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Papisme - anti-papisme

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Academic year: 2021

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Papisme – antipapisme

Grégory Woimbée

A l’origine, les anti-papistes sont les ennemis des papistes parce qu’ils sont les amis du Pape. Les hommes d’un même lieu et d’une même époque se divisent et la question du « Pape » est donc au cœur de leur animadversion. Les polémistes protestants présentent comme « papistes » les catholiques romains en raison d’une fidélité au Pape qu’ils traduisent faussement par une soumission absolue et sans limite. Le « papisme » serait la soumission au Pape-tyran et donc une forme de trahison à l’égard du souverain légitime. Le « papiste » est donc la construction mentale d’un « ennemi » qui vise à justifier la persécution ou au moins l’exclusion des catholiques romains sur le principe d’une « double » appartenance impossible.

I – Le cas anglais : construction et déconstruction du « papisme »

Champion du catholicisme romain et ennemi des thèses des réformateurs protestants, le roi Henry VIII (1491-1547), entre en conflit avec le pape Clément VII au sujet de son mariage avec Catherine d’Aragon qu’il veut faire annuler parce qu’elle ne lui a donné qu’une fille, Marie Tudor. Devant le refus du Pape, il se déclare en 1531 chef suprême de l’Eglise d’Angleterre, annule son premier mariage et épouse sa maîtresse Anne Boleyn. Ne lui donnant qu’une fille, Elizabeth, il la fait exécuter pour épouser Jane Seymour qui meurt peu après lui avoir donné un fils, futur Edouard VI.

Le schisme fait de nombreux martyrs parmi ceux qui restent fidèles au Pape. Influencé par le luthéranisme, l’Archevêque de Cantorbéry, Thomas Granmer, instaure un protestantisme doctrinal relatif et compose le Prayer Book en 1549 que certains interprètent dans un sens catholique. Une deuxième édition en 1553, nettement anticatholique sur le plan doctrinal, ne sera jamais utilisée. Le catholicisme est rétabli par Marie Tudor en 1553. Lui succédant peu après, sa sœur Elizabeth Ier opte alors pour un « anglicanisme modéré », anglo-catholicisme qui exclut à la fois les romains et les puritains et qui impose le Payer Book dans une forme conciliante. Le pape saint Pie V l’excommunie et délie ses sujets de leur serment de fidélité en 1570. Les catholiques fidèles à Rome sont alors soumis à une dure répression. Il y a donc « trois » grands partis religieux au XVIe siècle : les catholiques romains (fidèles au Pape), les anglo-catholiques (fidèles à l’acte royal d’uniformité de 1559) et les « non-conformistes » ou puritains issus du calvinisme (les « presbytériens » et les « indépendants »).

Les catholiques romains sont principalement vus par l’establishment anglican comme soumis à l’autorité pontificale, comme papistes. Le terme finira par désigner génériquement ceux qui, sur des territoires dont les Etats ont rompu avec Rome, sont restés fidèles au Pape, eux se désignant comme « romains ». Le terme affirme l’idée d’une totale soumission spirituelle et temporelle à une autorité pontificale absolue. Il servira tout au long de l’histoire à justifier leur persécution.

« Papisme » désigne une caricature forgée pour justifier une politique de relégation et d’exclusion des « romains » de ces pays, c’est pour légitimer l’anti-papisme, c’est-à-dire la politique menée contre les « papistes » anglais. Souvent d’ailleurs, les institutions ecclésiastiques officielles, puisqu’il s’agit de religions d’Etat et d’Eglises nationales, seront encore moins tolérantes avec ces « fidèles à Rome » qu’avec les dissidences intra-protestantes qui se développent en réaction aux Lumières (méthodisme, mouvement évangélique). La note principale est bien politique et institutionnelle. Rome a toujours refusé les théories d’Eglises nationales (c’est-à-dire directement et immédiatement gouvernées par les souverains) comme le gallicanisme, l’anglicanism ou le giansenismo.

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2 Issu du mouvement d’Oxford (1833) qui s’oppose à la fois à l’establishment (l’ingérence gouvernementale dans les affaires de la Church of England), le « papistes » (les catholiques romains) et les « non-conformistes » (courants calviniste anti-establishment), le futur cardinal John-Henry Newman (1801-1890), après avoir cherché l’élaboration d’une « via media » qui sera rejetée par l’Eglise établie, finit par se convertir au catholicisme romain, ou plutôt – car il aurait refusé cette appellation – par entrer dans l’Eglise romaine qu’il perçoit comme authentiquement catholique, comme l’Eglise qui a conservé de la manière la plus authentique le catholicisme. C’est donc par le catholicisme que Newman devient romain, ou plutôt le plus anglais des Romains.

Cet adversaire historique du « papisme » devient le meilleur atout contre l’anti-papisme et l’ensemble de ses écrits, notamment son Apologia pro vita sua ou encore sa Lettre au Duc de Norfolk écrite à la suite de la proclamation par le Concile Vatican I du dogme de l’infaillibilité pontificale, montre combien l’image d’« anti-patriotes » collés aux Romains est injuste et infondée. Il y affirme avec force que, pour l’Eglise romaine, la conscience est le « premier vicaire du Christ » et que ni le primat de juridiction (l’autorité suprême, immédiate et directe de l’Evêque de Rome sur l’Eglise) ni l’infaillibilité pontificale (lorsque l’Evêque de Rome, parlant ex cathedra, engage l’infaillibilité de toute l’Eglise sur des définitions concernant la foi et les mœurs) ne constituent une atteinte aux devoirs civiques ou à l’amour d’une patrie.

Aujourd’hui, les clarifications apportées par l’enseignement du Concile Vatican II sur les relations Eglise-Etat, sur la légitime autonomie du temporel, sur la liberté religieuse et les droits religieux de tous individus, sur la démocratie et le pluralisme, rendent obsolète la suspicion jetée sur les catholiques romains et l’idée qu’ils auraient abandonnées leur liberté de conscience à l’autorité ecclésiastique suprême.

II – Le complexe anti-romain

L’anti-papisme, auto-légitimé par le papisme et la menace que les papistes feraient planer sur les libertés nationales (aujourd’hui ce serait plutôt les libertés individuelles) comporte plusieurs dimensions. Au principe, il s’agit de confondre fidèles « au » Pape (le fait d’être en communion avec l’Evêque de Rome) et fidèles « du » Pape. Les catholiques romains se définissent comme fidèles « du » Christ. La première dimension est politique : l’anti-papisme est alors une théorie du complot intérieur qui dénonce l’existence d’un « complot catholique » menaçant le souverain. Cette idée s’appuie sur la revendication romaine d’une supériorité du pouvoir pontifical sur le pouvoir royal. Dans le régime de Chrétienté, le Pape fait et défait les Rois. Et les théories monarchomaques (le fait de ne plus devoir allégeance à un Souverain déposé par le Pape et non de lutter contre lui par tous les moyens) ont servi l’anti-papisme politique. La deuxième dimension est doctrinale : on parlera alors d’anti-romanisme, c’est-à-dire, d’une justification de l’autonomie des Eglises par rapport à Rome. Cette idée s’appuie sur la revendication des libertés des Eglises nationales. Souvent, ce courant a pris la forme, notamment dans l’Eglise elle-même, d’anti-curialisme. Enfin, une troisième dimension est morale et individuelle. Cette idée, plus contemporaine, liée aux mutations sociales de l’après-guerre et l’avènement du modèle occidental d’une société de consommation, s’appuie sur la revendication d’une totale liberté des options et des choix individuels.

En résumé, l’anti-papisme pourrait désigner une triple revendication : liberté politique (contre l’autorité temporelle), liberté doctrinale (contre l’autorité ecclésiastique), liberté individuelle (contre l’autorité magistérielle). Le principe de liberté religieuse a désamorcé le premier aspect, le principe de collégialité a désamorcé le deuxième. Demeure vive aujourd’hui l’opposition en

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3 matière des droits individuels et de l’option morale et sexuelle. Ces questions avaient été prudemment retirées des discussions conciliaires à Vatican II.

Après la publication en 1968 de l’encyclique Humanae Vitae, Hans Küng, prêtre catholique et professeur de théologie à Tübingen, remet violemment en cause l’autorité magistérielle du Pape. Il va jusqu’à dire en 1970 que tout magistère ecclésiastique infaillible est injustifié et inutile et que la fidélité de l’Eglise (et donc des Chrétiens) à la foi – ce qu’il appelle l’indéfectibilité de l’Eglise – peut et doit faire l’économie de la notion d’infaillibilité, inhérente à des propositions déterminées et requérant un assentiment inconditionné. Pour lui, l’infaillibilité des propositions ne se justifie ni dans l’Ecriture ni dans la tradition ancienne, ni devant la raison théologique. Il ajoute que l’Eglise réelle s’incarne dans des formes historiques qui peuvent être altérées ou perverties. Sans entrer dans les discussions de l’époque sur la nécessité de définitions irréformables ou sur l’objet de l’infaillibilité, il est important ici de voir comment il sépare « permanence de l’Eglise dans la vérité » et « vérité des propositions » : l’Eglise reste fidèle sans recourir à des propositions vraies. Or, l’autorité du Pape est fondée sur l’idée d’un magistère ecclésiastique infaillible, c’est-à-dire de ces propositions immuables et de soi irréformables. Il en conclut que le Pape doit renoncer à cette forme d’autorité magistérielle qui requiert l’assentiment des fidèles, pour passer à un magistère sans obligation corrélative.

Ces formes anti-romaines constituent, plus que des oppositions distinctes ou séparées, un « complexe » comme le dit le théologien H.U. von Balthasar, une sorte de coalescence où le sentiment l’emporte parfois sur la raison. Il y a quelque anachronisme à parler de papisme et d’anti-papisme à l’époque présente sauf à les prendre sensu largo et aller au-delà de cette construction mentale. Le sens commun voudrait que le papiste soit un défenseur acharné de la papauté, un partisan d’une papauté forte tandis que l’anti-papiste soit le pourfendeur acharné d’une papauté qu’il juge obsolète et rétrograde.

Si l’on s’en tient au monde catholique lui-même, à ce qu’Emile Poulat appelle l’ « ecclésiosphère », on s’aperçoit que le papisme serait plutôt de l’ordre de l’obsession que de la défense, au risque d’opposer une papauté idéale à une papauté concrète, et qu’il va impliquer une critique et un affaiblissement de cette dernière (courants intégristes et sédévacantistes), tandis que l’anti-papisme masque par une opposition institutionnelle une attaque plus générale du magistère catholique (courants progressistes et libéraux). Dans les deux cas, la papauté est davantage un prétexte qu’une fin en soi, si bien que l’un et l’autre se retrouvent très souvent contre le Pape réel et concret. Ils ont en commun la construction d’une papauté mythique et anhistorique qu’ils révèrent ou rejettent et qui les met toujours à rebours du temps présent.

Mots clefs : Anglicanisme Emile Poulat Eglise nationale

Hans Urs von Balthasar Hans Küng Infaillibilité J.H. Newman Mouvement d’Oxford Vatican II Eléments bibliographiques :

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4 H.-U. von Balthasar, Le complexe anti-romain. Paris, Editions paulines, 1976, Média St Paul, 1998. N. Greinacher, H. Haag (éd.), Der Fall Küng. Eine Dokumentation, 1980.

H. Küng, Infaillible ? Une interpellation, Paris, DDB, 1971. E. Poulat, Intégrisme et catholicisme intégral, Casterman, 1969

E. Poulat, Catholicisme, démocratie et socialisme, Casterman, 1977

E. Poulat, Le catholicisme sous observation, entretiens avec Guy Lafon, collection Les Interviews, Paris, Le Centurion,1983

B. Valuet, Frères désunis. La réconciliation des Chrétiens, un défi pour l’Eglise, Perpignan, Artège, 2011. G. Woimbée, Quelle infaillibilité pour l’Eglise ?, Paris, Téqui, 2009.

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