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Trajectoires professionnelles et expériences subjectives chez les jeunes gestionnaires

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Academic year: 2021

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(1)

TRAJECTOIRES PROFESSIONNELLES ET EXPÉRIENCES SUBJECTIVES CHEZ LES JEUNES GESTIONNAIRES

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE EN SCIENCES DE LA GESTION

HAJAR JBARA

(2)

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.O~ -2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article ~ ~ du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire."

(3)

REMERCIEMENTS

Merci à toutes les personnes qui ont généreusement acceptées de m'offrir leur temps et leur confiance pour participer à ma recherche.

Un immense merci à ma directrice de mémoire, Viviane Sergi, dont la présence, la générosité, les conseils et la richesse des échanges ont fait de ce mémoire ce qu'il est aujourd'hui et merci aussi pour ta sympathie et tes encouragements qui ont rendu le travail si agréable.

Merci à mon mari pour sa présence et sa patience. Sans ton soutien, le processus aurait été beaucoup moins simple.

Merci aussi à mes parents qui m'ont appris la persévérance, qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui, mais aussi, qui ont accepté et soutenu mon projet même si c'est à l'autre bout du monde.

(4)

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES FIGURES ... viii

LISTE DES TABLEAUX ... ix

RÉSUMÉ ... x

INTRODUCTION ... 2

CHAPITRE I ... 7

RECENSION DES ÉCRITS ... 7

1.1 Introduction ....... 7

1.2 Les nouveaux impératifs du travail.. ... 10

1.2.1 L'intensification du travail et ses conséquences ... 10

1.2.2 Les nouvelles pratiques de gestion et leurs impacts sur les expériences subjectives au travail ... 12 1.3 L'expérience subjective du travail ... 15

1.3 .1 Mieux comprendre le phénomène de mal-être au travail.. ... 15

1.3 .2 Le rapport au travail ... 19 1.3 .3 Les émotions au travail ... 23

Les émotions au travail ... 23

Les émotions en contexte de projet.. ... 25

Les émotions dans la fonction de gestionnaire intermédiaire ... 26

1.4 Les jeunes au travail ... 28

1.4.1 La place du travail dans la vie des jeunes travailleurs ... 28

1.4.2 Les attentes des jeunes vis-à-vis du travail... ... 29

1.4.3 Le rapport au travail chez les jetmes ... 32

1.5 Conclusion ... 33 CHAPITRE II ... 3 5 MÉTHODOLOGIE ... 3 5

(5)

2.1 Paradigme, forme et nature de la recherche ... 3 5

2.2 Les étapes de la recherche ... 37

2.3 L'échantillonnage ... 39

2.3 .1 La stratégie d'échantilloru1age ... 39

2.3 .2 Les critères d'inclusion et d'exclusion ... 40

2.3.3 Corpus et représentativité de l'échantillon ... .42

2.4 Les outils de collecte de données ... .45

2.4.1 Les entrevues semi-dirigées ... 45

2.4.2 Les mémos ... 49

2.4.3 L'observation active ... 50

2.5 Le traitement des données et l'analyse ... 51

2.5 .1 La constitution des données ... 51

2.5.2 Le codage des données ... 52

La définition du codage ... 52

Les types de codage utilisés ... 52

L'outil N'Vivo pour le codage des données ... 54

2.5.3 L'analyse des données ... 54

2.6 Qualité et éthique de la recherche ... 59

2.6.1 Les critères de rigueur scientifique pour l'analyse qualitative des données. 59 2.6.2 La réflexivité ... 62

2.6.3 Les enjeux éthiques de la recherche ... 64

CHAPITRE III ... 64

RÉSULTATS ... 64

3.1 Introduction ... 64

3 .2 La perception de 1' entreprise ... 72

3.3 Le mal-être et le bien-être au travail ... 81

3.3.1 Le bien-être au travail.. ... 81

Les managers ... 82

(6)

-Le besoin de reconnaissance ... 84

Les relations au travail ... 85

Les conditions internes et externes au travail ... 86

3.3.2 Le mal-être au travail. ... 88

L'orientation ... 88

Les pratiques managériales « négatives

»

...

...

...

...

89

L'évolution ... 94

Les tensions entre les engagements personnels et professionnels ... 97

La pression ... 99

Le stress ... 1 02 Les conditions internes et externes au travail ... 106

3.3 .3 Synthèse intermédiaire ... 111

3.3.4 Les changements avec la maturité et l'expérience ... 112

Les objectifs et priorités dans la vie ... 112 Les attentes vis-à-vis du travail.. ... 114

Les réactions aux problèmes perçus ... 117

3.3.5 Seconde synthèse intermédiaire ... 120

3.4 Les ambivalences ... 121

3.4.1 La charge de travail ... 121

3.4.2 La pression ... 123

3.4.3 Les changements en entreprise ... 125

3.4.4 Le besoin d'équilibre ... 128

3.4.5 Le salaire ... 130

3.4.6 Le besoin de nouveaux défis ... 132

3.4.7 Le rapport à la performance ... 133

3.4.8 La compétition en entreprise ... 136

3.4.9 La vitesse de l'évolution ... 138

(7)

3.5 L'idéalisation du travai\ ... 142

3.5.1 Le besoin d'équilibre ... \43

3.5.2 La réalisation au travail ... 144

3.5.3 Les attentes vis-à-vis du manager. ... 147

3. 5.4 Le travailleur idéal. ... 151

3.6 Le sentiment d'emprisonnement ... 152

3.6.1 La flexibilité des horaires ... 153

3. 6.2 Le rapport au travail ... 154

3. 7 Conclusion ... 157

CHAPITRE IV ... 149

DISCUSSION ... 149

4.1 Introduction ... 149

4.2 Les changements qui s'opèrent dans le temps chez les personnes rencontrées .. 161

4.3 Les grandes étapes ... 163

4.3.1 Avant de commencer à travailler ... 166

4.3.2 En début de carrière ... 168

4.3 .3 Les phases de prise de conscience et les réactions ... 169

4.4 L'ambivalence dans le rapport au travail ... 172

4.4.1 Le rapport au travail et le rôle du travailleur dans la trajectoire personnelle ... 173

4.4.2 Le rapport au travail ... 174

4.5 Conclusion ... 183

CONCLUSION ... 184

ANNEXES A ... 194

Courriel d'invitation envoyé aux participants ... 194

ANNEXES B ... 195

Entente de confidentialité avec les participants ... 195

ANNEXES C ... 198

(8)

ANNEXES D ... 200 Certificat d'éthique ... 200 BIBLIOGRAPHIE ... 190

(9)

Figure 1.1 2.1 4.1 4.2 4.3 4.4

5.1

LISTE DES FIGURES

Les spécificités de la génération des jeunes travailleurs ... . Les thèmes et sous-thèmes du codage des données ... . La trajectoire des expériences subjectives des jeunes

gestionnaires ... . L'évolution de l'ambivalence dans le rapport au travail... ... . Dynamique d'intériorisation et de construction des discours ... . La double intériorisation dans le rapport au travail des jeunes gestionnaires ... . Synthèse des contributions ... .

Page 31

56

165

175

179

182

190

(10)

Tableau 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6 3.1 3.2 3.3 3.4 3.5 3.6 3.7 3.8

4.1

4.2

LISTE DES TABLEAUX

Les étapes de notre processus de recherche ... . Les critères de sélection de 1 'échantillon ... . La liste et les caractéristiques des personnes rencontrées ... . Les thèmes et questions des entrevues ... . Les étapes du codage ... . Les risques de la recherche et les actions correctrices ... .

Les aspects positifs et négatifs des pratiques managériales selon les participants ... . Les éléments en lien avec le stress d'après les participants ... . Les conditions internes et externes en lien avec le bien-être ou le mal-être au travail. ... . Les éléments en lien avec le bien-être et le mal-être au travail... .. Les dimensions qui changent avec l'âge/la maturité/

1 'expérience ... . La classification des pressions positives et négatives faite par les participants ... . Les dimensions touchées par les ambivalences et leurs

caractéristiques ... . Les attentes vis-à-vis des managers ... . Les changements dans le temps ... . Les oppositions entre propos et pratiques chez les entreprises et les jeunes gestionnaires ... . Page 38

41

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111

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142

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161

177

(11)

RÉSUMÉ

L'objectif de ce mémoire est d'explorer le phénomène de mal-être et de bien-être au travail en s'attardant à comprendre l'expérience subjective des jeunes cadres occupants des postes de gestion au fil de leurs premières années de travail. Nous explorons ces expériences subjectives et plus précisément celles du mal-être au travail, afin de voir comment ces jeunes gestiormaires vivent les situations émoti01melles inhérentes à leurs fonctions de gestion. Le but de notre recherche est de déterminer les éléments qui jouent un rôle dans la dynamique émotionnelle au travail et de ce fait dans les sentiments de bien-être et de mal-être vécus dans 1 'expérience de travail.

Ce mémoire est le résultat d'un travail de recherche reposant sur une collecte de données à partir de 25 entrevues menées avec des jeunes gestionnaires de moins de 40 ans qui travaillent dans de grandes entreprises. Nos entretiens avec ces jeunes gestiotmaires nous ont permis de recueillir des données relatives à leurs expériences et à leurs perceptions au travail, telles que vécues par eux. L'analyse de ces données nous a conduits à un ensemble de résultats nous permettant de documenter la variété des expériences subjectives vécues. L'analyse approfondie de ces résultats, guidée par ce que nous avons recensé dans la littérature, nous a menés vers une série de constats, qui constituent notre contribution. Nous avons ainsi pu apporter dans un premier temps une confirmation de plus quant à 1' impact négatif des nouveaux impératifs de travail et des nouvelles pratiques de gestion sur l'expérience des travailleurs. Dans un deuxième temps, nous avons pu recenser un ensemble de dimensions qui changement dans la vie au travail avec l'âge et l'expérience. La troisième contribution consiste en la définition d'une trajectoire, marquée par différentes étapes, qui rythme et segmentent ces changements. Nous avons également identifié les éléments déclencheurs du passage à l'étape suivante. Pour finir, nous avons aussi découvett que les jetmes au travail expérimentaient une double intériorisation relative d'un côté aux nouveaux impératifs du travail et au fonctionnement des entreprises aujourd'hui, et d'un autre côté, liée à une forme d'idéalisation du travail. Tel que nous le montrons, cette double intériorisation crée des ambivalences dans la conception du travail et la façon d'y vivre. Notre analyse met aussi en relief l'absence ou le peu de prise de position face à ces ambivalences, ce qui contribue à entretenir un rapport paradoxal au travail, lui aussi responsable du mal-être expérimenté par les jeunes gesti01maires rencontrés.

(12)

Mots clés : Expériences subjectives au travail, jeunes gestionnaires au travail, les émotions dans les fonctions de gestion, trajectoires subjectives au travail, mal-être au travail.

(13)
(14)

INTRODUCTION

Que se passe-t-il dans les entreprises ces dernières années? Les sociétés ont connu à travers le temps de grandes mutations qui ont eu des impacts importants sur la gouvernance des entreprises, leurs organisations et leurs pratiques managériales. L'entreprise est d'tme certaine manière un terrain d'expression et de matérialisation de tous ces changements. Depuis près de deux décennies, la société vit un nouveau changement que certains qualifient d'hypermodernité (Aubert, 2004; Déry, 2007; Lipovetsky, 2004). Une des caractéristiques de ce changement est l'accélération du rytlune de vie de façon générale, ce qui touche aussi la sphère économique. Ainsi, de nos jours, l'économie est de plus en plus marquée par le numérique, mais aussi par une mondialisation grandissante, une multiplication de la demande, la croissance de la concurrence, etc. (Déry, 2009), des facteurs qui contribuent tous à cette accélération.

On pourrait penser que ce dynamisme, ces nouveautés et ces changements sont stimulants pour les travailleurs, et représentent des opportunités pour eux. Si cela peut être vrai pour certains, ce n'est pas toujours le cas. En effet, plusieurs observateurs des entreprises (Yves Clot, Christophe Dejours, Dominique L'Huilier, Nicole Aubert, Jean-François Chaniat, Omar Aktouf, parmi d'autres) constatent qu'en parallèle de ces changements, un malaise semble se répandre dans le monde du travail, et plus particulièrement dans les entreprises. Suicides, épuisement professionnel et autres crises font de plus en plus partie du quotidien des organisations. Comme nous le documenterons, certains indicateurs montrent que les troubles en lien avec le mal-être au travail sont en progression depuis déjà plusieurs années.

De manière générale, le phénomène de souffrance au travail est visible à travers les propos des salariés de tous niveaux, mais aussi à travers les écrits et articles de presse,

(15)

scientifiques et autres. Divers indicateurs de bien-être au travail soutiennent aussi ces témoignages et ces recherches. Par exemple, le taux de maladies professionnelles a significativement augmenté depuis une dizaine d'années (Delaye et Boudrandi, 2010). Mais le sujet commence à peine à être sérieusement considéré, notamment à cause de la difficulté à quantifier ce phénomène. Le stress professionnel reste relativement flou, bien que ses méfaits sur les individus et les organisations sont bien présents. «Aux États-Unis, par exemple, la facture est estimée à 200 milliards de dollars par an si 1' on intègre 1' absentéisme, la rotation, la perte de productivité et frais médicaux. Une étude canadienne attribue à la dépression des pertes de productivité atteignant 4,5 milliards $ canadien (Stephens et Joubert, 2001). Le coût global engendré annuellement au Canada par les problèmes de santé mentale s'élève à près de 14 milliards. Ces coûts représentent 4 milliards $ pour la seule province du Québec » (Delaye et Boudrandi, 2010, p.l). Dans ce contexte, il n'est pas surprenant d'apprendre que l'OMS prévoit qu'en « 2020 la dépression deviendra la principale cause d'incapacité de travail » (Delaye, Boudrandi, 2010, p.3 ). Foree est donc de constater qu'aujourd'hui, le travail n'est pas que source d'épanouissement: une partie non négligeable des salariés n'est pas en situation de bien-être au travail. Certains réussissent à sortir de cet engrenage, mais ceci se fait souvent à travers tme reconversion professionnelle ou encore via un abandon de la vie professionnelle pour une durée plus ou moins longue. Le constat est donc clair : il y a souffrance dans les entreprises. Néanmoins, si tous ces changements jouent un rôle dans cette dynamique, il nous apparaît simpliste de les retenir comme unique explication. Ainsi, il nous semble que le sujet mérite une réflexion plus approfondie.

Certains chercheurs, tout comme certaines entreprises, sont sensibles à ce phénomène inquiétant. Cette sensibilité tend à s'exprimer dans des propos qui prônent 1' importance des salariés, la nécessité de les motiver, de reconnaître leur travail, de les valoriser, entre autres. Par ailleurs, on voit apparaître de nombreux articles, notamment dans la presse d'affaires, qui mettent en valeur l'importance du bien-être

(16)

au travail, des impacts de celui-ci sur la performance des salariés, la productivité, etc. Le titre de la conférence organisée par le journal Les Affaires «Agissez dès maintenant sur le bien-être de vos employés et ayez une influence directe sur votre productivité » en est un bon exemple (Les Affaires, 2015). Ces propos ne sont pas nouveaux. Or, le phénomène de la souffrance au travail semble persister. Comment alors expliquer la coexistence de ce malaise grandissant dont plusieurs semblent prendre conscience et l'insistance sur l'importance du bien-être au travail, une importance de plus en plus défendue? D'un côté, on reconnaît que certaines pratiques - comme l'intensification du travail, la multiplication des pressions, l'accélération du rythme de travail - sont néfastes pour les individus comme pour les organisations, mais d'un autre côté, celles-ci continuent à être adoptées, avec des conséquences bien réelles pour les personnes.

C'est dans ce cadre général que s'inscrit notre recherche. Celle-ci naît non seulement de la reconnaissance de cette souffrance et de ce malaise des travailleurs, mais d'une volonté de s'intéresser fmement à 1' expérience des individus au travail. Ce qui attire d'autant plus notre attention, c'est que ce malaise toucherait un bon nombre de jeunes travailleurs en poste depuis quelques années seulement et qu'il n'épargne aucune catégorie de travailleur. La question affecte aujourd'hui autant la sphère sociale qu'économique. Notre recherche s'intéresse donc à ces jeunes au travail et plus précisément aux jeunes cadres gestionnaires. Nous nous interrogeons sur la façon avec laquelle les jeunes gestionnaires évoluent dans les contextes qui semblent être forts en émotions.

Les premières expériences de gestion sont notamment des moments qui peuvent être chargés en émotion en tous genres. Un article qui traite de l'épuisement professionnel (Degrande, 2011) rapporte qu'aujourd'hui, celui-ci touche davantage les Jeunes cadres de moins de trente ans que les travailleurs qui ont plusieurs armées d'expérience. Les employés concernés sont notamment des jeunes avec un niveau de

(17)

diplôme élevé, et

«

[f]ace à l'organisation qu'ils trouvaient "étouffante" et "oppressante", la réponse est souvent très rapide : l'abandon et la spirale de la dépression» (Delaye et Boudrandi, 2010, p.14). Cette recherche s'intéressera donc à ces jeunes gestionnaires et jeunes chefs de projets pour essayer de comprendre comment sont vécues ces premières expériences de travail, et quelles sont les répercussions sur ces jeunes lorsqu'ils sont dans des situations qui impliquent beaucoup d'émotions. Notre recherche porte donc sur l'expérience subjective au travail telle que vécu par les jeunes gestionnaires en entreprise et de façon plus précise, sur l'expérience du mal-être ou de la souffrance au travail. La fonction de gestionnaire comprend aussi les personnes qui travaillent en contexte de projet.

En effet, l'une des grandes caractéristiques de l'entreprise moderne est l'organisation par projet. Les projets occupent aujourd'hui une place importance dans le paysage organisationnel. Le projet est un ensemble de tâches soumises à une planification, et par définition contrôlables. Ce qui fait des projets un mode d'organisation techniciste et rationaliste qui concorde avec l'orientation voulue par le capitalisme moderne. (Lindgren, Packendorff et Sergi, 2014 ). Les projets sont aujourd'hui présentés comme des organisations efficaces, permettant de bien faire avancer les choses et d'avoir tm meilleur contrôle sur les actions. Le travail par projet est décrit comme une expérience stimulante. Mais les projets sont aussi des organisations temporaires dans lesquelles différentes personnes interagissent. Les travailleurs en contexte de projet vivraient même sous des injonctions paradoxales, devant faire preuve de discipline et être ludiques, être prudents et entreprenants, neutres et passionnés (Ibid.). En partant du fait que les individus sont fondamentalement subjectifs, agissant et réagissant en fonction de leurs émotions, et en prenant en considération les éléments précités, il paraît évident que les projets sont des lieux émotionnels importants. Si les pratiques de gestion de façon plus générale impliquent beaucoup d'émotions, ces dernières sont le plus souvent dévaluées dans des contextes « professionnels ». En effet, l'émotivité

(18)

est considérée comme l'opposé de la rationalité et se trouve donc associée à l'irrationalité (Ibid), qui est elle négativement perçue en contexte organisationnel.

Dans ce contexte, notre recherche tentera d'atteindre plusieurs objectifs. En partant de notre intérêt général pour l'expérience subjective des jeunes gestiotmaires, il s'agit dans un premier temps d'explorer le phénomène double du bien-être et du mal-être au travail chez cette catégorie d'employés. Nous chercherons à comprendre conunent est vécu ce phénomène du point de vue des travailleurs, et de saisir à quoi ceux-ci attribuent subjectivement ce bien-être ou ce mal-être au travail. Nous visons à

identifier les éléments qui jouent un rôle direct ou indirect dans cette dynan1ique émotionnelle, non pas d'un point de vue fonctionnel, mais d'un point de vue expérientiel. Cela signifie donc donner préséance à 1 'expérience vécue par les individus au travail, pour comprendre ce qui, chez les pers01mes, déclenche ces expériences subjectives. En ce sens, notre question de recherche s'articule comme suit : comment les jeunes gestionnaires et gestionnaires de projets vivent-ils les situations émotionnelles inhérentes à leur fonction? L'objectif final de notre recherche est de mieux comprendre le phénomène afin d'être en mesure de l'appréhender plus finement. Tel est l'apport premier des approches qui mettent à

l'avant-plan l'expérience individuelle, et qui visent à faire entendre la voix des personnes au travail.

Dans les parties suivantes, nous commencerons par faire une recens10n des écrits autour de notre problématique. Cette recension nous permettra de mieux comprendre les différents phénomènes ou sujets qui touchent à notre problématique et d'identifier les volets de notre problématique qui n'ont été jusqu'à maintenant que peu explorés. Ce travail nous conduira à développer un premier cadre conceptuel. Nous exposerons dans un deuxième temps l'approche méthodologique que nous avons utilisée dans notre recherche, en présentant les moyens utilisés dans la collecte et le traitement des données sur lesquels nous avons basé notre recherche. Compte tenu de son objet,

(19)

l'expérience subjective des jeunes gestionnaires, nous avons mené une étude qualitative de type exploratoire. Dans la section suivante seront présentés les résultats des entrevues menées dans le cadre de cette recherche. Nous y rapporterons ce qui nous a été dit, tout en procédant à une première conceptualisation de ces résultats. L'analyse approfondie se fera dans la partie suivante : c'est dans cette partie que nous interpréterons les résultats en nous appuyons notamment sur des éléments théoriques précédemment présentés, dans le but de développer notre compréhension du phénomène qui constitue le cœur de notre contribution. La conclusion, chapitre final de ce mémoire, présentera la synthèse de notre recherche.

(20)

Pour comprendre le phénomène du mal-être et de la souffrance au travail chez les jeunes gestionnaires, plusieurs questions se posent. Tout d'abord il semble nécessaire de rappeler que ces phénomènes se déploient dans le contexte du travail : cela implique que nous devons nous pencher sur cette question afm de comprendre le rapport et les attentes qu' entretietment ces gestionnaires vis-à-vis du travail. Que représente-t-il dans la vie des travailleurs? Quelle est sa place? Quelles sont ses finalités? Nous tenterons, à travers une recension des écrits sur le sujet, de répondre à ces interrogations, avant d'apporter des éléments qui permettent de mieux comprendre notre problématique de recherche, à savoir 1 'expérience subjective au travail et plus précisément le mal-être vécu au sein de celui-ci par les jeunes gestionnaires et jeunes chefs de projets. L'objectif de ce chapitre est donc de faire une recension des écrits reliés à notre problématique de recherche, dans l'optique de jeter les bases d'une compréhension de ce phénomène. Notre recension portera ainsi sur trois blocs conceptuels, soit : le rapport au travail, l expérience subjective au travail et plus précisément celle qui a trait à la souffrance au travail et pour finir, les jeunes gestionnaires et leurs aspirations face au travail.

Notre intérêt pour cette thématique découle d'un constat de plus en plus implacable: celui que le travail est actuellement, pour un nombre grandissant d'individus, une source de souffrance. En effet, il semble que le mal-être au travail soit un phénomène qui prend de l'ampleur.

«

J. Palmade, au terme de deux grandes enquêtes sur le travail menées à vingt ans d'intervalle, met en évidence les changements suivants chez les salariés : une plus grande anxiété quant à l'avenir professionnel, une moins grande

(21)

assurance de promotion professiotmelle, une plus grande évaluation négative de sa position sociale [ ... ], un plus grand sentiment d'échec de ce que furent ses projets de réalisation de soi

»

(Méda, 2004, p.67). Aux États-Unis, par exemple, la facture

relative aux conséquences de 1' épuisement professionnel est estimée à 200 milliards de dollars par an. Le coût annuel global au Canada généré par les problèmes de santé mentale s'élève à près de 14 milliards. L'OMS prévoit que la cause principale d'incapacité de travail en 2020 sera la dépression (Delaye et Boudrandi, 201 0). L'institut de gestion du stress annonce un montant d'environ 20 milliards d'euros par an relatif au coüt du stress pour l'ensemble des états de 1 'Union européenne'. L'institut universitaire en santé mentale à Montréal déclare qu'un nombre important de travailleurs est touché par des problèmes de santé mentale dmant leurs années les plus productives. Ainsi, 20 % des travaillems canadiens souffriraient chaque année de maladies liées au stress2. Selon 1' étude Samotrace (2007), faite sm un échantillon de 3000 travailleurs en France, 24% des hommes et 37% des femmes souffrent de mal-être au travail. L'association canadienne pour la santé mentale affirme que plus de 25 % des travaillems québécois se plaignent de vtvre un stress élevé quotidiennement. Aussi, plus de 40 % des réclamations pom incapacités de travail sont en lien avec des difficultés au niveau de la santé mentale3. Le stress ou le mal-être au travail apparaissent comme le thème général évoqué pom parler de l'expérience subjective au travail, ce qui nous interpelle.

De manière générale, il existe globalement deux types d'approches en science de la gestion vis-à-vis du stress au travail, une approche objectiviste et une approche interactionniste. La première s'appuie sur des facteurs objectivement reconnaissables, tels que les hemes de travail, les conditions matérielles, etc. qui sont alors considérés

1

Voir la page web «http://www.institutdegestiondustress.com/chiffres.php». 2

Voir la page web «http://www.iusmm.ca/hopital/sante-mentale/en-chiffres.html». 3

(22)

dans le but d'établir et de mesurer le lien de cause à effet qui existerait entre ces facteurs et le stress des travailleurs (Loriol, 2014; Chaniat, 1990). L'approche interactionniste quant à elle intègre comme élément primordial la capacité de réflexivité des individus. Cette approche s'intéresse aux interactions qui lient les individus, aux significations et interprétations qu'ils font de ce qui les entoure (Guignon et Morissette, 2013). À l'image de la « Person-environment fit theory

»

(Capian, 1987), l'approche interactiormiste, considère trois éléments comme influant sur le stress au travail :l'environnement, le contexte et l'individu (Leconte, s.d.).

Dans le cadre de notre étude, les sujets occupent une place centrale. Nous voulons construire notre travail sur les expériences subjectives de ces derniers et donc sur les interactions qu'ils vivent dans le cadre de la vie quotidienne au travail, mais aussi sur le sens que ces persormes donnent à ce vécu (Maisonneuve, 2000). L'approche interactionniste permet en ce sens de saisir l'individu à travers la façon avec laquelle il vit 1 'expérience au quotidien dans la société et au sein de 1' organisation. Au regard du fait qu'il est question de subjectivité et d'interprétation et en référence aux travaux

de Friedman et Rosemnan (1959) sur les personnalités au travail et notarrunent la définition de la personnalité de type A dont les principales caractéristiques sont 1' hyper investissement au travail et une grande exposition au stress professionnel, nous pouvons dire que les individus au travail vivent et gèrent ce phénomène de souffrance de façon différente. Ainsi, un même événement peut susciter des réactions différentes chez différents sujets.

Nous cornn1encerons donc par dessiner le contexte global dans lequel se situe notre recherche, à savoir le contexte socio-économique du travail de nos jours, et plus précisément les nouveaux impératifs du travail ainsi que les nouvelles pratiques de gestion qui en découlent, ainsi que leurs impacts sur les travailleurs. Ensuite, nous ferons un exposé sur le thème de l'expérience subjective au travail en présentons les éléments qui selon nous entrent en jeu dans la construction de ces expériences

(23)

subjectives et qui sont le rapport au travail, les émotions au travail et les questions reliées à la souffrance au travail. En effet, le terme de souffrance renvoie à la question de l'expérience subjective vécue et donc des émotions au travail. Nous consacrerons

ainsi une partie à la littérature po1iant sur l'expérience subjective et les émotions en

contexte professionnel, pour d'abord reconnaître à juste titre leur existence de manière générale, avant de considérer ce qui a été écrit en lien avec les personnes au

cœm de notre recherche, les jeunes gestionnaires et les chefs de projets. Pour finir, nous aborderons le rapport et la place du travail chez notre population cible, à savoir

les jeunes travaillems.

1.2 Les nouveaux impératifs du travail

1.2.1 L'intensification du travail et ses conséquences

Nous vivons depuis tm peu plus de deux décennies dans ce que certains autems tels que Richard Déry ou Nicole Aubert nomment l'hypermodernité, une économie où la financiarisation a touché tous les domaines et dans lequel le rythme s'accélère un peu plus chaque jom. Cette hypermodernité est caractérisée par une économie numérique, une mondialisation grandissante, une multiplication de la demande, la croissance de la concurrence, etc. (Déry, 2009). En trente ans, les conditions de travail ont beaucoup évolué, influençant de manière notable son organisation et faisant apparaître de nouvelles formes d'organisations (Debrand et Lengagne, 2007). Dans ce

contexte de globalisation et de libéralisme grandissant, Fortino et Linhart (2011)

mettent en lumière des transformations importantes du monde du travail dans sa

(24)

Plusieurs enquêtes sur les conditions de travail font état d'une forte intensification du travail (Gollac et Amossé, 2007; Hélardot, 2009), une intensification qui peut prendre plusieurs formes. Il n'est plus question uniquement de cadence de travail, mais de la gestion des effectifs en vue de l'atteinte d'objectifs sans prendre en considération les réalités et la complexité du travail (Gollac, 2005). L'intensification est aussi relative au cercle vicieux de la vitesse des changements, de l'urgence et du manque de préparation. Un changement organisationnel suppose un temps d'adaptation et d'apprentissage dont ne disposent pas les salariés aujourd'hui, ce qui les empêche de capitaliser sur leurs expériences et de se préparer aux changements suivants (Gollac et Amossé, 2007).

Les travailleurs d'aujourd'hui sont soumts à de nouvelles extgences de travail complexes (De brand et Lengagne, 2007). Ils peuvent éventuellement jouir d'une plus grande latitude dans la façon avec laquelle ils exécutent leur travail dans le but d'atteindre les objectifs et composer avec ces nouvelles exigences avec efficacité, mais n'y parviennent souvent pas et tombent dans l'intensification du travail (Gollac, 2005).

En plus de cette intensification, Hélardot (2009) met en lumière d'autres transformations du monde du travail contemporain. Il aborde la précarisation et la flexibilisation des temps de travail, 1' insécurité des emplois grandissante à cause des nombreuses restructurations et délocalisations. Enfin, toujours d'après Hélardot, les entreprises font appel à de nouvelles formes de mobilisation des salariés construites sur l'engagement personnel dans le travail. Les travailleurs doivent non seulement faire le travail, mais sont tenus de s'y engager personnellement, et de faire preuve de loyauté, d'autonomie et d'initiative. Courpasson (1996) parle en ce sens d'une forme de normalisation qui, selon lui, est un nouveau mode de contrôle. Il soutient que le mode de management

« entrepreneurial

»

tend à nonnaliser le comportement et l'engagement des salariés à travers la responsabilisation et 1' intégration implicite de

(25)

nouveaux référents. Ainsi l'engagement personnel devrait être obtenu à travers le partage progressif d'une conviction sur les bons comportements à avoir. « On retrouve en quelque sorte une notion idéale typique et uniforme du travailleur, qui aujourd'hui s'est propagée très largement au pers01mel d'encadrement, et a pris des formes essentiellement comportementales. » (Courpasson, 1996, p. 252). L'ensemble des éléments précités font état de nouvelles pratiques de gestion, lesquelles joueraient d'après certains auteurs, un rôle important dans l'expérience négative au travail ou le mal-être au travail. Nous les exposons dans la partie suivante.

1.2.2 Les nouvelles pratiques de gestion et leurs impacts sur les expériences subjectives au travail

. Au regard des éléments précités, de nouvelles pratiques de gestion apparaissent dans les entreprises avec l'objectif avoué de ne pas perdre leur position dans un marché qui est plus souvent qu'autrement présenté comme très concurrentiel, ainsi qu'avec la visée de générer le maximum de profits le plus rapidement possible. Nous avons vu que cela avait pour conséquence une intensification du travail. Parallèlement à cette transformation du travail, les problèmes de santé, plus précisément psychologiques, relatifs au travail, se seraient aussi intensifiés (Debrand et Lengagne, 2007). Plusieurs travaux empiriques ont démontré que l'intensité du travail avait des effets néfastes sur la santé physique et psychique des salariés (Gollac et Amossé, 2007).

Les exemples de conditions de travail génératrices de mal-être sont nombreux. Hélardot (2009), et Gollac (2005) citent la confrontation des salariés aux contradictions dans les objectifs de travail, les interruptions fréquentes qui génèrent une désorganisation du travail, le manque de moyens et d'informations qui obligent les salariés à «mal travailler ». Mais aussi, l'insécurité de l'emploi, le manque de reconnaissance, la nécessité continue de faire des choix ou des sacrifices entre

(26)

l'épanouissement professi01mel ou pers01mel, etc. Comme autre exemple, nous pouvons citer les systèmes de fixation d'objectifs entièrement chiffrés. En effet, l'évaluation individualisée fait que le sens du collectif tend à se perdre petit à petit. Les travailleurs se retrouvent à gérer des relations de rivalité à la place des moments de socialisation et de convivialité. Sans compter le fait que ce type d'évaluation ne permet pas de rec01maître le travail réel, celui-là même qui témoigne de l'implication subjective du salarié et de la mobilisation de son intelligence (Brunstein et al., 1999). De plus, « souffrant psychiquement du manque de reconnaissance de leur "travail réel", tel que familier à la psycho dynamique du travail, les salariés auraient de fortes suspicions quant à la méconnaissance totale du travail qui est évalué par les managers ... et souffrent de ce fait de 1' in1possibilité de toute reconnaissance

»

(F 01·no, 2012, p.25). Dejours (2008) conclut même en affirmant que parce que ces évaluations ne peuvent pas s'appliquer bien à un travail fondamentalement subjectif, elles sont utilisées dans une optique de domination et d'intimidation, ce qui génère un mal-être chez les travailleurs qui subissent cette domination et cette intimidation.

Par ailleurs, la réduction des effectifs à travers les plans soc1aux et autres est

« devenue un moyen préventif de

soigner sa compétitivité

»

(Méda, 2004, p.63). Or,

cela a pour conséquence d'introduire un sentiment d'insécurité chez les travailleurs. Ce sentiment d'insécurité conduirait même des travailleurs à se taire, en dépit du fait qu'ils soient, dans certains cas, dans des situations d'exploitation physique, mentale et psychologique - et ce, de peur de perdre leur place (Brunstein et al., 1999). Dejours (2008) met en évidence le fait que dans ces conditions, l'estime de soi et l'épanouissement personnel sont touchés. Hélardot (2009) souligne que ces souffrances sont d'autant plus importantes puisqu'elles sont vécues par les travailleurs dans une situation de solitude et de culpabilité.

À partir de là, nous pournons continuer à énun1érer, détailler et analyser les nombreuses dérives des modes organisationnels modernes en leur attribuant l'entière

(27)

responsabilité de la souffrance au travail, mais cela supposerait que l'on ne considère

aucunement l'intervention des individus dans ce processus, et que l'on considère

aussi que le travailleur n'use pas de sa capacité de réflexivité ni de son intelligence, qu'il n'agit et ne réagit pas. Or, l'entreprise est gérée par des hommes et des femmes

qui travaillent avec d'autres hommes et femmes. Des êtres vivants capables de

réfléchir, de prendre des décisions et d'agir. La preuve étant que des études

scientifiques confirment que ce qui impacte psychologiquement un individu n'a pas

le même effet sur d'autres (Brunstein et al., 1999). Par ailleurs, Gollac (2005) met en

lumière que les salariés ne font pas que subir ces conditions de travail, ils composent

avec et peuvent même en tirer du plaisir. En cela, nous croyons qu'il faut donc

appréhender la question de la souffrance au travail d'une façon plus large.

Jean-Pierre Neveu (1996) insiste sur la nécessité d'analyser le phénomène à

l'intérieur d'un contexte social. La société contemporaine ou moderne connaît, elle

aussi, des changements qui affectent le positionnement de l'individu dans la société.

Certaines formes d'éducation fournissent à l'individu des repères internes sur lesquels

il construit ses valeurs. Celles-ci viennent d'un référent comme la fan1ille par

exemple. Le sociologue américain Riesman, cité par Brunstein et al. (1999), explique

quant à lui que l'évolution de la société a fait que les groupes traditionnels n'existent plus, la famille s'est effacée et a éclaté, d'où la disparition d'un référent solide sans

lequel les individus sont livrés à eux-mêmes et fragilisés. Ainsi, nous pouvons dire

aussi que la société a une part de responsabilité dans la situation de souffrance

actuelle au travail. En effet,

«

la société contemporaine contribue à la fragilisation

psychique de 1' individu en façonnant une psychologie de la perception sociale par

trop versatile et émiettée »(Ibid, p.70).

Au regard de ces éléments, « la responsabilité des modes de gestion comme cause de

stress se trouve relativisée et ramenée au rôle de facteur constitutif contribuant [ ... ] à

(28)

les travaux de Karasek et Theorell (1990), Wassenhove (20 14) et de Siegrist (1996)

relatifs aux factems psychosociaux qui représentent un risque pom la santé au travail,

évaluent les éléments qui ont un impact sur la santé mentale des travailleurs au sein des entreprises; pour ce faire, ils tiennent compte à la fois des conditions du travail et

des caractéristiques individuelles dans la dynamique de bien-être ou mal-être au

travail.

De ce fait, il paraît indéniable que les pratiques organisationnelles jouent un rôle dans ce processus, mais qu'en est-il vraiment de l'expérience vécue par les travailleurs? Nous reviendrons dans la partie suivante sur cette expérience subjective et de ses différents volets en passant à la fois par le rapport au travail, les émotions au sein de celui-ci, et en nous focalisant plus sur les expériences négatives qui engendrent un mal-être au travail.

1.3 L'expérience subjective du travail

1.3.1 Mieux comprendre le phénomène de mal-être au travail

Les appellations pour définir la souffrance au travail sont nombreuses et peu précises,

ce qui représente en soit une difficulté pour définir le phénomène avec exactitude. Ainsi, bien que le lien avec celui-ci et les maladies physiologiques ait été prouvé, notamment à travers le déséquilibre hormonal (cortisol et adrénaline) (Davezies, 20 13), les facteurs déclenchems sont partiellement identifiés et regroupés (Lé geron, 2004), mais ne sont pas clairement définis (Morgan, 1999). Le stress semble résulter d'une multitude d'éléments interreliés (Creg, 2008). Les conditions de travail, les ambitions et la qualité des relations au travail sont des exemples d'éléments qUJ interagissent avec des personnalités et finissent par générer une dynan1ique qu1

(29)

impacte le bien-être et le mal-être au travail (Morgan, 1999). L'épuisement professionnel touche aujourd'hui un grand nombre de milieux de travail et n'est plus l'exclusivité de certains métiers comme c'était le cas auparavant (Kirouac, 2007).

Le thème de la souffrance au travail a fait la une de bon nombre de publications, magazines, presses spécialisées, etc. (Gollac et al, 2006). Il a aussi fait 1 'objet de nombreux travaux de recherches, pour n'en citer que très peu, nous faisons référence notamment aux contributions de Yves Clot, Christophe Dejours, Pascale Molinier, Nicole Aubert, etc. La pénibilité mentale au travail est présentée aujourd'hui comme la seule façon de faire face à la mondialisation et comme étant inévitable dans une recherche d'efficacité économique. La possibilité de la diminuer semble ainsi irréalisable (Gollac et al., 2006)

Avant de rentrer plus en profondeur dans le sujet, il nous semble important de mieux comprendre cette souffrance au travail qui comme nous l'avons précédemment dit, a plusieurs appellations. Pour commencer, il importe de définir le stress, phénomène endémique actuel : «Le stress [ ... ] provoque trois étapes chez l'homme, régulées par la sécrétion de différentes hormones. Les deux premières étapes correspondent à une phase d'alarme, suivi, d'une phase de résistance. [ ... ] Cela passe par une augmentation de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle, de la vigilance, etc. Ces symptômes disparaissent lorsque la période de stress est ponctuelle. Le cas échéant, l'organisme passe à la troisième étape qui est une phase d'épuisement, correspondant à une absence de régulation des hormones au niveau du système nerveux central » (Morgue et Leszczynska, 2014, p.8). Le stress peut survenir lorsque l'individu ressent un manque de moyens pour faire face aux contraintes qui lui sont imposées ce qui affecte la santé physique et psychique et de ce fait le sentiment de bien être (Ibid).

(30)

Une autre appellation courante pour décrire le stress au travail et ses effets sur 1' individu est le

«

burnout

».

Le psychanalyste Herbert Freudenberger développe le concept de burnout pour en faire un état de dépression conséquent des effets négatifs

du stress professionnel (Delaye et Boudrandi, 2010). Un autre concept est celui de la

fatigue au travail : Loriol (2003) parle de dimension psychosociale de la fatigue qui

décrit des sentiments d'ennui et de souffrance morale.

Au regard des définitions précédentes, le stress au travail, le « bumout » ou encore la

fatigue au travail sont d'une certaine manière trois façons parmi d'autres de décrire

des situations difficiles rendant le travail pénible et causant une forme de souffrance.

Nous utiliserons dans notre travail les termes de souffrance professi01melle ou

épuisement professionnel pour aborder ces expériences subjectives de mal-être au

travail.

La question de la souffrance au travail a été abordée à travers plusieurs disciplines et

suivant différentes grilles de lech1res, biologiques, épidémiologique,

psychodynamique, psychologique cognitiviste, psychologique clinicienne,

sociologique, etc. (Chakor, 201 0). Mais une grande partie des recherches

scientifiques abordent encore la question sous l'angle des facteurs individuels et

psychologiques qui favorisent la survenue d'épuisement professionnel (Kirouac,

2007). Cette approche nourrit 1' idée suivant laquelle 1' épuisement professionnel

viendrait des difficultés d'adaptation de l'individu au travail et qu'il serait donc d'une certaine manière responsable de sa propre souffrance (Gollac et al., 2006). Pour leur

part, Edelwich et Brodsky (1980), cités par Kirouac (20 12), voient la souffrance

professionnelle comme le résultat d'une désillusion et une perte d'idéalisme et de motivation face aux conditions de travail.

Kirouac (2007), relève tme similitude intéressante entre la description qui est faite des personnalités qualifiées comme étant à risque et qui regroupent des caractéristiques

(31)

telles que la combativité, le besoin de toujours aller plus loin, un sens élevé du succès et de la performance et les caractéristiques encouragées par les logiques managériales d'aujourd'hui. Elle ajoute que ces dernières travaillent établir cette idée de l'individu « self made » qui est directement et indirectement responsabilisé de son avenir tout en faisant la promotion de la performance individuelle dans la vie privée et professionnelle et en ainsi d'une idéalisation de la vie du travailleur. Martuccelli (2004) décrit ce phénomène de domination indirecte comme une forme de« servitude volontaire

» de la part du travailleur qui

agit suivant sa propre volonté, ma1s une volonté influencée par un propos managérial.

L'état d'épuisement a des répercussions importantes sur l'état d'esprit qui finissent par donner lieu à des symptômes physiques. L'individu ressent un épuisement psychique, une difficulté de contrôle des émotions, des sentiments négatifs de découragement et d'angoisses accompagnés de symptômes physiques tels que la fatigue, les troubles du sommeil, les troubles sexuels, etc. Un sentiment général de mal-être qui conduit à la perte de confiance en soi et à des comportements inhabituels et anormaux (Delaye et Boudrandi, 2010; Légeron, 2004). Les individus expérimentent alors une impression de débordement et d'envahissement des contraintes professionnelles sur la vie personnelle, auxquels ils ne pensent pas pouvoir échapper, ce qui vient aggraver ce sentiment de mal-être (Kirouac, 2012).

La souffrance vécue par les travailleurs notamment à cause de ces nouvelles pratiques de gestion a modifié le rappo11 au travail. Tessier (2006) fait ce constat tout en soulignant un phénomène de prise de distance vis-à-vis du travail chez ces travailleurs. Nous consacrerons donc la partie suivant à essayer de comprendre quelle est la place du travail dans la vie des travailleurs aujourd'hui, quel rapport entretiennent-ils, quelles sont leurs attentes et comment évolue ce rapport au travail.

(32)

1.3.2 Le rapport au travail

Dans un contexte d'exploration de l'expérience subjective au travail, il est nécessaire

de comprendre le rapport entretenu avec le travail, ce que représente ce travail,

qu'elles sont les attentes vis-à-vis de ce travail, quel est sa place et quels rôles il joue

dans la vie (Côté, 2013). En effet, le travail ne peut être analysé ou considéré

uniquement comme un ensemble de tâches qui correspondent à une pratique

professionnelle. C'est aussi tm temps de vie, indissociable de l'expérience de vie de

façon plus globale d'un individu (Linhart et Bertaux-Wiame, 2006). Ainsi le rapport au travail a un caractère multidimensionnel, il est défini par les attentes des individus, mais aussi par sa ou ses fonctions (Malenfant et al., 2002).

Irréfutablement, le travail permet de gagner de l'argent. La première fonction du

travail est donc de fournir aux travailleurs le moyen de subvenir à leurs besoins et

d'assurer une sécurité financière à la fois à travers la perception du salaire direct,

mais aussi en alimentant les caisses d'assurance de l'État (assurances chômage,

sécurité sociale, retraites, etc.) (Bernard, 2003). Le travail joue aussi un rôle très

important dans la socialisation. Ainsi, il est défini comme un moyen d'intégration et

de construction de relations, mais aussi comme 1' élément qui permet de gagner une

position dans la société et ainsi avoir une reconnaissance sociale (Aravis, 201 0).

Le travail se fait à travers un effort physique et intellectuel, il constitue donc aussi

une contribution utile du travailleur dans la réalisation d'une œuvre plus globale,

participant ainsi à la réalisation de la personne qui l'accomplit (Bernard, 2003). Une

réalisation qui se fait notamment à travers le sentiment d'être utile à la société, un sentiment qui à son tour enrichit l'estime et la valorisation de soi (Malenfant et al., 2002). Dans le même ordre d'idée, cet apport de l'utilité permet une reconnaissance du travailleur pour ce qu'il est et ce qu'il apporte, ce qui renvoie à la notion

(33)

d'identité. L'identité se construirait notamment à travers le travail (Méda, 2004; la Bernard, 2003).

Enfin, malgré la baisse du temps de travail contractuel, celui-ci continue d'occuper une place importante au point que 1' organisation du temps dit personnel se fait en fonction du temps de travail (Linhart et Bertaux-Wiame, 2006).

Les fonctions du travail, ses finalités ou encore les attentes vis-à-vis du travail détaillées ci-dessus sont nombreuses et ont beaucoup évolué au cours du 20e siècle.

Le travail n'est plus ressenti uniquement comme une norme sociale ou comme un moyen de gagner sa vie, mais un moyen de se réaliser et de se développer (Riffault et Tchernia, 2002; Méda, 2004). Nous assistons à une montée des dimensions du travail

dites expressives (Méda, 201 0). Le rapport au travail est ainsi défini à travers la

satisfaction des attentes entretenues vis-à-vis dudit travail, mais aussi en fonction des conditions de ce dernier (Côté, 2013). La pratique du travail dans des conditions de salariat a fait que celui-ci est devenu un bien qui se vend et qui s'achète au sein d'un marché (Méda, 2004). Or, le contrat qui est censé être un garant d'équité entre l'employeur et l'employé ne l'est pas forcément, car finalement l'employeur donne à l'employé un moyen de subsistance. À partir de là, la relation de dépendance n'est pas tout à fait équitable (Forno, 2012). Les sociologues parlent de « soumission consentie», qui va se transformer doucement à travers le temps en un objet de confrontation entre 1' employeur et les salariés et qui va participer à la définition du rapport au travail (Ibid).

En ce sens, certains chercheurs se sont intéressés à ce sentiment de soumission ou de perte de liberté ressenti par les travailleurs. En effet, ces derniers expriment le sentiment d'être emprisonné dans un travail, une société, des normes, des valeurs sur lesquels ils ne pensant avoir aucune marge d'action. Ce sentiment a été qualifié de prison psychique et jouerait un rôle dans les expériences subjectives et négatives du

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travail. Morgan (1999) explique que les individus créent des organisations de façon

consciente ou inconsciente et les maintietment comme telles. Or, les mêmes

mécanismes psychiques qui leur permettent d'ordonner leur univers peuvent devenir

des contraintes qui les empêchent d'agir de manière différente. « Les façons de voir

deviennent des façons de ne pas voir » (Morgan, 1999, p.201). Les personnes

deviennent alors comme prisonnières d'images, d'idées, de pensée, etc. «Les prisons

du psychisme sont de cette nature. Des façons de penser et d'agir choisies une fois

pour toutes deviennent des pièges qui enferment les individus dans des mondes

construits par la société et empêche d'autre monde de naître» (Ibid, p.212).

Il y a donc des conditions psychiques qui influencent le rapport au travail, mais aussi

des conditions plus matérielles. Conm1e exemple de ces conditions, nous pouvons

citer le virage numérique et toutes les technologies de l'information et de

communication, qui sont en place depuis quelques années déjà mais qui continuent à

gagner en importance, jouent un rôle très important. Elles sont en effet utilisées

comme moyen pour gagner du temps et exigent tme réactivité et une rapidité de

traitement sans précédent. Les acteurs se retrouvent connectés de façon permanente, à

travers internet et téléphones intelligents, ce qui a participé à la rupture de la frontière

entre temps de travail et temps libre (Aubert, 2012). Or ces frontières jouent tm rôle

important dans la mesure où elles participent à limiter le risque d'un

surinvestissement qui serait néfaste pour les travailleurs à terme (Aubert, 201 0). Et

ceci en référence à la place mentale qu'occupe le travail et que Méda (20 1 0) défmit

comme dépassant la place physique; de ce fait le travail peut être vécu comme

envahissant.

D'ailleurs, plusieurs chercheurs ont noté une distanciation par rapport au travail ou à

l'entreprise (considérée conm1e 1' endroit où se passe le travail) sur laquelle les

travailleurs ne compteraient plus pour avoir un équilibre de vie. Une forme d'

(35)

distanciation (Forno, 2012). Un autre exemple de cette distanciation pourrait être le

phénomène du présentéisme: des travailleurs qui d01ment l'illusion d'être là au

travail, mais sans l'être véritablement. Des salariés complètement désengagés qui

vont jou er la comédie et ainsi simuler la motivation, 1' adhésion et la production, mais

en ne demande au travail que de leur apporter des moyens matériels de subvenir à

leurs besoins matériels. D'autres encore vont agir avec relativisme et apporter une

contribution minimale en essayant de se faire remarquer le moins possible (Gosselin

et Lauzier, 2011).

Par ailleurs, « 1 'hyperactivité laborieuse dont certains individus abusent se traduit par

un rythme et un investissement hors norme dans le travail, et pourrait être,

paradoxalement, l'un des symptômes de cette résistance, du corps et de l'esprit à

l'intensification du travail. [ ... ] Alors pour être visible, il va travailler longtemps. Envoyer des mails toutes les heures du jour et de la nuit et mieux encore : les traiter.

[ .. .]. Dopés par cette soif de performance, de reconnaissance, les travailleurs

hyperactifs seront rattrapés tôt ou tard par [l'épuisement professionnel].

»

(Forno,

2012, p.l20).

En résumé, nous pouvons dire que le rapport au travail est relatif aussi à la façon avec

laquelle les salariés vivent l'expérience du travail. Pour comprendre comment ces

expériences subjectives sont vécues, il nous semble important de creuser du côté des

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1.3.3 Les émotions au travail

Les émotions au travail

Au regard des éléments présentés ci-dessus, il paraît évident que le travail est un lieu d'investissement affectif (Hess, 2003). L'organisation ou la vie organisationnelle est, au même titre que la vie en général, habitée par les émotions et ceci à tous les niveaux (Chaniat, 2003). Tous les actes dans l'organisation, que ce soit la construction de liens sociaux, la gestion de 1' information, la prise de décision, la fixation de buts, l'intégration au travail, etc. sont tous reliés à la subjectivité des jugements et des sentiments (Fineman, 2001). Ces processus organisationnels qui sont décrits en théorie comme étant construits sur une réflexion rationnelle, relèvent, au contraire, bien souvent de l'émotif (Soares, 2003). Cornn1e nous nous intéressons à l'expérience subjective au travail, et plus précisément aux expériences de mal-être et de souffrance au sein de ce dernier, les émotions se trouvent au cœur de notre recherche. En effet, l'émotion est un terme relativement familier qui est utilisé pour décrire une variété d'expériences en lien avec l'affect, avec l'humeur ou avec les sentiments des personnes (Callahan et McCollum, 2002). «L'émotion, littéralement «mouvement vers 1 'extérieur », est un « état complexe de 1 'organisme qui implique des changements corporels [ ... ] et sur le plan mental, un état d'excitation ou de perturbation, marqué par un sentiment profond, et habituellement une pulsion amenant à une forme définitive de compor1ement »(Van Hoorebeke, 2008, p.4).

Bien que les recherches sur les émotions soient souvent classées comme relevant de disciplines comme la sociologie et la psychologie (Ibid), elles ont énormément gagné en popularité durant les deux dernières décennies au niveau des études organisationnelles (Coupland et al, 2008; Fineman, 2001). Il existe aujourd'hui une profusion d'écrits au sujet de la satisfaction au travail, mais les émotions et la

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dimension affective du travail n'y sont pas aussi présentes que l'on pourrait le penser

(Ashford et Humphrey, 1995).

Les émotions ont longtemps été considérées conm1e l'antithèse de la rationalité, ce qui a contribué à leur perception plutôt négative dans les milieux de travail. Ainsi, il y a eu plusieurs tentatives de contrôle de l'expérience et l'expression des émotions au

travail d'un côté et un évitement de celles-ci d'un autre côté (Ashford et Hwnphrey,

1995). Siebben et Wettergren (2010) portent un regard critique sur la façon avec

laquelle les émotions sont traitées encore aujourd'hui. La critique porte sur le fait

qu'il y a une approche qui favorise 1' émergence et 1 'expression des émotions

positives (le bonheur, l'enthousiasme, la confiance, etc.) et tend à vouloir refouler ou

contrôler intelligenunent les émotions négatives telles que la colère ou encore la

tristesse, etc. Des théories conm1e celle de l'intelligence émotionnelle ont vu le jour

depuis quelques années, mais sont aussi fortement critiquées de par leur côté

objectiviste qui veut mesurer le non mesurable (Chaniat, 2003). Ashford et

Humphrey (1995) dénoncent ce constat en apportant l'argwnent que d'une part, les

émotions contribuent fortement à l'engagement au travail et d'autre part qu'il existe

une contagion émotionnelle au sein des organisations qui peut être une force de

construction ou de déconstruction, elle peut participer à la création de la cohésion de groupe, développer 1' engagement, et créer une force de travail.

Dans l'introduction de ce travail, nous avons précisé notre volonté de travailler sur la

dynamique émotionnelle chez les chefs de projets et les gestionnaires d'équipe. «Des

données collectées par Adelmann (1989) dévoilent que les employés à des postes qui

réclament une gestion des émotions importante connaissent moins de satisfaction au

travail, d'estime de soi, plus de symptômes de dépression et une santé affaiblit » (Van

Hoorebeke, 2008, p.6). Dès lors, il nous semble important de voir comment se décline

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Les émotions en contexte de projet

La difficulté de trouver des travaux qUI traitent de la question des émotions en

contexte de projet est révélatrice. Lorsqu'il est question de projets, ce sont surtout les aspects organisationnels que nous avons retrouvés. Ce constat est confirmé par Cicmil (2006) qui évoque la nécessité de plus s'intéresser à J'expérience vécue par les

praticiens en contexte de projets. Nous avons néanmoins recensé deux travaux qui

traitent de la question.

Une des recherches que nous avons consultées relève que le travail par projet est

associé à différentes expériences émotionnelles : excitation par rapport à la passion générée par le travail par projet, l'anxiété du stress du travail et des risques supportés, la confiance en la prévisibilité découlant de l'aspect formalisé des projets, et la lassitude face à la rigidité et à la répétitivité du travail (Lindgren et al., 2014). Une autre recherche, d' Asquin et al. (2007), définit les projets comme ayant un côté sombre rarement, voire jamais mis de 1 'avant. Cet article éclaire 1' intense pression vécue par les membres d'une équipe de projet et par le chef de projet, qui lui, porte en

plus la responsabilité de l'aboutissement du projet, du bon fonctionnement des

équipes, de la qualité du livrable, de la maîtrise des coûts, etc. Par ailleurs, ce même article nous parle de l'exaltation au début du projet qui conduit à une implication excessive et qui se termine bien souvent par un épuisement. Il y aurait ce phénomène surprenant survenant à la fin des projets, une forme de deuil. L'implication dans le

projet fait qu'après la fin de celui-ci, les chefs de projets vivent une perte de sens et se

retrouve dans une situation de deuil qui exige un certain temps pour que le

détachement affectif du projet puisse se faire. Un dernier élément notable associé à

l'expérience émotionnelle dans le cadre des projets est la visibilité qu'offre le projet, le travail du chef de projet est exposé plus que dans une situation de travail classique. Il est de ce fait en permanente évaluation de la part de tous les collègues

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-subordonnés, patrs et supérieurs. À partir de là se développe une angotsse de la

performance et un esprit de compétition qui demandent une énergie émotionnelle

importante (Ibid).

Ce qui vient d'être présenté touche aussi bien les membres des équipes de projets que le chef de projet. Il y a cependant une spécificité au chef de projet. En effet, à travers

son positionnement, celui-ci occupe d'une certaine manière une fonction de

gestionnaire intermédiaire. Le chef de projet est dans une situation « d'entre-deux». Il nous paraît intéressant dans ce sens de s'intéresser aussi à cette fonction

intermédiaire, que 1' on retrouve également chez les managers de proximité et

intermédiaires, des postes que les jeunes travailleurs sont susceptibles d'occuper.

Les émotions dans la fonction de gesti01maire intermédiaire

Le métier de manager renvoie à des activités très diversifiées. L'ensemble des tâches

qui doivent être faites par un manager peuvent être facilement nommées - gérer,

fédérer, fixer les objectifs, etc. -, mais difficilement décrites ou déclinables en tâches précises. Et ceci, car elles relèvent beaucoup de l'interprétation, de l'intuition, du bricolage et de la débrouillardise (Dietrich, 2009).

Le manager intermédiaire, comme son nom 1' indique, se trouve dans une position médiatrice entre une direction avec des stratégies, des valeurs, etc., et une équipe de subordonnées qu'il doit gérer pour atteindre les objectifs préfixés en haut de la hiérarchie, et ce, tout en essayant de garder une motivation au sein de l'équipe. Le manager intermédiaire a ainsi une position« tampon», qui n'est pas toujours facile à assumer. (Wakselman, 2013; Pichault et Schoenaers, 2012)

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Par ailleurs, les instructions venant de la direction ne sont pas toujours aussi claires

qu'elles le paraissent. Ces instructions sont souvent entourées de flou, sans parler des

divergences d'orientation possibles qui peuvent exister au sein de la haute direction. Ces situations contraignent le manager à prendre position par moment, à interpréter, adapter, trouver des compromis et prendre des risques (Dietrich, 2009). De plus, les managers n'ont pas toujours à leur disposition suffisamment de moyens pour répondre aux demandes croissantes de la hiérarchie d'un côté et de la démobilisation des subordonnés de l'autre (Codo, 2013 ). Sur un autre plan, gérer une équipe veut dire aussi faire face aux aléas du travail au quotidien : pannes, absentéismes, conflits, etc., ce qui pourrait causer une pression supplémentaire relative à la capacité de réalisation des objectifs. Par ailleurs, une des responsabilités du manager est la fidélisation des équipes avec lesquelles il doit désormais agir en tant qu'animateur pour établir une harmonie dans l'équipe, une équipe de collaborateurs bien souvent considérés aujourd'hui comme des clients internes (Delaye et Boudrandi, 2010). Enfin, un contrôle s'impose sur les travailleurs via les nouvelles pratiques de gestion. Dans ce contexte, les managers se voient confrontés à l'obligation d'assurer une mise sous contrôle et mise en conformité des individus. Mais les managers sont en même temps responsabilisés sur la santé des salariés, et notamment leur santé mentale. Il s'agit d'une double contrainte qui augmente la pression vécue par les managers (Porno, 2012).

À l'heure actuelle, le travail managérial tend à devenir plus complexe, plus abstrait et plus difficile à saisir. Ces changements demandent aux gestionnaires une gestion de leurs propres émotions et de celles des autres (Mignorac et Herrbach, 2004). Ces simples exemples peuvent témoigner de l'intensité émotionnelle vécue par les gestionnaires intermédiaires. L'intensité émotiormelle et la pression sont d'autant plus fortes au regard du fait que l'expression des émotions ou des sentiments est perçue au travail comme un signe de faiblesse ou d'incompétence (Codo, 2013). Le manager se

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doit de démontrer une capacité à assumer toujours plus de responsabilités s'il veut être aimé et considéré par la hiérarchie (Delaye et Boudrandi, 20 1 0).

À l'évidence et au regard de ce qm vient d'être cité, l'expérience du travail est habitée par des émotions et pas toujours des émotions positives. Nous venons de voir aussi que ces émotions sont d'autant plus présentes lorsqu'il s'agit de fonctions de gestion. Mais comment les jeunes gestionnaires vivent-ils ces situations fortes en émotions? La section suivante fournit des éléments de réponse à cette question.

1.4 Les jeunes au travail

Comme préalablement expliqué, la population sur laquelle porte notre recherche est les jeunes au travail (soit les gestionnaires qui on entre 25 et 40 ans). Afin de compléter le travail documentaire qui est fait sur le travail et la souffrance au travail, il convient de s'intéresser plus précisément au rapport qu'entretiennent ces jeunes avec le travail.

1.4.1 La place du travail dans la vie des jeunes travailleurs

La jeune génération de travailleur a des valeurs, des attitudes et des attentes qui sont différentes de ses prédécesseurs (Ng et al., 2010). Selon Loughlin et Barling (2001), la compréhension du monde professionnel se fait à travers le travail des parents et les conditions économiques. Il s'avère qu'entre les années 1980 et 1990, plusieurs jeunes ont vu leurs parents vivre des expériences négatives au travail (reclassement, restructuration, licenciement, etc.). À cause de ces expériences, entre autres, les jeunes se disent sceptiques envers le travail (Ibid). Ils sont qualifié de nouvelle

Figure

Figure  1.1  : Les spécificités de  la génération des jeunes travailleurs
Tableau 2. 1 : Les étapes  de notre processus de recherche
Tableau 2.2  :Les critères de sélection de l' échantillon
Tableau 2.3  : La liste et les caractéristiques des personnes rencontrées
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