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L’état et les possibilités de promotion de la figure féminine dans le roman Celles qui attendent de Fatou Diome

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Academic year: 2021

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L’état et les possibilités de promotion de la figure féminine dans le

roman Celles qui attendent de Fatou Diome

Mémoire

Stéphanie Leclerc-Audet

Maîtrise en études littéraires

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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iii RÉSUMÉ

Nous proposons, dans ce mémoire, d’analyser l’état et les possibilités de promotion du personnage féminin dans le roman Celles qui attendent de Fatou Diome (2010) à travers les individualités de quatre protagonistes, Arame, Bougna, Coumba et Daba. Les contraintes et restrictions inhérentes à l’environnement social textuel ainsi que l’île sénégalaise de Niodior influent directement sur l’état de la figure féminine dans le roman. Dans cette optique, les pratiques sociales de la polygamie et de l’union matrimoniale orchestrée par les aînés sont deux vecteurs désignés comme tributaires de l’insatisfaction des héroïnes. En réaction directe aux pressions de leur société, laquelle prône pour la femme un travail acharné pour sa survie et un mutisme quant au mécontentement ressenti face à sa condition, la femme désire accéder à une élévation. Tandis qu’Arame, Bougna, Coumba et Daba sont secouées par les revers de l’existence, nous constatons que leurs possibilités de promotion s’organisent à l’encontre des règles établies par la tradition. La meilleure stratégie d’élévation, pour les héroïnes du roman

Celles qui attendent, s’avère la conquête d’une plus grande liberté d’action et d’opinion pour le

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v AVANT-PROPOS

Tout naturellement, mes premiers remerciements s’adressent à ma directrice de mémoire, Madame Olga Hél-Bongo. Elle a été pour moi, par son attitude joviale et sa rigueur professionnelle, un guide tout au long de ce processus. Je m’estime honorée d’avoir été son élève.

C’est dans un élan respectueux que j’exprime ma reconnaissance à Monsieur Justin Bisanswa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en littératures africaines et Francophonie. Il représente pour moi un professeur et un mentor mémorable. De près ou de loin, il a toujours conservé un œil averti sur mes états et, bien entendu, sur mes possibilités de promotion.

Je lance un salut résolument amical à mes camarades et collègues de la Chaire de recherche en littératures africaines et de la Francophonie, qui m’ont accueillie et accompagnée durant mes deux années d’études à la maîtrise. Ils ont ponctué, de leur présence active et sympathique, mon quotidien et mes recherches. Je ne manquerai pas de revenir aux sources que je partage avec eux, le temps d’une autre discussion d’un grand intérêt.

Quelques personnes ont été des figures particulièrement marquantes durant ce parcours. Je cite, entre autres, Mbaye Diouf, que je remercie pour son soutien, ses encouragements, et de nombreux moments passés en sa compagnie à m’imprégner du Sénégal et de la recherche littéraire, au fil de mille questions. Un grand merci au professeur Benoît Doyon-Gosselin, pour ses enseignements, son soutien, et ses corrections judicieuses et appréciées. Je souhaite également manifester ma gratitude à Monsieur Fernando Lambert qui, par l’acceptation de mon projet de mémoire, m’a permis de me lancer dans cette singulière traversée. Merci pour la bienveillance dont vous avez fait preuve à mon égard.

Enfin, je remercie le département des littératures de l’Université Laval, pour les bourses et contrats de soutien qu’il m’a permis d’obtenir, sous la bannière du Fonds d’Assistanat à la Maîtrise (FAM).

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vii DÉDICACE

À mes parents, tout d’abord. Peu importe les années qui passent, à chaque pas que je fais vers l’avant, mes yeux vous cherchent derrière pour m’assurer de votre présence. Si grandir c’est partir, je ne serai jamais bien loin.

À mes deux frères, qui rythment, de près ou de loin, le fil de mes journées.

À mon adorable filleul. Si je persiste à vouloir avancer, même à l’aveuglette, parfois, c’est toujours dans l’espoir que tu places tes bottines dans les traces de mes souliers.

À ma grand-mère, Évangéline Michaud.

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ix

Jusqu’au bout du souffle, je veux chercher, comment être sans mal-être. Je cherche, entre chaînes et poignées,

entre amours et désamours, entre confiance et méfiance, entre soif et ivresse, entre fixité et mouvement, entre transhumance et errance,

entre anxiété et sérénité, je veux trouver la ligne d’équilibre.

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xi TABLE DES MATIÈRES

Introduction ... 1

1. Résumé ... 1

2. Problématique et hypothèses de recherche ... 2

3. État de la question et intérêt du sujet ... 4

4. Approches théoriques et méthodologiques ... 6

5. Grandes articulations du travail ... 8

PREMIÈRE PARTIE ... 11

1. Itinéraire de l’écrivaine Fatou Diome ... 14

1.1.Origines familiales ... 14

1.2.Formation ... 15

1.3.Entrée en littérature ... 15

1.4.Diffusion et légitimation de l’écrivaine ... 18

DEUXIÈME PARTIE ... 21

Chapitre 1 : L’État des personnages féminins dans le roman Celles qui attendent ... 21

1. Position de la figure féminine au sein du roman : travail et silence ... 21

2. Les articulations et particularités du corps social dans le roman ... 32

3. Deux vecteurs de l’état de la figure féminine dans le roman ... 38

3.1. La polygamie ... 39

3.2. Le mariage arrangé ... 44

Chapitre 2 : Les possibilités de promotion des personnages féminins ... 50

1. Élévation des personnages féminins ... 53

1.1. La revanche d’Arame ... 53

1.2. La déception de Bougna ... 56

1.3. La résignation de Coumba ... 59

1.4. L’ascension de Daba ... 63

2. L’accès à l’éducation et la scolarisation des personnages féminins ... 73

Conclusion ... 82

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INTRODUCTION

Rien de ce qui a été n’est perdu, tant qu’il y aura des livres pour consigner la vie

Fatou Diome, Le vieil homme sur la barque

1. Résumé

La condition de la femme africaine dans les romans africains contemporains se révèle aujourd’hui en pleine mutation : entre les traditions, qui la désirent confinée aux sphères intérieure et familiale, et une émancipation de son statut favorisant l’extérioration de son potentiel. Elle oscille, en fait, entre « la sauvegarde du passé traditionnel et l’avant-garde de l’évolution1 ». C’est dans cette lignée que s’inscrit l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome, dont la plume se positionne en instance de dénonciation et de révolution de tout état restreint, diminué ou même soumis de la figure féminine. Par le biais de ses romans, Diome effectue un portrait, mais s’avance parfois au-delà de la représentation vers une entreprise, parfois triomphante, d’élévation du personnage féminin. Figures conservatrices des mœurs, les femmes telles que décrites dans les premiers romans africains2 sont porteuses de la pérennité des traditions. Les protagonistes féminins diomiens, conscientes de cette réalité, la contemplent tout en ressentant l’urgence d’un changement. Salie, protagoniste du Ventre de l’Atlantique3, ressent fortement que la volonté d’émancipation qui l’anime scelle une différence idéologique l’isolant des autres femmes de son village : « Menhirs sur le socle de la tradition, le tourbillon du brassage culturel qui me faisait vaciller les laissait indemnes. Elles suivaient leur ligne, je cherchais la mienne vers une autre direction; nous n’avions rien à nous dire » (VA, 60-61).

Le roman Celles qui attendent4, publié en 2010, présente quatre personnages principaux féminins – Arame, Bougna, Coumba et Daba – respectivement les mères et épouses de deux hommes – Lamine et Issa – partis en exil. La position statique d’attente et d’intense solitude de

1 Arlette Chemain-Degrange, Émancipation féminine et roman africain, Dakar-Abidjan-Lomé, Les Nouvelles

Éditions Africaines, 1980, p. 15.

2 À titre d’exemples : Paul Hazoumé, Doguicimi, Éditions G. P. Maisonneuve et Larose, 1978; Sembène Ousmane, L’Harmattan, Paris, Éditions Présence Africaine, 1964; Camara Laye, L’Enfant noir, Paris, Éditions Plon, 1967. 3 Fatou Diome, Le Ventre de l’Atlantique, Paris, Éditions Anne Carrère, 2003. Dorénavant, les références à cet

ouvrage seront mentionnées sous le sigle VA entre parenthèses dans le corps du texte, suivi du numéro de page.

4 Fatou Diome, Celles qui attendent, Paris, Éditions Flammarion, 2010. Dorénavant, les références à cet ouvrage

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ces femmes force une reconsidération de leur statut. Leurs possibilités d’élévation passent par une réappropriation de leur être au prix, notamment, d’une défiance des règles socialement instituées : à ce titre, Michel Zéraffa énonce l’éventualité que dans la fiction romanesque, « l’individu […] regarde la société à laquelle il appartient comme un objet qui lui impose une forme « inacceptable »5 ».

Effectivement, dans Celles qui attendent, un pouvoir gérontocratique, c'est-à-dire exercé par les aînés de la société, influe fortement sur les quatre personnages féminins qui désirent davantage d’émancipation de leur condition. Elles sont confinées aux limites géographiques d’une petite île, Niodior, qui fait primer le pouvoir décisionnel accordé aux anciens par-delà les désirs personnels de chacun. Ainsi que l’affirme le théoricien Léo Bersani, « dans le roman réaliste, le conflit le plus fréquent est un conflit qui oppose une société et un héros refusant les limites que cette société voudrait imposer à ses devoirs et ses satisfactions6 ». Dans le roman à notre étude, un entrelacement de destinées humaines expose des héroïnes en réaction directe contre leur destinée façonnée par les traditions qui régissent leur ordre social.

2. Problématique et hypothèses de recherche

Le projet de ce mémoire s’attachera à démontrer comment, dans le roman Celles qui

attendent, l’écriture diomienne présente le constat d’un rôle limité de la femme par l’influence de

l’environnement social traditionnel et de quelle manière les quatre personnages féminins – Arame, Bougna, Coumba et Daba – désirent être reconnus comme piliers des structures familiale et sociale, mais également dans toute la valeur et la liberté de leur individualité. Comment se présente l’état du personnage féminin diomien, et de quelle manière s’organisent ses possibilités d’élévation personnelle dans le roman? Telles seront les questions auxquelles nous tenterons de répondre.

À première vue, les deux mères – Arame et Bougna – ont reçu une éducation traditionnelle. Élevées selon le principe qu’elles doivent s’accommoder de leur existence, elles résolvent

5 Michel Zéraffa, Roman et société, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p. 25.

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l’équation de leur existence dans la résignation: « Tu es une femme, les choses sont comme elles sont, ce n’est pas à toi de les changer » (CQA, 164). Ces deux mères expriment néanmoins une certaine reconnaissance des restrictions engendrées par leur état de femmes illettrées et d’épouses au sein de ménages polygames ou arrangés. Pour leur part, les deux épouses – Coumba et Daba –, du fait de leur jeunesse, se découvrent révoltées face aux limites imparties à leur condition de femmes. Elles deviennent même, dans certains cas, instigatrices d’un changement, poussées par un « [accès] d’adrénaline ou [une] tentative de dérobade à [leur] léthargie » (CQA, 227).

L’objet de ce mémoire consistera à montrer l’état et l’élévation du personnage féminin dans le roman. Trois paramètres semblent déterminer son état : une condition restreinte par un pouvoir traditionnel gérontocratique; une assise de la cellule familiale; un statut de mandataire, de manière sous-jacente mais non officiellement reconnue, de la survie des siens. Nous soutenons que les possibilités de promotion et d’émancipation du personnage féminin s’organisent à l’encontre de l’ordre socialement établi. Pour accéder à une réappropriation, même partielle, de son être, de ses libertés d’opinion et d’action, le sujet féminin diomien doit se positionner en désaccord avec ce que le corps social admet et accepte comme inhérent à la position féminine. Il s’agit donc, pour les femmes du roman, de se distancier de l’image traditionnelle de la femme confinée et opprimée par la sphère familiale et d’acquérir davantage d’autonomie quant aux tournants décisifs que constituent la prise d’un époux, la maternité ou l’entrée en polygamie.

Le prix à payer pour une telle confrontation des valeurs et idéaux socialement établis s’avère souvent lourd pour les personnages féminins. La trahison, le rejet, voire l’ostracisation liés un tel positionnement est-il plus enviable pour les personnages féminins que l’acceptation de leur condition? Comme l’exprime Michel Zéraffa, l’écrivain analyse une réalité sociale en descendant « profondément dans une individualité »7. Fatou Diome, dans Celles qui attendent, examine par le biais de quatre individualités, celles d’Arame, Bougna, Coumba et Daba, la position féminine au sein d’un corps social fortement hiérarchisé, duquel les héroïnes tentent de se détacher. Celles

qui attendent est le point culminant, dans la trajectoire bibliographique de l’écrivaine, d’une

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écriture moderne, centrée sur l’idée lopésienne de « conquérir l’idée neuve de la femme africaine8 ».

Arame, Bougna, Coumba et Daba sont plongées dans une réalité spécifique qui dévoile un pan de leur statut et quotidien : la polygamie, le manque de pouvoir, l’extrême dénuement. Elles sont continuellement marquées par les pressions des corps sociaux et familiaux. Chacune, dans ses actions comme dans ses relations interpersonnelles, effectue le constat de sa position diminuée, par exemple par des traditions maritales qui manquent de considération pour les opinions de la femme. Certaines figures féminines du roman de Diome deviennent, au fil du texte, porteuses d’une volonté de changement dans le but d’atteindre une élévation, par la conquête, notamment, d’un plus grand pouvoir décisionnel.

3. État de la question et intérêt du sujet

Jacques Chevrier observe que l’« on ne compte plus ni les mémoires de maîtrise ni les thèses qui abordent [le sujet] des femmes dans la littérature africaine9 ». Pourtant, nous remarquons que l’œuvre de Fatou Diome n’accuse qu’un nombre relativement restreint d’études et d’articles critiques consacrés à son œuvre. La plupart présentent une analyse des portées et empreintes de la thématique de l’exil dans l’écriture diomienne. Tel est le cas de Papa Samba Diop10, Lila Azam Zanganeth11, Helga Rabenstein12, Catherine Mazauric13, Ioana-Maria Putan14, Nadia Bongo15, Jacques Chevrier16, Wandia Mwende Njoya17, Xavier Garnier18 et Mbaye Diouf19. Laurence

8 Henri Lopès, « Préface » dans Arlette Chemain-Degrange, Émancipation féminine et roman africain, op. cit., p. 14. 9 Jacques Chevrier, « Une écriture féminine » dans La littérature nègre, Paris, Éditions Armand Colin, 1999, p. 156. 10 Papa Samba Diop, « Astres et désastres dans l’écriture romanesque de Fatou Diome » dans Ponti-Ponts, n° 4,

2004, p. 249-256.

11 Lila Azam Zanganeth, « Essay : Out of Africa » dans New York Times Book Review, [En ligne.] http://www.nytimes.com/2005/06/12/books/review/12ZANGANE.html?pagewanted=all&_r=0.

12 Helga Rabenstein, « Littérature-monde et morale », dans Les moralistes modernes, [En ligne.] http://www.fabula.org/colloques/document1343.php.

13 Catherine Mazauric, « Fictions de soi dans la maison de l’autre (Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Fatou Diome) »

dans Dalhousie French Studies, vol. 74-75, 2006, p. 237-252.

14 Ioana-Maria Putan, « L'image de la jeune fille dans la littérature féminine de l'immigration » dans Communication interculturelle et littérature, vol. I, n° 4, 2010.

15 Nadia Bongo, « Représentations de l'exil chez Milan Kundera et Fatou Diome », dans Inter-Lignes :"Représentations de l'Exil", Institut catholique de Toulouse, 2010. p. 77.

16 Jacques Chevrier, « Fatou Diome, une écriture entre deux rives » dans Revue des littératures d'Afrique, des Caraïbes et de l'océan Indien, n° 166, 2007, p. 35-38.

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Boudreault20 et Samuel Zadi21 ont respectivement étudié le corps social présenté dans le texte romanesque diomien et les liens de l’écriture de l’auteure avec une solidarité communautaire africaine. Béatrice Didier22 et Irène Assiba D’Almeida23 ont toutes deux réalisé une monographie et un article sur la question de l’écriture féminine, thématique que Jacques Chevrier24 aborde dans son article critique sur Fatou Diome. Un mémoire de maîtrise réalisé par Yienou Mfossi25 traite des enjeux de reconstructions identitaires à travers l’écriture de l’immigration chez Fatou Diome, tandis qu’un second mémoire écrit par Michelle Dagenais-Pérusse26 étudie la parole et le parcours d’individuation du protagoniste du Ventre de l’Atlantique. Parmi le foisonnement des recherches scientifiques effectuées sur la littérature féminine, deux thèses de doctorat ayant abordé la littérature africaine avec une spécificité féminine ont retenu notre attention: « L’énonciation de l’exil et de la mémoire dans le roman féminin francophone : Anne Hébert, Aminata Sow Fall, Marguerite Duras » de Mbaye Diouf27, se veut un lieu de rencontre entre le texte africain et le texte occidental sous la bannière féminine, et « De la littérature au féminin à la littérature : sujets du discours et écriture dans le roman francophone au féminin (Québec/Afrique sub-saharienne) » de Bernadette K. Kassi28 qui met en relation un corpus d’écrivaines

québécoises et originaires d’Afrique sub-saharienne afin de « caractériser leurs pratiques scripturales et de déterminer la pertinence ou non d’une spécificité purement féminine de l’écriture29 ».

17 Wandia Mwende Njoya, In search of El Dorado: the experience of migration to France in contemporary African novels, Pennsylvanie,Pennsylvania State University, 2007.

18 Xavier Garnier, « L’exil lettré de Fatou Diome » dans Notre Librairie, n° 155-156, 2004, pp. 30-35.

19 Mbaye Diouf, « Écriture de l'immigration et traversée des discours dans Le Ventre de l'Atlantique de Fatou

Diome » dans Francofonia n° 58 (Exilées, expatriées, nomades...), 2010.

20 Laurence Boudreault, « Faire texte avec le social : Fatou Diome et Ken Bugul » dans Recherches Francophones (La pression du social dans le roman francophone), CIDEF-AFI, 2007, p. 15-21.

21 Samuel Zadi, « La ―Solidarité africaine‖ dans Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome », dans Nouvelles études francophones, vol. 25, n° 1, 2010, p. 171-188.

22 Béatrice Didier, L’écriture-femme, Paris, Presses Universitaires de France, 1981.

23 Irène Assiba D’Almeida et Sion Hamou, « L’écriture féminine en Afrique noire francophone : le temps du miroir »

dans Fernando Lambert [dir.], Études littéraires, Québec, vol. 24, n° 2, 1991, p. 41-50.

24 Jacques Chevrier, « Fatou Diome, une écriture entre deux rives », op. cit., p. 35-38.

25 Yienou Mfossi, « Enjeux et reconstructions identitaires dans l’écriture de l’immigration de Fatou Diome »,

Mémoire de maîtrise, Bibliothèque et Archives Canada, Université de Calgary, 2008.

26 Michelle Dagenais-Pérusse, « Figures de la parole et parcours d’individuation dans Le Ventre de l’Atlantique de

Fatou Diome », Mémoire de maîtrise en Études littéraires, Québec, Université Laval, 2010.

27 Mbaye Diouf, « L’énonciation de l’exil et de la mémoire dans le roman féminin francophone : Anne Hébert,

Aminata Sow Fall, Marguerite Duras », Thèse de doctorat en Études littéraires, Québec, Université Laval, 2009.

28 Bernadette K. Kassi, « De la littérature au féminin à la littérature : sujets du discours et écriture dans le roman

francophone au féminin (Québec/Afrique sub-saharienne) », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2003.

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Un article de Mbaye Diouf30 a traité de la position et de l’évolution de la femme africaine relativement à son accession au savoir. L’étude de Diouf porte sur le cloisonnement de la position féminine africaine, sa volonté d’affranchissement et la mise en marche d’un principe d’opposition par la littérature. Son analyse traite également de la notion du corps social restreignant la figure féminine en nommant ses particularismes négatifs.

En somme, le peu d’études et d’articles critiques sur l’œuvre de Fatou Diome est proportionnel à la jeunesse de l’existence de l’écrivaine dans le champ littéraire. Le roman Celles

qui attendent, fait imputable à sa toute récente parution, n’a pas fait jusqu’ici l’objet de

monographies, de travaux de mémoires ou de thèses. Nous proposons ainsi l’apport d’une étude nouvelle sur l’un des aspects incontournables du roman : la position de la figure féminine et ses possibilités d’élévation personnelle et sociale. Nous croyons que ce regard particulier constitue le caractère original de notre étude, qui analyse la thématique féminine dans sa dimension sociale. Notre contribution à l’ensemble des études à propos de l’écriture et de l’œuvre de Fatou Diome pourra également s’inscrire dans le contexte plus global de la position du personnage féminin dans les romans africains contemporains.

4. Approches théoriques et méthodologiques

Le roman Celles qui attendent représente fidèlement la réalité sociale des personnages féminins du roman. Fatou Diome illustre l’état d’une collectivité, en l’occurrence le groupe social de l’univers textuel, en se centrant sur quatre expériences et parcours individuels. Considérant cela, une analyse de type sociocritique favorisera, à notre sens, une étude pertinente et approfondie de l’importance et de l’influence du social et de ses idéologies dans le texte. Nous suivrons les indications de Claude Duchet qui affirme que « [pour] une démarche sociocritique, il [s’agit] d’interroger les pratiques romanesques en tant que productrices d’un espace social, [qu’il propose] d’appeler société du roman31 ». Enrichie des études d’Edmond Cros32 et de Claude

30 Mbaye Diouf « Le savoir : enjeu d’écriture, enjeu de développement dans la littérature féminine africaine », dans La pression du social dans le roman francophone (Recherches Francophones), CIDEF-AFI, 2007, p. 23-39.

31 Claude Duchet, « Une écriture de la socialité » dans Poétique, n° 16, 1973, p. 448. 32 Edmond Cros, La sociocritique, Paris, L’Harmattan, 2003.

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Duchet33, tous deux précurseurs de ce type d’analyse, des travaux sur le roman de Mikhaïl Bakhtine34 et sur l’effet-personnage de Vincent Jouve35, de même que guidée par le Manuel de

sociocritique36 de Pierre Zima, nous serons à même, comme le souligne Pierre Popovic, «de considérer ―le dedans du texte‖ (Duchet) et de faire voir […] comment l’écriture du texte est branchée sur des langages sociaux37 », des discours et des représentations et ce, « dans l’état de société38 » considéré. Puisque « le roman est l’étude de l’homme social39 », il convient d’apporter un regard incisif à cette « société du roman40 » qui, dans sa fonction matricielle, détient les clés des possibles pour ceux qui vivent en son sein.

Dans le cadre de ce mémoire, nous n’entendons pas souligner une opposition entre les sexes dans une perspective de condamnation de la suprématie du masculin, mais plutôt porter un regard sur un texte qui présente une société où les rôles sont distribués et acceptés, et où celui de la femme semble se résumer à constituer l’assise de la famille. Étudiant la femme dans le cadre romanesque, notre attention se centrera sur elle du fait qu’elle constitue un axe central. Il en ressort une étude sur les possibilités et stratégies d’émancipation dans la divulgation d’«un puissant humanisme41 ». Malgré la prédominance du sujet féminin dans le corps de notre étude, il ne saurait être question de mener une analyse à caractère féministe, approche en accord avec la position de Fatou Diome elle-même qui

s’identifie clairement comme féminine. Son point de vue de femme influence certaines prises de positions, notamment en ce qui a trait à la place des femmes dans la société […]. Elle assume sa féminité et la met en avant comme l’une des caractéristiques essentielles de sa personne42.

33 Claude Duchet, « Une écriture de la socialité » dans Poétique, op. cit.

34 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Éditions Gallimard, 1978. 35 Vincent Jouve, Poétique du roman, Paris, Éditions Armand Colin, 2007.

36 Pierre Zima, Manuel de sociocritique, Paris, L’Harmattan, 2000.

37 Pierre Popovic, « La sociocritique : présupposés, visées, cadre heuristique—L’École de Montréal » dans Le roman parle du monde, Lille, Presses de l’Université Charles de Gaulle, 2010, p. 15.

38 Ibid., p. 15.

39 Étienne de Jouy, « Préface » dans Cécile et les passions, Paris, 1827. 40 Claude Duchet, « Une écriture de la socialité » dans Poétique, op. cit., p. 448.

41Mbaye Diouf, « Le savoir : enjeu d’écriture, enjeu de développement dans la littérature féminine africaine », op. cit, p. 38.

42 Michelle Dagenais-Pérusse, « Figures de la parole et parcours d’individuation dans Le Ventre de l’Atlantique de

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« [À] l’opposé de l’idée qu’on se fait d’une littérature féministe, dite de combat, qui unifierait sa représentation du féminin pour mieux prendre appui sur ce modèle unique43 », il est à notre avis inutile de prêter à l’écriture de Fatou Diome une telle intention : ses textes sont en eux-mêmes revendicateurs, et ne nécessitent l’apport d’aucune interprétation critique pour palpiter d’un désir d’amélioration des conditions de l’existence du sujet féminin. À ces considérations s’ajoute un autre piège que notre analyse entend éviter, celui de confondre les notions de société réelle et de société textuelle. Nous considérons que le réel en littérature ne représente pas la réalité; nous observons plutôt sa représentation, sa médiation par la littérature qui tente d’en produire l’illusion la plus fidèle possible. Cette illusion réaliste posée par le théoricien Claude Duchet « se caractérise donc par un jeu incessant entre le référent et sa référence, par quoi se constitue la réalité textuelle de l’espace social du roman44 ». Nous comptons conduire notre analyse tout en conservant à l’esprit sa recommandation selon laquelle le réel est « [matière] du texte et non contenu, prenons-y garde45 ». Ainsi, l’indéniable habileté de Diome à définir les contours d’un univers romanesque réaliste par rapport à sa « société de référence » ne saurait nous distraire du caractère éminemment fictif de son œuvre.

5. Grandes articulations du travail

Tel qu’exposé précédemment, notre examen de la figure féminine dans le roman s’organisera à travers l’étude des quatre personnages principaux qui occupent une position essentielle dans la diégèse. Le premier chapitre s’appliquera à présenter l’état des héroïnes dans le roman Celles qui

attendent, tandis qu’elles sont sous l’emprise d’un travail quotidien harassant, pour lequel le

personnage d’Arame est élevé au rang de véritable emblème. À cela s’ajoute le peu de reconnaissance octroyée par la collectivité pour l’accomplissement de ces tâches. Dans cette optique, nous effectuerons un bref examen du contexte social qui contribue, selon nous, à l’enfermement de la figure féminine dans ce roman. Nous nous attarderons sur certaines de ses particularités, telles l’angle insulaire, la pression du devoir communautaire et l’amalgame des traditions et coutumes qui constituent la société de l’île de Niodior comme un ensemble gérontocratique entièrement défini par ses ramifications généalogiques. Ce faisant, nous

43 Denise Brahimi, « La place des Africaines dans l’écriture féminine », dans Palabres (Femmes et création littéraire), Vol. III, n° 1 & 2, p. 163.

44 Claude Duchet, « Une écriture de la socialité » dans Poétique, op. cit., p. 452. 45 Ibid., p. 448.

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montrerons que l’état des personnages féminins se trouve commandé par les exigences de ce vase clos que constitue la société du roman en matière de droits et de positions de la femme.

Nous avons choisi d’orienter notre analyse selon deux vecteurs issus de la trame romanesque; la polygamie, en premier lieu, est présente tout au long du roman sous la forme d’une critique véhiculée par le personnage de Bougna. L’insatisfaction de sa situation de deuxième femme de son mari Wagane la maintient dans un état de jalousie et de concurrence constante avec sa coépouse. La jeune Coumba, mise devant le fait du remariage de son mari Issa plus tard dans le roman, entre également dans cette catégorie de femmes en ménages polygames pour laquelle elle ne peut opposer qu’une détresse résignée. Le mariage arrangé est notre deuxième sujet d’étude, à travers un examen des conditions du personnage d’Arame, dont les parents ont jadis orchestré son mariage avec le vieux Korômak qu’elle en vient à détester, puis par celui du cas de la jeune Daba, qui se voit poussée à s’unir avec Lamine, du fait des machinations d’Arame pour la marier avec son fils déjà parti en exil. Dans ce chapitre, nous comptons dévoiler l’ampleur de l’insatisfaction de la figure féminine quant à son état et poser les rouages du mouvement qui amènera, plus tard dans le roman, ces personnages (et plus particulièrement Arame et Daba) à tenter d’améliorer leurs conditions d’existence.

Le deuxième chapitre s’attachera à examiner les possibilités d’élévation des protagonistes à travers deux avenues : le corps social, où le bonheur et l’épanouissement peuvent, en certaines situations, être conjugués aux traditions qui le construisent, et la situation personnelle. Les jugements sévères et la violente condamnation de Daba suite à l’adultère qu’elle commet et à la conception de l’enfant qui en découle la poussent à s’imposer en tant que femme et mère, malgré son écart de conduite auquel son mariage de convenance l’a poussée. Coumba, pour sa part, doit reconstruire un nouveau type de bonheur personnel passant par la gratification des soins portés à son fils, son mari Issa définitivement installé en France avec sa seconde épouse européenne. Quant à Arame, elle vit la mort de son mari Koromâk comme une délivrance qu’elle n’attendait plus, et avoue qu’il n’était pas le véritable géniteur de ses fils. Au sortir de son veuvage, elle endosse, dans un mouvement controversé, le manteau de la polygamie afin de se remarier à son amour de jeunesse duquel elle avait été séparée. Enfin, nous nous pencherons brièvement sur la question de l’éducation et de la scolarisation des femmes comme un désir d’accomplissement

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personnel maintes fois exprimé dans le roman qui permettrait, du reste, une élévation des personnages féminins de Celles qui attendent. Nous comptons montrer que les possibilités de promotion s’ouvrent à quelques-uns des personnages féminins de Fatou Diome, mais viennent parfois alourdies d’un prix à payer.

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11 PREMIÈRE PARTIE

Écrire, oui, se cramponner à son stylo, comme à une béquille, c’est tout ce qu’elle pouvait faire. Écrire le drame, fixer les peurs, les chagrins, les révoltes et les colères sur des mots pylônes, afin qu’ils ne soient jamais engloutis par le temps, oubliés.

Fatou Diome, Inassouvies, nos vies

Si dans l’édition de 1974 de Littérature nègre46, Jacques Chevrier annonçait qu’il était peut-être « encore trop tôt pour parler d’écriture féminine47 » concernant le travail des romancières africaines, ce n’est certes plus le cas de nos jours. De la première publication de

Rencontres essentielles48 en 1969 à celle, plus récente, de Fatou Diome en 2010, la littérature féminine africaine existe à présent de manière indéniable comme un ensemble de textes reconnus et comme une discipline spécifique sur laquelle un nombre croissant de critiques littéraires choisissent de se pencher.

Considérée dans les premiers temps comme un corps de textes « naï[f] » et « épidermique »49, cette littérature s’est en effet développée à mesure que des romancières de talent et de renom sont venues grossir ses rangs. Encore en 1980, la critique Arlette Chemain-Degrange affirmait qu’« [il] n’existe pas de femme, à l’heure actuelle, qui ait pensé sa propre condition et donné à sa réflexion la forme d’une fiction romanesque ou poétique50 ». Plus de trente ans plus tard, Mariama Bâ, Ken Bugul, Calixthe Beyala et Animata Sow Fall, ne constituent que quelques exemples de femmes qui se sont illustrées dans une prise de parole émergente. Auparavant,

les écrivains africains masculins parlaient [de la femme africaine] par le biais de leurs personnages féminins. En dehors de quelques exceptions, ils ont forgé une image de la femme africaine qui la cantonnait dans son rôle traditionnel de fille, épouse, mère. Les

46 Jacques Chevrier, Littérature nègre, op. cit.

47 Jacques Chevrier, « Une écriture féminine » dans Littérature nègre, op. cit., p. 157.

48 Thérèse Kuoh Moukoury, Rencontres essentielles, Paris, L’Harmattan, 1995 (pour la seconde édition).

49 Mbaye Diouf, « Le savoir : enjeu d’écriture, enjeu de développement dans la littérature féminine africaine » dans Recherches francophones (La pression du social dans le roman francophone), op. cit., p. 24.

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femmes [écrivaines] ont ouvert l’horizon de la femme africaine en introduisant la notion d’épanouissement personnel51.

Bien qu’encore largement dépendante des instances de publication françaises pour sa diffusion et sa commercialisation, la littérature féminine africaine a néanmoins évolué indépendamment des textes de ses homologues masculins et jouit à présent d’un plus grand rayonnement (le roman Rosie Carpe de la franco-sénégalaise Marie Ndiaye s’est vu attribué le prix Fémina en 2001 et Trois Femmes puissantes, le prix Goncourt en 2009; Fatou Diome elle-même s’est vue décerner le titre de Chevalier de l’ordre national des Arts et des Lettres de France en 2009). Et si, pour certains textes, la qualité littéraire fait encore défaut au profit de l’établissement du propos, nous croyons qu’en ces termes les œuvres de l’écrivaine d’origine sénégalaise Fatou Diome n’effectuent aucun compromis.

La littérature africaine, notamment au temps de la Négritude, a loué la femme sous les visages de l’amante et de la mère, la réduisant à l’état d’objet utilisé pour promouvoir les mérites d’une Afrique charnelle et nourricière52. Pour les écrivaines africaines, il s’agit à présent de reconsidérer leur statut pour valoriser le personnage littéraire féminin en faisant usage d’une sensibilité permettant de cerner les problématiques de la figure féminine dans ses moindres complexités. À la formulation « écriture féminine » s’accole souvent un certain enfermement, de pair avec une minimisation de l’apport des textes féminins intégrés au corpus littéraire sous la seule bannière du genre; aborder spécifiquement les textes africains de plume féminine contribue à cristalliser cette mise en périphérie. Pour des romancières telles que Fatou Diome, écrire, en tant que femme, des textes portant sur des thématiques féminines apporte un degré de marginalisation du propos. Ce dernier diffère en termes de thématiques de celui des auteurs masculins, et entraîne une inévitable étiquette de « femmes traitant de sujets de femmes », s’adressant uniquement à un public féminin.

Les caractères particuliers de la littérature féminine africaine semblent relever de l’africanité plus que de la féminité […] Reste alors à voir, au sein de cette africanité, en quoi les femmes écrivains se distinguent de leurs confrères, s’agissant de thématiques qu’on croirait spécifiquement féminines mais qui pourtant leur sont communes. […] Ce

51Christiane Rolland Hasler et Daniel Delort, « Une sorte d’urgence vitale », entretien avec Fatou Diome dans Brèves, actualité de la nouvelle : Fatou Diome, n° 66, 2002, p. 135-136.

52 Nous désignons, par exemple, le célèbre poème « Femme noire » de Léopold Sédar Senghor dans Chants d’ombre, poèmes, Paris, Éditions du Seuil, 1945.

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qu’elles apportent, par rapport à la littérature des hommes, n’est d’ailleurs pas nécessairement en rupture avec celle-ci. Il s’agit plutôt d’un déplacement et d’une accentuation différente; et dans certains cas d’une audace plus grande, ou exprimée plus directement53.

Devant l’impossibilité manifeste de « dissoudre l’identité sexuelle »54 de l’écriture pour faire corroborer parfaitement les discours littéraires de l’homme et de la femme, l’idéal serait, pour les romancières africaines, d’obtenir un statut égal à celui de leur homologue masculin « tout en préservant les qualités spécifiques de la féminité55 ». Certains sujets convoqués par les textes féminins de ce point de vue (pensons à la polygamie, au mariage infantile, à l’excision ou à l’infibulation) choquent ou offensent. Comme l’énonce Rangira Béatrice Gallimore, « celles qui choisissent de donner priorité aux droits de la femme en dénonçant les méfaits de certaines pratiques culturelles acceptées et défendues par la société traditionnelle africaine sont souvent obligées d’affronter le regard mécontent du critique africain56 ». Comment, en effet, dénoncer certaines de ces pratiques « sans porter atteinte au fondement culturel même de la société africaine? Tel est le dilemme auquel doivent faire face l’écrivaine africaine et le critique de littérature africaine féminine aujourd’hui57 ».

Denise Brahimi58, dans son étude de l’écriture féminine en Afrique59, distingue trois types spécifiques : les femmes qui écrivent pour proposer une manière d’exister au féminin; celles qui écrivent contre l’injustice et l’horreur dans un dessein de dénonciation; et enfin celles qui écrivent sur le sujet féminin afin de dévoiler « les contradictions et les ambigüités auxquelles il est voué60 ». Les œuvres de l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome illustrent selon nous ces trois facteurs. Diome elle fait sienne « une perspective féminocentrique »61» unique qui constitue, croyons-nous, un aspect incontournable de sa distinction et de son originalité.

53 Denise Brahimi, « La place des Africaines dans l’écriture féminine », op. cit, p .161.

54 Rangira Béatrice Gallimore, « Écriture féministe? Écriture féminine? Les écrivaines francophones de l’Afrique

subsaharienne face au regard du lecteur critique » dans Études françaises, vol. 37, n° 2, 2001, p. 92.

55 Léontine Gueyes-Troh, « Notes de lectures, Désordres amoureux » dans Notre Librairie, n° 172, 2009, p. 160. 56 Rangira Béatrice Gallimore, « Écriture féministe? Écriture féminine? Les écrivaines francophones de l’Afrique

subsaharienne face au regard du lecteur critique », op. cit., p. 97.

57 Ibid., p. 98.

58 Denise Brahimi, « La place des Africaines dans l’écriture féminine », op. cit., p. 161-170.

59 Mme Brahimi se concentre, pour cette étude, sur les écrivaines africaines Lydie Dooh-Bunya, Calixthe Beyala,

Mariam Bâ, Werewere Linking, Bessie Head et Aminata Sow Fall.

60 Denise Brahimi, « La place des Africaines dans l’écriture féminine », op. cit., p. 166.

61 Irène Assiba d’Almeida et Sion Hamou, « L’écriture féminine en Afrique noire francophone » dans Études littéraires, vol. 24, n° 2, 1991, p. 46.

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1. Itinéraire de l’écrivaine Fatou Diome 1.1. Origines familiales

Fatou Diome est originaire de Niodior, « dans les Îles du Saloum, au sud de la ville de Mbour, sur la Petite Côte62 », au Sénégal. Née en 1968, elle est conçue hors mariage de parents originaires de villages différents. Cela s’avère lourdement problématique, puisqu’au fait des règles socialement établies au sein de sa communauté insulaire, chaque individu est pressé de chercher un partenaire au sein même de sa collectivité. Le problème de la naissance de Diome réside dans le fait que son père, provenant d’un village différent de celui de sa mère, revêt ainsi les traits d’un « étranger ». Cette situation plonge la collectivité dans les méandres d’un drame tissé par la controverse et la réprobation :

Il faut comprendre, dans cette société musulmane, j’étais l’enfant du péché, complètement illégitime, faite pour les Enfers. Mes parents étaient jugés coupables. Les deux familles se déchiraient, j’étais l’erreur vivante! Mon père, on ne le voyait plus parce que les gens du village de ma mère voulaient lui faire la peau […] Cette situation faisait que je portais un nom, –Diome– qui n’existe pas à Niodior. Chez nous, ce sont les noms de famille, les liens du sang qui font la géographie des quartiers du village. Je suis la seule et l’unique à m’appeler Diome à Niodior et quand on s’appelle Diome, (qui veut dire « fierté, dignité ») alors qu’on vous considère comme l’enfant de la honte, ce n’est pas facile63.

Délaissée par ses parents qui tentent de se détourner de leur faute, Fatou Diome est recueillie et élevée par ses grands-parents maternels. Elle conserve un attachement inconditionnel envers sa grand-mère, à laquelle elle dédie par ailleurs le roman Celles qui attendent. Nous constatons que la honte de sa conception (contrastant avec la dignité rattachée au nom de « Diome ») est un écho récurrent dans la fiction de l’auteure. Ce thème est présent dans la nouvelle « Les loups de l’Atlantique64 », laquelle raconte la fuite d’un jeune homme pris en chasse par les habitants d’un village pour y avoir entretenu des relations avec l’élue de son cœur. De nombreuses similitudes évoquent le récit biographique de Diome sur la manière dont son père, étranger au village de sa mère, s’est retrouvé violemment rejeté par les habitants dans une course scellant son départ définitif. Salie, protagoniste du Ventre de l’Atlantique, expose aussi les conditions déshonorantes de sa naissance illégitime et la manière dont ses parents, issus de villages différents, se sont détournés d’elle en espérant annihiler leur faute. C’est la grand-mère

62 Christiane Rolland Hasler et Daniel Delort, « Une sorte d’urgence vitale » (entretien), op. cit., p. 124. 63 Ibid., p. 128-129.

64 Fatou Diome, « Les loups de l’Atlantique » dans Nouvelles voix d’Afrique, Paris, Éditions Hoëbeke, 2002, p.

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de Salie qui insiste pour que sa petite-fille porte le nom de son père, parce que « ce n’est pas une algue ramassée à la plage, ce n’est pas de l’eau qu’on trouve dans ses veines, mais du sang, et ce sang charrie son propre nom » (VA, 74). Salie (tout comme Diome) est recueillie et élevée par son aïeule comme seule figure parentale. Ce thème de la conception honteuse est également repris comme élément central dans le roman Impossible de grandir65, qui se présente comme la suite du

Ventre de l’Atlantique.

1.2. Formation

Fatou Diome est animée, dès son jeune âge, d’une grande soif de connaissances; elle entame la vingtaine tandis qu’elle effectue des études universitaires dans la ville de Dakar. Elle y fait la connaissance, à l’âge de 22 ans, d’un Français venu pour y travailler. Ils se marient et Diome le suit à son retour en France en 1994. Arrivée en Alsace, elle se heurte au racisme immédiat de sa belle-famille à son égard. Conséquemment à cette situation, son union prend fin après deux ans. Demeurant en Alsace, Fatou Diome comprend à travers sa solitude qu’elle ne peut compter que sur elle-même pour sa subsistance. Déterminée à poursuivre ses études, elle combine les emplois de femme de ménage et de bonne à tout faire au sein de familles françaises qui ne voient en elle guère davantage qu’«un paquet de muscles pour accomplir des tâches difficiles66 » et surtout pas un être doué de pensées et de raison. Conjuguant des études en littérature la nuit et des journées entières consacrées à un travail manuel acharné, Fatou Diome écrit des textes, pour la plupart à saveur fortement autobiographiques.

1.3. Entrée en littérature

C’est par le biais de son entrée en littérature que Diome, auparavant dépréciée dans son occupation de femme de ménage, affirme l’étendue de ses capacités littéraires. Sa première publication est un fracassant recueil de nouvelles, La Préférence Nationale67. Composé de six nouvelles, « La mendiante et l’écolière », «Mariage volé », « Le visage de l’emploi », « La Préférence Nationale », « Cunégonde à la bibliothèque » et « Le dîner du professeur », le recueil

65 Fatou Diome, Impossible de grandir, Paris, Éditions Flammarion, 2013.

66 Christiane Rolland Hasler et Daniel Delort, « Une sorte d’urgence vitale » (entretien), op. cit., p. 132.

67 Fatou Diome, La Préférence Nationale, Paris, Éditions Présence Africaine, 2001, 123 pages. Dorénavant, les

références à cet ouvrage seront mentionnées sous le sigle PN entre parenthèses dans le corps du texte, suivi du numéro de page.

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est immédiatement remarqué en France dès sa sortie en 2001. Fatou Diome est décrite dans la préface de l’œuvre comme « une femme qui émerge à une liberté affirmée après un itinéraire douloureux68 », ce à quoi Diome rétorque : «Je ne sais pas si j’ai tout assumé mais j’essaie en tous cas de tenir tête, car, pour moi, il a toujours fallu tenir, et s’inventer des raisons de ne pas se laisser couler. Vivre, c’est un sacré boulot!69 ». Par l’usage des mots, elle organise cette résistance aux dédales de son existence, avec une prise de parole énergique et dénonciatrice qui observe d’un œil incisif les sociétés africaine et française.

La Préférence Nationale, tout d’abord, présente au fil des nouvelles qui constituent le recueil

plusieurs personnages féminins en diverses situations : la narratrice de « La mendiante et l’écolière » est hébergée par une famille polygame dont le patriarche lui vole 2000 francs durement gagnés. Pour renverser cette perte, il propose de les lui rendre au compte-goutte moyennant l’échange de ses faveurs sexuelles. Dans « Mariage volé », le jour de la noce est mis en parallèle avec celui de l’épreuve du bac en français de la narratrice, qui incarne la mariée. Son drame se joue à travers le coup de foudre ressenti envers le professeur lui ayant fait passer l’examen, qui se retrouve en simple spectateur au fond de la salle le jour du mariage. Dans la nouvelle « Le Visage de l’emploi », la narratrice est une nounou africaine au sein d’une famille française qui la dévalue en lui supposant une éducation inexistante, compte tenu de son emploi dévalorisant. Le personnage féminin prend sa revanche en renversant le cliché selon lequel « africain est synonyme d’ignorance et de soumission » (PN, 70). Corrigeant une erreur de citation dans le discours de sa patronne européenne, elle réplique à la surprise générale : « j’ai eu ma licence de lettres il y a deux mois. Chère Madame, les enfants de monsieur Banania sont aujourd’hui lettrés » (PN, 76). La nouvelle « La Préférence Nationale », qui donne son titre au recueil, expose dans un contexte européen la recherche d’emploi d’une narratrice scolarisée mais pénalisée par la couleur noire de sa peau. Dans la même veine, « Cunégonde à la bibliothèque » relate la situation d’une jeune bonne africaine au service d’une famille française. Cette dernière, sous-estimant son niveau d’éducation, s’empêtre dans des lieux communs en considérant la narratrice non pas pour ce qu’elle est mais de la manière cloisonnée dont elle la perçoit. Enfin, dans la nouvelle « Le dîner du professeur », la narratrice est reçue chez un professeur qui,

68 Madior Diouf, « Itinéraire de femme », préface dans Fatou Diome, La Préférence Nationale, op. cit., p. 1. 69 Christiane Rolland Hasler et Daniel Delort, « Une sorte d’urgence vitale » (entretien), op. cit., p. 130.

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après un repas dégusté en sa compagnie, entreprend de la dominer idéologiquement (sous le couvert de son éducation, supérieure à la sienne) et physiquement (par le biais d’une relation sexuelle au plaisir non-partagé).

Après La Préférence Nationale, Diome enchaîne les publications avec les romans Le Ventre

de l’Atlantique en 2003, lequel est sans doute son œuvre la plus mondialement lue et reconnue, Kétala70 en 2006, Inassouvies, nos vies71 en 2008, Le vieil homme sur la barque72 et Mauve73 en 2010 et enfin, Celles qui attendent la même année. Cela n’est pas sans compter d’autres nouvelles, telles « L’Eau multiple74 », publiée en 2001 et « Les Loups de l’Atlantique », également publiée en 2001, ainsi que des poèmes réunis sous le titre « Le Tableau Invisible, Chant d’Hiver75 », parus dans la Revue Alsacienne de Littérature.

Le roman Le Ventre de l’Atlantique est aussi conduit par un narrateur féminin (prénommée Salie), qui tente de conjuguer les multiplicités identitaires engendrées par sa situation d’exilée en France. Assaillie par les demandes d’assistance de ses pairs restés en Afrique, elle tente de convaincre son frère Madické que venir la rejoindre en Europe ne constitue pas, ni pour lui ni pour personne, la clé de l’amélioration de son quotidien. Le roman Kétala retrace par la voix de divers objets le parcours du personnage de Mémoria, laquelle est mariée par ses parents à un homme dissimulant son homosexualité par crainte du jugement public. Déterminée à s’investir malgré tout dans son union, Mémoria suit son mari de l’Afrique jusqu’en Europe avant que, délaissée par lui, la quête de la survie ne la fasse sombrer dans les affres de la prostitution. De retour au Sénégal, Mémoria meurt en laissant derrière elle quantité de possessions matérielles qui seront livrées à la coutume musulmane du partage des biens, le kétala. Enfin, dans le roman

Inassouvies, nos vies, la protagoniste est Betty, jeune femme esseulée dont la principale

occupation consiste à épier les faits et gestes de ses voisins depuis les fenêtres de son logis. À mesure qu’elle quitte son repère pour nouer contact avec les sujets de ses observations, Betty

70 Fatou Diome, Kétala, Paris, Éditions Flammarion, 2006.

71 Fatou Diome, Inassouvies, nos vies, Paris, Éditions Flammarion, 2008. 72 Fatou Diome, Le vieil homme sur la barque, Paris, Éditions Naïve, 2010. 73 Fatou Diome, Mauve, Paris, Éditions Arthaud, 2010.

74 Fatou Diome, « L’Eau multiple » dans Revue Présence Africaine, n° 161-162.

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s’imprègne du manque, de la solitude, de la quête de sens et de la nécessité du lien qui meublent la vie de ces êtres humains.

Ce rapide résumé de quelques-unes des publications de Fatou Diome est éloquent quant au terme « féminocentrique » évoqué par les critiques Irène Assiba d’Almeida et Sion Hamou, les protagonistes étant toujours féminins. De plus, nous remarquons que malgré son exil depuis le Sénégal jusqu’en France, Diome maintient, à travers ses univers fictionnels, un contact avec sa terre d’origine. Installée à Strasbourg, elle utilise Niodior, son village natal, comme lieu diégétique pour un grand nombre de ses écrits. Entre l’Occident et l’Afrique, l’écriture de cette auteure alterne, mais opère toujours une centralisation du personnage féminin. L’écriture, pour Diome, se présente à notre sens comme une arme de « réhabilitation du féminin76 ». Bien entendu, il y a toujours une distance à mesurer entre les prises de positions de l’écrivaine et les inflexions de sa prose; ainsi que le souligne Mbaye Diouf, « c’est dire qu’entre l’opinion personnelle sur une question donnée et le passage à la fiction, il existe un hiatus, un espace des possibles que l’écriture investit et explore77 ». Narratrices ou protagonistes, les femmes qui

peuplent les œuvres diomiennes renversent des clichés, revendiquent le développement de leur éducation et tentent de percer la cuirasse d’un corps social aveuglé par son idée du rôle qu’elles doivent assumer et les fausses représentations concernant le potentiel qu’elles détiennent.

1.4. Diffusion et légitimation de l’écrivaine

Un écrivain au sein du continent africain doit souvent composer avec certaines restrictions engendrées par son milieu. Outre le nombre réduit d’organes de presse amenuisant les possibilités de publication, il faut également transiger avec un lectorat réduit par un accès encore difficile à la scolarisation pour certaines régions ou catégories de la population. Il faut dire que le milieu littéraire africain se situe indéniablement en périphérie du centre consacré que constitue Paris au sein de ce Pascale Casanova appelle la « République Mondiale des Lettres78 ». En s’installant en Alsace, Fatou Diome accède ainsi sans l’avoir planifié à des instances de publication et de

76 Mbaye Diouf, « L’énonciation de l’exil et de la mémoire dans le roman féminin francophone : Anne Hébert,

Aminata Sow Fall, Marguerite Duras », op. cit., p. 61.

77Ibid., p. 12.

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diffusion primordiales pour son parcours littéraire en devenir. Après avoir publié au sein des éditions Présence Africaine (pour La Préférence Nationale) et Anne Carrère (pour Le Ventre de

l’Atlantique), Diome s’associe à la maison d’édition française Flammarion, qui jouit d’une

grande renommée. L’envergure de cette dernière assure aux œuvres de Diome une grande visibilité et un accès sûr à un lectorat scolarisé.

La reconnaissance accordée aux textes de Diome par le public est vaste, du fait de la largeur de leur axe de distribution comprenant l’Europe, l’Afrique, et le continent américain. Mais la légitimation accordée par le milieu littéraire est aussi des plus favorables : en 2003, Fatou Diome obtient le prix des Hémisphères Chantal Lapicque pour Le Ventre de l’Atlantique. En 2005, toujours pour ce titre, elle se voit décerner le prix LiBeraturpreis « parallèlement à la Foire du livre de Francfort79 ». En 2009, tel que mentionné précédemment, elle reçoit du ministre français de la culture le titre de Chevalier de l’ordre national des Arts et des Lettres de France80. Enfin, l’organisme Harmonies Mutuelles81 accorde à Fatou Diome le Prix Solidarité 2012 pour son roman Celles qui attendent, soutenant que ce dernier constitue une « illustration poignante des valeurs d’entraide et de solidarité » qui lui sont chères. Les dernières réalisations de Fatou Diome incluent, au moment de nos recherches (de 2011 à 2013), l’obtention d’un doctorat en Lettres Modernes portant sur « Le voyage, les échanges et la formation dans l'œuvre littéraire et cinématographique de Sembène Ousmane » à l’Université de Strasbourg et la publication imminente d’Impossible de grandir, suite du roman Le Ventre de l’Atlantique.

Dans un article couvrant la parution de Celles qui attendent, la journaliste Marie-Claude Girard souligne que « [dans] tous ses livres, Fatou Diome questionne les apparences82 ». Par-delà cette allégation, les sujets de son écriture se centrent principalement, au fil des thématiques abordées, sur la question et la condition du féminin. En effet, cette « perspective féminocentrique » que nous avons posée précédemment en tant que pratique textuelle de

79 Cituru Batumike, « Prix Littéraires : 22 femmes à la une » dans Amina, nº478, 2010, p. 2-3.

80 Christine Albanel, Nomination ou promotion dans l'ordre des Arts et des Lettres (janvier 2009). République

Française, Ministère de la Culture et de la Communication, [En ligne.]

http://www.culture.gouv.fr/culture/artsetlettres/janvier2009.html.

81 « Fatou Diome remporte le prix Solidarité 2012 », Harmonies Mutuelles, [En ligne.]

http://www.prevadies.fr/fatou-diome-remporte-le-prix-solidarite-2012-@/article.jspz?id=41279&categ=154.

82 Marie-Claude Girard, « Fatou Diome : en attendant l’amour » dans La Presse, 13 février 2011, [En ligne.] http://www.lapresse.ca/arts/livres/201102/13/01-4369840-fatou-diome-en-attendant-lamour.php.

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l’auteure s’affirme dans plusieurs entretiens de Fatou Diome avec la critique (Mbaye Diouf 83; Christine Rolland Hastler et Daniel Delort84; Marie-Claude Girard85), les médias africains (Africultures 86), ou des magazines féminins africains (Amina87). Tous ces médias font état de son positionnement quant à la situation cloisonnée de la femme africaine et de sa résistance par le biais de l’écriture.

83 Mbaye Diouf, « J’écris pour apprendre à vivre » dans Stichproben. Wiener Zeitschrift für kritishe Afrikastudien, n°

17, 2009, p. 137-151.

84 Christiane Rolland Hastler et Daniel Delort, « Une sorte d’urgence vitale » (entretien), op. cit., p. 123-140. 85 Marie-Claude Girard, « Fatou Diome : en attendant l’amour » dans La Presse, op. cit.

86Taina Tervonen, « Partir pour vivre libre » dans Africultures. [En ligne]. http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=3227.

87 Firmin Luemba, « Fatou Diome, écrivaine : L’Europe a des leçons à recevoir de l’Afrique » dans Amina, n° 463,

2008, p. 54-55; Firmin Luemba, « Fatou Diome ―La Polygamie est un recul pour la cause de la femme‖ » dans

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21 DEUXIÈME PARTIE

Chapitre 1

L’état des personnages féminins dans le roman Celles qui attendent

Inassouvi, le besoin de moduler la courbe de la vie qui n’en fait qu’à sa tête

Fatou Diome, Inassouvies, nos vies

À quoi sert-il de battre des ailes dans un tunnel?

Fatou Diome, Inassouvies, nos vies

1. Position de la figure féminine au sein du roman : travail et silence

Le roman Celles qui attendent, tel que nous l’avons antérieurement introduit, présente des protagonistes féminins plongés dans un quotidien ardu. Ce fait se matérialise en premier lieu par les personnages d’Arame et de Bougna. Arame a été détournée de l’homme qu’elle aimait et contrainte d’épouser, durant sa jeunesse, un ami de son père du nom de Koromâk. Quelques décennies plus tard, alors que son époux beaucoup plus âgé est cloué au lit par la maladie, elle se retrouve seule devant la tâche de mener la maisonnée. Son fils aîné, qui exerçait la profession de pêcheur, est mort en mer en laissant derrière lui ses femmes et une large progéniture. Abandonnés par leurs mères, qui ont plié bagage, les enfants sont à la charge d’Arame, qui s’évertue à les nourrir en dépit de l’extrême pauvreté de ses moyens. Bougna, quant à elle, est devenue la seconde femme de son mari Wagane après que celui-ci ait connu des revers de fortune. De nature combative, Bougna accepte fort mal sa condition polygame, allant jusqu’à déclencher de fréquentes altercations contre sa coépouse qui attirent l’attention de tout le village. Aussi affligée d’un grand dénuement, elle caresse toutefois le rêve que ses enfants accèdent à la réussite afin de supplanter les réalisations des fils de sa rivale, et d’asseoir par le même fait son autorité au sein de leur famille.

Dès les premières pages, le roman énonce l’apanage des traditions structurant sa société qui suggère le silence comme la réaction la plus appropriée à la souffrance. Toute protestation est

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reléguée à l’usage des faibles. Cette loi trouve une application particulière auprès des tourments vécus par les quatre figures féminines protagonistes du roman :

Les mères et épouses de clandestins ne se confiaient pas, pas facilement, pas à n’importe qui. Elles étaient silencieuses, comme des sources taries; il fallait creuser, longtemps creuser, ou attendre qu’un motif improbable fende leur carapace et fasse jaillir la parole. Alors, échappées d’elles-mêmes, elles parlaient, ruminaient, discouraient et ne s’arrêtaient plus, car leur inquiétude était infinie et plus impétueuse qu’une crue d’hivernage (CQA, 211).

Arame, que nous étudierons en premier lieu, est d’emblée dépeinte comme détenant la force nécessaire au maintien du silence et ce, en dépit d’un désir pressant d’extérioriser les violentes émotions concernant ses insatisfactions quotidiennes. Bougna, quant à elle, semble animée d’une volonté de lutte constante contre son état polygamique en multipliant les escarmouches avec sa coépouse. Pourtant, nous remarquons que par-delà le tumulte qu’elle cause, Bougna observe aussi la règle du silence lorsqu’il s’agit de s’acquitter des tâches quotidiennes. Ce mutisme caractérise l’état des figures féminines dès les premières lignes du roman.

Celles qui attendent se construit, en effet, selon la thèse qu’« il n’est plus possible qu’une

société continue à étouffer les aspirations de la moitié de ses membres88 », surtout si cette moitié en question en représente les piliers. Les cinq premiers chapitres, qui assurent un portrait des personnages du roman aliénés par leur quotidien, offrent un regard sur la condition féminine par le principe de deux oppositions : les notions homme/femme sont illustrées par les antagonistes statisme/action. Le texte oppose, par le biais des personnages, la fixité, voire même la passivité des hommes versus l’action de la femme sans cesse en mouvement, en complète antithèse avec l’affirmation patriarcale selon laquelle « la fonction du mâle est productive, dominante, première. L’homme est celui qui crée, capitalise et pérennise. La femme au contraire ne produit pas mais « reproduit », elle duplique et ne crée pas […]89 ».

Arame, tout d’abord, « n’avait eu que deux fils mais elle n’en était pas moins écrasée par le poids de la famille : son aîné, qui était pêcheur, avait péri trentenaire dans une tempête, lui

88 Benoîte Groulx, « Préface » dans Awa Thiam, La parole aux négresses, Paris, Éditions Denoël, 1978, p. VIII. 89 Irène Assiba D’Almeida et Sion Hamou, « L’écriture féminine en Afrique noire francophone : le temps du miroir »

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laissant une nombreuse descendance sur les bras » (CQA, 15). La mort immobilise irrémédiablement son fils, seule source de revenus de la famille qui se retrouve plongée dans une stagnation économique. Le deuxième fils d’Arame, Lamine, n’est guère plus générateur de mouvement. Devenu, à la mort de son frère, l’aîné de son clan élargi, il n’arrive guère davantage à opérer l’impulsion nécessaire à se lancer dans la vie et soutenir sa famille : « Lamine, le seul fils qui lui restait, avait raté plusieurs fois son bac et traînait maintenant à Dakar à la recherche d’un improbable emploi. Tous les espoirs de la famille reposaient sur lui (…) » (CQA, 66); « Arame était certaine que l’amélioration de ses conditions de vie et la paix de son ménage dépendaient de l’avenir de son fils » (CQA, 67).

Lamine offre, plutôt que l’image masculine responsable et débrouillarde veillant à l’amélioration des conditions de vie des siens, celle d’un étudiant déchu dont les efforts académiques, tombés à plat, l’ont laissé prisonnier de la recherche incessante d’emploi dans une société qui n’a guère d’opportunités à offrir. Ainsi, aucun des deux fils d’Arame n’est en mesure d’apporter l’aide nécessaire à la survie du foyer. Ce manque flagrant de leadership masculin au sein de cette famille est attribuable à son patriarche. En effet, Koromâk, en dépit de sa position de chef de la famille, est lui-même doublement inefficace lorsqu’il s’agit de contribuer à la survie des siens : souffrant et grabataire, il est contraint par son arthrose de constamment garder le lit : « la maladie de Koromâk était ancienne et connue de tous. Même ceux qui ignoraient de quoi il souffrait le savaient en très mauvaise santé et mettaient son état sur le compte de la vieillesse » (CQA, 279). Le vieil homme est dans une totale incapacité à participer à la ronde des tâches sustentrices. Mais plus encore, c’est son caractère acrimonieux qui paralyse son entourage: « faire avaler ses injustices aux autres était devenu sa seule manière de jauger son autorité. […] Koromâk agissait comme s’il voulait donner aux autres la mort qui lui bouchait l’horizon » (CQA, 33). De sa bouche, les insultes se joignent aux ordres sèchement énoncés, et celui que le texte définit comme un « tortionnaire » (CQA, 35) réduit à constamment « geindre dans sa chambre » (CQA, 33) ne fait qu’ajouter au fardeau déjà très lourd d’un quotidien qui entrave les mouvements d’Arame. Ici encore, le silence demeure l’arme utilisée pour outrepasser celui qui s’évertue à tester la figure féminine : « Le silence, c’était le bouclier qu’elle opposait aux flèches empoisonnées de son assaillant » (CQA, 34).

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