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L'épuration économique à la bourse de Paris

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Academic year: 2021

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L’épuration économique à la Bourse de Paris

Paul Lagneau-Ymonet1 & Angelo Riva2

1

CSE – EHESS – Paris 2

DEAS – Università di Milano & IDHE – Paris 10

Pour citer cet article:

Lagneau P. – Riva A., « L’épuration à la Bourse de Paris », in Barjot D., Fridenson P., Joly H. et Margairaz M. (eds..), L’épuration économique en France à la libération, Presses

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L’épuration économique à la Bourse de Paris

Paul Lagneau-Ymonet & Angelo Riva1

Introduction

L’épuration économique oblige à croiser différentes perspectives parce qu’elle recouvre, dans la double visée originelle du châtiment et du renouvellement, une pluralité de procédures et une multiplicité d’agents. Est ici considéré comme épuration économique l’ensemble des procédures de fait, judiciaires, administratives ou professionnelles, qui ont été intentées à l’encontre d’individus, soit au sujet de certaines de leurs activités économiques entre 1939 et 1945 soit, étant donnés leurs postes notamment d’encadrement, de direction et/ou de propriétaires, pour des comportements qui, même s’ils n’ont pas directement trait à l’activité économique proprement dite de ces individus ou de l’entreprise à laquelle ils sont liés, font qu’il leur est demandé des comptes.

Dans cette contribution, nous décrivons comment les deux groupes professionnels en charge de l’intermédiation à la Bourse de Paris, les agents de change et les courtiers en valeurs, se sont rapidement auto-épurés dès l’automne 1944. Nous démontrons qu’ils l’ont fait moins pour punir certains de leurs membres compromis ou bien pour renouveler leurs cadres, que pour donner des gages d’allégeance aux nouvelles autorités. Ces bourgeois d’affaires ont servi les pouvoirs en place pour faire survivre les organisations qui leur permettaient de conserver les ressources matérielles et symboliques nécessaires à la perpétuation de leurs vies bourgeoises, malgré les difficultés et les incertitudes de la guerre, de l’Occupation et de la Libération. Dans ce contexte, les intermédiaires boursiers ont modifié l’organisation du marché financier et leurs pratiques afin de les adapter aux exigences des pouvoirs en place et d’éviter ainsi des réformes qui auraient anéanti ces deux groupes.

Il s’agit de considérer la période 1944-1947, comme un moment critique et crucial à restituer dans l’histoire économique et sociale de la Bourse de Paris. Critique, parce que l’épuration économique remet en cause l’évidence du nomos économique (« les affaires sont

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Nous remercions Liora Israël, Frédéric Lebaron, Kim Oosterlinck ainsi que les organisateurs et les participants du colloque « L’Épuration économique en France à la Libération » pour leurs précieux commentaires. Patrick Verley a eu la générosité de nous faire profiter de ses connaissances et manuscrits. Que les archivistes du Centre des archives économiques et financières ainsi que Martin Binet (NYSE Euronext, Paris) soient assurés de notre reconnaissance pour leur aide dans le repérage des sources. Les erreurs éventuelles restent de notre responsabilité.

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les affaires ») par le biais d’une interrogation politique et morale sur la légitimité de cette autonomisation des affaires. Crucial, dans la mesure où le nouveau pouvoir entérine des transformations structurelles, promues depuis les années 1930, dans la politique économique nationale2.

Revenir sur ce qu’a été l’épuration des intermédiaires boursiers de la capitale impose de comprendre ce qui est précisément reproché à ceux d’entre eux dont il se dit, à la libération de Paris, qu’ils auraient collaboré. Comment et par qui est (re)défini le comportement tolérable sous l’Occupation pour les professionnels de la Bourse ? Quel est le degré d’autonomie des instances disciplinaires de ces professions, dont la réputation est indissociable de l’honorabilité de leurs membres, par rapport à leur tutelle ministérielle, le ministère des Finances, et à la justice politique alors en marche ?

Pour rompre avec les enjeux normatifs qui façonnent nombre de travaux sur l’épuration pour des faits de collaboration, nous adoptons la définition durkheimienne du crime : « un acte est criminel quand il offense les états forts et définis de la conscience collective »3. Nous empruntons ensuite des concepts à la sociologie des professions et à celle du droit, ainsi qu’à l’économie institutionnaliste des organisations. La première donne à voir les luttes pour la définition et le contrôle par les groupes professionnels des conditions, matérielles comme symboliques, d’exercice de leurs activités. L’entrelacs des dispositifs d’épuration révèle le droit en action, c’est-à-dire l’usage que les agents économiques font des règles pour (re)définir et juger des pratiques pendant l’Occupation ainsi que les luttes sur la conception, la mise en œuvre et la légitimité d’une justice politique, elle-même prise dans un faisceau d’injonctions contraires : sanctionner les individus les plus compromis, renouveler les cadres et les structures économiques, mais surtout asseoir la légitimité des nouvelles autorités. L’approche institutionnaliste permet d’analyser les rapports entre les groupes professionnels, les organisations boursières et l’économie.

La partie suivante de cette contribution revient sur l’organisation de la Bourse de Paris et sur la marche des affaires pendant la guerre. Ensuite, les dispositifs d’épuration et les trajectoires individuelles des personnes incriminées sont analysés. Puis, la quatrième partie

2

Michel MARGAIRAZ, l'Etat, les Finances et l'Economie, histoire d'une conversion : 1932 à 1952, Paris, CHEFF, 1991 ; François DENORD, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.

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définit les enjeux dans une bourse « en épuration »4. Enfin, les principaux apports de cette recherche sont repris en conclusion.

L’organisation de la Bourse de Paris

La Bourse de Paris pendant la guerre révèle cet apparent paradoxe : la très forte augmentation des cours ne correspond pas à la conjoncture économique et cette hausse a lieu alors que les transactions boursières, contrôlées par une stricte régulation anti-spéculation, diminuent significativement5.

Jacques Marseille6 explique ainsi l’augmentation violente du prix des actions (cf. fig. 1) : les investisseurs, dans le cadre d’anticipations rationnelles, auraient escompté les profits des entreprises dans l’après-guerre. Sans exclure qu’au moment de choisir les titres, les investisseurs prennent en considération la future rentabilité des émetteurs parmi d’autres variables (localisation des entreprises, bombardement, commandes étatiques, nationalisations envisagées), ils décident d’investir en actions car leur valeur n’est pas directement affectée par la forte inflation de la période. En outre, les possibilités d’investissement dans d’autres actifs sont particulièrement réduites par la pénurie, la baisse des taux sur les titres à revenu fixe (eux aussi soumis à l’érosion monétaire) et par les contraintes réglementaires, bien plus strictes que celles encadrant l’investissement en actions, qui entravent les opérations immobilières, les transactions internationales et le commerce de devises et or.

Insérer Figure 1 plus ou moins ici.

Cette « hausse de misère »7, les autorités allemandes et françaises ont voulu la contenir, au nom de la lutte contre le gain spéculatif, pour diriger les capitaux vers les titres d’Etat. En fait, le gouvernement français contrôle strictement le marché financier pour boucler son

4

Marc BERGERE, Une société en épuration. Épuration vécue et perçue en Maine-et-Loire de la Libération au début des années 50, Rennes, PUR, 2004.

5

Kim OOSTERLINCK, « Market microstructure and Nazi influences on the Paris stock exchange during WWII », Université Libre de Bruxelles, Solvay Business School, Working Paper, WP-CEB 04/026 ; Albert LAMOULEN Le fonctionnement de la Bourse de Paris de 1939 à 1945, thèse de doctorat, Université de Paris, Faculté de droit, 1946.

6

Jacques MARSEILLE, « La Bourse sous l’Occupation », dans Olivier DARD, Jean-Claude DAUMAS, François MARCOT (dir.), L’Occupation, l’Etat français et les entreprises. Actes du colloque organisé par l'Université de Franche-Comté (Laboratoire des sciences historiques, Centre d'histoire contemporaine) et le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, mars 1999, ADHE, Paris, 2000, p. 415-425.

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« circuit » et stabiliser le franc tandis que, pour les autorités allemandes, il s’agit de financer la guerre. La mise au pas de l’économie passe donc par le contrôle des marchés boursiers parisiens, rouages-clefs pour le placement des titres publics et le recensement des patrimoines. La place financière de la capitale comprend trois marchés : le marché officiel ou parquet dirigé par la Chambre syndicale (CS) de la Compagnie des agents de change (CAC), la coulisse organisée par le Syndicat général des banquiers en valeurs (SGBV) et le marché hors-cote, sans organe institué de direction. Ces trois marchés sont caractérisés par un niveau décroissant d’« intégration », définie comme l’intensité de l’autorité des organes directeurs de chaque marché sur les intermédiaires qui y opèrent8.

Comme le syndic de la CAC le fait remarquer en 1942, « nous abordons ici ce paradoxe qui intriguera sans doute nos successeurs : celui d’un organe d’économie libérale conduit à s’adapter aux contraintes de l’économie dirigée »9. Cette adaptation correspond à l’adoption des mesures anti-spéculatives, fiscales, racistes et xénophobes, imposées par l’Etat Français et les autorités d’occupation aux agents de change et aux coulissiers menacés sinon de voir disparaître leurs organisations et, avec elles, leurs positions au sein de la place financière et de la (bonne) société.

Dès l’été 1940, « c’est la question de la suppression de la Bourse et de la Compagnie qui se trouve présentement posée. […] On peut craindre que par la suite le marché des valeurs mobilières ne s’institue selon le mode allemand, c'est-à-dire sous forme de transactions de banque à banque traitées directement à des cours fixés d’autorité par un représentant du gouvernement »10. Les boursiers écartent ce danger parce qu’ils acceptent, avec l’application des mesures fiscales et racistes, qu’« il ne [soit] plus question de liberté des prix »11 à la Bourse de Paris.

Les mesures anti-spéculatives embrassent tous les aspects de l’activité boursière. L’inscription obligatoire au nominatif des titres et la création de la Caisse centrale de dépôt et de virements des titres (CCDVT) doivent faciliter le recensement des titres. Un taux de courtage plus élevé pour les achats que pour les ventes est introduit, afin de dissuader la spéculation haussière. La réforme des statuts des intermédiaires boursiers et des bourses françaises de 1941 et 1942 poursuit, quant à elle, deux objectifs : d’une part, faire de la coulisse une copie conforme du parquet et, d’autre part, éliminer toute possibilité de marché

8

Claude MENARD, Mary M. SHIRLEY (dir.), Handbook of New Institutional Economics, Springer, 2005 9

Archives d’Euronext Paris (AEP), procès-verbaux des assemblées générales de la Compagnie des agents de change (PVAG), 21 décembre 1942.

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AEP, PVAG, 7 août 1940. 11

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libre. La transformation du SGBV en Chambre des courtiers en valeurs mobilières (CCVM) limite les marges de liberté de ces opérateurs, souvent engagés dans le marché noir depuis la fermeture de la coulisse à l’été 1940, en les insérant dans une organisation professionnelle investie de pouvoirs accrus pour faire respecter les nouvelles règles. Désormais, l’intermédiation boursière est soumise aux monopoles des agents de change et des courtiers en valeurs mobilières à Paris ou à celui des compagnies régionales d’agents de change : toute forme de marché libre est illégale. Ces mesures réglementaires sont complétées par des « instructions » des autorités d’occupation et du ministère des Finance (i.a. prohibition des opérations à terme ; limitation des variations journalières de cours à 3% puis 1%). Parmi les dispositions fiscales, la taxe sur les plus-values boursières et la limitation des dividendes versés réduisent l’intérêt pour l’investissement en actions. Les deux groupes professionnels se sont accommodés des lois racistes et xénophobes qui frappent certains de leurs membres et employés : 4 des 70 agents de change et environ la moitié des 91 coulissiers sont concernés par ces lois12.

L’ensemble de ces mesures contribue à la forte diminution des volumes échangés (cf. fig. 2). Par ailleurs, l’activité est complètement déséquilibrée : les ordres de vente sont tellement rares qu’il est souvent impossible de procéder aux échanges et de coter les prix13. Les années de guerre n’ont pas été bonnes pour l’intermédiation boursière: avec l’activité en berne, les revenus d’exploitation des intermédiaires baissent remarquablement et nombre d’entre eux subissent des pertes.

Insérer Figure 2 plus ou moins ici.

Les intermédiaires boursiers ont du se plier à la stricte redéfinition légale de leurs professions. Pour autant, les agents de change, officiers ministériels soudés par une longue tradition corporative fondée sur un recrutement grand-bourgeois à peu près fermé aux familles juives, ont appliqué les nouvelles règles bien plus scrupuleusement que les courtiers, frappés dans leurs corps et leurs activités fondamentales. La composition de la coulisse et ses activités professionnelles (la contrepartie et les opérations à terme sur valeurs étrangères) la rendent particulièrement suspecte aux yeux des autorités qui n’ont pas autorisé sa réouverture avant la réforme de 1942.

12

Jean-Marc DREYFUS, Pillages sur ordonnances. Aryanisation et restitution des banques en France 1940-1953, Paris, Fayard, 2003, p. 157 sq.

13

Pendant ces années, une bonne part des ordres de vente ont correspondu à la liquidation pour le compte des Domaines de titres légalement extorqués à des personnes persécutées alors comme juives.

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Le strict alignement des agents de change leur a notamment permis d’obtenir, par la loi 14 février 1942, la modification de la loi du 13 juin 1941 qui soumettait les intermédiaires de bourse au contrôle du Comité d’organisation des banques. La nouvelle loi crée le Comité des bourses de valeurs, où le Syndic siège de droit. En revanche, la CCVM, édifiée sur les ruines de l’ancienne coulisse, n’est pas même représentée dans la nouvelle instance de place.

Entre 1940 et 1944, en tant que groupes professionnels, les courtiers n’ont donc pas purement et simplement disparu, alors que les agents de change ont défendu leur position au sein de la place.

Cadres juridiques, dispositifs institutionnels et trajectoires individuelles

Les agents de change auraient dû relever de l’épuration administrative. En fait, l’ordonnance du 27 juin 1944, complétée par l’arrêté ministériel du 7 septembre 1944, assimile les officiers ministériels à de « agents publics ». Pourtant, en précédant sa tutelle ministérielle, la CS, qui se prévaut des attributions disciplinaires dévolues par le décret du 7 octobre 1890, maîtrise le processus épuratoire dans la CAC. Pour les courtiers, il n’y a pas assimilation aux « agents publics ». Ils auraient donc a priori dû relever de l’épuration dans les entreprises si la CCVM n’avait pas, elle aussi, mis en œuvre un dispositif d’épuration professionnelle, en vertu des pouvoirs disciplinaires que lui confère le décret du 3 août 1942 sur l’organisation des bourses de valeurs. Si ces dispositifs d’épuration ne sont a priori pas exclusifs d’une épuration judiciaire, aucun agent de change ni aucun courtier en exercice en 1944 n’a pourtant été inquiété par aucun tribunal ordinaire.

L’épuration à la Bourse de Paris a été menée en quatre mois, par les organes de direction de chaque groupe professionnel et elle n’a concerné qu’un nombre très limité d’individus. Au parquet, seul un agent a été sanctionné. En coulisse, aucun membre du syndicat n’a été poursuivi et seul un teneur de carnet a été révoqué. Par ailleurs, la justice ordinaire a brièvement mis en cause un ex agent de change, en fonction jusqu’en décembre 1943.

André Manchez n’est en effet plus agent de change quand une enquête est diligentée par la cour de justice de la Seine. Après 20 années de CAC, dont 10 à la CS (premier adjoint en 1941-1943), il a transmis son office à son cousin Charles Roth Le Gentil, fils de l’ancien

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directeur général du CIC et président de la CCDVT. L’agent honoraire Manchez est depuis administrateur de la compagnie d’assurances Europe.

Un comité de libération des Bouches-du-Rhône dénonce en septembre 1944 les relations de l’agent avec Pierre-Etienne Flandin, André Tardieu, Otto Abetz et Pierre Laval14. L’enquête de police révèle que Manchez a accusé de menées communistes l’une de ses locatrices et sa femme de ménage15. Le dossier ne révèle pas si l’agent les a dénoncées aux autorités, mais il indique que le fils de la femme de ménage a été arrêté par la Gestapo, que sa mère a dû fuir Paris et que la locatrice, d’abord « repliée à Montpellier, fut traitée en suspecte et n’échappa au camp de concentration qu’en disparaissant » quatre années dans la résistance16.

Les soupçons à l’encontre de Manchez sont relayés par les déclarations du maire-adjoint du 6ème arrondissement de Paris qui rapporte les propos d’une ancienne servante de l’agent : « [il] n’avait pas souffert de l’Occupation, car il était ami intime du représentant du ministère du Ravitaillement, ainsi que de notabilités allemandes, et de collaborateurs, avec lesquels il prenait souvent des repas, et avec qui il était constamment en relation »17. Pour sa défense, Manchez prétend qu’il était « presque toujours à la campagne et [n’a] donné aucun dîner ». Il rappelle aussi qu’il a hébergé cinq réfractaires pendant plusieurs mois et caché, quinze jours, un couple traqué par la Gestapo18.

Le dossier, classé sans suite en août 1945, indique que c’est une conduite de vie associée à sa condition notabiliaire, typique des membres de la CAC, qui a été reprochée à Manchez dont le syndic avait d’ailleurs rappelé que « tout concourait à faire de lui le parfait agent de change tel que nous devons le concevoir. »19 Hormis ce cas, les agents de change ou les courtiers sommés, à la libération de Paris, de rendre des comptes n’ont pas eu à le faire devant les tribunaux ordinaires, mais devant leurs organes corporatifs dont la légitimité est vite reconduite par les nouvelles autorités.

Le 21 août 1944, alors que la Bourse est fermée depuis trois jours, le syndic Desaché rencontre le nouveau secrétaire général pour les Finances publiques Emmanuel Monick. Malgré son « accueil très favorable », le syndic envisage sa démission, « dans une atmosphère

14

Archives nationales (AN), Z6 SN 39747, courrier du comité de Libération à la commission d’épuration des Bouches-du-Rhône, 14 septembre 1944.

15

Manchez avait un différend pour des loyers impayés alors que sa locatrice était mobilisée comme médecin militaire.

16

AN, Z6 SN, 39747, courrier du comité de Libération, doc. cit.. 17

AN, Z6 SN, 39747, déposition de Polin, 7 août 1945. 18

AN, Z6 SN, 39747, audition de Manchez par le commissaire principal de police de Paris, 31 août 1945. 19

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de suspicion systématique [qui] enveloppe toutes les personnalités ayant exercé une activité importante sous le régime antérieur ». Pour les membres de la CS et l’ancien syndic Jacob, il n’y a pas lieu de démissionner, à moins d’une injonction contraire de Monick : il ne faut pas donner l’impression d’une « crise interne ou d’un malaise au sein de la Compagnie », d’autant plus que « l’influence des comités de libération […] va décroître rapidement, maintenant que le nouveau gouvernement s’installe ». Enfin, la CS considère que ses manœuvres pour préserver la main d’œuvre contre le STO ainsi que ce qu’elle présente comme son « attitude dilatoire au regard des tentatives d’aryanisation des charges Perquel et Kauffmann sont suffisamment démonstratives des sentiments et des tendances qui les ont inspirés »20.

Pour la CS, le syndic, dont l’honorabilité correspond à une forme individuée de sa réputation, ne doit pas passer pour un de ces « douteux ». Elle est vite rassurée et confirmée dans ses fonctions. Le ministre des Finances Aimé Lepercq est satisfait des conditions de réouverture de la Bourse : les intermédiaires ont freiné la baisse des cours et promettent leur concours au placement de l’emprunt de Libération21. Ainsi, la CS qui va concevoir le dispositif épuratoire corporatif, le mettre en œuvre et négocier avec la tutelle ministérielle la sévérité des sanctions à prononcer, est celle qui a été élue en décembre 1943. Elle ne comprend qu’un seul membre qui n’a pas eu de fonction corporative entre 1939 et 1943.

A la réouverture de la Bourse, les représentants des commis font savoir qu’ils ont constitué un jury d’épuration22. Révélateur de l’acceptation de l’ordre hiérarchique, ce jury n’entend pas étendre sa compétence aux agents de change, alors même que l’agent Paul Cocteau a été hué au palais Brongniart par des boursiers. Le lendemain, après une altercation à la corbeille entre Cocteau et son confrère Marcel Roland-Gosselin qui voulait le chasser, le syndic annonce la création d’un jury d’honneur.

Il s’agit d’un jury de pairs :des membres de la CS entre 1939 et 1944, des médaillés de la défaite ; pas un résistant in se23. L’absence d’agent de change nommé au nom d’actions tangibles contre les forces d’occupation ou l’Etat Français, fait que le clivage

20

AEP, procès-verbaux de la Chambre syndicale de la Compagnie des agents de change (PVCS), 26 août 1944. 21

AEP, PVCS, 6 septembre 1944, AEP, PVAG 18 décembre 1944. 22

AEP, PVCS, 31 août 1944. Les procès-verbaux du jury d’honneur (JH) ne figurent ni dans les PVCS ni dans les PVAG, mais dans le dossier personnel de l’agent Cocteau (AEP, dossier personnel [AEP, DP]).

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La CS a rejeté la procédure qui aurait consisté à réunir la CAC en assemblée générale. Elle « aurait émis […] un vote dont le résultat aurait été communiqué au Ministère des Finances auquel aurait été laissé le soin de prendre éventuellement les sanctions nécessaires. Cette procédure aurait, selon la Chambre Syndicale, le triple inconvénient de déplacer les responsabilités, de dessaisir la Chambre Syndicale de ses attributions normales et de priver les Agents en cause des garanties qui doivent assurer l’équité d’une sentence » (AEP, PVCS, 6 septembre 1944).

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résistance/collaboration, alors particulièrement marqué, n’affaiblit pas le sentiment de partager une même communauté de destin24.

Le jury doit instruire l’enquête et transmettre un avis motivé à la CS qui conserve son pouvoir de sanction. Deux agents sont mis en cause, Marceau Moureau et Cocteau. Des commis reprochent au premier ses contacts avec Laval et avec des Allemands. Le syndic sermonne les commis qui se rétractent. Si Moureau a eu ces fréquentations, c’était pour le bien de la CAC : la réouverture de la Bourse et la libération d’agents mobilisés et faits prisonniers25. La CS a chargé cet agent de ces missions parce qu’il avait noué au cours d’une première carrière au ministère des Armées, nombre de relations dont l’utilité pour la CAC avait d’ailleurs été soulignée lors de l’examen de la candidature de Moureau26. L’intercession auprès des autorités pour pousser les intérêts corporatifs est de facto exclue par le syndic du champ d’investigation du jury d’honneur. Moureau est absout. En revanche, pour Cocteau, la procédure suit son cours.

Entré dans la carrière boursière chez son cousin Edouard Jacob en 1899, Cocteau a succédé à son oncle Maurice Lecomte en 1913. Après une brillante « Grande guerre », le frère de l’artiste est devenu un agent de change en vue du Paris mondain. De 1939 à 1941, Cocteau a siégé à la CS. Après avoir organisé le transfert des services de la CAC en zone non-occupée, il a représenté la CS à Vichy, pendant que le syndic Jacob était à Paris pour négocier la réouverture de la Bourse avec les autorités d’occupation27. Cocteau a en outre été l’administrateur provisoire de la charge « juive » Leven.

Le jury d’honneur se réunit le 8 septembre 1944. Il entend successivement quatre agents de change dont Roland-Gosselin qui a menacé de démissionner si Cocteau n’était pas révoqué. Il lui est reproché d’avoir « défend[u] la collaboration ou au moins la réconciliation » et d’avoir dit, à propos des arrestations pour le STO, que « ces rafles feraient beaucoup de bien à la jeunesse » qu’il croisait sur les Champs-Elysées28. Enfin, les fréquentations de Cocteau sont dénoncées. A décharge, le successeur de Georges Leven

24

L’agent Adrien Perquel a été résistant. Il n’a pas été possible de déterminer s’il était à Paris en septembre-novembre 1944. Il en va de la même pour Tony Mayer, déchu de la nationalité française après avoir rallié Londres dès l’été 1940.

25

AEP, PVCS, 20 septembre 1944, ; AEP, DP Marceau Moureau, courrier au syndic, 22 septembre 1944. 26

AEP, DP Marceau Moureau, rapport de candidature, 23 novembre 1927. 27

AEP, PVCS 7 juillet et 24 octobre 1940 ; Annie LACROIX-RIZ, Industriels et banquiers sous l’Occupation. La collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, p. 69 sq.

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témoigne de « la grande correction confraternelle et professionnelle » de Cocteau que ses employés ainsi que le Syndicat des commis de bourse soutiennent ouvertement29.

Lors de son audition, Cocteau admet « une certaine admiration pour l’Allemagne et [il] a cru dans l’intérêt de la France de s’accorder avec elle ; mais il n’a jamais désiré que la France fût dirigée par elle ». Il insiste sur sa « confiance dans la France plus grande que ne l’avaient beaucoup de boursiers : c’est ainsi qu’il a incité sa clientèle à vendre des actions et à souscrire des bons du Trésor ». « Officier ministériel, il estimait que son rôle était d’obéir au Gouvernement ». « Il n’a jamais fait de politique, n’a jamais eu de relations avec les ministres ou les parlementaires » et s’il a reçu Cathala ou vu Darlan, c’est que le premier reste son ami et le second était son cousin. Cela étant dit, il nie la plupart des fréquentations allemandes qu’on lui attribue. Il souligne le caractère privé et désintéressé des autres relations, auxquelles le syndic Desaché et sa femme ont parfois été associés et qui lui ont permis d’intercéder en faveur de personnes en difficultés30.

Les jurés considèrent Cocteau comme un imprudent ou un maladroit qui a manqué de retenue. C’est donc pour défendre la CAC, qui doit faire face aux remous que suscite « l’affaire », que le jury conclut que « l’attitude de M. Cocteau au cours de l’Occupation mérite une sanction »31. Lors de son audition par la CS, Cocteau maintient sa ligne de défense.

Si les novices de la CS continuent d’apprécier les faits reprochés, les adjoints les plus expérimentés s’efforcent de concevoir une peine qui satisfasse les velléités épuratrices du moment, préserve l’autonomie de la CAC et soustraie Cocteau aux risques d’une instruction menée par des juges extérieurs. L’intervention finale du syndic est à ce titre exemplaire :

« Ce qu’a fait Cocteau pendant la guerre sur le terrain politique est très peu de chose. Cocteau s’est trouvé en Touraine entouré d’officiers d’artillerie, il s’est tourné vers les puissants du jour. […] Simple particulier ce ne serait rien. Beaucoup comme lui. Mais il est officier ministériel. Nous avons eu de la peine à maintenir notre indépendance. Il faut une sanction. Proposer 2 mois de suspension : beaucoup pour ce qu’a fait Cocteau, c’est sévère ; peu au regard de l’intérêt de la Compagnie et de l’atmosphère actuelle. Mais

29

Ce témoignage à décharge est accepté tel quel alors même que les relations entre Cocteau et Leven étaient mauvaises, au point que le second s’en était plaint auprès du syndic : AEP, DP Georges Leven, lettre au syndic 3 mars 1941. En revanche, les employés de Cocteau lui reconnaissent une politique de rémunération relativement généreuse pendant la guerre alors que le secrétaire du syndicat le défend en saluant son action à la tête de la Caisse de retraite des commis (AEP, DP Paul Cocteau, courriers des 7, 8 et 14 septembre 1944).

30

AEP, JH, 13 septembre 1944. La mention des Desaché n’est pas reprise dans le PV de la CS. La confrontation des PV dactylographiés avec les notes prises par le secrétaire général révèle combien la mise en forme du procès-verbal est indissociable de la mise en conformité du comportement de Cocteau et de ses confrères, à l’aune d’une redéfinition à usage externe de la conduite acceptable d’un agent de change entre 1939 et 1945. 31

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nous pouvons expliquer au ministre qui est Cocteau (profession, guerre), quelles influences familiales il a pu subir, enfin qu’il n’a fait nul trafic. Vouloir blanchir Cocteau ce serait lui rendre le plus mauvais service. Cas Cocteau : procès mondain. Changement de front pendant la guerre : rupture avec les juifs, inimité de ceux-ci… Si nous blanchissons, nouvelle instruction celle-ci politique et traduction devant une justice politique avec conséquences plus graves pour lui et pour nous. Notre conscience peut être allégée par cette dernière considération. »32

La CS rend une première sentence, 2 mois de suspension, qu’elle communique officieusement à la direction du Trésor33. Elle essaie de « convaincre le ministre », notamment par l’intermédiaire de Monick, « bien plus modéré » que d’autres hauts fonctionnaires comme Bloch-Lainé « très monté ». Le 12 octobre, le directeur du Trésor Brunet explique au syndic que la sanction proposée n’est pas suffisante mais que les faits reprochés à Cocteau ne justifient pas la révocation, la seule peine prévue par le décret de 1890 au-delà de deux mois de suspension. Brunet suggère alors de ne plus fonder la sanction sur ce décret mais sur l’ordonnance du 27 juin 1944 et sur l’arrêté ministériel du 7 septembre 1944 portant institution d’une commission d’épuration au ministère, sachant que le ministre accepte que la CS se substitue à la commission officielle. « Sans se dissimuler la fragilité juridique de la procédure envisagée »34, la CS l’endosse et propose six mois de suspension au ministre qui entérine la sanction, « considérant que l’attitude adoptée à l’égard des Allemands par M. Cocteau, au cours de l’Occupation est répréhensible et contraire à la dignité qu’aurait du lui imposer sa qualité d’officier ministériel »35.

Paul Cocteau a donc été sanctionné promptement et faiblement pour des comportements privés plutôt que pour ses activités corporatives. La sanction prononcée est d’autant plus clémente que la charge continue de fonctionner malgré la suspension de son patron : ses fondés de pouvoir et des confrères le remplacent en séance. Lorsque Cocteau prend sa retraite en 1958, il obtient de ses pairs comme du ministre des Finances l’honorariat sans la moindre difficulté36. Cette épuration correspond à un usage du droit révélateur de la spécificité de la CAC : un corps de commerçants-officiers ministériels investis de fonctions « plus que privées »37 et spécialement distingués par la faveur du gouvernement qu’ils servent.

32

AEP, DP Paul Cocteau, note manuscrite de la CS, 25 septembre 1944. 33

AEP, PVCS, 27 septembre et 3 octobre 1944 ; 34

AEP, DP Paul Cocteau, notes manuscrites du secrétariat général de la CAC, 29 septembre et première quinzaine d’octobre 1944.

35

Arrêté ministériel du 3 novembre 1944. 36

AEP, PVAG, 14 janvier 1958 ; Journal Officiel, 30 janvier 1958. 37

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(1780-Pour examiner « la situation de certains membres de la profession », la CCVM institue une commission professionnelle d’épuration : un courtier, Lebel, président, 4 employés de maisons de courtiers et un suppléant de la Chambre des courtiers. Cette commission mixte doit « rechercher ceux qui pendant l’Occupation allemande avaient pu prêter aide et assistance à l’ennemi »38. A la différence de la CAC, les courtiers et leurs employés sont justiciables devant la même instance. Pourtant, aucun courtier ne comparait devant cette commission. Seul un employé de Alberty Gamby et Cie est révoqué comme teneur de carnet par la Chambre des courtiers et renvoyé par son patron, d’après les conclusions de la commission d’épuration, pour trafic d’or avec les Allemands39. La commission d’épuration professionnelle des courtiers en valeurs mobilières clôt officiellement ses travaux en décembre 1944. Les courtiers ont ainsi devancé eux-aussi les autres dispositifs d’épuration40. La commission n’est même pas réactivée, en 1945, lorsque l’ancien secrétaire général du SGBV et son dernier président, tous les deux juifs selon les lois vichystes, se plaignent auprès du ministre de la façon dont les dirigeants de la CCVM ont créé et géré la nouvelle organisation que ces contempteurs présentent comme « nazifiée »41.

Les enjeux d’une bourse « en épuration »

La précoce maîtrise de l’épuration a permis aux deux groupes professionnels de ne juger que des comportements individuels plutôt que professionnels ou corporatifs. Juger prestement, au nom de l’honorabilité, des comportements qui auraient pu rejaillir sur ces groupes a donc été le moyen d’affirmer leurs juridictions, tout en donnant des gages aux nouvelles autorités pour qu’elles ne poussent pas plus loin les investigations. La circonscription des investigations à des cas individuels a aussi contribué au travail de refoulement par les organes directifs des deux groupes professionnels de leurs comportements respectifs entre 1940 et 1944. Si le syndic peut affirmer fin 1944 que « la CAC est sans

1860), Paris, éditions de l’EHESS, Paris, 1991, p. 101 sq. 38

AEP, procès-verbaux de la Chambre des courtiers en valeurs mobilières (CCVM, PV), 2, 5 et 12 septembre 1944 ; AEP, procès-verbaux des assemblées générales de la Chambre des courtiers en valeurs mobilières (CCVM, AG), 14 décembre 1944.

39

AEP, CCVM, PV, 10 octobre 1944 ; Centre des archives économiques et financières (CAEF), B0065765, dossier Roncier, note manuscrite du bureau des affaires financières de la direction du Trésor, 18/11/44.

40

AEP, CCVM, PV, 19 décembre 1944. 41

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reproche »42, « l’organisation de l’oubli »43 est perturbée à la CCVM par le conflit public avec les ex-dirigeants du SGBV et par les conditions d’intégration, dans la nouvelle organisation, des anciens coulissiers « juifs » qui se plaignent du comportement des confrères nommés administrateurs provisoires de leurs sociétés. Si le ministère ne donne pas suite à ces accusations de collaboration, il doit pourtant définir les modalités de l’intégration des ex-coulissiers rescapés. A cette occasion, l’histoire récente de la CCVM et l’aryanisation des maisons de coulisse sont débattues.

Pour les instances de direction deux groupes, il s’agit plutôt de tourner la page et de faire face à ce qu’elles perçoivent comme de « nouveaux dangers ». En effet, les intermédiaires boursiers doivent désormais composer avec la « mystique des réformes de structure »44 qui anime l’immédiat après-guerre. Dans ce contexte, le rôle de la bourse dans l’économie nationale et, avec lui, la hiérarchie des institutions financières au sein de la place sont remis en cause. L’ordonnance du 18 octobre 1945 confirme largement les lois de 1941 et 1942. Comme le soulignent avec force la CAC et la CCVM, cette configuration hypothèque le développement de l’activité boursière en supprimant la complémentarité fonctionnelle qui avait existé jusqu’en 1940 entre le parquet, la coulisse et le marché hors-cote45. Surtout, les intermédiaires doivent faire face à des menaces immédiates et autrement plus dangereuses : comme sous l’Occupation, la prépondérance des banques, la nationalisation de la CAC, la suppression de la CCVM ou sa fusion avec cette dernière, voire même le remplacement de la bourse par une commission de cotation (comme il en existe une alors à Alger), sont envisagés. Derechef, les deux groupes professionnels doivent convaincre les nouvelles autorités des services qu’elles peuvent leur rendre. L’auto-épuration économique devient alors l’un des dispositifs que les groupes professionnels mettent en œuvre pour démontrer leur loyauté et leur utilité. Servir les nouvelles autorités signifie, une fois de plus, faire en sorte que la Bourse de Paris ne trahisse pas les attentes du gouvernement : contrôle des cours, placement des titres publics, lutte contre le marché clandestin, collaboration avec les services fiscaux et concours vigilant lors de l’opération nationale d’échange de billets.

Dans ce contexte, la CS et la CCVM durcissent les sanctions qu’elles prononcent à l’encontre des boursiers pris en défaut. Ainsi, un associé de la maison de courtage Herrmann et Felsenhardt est contraint de démissionner après son arrestation pour trafic de devises

42

AEP, PVAG, 18 décembre 1944. 43

Henry ROUSSO, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, éditions du Seuil, « Points-Histoire », 1990, p. 13 sq.

44

AEP, PVAG, 27 mai et 3 juin 1948. 45

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étrangères46. Pour les agents de change, relativement mieux protégés par leur organe corporatif, les sanctions sont plutôt moins sévères pour des faits semblables ou plus graves. En août 1945, un agent est surpris en flagrant délit d’échanges frauduleux de billets. Il est d’abord révoqué mais, à l’automne 1946, le ministre Schumann accepte de rapporter l’arrêté de révocation pour que le texte porte la mention neutre « démissionnaire »47.

Fin 1945, des inspecteurs du ministère des Finances et de la police judiciaire perquisitionnent les coffres de 40 agents de change. L’affaire fait grand bruit dans la presse. Trois agents sont alors inquiétés. Le premier est mis hors de cause, le deuxième écope d’un blâme à raison des irrégularités relevées dans le fonctionnement de sa charge à l’occasion des échanges de billets, mais le troisième, Juillard, doit répondre des accusations de négligences dans le contrôle de ventes massives de rentes. Le Trésor double la peine proposée par la CS afin de marquer les esprits, alors que l’un des enjeux de l’opération d’échange de billets consiste à recenser et partiellement ponctionner les fortunes mal acquises pendant la guerre. En 1950, la CS non seulement obtient une remise gracieuse de 50 % sur l’amende de 4 millions, infligée à Juillard mais elle contribue au tiers de son paiement. En 1963, cet agent obtient l’honorariat, présenté par le syndic au ministre comme une « manière d’amnistie professionnelle et morale »48.

Pour les courtiers en valeurs mobilières, la séquence historique 1939-1947 a correspondu à un véritable bouleversement de leur métier au point de les rendre de plus en plus semblables aux agents de change dans leurs attributions professionnelles même si ce groupe professionnel continue d’être plus hétérogène que celui des officiers ministériels49. Pour ces derniers, on n’observe pas de transformation dans leurs modes de recrutement, même si certains héritiers ont préféré, dans ces temps incertains, céder la charge à un tiers plutôt que d’en assumer la direction. Le titre d’agent de change continue donc de s’acquérir soit au terme d’une carrière au sein de la CAC, soit dans le cadre d’une stratégie familiale de transmission de l’office.

Conclusions

46

AEP, CCVM, PV, 3 et 24 septembre 1945. 47

AEP, PVCS, 17 avril, 11 septembre 1945, 2 octobre 1946, JO, 2 septembre 1945. 48

AEP, PVCS, 11, 19 et 26 décembre 1945, 6 et 27 février 1946, 17 mai 1950, 31 janvier 1951 ; arrêté ministériel du 21 janvier 1946 ; AEP, DP Juillard, courrier du syndic au ministre des Finances, 4 octobre 1963. 49

Pour un exposé des contrats de sociétés des coulissiers, Patrick VERLEY, Dictionnaire des banquiers en valeurs (1880-1950), manuscrit inédit.

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L’épuration a été pensée par ses concepteurs à la fois comme un châtiment pour apurer le passé et comme un acte de « régénération » pour préparer l’avenir national. Si les formes et procédures que l’épuration a empruntées en ont fait en général un phénomène diffus et lent, à la Bourse de Paris, en revanche, elle a été particulièrement courte, ciblée et clémente. Elle n’a concerné que des comportements individuels, laissant dans l’ombre tout ce qui avait été entrepris par les intermédiaires pour ne pas voir disparaître leurs organisations.

Cette épuration a minima a été pour ces deux groupes professionnels l’une des façons de signifier leur ralliement au nouveau gouvernement qui l’a acceptée pour mieux contrôler les marchés financiers. Les intermédiaires boursiers ont dû abandonner leurs espoirs d’un retour au monde d’hier et accepter des transformations durables de leurs organisations, sans effets immédiats pourtant sur le recrutement des boursiers, pour éviter de disparaître lors de ce moment crucial qui correspond à la « conversion », entamée dans les années 1930, de l’économie française.

La « survie » des organisations boursières a ainsi permis aux deux groupes professionnels de se maintenir et de conserver à leurs membres les ressources matérielles et les qualités d’honneur social indispensables à leurs vies bourgeoises. Les agents de change, officiers ministériels bien établis au sein de la place et muni d’une organisation plus intégrée, perdureront jusqu’en 1988. En revanche, les courtiers, privés de leur raison d’être par les réformes de 1941-1945, seront absorbés en 1961.

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Figure 1 Indice mensuel des titres à revenu variable cotés à la Bourse de Paris. 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 janv -38 juil-3 8 jan v-39 juil-39janv-4 0 juil-40jan v-41 juil-41janv-4 2 ju il-42 janv -43 juil-4 3 janv -44 juil-44janv-4 5 juil-4 5 jan v-46 juil-46

Base : janvier 1938 = 100. Source : élaboration des auteurs sur données SGF.

Figure 2 Approximation des volumes échangés au parquet et à la coulisse (1938-1946).

-2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 1938 1939 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 Parquet Coulisse

Lecture : cette approximation mesure les recettes des taxes syndicales prélevées par la CS et la CCVM et proportionnelles aux chiffres d’affaires des agents de change et des courtiers. Données en millions de francs 1938. Source : commissions de comptabilité de la CAC et de la CCVM, sub anno.

Figure

Figure 2 Approximation des volumes échangés au parquet et à la coulisse (1938-1946).

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