• Aucun résultat trouvé

Agriculture paysanne et production alimentaire au Burundi

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Agriculture paysanne et production alimentaire au Burundi"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-02536688

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02536688

Submitted on 8 Apr 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Agriculture paysanne et production alimentaire au

Burundi

Hubert Cochet

To cite this version:

Hubert Cochet. Agriculture paysanne et production alimentaire au Burundi. Les paysans, l’Etat et le Marché, Sociétés paysannes et Développement, 1997. �hal-02536688�

(2)

Hubert COCHET1

1. De l'utilisation "fléchée" des statistiques…

La question de la production alimentaire au Burundi se heurte au problème de sa quantification au niveau national et donc à celui de l'utilisation des statistiques disponibles.

Tandis que les densités démographiques rurales atteignent des valeurs extrêmement élevées - 200 hab./km2 en moyenne en 1990 - et que l'extension de l'ager au détriment du saltus atteint bien souvent ses limites, les statistiques disponibles servent souvent de base ou d'illustration aux discours les plus pessimistes. Elles font apparaître - dit-on - un accroissement plus rapide de la population par rapport à celui de l'offre de produits vivriers, et donc une baisse des disponibilités alimentaires par habitant.

Servi en introduction ou présenté en guise de conclusion, le ciseau malthusien de l'offre et de la demande alimentaire alimente de nombreux travaux conduits sur ce thème par les Instituts de recherche, les Universités et bureaux d'études. Il réapparaît souvent dans les publications des Ministères de l'Agriculture ou du Plan, ainsi qu'à la tribune des bailleurs de fonds2.

Les statistiques citées sont celles fournies par l'Institut des Statistiques et des Études Économiques du Burundi (ISTEEBU) elles mêmes basées, pour les années soixante dix et quatre vingt, sur les estimations nationales de production réalisées par l'ancien Service National des Études et Statistiques (SNES). Or, ces estimations nationales reposent toutes sur la même enquête agricole et alimentaire que la SEDES réalisa au Burundi entre 1967 et 1970. Pour les années suivantes, les estimations fournies sont issues de projections réalisées en appliquant aux chiffres de l'année précédente un cœfficient multiplicateur en partant du principe que la production vivrière augmentait plus au moins au rythme de la population, aux aléas climatiques près.

Mais, la reconstruction de ces séries "statistiques" n'en aboutit pas moins à la mise en évidence d'une baisse tendancielle de la production vivrière par habitant, en dépit de l'hypothèse ayant inspiré cette reconstitution, ce qui les rend d'autant plus suspectes 3. Tout se passe, en effet, comme si le schéma

1Agroéconomiste, Institut National Agronomique Paris-Grignon

16, rue Claude Bernard, 75005 Paris.

2Nkurunziza F. (1993). Voir aussi le dernier bilan sur l'économie Burundaise publié par le Ministère du

Plan (1993) et qui après avoir reconnu pourtant qu'il n'existe pas de statistiques fiables en la matière, n'en conclut pas moins que "le volume de production est pratiquement stagnant depuis plusieurs années alors que le rythme de croissance de la population est de l'ordre de 3% l'an, mettant ainsi en péril le maintien d'un équilibre alimentaire déjà très précaire" (p 9).

3 Voir à ce sujet P. Poupart (1989) qui analyse à la loupe les incohérences de ces données pour les années

AGRICULTURE PAYSANNE ET PRODUCTION ALIMENTAIRE

(3)

mécaniste d'une augmentation de production proportionnelle à celle de la population via l'extension des surfaces cultivées et la diminution des périodes de jachère (certains diraient le schéma "boserupien") accouchait de son contraire: le schéma, celui-ci malthusien, du fameux déséquilibre population/ressources.

Une nouvelle série d'enquêtes agricoles et alimentaires a été réalisée par le SNES, région par région, entre 1980 et 1986. Elle devait permettre de corriger les éventuelles distorsions issues des modes de projections qui avaient prévalu depuis les premières enquêtes de la SEDES à la fin des années soixante. Cette nouvelle base de données, régionalisée et différenciée par saison agricole (première et deuxième saison de cultures pluviales, cycle de contre-saison dans les bas-fonds) apporte un démenti aux "déséquilibristes". En comparant les 2 sources de données disponibles pour 1985 (enquêtes SEDES + projections d'une part, nouvelles enquêtes SNES d'autre part), la production disponible par habitant et par jour aurait été de 2 135 kcalories d'après les projections de l'enquête SEDES, de 2 699 kcalories d'après la nouvelles banque de données, soit un écart de plus de 25% entre les deux sources de données. Le chiffre proposé par les nouvelles enquêtes feraient donc apparaître une amélioration substantielle de la situation par rapport à 19704.

Mais l'imprécision des données de base et leur incohérence ne permet pas de retenir des chiffres aussi précis. En fait, "la production agricole serait connue à plus ou moins 14% près, soit, en termes de kcalories par habitant et par jour 2 700 kcalories plus ou moins 380 5.

Sur la base des statistiques disponibles pour les trente dernières années, il semble donc rigoureusement impossible de conclure à une baisse significative de la production vivrière par habitant et de la couverture nutritionnelle6.

L'absence de dégradation sensible (du moins identifiable avec les informations disponibles) de la production alimentaire par habitant constitue donc l'hypothèse la plus vraisemblable : résultat absolument remarquable dans les conditions extrêmement difficiles que rencontrent les agriculteurs burundais. Tout porte à croire donc, que la production alimentaire a bien suivi peu ou prou, la courbe démographique, maintenant ainsi le Burundi sur la liste, peu longue, des pays d'Afrique autosuffisants du point de vue alimentaire. Et la famine si redoutée, tant de fois annoncée, n'a pas eu lieu, la dernière grande crise alimentaire remontant aux années 1943-44.

Jusqu'au début de la guerre civile qui ravage le pays depuis 1993, les importations alimentaires - il est vrai déjà en hausse - étaient encore limitées à quelques produits destinés à la minorité disposant d'un pouvoir d'achat supérieur (farine de blé, malt, lait en poudre, …) et à quelques produits de base distribués à des collectivités par la Programme Alimentaire Mondial7.

4Les disponibilités alimentaires de 1970 auraient été de 2 423 kcalories par personnes et par jour (mais

avec quelle précision et quel intervalle de confiance ?) (P. Poupart, idem, p. 78).

5P. Poupart, op cit, p 83.

6Voir aussi l'article de J.E. Bidou (1989) qui conclut de même : "On ne peut estimer la production

agricole à l'heure actuelle avec une précision de 20%. Dans ces conditions, l'étude de l'évolution de la ration alimentaire peut, en attendant l'amélioration de l'enregistrement des résultats agricoles, être considérée comme un exercice de style" (p. 259).

7Cette situation a bien sur changé depuis lors. L'importance des populations déplacées ou réfugiées a

(4)

Bien que cette performance relative soit maintenant admise par de nombreux observateurs8, "le scénario catastrophe" a ses vertus … politiques et

financières. L'existence d'une paysannerie laborieuse mais dont les performances sont supposées avoir atteint leurs limites, la perte annoncée de l'autosuffisance et la menace perpétuelle d'une crise alimentaire majeure ont attiré bailleurs de fonds et ONG, au point de couvrir le pays d'une densité peu commune de "projets" en tout genre.

En outre, le schéma du "déséquilibre population/ressources" revient de

facto à nier les performances réelles des producteurs et à leur ôter toute capacité

à innover. Leurs pratiques étant restées, dit-on, inchangées et donc "traditionnelles" et "archaïques", on en déduit rapidement qu'elles doivent être "modernisées". Les Projets et l'Administration sont là pour prendre en charge cette modernisation et "encadrer" les producteurs. Comme le précise à ce sujet A. Guichaoua : "Le pessimisme radical du scénario démographique et agronomique dominant tire l'essentiel de sa force de son utilité sociale et politique. C'est lui qui sert de soubassement à la légitimité fonctionnelle que les élites dirigeantes se sont elles-mêmes reconnue et qui justifie les politiques (…) de sur-encadrement des producteurs …"9.

Instituts de recherche, Universités et experts nationaux et étrangers n'ont que rarement remis en cause le caractère inéluctable du schéma malthusien et la toute puissance du rapport homme/terre dans leurs schémas d'analyse : c'est la pression démographique et le caractère rudimentaire des techniques agricole qui sont à la base du fameux déséquilibre; la pression foncière a entraîné une extension des surfaces cultivées au détriment des pâturages et des jachères, une régression consécutive de l'élevage, la diminution de la taille des exploitations, leur morcellement, la mise en culture des terrains en pente forte, l'aggravation de l'érosion, la baisse des rendements, etc..

Quelque peu enlisée dans ce schéma d'analyse unilatéral, la réflexion scientifique est restée trop longtemps comme engourdie dans les mêmes rapports de cause à effet, au point que son simple questionnement en devenait une entreprise périlleuse, voire subversive, jusqu'à un passé récent. Les projets de développement ayant fort peu contribué à l'accroissement de la production vivrière, ce sont donc les paysans eux-mêmes, en dehors de tout "encadrement", qui sont responsables de cette progression globale de la production vivrière et donc, nous l'avons vu, du maintien relatif des disponibilités alimentaires par habitant.

La question essentielle revient donc à se demander comment ces derniers ont réussit un pareil tour de force alors que les moyens de production à leur disposition n'ont guère progressé et que l'extension des terres cultivées au détriment des pâturages ne pouvait pas, à elle seule, permettre une telle progression. Pendant que les surfaces assolées augmentaient d'environ 50%

8Y compris par certains experts de la Banque Mondiale (1995). Ce même constat avait déjà été formulé

auparavant; voir par exemple J.P. Peemans (1990) et Overbeeke W. et all (1985).

(5)

pendant les 40 dernières années10, population et production alimentaire

connaissaient une croissance de l'ordre de 150%! L'accroissement des disponibilités alimentaires ayant donc été 3 fois plus rapide que celui des surfaces assolées, il faut admettre que la production moyenne par unité de surface (le rendement global, toutes productions confondues) a été considérablement accru.

C'est cet aspect, essentiel, de l'évolution récente de l'agriculture burundaise qui est le plus souvent ignoré dans le schéma d'interprétation en termes de déséquilibre population/ressources.

2. L'intensification des systèmes de culture.

Cet accroissement de la quantité totale de vivres produite par unité de surface assolée est le résultat d'une intensification progressive et continue des systèmes de culture. En simplifiant quelque peu l'analyse, on peut considérer que les trois composantes principales de cette intensification ont été d'une part la multiplication des cycles de cultures - plusieurs récoltes par an - avec disparition progressive des périodes de friche (jachère) intercalaire, d'autre part la généralisation des associations de cultures et leur complexification, en enfin, le développement de la bananeraie.

Il y a quelques décennies, les agriculteurs pratiquaient différents systèmes de cultures assez bien individualisés les uns des autres et dont les plus intensifs - et les mieux fertilisés - occupaient les parcelles les plus proches de l'enclos familial (rugo). Bien qu'une répartition strictement "auréolaire" ne fût pas toujours décelable, on pouvait cependant distinguer: une petite bananeraie aux alentours immédiats de la maison, puis des parcelles emblavées 2 fois par an selon la succession, par exemple, maïs + haricots/sorgho (cette double culture se répétant chaque année), des parcelles ne portant qu'une récolte par an (par exemple un cycle de haricots suivi d'une friche de 8 mois) et enfin des parcelles plantées de patate douce ou de manioc, un cycle de culture étant souvent séparé du précédent par 2 ou 3 années de friches. Ce n'est qu'à la périphérie de l'exploitation, en général au bas du versant de la colline que des pâturages subsistaient, séparant le terroir cultivé des collines de celui des "marais" également mis en culture, mais une seule fois par an, en saison sèche (fig. n° 1).

Depuis, les choses ont bien changé et il est souvent beaucoup plus difficile d'identifier clairement ces systèmes de cultures. En général, on est confronté à des associations de plus en plus complexes et il est très courant d'observer sur la même parcelle maïs, haricot, sorgho, patate douce, manioc etc.. Non seulement l'association de cultures est devenue presque systématique mais la succession des cycles des différentes espèces cultivées (et la répétition dans l'année de plusieurs cycles d'une même espèce) au cours du temps confère à l'agriculture burundaise une complexité déconcertante, trop souvent mal comprise et confondue - à tord - avec une sorte d'anarchie propre aux pratiques

10Plus encore que pour la production elle même, on souffre là de l'absence quasi totale de statistiques

fiables. La superficie vivrière assolée aurait augmenté de 23 à 54 % selon différentes estimations, entre 1950 et 1990 (Ndimira, 1989).

(6)

"archaïques" des agriculteurs.

Dans une première étape, et au fur et à mesure de la multiplication du nombre des actifs, on élargit le domaine cultivé au détriment des pâturages résiduels, chacun des différents systèmes de culture étant étendus au détriment de son voisin périphérique, moins intensif (fig. n° 1). Tandis que la bananeraie voit sa surface accrue, les pâturages disparaissent peu à peu. Sur une aire donnée, on assiste alors à des phases de transition d'un système de culture à l'autre. Par exemple, la patate douce qui était auparavant cultivée en rotation avec une friche pluriannuelle, est suivie par un cycle de haricot (de deuxième saison) ou même directement par une culture de céréales et légumineuses associées. La patate douce fait momentanément office de "plante d'ouverture", pour laisser place à un système de culture plus intensif.

(7)

Figure n° 1: Représentation schématique de l'évolution des systèmes de culture (première étape).

Rugo

Bananeraie

Maïs-Haricot / sorgho

Jachère / Haricot 2ème saison

P . douce et/ou manioc ou éleusine en rotation avec friche herbeuse

pluriannuelle. P âturage (enclos) Rugo Bananeraie Maïs-Haricot / sorgho

Jachère / Haricot 2ème saison

P . douce et/ou manioc ou éleusine en rotation avec friche herbeuse

pluriannuelle.

P âturage

Formation de nouveaux rugo Extension progressive des systèmes de culture

(8)

Quand les derniers pâturages sont retournés et rentrent ainsi dans le domaine assolé, tout se passe comme si les différentes "auréoles" préexistantes se trouvaient maintenant de moins en moins différenciées les unes des autres et comme superposées sur un espace lui même réduit (par exploitation). Manioc et patate douce sont maintenant dispersées ça et là dans les parcelles de céréales et légumineuses. Du côté de la bananeraie, l'extension est poursuivie. Elle est entreprise par association du bananier dans les parcelles qui portent déjà céréales, légumineuses et tubercules (fig. n° 2)11.

En fait, l'instabilité des rotations de culture (parfois difficiles à identifier dans le dédale des associations de cultures) révèle l'évolution permanente de celles-ci, les deux étapes représentées sur les fig. n° 1 et 2 étant donc réalisées le plus souvent simultanément. On assiste à la fois:

- à un remplacement d'un système de culture par un autre avec chevauchement dans l'espace (extension des auréoles concentriques au détriment des pâturages),

- à une "superposition" de ces systèmes de culture.

La multiplication des cycles de culture et la complexité croissante des associations sur les parcelles réduites dont dispose chaque paysan apparaissent donc, dans cette hypothèse, comme le résultat de cette "compactation". Derrière la complexité apparente des successions de cultures et des associations, il est souvent possible d'identifier les différents éléments des anciens systèmes de culture, plus simples, jadis mis en place sur des espaces différents et concentriques (fig. n° 3).

Ce processus évolutif est extrêmement complexe et présente d'innombrables variantes dans chaque région du pays, mais aussi au niveau de chaque colline ou versant de montagne. Il mériterait à lui seul la mise en place de programmes de recherche agronomique sur les mécanismes de l'élaboration du rendement, sur l'évolution des calendriers de travail des agriculteurs, de l'organisation de ce travail et de sa productivité, sur les causes de la disparition progressive de certaines cultures telles que l'éleusine et la courge, etc..

Enfin, il faut souligner que le café a été la seule culture à échapper à cette transformation profonde des systèmes de culture. Les parcelles de café (non représentées sur les fig n° 1 et 2) installées à proximité des rugo sur d'anciennes parcelles fumées (bananeraies ou cultures annuelles) n'ont pas été "déplacées" ni concernées par ces associations de cultures, cette pratique y ayant été prohibée par l'Administration12.

11Actuellement, les cultures pures de patate douce et de manioc sont surtout pratiquées sur des terrains

dont le statut foncier est incertain (terrains indivis ou appartenant à l'administration communale, parcelles en location ou trop éloignés du rugo pour connaître ce processus d'intensification (elle est encore courante dans les grandes exploitations ou la structure en "auréoles" est plus ou moins maintenue).

12A ce propos, il faut souligner que la plupart des thèmes techniques vulgarisés par les services agricoles

se sont révélés inadaptés à la majorité des exploitations agricoles du pays: la culture pure parce qu'elle interdit les formes complexes de culture associées qui ont pourtant fait leur preuves et permis l'intensification des systèmes de culture, le semis en ligne parce qu'il exige un surcroît de travail pendant une période déjà surchargée sans permettre pour autant un quelconque accroissement de rendement, l'"éclaircie" de la bananeraie parce qu'elle porte atteinte au système de culture le plus performant de l'exploitation, le paillage du café parce qu'il accapare toute la matière organique de l'exploitation au détriment des autres parcelles qui voient alors leur fertilité décroître, etc... La mise en place autoritaire

(9)

d'une politique agricole et d'aménagement profondément inadaptée au monde rural a eu également des conséquences nefastes sur l'agravation du fossé qui séparait, déjà depuis l'époque coloniale, le monde paysan de l'élite urbaine au pouvoir à Bujumbura (Cochet, 1994, 1996b).

(10)

Figure n° 2: Représentation schématique de l'évolution des systèmes de culture (deuxième étape).

Rugo (enclos)

Bananeraie dense associée au taro + arbres fruitiers, etc.

Système de cultures vivrières en associations complexes: maïs + haricot / sorgho + haricot + boutures de p. douce, manioc et bananiers épars

P .douce et/ou manioc + friche pluriannuelle

sur parcelles en location ou éloignées du rugo Rugo (enclos)

Bananeraie

Maïs-Haricot / sorgho

Jachère / Haricot 2ème saison

P . douce et/ou manioc ou éleusine en rotation avec friche herbeuse

pluriannuelle.

P âturage

Formation de nouveaux rugo Extension progressive des systèmes de culture

(11)

Ces transformations conduisent à la différenciation progressive de deux grands ensembles au sein de chaque exploitation: la bananeraie dense et associée à des cultures d'ombrage d'une part, un ensemble de parcelles cultivées en associations complexes d'autres part (fig. n° 3).

Figure n° 3: Exemple de systèmes de cultures associées complexe (calendrier agricole d'une parcelle).

maïs

haricot

sorgho

P remière saison de culture.

Deuxième saison de culture.

Durée du cycle de la culture.

année n année n+1

oct nov déc jan fév mar avr mai juin juil aout sep oct nov déc jan fév mar avr mai juin juil

p.douce

manioc

Cette intensification marquée des systèmes de culture n'a pas été sans poser de nouveaux problèmes de maintien de la fertilité. La diminution relative des activités d'élevage (liée en partie à la réduction des pâturages disponibles) et le tarissement progressif des transferts de fertilité que celui-ci autorisait du saltus vers l'ager grâce au parcage de nuit et à la récupération minutieuse des déjections ont vu leur effet dépressif cumulé avec l'accroissement des besoins qu'entraînait un usage de plus en plus exigent des terrains assolés (multiplication des récoltes).

L'extension de la bananeraie, particulièrement spectaculaire dans la plupart des régions, a permis de résoudre en partie ce problème, grâce à la spécificité du produits recherché : le jus de banane destiné à être consommé ou vendus après fermentation sous forme de "bière" de banane ou de "vin". La totalité des résidus de récolte (rachis, peaux de banane et résidus de pressage)

(12)

étant restituée au sol de la bananeraie ainsi que feuilles et "faux troncs", il en résulte que les exportations d'éléments minéraux dues aux récoltes sont pratiquement réduites à zéro : le jus de banane contient surtout de l'eau et du sucre, donc pratiquement pas d'azote, de phosphore et de potassium. La bananeraie étant en outre une véritable "usine à biomasse", capable de fonctionner toute l'année et dont la production est intégralement restituée au sol (sauf le carbone contenu dans le sucre du jus de banane), il en résulte que ce système de culture - la bananeraie exploitée pour son jus - peut se suffire à elle même sans exiger de fumure animale ni chimique: une aubaine dans le contexte de l'agriculture burundaise13. Et comme bière et vin de banane

constituent aujourd'hui l'une des sources de revenus les plus conséquentes des agriculteurs, et un apport non négligeable de calories alimentaires, ces derniers ont fait en sorte d'étendre au maximum leur plantation de bananiers, en y plantant de surcroît des arbres à enracinement profond (arbres fruitiers, chênes d'Australie, etc.) et en profitant de la matière organique ainsi accumulée pour y complanter d'autres cultures vivrières d'ombrage (taro).

La reproduction de la fertilité des autres parcelles (cultures vivrières associées) pose par contre de graves problèmes que les agriculteurs tentent de différer par un jardinage minutieux.

3. Vers une crise alimentaire au Burundi ?

Outre l'extension des terres assolées au détriment des pâturages et des parcours, c'est donc surtout ce processus d'intensification progressive des systèmes de culture qui a permis à la production alimentaire de croître aussi vite que le nombre de bouche à nourrir.

Cette intensification est basée sur une incorporation toujours plus grande de travail au procès de production, c'est à dire par un nombre croissant de journées de travail dépensées par hectare. Les moyens de production sont restés les mêmes et aucun intrant d'origine industrielle (engrais chimique, pesticides) n'est venu aider les agriculteurs, le seul capital circulant supplémentaire se limitant aux boutures, aux semences, parfois aux tuteurs.

La multiplication des cycles de culture et la complexification des associations ont permis un "remplissage" progressif du calendrier de travail, au point que malgré la petite taille des exploitations, les périodes de faible activité sont rares et le sous emploi - si souvent dépeint comme un produit de la "surcharge démographique" - le plus souvent limité à quelques petits intermèdes séparés par des périodes très chargées. C'est donc au prix d'un accroissement important de la quantité de travail que les agriculteurs, et plus encore leurs femmes, ont réussi à augmenter la production globale par hectare. Mais il n'est pas certain que la productivité marginale du travail ait beaucoup baissé ou, comme on le dit parfois, tende vers zéro. En outre, il est remarquable que la productivité globale du travail (la production nette par actif et non pas par heure de travail) ait pu être maintenu à son niveau antérieur sans connaître de forte baisse. La proportion d'agriculteurs dans la population active totale ayant plutôt tendance à baisser (tout en restant à un niveau exceptionnellement élevé,

(13)

supérieur à 90%), et le niveau de production par bouche à nourrir étant resté sensiblement le même, on peut penser que la productivité globale du travail agricole a même légèrement augmenté14.

Maintien ou légère augmentation de la productivité du travail, sauvegarde relative de l'autosuffisance alimentaire, création d'emplois15: ne

parle-t-on pas un peu trop vite de crise ?

Malgré une productivité moyenne du travail très faible, l'agriculture burundaise a, jusqu'à présent, échappé à l'exode rural et n'a pas été profondément déstructurée. L'enclavement du pays et une relative protection du marché intérieur par rapport au système de prix mondial (coûts de transports élevés depuis les ports de l'Océan Indien, relative protection douanière avant sa remise en cause récente dans le cadre du PAS) ont joué un rôle fondamental dans le maintien à la campagne d'une paysannerie très active, et véritable moteur de l'économie nationale. A l'exception des groupes sociaux peu nombreux disposant d'un pouvoir d'achat supérieur et de quelques collectivités subventionnées par le PAM, on mange encore peu de pain au Burundi et le riz qui y est consommé est lui-même burundais.

Cette situation plutôt favorable ne signifie pas, bien sûr, que toutes les exploitations agricoles se portent bien et il existe aussi une forte différenciation des exploitations agricoles, malgré la relative homogénéité qui prévaut en première analyse. Beaucoup sont dores et déjà engagées dans un processus de crise difficilement réversible. Mais c'est en général le manque de moyens de production ou l'insécurité de la tenure foncière qui entraîne cette dégradation, plus encore que la petite taille de l'exploitation.

En effet, quand la rémunération du travail devient inférieure au minimum vital et si aucune source extérieure de revenu ne peut compenser cette situation, les arbres sont coupés un à un au rythme des besoins immédiats et incompressibles de la famille; régimes de banane et café sont vendus sur pied à moitié prix; le bétail résiduel est bradé; les outils ne sont plus renouvelés. En dernier recours, les résidus de culture sont vendus; les branches disponibles ou les roseaux sont vendus comme tuteurs ou bois de chauffe. La disparition de la bananeraie est l'étape ultime et sans retour de cette décapitalisation quand, pour assurer les besoins immédiats de la famille, on sacrifie le dernier arpent de fertilité protégée: la bananeraie16.

Curieusement, le signe le plus inquiétant d'une généralisation possible de cette crise de l'agriculture vivrière se manifeste depuis une dizaine d'année (en dehors du contexte récent de crise politique) par la stagnation durable de la production de café, malgré une extension particulièrement marquée des surfaces caféières. Alors que la biomasse disponible dans les exploitation agricole est de plus en plus limitée et précieuse, les agriculteurs hésitent de plus en plus à en consacrer la plus grosse part au paillage des caféiers, comme

14Cela est encore plus net si l'on tient compte de la production de café, en forte hausse jusqu'au début

des années quatre-vingt.

15Quoiqu'on en dise, il y a bien eu augmentation rapide de l'emploi dans l'agiculture. La population

active agricole a très fortement augmenté et le sous-emploi dans ce secteur est finalement limité et le plus souvent saisonier. Aucun flux massif de désœuvrés n'a été observé vers les villes…

(14)

le souhaiterait l'État. Le café sera sacrifié avant les cultures vivrières.

L'étonnante capacité de l'agriculture burundaise à surmonter ses difficultés s'est aussi manifestée depuis que le pays est plongé dans la guerre civile. Malgré plus de trois années de crise, malgré la désorganisation totale de l'État et sa paralysie, malgré les pertes en vies humaines et les déplacements massifs de population (déplacés de l'intérieur, réfugiés burundais dans les pays voisins, réfugiés rwandais au Burundi), la production alimentaire ne s'est pas effondrée comme on pouvait le redouter17. L'importance de la bananeraie

associée au taro, et celle prise par les cultures non saisonnières (manioc, patate douce) dans les associations de cultures et les assolements rendent l'absence momentanée du propriétaire moins grave que s'il s'agissait seulement de cultures saisonnières. On peut revenir quelques semaines ou quelques mois plus tard, il reste toujours quelque chose à récolter. Certes, beaucoup de bétail a été abattu, mais la fertilité acquise et accumulée dans le sol des bananeraies reste intacte tant que les bananiers ne sont pas eux-mêmes coupés (ce qui n'est en général pas le cas).

Cette résistance exceptionnelle du secteur vivrier a bien sûr ses limites et il est certain que le prolongement de la crise finira par perturber gravement les bases de la production vivrière. La bananeraie et le réservoir de fertilité qu'elle représente ont été acquis grâce à la proximité de l'enclos et des soins réguliers. L'éloignement prolongé du propriétaire de son enclos finira par entraîner la décadence de sa plantation, son pillage et sa destruction progressive. Et son installation provisoire chez des parents ou dans des camps de déplacés, dans des conditions de précarité absolue (précarité de la tenure, manque de moyens de production, déplacements fréquents) ne peuvent qu'encourager une exploitation à-la-va-vite du terrain, pour survivre au jour le jour et sans la moindre possibilité de ménager l'avenir: coupe tout azimut de la végétation ligneuse pour la vente ou le bois de cuisson, multiplication des cultures à cycle court, simplification extrême des façons culturales, etc..

17En 1995, les pertes de production sont estimées à seulement 7% par rapport à une année normale (J.

(15)

Éléments bibliographiques.

BANQUE MONDIALE (1995): Burundi: Note de stratégie économique et évaluation de la

pauvreté, version provisoire (janvier 1995).

BIDOU J. E. (1989): "Production vivrière et autosuffisance alimentaire au Burundi, une critique des sources statistiques", in Département d'Histoire de l'Université du Burundi: Histoire

sociale de l'Afrique de l'Est (XIXè-XXè siècle), Karthala, 1991, pp. 251 - 267.

BOURGERIE J., MARTIN S. et LECOMPTE D. (1995): Economie burundaise: adaptation à la

crise politique, Bujumbura, aout 1995, (ronéotypé).

COCHET H. (1994): "Le secteur agricole au Burundi: enjeu majeur des politiques de dévelopement" in A. GUICHAOUA (sous la direction de): Les crises politiques au Burundi et

au Rwanda (1993-1994), Université des Sciences et Technologies de Lille / Karthala, 1995, pp.

107 - 123.

COCHET H. (1996a): "Gestion paysanne de la biomasse et développement durable au Burundi", Cahiers des Sciences Humaines, Vol 32, n° 1/1996, ORSTOM, p. 133-151.

COCHET H.(1996b): Burundi: la paysannerie dans la tourmente. Eléments d'analyse sur les

origines du conflit politico-ethnique., Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de

l'homme, coll. Agriculture paysanne et modernisation, Dossier pour un débat n° 60.

GUICHAOUA A. (1993): Eléments de réflexion pour une stratégie réaliste de croissance de

l'agriculture burundaise, préparation du Memorandum économique, Mission Résidente de la

Banque Mondiale au Burundi.

NDIMIRA P-F. (1989): Evolution de l'agriculture au Burundi depuis l'ère colonial jusqu'à

nos jours (période 1916-1987), version provisoire, Faculté des Sciences Agronomiques,

Département de socio-économie rurale, Université de Bujumbura.

NKURUNZIZA F. (1993): Mémorandum Economique, Secteur Agricole, thème I:

Contraintes des systèmes traditionnels d'exploitation agricole, Mission Résidente de la

Banque Mondiale au Burundi.

OVERBEEKE W, D'HAESE L., BIKEBAKO P., NDIMIRA P-F. (1985): Population et emploi

agricole au Burundi, Faculté des Sciences Agronomiques, Université du Burundi.

PEEMANS J. Ph. (1990): "Le Burundi du IIIè au Vè plan: contraintes de modernisation et enjeux du développement", Mondes en Développement, Tome 18, N° 69, 1990, ISMEA-Paris/ CECOEDUC-Bruxelles.

POUPARD P. (1989): "La mise en place de bases de données agricoles. Quelques réflexions à partir de l'expérience du Burundi", STATECO No 57, INSEE, Paris, pp. 67 à 84.

REPUBLIQUE DU BURUNDI, Ministère de la Planification du Développement et de la Reconstruction, Service de Planification Macroéconomique (1993): Economie Burundaise

Figure

Figure n° 1: Représentation schématique de l'évolution des systèmes de culture  (première étape)
Figure n° 2: Représentation schématique de l'évolution des systèmes de culture  (deuxième étape)
Figure n° 3: Exemple de systèmes de cultures associées complexe (calendrier agricole  d'une parcelle)

Références

Documents relatifs

L’alimentation des vaches laitières au niveau des exploitations enquêtées est basée sur l’utilisation importante du concentré, notamment dans les groupes à chargement

Dans les procédés à deux étapes utilisés de préférence, la méthanisation est réalisée dans deux fer- menteurs connectés en série, la première étape étant le

La crise alimentaire de 1998 montre, au contraire, l’urgence qu’il y aurait, pour la société cotonnière comme pour les acteurs non étatiques du développement, à travailler de

Les deux variétés ont été maintes fois comparées en conditions contrôlées dans les essais variétaux multilocaux, avec presque toujours un net avantage en production de gousses

Pour les 50 ans du quartier de Villeneuve-les-Salines le Collectif a contacté le peintre Allan Stephens* afin de faire les portraits de 50 habitants de Villeneuve.. C

MATERIELS ET METHODES ... Sites expérimentaux ... Echantillonnage et préparation des échantillons de sol ... Caractérisations initiales des échantillons de sols ... Détermination

Dans le graphique ci-dessus, nous avons fixé des objectifs de production de lait à atteindre et avons calculé la quantité de correcteur à apporter dans l’alimentation des bovins

Nous avons testé l’hypothèse que l’asynchronie des couverts et des pratiques agricoles dans un paysage, permettait aux populations d’auxiliaires de compenser les perturbations