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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Savoirs robustes et contenus instables en éducation scientifique et technologique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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SAVOIRS ROBUSTES ET CONTENUS INSTABLES

EN EDUCATION SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE

Jean-Louis Martinand

(Ecole Normale Supérieure de Cachan, UMR.STEF)

in Merri, M. (coord., 2007), Activité humaine et conceptualisation .

Questions à Gérard Vergnaud. Toulouse, PU du Mirail, 203-210.

I

Ce dont je souhaite parler en participant à ce colloque en hommage à Gérard Vergnaud se veut un écho à diverses rencontres dont la toute première doit se situer au début 1973. Engagé à l’époque dans le Groupe de travail premier cycle de la Commission de rénovation de l’enseignement des sciences physique et de la technologie (Lagarrigue), je participais à la conception, aux essais et à l’évaluation de divers projets de physique, de chimie et de technologie pour le collège. Bien que physicien, j’étais personnellement impliqué dans un projet d’initiation aux techniques de fabrication mécanique en classe de 4eème

(environ 14 ans) :2 heures hebdomadaires sur 2 trimestres, 24 classes dans 12 collèges pendant 3 ans, avec équipement, approvisionnement, formation des enseignants, stages de mise au point, etc. Je me souviens d’un court échange avec Gérard :

(GV) « Dans cinquante ans, tout le programme de mathématiques de l’école primaire sera fondé sur la recherche didactique. »

(JLM) « En ce qui concerne les sciences et la technologie, cela est exclu, pas pour des raisons de temps et de moyens de recherche, mais pour des raisons de nature et de rôle des matières scientifiques et technologiques ».

Je pourrais ajouter aujourd’hui que cela est exclu aussi, pour des raisons d’interventions permanentes de personnalités politiques ou scientifiques incompétentes sur le sujet, mais dont l’opinion reste écoutée mieux que les avis fondés sur les recherches critiques ou prospectives. Pour ces diverses raisons, les contenus de l’éducation scientifique et technologique restent instables, conjoncturels, non pas parce que les savoirs enseignables ne sont pas « robustes » (fiables et efficaces), mais parce que comme pour la plupart des matières éducatives, les missions qui leurs sont affectées dépendent des opinions d’ordre politique plus que des résultats de travaux didactiques.

Cette opposition m’avait d’autant plus frappé, que je partageais et partage toujours avec Gérard des préoccupations et en partie des sources d’inspiration assez proches, comme Piaget, ou plus tard Vygotski (j’étais présent à la réunion éditoriale qui a décidé de la traduction et de la publication de Pensée et langage). Ainsi dans un travail de 1977 que je qualifierai d’ « épistémologie appliquée » pour l’enseignement, à propos du concept d’élément chimique en classe de 5ème

(12-13 ans) qui venait d’être introduit dans les programmes alors que ni les enseignants , ni les formateurs, ni les inspecteurs ne savaient quoi faire car ils ne pouvaient penser les réactions chimiques sans les modèles moléculaires, j’avais utilisé le schéma du signe proposé par de Saussure (signifié/signifiant – référent), appliqué ici au concept.

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L’analyse du problème était très proche de qu’on peut faire en appliquant le schéma proposé par Gérard dans son article du volume Psychologie de l’Encyclopédie de la Pléiade, publié en 1986, mais qui avait été présenté déjà vers 1975.

En effet, le problème conceptuel des « réactions chimiques » est que plus encore que pour les changements d’état physique, les transformations chimiques semblent pouvoir produire « n’importe quoi à partir n’importe quoi ». Comme dans beaucoup de situations semblables, le progrès théorique consiste à affirmer que tout n’est pas possible, qu’il y a un « principe d’impuissance », ou plus positivement des invariants qui sont justement les éléments. Tous les réarrangements qui conservent les éléments sont « en principe » possibles , mais pas forcément observables ou produits empiriquement, les transmutations sont elles exclues. Les réactions chimiques peuvent être alors pensées au moyen d’ensemble d’opérations associatives , renversables, mais avec cette différence fondamentale avec les opérations logiques ou mathématiques que les systèmes réels de transformation ne correspondent que très imparfaitement et avec de nombreuses conditions empiriques à ces ensembles d’opérations formelles. En même temps, des systèmes symboliques (nomenclatures cohérentes dont une des première est celle de Lavoisier, et symbolismes graphiques) doivent être mis au point et révisés en permanence.

Je pense avoir suggéré dès maintenant une grande proximité, qui explique pourquoi dès les débuts (1975) du DEA de didactique des sciences physiques et de la technologie de Paris 7, j’ai présenté les travaux sur l’addition des entiers.

II

En même temps des frictions voire des divergences importantes sont apparues dès ce moment. J’en soulignerai trois.

Première divergence, l’idée de référent empirique. A propos du concept d’élément chimique, puis en cherchant à généraliser le traitement à d’autres concepts scientifiques, et surtout en abordant la question des modèles scientifiques et technologiques, j’avais été frappé que la conceptualisation ou la modélisation ne se référaient jamais à une « réalité » immédiatement donnée ou à des « actions » , mais à des objets , des phénomènes , des procédés, à propos desquels une connaissance empirique et une certaine maîtrise pratique devaient avoir été acquise. Autrement dit ce à quoi « réfère » un ou le plus souvent des concepts liés, un ou plutôt des modèles alternatifs, n’est pas une « réalité » mais un « référent qui comporte un savoir « phénoménographique » et « phénoménotechnique » : c’est ce que j’ai appelé d’appeler « référent empirique ». Le refus de Gérard à ce sujet doit sans doute être rapporté aux différences fondamentales entre les sciences et technologie de la matière et du vivant et les mathématiques aujourd’hui.

Deuxième divergence, le statut des modèles. On parle beaucoup et de plus en plus des modèles en sciences et techniques de la matière et du vivant. Il suffit de consulter les manuels de sciences physiques de sciences de la vie ou des divers génies à partir du lycée pour constater la place des exposés sur les modèles et surtout l’apparition de chapitres entiers sur la « modélisation ». Ceci signifie deux choses. La première est qu’on apprend des modèles en tant que tels, et que le savoir scientifique et technologique est constitué d’une panoplie de modèles associés à des schématisations et souvent aujourd’hui des logiciels. Les modèles en ce sens ne sont pas provisoires, intermédiaires. La seconde est qu’avec la multiplication des modèles, il faut un déplacement de la focalisation des apprentissages. Il y avait bien , d’un point de vue contemporain, des modèles scientifiques ou technologiques autrefois ; mais ils étaient présentés comme « le savoir » et non comme des construction hypothétiques pour des visées définies. Avec la multiplication des modèles il faut expliciter ces aspects hypothétiques

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et fonctionnels, donc alternatifs, et savoir passer d’un modèle à un autre sur le même référent. L’objet d’apprentissage devient alors la modélisation et non quelques « bons modèles ». Plus profondément encore, c’est souvent l’ensemble modélisation/schématisation/informatisation à propos de référents empiriques divers qui vient au centre de l’éducation générale comme des formations spécialisées. On doit considérer que c’est une révolution. Pour Gérard, cette révolution est sans doute dérangeante, dans la mesure où pour les sciences expérimentales et les disciplines technologiques, elle impose de prendre au sérieux les modèles et modélisations scientifiques et technologiques, donc de ne pas tellement aborder la question du côté des « modèles mentaux », sauf à substituer dans ce débat les modèles psychologiques aux modèles des sciences de la matière et du vivant, en maintenant qu’ils sont des échafaudages transitoires vers la conceptualisation.

Troisième divergence, l’exploration des possibles didactiques. Une des caractéristiques fondamentales des mondes de la matière, du vivant et de la technique est l’extraordinaire diversité des manifestations, leur variabilité. Appréhender cette diversité et cette variabilité, et en même temps y « mettre de l’ordre », telle est la mission des sciences : c’est pourquoi pour ces disciplines, la tendance encyclopédique renaît en permanence. Cependant, entre les encyclopédies de substances chimiques avec leurs propriétés, leurs usages et leurs préparations, et une chimie sans substances, il y a besoin d’un « encyclopédisme raisonnable » . Quoi qu’on fasse il y aura des choix, des accents et des exclusions qui dépendent de nombreux facteurs tendanciels et conjoncturels ; il en résulte que la recherche et les formations didactiques ne peuvent pas se focaliser sur ce qui doit être fait à un moment mais doit prendre un recul tel qu’elle puisse comprendre les choix conjoncturels et explorer des choix possibles, et pas seulement souhaitables. D’une part la conception d’ensemble de la recherche dépend fortement alors de la capacité d’invention de contenus et démarches possibles, les enquêtes sur l’existant doivent être confrontées à ces possibles. La didactique de la chimie est alors aussi en partie de la chimie, sans doute plus proche d’une élaboration intellectuelle explicite de chimiste que d’une transposition didactique. D’autre part la recherche de la « meilleure manière » et du « meilleur contenu » sont souvent assez vains, compte tenu de leurs instabilités. Il n’est pas non plus très pertinent d’étudier tous les domaines et tous les « objets d’enseignement » de manière extensive. Il n’est même pas possible de faire comme si les cadres disciplinaires pour l’école primaire avaient un sens , ni comme si les disciplines de l’enseignement secondaire étaient fixées définitivement, que leurs confrontations avec les diverses « éducations » (santé, environnement,…) ne risquaient de les affecter profondément. Ici encore, je pense qu’il y a un fort contraste entre la didactique des mathématiques et les didactiques des sciences expérimentales et des disciplines technologiques.

III

Pour illustrer ces remarques, j’aimerais présenter maintenant les deux « schémas de la modélisation » avec lesquels des doctorants et chercheurs du laboratoire analysent des programmes actuels ou anciens, projettent des activités, étudient des enseignements et des apprentissages. Si aujourd’hui la modélisation est au cœur de l’éducation scientifique et technologique, ce sont des outils fondamentaux, de nature épistémologique pour la didactique. De manière tout à fait délibérée, ils ne reproduisent pas des propositions de très nombreuse et remarquables publications concernant les modélisations dans la recherche ou la conception ; en effet ces travaux ne cherchent pas à rencontrer les problèmes et les activités qu’on rencontre dans les enseignements et les apprentissages. Ils sont nécessaires à la culture didacticienne, ils ne fournissent ni cadres, ni données à la recherche didactique.

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Le premier schéma est bien adapté aux niveaux de l’école primaire et du début collège. Le second schéma est nécessaire pour les niveaux du lycée et de l’Université, car il met en évidence la nécessité de travailler explicitement les changements de « matrices cognitive ».

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IV

A partir de ces aperçus rapides, voici maintenant quelques propositions que je veux en tirer, et soumettre à Gérard.

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Chaque discipline d’enseignement, chaque domaine d’éducation a sans doute sa spécificité dans le système des matières éducatives : c’est cette spécificité qui justifie leur existence. En même temps, le dernier tiers de siècle a été marqué par de multiples réformes et innovations dont certaines ont profondément modifiée ces matières éducatives. Vues de loin ces transformations paraissent correspondre à des mobiles communs : d’un côté, évolutions sociales, techniques et culturelles qui contraignent l’éducation scolaire à assumer des missions renouvelées, dans un contexte économique et politique, avec un fonctionnement organisationnel et au moyen de techniques éducatives bouleversées ; et d’un autre côté, échecs dans l’atteinte de ces missions sur le plan individuel (« échec scolaire ») comme sur le plan global («faiblesse du rendement »).

Les recherches en didactique des diverses matières éducatives, et le développement de ces didactiques comme disciplines de recherche et de formation, sont ancrés originairement dans ces transformations, et de ce point de vue elles participent d’un même mouvement. Cependant, cette « communauté de destin » ne doit pas masquer les différences voire les particularités de ces didactiques. Les raisons des différences sont profondes et multiples ; elles touchent aux missions et aux contenus des matières éducatives, à leur place dans les systèmes de matières, aux opinions et aux interventions dont elles sont les objets, à la culture des enseignants et des formateurs qui les « portent ». Telles sont les préoccupations que j’aimerais affirmer en m’appuyant sur le cas de l’éducation scientifique et technologique, selon une perspective de didactique du curriculum.

Cette perspective de didactique du curriculum, distinguée de ce qu’on pourrait appeler didactique des apprentissages, est sans doute moins connue : il y a, même pour l’éducation scientifique et technologique, l’idée répandue que les recherches didactiques s’intéressent d’abord à l’apprentissage des concepts, aux erreurs de raisonnements et de représentation, aux interventions enseignantes à l’échelle de quelques séances, éventuellement à l’image des disciplines. C’est oublier qu’un autre type de recherche didactique peut s’intéresser à l’exploration de ce qui pourrait être enseigné à l’échelle d’un curriculum (programmes, moyens, démarches, …),. Peut être plus proche de la « recherche-développement » que de la recherche « scientifique », cette didactique « prospective » du curriculum répond en tout cas à des besoins et souvent à des demandes.

Or si la didactique de l’apprentissage privilégie l’apprentissage de savoirs stabilisés, explicitables, et ils sont nombreux et « robustes » en sciences et technologie, la didactique projective du curriculum rencontre immédiatement l’ « instabilité » des contenus tant sous les influences socio-culturelles externes à l’école, que sous les influences et contraintes éducatives et organisationnelles internes : la question « quel projet pour l’éducation scientifique et technologique» n’est pas un horizon lointain, c’est une question structurante en didactique du curriculum pour les sciences et technologies. Je pense personnellement que face aux changements des pratiques et des institutions de la recherche et du développement, leur relation s à l’économie et à la politique, nous n’avons pas l’éducation ni la formation des citoyens et des spécialistes qui correspondent aux « technosciences » d’aujourd’hui.

Portant le regard sur d’autres matières éducatives, on peut se rendre compte qu’une question analogue est presque toujours présente : français, histoire et géographie, éducation physique et sportive, langues étrangères, éducation à la citoyenneté, etc. La première conséquence est que les contenus ont besoin en permanence d’être construits et reconstruits, et pas seulement authentifiés et légitimés. Le chercheur didacticien n’est pas seulement celui qui doit en assurer la spécificité, c’est celui qui peut en assumer l’élaboration partielle mais inventive.

De ce point de vue trois remarques s’imposent :

- les didacticiens, même lorsqu’ils s’intéressent au curriculum, n’ont aucun monopole d’expertise dans le débat public nécessaire, dans et surtout hors l’école, sur ces contenus ;

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- les disciplines scolaires et universitaires ont leurs raisons, très profondes, mais elles sont souvent un piège pour entrer dans ce débat et en poser la problématique ; en ce sens je parle d’éducation scientifique et pas encore d’enseignement des sciences ;

- les « fondamentaux » d’une telle éducation ne peuvent être réduits à des « idées fondamentales », des savoirs « de base » dont il faudrait assurer la transmission d’une génération à l’autre

Les contributions de la recherche en didactique du curriculum pour l’éducation scientifique et technologique vont alors exiger un positionnement vis à vis de grandes questions en débat permanent :

- quelle appréciation de l’évolution des sciences, des mutations techniques, des retards de l’école, des besoins d’éducation ?

- quelles conceptions de la culture scientifique et technique aujourd’hui, du rôle culturel de l’école ?

- quelles missions pour l’école en éducation scientifique et technologique ?

En réalité il ne s’agit pas seulement de se positionner ; le rôle de la recherche est d’élucider les termes des débats, d’aider à formuler les enjeux, d’élaborer les concepts qui ouvrent le questionnement. Il est aussi d’explorer les possibilités, les difficultés, les conditions et les contraintes d’un passage du prescrit envisageable à la mise en œuvre scolaire.

Dans le champ de l’éducation scientifique et technologique, deux « fondements » d’une culture à la fois opératoire et ouverte doivent certainement être tout particulièrement mis en avant, mais aussi « revisités » :

- le rapport expérimental aux processus naturels et artificiels,

- la pensée avec des modèles pour interpréter, prévoir, inventer, questionner, expliquer. Mais il ne faut pas céder à l’illusion qu’ils pourront déboucher sur des orientations notables. Il faut de la recherche à long terme, mais qui prenne en compte, dans sa conception même, les révisions profondes que les évolutions sociales et scolaires imposent à un rythme soutenu ; les contenus resteront effectivement instables.

REFERENCES

AAAS (1989). Science for all Americans. A Project 2061 Report on Literacy Goals in

Science, Mathématics and Technology. Am. Ass. for the Adv. Science, Washington.

MARTINAND, J.-L. & al (1992). Enseignement et apprentissage de la modélisation en

Sciences. Paris : INRP.

MARTINAND, J.L. et al (1994). Nouveaux regards sur l'enseignement et l’apprentissage de la

modélisation en sciences. Paris : INRP.

VERGNAUD, G. (1987). Les fonctions de la symbolisation dans la formation des connaissances

de l'enfant. In J. Piaget, P. Mounard & J.P. Bronckart (Eds), Psychologie. Encyclopédie de la Pléiade (pp 821-844). Paris : Gallimard.

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