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Chômage et formation professionnelle : quels choix stratégiques ?

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 May 2021

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Chômage et formation professionnelle : quels choix

stratégiques ?

Bernard Gazier

To cite this version:

Bernard Gazier. Chômage et formation professionnelle : quels choix stratégiques ?. Education perma-nente, 2017, pp.1 - 10. �hal-03219324�

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Chômage et formation professionnelle : quels choix stratégiques ?

Bernard Gazier Octobre 2017

Introduction

La persistance en France d’un niveau de chômage élevé met sous la pression des critiques les politiques publiques menées dans notre pays, tant les politiques de l’emploi (placement, formation des chômeurs, emplois subventionnés, indemnisation des chômeurs) que les politiques de formation professionnelle, dans le cadre général d’instauration progressive d’une « flexicurité à la française ».

Les ordonnances Macron, venant renforcer la flexibilisation du marché du travail, et les perspectives complémentaires de réforme et d’élargissement de l’assurance-chômage et de relance de l’investissement formation annoncées pour l’automne 2017, confirment en les radicalisant les démarches antérieures. Devant contrebalancer à terme les processus de flexibilisation récemment accentués, une très forte priorité à la formation semble désormais à l’ordre du jour. Cette démarche relance de vieux débats sur le rôle que peut jouer la formation dans la lutte contre le chômage : on le sait depuis longtemps, initiale ou continue, la formation n’est pas une panacée, et elle n’est pas comparable à un fortifiant tel que des épinards dont l’ingestion rendrait instantanément plus fort. Ses effets dépendent doublement de la manière dont elle est mise en œuvre. D’une part ils dépendent de l’environnement économique, institutionnel et social : les comparaisons internationales montrent des expériences et des dispositifs très différents, notamment plus ou moins bien articulés aux besoins des entreprises. D’autre part, la diversité des capacités d’apprentissage, des usages de la formation en situation de travail et sur le marché de l’emploi, et la diversité des trajectoires individuelles doivent être prises en compte, faute de quoi on s’expose à des déconvenues ; ce qui suppose une orientation et un accompagnement attentifs. De nombreux travaux ont entrepris de tenter de cerner les particularités, les forces et les faiblesses des pratiques françaises en la matière. En complément de ces lignes d’investigation, cet article entreprend de revenir avec un regard plus directement économique et stratégique sur la formation continue considérée comme un investissement collectif et combiné avec les politiques publiques de l’emploi.

Il procédera en deux temps. Tout d’abord, on revisitera les arguments économiques sous-tendant la priorité à la formation continue face au chômage, pour en souligner les limites derrière l’évidence du constat que les chômeurs sont souvent faiblement formés. En un second temps, nous montrerons que deux grandes options stratégiques sont pensables, reliant les politiques publiques de l’emploi aux politiques de formation professionnelle : une stratégie de promotion du « learnfare » face à une stratégie plus vaste et plus complexe de construction de l’employabilité collective.

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I. Former ceux qui en ont le plus besoin ?

L’évidence est là : ce sont les moins formés qui chôment le plus. Selon Eurostat en 2015, le taux de chômage des moins formés (niveaux 0 à 2 de la classification ISCED) dans l’Europe à 28 est de 17%. Il passe à 8% pour les niveaux 3 à 4, et descend à 6% pour les niveaux supérieurs (de 5 à 8). Ces ordres de grandeur sont valables pour la France. Un second constat vient appuyer le premier : la tendance générale à l’augmentation des compétences et la montée des exigences de qualification avec l’ère d’Internet et de l’automation.

Les politiques visant à former les chômeurs affrontent une difficulté immédiate : celle de l’ « effet Matthieu ». Transposant le dicton de l’Evangile selon lequel « à celui qui a déjà tout on donnera encore plus et à celui qui n’a rien on enlèvera même le peu qu’il a », on observe que le jeu des interactions économiques et sociales est souvent cumulatif en matière de formation professionnelle. Les personnes les moins formées sont souvent celles qu’il est plus coûteux de former, et sont celles qui ont le plus de barrières à surmonter si on doit les engager dans une démarche de formation. Les obstacles sont d’abord financiers : sans réserves financières et même en bénéficiant d’une indemnisation correcte, ces personnes privilégient le retour le plus rapide à l’emploi. Ils sont aussi psychologiques et sociaux. Revenir sur les bancs de la classe est une perspective peu réjouissante pour les moins diplômés. Symétriquement, améliorer encore la formation des mieux formés apparaît moins coûteux et immédiatement rentable. Ces biais se manifestent fréquemment dans le cas des décisions prises par les entreprises, avec une conséquence radicale souvent observée pour les travailleurs « senior » : leur éviction des programmes de formation continue, alors même que leur maintien dans l’emploi pourrait en dépendre.

Cette difficulté est sans doute accentuée dans le cas français dont le système éducatif est fortement stratifié, cloisonné et inégalitaire. Sans parler d’irréversibilité, on doit souligner à quel point les trajectoires professionnelles portent la marque des trajectoires éducatives initiales.

Face à ces tendances, des enjeux élémentaires de justice sociale et d’efficacité économique ont conduit à des politiques volontaristes dont les justifications sont bien connues. Dans le contexte général d’élévation des compétences que nous connaissons, il est injuste et probablement inefficace de laisser s’accroître encore la distance entre les mieux et les moins formés, tant en ce qui concerne leur niveau de formation que leur accès à l’emploi. Les liens entre niveau de formation et citoyenneté, autonomie voire émancipation sont une vieille idée des Lumières, et les risques de déchirure sociale et d’exclusion peuvent s’accroître si la collectivité ne réagit pas. Rappelons aussi l’argument de bon sens selon lequel que le retour à l’emploi est source d’économies pour les pouvoirs publics, pour les entreprises et pour les personnes. On sait enfin que dans la concurrence mondiale les pays développés ne pourront tirer leur épingle du jeu qu’en montant en compétences et en se spécialisant, au sein des échanges internationaux, dans des productions à forte valeur ajoutée effectuées par une main-d’œuvre très qualifiée.

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La réponse passe prioritairement par un effort public particulier. Il est devenu particulièrement intense en ce qui concerne les chômeurs ou celles et ceux qui sont menacés par le chômage. L’Etat mais aussi et d’abord les Régions, l’Unedic, les partenaires sociaux et Pôle Emploi conjuguent leurs ressources, tentant de mobiliser aussi bien les individus (par le congé individuel de formation) que les entreprises (Mesnard 2017).

On note ainsi une très nette accentuation récente de l’effort, qui passe de 400 000 chômeurs formés chaque année entre 2006 – 2012 à 900 000 en 2016.

De surcroît la focalisation sur les plus jeunes et les moins diplômés est claire. Le taux d’accès des chômeurs à la formation en 2014 est, selon la Dares, de 25% pour les moins de 25 ans non diplômés, de 15% pour les chômeurs détenteurs d’un CAP – BEP – Bac, et oscille entre 10 et 4% pour toutes les autres catégories, qu’il s’agisse des 26 – 44 ans et des 45 ans et plus, diplômés ou non.

Toutefois ces efforts accentués et ciblés ne semblent pour l’instant guère couronnés de succès. Un bilan récent est fourni par un groupe de travail de France Stratégie (Ben Mezian 2017). Tout d’abord sur un plan global, le taux de chômage et singulièrement celui des jeunes peu qualifiés n’a guère fléchi depuis 2010. Ensuite, les effets de la formation sont hétérogènes et dépendent des publics formés. Plus positifs pour les plus jeunes et les plus diplômés, ils peuvent s’avérer décevants voire négatifs pour les personnes sans expérience professionnelle récente.

Enfin, les travaux du Céreq observent les processus d’insertion des jeunes sortis de l’appareil de formation initiale trois ans après leur sortie. Ils mettent en évidence des difficultés de plus en plus fortes à mesure que l’on considère de faibles niveaux de formation initiale, et une glissade très nette et généralisée (à l’exception du niveau de formation initiale le plus élevé, celui des docteurs) entre les taux d’insertion de la génération 2004 et ceux de la génération 2010. Celle-ci a commencé sa trajectoire au plus fort de la crise mondiale déclenchée en 2007 – 8, il y a donc une dimension conjoncturelle à ce processus, qui vient aggraver ces difficultés.

En témoigne le graphique suivant, qui présente pour les deux générations, par niveau de diplôme de sortie, l’insertion appréciée par le taux d’emploi et le taux de chômage. :

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Taux d’insertion par niveaux, évolution entre les générations 2004 et 2010 (Ben Mezian 2017. p. 26).

Le rapport de France Stratégie conclut sur le constat suivant (p. 29) : « ... les plans massifs de formation des DE (Demandeurs d’Emploi) et l’élévation du niveau de diplôme des jeunes se sont plutôt accompagnés d’une dégradation relative de l’insertion des moins diplômés ». Quelle interprétation économique donner à une telle situation ? On doit d’abord replacer ces performances décevantes dans un contexte plus vaste. Dans l’écheveau des causalités à l’œuvre, les retards de croissance accumulés depuis de nombreuses années et la spécialisation internationale inadéquate de notre pays conjuguent leurs effets avec les tendances à la polarisation des emplois et à la multiplication des « petits boulots »1. On peut espérer que la

situation peut évoluer à moyen terme et que la persistance et l’accentuation des efforts, de concert avec une politique visant au retour de la croissance vont peu à peu améliorer la donne pour les moins qualifiés. Dans ce cadre difficile, quelles inflexions éventuelles rechercher par rapport aux pratiques actuelles ?

Une première piste consiste à poser que les efforts de formation en France, pour consistants qu’ils soient, ne sont pas correctement orientés et notamment ne prennent pas suffisamment en compte les besoins des entreprises. C’est ainsi que de nombreux observateurs et de nombreux travaux insistent sur la coexistence paradoxale de pénuries de candidats au recrutement dans certains secteurs et même dans notre pays, et du niveau élevé du chômage. Il y aurait lieu de rapprocher les formations des besoins ressentis par les entreprises et d’accompagner davantage les chômeurs vers l’emploi. Cette orientation s’accompagne souvent de l’éloge des filières d’apprentissage, dont les performances de placement durable

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pour des jeunes initialement peu qualifiés sont bonnes, mais dont le développement reste limité et qui souffrent d’une image dévalorisée.

Une seconde piste, sur laquelle débouche le rapport précité de France Stratégie, consiste à s’intéresser aux stratégies de recrutement des entreprises et aux critères qu’elles mettent en œuvre. Les effets positifs de la formation ne compensent pas, pour les employeurs, le signal négatif associé aux caractéristiques individuelles de certains demandeurs d’emploi (chômage de longue durée, manque d’expérience professionnelle, faible niveau de diplôme initial, problème de logement et de santé...). Face à la difficulté ressentie par les entreprises pour identifier leurs besoins en compétences, il serait ainsi nécessaire de les accompagner elles aussi dans leurs démarches de recrutement.

II. Deux stratégies

L’expression la plus systématique du volontarisme récent en matière de formation se trouve dans le récent rapport sur « le grand plan d’investissement 2018 – 2022 » (Pisani Ferry 2017), avec la proposition, dans son axe II, d’un Plan d’Investissement Compétences (PIC) visant à former en 5 ans un million de chômeurs peu qualifiés et un million de jeunes peu qualifiés et éloignés du marché du travail. Pour un coût total de 14,6 milliards d’Euros, il propose de développer d’une part les formations pour les chômeurs et d’autre part l’accompagnement ouvrant l’accès à la formation de jeunes « décrocheurs ». Posant qu’ « il importe d’offrir aux actifs faiblement qualifiés l’occasion d’un accès durable à des emplois de qualité » (op. cit. p. 42) il recommande de privilégier les formations longues et certifiantes, « parce qu’elles garantissent plus durablement l’accès à l’emploi que les formations courtes » (ibid.). Il propose aussi de « mettre l’accent sur l’acquisition des postures professionnelles et des compétences relationnelles attendues par les recruteurs. » (ibid. p. 43).

Les résultats attendus sont d’une part « d’améliorer le taux de retour à l’emploi des demandeurs d’emploi peu qualifiés formés de 15 points, ce qui représenterait 150 000 chômeurs en moins et une baisse d’environ 0,5 points du taux de chômage structurel » (ibid.), et d’autre part « d’améliorer le taux d’emploi des jeunes à hauteur de 2 points, soit 150 000 personnes en emploi de plus. » (ibid. p. 45).

Prévoyant une « gouvernance rigoureuse » le Plan indique que pour la formation des chômeurs « des indicateurs d’entrée en formation seront publiés trimestriellement, et seront accompagnés à partir de la fin 2018 d’indicateurs d’évolution de l’accès à l’emploi des personnes concernées. Ces données permettront de réaffecter les crédits des dispositifs non performants vers les dispositifs les plus efficaces, afin d’offrir aux demandeurs d’emploi les meilleurs solutions. » (ibid. p. 43).

Ouvrant l’éventail des possibles, ce plan propose ainsi à la fois des mesures qui relèvent clairement du long terme, telles que les formations de longue durée, et d’autres qui relèvent de l’accès à l’emploi à court terme, telles que les compétences relationnelles. L’horizon d’évaluation des mesures proposée relève quant à lui de l’accompagnement permanent et de la

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réorientation rapide, donc du court terme. L’opposition n’est toutefois pas seulement celle du court et long terme, elle peut se relire d’un point de vue stratégique en articulant les efforts de formation aux orientations des politiques publiques de l’emploi. D’un côté on cherche à pousser vers l’emploi le plus rapidement possible, quitte à prendre le risque d’aller vers des emplois de faible qualité qui ne pourront pas stabiliser leurs détenteurs, et de l’autre on recherche un accès plus durable vers des emplois de meilleure qualité.

Le « learnfare », un pari risqué

Généralisées en Europe et dans les pays développés, les politiques visant à rapprocher les chômeurs de l’emploi sont désignées dans leur ensemble sous le terme générique de « politiques d’activation »2. Visant à compenser les effets désincitatifs de l’indemnisation du

chômage, elles cherchent à raccourcir la durée de celle-ci et combinent l’accompagnement des chômeurs dans leurs candidatures et leurs recherches d’emploi avec le développement des services d’orientation, de formation et de placement.

Elles prennent deux formes principales : l’une est la priorité au travail, quel qu’il soit et où qu’il soit effectué, c’est alors le « workfare ». Dans le cas nord-américain, le « workfare » peut conduire à mettre temporairement au travail non rémunéré ou faiblement rémunéré dans des dispositifs publics ad hoc des bénéficiaires de l’assistance. Deux préoccupations se combinent ici. L’une est de faire conserver au public visé des habitudes et des aptitudes au travail, si peu qualifié soit ce travail. L’autre est de le dissuader de rester trop longtemps au chômage, en rendant plus contraignante la position de chômeur indemnisé et en faisant en sorte de rendre le travail (en entreprise) rentable : « Making work pay » consiste ainsi à créer ou maintenir une dénivellation suffisante entre la position d’allocataire ou d’assisté et la position de travailleur en entreprise dans des emplois peu qualifiés.

L’autre forme d’activation est d’affirmer la priorité à l’accès à l’emploi dans les entreprises via le détour de la formation, c’est alors le « learnfare ». Le néologisme a été notamment utilisé à propos des pratiques danoises de « flexicurité » qui combinent une indemnisation généreuse (donc en principe à l’opposé des principes de type « making work pay »), avec une prise en charge intensive des chômeurs et un usage massif de la formation, notamment par des programmes de long terme.

C’est cette option qui semble d’actualité dans le cas français, sans toutefois que soient envisagées des dépenses de politique de l’emploi au niveau constaté au Danemark3. Il est utile

d’en approfondir la logique.

La distance semble grande entre « workfare » et « learnfare ». Elle ne l’est toutefois pas autant qu’on pourrait le penser à première vue. En effet, pousser les travailleurs les moins qualifiés vers une démarche de formation longue et exigeante, c’est risquer de mettre en branle un processus d’auto – sélection, les travailleurs les moins formés pouvant redouter la mise à l’épreuve, renoncer à la formation longue et se retirer dans l’inactivité ; au-delà, des

2 Pour une synthèse, voir Erhel, 2014

3 Selon l’OCDE les dépenses des politiques de l’emploi en France sont en 2015 de 2,98% du PIB pour un taux de

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chercheurs ont identifié dans le « learnfare » un « effet menace » autant qu’un effet promotion (Rosholm et Svarer 2008). Prévoyant que les programmes de formation seront exigeants, les chômeurs intensifient leur recherche d’emploi et abaissent leurs prétentions salariales afin de retrouver un emploi plus tôt et d’éviter de passer par la case « formation ». Dans le cas danois, ces chercheurs estiment que de telles politiques réduisent la durée moyenne du chômage de une à deux semaines.

L’évolution des politiques de l’emploi au Danemark depuis les années 2000 apporte d’autres éléments suggérant une convergence au moins partielle entre « workfare » et « learnfare ». Les gouvernements successifs ont raccourci par étapes la durée maximale de l’indemnisation du chômage, et depuis quelques années le gouvernement de centre droit a laissé de côté le « learnfare » pour évoquer plutôt une priorité « work first ».

Dans le cas français, quatre risques apparaissent ici.

Tout d’abord, ces efforts ne font sens que pour ajuster les compétences des travailleurs aux besoins des entreprises. C’est la première piste évoquée à la fin de notre première partie. Elle est attentivement discutée dans le rapport de France Stratégie cité plus haut, qui conclut à une validité très partielle, car il met en évidence les fortes limites d’un point de vue excessivement centré sur l’adéquation entre postes, diplômes et compétences. Le risque d’ « adéquationnisme » est de méconnaître l’importance des capacités d’adaptation dans les besoins des firmes.

Un second risque prolonge le premier lorsqu’on reprend l’interrogation récurrente sur la nature des formations à mettre en place : formation générale ou spécialisée voire spécifique aux besoins d’une ou plusieurs entreprises. C’est la formation spécifique qui semble seule rentable, au moins à court terme. Or il est bien connu que les entreprises elles-mêmes financent des programmes de formation générale. Le risque est alors d’enfermer les chômeurs formés dans une spécialité trop étroite ne leur permettant pas d’évoluer par la suite.

Ensuite, on peut observer que pour les postes qu’elles offrent les entreprises ont tendance à surévaluer les compétences nécessaires dans un contexte de chômage de masse. Nous avons évoqué ci-dessus le débat sur la polarisation, qui dans le cas français montre la croissance rapide dans certains secteurs du tertiaire et notamment les services à la personne. Il est donc clair qu’il reste des postes peu demandeurs en qualifications, qu’il serait bon de faire monter progressivement en qualification mais qui sont parfois occupés par des personnes surqualifiées. Le risque alors est de favoriser cette tendance à la surévaluation, et à la course au diplôme voire à la certification. Un diagnostic plus général, discuté aux E.U. et en Europe sous l’étiquette de la « suréducation » apparaît pertinent ici : La course au diplôme d’un côté, et la tentation, dans un contexte de haut niveau du chômage, de candidater à des postes de niveau inférieur au diplôme obtenu, et symétriquement pour les entreprises, de recruter des personnes surqualifiées au regard des exigences du poste de l’autre, ne conduisent pas seulement à des déceptions pour les surdiplômés. Ces interactions combinent leurs effets pour reléguer les moins formés et pour neutraliser les effets des efforts de formation des moins formés sur leur accès à l’emploi.

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Enfin, un dernier risque apparaît, non des moindres, avec le constat plus ou moins rapidement fait que les politiques de « learnfare » prennent du temps à manifester leurs effets : celui de revenir vers des politiques de type « work first » privilégiant l’accès immédiat aux emplois, même aux emplois instables et discontinus. C’est alors la trajectoire même des chômeurs formés qui est mise en cause, ceux-ci risquant d’être privés de revenus stables et de capacités d’évoluer.

Construire l’employabilité collective : défis et priorités

Mieux mobiliser le levier de la formation suppose d’abord de relier plus directement ces politiques aux politiques de développement économique. C’est la démarche du rapport Pisani Ferry cité plus haut. Notamment, prendre le virage écologique suppose un effort massif de reconversion qui est finalement une opportunité de création d’emplois. Rien ne garantit toutefois que ces nouveaux emplois soient des emplois stables et de qualité.

Il est alors nécessaire de s’interroger sur l’horizon de croissance ralentie qui est le nôtre depuis de nombreuses années. Même si la croissance redémarre peu à peu, il faudra des années pour résorber les situations de chômage de longue durée. Dans deux notes écrites pour France Stratégie (Gazier 2016a et b), l’auteur de ces lignes a montré, après beaucoup d’autres, que des pratiques de partage du travail, unilatérales ou négociées, étaient sous-jacentes aux succès dans la lutte contre le chômage tels que ceux de l’Allemagne. Dans ce pays la promotion des « mini » et « midi jobs » par les Lois Hartz a joué un rôle central. On doit ainsi reconnaître que la mise en formation de longue durée, par exemple pour 6 mois ou un an, est une pratique de partage du travail tout au long de la vie. Elle est plus égalitaire et efficace que la promotion d’emplois précaires car elle débouche sur une qualification accrue.

Les politiques de « job rotation », telles qu’elles ont été déployées au Danemark à deux reprises, entre 1994 et 2000 et entre 2012 et 2015, sont plus ambitieuses. Elles consistent à combiner l’envoi de salariés en formation de plus ou moins longue durée avec l’arrivée de remplaçants issus du chômage et préalablement formés. A l’issue du congé formation, le salarié formé revient prendre son poste. Les évaluations faites montrent que le remplaçant quant à lui est dans la moitié des cas conservé dans l’entreprise, soit qu’un autre salarié parte en congé, soit qu’un départ à la retraite soit constaté, ou qu’encore l’entreprise accroisse ses activités. Les 50% non repris repartent dans leurs recherches d’emploi, mais avec une expérience professionnelle consistante et sur un marché du travail moins encombré.

Des expériences de cette nature sont à l’ordre du jour dans notre pays, notamment dans les contextes (secteurs, territoires) où coexistent chômage et pénuries de travailleurs compétents. Il s’agit à long terme de prendre acte de la croissance ralentie et d’en tirer parti pour la montée en compétences et le développement d’activités sociales utiles, en multipliant les opportunités pour les travailleurs qui ne sont dès lors plus contraints d’accepter les miettes d’emploi. Cette stratégie cherche à produire et capter les bénéfices au profit de tous d’une main d’œuvre compétente et redéployable. Sans entrer ici dans toutes ses dimensions montrons qu’elle vise à créer les conditions d’une synergie entre plusieurs séries d’initiatives et d’évolutions à l’ordre du jour pour les politiques de formation. La première est qu’elles ne sont pas toujours

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nécessaires, comme en témoignent les pratiques de recrutement développées par le groupe IOD (intervention sur l’offre et la demande), qui suspendent la concurrence entre travailleurs pour placer directement et accompagner, avec l’accord de l’employeur, un travailleur resté longtemps éloigné de l’emploi. La seconde est d’élargir et systématiser le rôle joué par les tiers et les pairs (dans notre pays les Groupements d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification ; au Royaume Uni les délégués syndicaux à la formation « learning reps » ont pour mission de signer des accords en la matière et d’aller chercher puis mobiliser les travailleurs peu qualifiés). La troisième est la mobilisation des acteurs locaux et du Dialogue Social Territorial, notamment en ce qui concerne l’orientation et la formation professionnelle (voir sur ce point la contribution de C. Tuchszirer dans ce numéro). La quatrième est d’achever dans notre pays le lent mouvement par lequel appareils de formation et entreprises, longtemps séparés, se rencontrent et agissent de concert.

Cette recherche de l’employabilité collective correspond ainsi à de nombreuses pratiques tant françaises qu’étrangères, qui attendent leur systématisation. La principale limite de cette option stratégique tient à son fort degré d’exigence en termes de coordination d’acteurs divers, tant au sein de la sphère de la formation qu’au-delà de celle-ci.

Conclusion

La priorité reconnue à un effort volontariste de formation des chômeurs ouvre sur une variété de pratiques dont il s’agit de renforcer la cohérence. Les deux options stratégiques que nous avons distinguées correspondent à deux manières d’accompagner ceux-ci, l’une prenant pour données les perspectives d’emploi et les pratiques de recrutement, et l’autre cherchant à les infléchir.

Références

Ben Mezian, M. 2017. Renforcer la capacité des entreprises à recruter, Rapport France Stratégie, août

Erhel, C. 2014. Les politiques de l’emploi, Paris, PUF

Gazier, B. 2016a. « De la fragmentation du travail et de l’emploi à leur recomposition systématique et négociée», Note pour France Stratégie, avril.

Gazier, B. 2016b. « Jalons pour un partage du travail tout au long de la vie », Note pour France Stratégie, août

Mesnard, O. 2017, « La dépense nationale pour la formation professionnelle continue et pour l’apprentissage en 2014 », Dares Résultats, juin, n° 041

Pisani Ferry, J. 2017. Le grand plan d’investissement 2018 – 2022. Rapport au Premier Ministre Rosholm, M. ; Svarer, M. 2008. « The Threat effect of Active Labour Market Policy programmes », The Scandinavian Journal of Economics, vol. 110, n°2, juin, p. 385 - 401

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