fanzines, un des buts communs de ces publications est la diffusion d’information de manière écrite et visuelle, et ce périodiquement. Les sujets sont aussi nombreux que les formes que prennent les publications ou le rythme auquel elles sont publiées. En effet, le spectre couvre aisément un fanzine broché et photocopié en noir et blanc, une revue spécialisée au rendu léché, ainsi que tout ce qui se trouve entre les deux. Sport, mode, science, voiture, technologie, actualité, etc. Tous ces sujets ont des périodiques associés à leur développement, leur promotion.

Il en est de même pour l’art. Il existe des revues spécialisées telles que Artforum, October, ou

Arts and Language dont la mission première est la critique, l’analyse, et l’évaluation du travail

artistique. Il existe également des publications d’artistes, dont les magazines d’artistes. Ces derniers misent sur la valorisation du dialogue, de la circulation d’idées et d’oeuvres par les artistes eux-mêmes.

Les magazines d’artistes

L’attrait des artistes utilisant les mots et les images pour les formes de publications, tel le magazine réside dans la possibilité d’utiliser de telles publications comme des lieux, à la fois, de conception et de diffusion et d’agir comme moyen d’information et de dénonciation. Il n’est pas rare, pour plusieurs artistes, d’aborder le magazine comme un lieu de création. Gwen Allen professeure associée d’histoire de l’art à San Francisco State University sur le sujet du magazine comme lieu d’art alternatif:

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When three young artists formed the collective LTTR in New York in 2001, the first thing they did was publish a journal. (…) it would fonction as « a place where we can share/show our work next to each other », a « space to question our development as artists, workers and thinkers », and perhaps most tellingly, an opportunity “to imagine ourselves”. In other words, the magazine was not meant merely to document or chronicle their work, but to bring it into being.11

Il existe plusieurs manifestations de magazines d’artiste. Voici trois exemples de telles publications : Semina, Aspen et Avalanche. Il ne s’agit pas ici de faire l’analyse de ces ouvrages, il y aurait assez de matière pour une thèse de doctorat, mais bien d’indiquer quelques alliés et sources d’inspirations.

Semina

Figure 20. Couvertures et contenu de Semina.

http://www.cdn.realitystudio/image/bibliographic_bunker/semina/covers/semina.group.

Publié de 1955 à 1964 par Wallace Barman, le magazine/publication d’art postal Semina (figure 20) a bénéficié des contributions d’écrivains et d’artistes tels que William S. Bourroughs, Charles Bukowsky, Jean Cocteau, Allen Ginsberg, entre autres. Assemblé et distribué entre amis, ce projet se voulait aussi fragile et indéterminé que la vie :

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Friends were drawn together into the assemblage of the magazine, but then the magazine is also sent to acquaintances who are drawn into the circle of friends, so it expands (…) One cannot purchase or request Semina, it simply comes to you. The magazine is outside the realm of commodity and merchandising and purchase. There’s nothing to consume. (…) Semina is made out of the materials of mortality, such as poster papers, cardboard, cheap twine, slick industrial paper. (…) The magazine is an aesthetic in itself. (…) Semina was unwholesome. In the age where the eight-cylinder Buick, the grey flannel suit and the tract home represented wholesomeness, Semina was the ultimate unwholesome object and we gloried in it. It was a magazine or assemblage, that would fling together Cocteau and Orson Welles and Meltzer and Altoon and Bukowsky, with no thought of the inherent contradictions of doing so. Part of the game rule was to do away with rules. (…)Semina says « everything is as flimsy as this magazine is. Here’s a dose of reality for you. 12

Ce discours des beatniks, quoique connu et maintes fois répété, semble toujours d’actualité. Le message est connu certes, mais à mon avis, il peine à intégrer solidement l’ensemble de la société. Dans la citation l’auteur parle de la Buick huit cylindres ou du complet gris, mais on pourrait les remplacer par un iPhone et un statut Facebook glorieux. Le malaise est encore le même et le besoin de revenir à des valeurs plus humaines toujours aussi présent.

Aspen

Figure 21. Les dix éditions d’Aspen, couvertures et contenus.

http://www.artistbooksandmultiples.blogspot.ca/aspen.magazine-1966-1971.

Une des plus impressionnantes publications artistiques est Aspen (figure 21). Ce magazine présenté dans une boite a été publié par Phyllis Johnson de 1965 à 1971 irrégulièrement à dix reprises. Chaque édition avait son designer, son éditeur, ses collaborateurs, et ses thèmes. Des artistes aussi diversifiés dans leurs domaines tels Andy Warhol, John Lennon, Yoko Ono, Dan

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31 Graham, Susan Sontag, John Cage, Merce Cunningham ont contribué à ce projet multi disciplinaire. On ne savait pas quand allait arriver le magazine ni sous quelle forme. Sa facture était imprévisible et libre.

Avalanche

Figure 22. Couvertures et contenu d’Avalanche. http://www.theartofprinting.org/tag/avalanche.

Un dernier exemple est la publication Avalanche (figure 22) qui a été publiée de 1970 à 1976 avec en tout, treize parutions. Les huit premiers étaient considérés comme des magazines, les cinq derniers comme des journaux. Surtout à cause du papier utilisé pour la publication.

Avalanche est associé au mouvement post-minimaliste et post-studio conceptuel des États-Unis

et d’Europe. Avalanche se dissociait de toutes démarches critiques. La publication est notable pour son insistance à laisser les artistes s’exprimer eux-mêmes à propos de leur travail et est remplie d’entretien entre les artistes et les éditeurs Willoughby Sharp et Liza Béar.

Après les années 70

Les exemples ne manquent pas pour illustrer la richesse des possibilités, de l’autonomie et du pouvoir de réflexion et de contestation de ce médium. Dans les années 80 et 90, plusieurs autres périodiques voient le jour : certains aux accents militants (LIP, un magazine d’art féministe australien, figure 23), d’autres à l’esthétique DIY13 (fanzines tels que ceux de Riot Grrrl, figure

13 DIY qui vient de l’expression anglaise « Do it yourself » dont la traduction directe est « fais-le toi-même » ou le « fait-main ». Le DIY est un

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32 24) ou aux valeurs Punks (Tripping Corpse, Raymond Pettibon, figure 25), et d’autres plus près de nous (Les publications de Julie Doucet, figure 26)

Figure 23. Magazine australien LIP. Couverture et intérieurs.

http://www.calffplusando.blogspot.ca/2013/06/the-lip-anthology-australian-feminist

Figure 24. Couvertures des fanzines, manifeste Riot Grrrl et détail de l’intérieur d’un des fanzines. http://www.wemakezines.ning.com/profiles/blogs/riot-grrrl-manifesto

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33 Figure 25. Couvertures Tripping Corpse. http://www.hey-ho-curio.tumblr.com

Figure 26. Couvertures et table de travail. Julie Doucet. http://www.juliedoucet.net

Aujourd’hui, ces formes de publications imprimées existent encore, auxquelles se sont ajouté les blogues et autres sites web. Aux photocopies en noir et blanc et aux collages/montages/assemblages à la main se sont greffés les logiciels de publication et les impressions facilement accessibles. Le monde de l’autoédition est largement alimenté grâce, entre autres à internet. Les propositions, les propos, les factures visuelles et les modes de diffusion sont maintenant aussi diversifiés que les individus ou les groupes qui les produisent.

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Nous sommes plusieurs : le magazine et ses composantes.

Nous sommes plusieurs est un magazine édité, publié et rédigé par moi-même avec la

collaboration d’un petit nombre d’ami(e)s (voir annexe pour la totalité du magazine).

Le titre Nous sommes plusieurs du magazine s’attache aux questionnements portant sur les notions du commun (dans sa version collective et dans sa version banale). Nous sommes plusieurs à faire de l’art, nous sommes plusieurs à vivre, nous sommes plusieurs à travailler, à en avoir marre, à vouloir nous réaliser, à aimer, rire, faire des enfants, à se tromper, essayer, à réussir, à échouer. À vouloir plus, espérer, bâtir, et à vouloir se mobiliser, se réunir, tout en respectant nos réalités individuelles. Nous sommes plusieurs à, mais pas tous les même en même temps. Comment arrivé donc, à synchroniser des communs avec la multiplicité des singuliers? Si le titre Nous sommes plusieurs est plus générique et volontairement énigmatique, les thèmes Idées, commun (auté), comportements servent à préciser le contenu de la publication tout en demeurant large.

Il y a eu, au début de la maitrise, la conception du logo psycho / pop \ art (figure 27). Ce dernier s’est transmuté en thèmes du magazine Nous sommes plusieurs. Le cœur des intérêts est là, depuis toujours. Psycho-pop, art pop. Pop comme dans populaire. Populaire comme dans commun. Commun comme dans plusieurs. Plusieurs comme dans communauté. Commun comme dans ordinaire. Ordinaire comme dans vulgaire. Vulgaire comme dans banal. Banal comme dans normal…

Ces thèmes englobent mes intérêts personnels. Intérêts qui se traduisent en réalisations artistiques. Un Baccalauréat en psychologie, plus de quinze ans à travailler dans le communautaire et une maitrise en art témoignent de l’attirance et l’engagement que je possède envers ces champs d’action, de pensée, de recherche et d’applications concrètes dans la vie. L’art et la psychologie étant des champs classiques d’étude et d’implication. Le communautaire servant de transit par lequel l’art et la psychologie passent et font sens, dans mon cas. En somme, des œuvres (idées) qui mènent à des actions (comportements), qui mènent à des alliances (communauté).

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35 Figure 27. Julie Théberge, logo psycho / pop \ art, 2014, encre et tampon encreur.

Idées

Dans le cas du magazine Nous sommes plusieurs, le souhait est de communiquer d’abord et avant tout des idées. La façon la plus efficace et significative pour moi de le faire est à travers des méthodes du monde des arts, tels l’écriture, le dessin, la photographie et l’estampe.

Le magazine Nous sommes plusieurs est un magazine d’artiste. Par conséquent devient-il un magazine d’art? Peut-être. Être convaincue que cela dépend de qui le consulte. Considérer l’art comme une expérience sensorielle, esthétique et conceptuelle. Pourquoi parler d’art quand le thème abordé ici est idée? Pour la raison suivante : la création ou le travail de conception, est la recherche constante de solutions reliées à des problèmes de nature sensoriels, esthétiques et conceptuels. Pour moi, art et idée sont intimement liés. Il n’y a pas d’art sans idées, et à l’inverse il n’y a pas d’idée sans art. Croire fermement au pouvoir de l’art comme moteur de changement personnel et social. Croire tout aussi fermement à l’art qui n’a aucune autre fonction que celle d’être art, un lieu d’expérimentation, d’expression, un processus de recherche, une expérience (esthétique, plastique ou émotive). Entre autres.

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Comportements

Observer les comportements humains. Les miens et ceux des autres. Être constamment interpelée par les questions liées à la norme, à l’authenticité, à l’essence des gens. Leurs anecdotes, particularités, idiosyncrasies. Ce qui fait que nous sommes qui nous sommes et comment cette façon d’être des individus se connecte aux autres. La santé mentale, la maladie mentale. La communication. Les psychologies populaire, différentielle, positive, humaniste, sociale. Le pouvoir d’agir. Comment s’adapte-t-on aux évènements, situations, personnes qui nous entourent? Comment mieux se connaitre, se reconnaitre? Le soi. Les autres. Le soi et les autres. S’intéresser à la fois à la communauté et aux individus qui la composent.

Commun(auté)

Nous sommes plusieurs fait une large place à la communauté, aux groupes, aux individus dans

les groupes, à la mouvance et la diversité des individus et des groupes et à la complexité d’arrimer tous ces individus et ces groupes singuliers et complexes à se reconnaitre, se rencontrer et idéalement se mobiliser dans leurs aspirations. Il n’est pas nouveau, par exemple, de réfléchir aux questions liées à la norme, à qui la compose et quels sont les critères d’inclusion et d’exclusion sur lesquelles on se base. Pareil pour les notions du commun. Des lectures telles que

Les possibles du féminisme. Agir sans « nous »14 de Diane Lamoureux ou Comment sauver le

commun du communisme15 d’Érik Bordeleau, entre autres, documentent une histoire du féminisme et du communisme afin de mieux comprendre comment arriver à une vraie collectivité tout en respectant les différences individuelles. Les idées ne sont certes pas nouvelles, mais elles ne se retrouvent pas suffisamment, à mon avis, dans les messages « mainstream », si de tels messages existent encore.

Commun(auté). Il y a, au côté banal de la définition du commun et dans les côtés « plusieurs » et « ensemble » de ses significations un lien qui se doit de se concrétiser : se reconnaitre en tant que simple humain, banal, vulgaire même. Célébrer cette vulgarité. La reconnaitre pour soi pour accepter celle des autres.

14Lamoureux, Diane. Les possibles du féminisme. Agir sans « nous ». Les éditions du remue-ménage, 2016, 279 p.

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37 Il y aura toujours un système afin d’organiser les groupes. Il y aura toujours des marginaux, peu importe le système. Ça va. Mais comment définissons-nous ce système, et pourquoi ceux qui répondent plus aux critères de ce système qui ne sert, au final, qu’à mieux organiser les groupes deviennent-ils du coup mieux que les autres? Idéalement, ne plus fonctionner dans un mode ou les meilleurs (définis par un contexte bien aléatoire) ne se reconnaissent plus dans les moins bons. Et que les moins bons continuent de s’enfoncer dans une marginalité crasse.

Selon Wikipédia « l’underdog est un mot anglais employé pour désigner un joueur qui est quasi certain de perdre. Soit dans l’opinion des autres soit dans la sienne. Il est à l’opposé du favori. »16 Nous sommes tous inévitablement et assurément l’underdog (le marginal, le faible, le pas favori) de quelqu’un à un moment ou un autre. L’inverse est également vrai : on est tous le mieux nanti de quelqu’un, le favori, le « mieux ». Si l’on est tous l’underdog de quelqu’un d’autre (et vice versa), pouvons-nous cesser de nous catégoriser, de nous séparer en bon et en moins bons? D’où viennent nos critères d’échec, de réussite, de meilleur et de pire, de mérite, d’inclusion, d’exclusion et comment accordons-nous une valeur aux gens? Ces questions soutiennent les thèmes de prédilection de mes conceptions visuelles. Ces dernières n’offrent toutefois pas de réponses. Les questions et contradictions étant plus nombreuses que les certitudes et la cohérence.

Miser à tout coup sur l’underdog. Me lier continuellement d’affection pour l’équipe ou l’individu qui n’est pas le favori d’une compétition. Et pas juste dans les joutes sportives. Je travaille, entre autres, avec des underdogs. Je me sens moi-même un peu underdog, dans la vie en générale, mais surtout dans les mondes des arts visuels. Pourquoi en est-il ainsi?

Dans son article « Everything that sourrounds : art politics and theories on the everyday », Nikkos Papastergiadis aborde cette question à travers les recherches de Michel de Certeau :

His (Michel De Certeau) concern is not with the intended effets of social systems, but the actual uses made of it by the people who are operating within it. The politics of the everyday life revolve around two dimensions. First are the ways in wich people make ethical responses to the social order, and thereby

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humanize their relations with each other. Second are the ingenious and devious ways by wich the weak, the marginilized majority make use of the strong. 17

Être fascinée par les réponses (éthiques ou non) et les manières qu’ont les gens à s’organiser autour d’un système, d’une communauté ou des communautés. Souhaiter qu’on arrive à se voir tous comme étant différents, mais égaux.

Les thèmes du magazine abordent de façon visuelle et poétique mes préoccupations, mes questionnements philosophique, psychologique et sociologique. Légèrement, simplement et honnêtement. Le plus possible. Ce premier numéro de Nous sommes plusieurs sert de racine pour les prochaines éditions. Autre les textes de collaborateur, les textes sont des extraits de ce présent mémoire et des citations d’auteurs lus à la maitrise. Le registre des textes est ouvert. L’écriture se veut raisonnée ou teintée d’humour, de dérision. Pour certains, elle se logera dans une poésie plus près des confidences. Les textes sont autonomes ou liés aux images présentées.

Les collaborateurs

Agir en tant que rédactrice en chef, éditrice, photographe, illustratrice, designer et auteur pour cette première édition du magazine. Nous sommes plusieurs est un lieu d’expression. Un lieu d’exposition ambulant, portatif, autonome. Pour cette première édition spéciale, l’appel aux collaborateurs (figure 28) s’est basé sur des amitiés de longue date, surtout, et de certaines toutes nouvelles. La consigne était la même pour tous : s’inspirer de ma personne et/ou de certains aspects de mon travail et avoir du plaisir à écrire. Que se soit l’énergie débordante et libre du DIY (Sam Murdock), la poésie de l’écriture de soi (Marie-Claude Lamoureux), une virée dans un futur rêvé (Juli Dutil), ou la fabrication du banal (Ariane Plante), l’idée était d’apporter un regard extérieur sur les propos, les gestes que je tiens. Les rêves et les idéaux que j’entretiens. Ce regard de l’autre quand on tente de situer son travail me semble nécessaire. Pour valider, pour tester. Pour se donner du recul. Voir avec d’autres filtres. Comparer et analyser, et continuer en prenant ce qu’on veut et considérer, du moins, ce qu’on ne veut pas. Même si elles semblent égocentriques, ces démarches ont été plus qu’un simple « allo parlez de moi SVP ». Aller vers les autres, leur demander de s’intéresser à mon travail, assez pour faire l’exercice pas toujours évident d’écrire, a exigé une sortie de zone de confort faramineuse. Pour une jeune fille qui selon

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39 les dires de sa mère « voulait être invisible à l’adolescence », cette main tendue représente un défi. Avoir confiance en mes idées. En atelier tout se passe bien, je travaille, j’essaye, je me trompe, et je continue. Dans mon cas, en tant qu’artiste, le maillon de la diffusion a toujours été la plus importante des limites. Un projet artistique a ce pouvoir de transcender ou faire transcender les limites, quelle que soit la nature de cette limite. Il aurait été possible de faire ce magazine seule. J’ai tenu à cette main tendue, pour respecter la nature collective du magazine, d’une part, forte d’alliances amicales et sympathiques à ma cause.

Figure 28. Julie Théberge. Page 6 et 7 du magazine Nous sommes plusieurs, 2016, 43 cm x 28 cm.

La forme du magazine.

Nous sommes plusieurs se veut à la fois un lieu et un objet d’exposition. Il porte à priori et

dans sa totalité sur mon travail artistique. Afin de mieux cerner cet objet, une description de ses composantes sera faite quant à sa forme et son contenu visuel.

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