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Écologie et photographie

Anaïs Belchun

To cite this version:

Anaïs Belchun. Écologie et photographie : une nouvelle vision du paysage. Colloque ”Art, écologies et nouveaux médias”, Raphaël Bergère, LARA-SEPPIA, Université de Toulouse - Jean-Jaurès, Oct 2015, Toulouse, France. �hal-01427434�

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Colloque international "Art, écologies et nouveaux médias"

Université de Toulouse - Jean Jaurès, le 23 octobre 2015

Axe «Nouvelles approches du paysage»

Écologie et photographie :

une nouvelle vision du paysage

Par Anaïs Belchun,

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Photographie de paysage et écologie : quelques clichés

Lorsque l’on parle de photographie et d’écologie, les premières images qui nous viennent à l’es-prit sont des photos de paysage. Le paysage est un thème essentiel de la photographie depuis ses origines, présenté par Claude Belime en une «petite histoire de la photographie de paysage»1.

Il remarque que la première photographie, réalisée par Niepce en 1826, est celle d’un paysage vu depuis sa fenêtre. Le paysage restera quelques temps un motif principal en raison des longs temps de pause nécessaires. Les évolutions techniques, permettant une prise de vue plus ra-pide et en tous lieux, ouvrent ensuite le champ à d’autres sujets, mais aussi à la photographie de voyage et de reportage. Pour son rôle de représentation directe du réel, elle devient un instru-ment pour décrire le monde, particulièreinstru-ment en Europe, dans les colonies et aux États-Unis. La première fonction accordée à la photographie de paysage est donc documentaire.

Mais les photographes ont aussi porté attention à la qualité artistique de leurs réalisations, et la photographie de paysage a été marquée par l’influence des différents modèles esthétiques de la peinture paysagère tels que le bucolique, le pittoresque ou le sublime. Ainsi en France, le travail destiné aux peintres du photographe Eugène Adget influencera une représentation du paysage illustrative et pittoresque qui trouvera son apogée dans l’univers de la carte postale. Aux États-Unis, la sacralisation de la nature, le mythe du Grand Ouest américain et les recherches topographiques se rejoignent dans une esthétique paysagère traduisant la dévotion aux carac-tères sublimes et grandioses de la nature. En Europe, l’art photographique paysager a ensuite été influencé par les recherches artistiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : pictorialisme, abstraction, constructivisme, Bauhaus, Nouvelle Objectivité allemande, etc. Un autre grand tournant dans la vision du paysage est amorcé avec le développement urbain et touristique dans les années 60-70 : le paysage devient «un écrin de vie à préserver»2. Dans les

années 80, les politiques publiques s’emparent de l’art photographique comme un outil pertinent pour la réflexion sur le paysage, et commandent des missions photographiques visant à décrire la dynamique des paysages par des séries de prises de vue étalées dans le temps : les missions de la DATAR et la création de l’Observatoire des Paysages, suivies par de nombreuses autres missions publiques ou privées. Cette photographie de constat se diffuse également à travers des livres et des expositions et influence durablement la conception du paysage en photographie. Enfin, ce sont surtout les scientifiques et les philosophes qui, en faisant du paysage un objet d’étude, ont bouleversé notre vision du paysage. Ainsi Alain Roger et Augustin Berque mettent en avant la dimension culturelle du paysage, considéré non plus comme un objet, mais comme une construction artistique ou une relation entre l’Homme et le monde. Cette nouvelle perception, plus subjective et intime du paysage se retrouve dans la photographie d’art, par exemple dans les photos de Gilbert Fastenaekens.

Mais comment la question de l’écologie se relie-t-elle à ces considérations sur les représenta-tions du paysage dans la photographie ? La réponse réside dans les représentareprésenta-tions que nous avons de l’écologie.

Pour commencer, que désigne ce mot, «écologie»? On peut distinguer dans les discours sur l’éco-logie trois approches principales :

- d’abord, l’écologie scientifique des écologues, qui correspond au discours des scientifiques : l’écologie se définit scientifiquement comme « l’étude des relations entre les êtres vivants et le milieu dans lequel ils vivent.»3

- ensuite, l’écologie politique des écologistes, qui correspond au discours des personnes militant pour la prise en compte de l’écologie dans le domaine politique ;

- enfin, l’écologie utilisée comme argument commercial, qui correspond au discours mercatique des entreprises et des organisations.

1 Claude Belime, «Petite histoire abrégée du paysage en photographie», dans Regards n°1, juillet 2009 2 idem

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Les discours politiques et mercatiques visent plus à entraîner l’adhésion à des idées ou inviter à des choix de consommation qu’à permettre la compréhension des phénomènes scientifiques. Cela se traduit dans les discours comme dans les images produites par une représentation sym-bolique de l’écologie. Cette représentation se base sur un processus de simplification, que l’on peut décomposer en plusieurs étapes. Le discours sur l’écologie est généralement tenu comme un discours sur l’environnement ; dans la communication visuelle, celui-ci sera généralement re-présenté par des images de la Terre ou de la Nature, elle-même souvent limitée à des éléments végétaux, et finalement réduite à la couleur verte. Ces simples évocations visuelles - à travers les images de la planète, de la nature et l’utilisation de la couleur verte - deviennent alors les sym-boles culturels d’un ensemble flou se rapportant à la nature, l’environnement et l’écologie.

Cet ensemble arbitraire de symboles et d’images se rapporte plus à une image mentale qu’à une réalité. Il fait apparaître une vision très spéciale de la nature, simplifiée, stéréotypée et normali-sée. Elle n’est pas représentative de la diversité et de la complexité naturelle, et encore moins de l’écologie. Elle est cependant significative par sa cohérence interne. Tous ces éléments consti-tuent un effet-écologie que je nomme, d’après son expression la plus représentatrice et la plus évocatrice, la « fiction verte ».

Sur le plan esthétique, cette fiction verte s’exprime aussi à travers les représentations paysa-gères qui lui sont associées, lesquelles se rapportent aux images graphiques que j’ai évoquées. On y retrouve des représentations paysagères fictives et symboliques, l’assimilation de l’écologie à la nature, à la végétation et au vert, et surtout une image idéale et idéalisée de la nature. Il s’agit de ces «clichés» (dans les deux sens du terme : «image photographique» et «idée banale généralement exprimée dans des termes stéréotypés») de paysages naturels, que l’on trouve par exemple sur des cartes postales, des images de fond d’écran, des publicités pour des «pro-duits verts» ou naturels, ou encore d’agences de voyage proposant des offres de «tourisme vert». Ces représentations paysagère sont directement héritées du XIXème siècle et de sa vision idéa-lisée du paysage et de la nature (cartes postales, vues grandioses de paysages américains), et se traduisent par des images de paysages naturels spectaculaires : forêt foisonnante, chaîne de montagnes enneigées, cascades, coucher de soleil en bord de mer, etc. La nature est aussi sou-vent représentée par une image photographique d’un paysage très particulier, constitué d’une prairie d’herbe verte avec un arbre solitaire, sous un ciel bleu parsemé de petits nuages blancs... Contrairement aux photographies scientifiques et documentaires, ces images ne sont pas réalisées pour montrer un lieu particulier (d’ailleurs elles ne sont jamais accompagnées d’une légende), mais pour diffuser l’effet-écologie de la fiction verte à travers des représentations pay-sagères. L’effet obtenu, et donc leur valeur, résident en fait justement dans le fait que ce sont des «clichés», des représentations symboliques d’une vision de la nature et de l’écologie fictionnelle, un lieu commun partagé par les créateurs et les nombreux récepteurs de ces images.

Ainsi notre vision du paysage comme de l’écologie est principalement marquée par des «cli-chés», représentations photographiques et lieux communs de la représentation. Mais une ré-flexion plus approfondie sur une approche culturelle de l’écologie et du paysage pourrait ouvrir d’autres voies à la photographie de paysage.

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1. Approche culturelle de l’écologie : une nouvelle vision du

monde

L’écologie, de l’approche scientifique à l’approche culturelle

La première question qui se pose est celle de la dérive de l’écologie, passée de la science à la fiction commerciale. Bien que la photographie de paysage ait été dès le début liée aux sciences naturelles et humaines, notamment en tant que représentation documentaire, ce n’est pas le cas de ces clichés paysagers associées à l’écologie.

Cette utilisation scientifique de la photographie documentaire existe pourtant, dans les domaines de la géographie, l’ethnologie, l’histoire, la biologie, etc. En écologie, la photographie de paysages peut être utilisée comme outil d’observation, de notation et de comparaison. Les images photo-graphiques paysagères sont très utilisées dans le cas particulier de l’écologie du paysage, une discipline entre l’écologie traditionnelle et la biogéographie ; il s’agit là principalement de prises de vue aériennes ou d’images satellites. La photographie est ici utilisée comme un instrument technique au service de la science. Mais qu’en est-il de la dimension culturelle des images et des paysages, de la question de la représentation et de la pratique artistique ? Une nouvelle pensée de l’écologie nous permettra de répondre à ces questions.

Revenons donc à l’origine du discours sur l’écologie : le discours scientifique. Rappelons-nous que l’écologie scientifique se définit comme « l’étude des relations entre les êtres vivants et le milieu dans lequel ils vivent ». Le milieu désigne ici l’environnement des êtres vivants, incluant des éléments inorganiques (minéraux, eau, air...), organiques (végétaux et animaux), ainsi que les caractéristiques de cet environnement (géographiques, climatiques...). Le caractère distinguant l’écologie de la biologie (étude de la vie et des êtres vivants) semble à première vue être la notion d’environnement, nouvellement introduite dans les sciences naturelles : c’est en tout cas celui qui a été retenu dans la perception populaire de l’écologie, alors considérée comme « science de l’environnement ». Mais cette interprétation est erronée.

Si l’écologie concerne a priori « les être vivants et leur milieu», remarquons l’approche anthro-pocentrée qui déplace la question du « milieu des êtres vivants » à « notre environnement » : on oublie que l’écologie concerne les être vivants dans leur ensemble, et non seulement l’environ-nement humain. La différence est de taille, car elle exclut du problème la considération des êtres vivants dans leur ensemble, mais aussi les considérations environnementales liées à d’autres milieux de vie que les nôtres. Mais surtout, le milieu n’est pas l’environnement. La première in-terprétation de l’écologie comme science de l’environnement, était basée sur la traduction du mot grec oikos (à l’origine de la racine éco-) traduit comme « maison », et considéré comme équivalent du milieu écologique. Mais ce terme de maison, qui désigne un bâtiment où l’on vit, n’est pas une traduction exacte. En fait, le terme oikos employé par les grecs désignait plutôt ce que l’on appellerait le foyer, dans un sens encore plus large que l’acceptation aujourd’hui donnée à ce terme : l’oikos comprend (prend ensemble) la maison avec le jardin, mais aussi et surtout l’ensemble des êtres qui y vivent : « la famille possédante, les esclaves, les employés éventuels, les proches et les « clients », auxquels on peut adjoindre les animaux domestiques et, chez les Romains, les jardins de l’atrium. Cette organisation fonctionnelle correspond bien aux premiers schèmes d’analyse écologique à partir des chaînes trophiques (qui mange qui) et des niches écologiques (place de chaque espèce dans l’organisation fonctionnelle d’un écosystème).»4 On

comprend alors pourquoi le terme oikos a été choisi pour désigner la science du milieu écolo-gique. Notons que le terme de milieu comprend également d’autres caractéristiques spécifiques à un lieu : géographiques, climatiques, etc. Cette dimension géographique est très importante, car elle permet de comprendre qu’un milieu écologique n’est jamais clos sur lui-même, ses carac-téristiques étant déterminées par sa situation dans un ensemble plus vaste : la Terre. Car finale-ment, tous les milieux de vie ne sont que des parties du grand oikos qui comprend et marque les limites de la biosphère : la planète Terre.

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Rappelons-nous également que la définition que nous avons donnée de l’écologie commence ainsi : « l’étude des relations... ». A l’échelle d’un écosystème, ce sont les relations entre un milieu, les éléments inorganiques dont il est constitué et les êtres vivant qui y habitent qui constituent l’objet d’étude de l’écologie. à l’échelle de la planète, ce sont les relations entre différents milieux qui entrent en compte, et qui comprennent les relations entre tous les éléments qui constituent la planète et entre tous les êtres vivants dans leur ensemble. Car « l’oikos planétaire » n’est pas constitué seulement de l’ensemble de ses constituants et habitants : il n’existe que par leurs rela-tions. Avant même de concerner « les être vivants et leur milieu », l’écologie est une science des relations, s’intéressant aux interactions entre tous les constituants de la nature.

L’écologie bien comprise incite donc à un changement crucial dans notre perception de la na-ture. Le philosophe Loic Fel, dans son ouvrage L’Esthétique verte5, a exposé comment l’idée même

de nature est redéfinie à partir de l’écologie. L’écologie, en tant que science des relations, cor-respond à « l’étude de l’organisation non pas d’objets naturels mais de l’organisation d’un en-semble ». La nature se redéfinit donc comme « un système dynamique global », dont la science écologique révèle l’unité systémique. Elle participe alors d’un bouleversement culturel, en susci-tant une vision holistique du monde fondée sur la science. L’écologie concerne nos représenta-tions de la nature et du monde et pose la question de notre place dans ce monde.

L’écologie, une nouvelle vision du monde

Après avoir évoqué le changement provoqué par l’écologie dans notre perception de la nature, menant à une vision holistique du monde, il nous parait nécessaire d’approfondir à présent la conception de l’écologie comme vision du monde. Cette approche remonte aux origines même de l’écologie, avec la première définition de l’écologie par Ernst Haeckel comme « science des relations des organismes avec l’environnement, comprenant au sens large, toutes les conditions d’existence. » Mais il en existe une autre traduction : « la science des relations des organismes avec le monde environnant.»6 La différence dans l’usage des termes « environnement » ou « monde

environnant » peut sembler minime, mais est pourtant riche de sens. Michel Deguy a ciblé cette nuance dans son ouvrage intitulé Écologiques7.

Dans cet ouvrage, il propose une approche philosophique et poétique de l’écologie. C’est à tra-vers ce regard que l’écologie se présente, non seulement comme discours sur l’environnement, mais comme vision du monde. Il note que « trop de vague synonymie brouille l’usage de « pla-nète, terre, monde, univers, tout, lieu... »8, et qu’une vision anthropocentrée et utilitaire de

l’écolo-gie la présente comme une série de problèmes environnementaux à résoudre pour « préserver la planète ». Mais Michel Deguy remarque que lorsque l’on parle d’écologie « il ne s’agit pas de la planète, astre errant, bolide cosmique qui poursuivra bien sans nous quelques milliards d’années de plus sa course dans le système. Mais de la terre dans sa relation avec le monde. » Notons l’ab-sence de ma juscule : il ne parle pas de la Terre (la planète), mais de la terre en tant qu’habitat, en tant que « condition d’existence ». « Car c’est bien de la terre qu’il s’agit, de l’existence terrestre. La terre et ses habitants ? C’est la question. Il s’agit bien de nous aussi, qui ne savons plus com-ment l’habiter bien ; et la prenons pour notre habitacle. »9

Ce propos sur l’habitation vise-t-il à redéfinir l’écologie par rapport l’oikos compris comme simple «maison» ? Non, car l’habitat n’est pas la maison ; « habiter » a pour l’homme une signification particulière. Comme l’a écrit Heidegger : « L’homme habite en poète ». Ce qui signifie que le fait d’habiter ne désigne pas seulement une situation géographique et matérielle, mais implique une approche spécifiquement humaine -poétique- du monde. Il ne suffit pas à l’homme de construire sa maison, il ne peut habiter humainement que là où le poète a déjà pris la mesure du monde. Car, tout comme la planète n’est pas la terre et l’habitat n’est pas la maison, le monde n’est pas l’environnement. Il s’agit du «lieu que les hommes cultivent, entretiennent et modifient, et qui

5 Loïc Fel, L’Ésthétique verte, de la représentation à la présentation de la nature, Champ Vallon, 2009 6 Michel Deguy, Écologiques, Hermann, Paris, 2012

7 Michel Deguy, idem 8 Michel Deguy, idem 9 Michel Deguy, idem

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est le plus souvent appelé leur « monde », ou leur culture.» « Le monde est la transformation de la terre en habitation des humains : « terre des hommes ». Lorsqu’à propos d’écologie, on parle d’«habiter en poète », il s’agit de la relation établie par l’homme entre la terre et le monde. De ce point de vue, « l’écologie ne concerne pas tant l’environnement (l’Unwelt des écologues) que le monde (le Welt des penseurs) » ; Or, le monde n’est pas un environnement naturel, donné d’avance, mais il est culturel, et construit par l’homme : la réalité du monde passe par la fiction-nalisation poétique. C’est ce qui rapproche la poésie de l’écologie. Michel Deguy exprime cela en une petite phrase : « l’écologie est une vision.» Quelques phrases extraites de son livre pour approfondir cette idée : «C’est une (trans)figuration : un spectacle (...) de tout le visible, et saisi d’imagination, emporté par l’imagination (...). Autrement dit le phénomène (...) est transporté par l’imagination à tout. Il vaut pour le tout. Le visible montre l’exemple ; l’exemple montre le tout. (...) Dire que « l’écologie est une vision veut dire qu’à la différence des « questions d’environne-ment » qui se lèvent une à une ici et là, l’écologie prend en vue le « tout ». (...) La vision ne peut être qu’écologique. L’écologie ne peut être que vision, c’est-à-dire pari d’une vue globale qui risque tout sur des signes, des « prémices »... Autrement dit « poétique ». (...) Leur appréhension, leur vision, n’est pas scientifique. (...) L’écologie est affine à ce qu’on appelle la poésie. Elle fait voir. Son sens du monde, le sens de monde pour elle est différent de celui de la mondialisation. C’est un autre monde... Mais précisément c’est notre monde, confié à l’attachement soigneux des humains, à l’art, à la philosophie et à la poésie. »10

L’écologie comme vision du monde nous apparaît alors comme une fiction poétique, ou autre-ment dit, artistique. Et cette fiction est indispensable pour que puisse s’établir la nouvelle relation au monde que nécessite la prise de conscience écologique. L’art et l’écologie sont donc intime-ment liés. La pensée écologique a besoin de l’art pour prendre forme, à travers une fiction. Les pratiques artistiques permettent d’interroger, approfondir, partager, et perpétuer cette fiction, cette vision du monde.

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2. Paysage et vision du monde écologique

Approche culturelle et artistique du paysage

La notion de paysage est abordée dans différentes disciplines scientifiques, mais aussi et surtout dans l’art. J’aborderai ici la notion de paysage en lien avec sa représentation artistique, telle qu’elle a été étudiée par le géographe Augustin Berque et le philosophe Alain Roger.

Pour Alain Roger, le paysage n’est en effet pas réductible à sa réalité physique, aux géosystèmes des géographes ou aux écosystèmes des écologues. Les données de notre environnement, que ce soit un arbre, une rivière, une montagne ou un champ, ne deviennent paysage que lorsqu’elles sont perçues par l’homme en tant que tel. Comme le remarque Augustin Berque, «Le paysage n’est pas l’environnement lui-même, mais une certaine relation, esthétique en l’occurrence, que nous avons avec lui. Autrement dit, le paysage, nécessairement, suppose une prédication hu-maine et «son existence requiert qu’une certaine société se représente son environnement d’une certaine manière»11. La notion de paysage et ses représentations sont donc indissociables de

notre vision du monde.

Alain Roger, reprenant dans son Court traité du paysage12 le paradoxe d’Oscar Wilde selon lequel

« la vie imite l’art bien plus que l’art n’imite la vie », nous démontre que la sensibilité au paysage s’est constituée progressivement par l’intermédiaire de la peinture et de la poésie. Ce n’est pas un hasard si le terme paese et la peinture paysagère qu’il désigne sont apparus à la Renaissance, en même temps que l’invention de la fenêtre et de la perspective. La prise de recul des artistes par rapport à la nature et à l’espace environnant a donc permis de passer de la notion de pays, en tant que territoire, à celle de paysage, en tant que représentation artistique. Alain Roger a nommé «artialisation » ce processus qui, par le biais de l’art, transforme le pays en paysage, ce qu’il exprime ainsi : «Le pays, c’est en quelque sorte le degré zéro du paysage, ce qui précède son artialisation, qu’elle soit directe (in situ) ou indirecte (in visu). Voilà ce que nous enseigne l’histoire, mais nos paysages nous sont devenus si familiers, si “naturels”, que nous nous sommes accoutumés à croire que leur beauté allait de soi ; et c’est aux artistes qu’il appartient de nous rappeler cette vérité première, mais oubliée : qu’un pays n’est pas, d‘emblée, un paysage et qu’il y a de l’un à l’autre, toute l’élaboration de l’art.»

Cette artialisation du paysage peut intervenir directement dans la nature, c’est l’art in situ des jardiniers, des paysagistes, du Land Art, ou bien indirectement, par le biais du regard, c’est l’art

in visu des peintres ou des photographes. Alors que l’art du paysage in situ s’inscrit dans la

rela-tion directe de l’homme à un territoire donné, qu’il cultive et modèle, l’art in visu se réfère à ces modèles artistiques qui structurent inconsciemment notre perception du paysage.

Vision écologique et nouvelle vision de la nature

L’écologie et les arts du paysage se retrouvent donc reliés par notre vision du monde. Et si l’éco-logie bien comprise modifie notre vision du monde, elle peut donc également modifier notre vision du paysage. Cela est en lien avec l’évolution des représentations de la nature, dans les sciences comme dans les arts, telle qu’elle a été étudiée par le philosophe Loïc Fel dans son livre

L’Ésthétique verte, de la représentation à la présentation de la nature13. L’histoire de notre relation

à la nature suit l’histoire de sa représentation, laquelle est progressivement transformée par l’ap-parition et les développements de l’écologie.

La vision classique de la nature passait par une représentation figurative, frontale et distanciée : ce sont principalement des images de notre environnement ou de ses éléments, perçues d’un point de vue extérieur. Pour simplifier, on pourrait dire que les artistes regardaient et

représen-11 Augustin Berque, Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse, Hazan, Paris, 1995

12 Alain Roger, Court traité du paysage, Gallimard, Paris, 1997

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taient la nature comme on regarde un tableau dans un musée. La nature était alors vue, par les scientifiques comme par les artistes, comme un ensemble d’objets posés les uns à côtés des autres. Les scientifiques les étudiaient un par un, et les artistes en représentaient les éléments les plus rares, beaux ou impressionnants.

La création de l’écologie, comme science des relations entre les êtres vivants et leur milieu, perturbe cette vision de la nature en y introduisant une plus grande complexité. Avec la notion d’écosystème, la nature se redéfinit comme un système dynamique, ensemble de processus et de relations. Face à la nature, « l’expérience esthétique ne se réduit plus à la contemplation frontale d’un ensemble circons crit, mais elle s’étend à l’expérience de phénomènes complexes interdépendants. »14 La relation induite par la pensée écologique est celle de l’immersion de

l’homme dans un ensemble plus vaste. Il en résulte une nouvelle appréhension esthétique, qui «se caractérise par l’inclusion du sujet de l’expérience dans la perception d’un ensemble d’inter-relations dynamiques, spontanées, autonomes, et dont l’étendue spatiale et temporelle dépasse nos facultés de perception. »15

Pour évoquer cette vision du monde, de la nature et de l’écologie, la représentation figurative ne peut avoir dans ce cas qu’un faible rôle illustratif. Les seuls modèles que propose la science écologique sont des schématisations ou des modélisations de systèmes complexes, qui ne rem-placent pas les modèles paysagers de l’art.

Une nouvelle vision du paysage

Cette nouvelle vision du monde, qui influe sur notre perception de la nature se retrouve de même dans notre perception du paysage, qui n’est plus considéré comme un objet extérieur que l’on observe, mais comme un ensemble dynamique dont on fait partie.

La prise de distance avec les modèles classiques de la représentation de la nature ne permet plus d’appliquer simplement ces modèles lors d’un travail sur le paysage. N’ayant plus de lieu com-mun auquel se rattacher, l’artiste est alors poussé à observer de lui-même son environnement, en prenant conscience de sa présence en son sein, en relation avec les processus complexes de l’écosystème. Cela implique une pensée complexe de l’écosystème ; ce qui peut rejoindre le dé-veloppement d’une «écosystémique», en tant que pensée systémique de l’écologie.

Le seul modèle de cette nouvelle fiction et de son esthétique est la nature elle-même, non plus considérée à travers le prisme d’un modèle esthétique normatif et simplificateur, mais considé-rée dans toute sa complexité et sa diversité. Le modèle de l’écofiction paysagère16 n’est donc

plus formel mais systémique : il ne s’agit pas d’observer la nature pour en extraire un répertoire de formes et de symboles, mais d’en observer les processus afin que la conception paysagère s’y inclue en harmonie. Avec l’écologie, l’esthétique paysagère passe alors d’une représentation du lieu, avec un modèle figé et fermé, à une présentation des liens, qu’il s’agisse des relations écosystémiques ou de la relation de l’homme à la nature.

À travers ces questions, c’est en fait l’invention des esthétiques paysagères qui est en jeu. Cette redéfinition esthétique se joue à la fois en amont et en aval de la création paysagère. En amont, la pensée écologique a amené les artistes à voir différemment la nature et les paysages, ce qui leur a permis de repérer et d’apprécier des esthétiques paysagères différentes. En aval, leurs créations paysagères permettent de proposer à ceux qui les parcourent cette nouvelle approche esthétique de la nature et du paysage et ainsi d’aborder l’écologie de manière sensible. Les jardins du paysagiste Gilles Cléments sont des exemples vivants de cette nouvelle approche du paysage, éclairée par ses nombreux écrits.

14 Loïc Fel, idem 15 Loïc Fel, idem

16 Ce terme «d’écofiction paysagère» a été étudié lors du séminaire doctoral tenu à l’Université de Toulouse 2 le 15 janvier 2015 : «Images des lieux, dispositifs esthétiques et enjeux politiques», notamment dans l’axe 1 : «Les lieux d’expérience de l’écofiction paysagère». (Il ne se refère ici pas spécialement à la notion d’écofiction telle qu’elle a été proposée par Christian Chelebourg.)

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3. Nouvelles orientations pour la photographie de paysage

L’écologie concernant la relation entre les êtres vivants et leur milieu, elle mène à considérer chaque être et chaque action dans sa relation avec le milieu environnant. Le contexte particulier dans lequel se déploie la pratique artistique prend alors une grande importance dans la concep-tion de projet. Cette remarque apparemment anodine met pourtant en avant une approche fondamentale de l’art : l’attention au contexte et aux spécificités singulières de chaque projet. Une telle approche rend impossible l’application de « recettes » pré-conçues dans le travail de création. On peut cependant identifier des caractéristiques spécifiques à la pratique artistique écologique dans la démarche de création, l’écologie associée au paysage ouvrant de nouvelles voies pour la pratique photographique. On peut retrouver dans la pratique de la photographie de paysage les trois orientations artistiques de l’art contemporain annonçant une esthétique écologique, telles qu’elles ont été identifiées par Loïc Fel17. La première se caractérise par une

approche scientique et conceptuelle, la seconde par des œuvres in situ, la troisième par un tra-vail de la matière.

Approche scientifique, conceptuelle et œuvres narratives

La première orientation artistique liée à l’écologie consiste donc en une approche de la nature par l’immatériel. La dématérialisation et l’intellectualisation des œuvres d’art, comme c’est le cas dans l’art conceptuel, présentent une ouverture à l’écologie par l’intégration des sciences dans l’art. L’expérience scientifique peut enrichir la pratique artistique, car « les théories scientifiques elle-même finissent par être perçues en tant que démarches, attitudes ; elles constituent alors une sorte de matériau artistique brut ». Alors « la dimension cognitiviste de l’expérience esthé-tique est approfondie au point de ne pas simplement intégrer des connaissances scientifiques pour la conception d’un jugement esthétique mais, à un niveau plus élevé, des théories scienti-fiques. » Et, non seulement la science devient source et matériau pour la création artistique, mais l’approche artistique elle-même peut enrichir l’approche scientifique en la complétant par un regard plus subjectif et sensible.

Cette approche se développe notamment dans le cadre de l’étude écologique d’un site ou d’un territoire, situation dans laquelle l’appréhension paysagère prend une importance primodiale. Dans ce cas, l’étude photographique du lieu se combine à son étude scientifique : écologique, géographique, biologique. Nous avons vu que l’écologie scientifique, pour être comprise, de-mande une compréhension des concepts de sytème, de complexité, d’interrelation, d’évolution dynamique, etc. lesquels peuvent être difficiles à présenter simplement. La photographie permet de rendre ces études accessibles aux non-spécialistes, non pas par un procédé de simplification ou de vulgarisation, mais par la mise en images et en récit, permettant une appréhension sen-sible du sujet, plus visen-sible et plus «parlante».

Le projet artistique développé par Helen Mayer et Newton Harrison, intitulé «The lagoon cycle», est un très bon exemple de cette approche artistique de l’écologie. Ces deux artistes américains travaillent, souvent en réponse à une commande, sur l’étude d’un problème environnemental régional. Après une première observation sur le terrain, des recherches et des échanges avec des écologistes, biologistes et urbanistes, ils conçoivent et réalisent une création artistique multi-médias.

«The lagoon cycle» est une étude sur l’usage du territoire sur la côte Pacifique, présen-tant le fonctionnement écosystémique d’un lagon. Dans ce travail, les artistes identifient le problème écologique, le rendent visible et compréhensible, interrogent le système de croyances (autrement dit, la vision du monde) qui a permis à la situation de se dégrader et proposent des initiatives pour remédier au problème écologique. L’œuvre se présente comme un récit, «un voyage philosophique et personnel, commençant par l’observation de la vie d’un petit crustacé et finissant par une prophétie de réchauffement climatique.» Il s’agit d’une installation artistique comprenant des photographies, croquis, cartographies,

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collages et textes, et incluant également de la poésie et des performances. La combi-naison de tous ces éléments permet de présenter un concept scientifique sous la forme d’images et de métaphores symboliques marquant l’imagination et donnant du sens aux problèmes écologiques. L’œuvre est exposée dans un lieu public (musée, bibliothèque ou espace communal) pour inciter à des prises de conscience, des débats et attirer l’attention des médias, de manière à ce que l’opinion publique s’empare de ces questions et incite les politiques à agir pour prévenir des désastres écologiques.

La photographie, et notamment la photographie de paysage joue un rôle crucial dans cette œuvre, constituant une mise en image directe et une mise en narration, par lesquelles s’opère le passage entre le site réel, le concept scientifique et le territoire de l’imaginaire.

Approche environnementale et œuvres in situ

La seconde orientation écologique de l’art est celle des œuvres in situ, orientée vers une ap-proche de la nature comme environnement. « Que ce soient des installations de Land Art, des promenades organisées par des artistes (Sentier Art et Nature par exemple) ou des événements et happenings divers, « réalisée par rapport à un lieu ou à un environnement précis, l’œuvre in

situ tient à chaque fois compte des paramètres en présence ». Avec ces pratiques, l’art sort des

lieux d’art, « en ouvrant l’ensemble du monde réel comme lieu d’expérience esthétique poten-tiel. » La relation du spectateur à l’ œuvre est alors celle d’une immersion totale, faisant appel à tous les sens. « Il s’agit désormais (...) non plus de « contempler » le paysage, mais de l’habiter.» « Immersion », « relation au monde réel », « habiter » : on voit ici clairement ce qui rapproche cette nouvelle relation à l’ œuvre de celle de l’homme à la terre et au monde révélée par la vision écologique.

Mais ces œuvres se limitent rarement à l’installation ou à l’évènement réalisé in situ. Elles se prolongent généralement par une mise en image permettant de présenter l’œuvre en d’autres lieux et d’autres temps, notammment sous forme d’exposition ou de livre. La photographie est le medium privilégié de cette re-création in visu. Elle retrouve ici la fonction documentaire qui est la sienne depuis les débuts de la photographie de paysage. Mais ici il ne s’agit plus de représenter un paysage, mais une œuvre dont le paysage fait partie tout en la dépassant. Cela même à de nouvelles formes paysagères, dans lesquelles installation, paysage et photographie se mêlent pour reconstituer une œuvre nouvelle. L’esthétique photographique paysagère évolue, en es-sayant de retranscrire la sensation d’immersion provoqué par le Land Art. L’œuvre peut aussi être conçue dès le départ comme une série photographique, l’installation in situ étant alors mise en place avant tout pour être photographiée.

Voici deux exemples de photographies d’œuvres de Land Art donc le propos est claire-ment lié à l’écologie, et interroge plus particulièreclaire-ment la place de l’homme dans la nature et l’impact des activités humaines sur l’environnement.

- Les colorations de fleuves de Nicolas Uriburu, artiste et paysagiste écologiste.

Pour donner à voir et dénoncer la pollution de l’eau, il colore les grands cours d’eau de fluo-rescéine, un pigment (non toxique) qui devient vert fluo au contact de micro-organismes aquatiques. Sa coloration inaugurale du Grand Canal de Venise en 1968 est suivie d’une coloration à Paris, New York, Buenos Aires, Weserburg... La diffusion mondiale des photo-graphies de ces évènement lui permet de diffuser plus largement son message.

- La série photographique «Restoration» d’Ìlkka Halso.

Cette artiste met en place une restauration fictive de la nature avec des installations in

situ, par la construction d’échaufadages cernant un arbre, un rocher ou encore une

par-celle de blé, puis la photographie de ces installations. Ces images surréalistes mettent en question la possibilité (ou plutôt l’impossibilité) d’une telle restauration, à travers un dis-cours ironique sur la tentative paradoxale de l’homme de préserver ce qu’il est en train de détruire et sa confiance absurde en la technologie pour résoudre les problèmes causés par ses propres activités. Elles interrogent la relation entre l’homme et la nature, sa fragilité et sa complexité, en montrant que les éléments naturels et vivants ne sont pas «réparables».

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Approche matérielle et plastique

La troisième de ces orientations artistiques liée à la vision écologique peut être identifiée à une fiction du « retour à la terre », non pas dans le sens courant du retour à la campagne et à des modes de vie paysans, mais dans le sens de retrouver notre place sur la terre, en portant attention à notre manière de l’habiter. Cela passe par l’attention aux relations : relations écosystèmiques, relation de l’homme à la terre et au monde, relations humaines...

De la prise de conscience de l’impact destructeur des activités humaines sur les équilibres na-turels découle une éthique et une esthétique de la simplicité. Elle remet en question les fic-tions industrielles et capitalistes du progrès infini et de l’accumulation de richesses infinie, par la conscience des limites de la planète et de la fragilité des équilibres écosystémiques. Cette vision oriente les choix techniques de création par un souci d’économie énergétique et matérielle. Ce souci d’économie d’énergie peut parfois écarter le photographe de l’utilisation trop importante des ordinateurs et des réseaux numériques, et l’orienter vers des techniques de production ma-nuelle que l’on pourrait qualifier de low tech (en opposition à high tech). En ce qui concerne la photographie, cela se retrouve dans la pratique de la photographie argentique, voire même de procédés plus anciens.

Il est aussi question de la terre en tant qu’élément primordial et symbolique, représentant la matière et la création plastique. On retrouve ici l’influence d’un panel de mouvements artistiques modernes et contemporains qui se caractérisent par le travail de la matière et les matériaux em-ployés. L’arte povera, le Land Art et le nouveau réalisme participent notamment à la constitution d’une « nouvelle esthétique matérialiste, issue pour une bonne part de l’écologie, (qui) met en avant l’aléatoire, le déchet, le rebus et le provisoire. » Cette approche est à mettre en parallèle avec la nouvelle vision de la nature apportée par l’écologie : « on passe de la vision apolinienne d’une nature dont la clarté et l’organisation font modèle pour tous les domaines, à une nature dionysiaque et confuse mais plus vivante que jamais ».

Ce retour à la terre est aussi un retour à des lieux terrestres, des sites spécifiques. Il en découle un attachement à des pratiques locales, non seulement pour éviter les déplacements coûteux en énergie, mais aussi pour des raisons plus sensibles, qui résident surtout dans l’attachement au lieu, permettant d’habiter réellement la terre et le monde. Seul un long processus de découverte et d’imprégnation permet à l’artiste de connaître les spécificités de son environnement, naturel et culturel, ce qui est nécessaire pour qu’il puisse prendre en compte le respect des écosystèmes locaux et l’intégration de la culture locale dans sa pratique créatrice.

L’attachement au site, l’intérêt pour la matière et les techniques manuelles attirent ainsi le photo-graphe de paysage à un travail de terrain et à une poïétique du bricolage. En photographiant un paysage, il en vient à tirer du site photographié non seulement des images, mais aussi des élé-ments, évènements ou matériaux, qui peuvent être ré-utilisés pour modifier l’image elle-même. Voici deux exemples de photographie paysagère qui, bien qu’ils ne présentent pas un discours écologique explicite, me semblent pourtant exemplaires de cette orientation qu’une vision écolo-gique peut donner à la photographie de paysage.

- la série photographique «lakes and reservoirs» de Matthew Brant

Il s’agit d’une série de photographies de différents lacs. Pour réaliser ces images, Matthew Brat a photographié des paysages sur le bord de chaque lac avec un film argentique cou-leur, mais il a aussi prélevé un peu d’eau dans chaque lac photographié. Il a ensuite laissé tremper chaque photographie dans l’eau du lac correspondant. L’image obtenue est ainsi modifiée matériellement et visuellement par l’eau de «son» lac, les variations esthétique dépendant de la nature de l’eau du lac ainsi que d’une part aléatoire.

- la série «Thrice Upon a Time» d’Odette England.

Odette England a quant à elle photographié une terre d’habitation qui lui est chère, la ferme australienne qu’elle a habité dans son enfance. Elle est d’abord revenue sur le site pour photographier les lieux dans lesquels elle avait elle-même été photographiée dans

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son enfance. Elle a confié à ses parents les négatifs obtenus. Ceux-ci sont retournés tous les mois pendant un an sur la ferme avec ces négatifs collés sous la semelle de leurs chaus-sures. Comme ils arpentaient le terrain, les négatifs ont étés usés et marqués par la pous-sière et les débris au sol. Les images obtenues par révélation de ces négatifs portent ainsi les traces de cette terre chérie, foulée par les pas de ses anciens habitants.

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Enjeux esthétiques, culturels et écologiques

Pour conclure, je dirai que les enjeux esthétiques d’une approche de la photographie paysagère sont importants, puisqu’il s’agit d’inventer et de redéfinir de nouvelles esthétiques paysagères. Cette évolution passe par le renouvellement de notre manière de voir et de représenter la nature et les paysages, en accordant notre regard à notre compréhension issue de la science.

Mais cela dépasse la simple question de la représentation du réel par la fiction. L’artiste, en tant que créateur de l’œuvre, peut avoir une conscience plus poussée du caractère fictionnel de la création artistique, considérant la fiction comme création d’un monde par l’effet artistique : un effet-monde. On peut alors ré-interpréter ces œuvres en tant que fictions données comme telles, qui permettent de mieux comprendre le réel, non pas par l’effet de mimesis attaché à la repré-sentation de l’être, mais par la narration, ou encore par l’effet provoqué par l’immersion dans un système dynamique complexe. De ce point de vue, l’important dans les œuvres environnemen-tales réside dans l’expérience, partagée par le créateur et le récepteur de l’œuvre, de l’appré-hension d’un tout : l’œuvre établit un effet-monde qui participe alors à la constitution d’une vision du monde écologique. Il s’agit en fait de réinventer une vision du monde liée à l’écologie, c’est à dire une écofiction. Cette écofiction est à l’origine d’une nouvelle voie esthétique, puisqu’elle influe notre vision des paysages. Mais les nouveaux modèles esthétiques issus d’une prise en compte de l’écologie dans les arts et les pratiques paysagères alimentent, enrichissent à leur tour cette écofiction, tout en favorisant son développement et sa diffusion.

La présentation de l’écofiction dans les pratiques et esthétiques paysagères permet de diffuser ces connaissances scientifiques de l’écologie et surtout cette nouvelle approche de la nature au grand public, à travers des productions exemplaires et sensibles. Ainsi, par le biais de la fiction et de son exemplification, la pensée écologique est présentée de manière plus immédiate et plus accessible que par le discours scientifique. L’enjeux de cette diffusion de l’écofiction par le biais des arts du paysage est donc de proposer de nouveaux modèles incluant l’écologie dans notre vision du monde et nos pratiques. Ce développement culturel peut ainsi contribuer à orienter notre société vers une relation plus harmonieuse à la nature et à notre environnement.

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Bibliographie :

Claude Belime, «Petite histoire abrégée du paysage en photographie», dans Regards n°1, juillet 2009

Loïc Fel, L’Ésthétique verte, de la représentation à la présentation de la nature, Champ Vallon, 2009

Michel Deguy, Écologiques, Hermann, Paris, 2012

Augustin Berque, Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse, Hazan, Paris, 1995

Alain Roger, Court traité du paysage, Gallimard, Paris, 1997

œuvres présentées :

Helen Mayer et Newton Harrison, «The lagoon cycle», 1974-1984 Nicolas Uriburu, colorations de fleuves, 1968-2012

Ìlkka Halso, «Restoration», 2000

Matthew Brant, «Lakes and reservoirs», 2008-2014 Odette England, «Thrice Upon a Time», 2012

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