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« les pérégrinations d'un fait culturel » Domaine d'intervention : médiation culturelle

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“ les pérégrinations d’un fait culturel ” Domaine

d’intervention : médiation culturelle

Stéphane Lapoutge

To cite this version:

Stéphane Lapoutge. “ les pérégrinations d’un fait culturel ” Domaine d’intervention : médiation culturelle. Inter-Lignes, Institut Catholique de Toulouse, 2013. �hal-02813770�

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Stéphane Lapoutge

Colloque thématique : « chemin, cheminement »

Titre de la communication : « les pérégrinations d’un fait culturel » Domaine d’intervention : médiation culturelle

Introduction. Loin d’être quelque chose de figé, la culture, ensemble de faits et d’objets de

formes variées, est un phénomène en mouvement perpétuel en raison de l’actualisation permanente portée sur ces mêmes faits et les objets, matériels ou conceptuels, qui la composent.Selon la définition proposée l’Unesco1, « dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. La culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est elle qui fait de nous des êtres humains rationnels, critiques et éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons les valeurs et effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime,

recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui le transcendent»2.

Mais qu’est-ce qu’un fait cultuel et comment le définir ? Pour répondre à ce questionnement, nous partirons du postulat suivant : le fait culturel est un processus dynamique circulaire inscrit dans le temps et l’espace ; son actualisation ne peut s’effectuer que dans le présent de la réception, présent sans cesse renouvelé par les différents acteurs de la culture que sont, entre autres, l’artiste et les publics, sans occulter la place déterminante qu’occupe l’espace nécessairement pluriel dans ce processus.

Le fait culturel serait alors la conjonction d’un ensemble de facteurs qui interviennent les uns au même titre que les autres, mais suivant un déroulement précis. Selon cette perspective, il conviendra alors de définir ce qu’est un fait pour le distinguer de l’objet culturel et l’envisager comme condition sine qua none de l’existence de ce même objet. Puis nous montrerons que ce sont les types d’actions menées dans l’espace qui déterminent la notion d’espace pluriel. Cette démarche devrait ensuite nous autoriser à penser le fait culturel comme la jonction des trois facteurs indispensables évoqués ci-avant, semblables aux éléments constitutifs de la sémiose, telle qu’elle a été décrite par Charles Sanders Peirce. Ainsi, sémiose et fait culturel se confondraient-ils dans leurs processus et fonctions, au regard de la culture, puisque tous deux participent de la construction du sens. Nous en conclurons alors que tout fait culturel est une sémiose inachevée, ce que nous tâcherons de formaliser grâce à un schéma.

1

Déclaration universelle sur la diversité culturelle, Unesco, 2002 téléchargeable :

http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001271/127160m.pdf

2

C. Romainville & M. Poncin, Culture et vous ? Dossier d’information sur le droit à l’épanouissement culturel, Culture et Démocratie, Bruxelles, 2009, p.6.

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Vers une définition du fait culturel. De manière absolue, le fait peut être envisagé comme

quelque chose que l’on peut situer dans un temps et un espace. Il constitue un élément objectivable, c’est-à-dire dont on peut faire l’expérience et rendre compte par une parole, entre autres. Un fait se distingue de l’objet qu’il tente(ra) de construire ; il n’est pas objet, mais à un moment donné, il en constituera un, plus ou moins durable, selon un processus relativement complexe, processus notamment de symbolisation et d’identification partagée, pour résumer. Toutefois, un fait (culturel restant à ce stade de notre propos encore sous-entendu) ne se réalise que par une relation étroite entre des individus et divers objets qui peuvent être aussi bien matériels que conceptuels (souvent les deux simultanément) : usage particulier voire inopiné d’un matériau ou d’un artefact (nous reviendrons ultérieurement sur ce terme), d’un objet technologique (pour exemple, l’outil informatique ouvrant un nouvel espace virtuel dans l’espace scénique), d’un espace déterminé, d’un courant artistique/esthétique ou de pensée, de rites et croyances, etc. Pour exemple, il est plus logique de parler des arts baroques que de l’art baroque, car en fonction des espace-temps dans lesquels il a été produit, des modes opératoires (donc également des représentations) dont il a usés, de ceux qui l’ont produit et ceux qui l’actualisent, il est évident que les faits et objets qu’il a rendus objectivables sont tous différents a priori : le baroque qui transhuma en Amérique latine n’est pas le baroque ibérique, il(s) représente(nt) un ensemble d’objets de et dans deux réalités distinctes qui expriment un point de vue subjectif (au sens de sujet) sur quelque chose, à l’aide de quelque chose.

De manière plus ponctuelle maintenant, et comme le déclare Bernard Lamizet, « Un fait culturel est une manifestation de la culture, c’est-à-dire une manifestation de pratiques symboliques mises en œuvre par les acteurs de la sociabilité »3. La dimension symbolique inhérente aux pratiques de l’objet culturel constitue donc une des premières réalités résultant du fait culturel. Sans objet culturel, pas de culture, car seule la somme de ces objets produit ladite culture, et plus précisément la somme de certaines de leurs composantes, adaptées et accommodées, afin de les réactualiser dans de nouveaux espace-temps, plus ou moins à l’infini : nous pouvons ici évoquer à titre d’exemple le roman, dont la forme a évolué au fil des époques (phénomène de rupture) et des espaces dans lesquels ses formes ont été repensées. De plus, tout fait culturel ne l’est que dans la mesure où il s’exerce et communique dans un espace qui le rend identifiable : un espace public, espace de sociabilité, ce même espace qui devient aussi et alors un espace culturel.

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En outre, Bernard Lamizet précise que « Les faits culturels représentent l’articulation entre la signification de l’appartenance et la représentation esthétique de la sociabilité […]. [Ils] mettent en œuvre des logiques esthétiques de la représentation […] à l’intention d’un public

[…] »4

. En somme, les faits culturels révèlent « […] une mémoire signifiante pour ceux qui en sont porteurs et qui, se reconnaissant en elle, la fondent comme conscience collective de leur existence sociale »5. Schématiquement donc, la culture, qui n’existe que par la succession répétée de faits revisités, organise les conditions du vivre ensemble social et symbolique dans ce que Rousseau, pour ne citer que lui, appelait déjà Contrat Social. Bien entendu, il va sans dire que d’autres facteurs entrent en considération, tel l’univers politique ou institutionnel, mais cela excède ici notre propos.

L’artefact. Nous allons ici expliciter ce qu’est un artefact en paraphrasant de manière

synthétique les propos de Roland Posner6 tout en les illustrant par des exemples de notre choix issus du domaine des arts.

On peut considérer qu’un artefact est le résultat d’une démarche motivée, donc consciente : la musique, par exemple, n’est jamais qu’un artefact des sons de la nature organisés selon les principes d’autres artefacts (diversité des instruments, solfège, etc.). Cet artefact, inscrit dans un champ socioculturel (donc dans un espace-temps et dans une mémoire) déterminé pourra servir de ferment à ceux qui lui succèderont. Les sons de la nature sont donc des modèles. Par définition, les modèles ne sont ni des faits, ni des objets culturels mais leurs servent de pré-texte, c’est-à-dire d’atome constitutif d’une certaine mémoire, d’une certaine trace.

Toute mise en forme symbolique de la nature ou de la pensée n’est qu’un artefact construit selon les principes de la sémiose, terme sur lequel nous reviendrons ci-après : l’émetteur-créateur produit un message-œuvre à l’adresse d’un récepteur-public. Or, objectivement il ne fait que copier un déjà-là en le façonnant selon sa culture sociale, constituée d’institutions et de rituels, sa culture matérielle, faite d’artefacts et de pratiques, et sa culture mentale, organisée autour de mentefacts et de conventions, comme l’explique Roland Posner : pour exemple, les pigments naturels, qui ne sont pas des artefacts, ont conduit aux teintes chimiques, qui en sont. Lorsque ces artefacts sont utilisés dans un but précis, ils deviennent des instruments, et une culture peut leur assigner une fonction particulière, décrite comme fonction-type standard par Roland Posner ; ils deviennent ainsi des instruments durables. Et la

4 B. Lamizet, La Médiation Culturelle, Paris, l’Harmattan 1999, p. 21. 5 B. Lamizet, La Médiation Culturelle, Paris, l’Harmattan 1999, p. 20. 6

R. Posner, Sémiotique de la Cuture et Théorie des Texte, Etudes littéraires, vol. 21, n° 3, 1989, p. 157-175 consultable sur http://id.erudit.org/iderudit/500878ar

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mise en forme artistique d’un paysage naturel n’est elle à voir que comme un simple artefact. Ce principe logique se retrouve dans la langue, plus précisément dans le principe de l’arbitraire du signe : le mot /voiture/ ne roule pas !

La sémiose. Selon Charles Sanders Peirce, l’activité de pensée n’est réalisable qu’à partir des

signes. Un signe est une entité constituée de trois éléments : « un signe, ou Representamen, est un Premier, qui entretient avec un Second, appelé Objet, une telle véritable relation triadique qu’il est capable de déterminer un Troisième, appelé son Interprétant, pour que celui-ci assure la même relation triadique à l’égard du dit Objet que celle entre le Signe et l’Objet »7

. Le representamen est un signe matériel ; ce dernier dénote un objet de la pensée grâce à un interprétant, qui est une représentation mentale de la relation qui s’instaure entre le representamen et l’objet. L’interprétant est donc un élément primordial de cette relation puisqu’il est le moteur de la relation de signification. L’interprétant est alors lui-même un signe que l’on pourra convoquer à l’infini grâce au rapport de proximité qu’il entretient avec d’autres signes. Il s’agit d’un « rapport pragmatique entre un signe et un autre : l’interprétant est donc toujours aussi un signe, qui aura son interprétant »8.

Deux processus se confondent ici pour n’en produire plus qu’un : les processus de pensée et de signification fusionnent pour introduire celui de la sémiose. Ainsi, ce processus, à l’origine de la construction du sens, constitue un des éléments de la sémiotique de la culture : l’objet artistique est une forme matérielle – signe – qui, une fois lue par des publics, se transforme en un objet de pensée suscité par la représentation mentale qu’ont les publics de la relation entre ce même objet artistique et l’objet de leur pensée. Ce va-et-vient est quasi inépuisable : la variété des significations qui en résulte est intrinsèque à la variété des contextes d’actualisation.

De l’image du divin à l’image du soi. Après avoir défini ce que sont les fait culturel,

l’artefact et la sémiose, nous allons tenter de montrer en quoi l’étape une du travail de mise en statut du fait culturel confère à un auteur, l’artiste, une certaine image divine de soi. Premier acteur dans ce processus, l’artiste demeure cependant le dernier à évaluer la pertinence du fait culturel dont il est la source en raison de sa circularité : en effet, il crée dans un présent un conditionnel qu’il projette dans un futur : le futur de sa réception. Pour cela, il sublime le réel

7 O., Ducrot, T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du Langage, Ed. du Seuil, Paris, 1972,

p.114.

8

O., Ducrot, T., Todorov, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du Langage, Ed. du Seuil, Paris, 1972, p.114.

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pour sa propre sublimation en proposant une sur-réalité construite sur la réalité telle qu’il la perçoit, telle qu’il en fait l’expérience.

L’artiste créateur. Pas de fait culturel donc sans l’étape préalable d’une mise en forme, quelle

qu’elle soit : linguistique ou figurative. Tel un Dieu Créateur, l’artiste crée pour les autres ; or, à la différence de Dieu, omniscient et immortel par essence, l’artiste créateur crée également (surtout ?) pour lui, pour sa postérité, pour son immortalité, ou pour exorciser la crainte qu’il éprouve(rait) de sa propre mort, physique peut-être, mais semble-t-il avant tout pour exorciser cette crainte qu’il a/aurait de la mort de son image, de son aura (pensons aux autoportraits ou autobiographies). Ainsi, la fonction de la création d’un artefact œuvre d’art demeure-t-elle a priori l’immortalisation de l’image de l’artiste créateur par et dans une forme artistique, symbolique qu’il donne à voir, excédant peut-être même la notion de plaisir, en tous les cas au moins la dimension professionnelle inhérente à son statut contemporain. En outre, sans vouloir ressasser l’origine étymologique des termes, l’artiste se veut être un artisan, tel le Démiurge ; il est un fabricant d’art et n’hésite pas à en produire une définition à la fois pragmatique (son geste) et théorique (ce dont nous faisions mention plus haut). Mais ne l’oublions pas, l’art se dissocie de l’artisanat au XVIII siècle, notamment la peinture, et il faudra attendre les Romantiques pour que l’artiste accède à un statut valorisé et valorisant de sa profession. Marx, dont la philosophie repose sur le matérialisme historique, verra en l’artiste un travailleur dont la trace est et sera inscrite dans l’histoire : l’artiste ne peut se hisser au-delà de l’être social qu’il est.

Ainsi, Flaubert a-t-il lui-même exprimé, en d’autres termes que ceux que nous employons, cette crainte en disant qu’il allait disparaitre et qu’Emma Bovary lui survivrait ! Par là, il manifestait a priori sa crainte de la mort physique, mais de manière sous jacente, ne jubilait-il pas à l’idée de perdurer, d’être immortel ? dans cette figure de papier, comme si s’opérait par ces/ses paroles une sorte de transfert de l’êtreté : l’immanence, la trace sensible de l’auteur parcourant le temps et l’espace dans l’incarnation virtuelle de son héroïne fictive la plus célèbre sans aucun doute, car Emma, c’est bien lui aux yeux de ses lecteurs. Le fameux pacte autobiographique ne symbolise-t-il pas l’utopie de la rédemption terrestre, quand bien même il s’avère (normalement) riche de mensonges ? Expier ses pêchers, laisser derrière soi une trace signifiante, palpable, objectivable, comme un testament, n’est-ce pas œuvrer pour la postérité ? Les nombreuses muses des peintres et les reproductions qui en ont été faites témoignent de ce désir d’exister au-delà du Dasein, d’être plus qu’un Homme. De même que reproduire une scène champêtre chez un Monet exprime cet esprit de recréation d’une nature

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normalement déjà parfaite. Ainsi, par la copie de ce déjà-là, l’Etre artiste se sublime à lui-même par le truchement des ses œuvres. Toutefois, il ne concurrencera jamais Dieu, seul Créateur de tout ce qui inspire l’artiste : l’Homme et la Nature. Et pourtant, Frankenstein, le clonage ! Et peut-on plus belle déification, posthume dans la plupart des cas, à l’endroit de ces artistes, en érigeant des lieux institutionnels, comme autant de cénotaphes, qui porteront leurs noms pour les siècles des siècles : le musée Daly, le musée Picasso, le musée Ingres… comme si les institutions étatiques les adoubaient, et par là même les affranchissaient de l’image de bohême qui poursuit encore de nos jour l’artiste (songeons à l’appellation intermittent du spectacle). Cet adoubement se présente en réalité comme une reconnaissance symbolique attestée par les acteurs politiques et sociaux : ici, l’œuvre, c’est-à-dire la vie de l’artiste, son travail, sa création sont reconnus comme patrimoine culturel. Ne décerne-t-on pas, d’ailleurs, des prix dans les domaines artistiques baptisés des noms les plus célèbres ? Le prix Molière, pour ne citer que celui-là.

En outre, corrélée à la culture cultivée, en opposition à la culture de masse (deux concepts identifiés par Hannah Arendt et Walter Benjamin, entre autres), les objets culturels donnent lieu à la spéculation, tant des particuliers que des musées ou des états, et en être propriétaire, c’est d’une certaine manière posséder une Relique tout en les rendant plus ou moins inaccessibles à d’autres (nous évacuons ici le cas des copies inscrites dans la sérialisation).

De la mise en forme à l’ostension. Créer est vraisemblablement un acte intime. Dans bien des

cas (nous apporterons une nuance ci-après), c’est engendrer du plus profond de soi une forme exprimée par un langage, un métalangage propre à l’artiste, comme une signature indélébile. En effet, nous reconnaissons tous le style roman et sommes capables, moyennent quelques pré requis, de l’inscrire dans un genre architectural particulier, codifié donc conventionnel, et conforme à une codification esthétique qui le distingue d’autres styles. Nous reconnaissons tous la marque d’un Schiele ou d’un Kandinsky. En revanche, accéder à la trame symbolique, au message intrinsèque suppose une fois de plus un minimum de compétences, voire d’expériences partagées (le concept d’Erlebnis largement déployé par Hans-Georg Gadamer dans Vérité et Méthode 1996).

Créer, pour un artiste, c’est donc agir sur un déjà-là, comme nous l’avons évoqué. De fait, la création artistique ne peut relever du Mystère, car dans son acception théologique, la Création est clairement un mystère ; en tant que tel elle est en dehors de la raison humaine. Or l’artiste crée en référence à sa raison, en référence à une raison collective, de l’ordre d’un l’idéal. Il aspire au beau (y compris l’art contemporain qui se revendiquait de pas l’être) puisque,

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dépendant du regard que l’on porte sur l’objet qu’il crée, il cherche à provoquer le plaisir esthétique et obtenir en retour une sorte de légitimité. Précisons ici sans nous étendre que le beau se conforme à un idéal propre à un espace-temps déterminé.

L’espace du concevoir. La sphère de la création correspond à un espace plus ou moins

confiné : le chez-soi, défini sociologiquement et juridiquement comme la sphère privée, de l’intime : l’habitat privé bien sûr, mais aussi l’atelier (peintre, sculpteur), le bureau (designer), le studio (musicien), le laboratoire (photographie), etc. Pour notre part, nous considèrerons cette sphère comme espace du concevoir, c’est-à-dire un espace dans lequel rien n’est encore mis en partage, rien n’est encore proposé de manière officielle au regard des publics, un espace où rien n’est encore collectif, y compris lorsque des compétences communes se cristallisent pour produire un objet final, puisque chacun opère d’abord individuellement, au moins mentalement. L’espace du concevoir est un espace de genèse dans lequel l’artiste se retrouve face à son impulsion créatrice : il s’agit de la dimension productrice. A cet instant (ces instants), l’artiste n’est pas encore face à lui-même ; il ne présente encore rien qui puisse construire un quelconque contrat social, rien qui ne stimule encore l’expérience esthétique que révèlera l’objet de sa production.

Comme nous l’avons évoqué en présentation de cette partie, nous allons apporter une nuance à propos de la dimension intime intrinsèque à cet espace. Il n’est pas rare en effet de pouvoir assister en direct à une création artistique, notamment lors de résidences d’artistes : l’artiste (parfois plusieurs, associant ainsi leurs arts) s’exécute en présence des publics. Dans l’univers du théâtre, il arrive qu’un metteur en scène propose à un nombre restreint de personnes d’assister à un filage. De plus en plus, des artistes conçoivent des œuvres participatives en sollicitant l’intervention de personnes du public : art spontané, aléatoire, puisqu’ils ne savent pas forcément ce vers quoi cela tendra. Nous pourrions ici proposer le concept d’art téléologique, un art du moment dont l’action vise la fin ; celle-ci atteinte, l’action n’a plus de raison d’être. La performance est une de ces formes artistiques.

L’espace du concevoir, au sens d’espace privé, intime, est un espace personnel, singulier, invariable en ce sens qu’il n’est pas un lieu soumis à un ensemble de normes institutionnelles et sociales (considérées alors comme des contraintes) à respecter stricto sensu, puisqu’il est donc, en général, un espace non ouvert, non accessible (en dehors des cas que nous venons d’évoquer). L’espace du concevoir est un espace fermé dans la mesure où il ne structure aucun échange révélateur de la sociabilité. Pour qu’un contrat social voie le jour, il est indispensable qu’un échange se produise dans un espace de circulation, espace dans lequel

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vont se croiser, s’alimenter les idées, les savoirs et les plaisirs. Cet espace sera alors soumis à un ensemble de normes.

L’espace du recevoir. L’espace public est un espace régi par les normes de la sociabilité. Ces

normes sont propres à chaque société, ou groupes qui la composent. L’espace public est un espace (en mutation perpétuelle) dans lequel circule tout ce qui fait la nature d’une société, tout ce qui la rassemble : les idées qu’elle produit et qui l’animent, les normes auxquelles elle se réfère, les savoirs qu’elle transmet dans des domaines variés qu’elle estime fondateurs : art, morale, politique, religion, science, etc.

Par définition, l’espace public est un espace qui n’appartient à personne en particulier ; c’est un espace partagé, comme nous le rappelle Bernard Lamizet : « L’espace public se caractérise et se définit comme un espace qui ne fait pas l’objet d’appropriations particulières par des acteurs singuliers de la sociabilité, mais comme un espace de circulation et d’usages temporaires, qui se caractérise, au contraire, par l’absence

d’appropriation possible et par l’instauration de logiques de circulation »9

.

L’éphémère conditionne également les rapports au fait culturel. Lorsqu’enfin l’objet culturel est donné au regard, il est voué à un processus d’interprétation. Dès lors, il n’est plus l’objet culturel qu’il ne fut qu’un temps bref. Ni dans le courant de son exécution, ni dans son achèvement il n’était objet culturel ; il ne l’est devenu que dans l’espace public. Il a été interprété, c’est-à-dire appréhendé mais à chaque instant d’une nouvelle manière. L’objet culturel est ainsi apprivoisé dans une situation concrète dynamique qui le destine à se dématérialiser pour ne vivre qu’à l’état de fait culturel quasi permanent. Cette métamorphose est le résultat de la faculté de symbolisation, c’est-à-dire la faculté d’assigner, de manière arbitraire, une signification à un objet ou un fait culturel. Ainsi, l’objet ou le fait culturel représentent-ils autre chose. Le sens de ce processus d’interprétation est à chercher dans le désir de compréhension et d’adhésion. Cette démarche intellectuelle, visant à construire une sorte d’abstraction, ne peut se réaliser qu’à la suite de l’action produite par l’artiste créateur. Seul l’espace public déclenche donc ce mouvement synergique qui consiste à propulser l’objet culturel « frêle » sur l’axe rotatoire du fait culturel. L’objet culturel initie par conséquent des pratiques culturelles responsables, revendiquées par les membres d’une société : « Les pratiques culturelles sont des pratiques sociales engagées dans l’espace public, puisqu’il faut bien qu’elles fassent l’objet d’une réception, d’une appropriation et

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d’une interprétation par tous ceux à qui elles sont destinées et pour qui elles sont censées représenter des formes du lien social dont ils sont porteurs »10. Car, « La destination de l’œuvre d’art est, semble-t-il, justement de devenir « vécu » esthétique, ce qui signifie que la puissance de l’œuvre arrache d’un coup celui qu’elle atteint à la continuité de son existence et que pourtant elle le rattache aussi (en amont du présent) à la totalité de cette existence »11.

L’expérience esthétique. Si nous acceptons l’idée selon laquelle « la création artistique

relève d’un point de vue théologique de l’art, fondé sur l’illusion de sa nature sacrée et sur la légitimation charismatique du créateur »12, nous admettons que « l’objet d’art est une création ex nihilo, relevant du seul pouvoir du créateur […] »13

. Or, nous avons tenté de montrer qu’il n’en est rien et que l’art, en tant que phénomène culturel, est extérieur à tout principe ontologique, comme nous le rappelle Jean Caune. C’est à ce moment de notre démonstration qu’intervient la notion de médiation, vecteur de l’expérience esthétique : « L’intérêt de la notion de médiation appliquée au phénomène artistique permet de se pencher sur le sujet-acteur, sur le support de son expérience et sur les relations induites par l’artefact »14

. Or, nous l’avons compris, l’expérience esthétique ne peut se réaliser que dans l’espace public, seul lieu apte à voir se créer la nécessaire « distance entre l’objet et le sujet qui le perçoit »15, puisqu’ « il importe de considérer la dimension sensible de la relation interpersonnelle »16. Le fait culturel qu’est l’art, et plus précisément ici l’objet, c’est-à-dire la forme signifiante qui en émane, est par définition un objet socialisé puisqu’il doit nécessairement s’inscrire dans une relation dialectique entre la dimension productrice et la dimension réceptrice. Cette relation ouvre un nouvel espace au centre de l’espace pluriel : l’espace de médiation. Ce dernier catalyse les expériences sensibles subjectives et offre une vision collective perméable dans laquelle chacun puise ce qui alimente ses croyances, comme le démontre par exemple l’Habitus de Bourdieu. Ceci fonde l’expérience esthétique. Et Hans-Georg Gadamer le confirme dans Vérité et Méthode en nous rappelant que seul le concept d’expérience vécue peut rendre à l’expérience esthétique sa dimension sociale.

La médiation présente donc les traits d’un processus « qui met en contact un sujet de parole, le support matériel de son expression et un interlocuteur qui partage avec lui un monde de

10 B.Lamizet La médiation culturelle, l’Harmattan Communication, Paris 1998, p.31. 11 H-G Gadamer, Vérité et Méthode, Ed. du Seuil, p.87, Paris, 2010.

12

J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.213, Grenoble, 1999.

13 J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.213, Grenoble, 1999. 14 J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.215, Grenoble, 1999. 15

J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.216, Grenoble, 1999.

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référence, c’est-à-dire une culture »17

.

Parvenu à ce stade de notre propos, qui s’achemine vers sa conclusion, nous proposons, page suivante, un schéma qui nous semble condenser et illustrer ce que nous avons tenté ici de démontrer. Ce schéma rend compte du phénomène de circularité que nous avons évoqué à propos du fait culturel. Grâce au schéma, nous pouvons voir précisément que ce mouvement se compose de circonvolutions autour d’un axe que nous nommons frontière : deux sphères, celle de la production et celle de la réception, entrent en contact dans une zone neutre ou frontière qui ne peut exister que dans un espace du partage. Cette zone cristallise autour des objets de la culture, entre autres, les expériences subjectives des producteurs et récepteurs pour révéler une expérience commune qui prendra les traits de l’expérience esthétique. Seul l’espace du partage est capable de donner forme à l’expérience esthétique puisqu’il est le lieu de la mise en réseau des expériences vécues (Erlebnis) au profit de la collectivité. Les expériences partagées deviennent alors les traces de ce qui est communicable sous quelque forme que ce soit : « L’expérience vécue n’est jamais réellement aboutie tant qu’elle n’a pas été exprimée, c’est-à-dire tant qu’elle n’a pas été communiquée en termes linguistiques, ou sous une autre forme »18. Pour illustrer plus nettement ce cheminement, nous pouvons évoquer ici la triple métaphore du contact, du lien et de la brèche dont Jean Caune fait état : « Le contact, le lien et la brèche sont sans aucun doute des modalités de la relation qui trouvent leur forme d’achèvement dans l’objet d’art : les effets sur le récepteur opèrent par la capacité de l’objet à attirer son attention sensible, à produire une relation durable qui transcende le contexte de sa production, et enfin à rompre les mécanismes habituels de la perception et de la signification »19.

17 J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.106, Grenoble, 1999. 18

J., Caune, Pour une Esthétique de la Médiation, PUG, p.217, Grenoble, 1999.

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Schématisation du processus dynamique

Dimension

productrice

Dimension

réceptrice

Expérience

esthétique

Zone de contact et espace de médiation

Espace public culturel

Espace de sociabilité

Zone de transfert Ou brêche

F R O N T I E R E S E N S I B L E

Niveau visible ou niveau conscient

Niveau invisible ou niveau inconscient

Niveau visible ou niveau conscient

L'espace public culturel se confond avec l'espace de sociabilité : il l'enchasse.

Dans cet espace pluriel émergent des relations de type symbolique entre artiste,oeuvre et publics. La dimension productrice est à la source du representamen et dénote intrinsèquement l'objet de la pensée. L'objet de la pensée est communiqué à la dimension réceptrice.

Dimension productrice et dimension réceptrice se rejoignent dans la zone de contact autour de l'objet de pensée. La jonction se produit au niveau de la frontière sensible.

La frontière sensible est une zone poreuse qui laisse filtrer les savoirs et les émotions plus ou moins partagés. Leur rencontre organise l'espace de médiation, espace dans lequel circulent formes et idées de la culture. La zone de transfert ou brêche fait appel à des processus cognitifs.

Elle est une frontière entre les niveaux visible/conscient et invisible/inconscient.

Niveau invisible ou niveau inconscient

L'expérience esthétique se réalise au niveau invisible/inconscient.

Elle est plus ou moins partagée et affecte à des degrés variés les dimensions productrice et réceptrice. Elle est une manifestation du processus d'interprétation/appropriation et correspond à l'interprétant. L'interprétant est un nouveau signe issu et réinvesti dans le processus dynamique circulaire.

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Conclusion. Au final, pensée, matière, méthode et artefact retournent à eux-mêmes. Ils n’ont

servi que de vecteurs, de pré-textes, à un moment donné et dans un lieu donné à l’expression d’une société mue par un idéal et qui, indéfiniment, à recours à eux pour les remodeler, les repenser et les ré exprimer. Ce mouvement perpétuel, que l’on retrouve exprimé sous les termes de sémiose ou d’expérience esthétique façonne la culture anthropologique. Mais à quelle fin ? Sans doute l’idée de progrès moral est-elle inscrite en filigrane dans l’ensemble des activités humaines. Or, l’activité de pensée, dont le corolaire est l’activité de symboliser, est-elle la plus libératrice et la plus contraignante à la fois, puisqu’elle ne peut exister seule, en dehors de tout environnement social, en dehors de tout ancrage : nul ne peut penser, créer ex nihilo. En conséquence, le fait culturel n’est sûrement pas destiné à connaître l’inertie totale de son signifiant l’objet culturel vu comme simple objet matériel tout au plus. Le fait culturel est donc l’expression de l’opposition utopie/contre utopie qui fonde(rait) tout idéal sociétal, y compris celui qui consiste à laisser une trace de soi dans la postérité, trace de soi qui n’est pas seulement du monde de la subjectivité mais trace de soi également au sens collectif. Le patrimoine architectural en témoigne à toutes les époques de la vie humaine, pour toutes les civilisations connues : de la pyramide de Gizeh à la pyramide du Louvre, en passant par les pyramides aztèques ou soudanaises, pour exemples, la forme pyramidale symbolisant ici un certain idéal au-delà de sa simple manifestation architecturale. Le fait culturel, en tant qu’il est soumis à un mouvement perpétuel, une sorte d’infini, exprime en même temps, et il doit l’exprimer aussi, la contre utopie de cet idéal : puisqu’il est sans cesse revisité, il est le porte-parole de la société en mouvement qui refuse toute forme d’enfermement, toute impossibilité d’action, donc d’interprétation. Le fait culturel façonne le sens et les sens d’une société ; il donne consistance à son Histoire et à sa mémoire à venir.

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Mots-clés

Art – Culture – Espace – Fait (culturel) – Objet (culturel) – Œuvre (d’art) – Sémiose

Résumé

Définir ce qu’est la culture relève vraisemblablement de la gageure. Toutefois, à nous y aventurer, nous pourrions dire qu’il s’agit d’un phénomène en mouvement perpétuel, du fait même de l’actualisation permanente portée sur les faits et objets, matériels ou conceptuels, qui la composent. Afin d’appréhender cette image, nous nous proposons ici d’interroger plus spécifiquement le concept de fait culturel selon une démarche de type heuristique. Pour cela, nous partirons du postulat suivant : le fait culturel est un processus dynamique circulaire inscrit dans le temps et l’espace, mais ne s’actualisant que dans un présent sans cesse renouvelé par les différents acteurs de la culture que sont, entre autres, l’artiste et les publics, sans occulter la place déterminante qu’occupe l’espace pluriel dans ce processus. Selon cette perspective, il conviendra alors de définir en premier lieu ce qu’est un fait afin, d’une part, de le distinguer de l’objet culturel et, d’autre part, de l’envisager comme condition sine qua none de l’existence de ce même objet. En second lieu, nous montrerons que ce sont les types d’actions menées dans l’espace qui déterminent la notion d’espace pluriel. Ce premier temps dans notre cheminement devrait nous autoriser à penser, dans un second temps, le fait culturel comme la jonction de trois facteurs indispensables, semblables aux éléments constitutifs de la sémiose, telle qu’elle a été décrite par C.S. Peirce. Ainsi, sémiose et fait culturel se confondraient-ils dans leurs processus et leurs fonctions puisque tous deux participent de la construction du sens. Nous en conclurons alors que tout fait culturel est une sémiose inachevée, du moins ininterrompue.

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Références

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