• Aucun résultat trouvé

Fiction et autobiographie chez J. Boissard ; une histoire, deux récits

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Fiction et autobiographie chez J. Boissard ; une histoire, deux récits"

Copied!
101
0
0

Texte intégral

(1)

Juliane Bertrand

Département de langue et littérature françaises Université McGill, Montréal

Mars 2002

A thesis submitted to the

Faculty ofGraduate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements

of the degree of Master ofArts

(2)

Acquisitions and Bibliographie Services

395 Wellington Street

OttawaON K1AON4 canada Acquisitions et services bibliographiques 395. rue Wellington OttawaON K1 A ON4 Canada

The author has granted a

non-exclusive licence allowing the

National Libnuy of Canada to

reproduce, lom, distribute or sell

copies of this thesis

in

microfonn,

paper or electronic formats.

The author retains ownership ofthe

copyright

in

this thesis. Neither the

thesis nor substantial extracts

frOID

it

may

be printed or otherwise

reproduced without the author's

permISSIOn.

L'auteur a accordé une licence non

exclusive permettant

à

la

Bibliothèque nationale du Canada de

reproduire, prêter, distribuer ou

vendre des copies de cette thèse sous

la fonne de microfiche/film, de

reproduction sur papier ou sur fonnat

électronique.

L'auteur conserve la propriété du

droit d'auteur qui protège cette thèse.

Ni la thèse

ni

des extraits substantiels

de celle-ci ne doivent être imprimés

ou autrement reproduits sans son

autorisation.

0-612-78990-X

(3)

TABLE DES MATIÈRES ii

RÉSUMÉ iii

ABSTRACT iv

REMERCIEMENTS v

FICTION ET AUTOBIOGRAPHIE CHEZJ. BOISSARD 1

Introduction 2

État de la recherche 3

Fictionetautobiographie:àla recherche de définitions 9

Hybridité desformes 21

Double construction d'un passé 33

Conclusion 38

BIBLIOGRAPHIE 40

l.JN"EHISTOIRE, DEUX RÉCITS 44

Àcause de Nicolas 45

Un séjourlittéraire 64

(4)

Ce mémoire se divise en deux volets. Le premier est un volet critique. J'y traite des rapports entre la fiction et l'autobiographie. Après y avoir défini ces deux types d'écriture créative, je me penche sur la façon dont elles se rencontrent dans quelques œuvres de Janine Boissard, une auteure française contemporaine. Ce faisant, j'essaie de mieux comprendre les techniques d'écriture du récit fictif et du récit autobiographique. Le second volet, celui de la création littéraire, est constitué de deux textes: un récit autobiographique et une nouvelle où des éléments autobiographiques sont intégrés à la fiction. J'y raconte l'histoire d'un camp de vacances, transformée dans un cas par la mémoire et dans l'autre cas par l'imaginaire. Enfin, dans un court texte de réflexion, qui clôt à la fois la démarche théorique et le travail créatü que j'ai effectués, je compare les difficultés propresàl'écriture de chacun de ces genres.

(5)

There are two parts to this thesis ; one is a critical study, the other comprises two literary texts. In the tirst part, 1 speak of the links between fiction and autobiography. Having defined these two terms, 1 then look at the ways they are present in severa! works by Janine Boissard, a French writer. 1 try to understand the techniques that are needed to write fiction and autobiography. The second part of the thesis contains an autobiographical story and a short story that uses sorne autobiographical elernents. It

shows how an event is modified by mernory, in the case of the autobiographical text, and by imagination, in the case of the short story. Finally, in a brief essay, 1 discuss the difficulties 1 encountered in writing each ofthese texts.

(6)

Ils vont à tous ceux qui ont fait de ma vie ce qu'elle est. Je remercie plus spécialement mes parents et ma sœur, pour leur amour inconditionnel, mon grand-père, qui m'a transmis la foi, les enseignants et professeurs qui m'ont aidée à forger l'esprit critique que j'ai aujourd'hui et mes amis, qui m'ont toujours appuyée dans mon cheminement créatif.

Un merci particulier aux professeurs Jean-Pierre Boucher et Jane Everett pour leur soutien dans la préparation de ce mémoire età madame Janine Boissard pour avoir créé une des œuvres phares de mon cheminement personnel.

(7)
(8)

À une époque où la critique littéraire se méfie de la figure de l'Auteur, apparaissent de toutes parts des études sur les discours de l'intime, genres oùlaparole est laissée à l'auteur. Dans ce contexte paradoxal, les récits de vie et les reality shows obtiennent des records de popularité auprès du grand public. Il semble que, malgré les

théories postmodemes qui déconstruisent le Sujet et cessent de voir l'Homme comme une

entité fermée et stable, l'être humain ressente le besoin de parler de soi et de se sentir être.

L'expression de soi emprunte diverses formes, que ce soit le journal intime, la

correspondance, l'autoportrait, l'autoanalyse des rêves, l'autobiographie, ou autres. Ce

souci peut aussi se retrouver, de façon plus discrète, dans le roman ou la nouvelle. La critique littéraire parle d'ailleurs de plus en plus souvent des autofictions, qui, si on se fie

à leur nom, combinent des éléments autobiographiques et fictionnels.

Dans

ce mémoire, Je me demanderai de quelles façons la fiction et l'autobiographie peuvent se rencontrer. Pour ce faire, je me pencherai sur un corpus

constitué d'une saga romanesque et d'un récit autobiographique. Il s'agit de L'Esprit de

famille, dont les six tomes sont L'Esprit de famille, L'Avenir de Bernadette, Claire et le

bonheur, Moi, Pauline, Cécile, la Poisonet Cécile et son amour, et de Vous ve"ez... vous

m'aimerez. L'auteure, Janine Boissard, est née à Paris en 1937 et elle publie encore

aujourd'hui. Vous ve"ez... vous m'aimerez porte sur son enfance, tandis que L'Esprit de

familleest l'histoire de lafamille Moreau, plus particulièrement des quatre enfants, Claire, Bernadette, Pauline et Cécile.

(9)

L'hypothèse à la base de ce travail est que L'Esprit de famille et Vous verrez... vous m'aimerez, qualifiés respectivement de roman et d'autobiographie par l'auteure, sont des textes où se rencontrentlafiction et l'autobiographie. Mes objectifs sont de confirmer cette hypothèse et d'expliquer l'effet produit par ce croisement des genres.

rai divisé·le développement en quatre sections pour en faciliter la lecture. Dans la première section, je fais un bilan des rares comptes rendus portant sur les écrits de Janine Boissard, afin de situer mon point de départ. La seconde partie expose les·définitions de la fiction et de l'autobiographie sur lesquelles repose mon analyse. La troisième partie constitue le cœur de mon exposé, car j'y observe les croisements formels. Enfin, dans la dernière partie, j'évoque les jeux de miroirs que permettent ces croisements.

État de la recherche

Au meilleur de ma connaissance, il n'existe aucune tradition de recherche passée ou en cours sur Janine Boissard1•On peut cependant trouver dans quelques revues et

dans

Internet un petit nombre de comptes rendus qui proposent des pistes de réflexion sur L'Esprit de familleetsur les autres œuvres de l'auteure.

Les deux premiers textes, publiés en 1977, traitent avant tout de la vision de la

famille transmise par Janine Boissard. Dans«Et toi aussi douceur », un article du Figaro littéraire des 6 et 7 août 1977, Renée Massip produit une réflexion sur la place de la

famille dans la société occidentale et dans la littérature. La famille est un sujetquin'a pas

1rai consulté une quinzaine d'outils de recherche généraux et spécialisés et je n'ai trouvé qu'une quinzaine de comptes rendus dont la minorité sont produits par des universitaires. De même, aucune étude critique n'est recensée.

(10)

la cote auprès des intellectuels. Mais Renée Massip affIrme que L'Esprit de famille de Janine Boissard est un texte différent. « Oser dire que l'on aime ses parents, faire d'eux un portrait vivant, bienveillant et vrai, c'est un grand courage pour une romancière de ce temps2. »Quelques mois plus tard,Le Figaro littéraire publie un second compte rendu de

L'Esprit de famille. Le roman y est décrit comme une réactualisation des Quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott, le tout étant caractérisé par l'intégration des nouvelles teclmologies qui influencent la vie familiale des années 1970 :latélévision et la pilule contraceptive. Ce compte rendu porte aussi en germe la problématique de ce présent mémoire, car il est mentionné que «[c]e premier roman, en partie autobiographique, restitue à la perfection l'atmosphère du foyer [...]3». Ainsi, les premiers commentaires touchent davantage à la notion de famille qu'à l'écriture intime, mais. dès le départ. L'Esprit de famille est perçu comme un roman d'inspiration autobiographique.

Une page web non datée, intitulée L'Esprit de famille d'après les romans de Janine Roissard, traite d'une série télévisée réalisée en 1981 et inspirée de la saga sur laquelle porte ce volet de mon mémoire. Le rédacteur de ce texte anonyme présente brièvement ce qui est d'après lui la clé du succès de Janine Boissard: la référentialité particulièrement réussie de ses textes.

[Lles critiques littéraires ne parlent jamais d'elle, et pourtant ses livres se vendent à des centaines de milliers d'exemplaires, et ont été traduits en Allemagne, aux États-Unis, en Suède, en Espagne,... Nul n'est prophète en son pays, mais c'est cependant en racontant les heurs et malheurs d'une

2 Renée Massip, «Et toi aussi douceur », Le Figaro littéraire, n. 1629, 6-7 août 1977,

f·13.

J. de R, « Les quatre filles du docteur Moreau », Le Figaro littéraire, n. 1646, 10-11 décembre 1977, p. 24.

(11)

famille bien française que Janine BOISSARD a conqUIS ses titres de noblesse.

Le roman a une couleur autobiographique. Janine BOISSARD ne jure, en effet, que par « l'esprit de famille» qui est « le ciment de la vie »4•

Même si la question de l'écriture autobiographique n'y est pas développée, elle y est tout de même mentionnée. Mon texte s'inscrit donc en continuité de ce texte très embryonnaire.

Dans lesNouvelles littéraires du 26 février au 5 mars 1981, on retrouve un article sur Janine Boissard signé par Jérôme Garcin. Celui-ci a d'abord lu certains romans de Janine Boissard, puis il l'a rencontrée avant d'écrire son article. Il est frappé par la ressemblance entre l'auteure et son œuvre de fiction. « Elle ressemble à ses livres, Janine Boissard : rayonnante, fraîche, limpides. » Jérôme Garcin revient à la charge un peu plus loin lorsqu'il qualifie Moi, Pauline d'« autobiographie chatoyante6». Il aurait été intéressant qu'il explique davantage cette qualification, mais elle montre que Jérôme Garcin, comme ceux qui l'ont précédé, considère que l'aspect autobiographique des écrits de Janine Boissard est une évidence.

En avril 1981, Nicole Aronson de East Carolina University publie dans The French Reviewun compte rendu où elle compare « [...] trois textes [qui] rappellent que la femme doit poursuivre une activité qui lui permette éventuellement de mener une vie

4 L'esprit de famille d'après les romans de Janine Roissard, [En ligne], [s.d.],

http://lugrassot.multimania.com/serie/esprit/esprit.htm.

5 Jérôme Garcin, «Janine Boissard: un hymne à la confiance», Nouvelles littéraires, n. 2776, 26 février-5 mars 1981, p. 36.

(12)

indépendante7» :Les Litsà une place de Françoise Dorin, Grand Reportage de Michèle Manceaux et Unefemme neuve de Janine Boissard. Nicole Aronson, qui consacreà peine vingt-trois lignesà ce dernier roman, ne voit aucune dimension autobiographique dans le récit de Janine Boissard. « Janine Boissard [...] aborde le sujet [de la solitude] en prenant plus de distance. Claudine, la femme abandonnée, est l'héroïne d'une histoire en trois parties, bien équilibrée et peut-être trop bien construite8•»D'après Nicole Aronson, la vie peinte dans le roman est une simplification de la réalité. Cette idée est remise en cause par Mariette Huido sur une page personnelle parue ultérieurement. Après avoir fait un résumé d'un des plus récents romans de Janine Boissard, Marie-Tempête, Mariette Huido conclut avec une petite phrase où elle rappelle que Janine Boissard est l'auteure d'Une femme neuve, «un témoignage personnel9 ». Pour elle, la distance entre la fiction et le vécu de l'auteure est donc beaucoup moins importante que pour Nicole Aronson.

Le 22 août 1982, un peu plus d'un an après le compte rendu de Nicole Aronson, le Houston Post publie un texte sur la traduction anglaise d'Une femme neuvelO• Puis, le 15 septembre 1984, leLibrary Journal publie un minuscule paragraphe de Terrill Brooks sur la traduction anglaise deClaire et le bonheur. Ce texte ne contient aucun élément pouvant éclaircir ma problématique.

7Nicole Aronson. « Janine Boissard : Une femme neuve; Françoise Dorin: Les litsà une

place; Michèle Manceaux: Grand reportage », The French Review, vol. LI, n. 5, avril

1981,p. 759.

8Ibid., p. 758.

9 Mariette Huido, Marie-Tempête, [En ligne], [s.d.], http://perso.club-internet.fr/arocena/ livre33.html.

10 Je n'ai malheureusement pas pu consulter ce document. fen ai appris l'existence en faisant des recherchesdans Internet. Je le mentionne cependant afinque cet état présent soit exhaustif.

(13)

Il faut attendre jusqu'en 1986 pour trouver un autre texte portant sur Janine Boissard et son œuvre. Dans son Panorama du polar français contemporain, un dictionnaire des grands auteurs de romans policiers, Maurice Périsset consacre deux pages et demie à la production que Janine Boissard a publiée sous le nom de Janine Oriano. Elle y est considérée comme un auteur majeur, car elle a été la toute première femme à publier à la prestigieuse Série noire des éditions Gallimard. Maurice Périsset précise qu'en plus d'écrire des polars, Janine Boissard s'est démarquée en écrivantL'Esprit de famille. Il ne parle pas d'écriture autobiographique, maisilsouligne la référentialité du texte: «C'est la vie quotidienne marquée par de multiples événements majeurs ou mineurs et, en même temps, le reflet d'existences auxquelles les lecteurs - et surtout les lectrices - peuvent s'identifierl l.» Toujours en 1986, un article sur Une femme réconciliée est publié dansMadame Figaro du 4 janvierl2et un compte rendu de trente-deux lignes de A Time to Choose, traduction anglaise de Moi, Pauline, paraît dans New Yorker. Surprise: Moi, Pauline, quatrième volume de L'Esprit defamille, y est présenté comme le dernier ouvrage d'une trilogie !

En février 1988, un second compte rendu d'un ouvrage de Janine Boissard est publié dans The French Review. Cettefois, l'article est signé par Françoise von Mayer, de Garrison Forest SchooL Si Françoise von Mayer est très critique envers Une femme réconciliée, elle reconnaît tout de même que Janine Boissard réussit à y reproduire certaines caractéristiques du réeL «Les personnages se débattant avec des problèmes

Il Maurice Périsset, «Janine Oriano », dans Panorama du polar français contemporain, Paris, L'Instant, 1986, p. 161.

12J'ai appris l'existence de cet article dansle French XX Bibliography,mais je n'ai pas pu mettre la main sur une copie de cette revue. Je le mentionne cependant afinque cet état présent soit exhaustif

(14)

essentiels, mais aussi quotidiens, ce roman peut probablement "toucher la chair de la vie". Cependent [sic] l'ensemble reste facile, prévisible, dépourvu d'originalitë3•

»

Il aurait été intéressant que Françoise von Mayer développe davantage son compte rendu, car elle y exerçait un véritable esprit critique, exposantà lafois ce qu'elle perçoit comme les forces et les faiblesses de l'œuvre.

Dans son compte rendu de A Different Woman, traduction d'Une femme réconciliée, paru le 1er avril 1989 dans Library Journal, Danielle Mihram soulève un autre aspect des écrits de Janine Boissard. Elle rappelle qu'il s'agit d'une écriture au féminin. Selon Danielle Mihram, Janine Boissard propose un nouveau modèle, où l'homme et lafemme créent un véritable échange : «In contrast with other novels about women, where male characters are presented as obstacles, this story presents a case in favor of mutual understanding and esteeml4•»Dans un article paru dans Le Monde en 1992, Florence Noiville abonde dans le même sens: «Janine Boissard est une romancière du couple15». Ce qui caractérise ses écrits est le traitement des sujets d'actualité, reflets du quotidien de plusieurs lecteurs.

Si la question de la référence au réel est complètement absente dans un compte rendu d'un autre roman de Janine Boissard, Boléro,rédigé par Carole Vantroys et publié en mars 1995 par le magasineLirel6, elle est primordialedans les treize lignes qu'occupe

I3 Françoise von Mayer, «Janine Boissard: Une femme réconciliée», The French

Review, vol. LXI, n. 3, février 1988, p. 517.

14 Danielle Mihram, «Boissard, Janine. A Different Woman », Library Journal,

vol. CXIV,fi. 6, 1eravril 1989, p. 109.

15 Florence Noiville, «Le phénomène Boissard. Enquête sur une littérature discrète qui compte ses fidèles par centaines de milliers », Le Monde, fi. 14788, 14 août 1992, p. 12.

(15)

le compte rendu de La Maison des enfants publié dans Le Nouvel Observateur par Françoise Xenakis.

Onditque le succès des romans dits - populaires - est dû au fait qu'ils font rêver, que les héroïnes ont les mains fines, fines et que bien sûr elles ne font pas la vaisselle, plus, qu'elles n'appuient même pas sur le bouton de la machine à laver! [...] Janine Boissard, elle, n'a jamais employé ces procédés là [sic] et elle a écrit près de 25 romans, où elle raconte la vie, votre vie, notre vie de tous les jours. [...] Janine Boissard écrit, raconte avec une extrême honnêteté de sentiments et son écriture est maîtrisée et calmel7.

Comme le souligne Françoise Xenakis, la production de Janine Boissard est volumineuse et ses livres touchent un assez large public. Il n'est donc pas étonnant de pouvoir compléter cette revue de la littérature par deux pages personnelles, écrites par de jeunes lecteurs, qui donnent leurs impressions à la suite de la lecture des ouvrages de Janine Boissard. L'un d'eux Dany Vogel, souligne que, bien que la lecture soit ardue, Rendez-vous avec mon fils décrit un problème bien réel dans notre société: la droguel8•

Ainsi, l'aspect référentiel des écrits de Janine Boissard est reconnu par la majorité de ceux qui les ont commentés. Je tenterai, dans les prochaines pages, de dépasser ce niveau pour m'intéresser plus spécifiquement à la façon dont la fiction se joint à

l'autobiographique.

Fiction et autobiographie : à la recherche de définitions

Avant de traiter des ouvrages de Janine Boissard, je désire développer brièvement la définition de deux termes employés souvent de façon ambiguë: fiction et

17 Françoise Xenadis, «L'avis de Françoise Xenadis », Le Nouvel Observateur, [En ligne], 1999-2000, http://www.nouvelobservateur.com/livreslcritique/critiq69.htm.

18 Dany Vogel, Janine Roissard: Rendez-vous avec mon fils, [En ligne], [s.d.], http://d_vogel.tripod.com/fr/boissard.htm. L'autre page est produite par Natascha Weber.

(16)

autobiographie. Je ne prétends pas donner ici une définition universelle de ces termes. J'évoquerai simplement le sens dans lequel ils seront utilisés dans le présent mémoire.

Peu de théoriciens défmissent dans quel sens ils emploient le termefiction. Ce mot est aussi absent de la plupart des dictionnaires de tennes littéraires. Par exemple, Marc Angenot, dans son Glossaire de la critique littéraire contemporaine, utilise le mot

«fictionl9» dans sa définition de l'autoreprésentation, mais il omet de définir ce qu'il entend par la notion de fiction. Il tient donc pour acquis que son lecteur saura définir ce concept avec exactitude. Bernard Dupriez part du même postulatdansleGradus. Dans sa définition du récit, ilmentionne que«[l]e récit peut [... ] toujours être fictif0 », mais il ne juge pas bon de préciser ce qu'il entend par ce dernier terme. Les exemples seraient encore nombreux. Tous emploient letennefiction, mais rares sont ceux qui s'intéressentà

ce qu'il signifie vraiment.

Une brève définition de la fiction est donnée sur le site internet Champ lexical de la littérature: «Œuvre, genre littéraire dans lesquels l'imagination a une place prépondéranté1.» Cette définition m'est insuffisante. Comment savoir ce qui est purement imaginaire lorsqu'onlit et étudie un texte? Philippe Lejeune offre une amorce de définition beaucoup plus éclairante. Selon lui, serait fiction un texte

«

dont la lecture est indépendante de ce que le lecteur sait de l'auteui2». Ce ne serait donc pas un texte

19 Marc Angenot. «Autoreprésentation », dans Glossaire de la critique littéraire

contemporaine,Montréal, Hurtubise HMH, 1972, p. 23.

20 Bernard Dupriez. «Récit », dans Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire),

Ottawa, 10/18, 1977, p. 382. .

21 «Fiction», dansChamp lexical de la littérature, [En ligne], [s.d.], http://www.ai.univ-~aris8.:fr/corpus/lurcat/fiction.htm.

2 Philippe Lejeune,Je est un autre. L'autobiographie de la littérature aux médias, Paris, Seuil, 1980, p. 33.

(17)

référentiee3• Olivier Guerrier abonde dans le même sens. Selon lui, la fiction se caractérise par la «distance au monde prosaïque et quotidien» et par «l'absence ou l'inexistence du référent réet24 ». Il ajoute cependant quela fiction peut tout de même être porteuse de vérité, ce que soutient aussi Mounir Laouyen. Selon IU4 il y a «une vérité propre au roman, qui n'est pas d'ordre référentiel, mais qui, comme le rêve, serait porteuse d'une vérité seconde25 ». Je retiens de ces défmitions que, dans la fiction, la référentialité ne joue aucun rôle.

Cependant, peut-on affirmer qu'un texte de fiction ne peut pas être référentiel? Si

ou~ il faudrait exclure tous les textes qui se déroulent en tout ou en partie dans un lieu réel. En poussant ce raisonnement à l'extrême, on pourrait conclure qu'il n'existe pas de texte fictif puisque même des romans de science-fiction se déroulant dans d'autres galaxies ont pour cadre notre Univers. C'est pourqu04 plutôt que de dire qu'un texte de fiction est un texte non référentiel, je maintiens, me rapprochant de l'extrait de Philippe Lejeune cité plus haut, qu'il s'agit d'un texte, référentiel ou non, dont la lecture n'est pas influencée parla connaissance du réel.

C'est le cas du roman L'Esprit de famille. Bien que Pauline, la narratrice, y fasse référence

à

plusieurs réalités parisiennes, comme les Tuileries et le R.E.R., qui font partie

23 Dans un ouvrage antérieur, Philippe Lejeune dit que «[les textes référentiels] prétendent apporter une information sur une "réalité" extérieure au texte, et donc se soumettreà une épreuve de vérification» (Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1996 (1975), coll. « PointS», p. 36.). Un texte de fiction serait un texte où le lecteur n'est pas amenéàeffectuer cette vérification.

24 Olivier Guerrier, «Frontière de la fiction, fiction de la frontière: les Essais de Montaigne », dans Fabula. Théorie de la fiction littéraire, [En ligne], octobre 2000, http://www.fabula.orglforum/colloque99/212.php.

25Mounir Laouyen,«L'autofiction : une réception problématique », dansFabula. Théorie

(18)

de son trajet quotidien, le fait d'avoir visité ou non la métropole ne modifie pas la perception que le lecteur a du texte. Janine Boissard situe ses protagonistesdansdes lieux réels, mais ils servent simplement de décor à l'action.

Dans The French Fictional Journal: Fictional Narcissism/Narcissistic Fiction,

Valerie Raoul tente de cerner qui est le narrateur fictif. Elle y dit que celui-ci est une création du texte, donc que la fiction ne se situepas au plan du vrai ou du faux, mais sur un plan différent et non vérifiable.

The fictional I-narrator does not exist outside the text; he is created by language [...]. Questions of truth or falsehood are therefore irrelevant, fiction being precisely that which is neither true or false, but which exists on a different plane from the verifiable26•

Si le narrateur est une construction textuelle, il est donc exact d'affirmer qu'en aucun cas le narrateur d'un texte de fiction ne peut être associé à un auteur en chair et en os. C'est une deuxième caractéristique de l'œuvre de fiction.

Encore une fois, L'Esprit de famille permet d'illustrer cette considération. L'auteure, Janine Boissard, a un nom, un corps, une identité. Les deux narratrices de la saga romanesque, Pauline et Cécile, n'existent qu'à l'intérieur du texte. Elles n'ont une identité que virtuellement.

Henri Peyre ajoute un élément qui complétera ma définition de la fiction. TI croit qu'un texte de fiction doit inclure une narration des événements qui permette de voir la

26 Valerie Raou~ The French Fictional Journal: Fictional Narcissism/Narcissistic

(19)

progression des personnages27• Valerie Raoul abonde dans le même sens lorsqu'elle dit que le lecteur d'un roman sait que tout est important, tandis que certains passages d'un journal peuvent être SUperflus28• Si tout est important, c'est que l'auteur a choisi ce que contiendrait son texte. Il me semble donc que le texte de fiction est construit et qu'il veut créer un effet, dont la nature peut varier.

Dans les pages suivantes, je réserverai le termefiction à des textes où, comme dans L'Esprit de famille, la référentialité ne joue aucun rôle, le narrateur ne peut être confondu avec l'auteur et l'ordre des événements du récit est construit pour narrer une histoire29•

Je me dois de définir un second terme: autobiographie. L'ambiguïté de ce concept s'explique de façon inverse à celle de la fiction. Alors que ce terme est souvent utilisé mais rarement défini, autobiographie entraîne au contraire une multitude de définitions30• Chaque texte consulté contient une - et souvent plusieurs! - définition de l'autobiographie qui diffère partiellement de la précédente. C'est pourquoi je ne ferai référence qu'à un nombre restreint de travaux pour expliquer dans quelle optique je parle de l'autobiographie.

27 Henri Peyre, Literature and Sincerity, New Haven/Londo~Yale University Press, 1969 (1963), p. 161.

28Valerie Raoul,op. cit., p. 23.

29 J'emploie ici récit pour désigner le discours et histoire, le contenu narratif, tel que le fait Gérard Genette dansFigures III, Paris, Seuil, coll. «Poétique », 1972, p. 72.

30 Le nombre d'ouvrages et d'articles traitant de la question autobiographique est si important qu'il serait impensable d'épuiser le sujet dans un mémoire dont le propos n'est pas une dérmition de l'autobiographie.

(20)

Le premier titre que j'ai choisi pour le volet critique de mon mémoire était

« Récits fictif et autobiographique chez Janine Boissard». Une contrainte sur le plan du

nombre de caractères m'a forcée à modifier «récit autobiographique» au profit

d'« autobiographie». Ce changement m'a agacée, car je voyais dans le terme

autobiographie un genre bien codifié. Or, plusieurs théoriciens en arriventà la conclusion

contraire. Par exemple, dans un texte publié en 1970, Jean Starobinski affirme que

l'autobiographie peut prendre diverses formes et que sa longueur peut être très variable.

«Il faut donc éviter de parler d'un style ou même d'une forme autobiographiques, car il

n'y a pas, en ce cas, de style ou de forme génériques31•» Philippe Lejeune parle dans le

même sens lors d'une entrevue accordéeà Claire Devarrieux. Il explique que « [Ile projet

autobiographique lui-même change, ilest soumis aux mouvements de la vie et ne la fige

pas32 ». Georges Gusdorf et Elisabeth W. Bruss, pour leur part, ont affirmé que l'autobiographie, comme tous les genres littéraires, est le produit d'une culture et d'une

époque spécifiques33• Tous ces chercheurs ont en commun leur croyance que

l'autobiographie n'est pas une forme immuable. Il doit pourtant y avoir un point commun

à

toutes les autobiographies puisque nous les distinguons d'autres textes, nommés fictions.

Timothy Dow Adams explique que l'autobiographie a durant longtemps été classée parmi

la« nonfiction», mais que les travaux récents montrent clairement que, quoi que soit une

autobiographie, ce n'est pas simplement un texte non fictW4• Dans cette optique,

31Jean Starobinski, « Le style de l'autobiographie }}, Poétique, n. 3, 1970, p. 257.

32Philippe Lejeune, cité par Claire Devarrieux, « Lejeune, moi jeu», Libération - Cahier livres, [En ligne], 14 mai 1998, http://www.liberation.frllivres/98mai/9805141ejeune.html.

33 C'est ce que soutient Paul John Eakindansson ouvrage Touching the World Reference

in Autobiography, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 72.

34 Timothy Dow Adams, Light Writing & Lift Writing. Photography in Autobiography,

(21)

autobiographie est d'autant plus difficile à définir qu'il n'existerait pas un corpus de textes uniformes auxquels on pourrait donner ce nom35• Les textes autobiographiques sont hétérogènes et aucune règle stylistique ne permet de les qualifier tous.

Puisque la fiction se veut non référentielle et que l'autobiographie n'est pas un texte fictif: peut-on en déduire que l'autobiographie se caractérise par sa référentialité? Paul JohnEakiny voit le principal axe de définition de l'autobiographie. «In the age of poststructuralism we have been too ready to assume that the very idea of a referential aesthetic is untenable, but autobiography is nothing if not a referential art36•»Elisabeth

w.

Bruss parle dans le même sens dans un article intitulé « L'autobiographie considérée comme acte littéraire». Elle y énonce trois caractéristiques de l'autobiographie, la seconde étant que l'information est de l'ordre du vrai37• Cela signifie-t-il que tout ce qui est dit dansune autobiographie est la pure Vérité? Je crois que non. Il n'est pas dit que l'information est vraie mais plutôt qu'elle est du domaine du véritable, c'est-à-dire qu'elle peut être exacte ou erronée mais qu'elle n'est pas simplement vraisemblable. D'ailleurs, il est assez généralement admis que l'autobiographie n'est pas une simple transcription de la vie de son auteur. Il s'agit d'un texte construit. Selon Patricia Smart, « [e]ntre toute vie et sa forme narrée, il y a un écart - une imposition de cohérence, une déformation nécessaire - relié à ce que du privé l'autobiographe choisit de rendre public38». Je voisdansces

35Mais existe-t-il un genre pour lequel il est possible de dresser un tel corpus ? 36Paul John Eakin,op. cit., p. 28. .

37Elisabeth W. Bruss, «L'autobiographie considérée comme acte littéraire», Jean-Pierre Richard (trad.),Poétique, n. 17, 1974, p. 23.

38 Patricia Smart, «Mémoires d'une jeune fille qui refuse de se ranger: Une mémoire déchirée, de Thérèse Renaud», Voix et images, vol XXII, n. 1, automne 1996, p. 11.

(22)

explications un premier axe de ma définition de l'autobiographie. Il s'agit d'un texte, donc d'une construction réfléchie, de caractère référentiel.

Si l'autobiographie est un texte référentiel appartenant au domaine du vrai, il est impossible d'esquisser une définition sans se questionner sur la figure de l'auteur. Georges Gusdorf voit une double identité entre cet auteur et le personnage dont traite le récit. « L'objet du récit est ensemble l'auteur du récit ; le sujet est son propre objeë9•» Jean Starobinski mentionne, quantàlui, « l'identitédu narrateur et du héros delanarration40

».

Pierre Vitoux dit que « [l]'autobiographie est le genre de récit dans lequel le narrateur apparaît comme le principal actant41 ». Ce rapport de double identité me semble insatisfaisant, car il ne permet pas de distinguer l'autobiographie de textes de fiction à

narrateur autodiégétique. Selon ce rapport, L'Esprit de famille serait une autobiographie, car Pauline est à la fois la narratrice et le personnage principal. Il n'y aurait aucune différence entre cette saga romanesque et Vous verrez... vous m'aimerez, ouvrage où l'auteure Janine Boissard contrôle également la voix narrative, qui raconte sa propre existence. Il m'est impossible de traiter le sujet de ce mémoire en retenant cet axe de définition. C'est ce qui m'oblige, marchant encore une fois dans les traces de Philippe Lejeune, à considérer que la triple identité entre l'auteur, le narrateur et le personnage principal est une condition essentielle de l'écriture autobiographique42• Mais, s'il y a

.39 Georges Gusdorf, «De l'autobiographie initiatique à l'autobiographie genre littéraire»,

Revue d'histoire littéraire de la France, vol. LXXV, n.6, novembre-décembre 1975, p.958.

40 Jean Starobinski,op. cit.,p. 257.

41 Pierre Vitoux, «Notes sur la focalisation dans le roman autobiographique », Études

littéraires,vol. XVII, n. 2, automne 1984, p. 261.

42 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1996 (1975), coll.

(23)

identité entre l'auteur, le narrateur et le héros de l'histoire, les trois instances n'en sont pas exactement au même point de leur vie. Le narrateur produit un récit rétrospectif3; il raconte avec son regard actuel ce qui lui est arrivé autrefois. Il n'y a donc pas une parfaite coïncidence entre les trois instances, bien que celles-ci aient toutes la même identité.

L'auteur n'est pas le seul à établir qu'un texte est autobiographique. Philippe Lejeune explique que l'autobiographie repose sur un pacte autobiographique, un«contrat de lecture44

»

implicite ou explicite entre l'auteur et son lecteur. Le lecteur perçoit un texte autobiographique différemment d'un texte de fiction. Selon Paul John Eakin, la référentialité, dont j'ai parlé plus haut, est au cœur de cette différence45. J'introduirai ici le terme curiosité. Le lecteur de fiction veut se faire raconter une histoire. Il sait que l'ouvrage qu'il tient entre ses mains a été rédigé en vue de lui transmettre un effet, que ce soit la peur, la surprise, le rêve, l'admiration d'un éclatement formel particulier ou autre chose encore. Le lecteur d'une autobiographie, lui, est surtout motivé par la curiosité. Il connaît certaines données d'ordre public sur l'auteur et il s'attendàce que celui-ci lui livre dans son texte une partie de son intimité. Si l'autobiographe est souvent accusé de narcissisme46, on pourrait taxer son lecteur d'un certain voyeurisme. En ce sens, l'autobiographie de Janine Boissard a un titre très explicite: Vous verrez... vous m'aimerez. D'entrée de jeu, le lecteur est interpellé et il apprend qu'il va entrer dans l'intimité de l'auteure. Lorsqu'il découvre que ce titre reprend une phrase adressée par

43 C'est ce que dit Philippe Lejeune dans sa définition de l'autobiographie: «Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa Propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité. » (Ibid.,

p. 14.) Ce passage est en italique dans le texte. 44Ibid.,p. 8.

45Paul John Eakin,op. cit.,p. 29.

(24)

Janine Boissard à des camarades de classe qui n'ont pas su la comprendre47, il sent que l'auteure l'associeàces gens à convaincre de sa valeur. Le texte repose entièrement sur un contrat d'amour auquell'auteure espère que le lecteur adhérera.

Dans les pages suivantes, le terme autobiographie sera réservé à des textes qui respectent les critères énoncés plus haut, c'est-à-dire des textes référentiels où la lecture repose sur la curiosité et sur une connaissance partielle de qui est l'auteur48, également

narrateur et personnage principal, et où l'écriture est rétrospective.

Cette définition de l'autobiographie

ne

tient pas compte d'une distinction faite par plusieurs chercheurs: celle entre l'écriture des hommesetdes femmes. Domna C. Stanton explique que, dans le langage quotidien, le qualificatif autobiographique a une connotation positive lorsqu'il est appliqué à des textes écrits par des hommes et une connotation négativedansle cas d'écrits de femmes49•Pourtant,iln'y a pas de différences

identifiables dans-la façon d'exprimer le soi féminin. Paul John

Eakin

croit que cela signifie que les femmes ont accepté la vision masculine de l'expérience du soi, donc qu'elles n'ont pas cherché une façon distincte d'exprimer leur propre vie intérieure50•

Plusieurs théoriciennes prétendent cependant que la femme peut s'exprimer en optant pour une écriture fragmentaire et discontinue qui rejette le modèle patrilinéaire du

47 Janine Boissard, Vous verrez ... vous m'aimerez, [s.1.], Plo~ 1987, coll. «Le Livre de f:>che », p. 72.

8 Dans les faits, tout lecteur n'a pas les mêmes connaissances sur l'auteur. Je suppose donc l'existence d'un lecteur moyen.

49 Domna C. Stanton, «Autogynography: 1s the Subject Different? », dans The Female

Autograph, Domna C. Stanton(éd.),Chicago/London, University of Chicago Press,1987,

p.4.

(25)

langage51• Vous ve"ez... vous m'aimerezne fait pas partie de ces textes qui révolutionnent le langage. En effet, Janine Boissard utilise une langue linéaire et une forme plus traditionnelle52, basée sur un ordre essentiellement chronologique. Si l'on accepte que cette forme traditionnelle etlalinéarité du langage soient«masculines », Janine Boissard n'emploie donc pas une forme féminine de l'écriture.

Dans un autre ordre d'idée, Patricia Smart caractérise les autobiographies de femmes selon les périodes delavie qu'elles couvrent.

Souvent les autobiographies de femmes se terminentà lafin de la jeunesse ou au moment du mariage ou se présentent sous forme de «fictions autobiographiques», comme si l'intimité du couple, ou tout simplement le respect de l'intimité des autres, fonctionnait comme un voile tiré sur la vie de l'auteure, ou encore - possibilité plus troublante - comme si celle-ci avait perdu son individualité53.

Cet extrait mérite qu'on s'y arrête. Il semble suggérer que la femme qui écrit un tel type d'autobiographie accepte de se conformer au modèle patriarcal, carelle se tait au moment de former une cellule familiale, cellule dominée traditionnellement par lafigure du père. Or, tous les textes de Janine Boissard étudiés dans le présent travail s'interrompent au moment où l'héroïne s'unitàson amoureux. Dans les quatre premiers tomes deL'Esprit de famille, Pauline raconte sa jeunesse. Elle s'interrompt au moment où Paul accepte de partager sa vie. Les deux derniers tomes sont narrés par Cécile, qui met fin à son récit lorsqu'elle s'unitàEmmanuel. Enfin,dans Vous ve"ez... vous m'aimerez,Janine Boissard

51 Cette idée est évoquée par Domna C. Stanton,op. cil., p. Il.etPatricia Smart, op. cit., p. 12. Domna C. Stanton explique cependant que ce n'est pas une règle, car certains hommes ontécritce type d'autobiographie.

52 Florence Noiville le rappelle dans son article «Le phénomène Boissard. Enquête sur une littérature discrète qui compte ses fidèlesparcentaines de milliers», op. cit.,p. 12.

(26)

ne consacre que quelques pages à la période qui suit son mariage avec Michel Oriano.

Ainsi, comme le dit Patricia Smart, la femme autobiographe ne parle pas de sa vie de

couple et de sa place en tant que femme. Donc, les écrits de Janine Boissard n'utilisent

pas une forme faisant ressortir la spécificité des femmes.

Cela ne veut pas dire qu'il ne s'agisse pas d'écrits au féminin. Même si

l'autobiographie de Janine Boissard est assez conforme à l'autobiographie masculine

traditionnelle, tous ses écrits portent une réflexion sur la féminité. C'est dans la fiction

qu'on en trouve les meilleurs exemples. À cet égard, l'incipit du premier tome de L'Esprit

de familleest révélateur.

Je n'ai jamais aimé mon nom. Enfant déjà, quand on me le demandait, je marquais, paraît-il, un instant d'hésitation avant de répondre; ou bien, au contraire, je le lançais avec défi : « Pauline... et après?»

C'est un nom de poupée avec des ongles peints, des paupières articulées et un disquedansle ventre pour pleurer quand on la couche.

Mes parents espéraient un garçon; il s'appellerait Paul, comme grand-père; ils ont manqué d'imagination ou de courage pour changer. Je m'appelle Pauline, faute de mieux54•

D'entrée de jeu, Pauline nous apprend qu'elle déteste son prénom. La première raison en

est qu'elle associe ce nom au modèle de la femme soumise et émotive, qui se contente d'être toujours très belle et de pleurer quand tout va mal. En rejetant son prénom de

poupée bien maquillée, Pauline rejette ce modèle féminin traditionnel. Elle veut être

différente. La deuxième raison pour laquelle elle méprise son prénom est qu'il n'est que le

54 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 1, [s.1.], Fayard, 1977, coll. «Le Livre de

(27)

reflet du nom que ses parents auraient voulu donner à un garçon. Les parents se sont contentés d'ajouter un suffixe au nom masculin qu'ils avaient choisi. Cela donne l'impression qu'elle n'est enfait quel'autre, le non-garçon. Dans ce passage, d'autant plus significatif qu'il ouvre le roman, Pauline se questionne sur sa place en tant que femme qui se sent différente de ce que la société - ses parents - aurait voulu qu'elle soit.

À la lumière de cet exemple et d'autres citations dont je parlerai plus loin, je qualifierai les ouvrages de Janine Boissard d'écriture féminine.

Hybridité des formes

Maintenant que j'ai défini dans quel sens j'entendais les termes fiction et

autobiographie, j'en arrive au cœur de mon sujet: quels sont les rapports entrela fiction et l'autobiographie dans l'œuvre de Janine Boissard? L'Esprit de famille peut-il être perçu comme un roman autobiographique, un

text[e] de fiction dans [lequel] le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner,àpartir des ressemblances qu'il croit deviner, qu'ily a identité de l'auteur et dupersonnage, alors que l'auteur, lui, a choisi de nier cette identité, ou du moins de ne pas l'affirmer55?

Retrouve-t-on des procédés propres au romanesque dans Vous verrez... vous m'aimerez?

Pour répondrG à ces questions, je parlerai dans les pages suivantes de certaines caractéristiques de la construction de Vous verrez... vous m'aimerez et de L'Esprit de famille.

(28)

L'autobiographie est, je l'aî dit plus haut, un texte où il y a triple identité entre l'auteur, le narrateur et le personnage prmcipa1. Cela est vraî aussi de textes comme les mémoires ou les journaux mtimes. Pour distmguer ces types de textes, Philippe Lejeune ajoute que les journaux mtimes sont écrits au jour le jour alors que les autobiographies sont des textes rétrospectifs et que les mémoires traîtent de la vie publique du leur auteur tandis que les autobiographies expliquent l'évolution d'une personnalitë6•Pour ce faire, le narrateur doit se poser la question« qui suis-je? ». Cette question est au cœur des quatre tomes de L'Esprit de famille dont Pauline est la narratrice. Après avoir décrit ses trois sœurs, Claire, Bernadette et Cécile, Pauline conclut en demandant: «Qui suis-je57 ? » Elle laisse ensuite un vide typographique pour donner plus de placeà la question. Celle-ci est reprise plus lom: « Mais "moi"... qui est-ce58 ?»Il est mtéressant de constater que, dans le premier cas, Pauline se questionne sur elle-même en bloc, sur le je qui s'exprime, tandis que, dans le deuxième cas, elle se centre sur le moi, donc sur ce qui donne sensà

son identitë9•

Pour Pauline, l'identité passe par la relation aux hommes. C'est à la suite de sa rencontre avec Pierre, son premier amoureux, que, pour la première fois~ Paulme accepte son identité. À son «qui est moi? », elle répond «moi, Pauline»: «Demam, moi,

56Ibid.,p. 14.

57Janîne Boissard, op. cit., p. 10.

58Ibid.,p. 71.

59La première question porte sur le «subject », qui produit le discours, et la seconde sur le «self », qui est la structure subjective liée au sens de l'identité. Ces concepts sont définis par Barry N. Olshen, dansson article«Subject, Persona and Selfinthe Theory of Autobiography», a1b: AutolBiography, vol. X, n. 1, prmtemps 1995, p.6. Barry N. Olshen distingue aussila« persona », qui est construite par le discours.

(29)

Pauline, dix-sept ans, j'ai pris rendez-vous pour faire l'amour60.» Durant toute cette relation, Pauline se définit en fonction de la perception que Pierre a d'elle61• Elle fait la

même chose avec un jeune Américain, Tracy, lorsque, sachant qu'il l'épie sur le bord de la piscine, elle agit «pour donner d'[elle], jeune fille française, une image intéressante et, si possible, pleine de grâce62 ». Mais Pauline réalise qu'il y a un écart entre ce moi qu'elle tente de comprendre et le regard que les autres portent sur elle63• Lorsqu'elle voit Tracy

pleurer, elle comprend qu'elle ne lui a offert que son «côté "à montrer64" » De même,

après sa rupture avec Pierre, Pauline dit :

Il m'arrive, par moments, de me sentir vide, très loin de tout et de tous. Comme si une partie de moi-même s'en était allée avec Pierre. Maisilme semble aussi, c'est étrange, que je commence un peu d'être moi65•

Pauline comprend qu'elle est la seuleàpouvoir répondreàson«qui suis-je? », ce qui est l'objet des quatre tomes de L'Esprit de famille dont elle eSt la narratrice. Cette réflexion sur soi est un premier aspect par lequel L'Esprit de famille, œuvre fictive, emprunte à

l'autobiographie.

60Janine Boissard,op. cit.,p. 128.

61 «Etilme sourit de façon si joyeuse que soudain je me pardonne. »(Ibid.,p. 48.)

62 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 2 L'Avenir de Bernadette, [s.1.], Fayard, 1978,

coll. «Le Livre de poche », p. 59.

63 La vision d'elle-même que Pauline offi'e à Pierre et à Tracy serait une sorte de

«persona », non pas une construction textuelle mais une construction sociale de soi. Ce serait une «metaphor of the self», pour reprendre une expression que Barry N. Olshen emprunte lui-mêmeàJames Olney.

64Janine Boissard,op. cit.,p. 75.

65 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 1, [s.1.], Fayard, 1977, coll. «Le Livre de poche », p. 220.

(30)

Lebesoin qu'a Pauline de s'exprimer sur soi entraîne un dédoublement du soi. En effet, on peut voir plusieurs niveaux narratifs dans le roman. J'emprunterai le vocabulaire de Gérard Genette pour définir trois niveaux. La Pauline narratrice du récit se situe au niveau extradiégétique. Elle ne fait pas partie de lanarration: elle la produit. La Pauline qui écrit son histoire est au niveau diégétique. Elle est le personnage principal de la

narration et elle produit elle-même un second récit où elle raconte son passé. Tous les événements de ce passé appartiennent au niveau métadiégétique66• Pauline est donc

doublement narratrice du récit· qu'elle produit. Même si l'auteure de L'Esprit de famille

n'en est paslanarratrice, cette construction viseà nous en donner l'illusion. En effet, ~i le lecteur se place au niveau extradiégétique, ila affaireà une auteure, Pauline, qui cède la parole à une narratrice, la Pauline du niveau diégétique, qui raconte elle-même l'histoire rétrospective de la Pauline du niveau métadiégétique. Dès qu'il a tourné la page couverture, où se trouve le nom de Janine Boissard, le lecteur retrouve donc l'illusion de la triple identité. Pauline renforce cette illusion en créant un faux pacte avec ses lecteurs, car elle s'associe à euxà l'intérieur du pronomnous. «Ces gens épouvantables [ Merci [ Nous ! VOUS67!» Le lecteur est confronté à une stratégie qui crée un effet de réalité. Cette illusion construite par Janine Boissard explique peut-être que, dans les comptes rendus de ses ouvrages, l'aspect référentiel et autobiographique de sa fiction est presque unanimement admis.

66Je me base ici sur les explications que Gérard Genette donne en prenant pour exemple

Manon Lescaut. Gérard Genette, op. cit., p. 238-239. Le niveau extradiégétique est celui de la production de l'acte littéraire, le niveau diégétique est celui du premier récit et le

niveau métadiégétique est celui du récit dans le récit.

67 Janine Boissard, op. cit., p. 138. Pauline écrit ces mots pour expliquer la réaction

qu'elle a eue lorsque sa sœur Claire a dénigré les gens qui acceptentlanécessité du travail quotidien.

(31)

En définissant l'autobiographie, j'ai dit que l'information qu'elle contient est du domaine du vrai, bien que, comme le souligne Philippe Lejeune, unautobiographe, « n'est pas quelqu'un qui dit la vérité sur lui-même, mais quelqu'un qui dit qu'il la dil'8 ». Simon Harel croit que l'autobiographie et, de façon plus générale, tous les récits de soi «propose[nt] toujours l'image troublée d'une réalité dite personnelle69». Même si la vérité ne peut jamais être reproduite telle quelle, l'autobiographe emploie certains procédés pour démontrer qu'il exprime la vérité telle qu'HIa croit. Lorsqu'elle raconte son passé, Pauline possède cette volonté d'authenticité. Elle envoie régulièrement des messages à son lecteur pour lui indiquer qu'elle veut être franche avec lui. Par exemple, lorsqu'elle raconte avoir fui le réveillon et être allée retrouver Pierre, Pauline écrit « me ne prétendrai pas que c'estunhasard sije me retrouve en bas de la maison de Pierre7o».À ce moment, elle avoue sa responsabilité dans l'évolution de leur relation. Personne ne pourra prétendre que Pierre a profité de son innocence pour la séduire : elle est allée le retrouver de son plein gré. Pauline emploie le même procédé lorsqu'elle aborde des souvenirs de moindre importance. C'est le cas lorsqu'elle raconte qu'enfant, elle montait sur le grand plongeoir de la piscine de Deauville pour éprouver le vertige. Elle complète son souvenir en notant : « Pour l'honnêteté, j'ajouterai que je n'ai jamais eu le courage de sauter71•»Dans ce passage, Pauline se veut parfaitement sincère, même si ce qu'elle dit n'est pas unélément significatif de la ligne conductrice de sa vie. Ce procédé contribue à

l'illusion autobiographique que veut produire L'Esprit de famille.

68Philippe Lejeune, cité par Claire Devarrieux, op. cit. Ce passage est en italique dans le texte.

69 Simon Haret, «Liminaire », Tangence, n. 42, décembre 1993, p. 5. 70Janine Boissard, op. cit., p. 110.

71 Janine Boissard, L'Esprit de famille,t. 4 Moi, Pauline, [s.1.], Fayard, 1981, coll. «Le Livre de poche », p. 40.

(32)

Un quatrième procédé est utilisé pour créer cette illusion: les quatre premiers tomes deL'Esprit de famille forment un récit rétrospectif. Pauline a régulièrement recours à des prolepses72pour rappeler aux lecteurs qu'elle sait déjà ce qui va se produire. Comme le texte est rédigé au présent de l'indicatit cela passe presque inaperçu lors de la première lecture. Par exemple, un peu avant de raconter la fugue de Claire, Pauline écrit que

«Bernadette se lève. Claire a le visage d'une accusée. Je m'en souviendrai plus tard. Trop tard. Cécile foudroie papa73. }) Les deux premières phrases décrivent ce que le personnage observe au moment où se déroule l'action. Les troisième et quatrième phrases sont le produit de lanarratrice, qui raconte les événements avec son regard d'aujourd'hui. Enfin, la dernière phrase reprend la narration interrompue. Pauline avait remarqué l'attitude de Claire, mais ce n'est qu'avec le recul qu'elle comprend l'importance de cette observation. De même, Pauline évoque à deux reprises un accident de cheval de Bernadette. Lorsqu'elle raconte son départ de la Marette, elle dit qu'elle cherchait Bernadette à la fenêtre dans l'espoir de la revoir. «Une seconde... comme si je me doutais74••• »Aucun signe ne la prévient de ce qui va arriver. C'est ce qu'elle constate le soir avant l'accident. «En tout cas, durant cette dernière soirée à Kentfield, aucun de nous ne s'est senti averti de quoi que ce soie5• })Rien ne permet au personnage de connaître son futur. Puisque ce futur est évoqué dansces passages, ilfaut que, malgré la marque du présent, la rédaction du texte se fasse postérieurement aux événements qui sont narrés.

72J'emprunte ce terme à Gérard Genette, op. cit.,p. 82. Une prolepse est une«manœuvre narrative consistant à raconter ou évoquer d'avance un événement ultérieur }).

73 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 1, [s.1.], Fayard, 1977, coll. «Le Livre de poche }), p. 87.

74 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 2L'Avenir de Bernadette, [s.l.], Fayard, 1978, coll. «Le Livre de poche }), p. 46.

(33)

Ainsi, les quatre premiers tomes de L'Esprit de famille, qui forment un texte de fiction, sont écritsà l'aide de stratégies qui créent une illusion autobiographique. Or, dans la toute dernière page de son récit, Pauline écrit: «Je viens de trouver un titre à mon roman. [...] Il s'appelleraL'Esprit de Famille [sicf6.» En employant le motroman après avoir clamé haut et fort son authenticité, Pauline place son lecteur dans une position embarrassante. S~ pour le lecteur réel, il s'agit bel et bien d'un roman, pour Pauline, il devrait s'agir d'une autobiographie. Dans sa communication portant sur l'autofiction, Mounir Laouyen donne une définition éclairante. « Ce qui permet de définir l'autofiction, c'est l'allégation romanesque du péritexte (roman ou fiction) faisant contrepoids au critère onomastique de la triple identité (auteur=narrateur=personnage principal)77.»Il s'agit de la situation exacte dans laquelle se trouve le récit de Pauline. La Pauline du niveau extradiégétique rédige un texte autobiographique, car elle écrit qu'elle écrit. Mais, au niveau diégétique, Pauline produit une autofiction, car elle donne à la fois des indices suggérant l'existence d'un pacte autobiographique et des indices d'un pacte romanesque. Pour l'auteure et le lecteur, ces deux récits n'en demeurent pas moins une fiction. Donc, en plus d'être une autobiographie fictive, comme je l'ai supposé avant de commencer ce mémoire, les quatre premiers tomes de L'Esprit de famille forment une autofiction fictive78.

rai omis jusqu'ici de parler des deux derniers tomes de L'Esprit de famille, dans lesquels l'auteure retire la paroleàPauline pour la donner àCécile, sa cadette. Tout y est

76 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 4 Moi, Pauline, [s.1.], Fayard, 1981, coll. «Le

Livre de poche », p. 220.

77Moumr aouyen,'L op. Clt..

78 L'expression peut sembler être un pléonasme, mais elle me paraI"! être inévitable pour dire que le roman est une œuvre de fiction construite exactement comme une autofiction.

(34)

différent, en commençant par le support. Pauline écrit, Cécile parle. Il est dit, dans les premiers tomes, qu'elle possède un magnétophone avec lequel elle enregistre certaines de ses réflexions et les discours de ses parents dans le but de conserver intact le présent79. Dans les deux derniers tomes, ces enregistrements prennent la forme d'un journal intime. L'ensemble correspond à la structure en deux niveaux décrite par Valerie Raoul dansson livre sur le journal intime fictif. Ces niveaux sont: «that of the author, who actually produces a written text over a period of time - the novel - and that of the fictional narrator, who is depictedasperforming a similar activity, but producing a different type of text - a journal80•»Àun niveau, il y a Janine Boissard, qui écrit son roman, tandis qu'à

l'autre niveau, Cécile produit son journal. Cette structure est similaire à celle qui unit Janine Boissard et Pauline. Certaines caractéristiques définissent néanmoins le journal intime. Valerie Raoul en nomme trois. Il faut que le narrateur parle de sa propre expérience, que la rédaction se fasse au jour le jour et qu'un document écrit soit produit, le journal81•

Cécile se met à raconter ses propres expériences pour apprendre à mieux se connaître. Étant la benjamine d'une famille de quatre enfants, toutes filles, elle a de la difficulté à trouver saplace. «Ici, tout a un nom de fille: le tambouret de Pauline, le bol de la "Cavalière", le fauteuil de la "Princesse". Et la Poison? Celle qui se mêle de tout, fourre son nez partout et ses pieds dans le plat... la Poison qui empoisonne82••• »En se

79 Pauline se scandalise le jour où sa sœur enregistre un sermon de son père pour

«l'édification deses futurs enfants ». (Janine Boissard,L'Esprit de famille, t. 3 Claire et

le bonheur, [s.1.), Fayard, 1979, coll. «Le Livre de poche », p. 9.) 8°Vl'Raa ene ou1,op. Clt.,. • •p.VIl.

81 Ibid.,p. 3. Un enregistrement oral remplace ici le document écrit.

82 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 5 Cécile, la Poison, [s.1.), Fayard, 1984, coll.

(35)

demandant qui est la Poison, Cécile questionne l'image que ses proches ont d'elle. Il lui semble que son surnom ne suffit pas pourladécrire. Elle s'interroge sur lemoi,sur ce qui la rend unique. Pour ce faire, Cécile raconte ses expériences aufuretàmesure qu'elles se produisent. Contrairement au récit de Pauline, ce texte ne contient pas de prolepses. Plusieurs marques font oublier au lecteur que Cécile est une narratrice fictive. C'est le cas lorsque Cécile et son amie Mélodie veulent rencontrer un délinquant. Elles planifient un piège qui consisteàse faire voler une mobylette. « La pêche miraculeuse est prévue pour cet après-midi, seize heures, face au grand magasin de Pontoise. Quant à ce qui va mordre, mystère83 !»Ce passage viseàfaire oublier au lecteur que la personne qui écrit ce texte sait ce qui va arriver. Le lecteur doit lire le chapitre suivant pour connaître les résultats du piège. Dans un même ordre d'idée, la façon de s'exprimer de Cécile évolue en même temps qu'eUe. Avant que le personnage ne demande à monsieur de Saint-Aimond la permission de l'appeler simplement Hervé84, la narratrice parle du comte de Saint-Aimond. Par la suite, le personnage et la narratrice le nomment toutes deux Hervé. Cela produit l'effet d'une cOÜlcidence entrelaCécile qui s'exprime et celle qui agit.

Cécile ne dicte cependant pas son journal en direct. Comme Pauline, elle raconte son histoire de façon rétrospective, mais, tandis que Pauline écrit son autofiction avec un recul de quelques années, Cécile raconte son journal le jour même. Il s'agit d'une «rétrospection de faible portée85», pour reprendre une expression de Jean Rousset. Parfois, Cécile attend au lendemain pour narrer les événements. C'est ce qui arrive lors de

83Ibid.,p. 16.

84Janine Boissard, L'Esprit defamille,t. 6Cécile et son amour, [s.1.), Fayard, 1984, coll. « Le Livre de poche»,p. 170.

85Jean Rousset, « Le journal intime, texte sans destinataire? »,Poétique,n. 56, novembre 1983, p. 435.

(36)

la mort de Germain, le cheval favori de Bernadette. Cécile dit que « Germain est mort hier86». Cependant, Cécile n'y connaît que son avenir proche et son interprétation des événements n'est pas influencée par un futur lointain.

Béatrice Didier prétend que l'écriture d'un journal permet de retrouver un asile de paix, d'échapper au vide qui accompagne le saut vers l'inconnu87• Cette idée prend tout son intérêt lorsqu'on observe à quel moment Cécile tient son journal. C'est à la fin de l'adolescence, au moment où elle devient adulte et doit faire des choix, que Cécile entreprend de les raconter. Elle commence son journal à l'époque de sa rencontre avec Tanguy, un jeune acteur qui l'attire autant qu'il lui fait peur et qu'elle soupçonne de vol et de torture. Cécile hésite à le dénoncer aux autorités et exprime sa crainte des conséquences de son choix88• Lorsqu'elle prend sa décision, elle interrompt une première fois son journal. Elle le poursuit après la mort de son père, alors qu'elle se sent coupable et ne peut plus trouver la paix intérieure89• Elle n'ose plus parler à sa mère et le journal devient son seul confident. Sa culpabilité est doublée d'une peur de franchir le saut des premières relations sexuelles. Le journal s'interrompt, pour de bon cette fois, lorsque l'étape effrayante est franchie. «Ensemble, nous monterons haut. Nous viserons le ciel, nous le toucherons parfois, j'espère9o•»Cécile cesse de craindre l'avenir, car elle a trouvé quelqu'un avec lequel tout partager. Elle se désintéresse dumoi pour se concentrer sur le

86 Janine Boissard, L'Esprit de famille, t. 5 Cécile, la Poison, [5.1.], Fayard, 1984, coll. « Le Livre de poche », p. 9.

87Béatrice Didier,Le Journal intime, Paris, Presses universitaires de France, 1991 (1976),

ri

~~·peur

est telle que Cécile ne peut plus dormir. (Janine Boissard,op. cit., p. 213.) 89Janine Boissard, L'Esprit de famille,1. 6Cécile et son amour, [s.1.], Fayard, 1984, coll. «Le Livre de poche », p. 57.

(37)

nous. À partîr de ce moment, ce n1

est plusà son magnétophone qu'eUe veut raconter les

grands moments de sa vie. C'est avec Emmanuel qu'elle en discutera. Le journal intime

perd sa raison d'être.

Si L'Esprit de famille forme un texte où cohabitent des caractéristiques de la

fiction et des écrits de l'intime, peut-on en dire autant de Vous verrez... vous m'aimerez?

Selon John Sturrock,il y a au moins un procédé que toute autobiographie emprunte à la

fiction. Dans la fiction, ilse crée une chaîne où un premier élément a pour conséquence le

second, qui est la cause du troisième. Cette suite narrative ne se produit pas dansla vraie

vie91•En structurant sOn texte pour y dire l'histoire de sa personnalité, l'autobiographe en

fait donc une sorte de fiction. Dans Vous verrez... vous m'aimerez, Janine Boissard ne se

contente pas de placer les éléments en ordre chronologique pour satisfaire le lecteur

curieux. Elle structure le tout comme un conte de fée qui raconte l'évolution de la petite

fille mal-aimée à l'écrivain célèbre. Le texte en vient à ressembler à un roman où le

personnage principal se transforme de façon importante de la situation initiale à la

conclusion.

L'ambiguilé est renforcée par un glissement des pronoms personnels. La narratrice

parle tantôt de son enfance auje, tantôtà la troisième personne. Ce glissement s'effectue

dès le premier chapitre de Vous verrez... vous m'aimerez.

C'est mon premier souvenir:j'ai quatre ans etj'aiperdu ma gouvernante,

la dame en uniforme bleu marine et chaussures blanchesà lacets qui nous promène chaque après-midi, mon frère Maxime, ma sœur Nicole et moi. [...] Seule... seule au monde ! En dehors de ses parents, son frère et sa sœur, la toute petite fille à frange brune au ras des yeux, couchée sur le

91 John Sturrock, cité par Paul John Eakin, Fictions in Autobiography. Studies in the Art

(38)

gravier, qui hurle àla mort et s'appelle Janine Boissard, a quatre délicieux grands-parents, vingt-cinq oncles et tantes et déjà une bonne trentaine de cousins germains dont le nombre, d'ici peu, aura doublé. Si elle se relevait, elle pourrait voir, à travers ses larmes, l'Arc de Triomphe au pied duquel habitent ses grands-parents matemels92•

Dans ce passage, le regard de la narratrice se déplace. Au début, elle emprunte la perception de la petite fille de quatre ans. Elle confirme ainsi la triple identité entre l'auteure, la narratrice et le personnage principal. Puis le point de vue passe de l'intérieur de la scèneà l'extérieur. Le personnage est maintenant désigné par la troisième personne et la narratrice nous fait comprendre qu'elle ensait beaucoup plus sur ce qui se passe que la petite fille. L'enfant est perdue, la narratrice nous dit où elle se trouve. L'enfant a trente cousins, la narratrice sait qu'il y en aura bientôt beaucoup plus. Le rapport d'identité, tel qu'il a été établi au début du récit, est rompu. La narratrice en profite pour juger les actions de son personnage. Elle dit qu'au lieu de pleurnicher, la petite fille devrait se relever pour chercher la maison de ses grands-parents. Elle utilise donc ses connaissances géographiques actuelles pour réécrire une fin plus joyeuseà l'histoire de l'enfant. Dans ce contexte, le lecteur est forcé de se demander constamment si la narratrice épouse le point de vue de son personnage ou si elle nous présente une sorte de fiction où elle imagine comment elle aurait mené sa vie si elle l'avait vécue avec son expérience d'aujourd'hui.

Alors que L'Esprit de famille est un texte de fiction travaillé pour créer une illusion autobiographique, Vous verrez... vous m'aimerezest une autobiographie qui crée

92 Janine Boissard, Vous verrez... vous m'aimerez, [s.1.], Plon, 1987, coll. «Le Livre de poche », p. 9-10.

(39)

un effet de fiction. Dès lors, l'écart entre les textes s'atténue. Vous verrez... vous m'aimerez et L'Esprit de famille forment une sorte de diptyque où chaque texte répond à

l'autre.

Double construction d'un passé

Le croisement entre la fiction et l'autobiographie ne s'effectue pas seulement sur le plan formel. Plusieurs éléments de l'histoire se reflètent de l'un à l'autre. La lecture de Vous verrez... vous m'aimerez permet de mieux comprendre certains passages de L'Esprit de famille, de même que l'œuvre de fiction éclaire le lecteur sur l'importance de certains événementsdansla vie de Janine Boissard.

Le lecteur ne peut éviter de voir une ressemblance entre Pauline, être de papier, et Janine Boissard, telle qu'elle se décrit dans son autobiographie. Les événements qui entourent la naissance de ces deux femmes sont identiques. Dans un extrait cité plus haut, Pauline explique que ses parents attendaient un garçon, Paul, et qu'ils se sont rabattus sur Pauline lorsqu'ils ont su que l'enfant était de sexe féminin. Or, c'est la même chose qui arrive à Janine Boissard. Ses parents devaient avoir un garçon, Jean-Loup. À la surprise générale, c'est une fille qui est venue. «Le nom n'était pas prêë3» et les parents ont féminisé Jean. Dans l'autobiographie, ce passage paraît sans conséquences, car il s'agit d'un épisode dont la narratrice n'a pas eu conscience jusqu'au jour où sa mère le lui a raconté. C'est lorsqu'il découvre que l'auteure en a fait l'incipit de L'Esprit de famille que le lecteur comprend l'influence que cela a eue sur son imaginaire. D'ailleurs, Janine

(40)

Boissard prétend que cette aventure, qui a fait qu'elle n'a jamais aimé son prénom94, est le

stimulus qui a déclenché la rédaction deL'Esprit de famille.

« Je n'ai jamais aimé mon nom »... Voici Pauline. Me voici! Et autour d'elle, voici Claire, la princesse qui ressemble à Aliette, Bernadette, la cavalière, dont certains traits sont empruntés àma nièce Mélusine, et voici la poison, mélange de «Bourguiba» et de mes filles. [...] Sans bouée, à

larges brasses, je suis le courant de mon inspiration. Il me semble puiser au fond de moi-même chaque phrase, l'amener sur le papier comme par un ample mouvement d'archet, d'une seule coulée. C'est :facile, je me sens bien, portée, accompagnée. Parce que cette mer, cette musique, ces tempêtes et cette lumièredanscette maison, ce sont les miennes95 !

Ce passage tiré de l'autobiographie montre que le passé de l'auteure est la source de l'écriture du texte de fiction. Dans un mouvement inverse, c'est par la fiction que l'événement perd son caractère anodin. Ainsi, la lecture de Vous verrez... vous m'aimerez fait ressortir l'importance de l'incipit deL'Esprit de famille etla lecture de ce second texte permet de comprendre le cheminement que Janine Boissard explique dans son autobiographie.

Que ce soit pour Janine Boissard ou pour Pauline, le sentiment de ne pas avoir été désirée, pourtant démenti par l'amour inconditionnel de leurs parents, se transforme en un besoin d'écrire, puisque l'une et l'autre en viennentà émettre ce « je n'ai jamais aimé mon nom». Chacune exprime le besoin d'être connue et, surtout, aimée. Pauline écrit: « Jamais je ne me sens si heureuse qu'à ma table, un œil dans le ciel et l'autre au plus profond de moi, cherchant les mots qui traduiront l'intraduisible, et me feront aimer, et me

94Elle raconte que, avant de publier son premier roman, elle a voulu changer de prénom,

mais qu'elle a renoncé quand un ami lui a fait comprendre que ce n'est pas parce qu'elle changeait de prénom qu'elle s'aimerait davantage.(Ibid., p. 17.)

Références

Documents relatifs

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

M ais cela ne nous a pas suffi: alors nous avons invité des personnes ordinaires afin qu’elles nous offrent (ou qu’elles nous «rendent») leur expérience autobiographique.. Il

Lire divers textes d’opinion qui touchent le vécu des élèves et les auteurs et qui seraient dignes d’attirer leur attention selon leur âge et intérêt.. En fonction de mener

[r]

Son utilisation (au besoin modalisée) peut désigner la première personne, se rapprochant parfois du nous de modestie (« quand nous penserons à des faits que,

Ainsi, de façon paradoxale, cette combinaison d’un pacte romanesque majeur (majeur en quantité, dans la mesure où la fiction pure reste majoritaire dans le roman) et

As the Canadian representative of the AIEB - and indeed, as far as I could tell, the only Canadian present - I also had the opportunity to visit Samokov, a small town some 60 km

la nécessité, pour les participants, pour incarner le script écrit, de s’appuyer sur leurs connaissances des pratiques de la conversation quotidienne