• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | La mise en exposition des paradigmes synchroniques d'une discipline, une étude de cas : l'éthologie animale

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | La mise en exposition des paradigmes synchroniques d'une discipline, une étude de cas : l'éthologie animale"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

LA MISE EN EXPOSITION DES PARADIGMES

SYNCHRONIQUES D'UNE DISCIPLINE.

UNE ÉTUDE DE CAS : L'ÉTHOLOGIE ANIMALE.

Diane NEDELEC BELLEVENUE

USM 702, Muséologie et Médiation des Sciences, MNHN (Paris) et 2C2A-CERFE (Boult-aux-Bois).

MOTS-CLÉS : ÉTHOLOGIE ANIMALE – ÉPISTÉMOLOGIE – MÉDIATION MUSÉALE – MUSÉOLOGIE SCIENTIFIQUE – TRANSPOSITION MÉDIATIQUE

RÉSUMÉ : L’histoire de l’éthologie animale est le fruit de multiples approches disciplinaires, desquelles ont dérivé les trois principaux champs paradigmatiques actuels. À la lumière de cette lecture épistémologique, nous mettons en évidence le rayonnement de ces différents courants dans la muséologie scientifique, en analysant plusieurs situations récentes de médiation muséale de l’éthologie animale. Nous nous proposons donc ici d’étudier scrupuleusement le processus de transposition médiatique en jeu lors de la mise en exposition de l’actualité de cette discipline.

ABSTRACT : The story of animal ethology is the fruit of a multidisciplinary approach, from which three principal practical fields have developed. In the light of this epistemological reading, we inlight the influence of these different trends in scientific museology, by analysing several recent situations of mediation by museums of animal ethology. We therefore hereby propose a detailed study of the process of mediatic transposition entailed when setting up contemporary exhibitions in this discipline.

(2)

1. INTRODUCTION

L’éthologie animale est une discipline qui n’est pas inscrite au programme scolaire. De fait, sa diffusion au sein de la société s’effectue intégralement par le biais de l’éducation informelle. Nous avons donc, pour notre part, choisi d’étudier plus attentivement la vulgarisation de l’éthologie animale et la mise en exposition de son actualité par le biais de la muséologie scientifique.

Dans un premier temps, nous présenterons succinctement cette discipline et les principaux champs paradigmatiques qui président aujourd’hui son épistémologie. Nous verrons qu’il existe actuellement un paradigme très majoritairement dominant au sein de la communauté scientifique. Nous porterons ensuite notre attention sur la diffusion de ce - ou de ces - courants dans les Musées et les Centres de Sciences. Par le biais d’exemples illustrés d’opérations de médiation muséale de cette discipline, nous serons amenés à réfléchir à l’objectivité de ces différentes initiatives, et à la pertinence – ou non – de la transposition médiatique dans ces différentes situations.

2. L’ÉTHOLOGIE ANIMALE : HISTOIRE D’UNE COEXISTENCE PARADIGMATIQUE

2.1 Un héritage historique conflictuel

L’éthologie animale est le fruit de multiples approches disciplinaires. En l’occurrence, les principaux courants historiques qui y ont apporté leur contribution sont les courants psychologique, naturaliste et philosophique.

Le courant psychologique entretient à ses débuts au XVIIe siècle une relation très forte avec la philosophie, notamment avec les philosophes empiristes. Dans une volonté croissante de crédibilité scientifique, les psychologues nouent au XIXe siècle des liens avec la physiologie. C’est dans ce mouvement que se déploient les travaux de la psychologie comparée et de la psychologie neurophysiologique, jusqu’à la réflexologie de Pavlov, et au béhaviorisme de Watson et de Skinner. Le courant naturaliste est lui aussi issu d’une longue tradition, depuis Aristote en passant par Buffon, Lamarck, Cuvier, Geoffroy Saint Hilaire et Darwin. Jusqu’en 1930, les travaux de ces précurseurs inscrivent l’étude du comportement animal dans une phase formative. C’est le charismatique Konrad Lorenz qui permet dès les années 1930 à l’éthologie animale d’entrer dans une phase dite classique, avant de passer vers 1950 à une phase de maturité. Les frictions deviennent alors fréquentes avec les psychologues américains, qui croient en un apprentissage absolu de tous les comportements. Le débat se cristallise notamment autour de la fameuse controverse « instinct/apprentissage » ou « inné/acquis », qui s’étendra dans cette discipline sur une quinzaine d’années jusqu’en 1970 environ. De plus en plus de chercheurs semblent vouloir opérer

(3)

une synthèse entre les courants psychologique et naturaliste à partir des années 1970, mais une nouvelle scission a lieu en 1963, à l’initiative de Tinbergen. Elle divise les éthologistes en deux camps : d’une part ceux qui essaieront de répondre au « comment ? » d’un comportement, en examinant les mécanismes responsables dudit comportement (les causes proximales), et d’autre part ceux qui tenteront de répondre au « pourquoi ? » d’un comportement, en recherchant les fonctions que ce comportement a pu remplir au cours de l’évolution (les causes ultimes).

Le courant philosophique, enfin, émerge parallèlement aux deux autres. C’est une conception du vivant différente, née d’un courant de pensée qui ne s’intéresse pas uniquement au comportement animal ou à la biologie : la phénoménologie. Cette théorie, fondée par Edmund Husserl, propose de mettre l’accent sur le monde subjectif vécu de l’individu, par opposition à un monde empirique qui existerait dans un réel lui échappant totalement. Ses idées sont partagées par Von Uexküll, qui les développe plus particulièrement dans le champ de la biologie en créant le concept d’Umwelt, et sont étayées expérimentalement par Buytendijk. La perception de l’animal est différente que dans les deux autres courants : il est ici traité en sujet à part entière, c’est-à-dire en être capable de donner du sens, de « construire son monde ». Mais ces conceptions, peut-être parce que portées essentiellement par des philosophes, influencent peu les scientifiques qui étudient le comportement animal.

L’éthologie animale contemporaine est l’héritière de ces différents courants, et tout particulièrement de la scission opérée par Tinbergen en 1963, qui perdure encore au sein de la discipline malgré quelques rares tentatives de rapprochement. Cette bipolarisation majeure se retrouve similairement dans toute la Biologie, depuis l’article « Cause and Effect in Biology » de Ernst Mayr paru dans la revue Science en 1961. On peut néanmoins noter la prolongation des recherches phénoménologistes et structuralistes, à la marge des deux principaux axes, qui apportent un éclairage différent à l’étude du comportement animal. De fait, Michel Morange (2005) va plus loin, et affirme que coexistent « non pas deux, mais au moins trois principes explicatifs différents dans l’ensemble des disciplines

du vivant ». Ce sont selon lui les explications « de type mécaniste » hérités de la biologie

moléculaire, les explications « de type darwinien et historique » et les explications « physiques non causales ».

2.2 Courants et paradigmes actuels

Conformément à cette subdivision de Morange, les recherches en éthologie animale se répartissent aujourd’hui en trois grands champs, respectivement la neuroéthologie (cognitivisme et connexionnisme), la biologie du comportement (écologie comportementale et auto-organisation fonctionnelle), et l’approche énactive (Tableau 1). Au-delà de cette organisation de la communauté scientifique issue des grands courants historiques, trois paradigmes synchroniques coexistent dans

(4)

les recherches sur le comportement animal, en transcendant les frontières de cette classification. Ce sont les paradigmes fonctionnaliste (regroupant cognitivisme et écologie comportementale), auto-organisationnel « fonctionnel » (regroupant connexionnisme et auto-organisation « fonctionnelle »)

Tableau 1 : Différents courants actuels en Biologie du Comportement (d’après Gérard, 2006)1

Courants hérités de la Psychologie : NEUROETHOLOGIE

Courants hérités du Naturalisme : BIOLOGIE DU COMPORTEMENT

Cognitivisme Écologie Comportementale

Connexionnisme Auto-organisation Fonctionnelle

ENACTION

Courant hérité de la Philosophie

et structuraliste. Ces trois paradigmes sont fondamentalement divergents sur de nombreux points. Le paradigme fonctionnaliste, ou paradigme adaptationniste, utilise un vocabulaire économique. Les comportements des animaux y font l’objet d’une analyse fonctionnelle systématique. Ils ont des coûts et des bénéfices pour l’animal qui les effectue, lequel utilise des stratégies comportementales dans le but de maximiser sa descendance. L’animal y est par essence un système hétéronome bien distinct de l’environnement dans lequel il vit, celui-ci étant perçu comme une contrainte forte. Ce paradigme est actuellement très largement majoritaire dans les études sur le comportement animal. Visiblement très heuristique, il est à l’origine d’une production intensive de publications et est représenté par une multitude de chercheurs en France comme à l’étranger.

Le paradigme structuraliste de l’énaction, quant à lui, repose sur les préceptes de Maturana et Varela, selon lesquels un système vivant est un système autonome. Il est seul responsable de l’effet qu’aura sur lui toute interaction avec l’environnement. L’énaction est l’action, pour un système vivant, de spécifier le monde dans lequel il vit, sans subir son environnement comme une source permanente de problèmes à résoudre. Seule une poignée de chercheurs adopte la théorie de l’autonomie et s’inscrit dans cette perspective en rupture radicale avec le paradigme adaptationniste. Le paradigme auto-organisationnel « fonctionnel », enfin, tente un rapprochement entre les deux précédents paradigmes, en utilisant les nouveaux concepts de l’auto-organisation ou de l’émergence des comportements, chers au paradigme structuraliste. Mais l’animal, toujours perçu comme un système hétéronome, doit répondre aux problèmes posés par son environnement pour y être mieux adapté. Malgré les tentatives de conciliation opérées par cette dernière approche, il semble qu’il n’existe aucun compromis possible entre les deux précédents paradigmes. Ils sont totalement

1 Issu d’une intervention et d’un entretien enregistrés lors du Colloque SFECA 2006, organisé du 29 au 31 mars 2006 au Lac de Bairon (Ardennes).

(5)

incommensurables, car chacun d’eux prône une vision du monde vivant radicalement opposée à celle de l’autre. De fait, les divers chercheurs s’en réclamant se méconnaissent, voire tentent parfois de s’exclure. Les raisons de ce phénomène sont à chercher dans l’épistémologie de cette discipline, comme nous venons de le faire brièvement, mais aussi dans la sociologie des sciences en général.

2.3. Explications d’ordre sociologique au succès du paradigme fonctionnaliste

Ainsi, les tenants de l’écologie comportementale, et au delà, ceux du paradigme fonctionnaliste, occupent actuellement la plus grande partie du terrain de l’éthologie animale. Les raisons de ce succès sont bien connues des sociologues des sciences. Olivier Martin (2005) citant Thomas Kuhn explique l’avantage pris par un courant dominant sur tous les autres : « les scientifiques cherchent

avant tout à protéger leur paradigme, à canaliser les inventions de façon à ce qu’elles entrent dans le cadre de leur « science normale », c’est-à-dire dans le cadre des théories et résultats déjà établis (…) la socialisation des scientifiques (lors de leurs études, lors de leur insertion dans la communauté scientifique) est un processus très strict, qui produit une « rigidité cognitive » laissant peu de place à l’originalité, à la curiosité en dehors du strict cadre de sa compétence spécialisée. »

Aussi, le paradigme dominant se diffuse spontanément et avec facilité dans la communauté scientifique, par le truchement de chercheurs qui, portés par ce champ de recherche en vogue, publient leurs résultats de façon extensive. Par cette prolixité éditoriale, ce sont également eux qui franchissent le plus facilement les frontières médiatiques. À l’inverse, les scientifiques œuvrant sous le paradigme auto-organisationnel sont amenés à adopter des conclusions proches du fonctionnalisme pour voir leurs publications acceptées dans les principales revues d’éthologie. Quant aux partisans du paradigme structuraliste, ils ont le plus grand mal à faire publier leurs articles, auxquels ils doivent parfois, bien malgré eux, donner les atours d’un « Cheval de Troie » pour parvenir à divulguer progressivement leurs idées plus marginales.

Une autre raison du succès du paradigme fonctionnaliste réside dans son usage très répandu des métaphores, qui rendent immédiatement intelligibles la plupart de ses concepts. Les termes de coûts et de bénéfices appliqués au comportement, de même que ceux de stratégie comportementale, sélection, investissement, budget... sont autant de métaphores importées directement du langage économique. Ceux de « comportements de coopération », « comportements altruistes », floutent eux aussi un peu plus la frontière avec le vocabulaire courant, en apportant une part non négligeable d’anthropomorphisme aux propos des scientifiques. D'après Morange (2005), il y a clairement un abus de ces métaphores dans les explications de type darwinien, alors qu’elles ne sont pas absolument indispensables à la compréhension des idées. Mais selon cet auteur, « les métaphores

jouent un rôle important dans l’élaboration de la connaissance scientifique. Elles permettent la circulation des idées entre des domaines scientifiques différents, et même, plus généralement, entre

(6)

la connaissance scientifique et la culture d’une époque. Mais elles ont le revers de leur médaille : elles sont, par nature, floues, imprécises. Leur trop grand usage peut obscurcir le champ des connaissances et rendre plus difficile la remise en cause permanente de celles-ci. » Autrement dit,

elles deviennent à un moment donné de réels obstacles épistémologiques, au sens donné par Bachelard. Une telle séduction exercée au sein de la communauté scientifique elle-même est de fait communicative au sein des médias, dans les revues de vulgarisation scientifique ou les Centres de Sciences. La proximité géographique entre chercheurs et muséologues dans la plupart des grands établissements muséaux nationaux fait qu’il existe de surcroît une porosité notoire aux idées scientifiques, lesquelles se retrouvent en aval dans la médiation muséale. Malgré l’intérêt d’une telle perméabilité pour la réactivité de la présentation de l’actualité des sciences, l’existence de frontières ténues entre ces deux univers est également lourde de conséquences sur les choix d’exposition d’une discipline, ce que nous allons illustrer ici par le cas de l’éthologie animale.

3. TRANSPOSITION DANS LA MUSÉOLOGIE SCIENTIFIQUE

À la lumière de cette première lecture épistémologique, nous allons tenter de mettre en évidence le rayonnement de ces trois principaux paradigmes dans la muséologie scientifique, par le biais de trois exemples de situations récentes de médiation de l’éthologie animale.

3.1 Exposition « Parades, La séduction dans le monde animal » au MNHN

L’exposition « Parades » a pris place à la Grande Galerie de l’Évolution (GGE) du MNHN du 30 mars 2005 au 16 janvier 2006. Cette exposition itinérante est le fruit de la collaboration de trois muséums européens : le Muséum de Paris, le Muséum de Leiden aux Pays-Bas, et le Muséum des Sciences Naturelles de Belgique. Indépendamment d’un parti pris ouvertement anthropomorphique, le parti pris épistémologique de cette exposition est lui aussi clair. Par le biais de livrets souples « Pour en savoir plus », les thèses fonctionnalistes néodarwiniennes du cognitivisme et de l’écologie comportementale sont présentées, en insistant plus particulièrement sur la théorie de la sélection sexuelle. Les objectifs des muséologues des trois établissements pour cette exposition « familiale » étaient sensibles plutôt que cognitif. Mais ces points « Pour en savoir plus » ont pourtant été rajoutés exclusivement en France, dans le but avoué de satisfaire la part du public fidèle de la GGE, réputée plus demandeuse d’informations. Or le chercheur en éthologie du Muséum de Paris consulté pour fournir les contenus de ces livrets et vidéos parsemés dans l’exposition est un ténor de l’écologie comportementale. Aucune mention n’est faite dans ces documents de l’existence d’alternatives au courant dominant. Les obstacles à une telle présentation

(7)

sont multiples, à en juger par ce verbatim recueilli au cours d’un entretien avec l’une des muséologues de l’exposition2 : « On s’était dit : on va faire des petits films de théorie qui soient un

petit peu plus ludiques sur les différentes théories des chercheurs qui expliquent comment euh (…) et on s’est rendus compte que même nous en tant que concepteurs, on n’arrivait même pas à verbaliser, c’est-à-dire qu’on avait un mal de chien à comprendre ce que voulaient dire les scientifiques et comment ça pouvait marcher. Et donc là on s’est dit : là, on fixe la limite de contenu. » De fait, la présentation de l’actualité et de la diversité des recherches en éthologie

animale semble dépendre de nombreux facteurs. Si certains muséologues ont le recul nécessaire pour exposer la diversité des recherches scientifiques, ce sont alors des impératifs de temps, de rentabilité financière, ou la difficulté de tout présenter synthétiquement dans une exposition qui les amènent à faire des choix en laissant de côté les théories plus marginales. On touche aussi parfois aux limites mêmes de la compréhension des enjeux de la discipline par les concepteurs d’expositions qui sont rarement des spécialistes du sujet. Ces multiples filtres en action tendent à favoriser le ou les paradigmes les plus consensuels, car il peut être assez aventureux de présenter dans une exposition des théories auxquelles on n’est pas familier, qui ne remportent que peu de suffrages ou qui risquent de provoquer des polémiques.

3.2 Conférences sur « Les Sociétés Animales » à la CSI

De même, le cycle de conférences sur les Sociétés Animales qui a eu lieu fin 2005 à la Villette a présenté le paradigme fonctionnaliste dans tout l’éventail de sa diversité. Plusieurs scientifiques se sont succédés sur l’estrade du grand auditorium de la Cité des Sciences. On comptait parmi eux certains des éthologistes les plus connus, pour la plupart auteur d’ouvrages de vulgarisation, de surcroît parfaits orateurs, très convaincus et convaincants. Aucune mention ne fut faite clairement aux paradigmes alternatifs, et si l’un des conférenciers inscrivait son travail dans le paradigme auto-organisationnel, ses conclusions étaient formellement fonctionnalistes. Intérrogée au cours d’un entretien sur le choix des intervenants, la personne en charge de la programmation des conférences admet bien volontiers que son choix s’est porté suite à la lecture des ouvrages de la Médiathèque de la Cité, et à des contacts pris suite à ses recherches bibliographiques. Elle précise que ce sont des contacts enthousiasmants avec certains des chercheurs en écologie comportementale qui lui ont permis de tisser peu à peu la toile des interventions. La vulgarisation de l’actualité d’une science n’est-elle alors liée qu’à la personnalité plus ou moins charismatique des chercheurs qu’elle réunit ? De plus, on note parfois une ignorance même de l’existence de courants différents, trop peu représentés dans les documents accessibles au plus grand nombre. Malgré le mouvement de

2 Les entretiens cités dans cet article sont issus d’un travail de recherche de doctorat sur la médiation muséale de l’éthologie animale, encadré par le professeur Yves Girault du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

(8)

désacralisation des sciences qui a commencé à partir des années 1970, les scientifiques conservent encore aujourd’hui une aura remarquable au sein de notre société. Les muséologues, quant à eux, sont des « touche-à-tout » issus tantôt de l’art, tantôt des sciences. Lors de leurs recherches bibliographiques sur un sujet d’exposition, la plupart de leurs lectures les mènent bien souvent aux « leaders » des disciplines concernées, personnages médiatiques à l’origine de nombreuses publications comme nous l’avons vu. Le muséologue se comporte souvent en béotien face au scientifique, dont il pense obtenir à coup sûr les informations les plus dignes de confiance. Nos différents entretiens avec des muséologues nous ont montré que cette attitude les conduit, parfois malgré eux, à ne présenter qu’une part incomplète de la recherche scientifique, généralement la plus en vue dans la communauté scientifique.

3.3 Projet d’exposition « Des Bêtes et des Hommes » à la Grande Halle de la Villette

Le projet d’exposition « Des Bêtes et des Hommes » va prendre place pour la réouverture de la Grande Halle de la Villette de Paris à l’automne 2007. La Grande Halle est ordinairement réputée pour ses expositions « différentes », mêlant harmonieusement les sciences aux arts. L’un des chercheurs « structuralistes » sus-cités a donc proposé ses services pour fournir les contenus des textes et des vidéos de l’exposition dans la partie sur le comportement animal, en affichant clairement le parti pris différent de son laboratoire, mais en pensant cadrer d’autant mieux avec l’esprit du lieu. Suite à une réflexion menée avec son équipe sur ce projet, il a proposé un canevas détaillé de cette partie, mais la réponse des conceptrices de l’exposition est revenue rapidement et sans appel : cette manière de présenter les animaux n’était pas celle qu’elles souhaitaient présenter au public. Voici un extrait d’entretien avec ce chercheur, et la manière dont il a vécu les choses : « DNB : Vous disiez clairement : c’est une alternative à ce qui se dit actuellement ?

JFG : Oui, en étant parfaitement clairs, en essayant d’apporter des arguments, et en termes de manips qui seraient bien, soit de raconter soit de pouvoir montrer, soit de bon… Et les deux nanas nous ont plantés, en nous disant : « Vous prenez les animaux pour des imbéciles, pour des idiots,

tout le monde nous dit qu’ils résolvent des problèmes pas possibles, et vous nous racontez le contraire ! ». Tu vois ! Et on s’est fait [rejeter] (…) Alors qu’a priori, l’esprit de la maison, ce n’est

pas de présenter les trucs que tout le monde sort, c’est de faire quand même un peu plus original ! »

Encore une fois, il semble difficile de faire parvenir jusqu’au public l’intégralité des informations sur les recherches scientifiques. Les raisons sont ici clairement avouées : c’est un refus net de présenter une vision des choses trop à la marge, perçue sans doute comme pas assez représentative des recherches actuelles en éthologie animale. Il est intéressant de noter qu’au confort intellectuel des chercheurs travaillant dans un paradigme fort se retrouve en miroir une « facilité » des muséologues à exposer une représentation du vivant consensuelle, plus plaisante bien que partielle.

(9)

Le muséologue choisit pour de multiples raisons (ne serait-ce déjà que pour la facilité de se procurer une littérature abondante sur le sujet) le point de vue le plus séduisant pour lui-même comme pour son public cible. Aussi, ce sont fréquemment les paradigmes dominants qui sont présentés, mais malheureusement de façon dogmatique, sans recul ni confrontation entre différents points de vue. Dans ce cas précis, un entretien plus complet avec les deux conceptrices de l’exposition est prévu pour connaître les arguments précis conduisant à un tel rejet.

4. CONCLUSION

Il semble important de noter deux attitudes dans la mise en exposition des paradigmes synchroniques de l’éthologie animale. Dans un premier cas, le seul paradigme fonctionnaliste est présenté sans jamais faire mention des deux autres paradigmes. Dans un second cas, plusieurs courants sont présentés en même temps, sans que le média ne précise pour autant qu’il s’agit de paradigmes différents, avec des présupposés épistémologiques différents (Tableau 2).

Tableau 2 : Typologie indicative de différentes situations de médiation muséale de l’éthologie animale Paradigme fonctionnaliste Paradigme auto-organisationnel Paradigme structuraliste « Parades » X

« Les Sociétés Animales » X x

« Des Bêtes et des Hommes » X ?

Ainsi, on s’aperçoit que loin d’être un processus linéaire, la transposition médiatique de l’éthologie animale soulève un ensemble de nouvelles questions. En effet, la mise en exposition de cette discipline scientifique nous permet notamment de réinterroger les objectifs de la vulgarisation scientifique de l’éthologie animale. Quels enjeux vise-t-on en vulgarisant cette science ? Comme nous l’avons vu, les enjeux sociaux ont une part importante dans ce processus, en termes de reconnaissance sociale et institutionnelle des chercheurs, qui utilisent encore les expositions comme autant de vitrines pour les courants qu’ils défendent. Mais alors, qu’en est-il de la neutralité du chercheur quand il fait de la vulgarisation, et du degré de dogmatisme qu’il emploie à développer l’actualité de sa discipline ? Ne contribue-t-il pas à faire passer d’emblée les courants minoritaires pour inexacts ? Ce sont toutes ces problématiques que pose la médiation muséale d’une discipline qui, à première vue, ne soulève pas de questions socialement vives et n’a pas une très forte actualité scientifique.

(10)

BIBLIOGRAPHIE

MARTIN O., 2005. Sociologie des Sciences. Éditions Armand Colin, Collection 128, Paris, 128 p. MORANGE M., 2005. Les secrets du vivant. Contre la pensée unique en biologie. Éditions La

Figure

Tableau 2 : Typologie indicative de différentes situations de médiation muséale de l’éthologie  animale  Paradigme  fonctionnaliste  Paradigme  auto-organisationnel  Paradigme  structuraliste  « Parades »  X

Références

Documents relatifs

2 Rédigé par les infirmiers eux-mêmes au cours d’un processus collaboratif mis en œuvre par l’Ordre au sein de son organisation réunissant l’avis et les

L’IADE reste seul compétent pour assurer, en SSPI, les actes relevant des techniques d’anesthésie générale, d’anesthésie locorégionale et réinjections dans

Pourquoi  Pour que les agents des trois versants de la fonction publique bénéficient des mêmes droits que les salariés du secteur privé ;  Pour améliorer

La possession d’un médicament destiné à un trai- tement dit « de réserve » en zone d’endémie palus- tre peut se justifier lors d’un séjour de plus d’une semaine

Actually such a phenomenon may well occur mainly due to a lack of organizational control over collaborative environments, in which knowledge appears to be too

To be able to establish this link between the organizational change and the openness towards new ideas and practices, we will have recourse to training as it

Or, comme nous le verrons au paragraphe 56, si x décrit une seule fois un petit cercle (G) autour de X, chacune des branches voisines de o prend comme valeur finale la valeur

En intervenant dans les écoles et en démontrant à l’avance que le terrorisme n’est pas prôné par l’islam, cela donnera aux jeunes le savoir suffisant pour démonter eux-mêmes