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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Divin par l'esprit, singe par le corps ? La difficile place de l'homme dans la classification des êtres vivants aux XIXe et XXe siècles

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

DIVIN PAR L’ESPRIT, SINGE PAR LE CORPS ? LA DIFFICILE

PLACE DE L’HOMME DANS LA CLASSIFICATION DES ÊTRES

VIVANTS AU XIX

e

ET XX

e

SIÈCLES

Marie-Pierre QUESSADA, Pierre CLÉMENT

LIRDEF - IUFM Montpellier, LIRDHIST - Université Lyon 1

MOTS-CLÉS : CLASSIFICATION DE L’HOMME – ENSEIGNEMENT SECONDAIRE – PROGRAMMES – MANUELS SCOLAIRES – ÉPISTÉMOLOGIE

RÉSUMÉ : Une étude épistémologique analyse les obstacles qui se sont opposés à la classification zoologique de l’Homme. Une analyse des programmes scolaires du 19e et du 20e siècle et de quelques manuels scolaires précisera comment s’y répercutent les controverses scientifiques.

ABSTRACT : We first used an epistemological approach to analyse the obstacles to a zoological classification of the human species. Then an analysis of the scholar curricula during the 19th and 20th centuries, and of some scholar textbooks, shows how these scientific controversies were treated

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1. INTRODUCTION

La place de l’homme dans la taxonomie des êtres vivants est un sujet récurrent depuis l’introduction de l’histoire naturelle dans l’enseignement secondaire en France au début du 19e siècle. C’est un domaine dont l’évolution témoigne des grands changements conceptuels des sciences du vivant. La systématique descriptive a progressivement été remplacée par une systématique plus dynamique, phylogénétique, fondée sur l’évolution des espèces. La place de l’homme dans cette taxonomie concerne aussi des valeurs qui touchent au statut de l’humain. Comment s’effectue la transposition didactique des connaissances et valeurs relatives à la place de l’homme dans la classification, dans les programmes du secondaire ?

Nous avons d’abord effectué une étude épistémologique sur la classification de l’Homme. Puis nous avons analysé l’évolution des programmes du secondaire sur ce sujet, durant le 19e et 20e siècles, en nous appuyant sur quelques manuels scolaires.

2. LA PLACE DE L’HOMME DANS LA CLASSIFICATION DES ÊTRES VIVANTS

L’approche historique amène à formaliser en termes d’obstacles épistémologiques (Bachelard 1938) les systèmes de valeurs (croyances, idéologies) qui se sont opposés à l’éclosion ou à la diffusion de nouvelles conceptions sur la place de l’homme dans le monde vivant.

2.1 Le dépassement par Linné de la coupure Homme - Animal,

obstacle à l’intégration de l’espèce humaine dans une classification zoologique

Dans la Bible, l'Homme fait l'objet d'une création spéciale. Il est caractérisé par sa ressemblance avec Dieu ce qui le met à l'écart des autres espèces vivantes. C’est cette conception de l’Homme, différent de l’animal, qui domine le monde occidental pendant plus de 1500 ans. Au 18e siècle, Linné inclut l'Homme dans les Mammifères Primates. Il pensait que les espèces étaient des créations permanentes ; son travail de classification par la méthode comparative ne visait qu'à dévoiler le dessein de Dieu. Ainsi investi de cette mission divine, il s’affranchit de tous les obstacles et s’autorise à rapprocher l’Homme des singes. Dans le genre Homo, il distingue deux espèces,

Homo diurnus sapiens pour l’homme et Homo nocturnus sylvestris pour l’orang-outan (Linné,

1735).

2.2 Le fixisme, obstacle à une classification phylogénétique de l’Homme

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rejoint le chimpanzé et le gorille dans le groupe des Quadrumanes. Cuvier, fixiste convaincu, paléontologue niant l’existence d’un homme fossile, isole l’Homme dans le groupe des Bimanes dont il est l’unique représentant (Cuvier, 1817). C’est le dernier rempart à un rapprochement phylogénétique de l’Homme et des grands singes. C’est Darwin qui propose, un siècle après Linné, de retrouver la classification de l’Homme dans l’ordre des primates. « Si l’Homme n’avait pas été

son propre classificateur, il n’aurait pas songé à fonder un ordre séparé pour s’y placer. »

(Darwin, 1871).

2.3 Le concept de races humaines, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, obstacle à la reconnaissance de différentes espèces d’hominidés

Au 19e siècle, les théories de l’évolution amènent à envisager des relations de parenté entre l’Homme et les autres êtres vivants. Les découvertes paléontologiques, en particulier celle de l’Homme de Neandertal, font émerger l’idée des hommes préhistoriques. Ils sont classés en différentes races d’Homme. En effet, durant le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle, c’est une représentation hiérarchisée des « races » humaines qui sert de modèle explicatif à la diversité des populations humaines. Les différentes formes humaines fossiles sont donc ajoutées aux différentes races humaines déjà décrites. Il y a un amalgame entre évolution biologique et évolution culturelle. « Dans un avenir prochain, si nous comptons par siècles, les races humaines civilisées

auront très certainement exterminé et remplacé les races sauvages dans le monde entier. Il est à peu près sûr que les singes anthropomorphes auront aussi disparu. La lacune sera beaucoup plus considérable entre la race humaine qui, nous pouvons l’espérer, aura alors surpassé la race caucasienne, et quelque espèce de singe inférieur, au lieu que actuellement la lacune n’existe qu’entre le Nègre ou l’Australien et le Gorille. » (Darwin, 1871). Après la deuxième guerre

mondiale, ce n’est qu’avec l’abandon du concept de « race humaine » que les différentes formes humaines fossiles vont être reconnues comme des espèces à part entière, ce qui aboutit à la création de la famille des hominidés composée de plusieurs espèces du genre Homo et du genre

Australopithecus.

2.4 La biologie moléculaire à l’assaut du refus d’une ascendance simiesque et de la croyance en la noblesse de l’homme, obstacles à une classification phylogénétique rapprochant

l’Homme des grands singes

En 1967, les biochimistes Wilson et Sarich datent, par l’étude comparative des protéines de primates, la séparation de l’Homme et des singes à environ 5 millions d’années (Leakey, 1997) alors que les paléontologues dataient cette séparation à 15 millions d’années à partir d’une interprétation des données fossiles basée sur l’idée d’une évolution biologique spéciale pour

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l’Homme. Introduite par Darwin (1871), particulièrement en vogue au début du 20e siècle sous la dénomination de la « doctrine de la transformation harmonieuse » (Gould, 1979), l’idée de l’apparition puis de l’évolution simultanée des caractéristiques humaines permet d’imaginer une ascendance honorable, intelligente, bipède et disposant d’outils. Les comparaisons moléculaires, aujourd’hui étendues au génome tout entier, ont conforté ce rapprochement de l’Homme et du chimpanzé. Lecointre et Le Guyader (2001) ont proposé une nouvelle classification phylogénétique, basée sur la méthode cladistique, qui regroupe Homme et chimpanzé dans la famille des hominidés. Le groupe humain, nommé suivant les auteurs « Hominines » ou « Homininés » (Langlois, 2004), s’est considérablement enrichi du fait des récentes découvertes paléontologiques : outre les genres Homo et Australopithecus on y retrouve de nouveaux genres comme Paranthropus, Orrorin,

Ardipithecus, Sahelanthropus et Kenyanthropus (Picq, 2002) Après avoir décrypté le code

génétique du chimpanzé une équipe de biologistes américains propose de classer ces animaux dans le genre Homo (Galus, 2003). Cette proposition contestée par les primatologues et les anthropologues nous ramène à celle de Linné : 250 ans ont été nécessaires pour que l’obstacle épistémologique au rapprochement de l’homme et du singe soit franchi par la communauté scientifique !

3. L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE AUX 19e et 20e SIÈCLES : LA PLACE DE L’HOMME DANS LA TAXONOMIE

3.1 L’influence prépondérante de la classification de Cuvier au 19e siècle

En 1819, pour la première fois, de véritables programmes de sciences physiques qui incluent l’histoire naturelle sont rédigés par la commission de l’instruction publique présidée par Georges Cuvier (Belhoste, 1995). Cuvier a, certainement, fortement contribué à la rédaction des programmes de zoologie divisés en deux parties : la première est consacrée aux animaux et la seconde à l’Homme. C’est « sa nature particulière, distincte des animaux par son essence » qui doit être étudiée. L’obstacle qui sépare l’Homme de l’animal n’est franchi qu’en 1833 quand le programme d’histoire naturelle propose une classification où l’Homme est inclus, au sein des Mammifères, dans l’ordre des Bimanes. Cette classification est toujours proposée dans un manuel datant de 1883 (Hément, 1883).

3.2 L’absence d’une approche phylogénétique jusqu’en 1960

Si l’homme préhistorique fait son entrée dans les programmes du secondaire en 1885, ce n’est qu’en 1898 que l’étude de « l’apparition de l’Homme » est au programme. En 1915, dans le manuel

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Caustier, les diverses races de l’Homme quaternaire, avec la race de Néandertal et Cro-Magnon sont étudiées. De 1915 à 1958, il n’y a pas dans les programmes d’enseignement de l’évolution humaine (Quessada et Clément, 2004), pas de trace de sa place dans la classification d’un point de vue phylogénétique.

3.3 D’une classification phylogénétique anthropocentrée à la classification phylogénétique actuelle

L’expression « évolution de l’Homme » est utilisée pour la première fois dans les programmes de 1966 des classes de Terminale scientifique. C’est la conception évolutionniste d’un Homo sapiens, espèce issue d’une évolution biologique de la lignée des hominidés comprenant plusieurs espèces, qui figure dans les manuels de l’époque (Boué, 1967). Sur l’arbre phylogénétique proposé par ce manuel, la lignée des hominidés est séparée de celle des singes anthropoïdes depuis 25 millions d’années : c’est le signe de la persistance du refus d’une ascendance simiesque. La conclusion du chapitre est une envolée lyrique sur la noblesse de l’Homme qui dénote d’un anthropocentrisme très marqué : « En moins d’un million d’années, l’Homme a assis sa domination sur toute la Terre, et il

se lance maintenant à la conquête de l’Univers. ».

Dans le programme de 1994 (Bulletin Officiel n°6 du 9 Juin 1994), l’étude de la parenté de l’Homme et des singes induite « par la grande parenté entre leur matériel génétique » est, pour la première fois, un objectif de l’enseignement. Un autre objectif s’affirme dans ce programme : l’unité génétique de l’espèce humaine et donc implicitement la non validité biologique du concept de race humaine.

Le programme actuellement en vigueur (BO n°5 du 30 Août 2001) est extrêmement détaillé. « L’Homme est un eucaryote, un vertébré, un tétrapode, un amniote, un mammifère, un primate, un

hominoïde, un hominidé, un homininé ». Ce dernier terme indique que la place de l’homme dans le

règne animal est fixée d’après la classification de Lecointre et Le Guyader (2001) selon la méthode cladistique mais cette connaissance est décontextualisée et dépersonnalisée. La décontextualisation apparaît aussi pour d’autres notions : la divergence entre chimpanzé et homme est évaluée grâce aux comparaisons moléculaires sans que la précision ne soit donnée. C’est une conception évolutionniste non anthropocentrée de la classification de l’Homme qui transparaît. Cependant on peut déplorer le caractère dogmatique de l’intitulé relatif aux données phylogénétiques qui est cependant très fortement atténué par les accompagnements des programmes « Ainsi l’élève doit-il

saisir qu’un arbre phylogénétique n’est pas une donnée à l’état brut, mais qu’il est toujours inféré à partir de données. ».

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3. CONCLUSION

Le chemin a été long et semé d’obstacles avec notamment le paradoxal avant-gardisme de Linné, pourtant fixiste et spiritualiste. Ses propositions restent d’actualité. Cependant, l’approche moléculaire ne laisse plus de doute quant à la parenté entre grands singes et Hommes. Les programmes et manuels ont durant ces deux derniers siècles suivi ces évolutions, avec des silences (une partie du 20e siècle) ou des délais didactiques, témoignant des enjeux de valeurs liés à ces connaissances scientifiques. Ces délais sont aujourd’hui très courts et les propositions les plus récentes des chercheurs sont reprises dans les programmes, sans recul épistémologique et historique. La question qui se pose est celle des conceptions des enseignants qui ont à prendre en compte des connaissances scientifiques rapidement renouvelées et mettant en jeu des valeurs touchant au statut de l’humain : divin ou humain par l’esprit, singe ou humain par le corps ?

BIBLIOGRAPHIE

BELHOSTE B. (1995). Les sciences dans l’enseignement français : Textes officiels, 1789-1914. INRP/Economica.

BOUE H. et col. (1967). Biologie – Terminale D. Paris : Hachette.

CAUSTIER E. (1915). Géologie à l’usage des élèves de quatrième A et B. Paris : Vuibert.

CUVIER G. (1817). Le règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à

l’histoire naturelle des animaux et d’introduction à l’anatomie comparée. Paris : Deterville.

DARWIN C. (1871). La descendance de l’Homme. Paris : Reinwald, édition 1891.

GALUS C. (2003). Les humains seraient des chimpanzés « légèrement modifiés ». Le monde, 27 Juin, 25.

GOULD J. S. (1979). Darwin et les grandes énigmes de la vie. Paris : Seuil, 57-63. HEMENT F. (1883). Premières notions d’histoire naturelle. Paris : Delagrave. LEAKEY R. (1997). L’origine de l’humanité. Paris : Hachette Littérature.

LECOINTRE G., LE GUYADER H. (2001). Classification phylogénétique du vivant. Paris : Belin. LANGLOIS C. (2004). L’évolution du rameau humain. Bulletin de l’A.P.B.G, 2, 301-321.

LINNÉ C. (1735). Systema naturae per regna tria naturae Tomus I, [Regnum animale]. [Pars I] Num. BNF Reprod. de l'éd. 1766 de Holmiae, impensis Laurentii Salvii.

PICQ P. (2002). Une évolution buissonnante. Pour la science, 300, 34.

QUESSADA M.-P, CLEMENT P. (2004). French teaching on human origins : an analysis of syllabi during the 19th and 20th centuries. Colloque ERIDOB 2004.

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