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Evaluation des politiques sociales et logiques d'action économique Vol. 1. Le cas du RMI

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(1)

CAHIER

RëCHERCHE

AVRIL 92

N° 33

C R E o O C

'Bibliothèque "

'^r,^u

Chevaleret

T,.

^5j13 PARIS

Téi- : (1) 40 77 85 06

EVALUATION DES POLITIQUES SOCIALES

ET LOGIQUES D’ACTION ECONOMIQUE . 1

LE CAS DU R.M.

Christine Le Clainche

Département "Evaluation des Politiques Sociales

Crédoc - Cahier de recherche.

33. Avril 1992.

Nc

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Centre de Rechi pou Etude et l'Observation des Conditions de Vie

EVALUATION DES POLITIQUES SOCIALES

ET LOGIQUES D’ACTION ECONOMIQUE . 1

LE CAS DU R.M.I.

Christine Le CLAINCHE Département “Evaluation

des Politiques sociales”

Secrétariat : Christiane DL'BOIS AVRIL 1992

142

,

rue du Chevaleret

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2

Ce travail a bénéficié d'un financement au titre de la subvention recherche attribuée au CREDOC par le Commissariat Général du Plan.

Il a été réalisé dans le cadre du département Evaluation des Politiques Sociales dirigé par Michel LEGROS.

Il a bénéficié des remarques de André BABEAU, Robert BOYER, François GARDES, Nicolas GRAVEL et Serge-Christophe KOLM. Qu’ils en soient ici remerciés.

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3

SOMMAIRE

Page

INTRODUCTION S

Premier Chapitre CONCERNEMENT COLLECTIF ET REDISTRIBUTION 1 5 1 . CONCERNEMENT COLLECTIF ET PRESTATIONS

MONETAIRES 1 7

1 - I Comportements altruistes et valorisation du

revenu minimum 2 0

1- 2 Intérêts et limites de l'explication par l’existence

des comportements altruistes 2 2 2. REDISTRIBUTION, PRESTATIONS EN ESPECES ET

PRESTATIONS EN NATURE 2 3

2- 1 Les prestations en espèces 2 5 2-2 Prestations en espèces et prestations en nature 2 5 2-3 Application : les prestations d'insertion du RMI 2 8

Deuxième chapitre CONTRAT SOCIAL ET REVENU MINIMUM 3 3 1 . LE CONTRAT SOCIAL RAWLSIEN 3 6 1 -1 L’aversion pour le risque individuel 3 7 1- 2 Rawls et le revenu minimum 3 8 2 . CONTRAT SOCIAL ET OBLIGATIONS CONTRAC­

TUELLES : VARIATIONS A PROPOS DE L’EFFORT,

DES CONTRIBUTIONS ET DU STATUT SOCIAL 4 0

Troisième chapitre REVENU MINIMUM ET BESOINS FONDAMENTAUX 4 3 1 . DE LA DEFINITION A L’EVALUATION DES

BESOINS FONDAMENTAUX 46

2 . LES METHODES UTILISEES 4 7

2 - 1 Les approches a priori 4 8

2- 1-1 L’évaluation d’une norme objective des besoins 4 8

2-1-2 L’insertion des conditions de vie dans l’évaluation des

besoins fondamentaux 4 9 2-2 Les approches monétaires ou directes 5 0

Les analyses subjectives 5 0

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4

Quatrième chapitre LE MAINTIEN DES INCITATIONS : DETERMINANT POUR LA FIXATION D’UN NIVEAU DE PRESTATIONS

DE REVENU MINIMUM 5 5

1 . BAREME DU RMI ET NIVEAU DE SALAIRE

MINIMUM 5 8

2 . IMPOT NEGATIF ET CHOIX DES OBJECTIFS A

SATISFAIRE 5 9

3 . L’INTERESSEMENT DANS LE RMI : UN MODELE

EDULCORE D’IMPOT NEGATIF 6 2

CONCLUSION 65

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7

Depuis plus de deux années, le département Evaluation des Politiques Sociales du CREDOC a engagé une série d'études à caractère évaluatif sur le R.M.I. et ses effets à la demande de la Commission Nationale d'Evaluation du R.M.I. et de différentes collectivités territoriales1, études dont l'objectif est d'apporter des informations sur la nature et l'intensité des effets sur les bénéficiaires de cette allocation et de ses prestations annexes. A l'occasion de chacune de ces études, deux problèmes sont apparus dont la résolution nous semble au cœur de la maîtrise des processus évaluatifs, le premier de ces problèmes réside dans la construction de la relation entre les actions menées et les effets repérés et mesurés sur les personnes qui subissent ces actions. Le second problème est relatif à la place certainement trop faible occupée par le recours à la théorie dans l'élaboration du recueil de l'information servant de support à l'évaluation.

1 - L’EVALUATION DANS LA RELATION ACTIONS-EFFETS

J-P. NIOCHE et R. POINSARD2 dès 1984 indiquaient qu"‘évaluer une politique publique, c'est reconnaître et mesurer ses effets propres". A cela le rapport VIVERET ajoutait, quelques années plus tard, une clarification et une source d'ambiguïté.

La clarification s'opère par un retour à l'étymologie. Evaluer, -ex-valuare- c'est bien conférer de la valeur aux gens et aux choses et du sens aux événements. Cette tâche résulte d'un acte de jugement. Le rapport VIVERET, non seulement, revient sur le sens de l'évaluation mais propose une méthode d'accord sur le processus de reconnaissance de la valeur : une pratique démocratique et pluraliste. La source d'ambiguïté apparaît avec la coupure rendue nécessaire entre l'acte de jugement et ses prolégomènes que sont les études et travaux préparatoires au jugement. Renforçant la dimension de jugement de l'évaluation Patrick VIVERET fait glisser la spécificité de l'évaluation de la construction des outils d'évaluation à la procédure même qui préside au jugement des évaluateurs.

1 Suivi d’un panel d’allocataires à la demande de la Commission Nationale d'Evaluation du R.M.I..

Etude sur le R.M.I. et la population pénale à la demande de la Commission Nationale d'Evaluation du R.M.I. et du Ministère de la Justice.

Etude sur l’état de santé des allocataires du R.M.I. à la demande du Conseil général du territoire de Belfort. Etude sur les anciens allocataires du R.M.I. à la demande du Conseil général du département du Val-dc-Mame. ^ NIOCHE J-P. et POINSARD R. (ed). L’évaluation des politiques publiques. Economica, 1984.

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Dans cette perspective toute étude peut concourir à l’évaluation et toute étude devient évaluative lorsqu'elle est finalisée par le souci de servir de pièce à conviction au moment de la formation du jugement. Un pas plus avant et le risque existerait de glisser de la recherche d'outils spécifiques à l’évaluation à une ingénierie évaluative ou l'évaluation ne serait plus que la somme des précautions à prendre pour permettre aux acteurs de conférer du sens aux dispositifs qu’ils gèrent ou dans lesquels ils se trouvent insérés.

Si cette démarche peut être parfois employée et même théorisée1 elle ne peut résumer la totalité de l’évaluation sous peine de confondre régulation des politiques et évaluation des effets des interventions. Nous savons depuis les travaux développés par les tenants de la sociologie des organisations que les stratégies des acteurs peuvent constituer la source des régulations à court terme sans que la question des effets viennent interférer avec les logiques de conduite des interventions. Rappelons enfin que le même rapport VIVERET concluait à la nécessité d'une séparation entre les instances chargées de l'évaluation d'une politique et le dispositif qui conduit cette politique. Par ailleurs, rappelons qu'à la suite du rapport VIVERET, un dispositif institutionnel et scientifique a été instauré (Comité Interministériel d'Evaluation des Politiques Publiques et Conseil Scientifique de l'Evaluation). Dispositif dont la finalité est précisément de veiller à la rigueur scientifique des programmes d’évaluation financés par cette instance.

Cette perspective évaluative purement dynamique étant écartée, du moins provisoirement1 2, il est alors possible de revenir à une conception de l’évaluation proche de celle énoncée dans le rapport, DELEAU, NIOCHE, PENZ et POINSARD3. Dans cette perspective, l'évaluation suppose de rechercher, de décrire et d'analyser les effets propres d'une politique. Parler des effets d'une politique revient à postuler l'existence d'une liaison entre le contenu de la politique et des changements d'états du champ auquel s'applique cette politique. La logique d'évaluation ainsi décrite suppose que l’on admette l'existence d’une relation entre politique et effets. Que cette liaison soit appréhendée comme une causalité univoque ou comme la résultante complexe d'un ensemble de mouvements. Chaque étude évaluative se trouve confrontée à une recherche de corrélations voire de causalités entre un ensemble d'effets et une politique.

1 Voir de ce point de vue les travaux du CSTB.

2 Le département Evaluation des Politiques Sociales expérimente actuellement une démarche consistant à juxtaposer une évaluation dynamique et une évaluation récapitulative sur une opération de type développement social des quartiers dans une ville de la région Centre.

^ DELEAU, NIOCHE, PENZ et POINSARD, L'évaluation des politiques publiques. Commissariat Général du Plan, mai 1985.

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Les effets peuvent être décrits à partir d'une agrégation des écarts d'états, constatés à des moments différents, sur la population bénéficiaire de la politique. Cette population pouvant être un ensemble d'individus, un ensemble de ménages, voire toute autre unité à laquelle s'applique une politique. Si le repérage et la mesure de ces effets peuvent poser différents problèmes techniques, la plupart des études évaluatives insistent fortement sur la description de la diversité des effets et fournissent un matériel suffisamment riche pour pouvoir créer des typologies d'effets ou pour permettre une modélisation. La connaissance et la mesure des effets sont les thèmes les mieux développés de l'évaluation.

En revanche, la question de l'action reste mal traitée. Deux approches sont d'ordinaire privilégiées. La première fait de l'action une véritable boîte noire ne considérant que les effets et niant toute diversité dans l’application de la politique. Ainsi le versement de l'allocation de parent isolé (API) se résume au virement d'une prestation sous condition à une population, il n'apparaît pas nécessaire de prendre en compte pour en analyser les effets d'autres dimensions que le montant versé. Cette absence de prise en compte de la diversité des actions est souvent justifiée au nom du principe de l'égalité de tous devant le service public. La seconde approche s'intéresse à l'action du point de vue de sa production organisationnelle et possède deux versants. Le premier, sociologique, met l'accent sur les stratégies des acteurs et fait résulter l’intervention des compromis passés entre des groupes d’acteurs à rationalité limitée. Le deuxième tirant l'organisationnel vers le managérial s'intéresse aux dysfonctionnements de l'organisation et cherche à les réduire par une meilleure allocation des ressources économiques et humaines. L'audit en constitue la traduction opératoire.

Notre expérience de l'évaluation des politiques d’action sociale suggère une autre approche dont l’hypothèse centrale est que les bénéficiaires d’une politique sociale n'en subissent pas tous les actions de manière identique. Outre les cas, évidents, où la mesure n’est pas distribuée de façon identique parce que le législateur a prévu qu'il en soit ainsi, il arrive qu'une mesure s’applique de façon dissemblable à des individus dont on pourrait penser -a priori- qu’ils ont les mêmes droits à faire valoir. La proximité des bénéficiaires aux institutions, les attitudes différentielles des personnels chargés de distribuer la prestation, les stratégies différentes des segments institutionnels chargés de gérer cette politique créent des facteurs de clivages. Cette situation, observable dans les politiques sociales classiques est amplifiée considérablement dans les politiques sociales transversales où les acteurs de terrain disposent d'une marge considérable dans la mise en œuvre de politiques définies plus dans leur cadre général que dans leurs modalités concrètes d'application. Les opérations de développement social des quartiers, les actions menées dans

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les zones d'éducation prioritaire, et plus récemment l'instauration du Revenu Minimum d'insertion appartiennent à ces politiques qui laissent une place importante à la territorialisation de l'intervention sociale et, par conséquent, à une segmentation de l'action selon les quartiers et les personnes.

Si l'on veut, par conséquent, analyser la nature et l'intensité du lien entre l'action et l’effet, il importe de ne pas figer la lecture de l'action, ni dans une totalité sans faille, ni dans un fonctionnement interne sans conséquences différenciées sur le bénéficiaire de la politique sociale. Soumettre l'action à une grille d'analyse de ses différentes logiques et de sa complexité nous semble être un préalable pour pouvoir réaliser une démarche d'évaluaton des effets de cette action. La difficulté réside alors dans la reconstruction théorique de l'action là où il n'y a le plus souvent qu'empirisme, idéologie ou réponse inventée dans l'urgence de la demande sociale.

2 - CONSTRUCTION EMPIRIQUE ET LECTURE THEORIQUE DE L’EVALUATION

En matière d'évaluation, le point de vue théorique peut être appréhendé à quatre niveaux différents. Il peut être d'abord inscrit dans la construction des effets de l'intervention sociale. L'effet peut se lire en terme de système théorique formalisé et les politiques sociales produisent alors, selon les auteurs et les périodes, un accroissement ou une réduction des inégalités sociales, elles contribueront à la reproduction des classes sociales ou développeront le contrôle social. Dans la période actuelle, le concept fédérateur bien que nettement moins théorisé serait plutôt à situer du côté de l'insertion. La grille de lecture des effets sera traitée à partir de ces différents ensembles conceptuels. Notons qu'il s'agit plutôt d’une grille de lecture des effets plutôt que d'une grille présidant à l'élaboration des outils de recueil de l'information. Pour le R.M.I., mais également pour d’autres évaluations des politiques sociales, le concept d'évaluation pluraliste se traduit plus par une juxtaposition des indicateurs d'effets plutôt que par une confrontation des théories1. En matière d'analyse des effets, la production très importante de travaux portant sur le R.M.I. a jusqu'alors été marquée par un faible renouvellement théorique.

1 De ce point de vue le programme conduit par la MIRE et le Plan Urbain et analysant sur différents sites le fonctionnement du dispositif gestionnaire du RMI est parfaitement significatif.

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La construction des relations entre les acteurs et les effets mobilise également une démarche théorique. Cette démarche s'opère toujours dans le cadre d'un même paradigme de base : le déterminisme tempéré. Nul n'avance plus l'idée d'un déterminisme absolu et nul ne pense que l'évaluation soit impossible faute de régularités. La force de ce déterminisme permet toutefois de distinguer les différents programmes d'évaluation. Ainsi, on peut opposer les travaux de Jean-Marc DUTRENIT1 qui associent très étroitement et parfois mécaniquement le développement des modes d’action et l’émergence des effets et pour lesquels du degré d’application des modes d’action aux clients dépend de manière stricte l'intensité des variations d'état du client aux travaux portant sur l'évaluation des opérations de Développement Social des Quartiers. Pour ces derniers, il faudrait plutôt parler d une causalité molle tant les liaisons et les variables en jeu apparaissent multiples et incertaines. A mi-chemin de ces deux démarches, les travaux de Jean-Claude RAY (et al.) sur les effets de l'allocation de parent isolé se situent dans un système d'explication causale exploré par les économistes dans le cadre de la définition et de la mesure de l'offre individuelle de travail fondée sur une analyse micro-économique. L'intérêt de cette étude est d'apporter une réponse élégante en ne s'intéressant pas à la désincitation au travail mais plutôt à l'absence de désincitation en recourant à une modélisation de type économique aboutissant à un système d'équations simultanées. Cette construction théorique de la causalité est rarement explicitée dans les travaux à caractère évaluatif, elle nous semble pourtant constituer une des clés de la réussite des programmes d'évaluation. Il

Il faut distinguer entre la construction théorique de la causalité et la méthodologie de la construction pratique de cette même causalité. Dans le premier cas, on se préoccupe des mécanismes conceptuels qui fondent la causalité, ou tout au moins la présence des régularités, dans le second cas, il faut s'interroger sur les techniques qui permettent de construire cette corrélation. Il ne s'agit pas de rechercher l'improbable méthode évaluative mais bien de s'interroger sur la construction même des méthodes, lesquelles ne peuvent se confondre avec l'art de les mettre en œuvre, c'est-à-dire l'ingénierie d'évaluation. Pour avancer dans cette direction, indiquons que deux démarches sont tentées par les producteurs d'évaluation. La première privilégie une approche holistique. Utilisée aussi bien par des sociologues que par des économistes, elle tend à globaliser les effets et les actions pour ne s'intéresser qu'aux agrégats qui les résument. L'augmentation du nombre de contrats de qualification réduit le chômage des moins de 25 ans, l'accroissement du partenariat institutionnel favorise l'apparition de nouveaux métiers du social, sont parmi d’autres des propositions issues de cette construction méthodologique. A l'inverse, il faut opposer une

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construction individualiste de l'évaluation. Il ne s'agit pas d'appliquer les principes de l'individualisme méthodologique pour comprendre le fonctionnement des acteurs mais bien d'utiliser l'individualisme comme outil de construction méthodologique. Chaque individu, ou chaque unité entrant dans le champ de l'évaluation doit, dans cette hypothèse, faire l'objet d’un recueil d'information tant du point de vue de l'action que du point de vue des effets. Si le panel RMI-CREDOC obéit à cette logique, on trouve, en revanche, d'autres travaux qui adoptent une perspective holiste pour analyser le rapport action-effet1.

Le dernier problème théorique auquel nous avons été confrontés lors de la mise en oeuvre de la construction des différents dispositifs d'évaluation du RMI est celui du déficit des théories de l'action. L'action semble ne pas pouvoir se penser autrement que dans la description empirique des différentes mesures qui la compose. Or les sciences sociales disposent d'outils permettant de décrire l'action. Paradoxalement dans la conduite des évaluations ces références semblent oubliées au moment de la construction des grilles, indicateurs et questionnaires qui permettent ensuite de décrire l’action.

Cette démarche n'ayant pas été mise en œuvre a priori dans la construction des questionnaires du panel, il nous a semblé important de ne pas abandonner ce problème sous peine de recommencer au même niveau dans les prochaines études.

Cela implique que soient étudiés non seulement les effets primaires ou secondaires (dus à l'introduction de modifications à la marge dans les principes de départ) du dispositif, mais également que soient mis à plat les fondements théoriques qui le légitiment. Parmi ceux-ci, on peut invoquer ceux ressortissant à la théorie économique, à la sociologie et à la philosophie politique. Ces voies distinctes de légitimation ex ante du revenu minimum parfois divergent mais peuvent également converger dans les conclusions auxquelles elles aboutissent. Des résultats convergents peuvent être alors considérés comme des résultats “forts" vers lesquels les principes de fonctionnement du dispositif doivent pouvoir se diriger. Ces appels à la théorie pour rationaliser ex ante les principes de revenu minimum permettent également d'expliquer ex post certaines actions que les dispositifs ont engendré.

Nous nous proposons ici, précisément, d'analyser les actions mises en oeuvre dans le cadre du dispositif du RMI français à la lumière des enseignements théoriques qui permettent de justifier l'attribution d'un revenu minimum. Nous ne prétendons pas être exhaustif dans l'exposé qui va suivre, les théories économiques, sociologiques ou

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philosophiques ne sont pas en effet réductibles à un corpus homogène au pouvoir explicatif égal. De même, le champ des connaissances est trop vaste pour être exploité en totalité1.

Mais pour apprécier les ressorts théoriques de ces actions il est utile de commencer par poser des cadres d'analyse généraux. C'est ainsi que nous rappellerons en premier lieu le cadre d'analyse économique des biens publics qui peut constituer un point de départ à toute légitimation de la redistribution. Nous verrons en outre que ce cadre permet également d'expliquer certaines des actions relevant du volet insertion du dispositif français de revenu minimum.

Nous invoquerons également les légitimations fondées sur les théories du Contrat Social dont la plus discutée est sans doute encore actuellement la Théorie de la Justice de John Rawls. Nous examinerons encore les analyses qui tentent de légitimer l’attribution d'une aide sociale ou d'un revenu minimum sur la base des contributions fournies par les bénéficiaires. Cette dernière tentative rejoint en outre les observations justifiant l’établissement d'un "contrat social" fondé sur la participation du plus grand nombre aux mouvements de la société2. Enfin nous distinguerons les voies de légitimation qui empruntent le terrain quelque peu mouvant de l'évaluation des besoins et en particulier des besoins fondamentaux.

Bien sûr, toutes ces théories peuvent apparaître plus ou moins rivales compte tenu des hypothèses sur lesquelles elles se fondent ou des critères qu'elles cherchent à satisfaire: on considère, par exemple, que l'hypothèse d'un degré d'altruisme important dans une économie est incompatible avec les théories -et la théorie de Rawls figure parmi celles-ci- qui considèrent les individus comme avant tout préoccupés par leurs intérêts personnels. De même les raisonnements que nous utiliserons très souvent se fondent sur des analyses en termes d'utilité qui peuvent entrer en contradiction avec des principes de philosophie morale ou politique, toutefois ces conflits seront mis en évidence3. Cependant, il reste tout à fait concevable de considérer comme pertinente chacune de ces explications, au moins dans une certaine limite, quitte ensuite à hiérarchiser les critères que l'on souhaite voir satisfaits.

1 Noire qualité d'économiste nous portera à privilégier l’approche économique, toutefois, nous ne traiterons pas ici ni des aspects macroéconomiques ni des problèmes de fiscalité qui sont également des questions importantes.

^ C’est d’ailleurs bien souvent la question du renforcement du lien social qui est avancée pour expliquer l’intérêt du volet insertion du RMI.

Alors que pour les économistes, le mode de pensée utilitariste est encore le mode dominant, il est rejeté par de nombreux philosophes, en particulier par les philosophes anglo-saxons.

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Ces voies de légitimation théorique étant ouvertes, il est nécessaire d'invoquer d’autres explications plus pragmatiques pour justifier les principes qui régissent le fonctionnement du dispositif français. Nous n'entrerons pas dans les modalités administratives de fonctionnement mais nous évoquerons plutôt les contraintes qui ont pesé sur la fixation d'un niveau de prestations: ces contraintes sont avant tout des contraintes d'efficacité-plus exactement de limitation des effets désincitatifs -dont l'écart recherché entre le niveau du SMIC et le niveau de la prestation de RMI constitue l'un des aspects, l'autre étant l'introduction d'un mécanisme d'intéressement dans le calcul du niveau de la prestation. Ces aspects sont, en outre, bien connus des prescripteurs et des évaluateurs du dispositif, nous ne ferons que les rappeler1.

La démarche que nous nous proposons de suivre est donc itérative. La première étape consiste à fournir des arguments généraux en faveur d'un revenu minimum puis, dans un second temps, il s'agira d'introduire des spécifications qui permettent d'évaluer la portée de certaines mesures mises en oeuvre.

1 Toutefois, les développements récents de la recherche en théorie des incitations peuvent peut-être ouvrir des perspectives nouvelles pour repenser le problème des incitations dans le cadre du dispositif RMI.

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PREMIER CHAPITRE

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1. CONCERNEMENT COLLECTIF ET PRESTATIONS MONETAIRES

Le cadre de l’analyse des biens publics permet de tirer des enseignements tout à fait intéressants en ce qui concerne les modalités alternatives de redistribution.

En effet, la prise en compte des phénomènes liés aux biens publics dans les modèles économiques a été très féconde depuis les années 60 pour expliquer la redistribution. Les travaux menés par Goldfarb (1970), par exemple, ont comparé l’efficacité obtenue par le biais de transferts charitables -ie non contraints- avec celle issue de transferts redistributifs - ie avec prélèvement de l'impôt1 .

Dès lors, il nous paraît intéressant d’expliquer l’attribution d'un revenu minimum à certains individus en s'inspirant de ce cadre d’analyse, le revenu minimum pouvant être considéré comme une modalité particulière de redistribution.

Toutefois, Il est nécessaire de distinguer entre deux types de comportements qui sont susceptibles d'expliquer l'allocation du revenu minimum.

Le premier type de comportement caractérise un individu qui en tant "qu’animal social” est préoccupé du sort des autres. Dans le cas présent, il est particulièrement concerné par le sort des pauvres1 2 * * * * 7 et souhaite voir celui-ci s'améliorer. Pour cela, il est prêt à payer, de façon à ce qu'augmente le revenu des pauvres. Nous qualifierons cet individu “d'altruiste" comme l’ont fait avant nous les économistes qui ont étudié des problèmes similaires. L'altruisme suppose que l'individu intègre dans sa fonction d'utilité un argument d'un autre ou d'autres individus. Cet argument de la fonction d'utilité peut consister en une

1 Reprenant les résultats obtenus par Hochman el Rodgers (1969) qui ont notamment montré qu'il était possible de concevoir une redistribution fondée sur des fonctions d'utilité interdépendantes qui soit Pareto optimale, Goldfarb s'attache à montrer que si l'on spécifie d'une certaine manière la forme des fonctions d’utilité- en particulier il ne faut pas que la satisfaction de l’individu riche augmente avec le bien-être et le revenu des autres riches mais seulement avec le revenu des pauvres et le sien propre - pour une taille suffisamment grande de la collectivité, l’efficacité susceptible d'être atteinte par la redistribution est plus forte oue celle rendue possible par la charité.

7 On considère comme pauvre un individu dont les ressources n’atteignent pas un niveau de revenu fixé, les autres étant qualifiés de "riches". Nous reviendrons un peu plus tard sur le problème de la détermination du seuil en deçà duquel les individus sont considérés comme "pauvres".

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quantité d'un bien ou en un certain niveau de revenu etc... D'autre part l'utilité marginale de l'individu altruiste par rapport à cet argument est nécessairement positive.1

Au second type de comportement, correspondent des motivations de nature différente de celles que suggère l'existence d'un “concernement" réel vis à vis du sort des pauvres. Le transfert peut être motivé par un désir de paix sociale, de démonstration de son appartenance sociale etc... Dans ces cas, le don d'un individu altruiste “i” peut très bien ne pas avoir la même valeur pour lui, que celle issue d'un don semblable de la part d'un autre individu, autrement dit, la somme versée par “i”, du point de vue de “i" a plus de valeur que si cette même somme était versée par un autre individu “j".

Nous nous intéresserons ici seulement au premier type de comportement qui suppose qu'un franc donné par l'individu “i" a la même valeur qu'un franc donné par “j". Généralisé à un nombre important d'individus dans la société l'existence de tels comportements conduit à considérer le revenu des pauvres comme bien public2. Par bien public, on entend un bien doté des caractéristiques suivantes: indivisibilité et impossibilité d'exclure quiconque du bénéfice du bien en question. Suivant les degrés de satisfaction de ces critères les biens publics sont plus ou moins purs. Pour le problème qui nous occupe, on parlera également de concernement collectif en reprenant le terme utilisé par Kolm (1968), Bénard (1985) et de nombreux économistes qui s’intéressent aux problèmes de l'économie publique3.

Certaines études empiriques mettent, par ailleurs, bien en évidence, ces dispositions “apparemment" altruistes des individus vis à vis de leurs semblables. Les études réalisées par le CREDOC dans le cadre des enquêtes “Aspirations et conditions de vie des Français" montrent que les individus interrogés sont d'accord avec l'attribution d’un revenu minimum. Ils valorisent d'autre part son montant à 10000F mensuel environ pour une famille avec deux enfants de moins de dix ans en 1990, soit bien au delà du barême d'attribution réel.4

1 Les auteurs qui ont particulièrement étudié ces phénomènes sont des économistes tels que Collard, Goldfarb, Becker etc... et en France, Kolm qui a publié de nombreux articles ou ouvrage sur ce thème.

^ On pourrait également concevoir que ce n’est pas le manque de revenu de certains individus qui produit des extemalités mais leur état de pauvreté qui constituerait alors un “mal public”. Les deux explications peuvent être considérées comme étant équivalentes. Toutefois il est encore nécessaire de distinguer les motivations sous-jacentes des individus récepteurs de ces extemalités .

^ Comme l’ont montré les économistes précités, le bien public est un cas extrême d’extemalités.

^ Résultat issu de Jean Luc Volatier: Pauvreté et revenu minimum d’insertion: attitudes et opinions. Crédoc, collection des rapports, n°104, juillet 1991. La question posée était la suivante: Quelle est à votre avis le revenu (par

mois) qui paraît vraiment le minimum, dans votre localité, pour une famille ayant deux enfants de moins de dix ans? On peut également consulter Viviane Payet-Thouvenot: le RMI à l’épreuve de l’opinion.

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Mieux encore, une large majorité de la population française est favorable à ce que les bénéficiaires du R.M.I. perçoivent un complément de prestation pendant une durée limitée s'ils trouvent un travail faiblement rémunéré. Dans l’enquête “Conditions de vie et aspirations des Français" 86% des enquêtés estiment cela tout à fait normal ou plutôt normal.

Si un bénéficiaire du RMI trouve un travail mais faiblement rémunéré, trouvez-vous normal qu'il perçoive un complément de R.M.I. pendant encore quelque temps :

En %

. Tout à fait normal 50,0

. Plutôt normal 36,0

. Plutôt pas normal 8,7

. Pas normal du tout 4,8

. Ne sait pas 0,5

ENSEMBLE 100,0

Source CREDOC - Enquête “Conditions de vie et aspiration des Français" - Jean-Luc VOLATIER.

Mais comme c'est le cas pour tout bien public, la mise à disposition du revenu minimum se heurte à des problèmes de recueil d'informations, d’hétérogénéité des préférences qui nécessitent l'intervention de l'Etat. En internalisant les extemalités, l'Etat se charge de la redistribution et contre les comportements de "passagers clandestins" (free riding) en opérant un prélèvement fiscal1.

et générosité, collection des rapports n°75, mars 1990 . L’évaluation faite par les individus interrogés correspond à une évaluation tous transferts inclus. Ce revenu minimum peut également être calculé grâce à l’introduction d’une question dans l’enquête “Budget des familles” de l’INSEE.

1 L’existence d’extemalités ne nécessite pas toujours l’intervention de l’Etat. Dans le cas d’extemalités limitées, où le problème de négociation est restreint à un petit nombre d’individus, le marché peut parfois internaliser ces extemalités; c’est le cas, par exemple, avec un altruisme “price maker” mais au prix d’une altération des états efficaces: Les individus utilisent alors les prix pour diffuser leurs intentions altruistes, ils sont, par exemple, prêts à acheter un bien à un pauvre, à un prix supérieur au prix de marché ou à vendre un bien à un prix inférieur en toute connaissance de cause; voir Gamel (1986). C’est le cas également de certaines extemalités négatives, voir théorème de Coase (1960).

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1-1. Comportements altruistes et valorisation du retenu minimum

Nous supposons donc ici une économie formée de deux groupes d'agents, l'un doté de revenus suffisamment élevés pour être qualifié de "riche", l’autre étant le groupe "pauvre" dont le revenu est inférieur à un certain seuil. Les individus riches sont altruistes, ils valorisent le revenu des individus jusqu'à un seuil, propre à chacun d'eux. On peut aisément représenter ces comportements à l'aide des fonctions d'utilité, indicateurs du bien-être des individus ou de leur niveau de satisfaction1.

Soit Ui, la fonction d'utilité d'un individu riche “i". Celui-ci retire sa satisfaction de son propre revenu et également de celui des autres individus jusqu'à un certain seuil qui lui est propre. On supposera évidemment ici que cet individu altruiste tire sa satisfaction de l'accroissement du revenu d'au moins un pauvre et non pas seulement du seul fait de donner sans quoi il n'y aurait plus extemalités. Nous excluons de l'analyse, comme nous l'avons suggéré plus haut, le problème du transfert ostentatoire.

On peut formaliser le système de préférences de l'individu “i" de la façon suivante :

Soit Ui= f (Y 1... Yn) que l'on suppose différentiable. On a:

pour i*j,

3Ui

ÔYj

>0

si Yj < Si

tt—- =

0 autrement

3Yj

pour i*j,

3Ui

3Yj

= 0

si Yi < S'i

Cette formalisation analytique du système de préférences d'un individu altruiste “i" de la société montre que, d'une part, l'individu est modérément altruiste, c'est à dire qu'il valorise le revenu des pauvres jusqu'à un certain seuil “Si" qui constitue précisément, du

*Nous parlerons indifféremment de bien-être ou de satisfaction pour caractériser ce qu’un individu retire de la consommation d'un bien ou de l’usage d’un revenu.

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point de vue de l'individu “i", la quantité de bien public à allouer. D'autre part, il ne valorise ce revenu que dès lors qu'il a lui même atteint un certain niveau de revenu “Si’". Lorsque le revenu des pauvres atteint un niveau dépassant le seuil “Si”, l'individu devient “égoïste"; son utilité marginale par rapport au revenu de toute personne située au dessus du seuil "Si" est nulle. L'existence de telles préférences va engendrer deux problèmes bien distincts.

D'une part, nous avons affaire à un cas de bien public atypique. Chaque individu évalue de façon subjective le niveau de revenu qu’il considère comme le seuil dont tout individu doit disposer. Il existe ainsi une zone franche dans laquelle l'évaluation du revenu seuil - le bien public- varie au gré des préférences individuelles. L'existence d’une telle zone va poser un problème d'agrégation des seuils puisque l'Etat est supposé traduire les préférences subjectives en un seuil normalisé de revenu minimum. Quel critère sera pertinent? la moyenne? l'intersection des zones de valorisation subjectives? Ce qui suppose, qu'il existe effectivement une zone d'accord entre tous les individus telle que [O....Si]*0 De plus, quel que soit le seuil subjectif que valorise l'individu, son optimum peut très bien ne pas coïncider avec ce seuil. En effet, comme pour tout problème de bien public, le principe d'égalisation des utilités marginales -condition de l'optimum-peut conduire à la non coïncidence entre les dispositions marginales à payer et la valorisation du revenu des pauvres.

Il existe, d'autre part un second problème: c'est celui du “free riding" inhérent à l’existence des biens publics. Chaque individu est prêt à verser une certaine somme pour attribuer un revenu au pauvre mais, anticipant le même comportement de la part des autres individus de la société, il réduit sa disposition effective à payer. Tous les individus faisant le même raisonnement, la quantité de bien public risque alors d'être sous optimale. Ce phénomène est bien formalisé par la théorie des jeux et prend le nom de “dilemme du prisonnier". Il est en outre rebaptisé “dilemme du samaritain" par Buchanan (1975) et Kennett (1980), dans un contexte similaire à celui qui nous occupe.

Ce jeu permet d'établir qu’alors même que l’état social ou l'altruisme est généralisé serait préféré -il constitue une stratégie dominante-, c’est l'état où chaque joueur est égoïste qui se réalise, chacun des joueurs n'étant pas assuré du comportement altruiste de l'autre. Ici, si certains individus, ignorant le comportement des autres individus, considèrent leur transfert vers le pauvre comme marginal par rapport à l'ensemble des transferts, décident de ne pas donner, le montant des transferts risque d'être sous optimal. Dès lors, l'Etat, par le prélèvement par l'impôt n'a d’autre choix que d'exercer une

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contrainte sur tous les individus y compris sur les individus faiblement altruistes voire même “totalement égoïstes"1. Cependant, il est vrai, il existe des mécanismes d'incitations à la révélation des préférences qui viennent nuancer la portée du phénomène que l'on vient de décrire mais ceux-ci sont difficiles à mettre en oeuvre1 2.

1-2 Intérêts et limites de l’explication nar l’existence__ dLi__ ramportsments altruistes

L'intégration de considérations altruistes, au moins en apparence, dans les modèles de l'économie du bien-être permet de rendre compte des comportements de “réciprocité" qui existent sans conteste dans la société. Le premier économiste à avoir pressenti l'intérêt de prendre en considération ce type de comportement est sans nul doute Adam Smith (1759) qui expliquait que les individus éprouvent de la “sympathie" vis-à-vis des autres, ont une capacité à se mettre à leur place, à accorder leurs sentiments avec ceux d’autrui3. La prévalence, dans la société, de tels sentiments entraîne l'ensemble des individus sur le chemin de la coopération et ce faisant, permet le renforcement du lien social. La “main invisible" n’opère pas seulement dans la sphère marchande mais également dans l’espace des “sentiments moraux” pour servir l'intérêt général. A la suite de Smith, et particulièrement dans la période contemporaine, de nombreux économistes ont étudié le rôle de tels comportements le plus souvent restreint à l'explication de relations interindividuelles de proximité.

Toutefois si certains comportements économiques peuvent être aisément expliqués par le recours à de telles hypothèses -cf les relations intrafamiliales, communautaires etc...- il est délicat de les transposer à l'ensemble des relations qui existent dans une économie4.

1 Nous entendons par “totalement égoïste", un individu qui ne valoriserait pas le revenu du pauvre. Sa fonction d’utilité ne comporterait comme argument que son propre revenu.

2 Voir par exemple le mécanisme du “pivot” de Clarke-Groves décrit par Bénard (1985 chapitre IV, section 3).

3 Jean-Pierre Dupuy (1992) explique à ce propos que la sympathie smilhienne n’est pas la bienveillance et qu’une confusion courante conduit les éxégètes à voir chez Smith une incohérence qui rend l’individu quasi schizophrénique, tiraillé entre son intérêt égoïste et sa bienveillance vis-à-vis des autres. Dupuy explique que la “sympathie”, ie la possibilité d’accorder ses sentiments à ceux d’autrui, est l’unique principe, “morphogénétique", du projet smithien : “(Smith) sait bien que “l’amour de soi” ne tire sa substance que de la reconnaissance des autres et que la recherche privée du gain matériel, loin de casser les liens nuisibles à la stabilité sociale crée entre les êtres des relations passionnelles. Il repère donc les passions derrière les intérêts, il voit que ceux-ci sont un concentré, une synthèse de celles-là”. Voir Jean-Pierre Dupuy, Le sacrifice et l’envie, le libéralisme aux prises avec la justice sociale. Ed. Calmann-Lévy, 1992, p.

102.

^ C’est pourtant le défi que relève Serge-Christophe Kolm (1984) qui tente de démontrer que la “Réciprocité générale” caractéristique d’une société où le don mutuel est généralisé est, d’une part, possible, et d’autre part, efficace au même

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Comme le suggère le problème traité plus haut, des limites à la possibilité de diffuser les intentions altruistes et surtout de les traduire en une distribution effective d’un revenu minimum jugé suffisant envers les plus pauvres, sont rapidement atteintes. Outre la non coïncidence entre les dispositions à payer et les valorisations du revenu des pauvres, se pose le problème technique du recueil d'informations.

Certains économistes libéraux estiment toutefois que le marché peut très bien assurer cette fonction de charité et qu’il n’est nul besoin que l’Etat exerce une contrainte telle que l’impôt pour assurer un revenu ou des prestations en nature aux individus dans le besoin.1 Cette solution aurait selon eux l’avantage de laisser libre l’individu de donner ou de ne pas donner, la contrainte exercée par l’Etat ayant l’inconvénient majeur “de spolier la liberté des non altruistes".* 1 2 Il pourrait être intéressant de tester au moins partiellement la validité de cette théorie libérale en interrogeant les organismes caritatifs quant aux possibilités d’assurer un certain niveau de prestations à ces individus. Une expérience qui nous semble tout à fait envisageable dans cette perspective, consisterait à mesurer les éventuels effets d’éviction qui se sont produits à la suite de l’instauration du RMI relativement aux fonds drainés par les associations caritatives et les substitutions potentielles dans la nature des aides qu’elles proposent actuellement de fournir.

Mais compte tenu du système de transfert actuel, l’interprétation du Revenu Minimum Garanti dans un cadre redistributif nous semble tout à fait pertinente quitte à conjecturer l’efficacité de modalités alternatives de transfert et d’envisager des tests de vérification.

2. REDISTRIBUTION, PRESTATIONS EN ESPECES ET PRESTATIONS EN NATURE

Nous allons maintenant interpréter le volet insertion du RMI français dans le cadre d’une analyse redistributive en comparant les différentes modalités de mise à disposition pour les bénéficiaires du revenu minimum, de biens que nous nommons "biens d’insertion".

titre que peuvent l’être le Marché et le Plan une fois résolus les problèmes de motivations et d’informations.- ceux-ci pouvant d’ailleurs l’ctre selon l’auteur, à l’aide des canaux utilisés dans le cadre des économies de marché et de plan. 1 Mais les motivations risquent dans ce cas d’être différentes de celles que l’on a sélectionnées.

2 Se reporter notamment au courant libcrtarien. On peut par exemple consulter B. Lemmenicier: Cours de Théorie des Prix. Université Paris Dauphine. Cependant, comme dans le cas d’une redistribution par l’Etat, on voit mal comment on éviterait le problème de la révélation des préférences et du risque de sous optimalité du montant du transfert.

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En effet, de même que l'attribution d'un revenu minimum peut être valorisée sinon par l’ensemble des individus du moins par une partie importante des membres de la collectivité que l'on suppose représentés par l’Etat, celui-ci peut également souhaiter que certains individus bien ciblés, par exemple les bénéficiaires du revenu minimum, consomment (une ou) des quantités fixées de bien(s) produit(s) dans l’économie. Ces biens peuvent être par exemple des unités de stage d’alphabétisation, de formation, de logement social etc... .

Soit une économie à deux biens, un bien “Y" qui peut être un bien composite disponible sur le marché et un bien “X” que nous nommons “bien de consommation d’insertion". Nous concentrons ici notre attention sur les individus bénéficiaires d’un revenu minimum alloué par l’Etat. Nous supposons en effet, que les préférences de l’ensemble des individus formant la collectivité, par rapport à la consommation de X des bénéficiaires du RMG sont agrégées dans une fonction d’utilité collective de type Bergson- Samuelson, nous nous situons donc ici dans un cadre redistributif1. Ce revenu peut être affecté à la consommation de l'un ou l’autre des biens, ces possibilités définissent la contrainte budgétaire de l'individu.

L’Etat, considérant que les bénéficiaires du Revenu Minimum Garanti, compte tenu de leur contrainte budgétaire, n’ont pas suffisamment accès à la consommation du bien, souhaite leur permettre d’augmenter leur consommation de ce bien.

Plusieurs modalités de transfert peuvent exister qui maintiennent ou réduisent l’autonomie du bénéficiaire à des degrés divers mais qui se traduisent également par plus ou moins d’efficacité.

Les travaux relatifs aux modalités alternatives de transfert montrent qu'un transfert en nature est plus efficace au sens où il est en principe moins coûteux pour l’Etat et qu’il assure que soit limitée la possibilité de détournement de l’objectif que l’Etat- qui représente ici l’ensemble des individus formant la collectivité- souhaite voir rempli2. On

1 Nous pourrions également considérer les préférences d’individus charitables vis à vis des plus pauvres en ce qui concerne la consommation du bien X, mais nous supposons ici que la consommation du bien X est valorisée par l’ensemble de des individus formant la collectivite et représentée par l’Etat.

^ Voir, en particulier, les travaux récents de Blackorby et Donaldson: Cash versus Kinds, A.E.R.. sept. 1988. Les auteurs rappellent que lorsque l’information au sujet des préférences des individus et des ensembles de consommation est parfaitement connue des gouvernants, un transfert forfaitaire est efficace car il fait évoluer un optimum de Pareto vers un autre. En revanche, les transferts de biens et services sont rarement efficaces si les possibilités de revente sont impossibles. Lorsque l’information au sujet des préférences est imparfaite, ce qui correspond au cas le plus réaliste, le transfert forfaitaire perd son caractère de supériorité par rapport au transfert en nature. Dans une économie où les

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peut dès lors mettre en balance un critère d'efficacité et un critère “kantien"1 qui garantisse que soit respectée, au moins dans certaines limites, l'autonomie individuelle.

Nous allons donc comparer les différentes possibilités de transfert qui existent au regard de ces critères et interpréter le volet “insertion” du RMI dans ce cadre d'analyse.

2-1 Les prestations en espèces

La distribution d'une prestation en espèces maintient l'autonomie de l’individu puisqu'il peut affecter la somme reçue à la consommation de n'importe quel bien, il s'agit d'un transfert de bien-être. L'individu a le choix entre diminuer sa consommation du bien X et augmenter sa consommation du bien Y ou laisser inchangée sa consommation de X et augmenter sa consommation de Y ou augmenter sa consommation de X en diminuant celle de Y. Tout dépendra de la forme de ses préférences, de l'élasticité revenu de la demande de ce bien. Si son élasticité revenu par rapport à X est nulle, le consommateur laisse inchangée son niveau de consommation, si au contraire, cette élasticité revenu par rapport à X est forte, il augmentera son niveau de consommation. La prestation en espèces permet à l’individu d'affecter son revenu à la consommation de bien qui rend son bien-être maximum.

2-2. Prestations en esnères Pt prestations en nntiire

Comparons maintenant les conséquences d'un transfert forfaire en espèces à celles d'un transfert en nature pour le bénéficiaire dans l'hypothèse d'un Revenu Minimum Garanti, qu'il soit ou non d'insertion.

préférences sont mal connues, seuls des optima de second rang voire de troisième rang sont susceptibles d’être atteints et pour s’assurer que les individus qui bénéficieront des transferts en ont réellement besoin, un transfert en nature est préférable.

1 L’éthique kantienne constitue une référence importante de la période contemporaine, voir A. Philonenko (1980), Préface et commentaires aux Fondements de la Métaphysique des Moeurs (1785). Chez Kant (1785) la volonté en tant que raison pratique opère loin de toute contingences et n’est contrainte que par la loi morale: l’impératif

catégorique qui assure que tout individu doit être considéré par autrui comme fin et jamais comme moyen. L’autonomie est chez Kant, l’exercice libre de la volonté soumise à la seule loi morale. Certains économistes, à

l’instar de Collard , ont interprété l’éthique kantienne et en ont déduit un test de réversibilité s’appliquant à des préférences altruistes: l’individu altruiste ayant des préférences sur la consommation d’autrui doit d’abord faire son introspection en se demandant s’il serait d’accord qu’on fît la même chose pour lui. Voir Collard D. , Altruism and Economy - A study in non-selfish economics , Martin Robertson, 1978.

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Dans une situation initiale, l'individu se situe sur une courbe d'indifférence U1 qui est tangente à sa contrainte budgétaire au point E1. En ce point, l'individu compte tenu de sa contrainte budgétaire maximise son bien-être en consommant une quantité X1 de bien d'insertion et Y1 de bien composite.

L'Etat lui attribue une prestation en nature qui lui permet de consommer une quantité supplémentaire de bien X par rapport à sa situation initiale. Cette quantité passe en X2.

\ E'2

Si un transfert en espèces avait été décidé, l'individu aurait pu atteindre un niveau de bien-être supérieur (U3). La solution en X2 est une solution de coin qui ne permet pas à l'individu de maximiser son bien-être. En effet, pour l'individu, la solution est optimale en E2, en ce point son taux marginal de substitution (TMS) entre X et Y égalise le rapport des prix des deux biens. En outre la solution E'2 est plus coûteuse, en effet le coût se mesure par AC, or une mesure de coût AB eût été suffisante pour garantir à l'individu le même niveau de bien-être qui coïncide également avec un optimum.

Cependant bien sûr ce qui intéresse l'Etat, ce n'est pas tant le niveau de bien-être que peut atteindre l'individu que la quantité de biens que l'individu "doit'' consommer. Les

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préférences étatiques sont sous cet angle "paternalistes"1 puisqu'elles traduisent le souhait que l'individu consomme un niveau fixé de biens.

Le transfert en nature peut, dès lors, se faire de multiples façons plus ou moins adaptées au type de biens dont on voudrait rendre accessible la disponibilité à l'individu, ou favoriser voire imposer la consommation. Ces modalités reposent sur la fourniture de bons gratuits, subventionnés ou la baisse conditionnelle du prix des biens.

Le bon gratuit consiste en un droit à une quantité déterminée de biens. Si l'élasticité revenu de la demande du bien est suffisamment forte, l'individu pourra augmenter sa possibilité de consommation du bien. Cependant la solution obtenue constitue souvent une solution de coin qui n’est pas optimale pour l'individu. Toutefois s'il peut revendre le bien - sous-location d'un logement, revente d'un vêtement- pour utiliser le revenu à d’autres fins1 2, l'individu pourra atteindre un équilibre qui réalise la maximisation de son utilité. Cependant l'objectif poursuivi n'aura pas été atteint, puisqu'ici ce n'est pas le niveau de bien-être qui importe à l'Etat mais la quantité consommée du bien par l'individu.

Une autre solution consiste à subventionner le bon. Il s'agit d'un bon dont la valeur faciale est supérieure à la contribution que l'on exige du consommateur pour que celui-ci ait accès au bien mais si le prix à payer reste supérieur à la valorisation que l'individu a du bien, il choisira de rester en dehors du dispositif. En revanche si son élasticité revenu de la demande du bien est suffisamment forte, il pourra augmenter sa consommation du bien. Ce système est plus restrictif que le précédent, il risque de laisser en dehors du dispositif un nombre plus élevé d'individus; il a toutefois comme avantage d'être moins coûteux.

Enfin une dernière possibilité consiste à baisser le prix d'un bien par rapport au prix du marché pour des consommateurs ciblés - par exemple les bénéficiaires du RMI - Il se produit alors un pivotement de la contrainte de budget initiale autour de l'ordonnée à l'origine. Le résultat final dépend des élasticité prix et revenu par rapport à la demande du

1 L'existence de préférences paternalistes a été particulièrement étudiée par G. C.Archibald el D. Donaldson. Ils ont notamment montré que lorsqu’on intègre, dans l’analyse wclfariste, des préférences “paternalistes”, il y a suppression des états efficaces; aucun des deux théorèmes de l’économie du bien-être ne subsiste, voir Non-Patemalism and the Basic Theorems of Welfare Economies, Canadian Journal of Economies, août 1976. Ce terme n’est parfois utilisé que pour qualifier le comportement d’individus altruistes qui souhaitent que certains individus consomment une quantité fixée de biens; Lorsque c’est l’Etat qui prend en charge la fourniture de ces biens et impose la consommation de certains biens à certains individus, on parle de biens tutélaires ou biens de tutelle, voir Kolm (1968) repris par Bénard (1985). Quel que soit le cadre d’analyse privilégié- altruiste ou redistributif- l’imposition des préférences peut-être problématique, nous reviendrons un peu plus tard sur ce point.

2 Exemples cités par Greffe et Hannequart qui ont par ailleurs développé largement l’analyse relative aux modalités alternatives de transfert. Pour obtenir des conclusions précises, une analyse algébrique serait nécessaire, toutefois, notre objet n’est pas de fournir ici des développements formalisés.

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bien. Si l'élasticité prix du bien est forte, l’individu augmentera sa consommation, la subvention du prix sera d'autant plus efficace que l'élasticité prix est importante. En général ce type de subvention est conditionnelle à l'achat ou à la location d'une quantité déterminée de biens - par exemple le logement social-. On sera prêt à accorder une subvention forte sur le prix d'un logement social mais si celui-ci ne convient pas à l'individu- pour des raisons de qualité ou d'emplacement- qui préfère se reporter sur le marché privé, aucune subvention ne sera accordée.

Mais pour que les individus à faibles revenus aient accès au bien, lorsqu'il s'agit du logement par exemple, il est nécessaire que le dispositif prévoie une subvention suffisamment forte.

2-3. Application : les prestations d’insertion du RMI

Suivant la nature des biens, il apparaît clairement que certaines solutions seront préférées à d'autres. Par exemple, dans le cas du logement, seule une subvention suffisamment forte pour les titulaires du RMI leur permet d’avoir accès au dispositif1. Dans le cas de la santé, déjà fortement subventionnée, il est prévu une aide médicale gratuite pour permettre aux Rmistes d'accéder aux soins. Certains départements, à l'instar du territoire de Belfort, mettent à disposition des Rmistes un système de carte santé, assimilable à un bon gratuit qui donne droit à des services médicaux sans qu'il y ait avance de frais et dont le financement est en partie assuré par le Conseil général et en partie par la Caisse d'assurance maladie. Cependant si l'objectif de limitation des dépenses de santé intervient également- connaissant la propension qu'ont certains individus qui cumulent beaucoup de difficultés à surconsommer de la santé-il est probable que l'on prévoit aussi un système de limitation plus ou moins flexible suivant les individus et leurs besoins véritables.

Des solutions de ce type apparaissent assez peu problématiques si l'on considère que les préférences de la collectivité recouvrent relativement bien les préférences des individus. En effet, la plupart des individus à revenu faible- si on les interrogeait - se déclareraient

Dans le cadre de la loi Besson, 94 plans départementaux en faveur du logement des plus démunis ont été mis en place qui prévoient la construction de logements en faveur des ménages à très bas revenus. Les loyers sont très modérés, les organismes constructeurs disposent de prêts bonifiés et des subventions sont également prévues pour minorer le montant des loyers. D’autre part, des majorations d’allocation logement sont attribuées aux rmistes. Ces plans débutent et les résultats ne sont pas encore connus quant à la possibilité effective pour les Rmistes d’accéder massivement au logement.

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favorables à pouvoir disposer d'un logement convenable, de même ils souhaiteraient certainement pouvoir se soigner si besoin était.

L'interrogation des allocataires du Panel RMI-CREDOC lors de la première vague d'enquête sur 1965 personnes pendant l'été 1990 faisait apparaître une structure des attentes obéissant à la hiérarchisation suivante :

Dans votre situation actuelle, indiquez les deux priorités que vous voudriez voir résolues en priorité :

En % 62,6 52.1 27.1 16.1 8.9 5,1 4,0 3.9 Un peu plus d'argent et je me débrouille

Le problème d'un travail Le problème du logement Le problème de la santé

Le problème du manque de formation Les problèmes administratifs

N'en sait rien, tout est trop compliqué Les problèmes avec la famille et les gosses

Source : Panel RMI-CREDOC Point de départ.1.

En revanche, il apparaît déjà nettement plus délicat de vouloir imposer aux individus des conseils de gestion de leur contrainte budgétaire ou de les inciter fortement à en recevoir, sauf à considérer que les individus n'ont pas la capacité de discernement suffisante pour prendre leurs décisions. Cette considération est fort discutable et nécessite un débat approfondi, notamment quant à la nature des biens dont on souhaite favoriser ou imposer la consommation2.

Mais sans doute l'action la plus difficilement acceptable d'un point de vue éthique est celle qui consiste à contraindre la fourniture de prestations de toutes sortes à l’acceptation

1 Patricia Croutte, Anastassios Iliakopoulos, Michel Legros, Panel RMI-CRF.DOC Points de départ. Collection des rapports du CREDOC, n°98 - avril 1991.

^ Nous avons déjà effleuré ce problème -voir note p. 27-. Dans les cas considérés ici, les biens d’insertion sont assimilés à des biens de tutelle pour reprendre la terminologie de Kolm (1968) reprise par Jean Bénard. Ils sont entendus comme “des biens privatifs ou collectifs dont la consommation fait l’objet d’un concemement collectif, c’est à dire de préférences de l’Etat différentes de celles librement manifestées par les individus’’in Jean Bénard: Economie publique, p. 134, Economical 985.

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de clauses qui réduisent fortement la capacité des individus à choisir librement. Il nous semble que le RMI, dans une lecture première relative aux dispositions légales prévoyant le versement contraint de la prestation à l’acceptation de l'insertion est peu acceptable au regard du critère kantien de respect de l'autonomie de l'individu. Il y a en effet risque de voir se développer une mainmise de la collectivité sur l’individu, un contrôle social aux effets stigmatisants, peu avouable eu égard à l'attention portée en France aux travaux de Foucault le dénonçant dans d'autres domaines1.

Il faut noter que les allocataires du R.M.I. interrogés dans le cadre du panel RMI- CREDOC ne perçoivent guère cet effet stigmatisant.

Selon vous, le fait de bénéficier du RMI entraîne avant tout que

En % 14,0 3,4 32,1 40,4 10,0 l'on se sente étiqueté et assisté

les autres ne vous considèrent plus cela montre que l'on s'occupe enfin de vous c'est une chance pour redémarrer

rien de tout cela

Source Panel RMI-CREDOC - été 1990

Au bout de deux années passées dans le dispositif R.M.I., ils ne sont toujours que 15% à se sentir "étiquetés et assistés".

Cependant bien sûr, il nous faut nuancer notre propos voire même l’invalider au regard des pratiques réelles mises en oeuvre dans le cadre du RMI. En effet, le dispositif alloue à tous les individus satisfaisant aux conditions de ressources un revenu minimum garanti et plutôt inconditionnel en dépit de la procédure de contractualisation. Et sans doute, plus que des obligations, le RMI prévoit-il plutôt des incitations qui, dans le cadre de l'insertion professionnelle spécialement prennent toute leur dimension. Dans le cadre du

1 Les réflexions sur le contrôle social se sont particulièrement développées dans les années 70 en France avec les travaux de Michel Foucault (1975) et de Philippe Robert (1976). Ces travaux ont notamment tenté d’expliquer le rôle du contrôle social dans la production ou l’entretien des déviances, voir C. le Clainche, M. Legros: Les ports de la galère, Collection des rapports n°99, Crédoc, avril 1991. Relatif à l’aide sociale, ce problème a trouvé un écho important en Belgique, voir F. Ost ‘‘La théorie de la justice et le droit à l’aide sociale” in Individu et justice sociale, autour de John Rawls, ed. du Seuil, 1988. Voir également P. van Parijs (1991). Pour certains auteurs, c’est le fait même, pour les individus, de dépendre de l’aide sociale qui produit un “étiquetage" et une forme de contrôle social. La question à résoudre devient alors celle de l’organisation de l’aide qui permet la minimisation du contrôle sur l’individu.

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volet insertion professionnelle en effet, des stages de formation sont proposés qui rencontrent le plus souvent l'approbation des bénéficiaires du RMI qui après une longue période de chômage ont eu accès au dispositif. Les incitations qui existent pour les bénéficiaires à suivre ces stages nous semblent tout à fait recevables eu égard aux arguments de formation et d'accumulation du capital humain. Nous aurons l’occasion d'étudier ces incitations un peu plus tard et nous verrons qu elles ne sont toutefois pas exemptes de “vices cachés".

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DEUXIEME CHAPITRE

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Une deuxième voie pour légitimer la redistribution et le revenu minimum, en particulier, apparaît comme conséquence de l'instauration de l'idée de contrat social que les individus auraient établi pour s'accorder sur les structures de base de la société ou pour définir leurs obligations contractuelles.

Au cours des 17ème et 18ème siècles, le contrat social est l'instrument majeur de la philosophie politique, il réapparaît très récemment comme outil fondateur pour la philosophie de l'éthique sociale (Kolm, 1991). Une théorie du contrat social, explique Kolm, est une “méthode de l'éthique sociale qui légitime les contraintes publiques sur les individus par la liberté de ces individus. En imaginant que ces contraintes mettent en oeuvre un accord unanime et volontaire entre tous ou certains de ces individus, cet accord constitue un contrat

social ”.

En tant que méthode, il peut être construit pour des objets divers et concerner des individus de nature différente.

Ce contrat social peut, par exemple, être issu des processus institutionnels de décision: on s'accorde sur l'attribution d'un revenu minimum à certains des individus faisant partie de la société. La charge de définition des modalités d’attribution et des obligations contractuelles incombe aux personnes qui en ont reçu le pouvoir de la part des autres membres de la société. Le contrat social a pour objectif le renforcement du lien social par la participation du plus grand nombre à la vie sociale. Mais comment les termes du contrat vont- ils apparaître comme légitimes ou justes ?

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1 - LE CONTRAT SOCIAL RAWLSIEN

John Rawls a appliqué de façon particulière l'idée de contrat social dans A Theory of Justice (1971) en invoquant l'arbitraire des dotations naturelles des individus. Dans la “position originelle", toutes les caractéristiques individuelles sont recouvertes d’un voile d'ignorance qui assure que les individus arriveront égaux et identiques à la table du contrat social pour choisir les principes qui régiront le fonctionnement de la société. Ignorants la position qu'ils occuperont dans la société future, les individus ont à coeur que soit assurée pour tous la liberté la plus grande, que l'accès aux positions sociales soient ouvertes à tous et que la situation des plus défavorisés soit la meilleure possible. Ces principes au nombre de deux, John Rawls les formule de la façon suivante:

Chaque personne doit avoir un droit éoal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.

Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois (al l'on puisse s'attendre à ce qu'elles soient à l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous.

La lecture de ces principes doit se faire suivant un ordre lexicographique, c'est-à- dire que le premier principe prime sur le second car, nous dit Rawls, il n'est pas acceptable que sous prétexte d'amélioration du sort des moins biens lotis, on puisse porter atteinte aux libertés de certains. Quant au second principe, l'égalité des chances, implicite à l’énoncé de la partie (b), il est prioritaire par rapport au principe (a) dit “principe de différence". Dans une conception générale de la justice, la réinterprétation des principes conduit Rawls à introduire le concept de biens primaires (primary goods) à partir desquels les individus vont élaborer leurs plans de vie: “Les biens primaires -les droits, les libertés et les possibilités offertes à l'individu, les revenus, la richesse et les bases sociales du respect de soi- doivent être répartis également à moins qu'une répartition inégale de l'un ou de tous ces biens primaires soient à l'avantage de chacun"1.

1 La solution des biens primaires de Rawls est voisine de celle de Kolm établie dans Justice et équité (1971): le leximin avec des préférences fondamentales. La solution de Kolm consiste à inclure toutes les différences de caractéristiques

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Ainsi, le principe d'attribution d'un revenu minimum est immédiatement légitimé par la conception rawlsienne de la justice. Chaque individu doit pouvoir disposer d'une quantité minimale de biens primaires qui lui assure la liberté la plus grande possible. Parmi ces biens primaires, le revenu constitue en outre un élément déterminant pour l'existence de la plupart des autres biens primaires.

Enoncés ainsi, les principes de justice se prêtent à des interprétations multiples; on ne compte plus en effet les centaines d'ouvrages consacrés à la Théorie de la Justice. Il est particulièrement intéressant de s'arrêter sur certaines d'entre elles, notamment celles susceptibles de nourrir le débat concernant les modalités d'attribution d'un revenu minimum.

Mais, d'abord, revenons en au contrat social et au sens que Rawls entend lui donner, nous considérons en effet, à l’instar de Dworkin que celui-ci est l'élément clé de toute la structure théorique de Rawls.

1-1. L’aversion pour le risque individuel

Une des critiques faites à l'ouvrage du philosophe américain a trait précisément à l’existence d'un tel contrat. Certains commentateurs ont fustigé l'entreprise rawlsienne sur la base de ce qu'ils ont appelé “la fiction de la position originelle et du voile d'ignorance" en affirmant qu'elle permettait au philosophe d'éluder le problème de la relativité des éthiques1. Mais quel sens doit-on donner au contrat social rawlsien ? Cette question est essentielle puisqu'il est, de notre point de vue, le principe fondamental de tout l'édifice théorique. Et la critique de l'ahistoricité ou de l'objectivité de la construction rawlsienne ne nous semble pas fondée parce que Rawls ne cherche pas à établir une hypothétique vérité morale objective, il ne construit pas sa théorie “au plan métaphysique mais au plan politique" en utilisant selon ses termes, un constructivisme kantien qui se veut avant tout pragmatique2. La position originelle dans laquelle se trouvent placés les individus libres

individuelles quant aux préférences, dans les fonctions d’utilité ordinales; on obtient ainsi des utilités ordinales fondamentales qui permettent les comparaisons interpersonnelles car en effet on a réduit les individus à ce qu’ils ont en commun et à ce qu’ils partagent: la nature humaine . Toutefois la solution de Rawls du maximin sur les biens primaires pose des problèmes qui ont été soulevés par de nombreux commentateurs: que doit-on maximiser ? le revenu, le pouvoir ? Une somme pondérée de biens primaires ? Les éléments qui constituent les biens primaires ne sont-ils pas interdépendants? Comment appliquer la solution des biens primaires de Rawls pour un ménage ou une famille ? 1 Voir notamment Michaël Walzer: Spheres of justice. Basil Blackwell, Oxford, 1983.

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Voir la mise au point de Rawls: ‘‘La théorie de la justice comme équité: une théorie politique et non pas métaphysique44 in Individu et justice sociale, autour de John Rawls. Le seuil, coll. Points , 1988. Voir également l’article de Ronald

Références

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