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Le matin de l'architecture. Théorie et pédagogie

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Academic year: 2021

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Le matin de l’architecture. Théorie et pédagogie

Philippe Madec

To cite this version:

Philippe Madec. Le matin de l’architecture. Théorie et pédagogie. [Rapport de recherche] 675/90, Ministère de l’équipement, du logement, des transports et de la mer / Bureau de la recherche architec-turale (BRA); Ministère des relations extérieures / Bureau de la formation des français à l’étranger; Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville / Association enseignement et pratique de l’architecture. 1990. �hal-01909876�

(2)

P h i l i p p e M A D E C

L E

M A T I N

D E

L ' A R C H I T E C T E

MINISTERE DE L’EQUIPEMENT DU LOGEMENT DES TRANSPORTS ET DE LA MER MINISTERE DES RELATIONS EXTERIEURES ASSOCIATION "Enseignement et Pratique de l'Architecture

(3)

L E M A T I N D E L ' A R C H I T E C T E .

Théorie

&

Pédagogie

MINISTERE DE L'EQUIPEMENT DU LOGEMENT DES TRANSPORTS ET DE LA MER Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme.

Bureau de la Recherche Architecturale. Marché numéro 83 01 255.

MINISTERE DES RELATIONS EXTERIEURES

Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques. Bureau de la Formation des Français à l’Etranger.

Bourse de recherche 1983/1984, Etats-Unis.

Association ENSEIGNEMENT ET PRATIQUE DE L ’ARCHITECTURE Ecole d'Architecture Paris Belleville.

(4)

Mes remerciements vont à tous ceux qui ont rendu possible ce travail : à Mrs Claude PRELORENZO et Bernard HAUMONT, ancien et actuel Chefs du Bureau de la Recherche Architecturale et à Mr Jacques SAUTEREAU, chargé de mission au Bureau de la Recherche architecturale, pour leur soutient et leur compréhension; aux Experts du Bureau de la Formation des Français à l'étranger et à son Chef Mr Serge FRANÇOIS qui ont permis que cette réflexion se nourisse grandement à l'Université de Columbia; à Mr Kenneth FRAMPTON pour son invitation, son ouverture et son voisinage si fécond; à Mr James Stewart POLSHEK, ancien Dean de la Graduate School of Architecture and Town Planning de l'Université de COLUMBIA NY pour m'avoir offert le statut de "visiting scholar"; à Mr Henri CIRIANI pour son parrainage; au Groupe UNO pour avoir hébergé ce travail dans le cadre de l'Association "Enseignement et Pratique de l'Architecture" et pour avoir permis d'en exposer les premiers résultats lors du colloque sur l'enseignement de l'architecture UP8 / Ecole de Madrid / Ecole de Barcelone (1985) et enfin, à Mr Michel CORAJOUD pour avoir aidé à ce que les premières conclusions pédagogiques de cette recherche devienne un programme à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage. Ma reconnaissance va à celles qui m’ont aidé dans ce travail : Mme Marie-Annick MORVAN- RENAUD, agrégé d'anglais et Melles Françoise INFERNET et Ariane VOLANIS architectes.

Ma gratitude va tout particulièrement pour leur présence et leur dialogue, à Mr Claude VIE et à Mr Paul AUDI, philosophe.

(5)

SOMMAIRE

LIVRE I

L E M A T I N D E L ' A R C H I T E C T E

PARTIE I LE LAPSUS ACADEMIQUE

Quid de l'essence de l’architecture ?

12

1. Art et/ou science 2. Le lapsus académique

3. L'essence de l'architecture chez les modernistes 4. Théorie & Pédagogie

5. Equivalence de la Pédagogie et de la Théorie

13 14 16 17 18

PARTIE II LA VOLONTE DE COMPETENCE

L ’architecture, art théorico-pratique par excellence

20

1. Origine de la pédagogie architecturale moderniste 20

2. De l'importance du métier 21

3. Fragmentation et spécialisation 22

4. La perte du Paradis 23

5. La volonté de compétence éclaire différemment la relation

entre la théorie et la pratique 23

6. L'Académie Royale d'Architecture 24

7. Blondel contre Blondel 26

8. Le parti-pris des Encyclopédistes 27

9. Exemplarité de l’art de la guerre 29

10. Absence de concept originaire 30

11. Ingénieurs militaires : Vitruve et Fr. Blondel 31 12. Art théorico-pratique ou art de la nécessité :

(6)

13. Pourquoi la théorie architecturale moderniste a échoué dans

la recherche de l'essence ? Hypothèse. 32

PARTIE III LE DILEMME IRRESOLU ... 34 Quelques scènes modernistes du couple

Théorie et Pratique de l'Architecture

1. F ra n ç o is B lo n d e l e t l'A c a d é m ie R o y a le d 'A rc h ite c tu re 35 2. Jacques-François Blondel et l'Ecole des Arts 38 3. Jacques-François Blondel à l'Académie Royale d'Architecture 41

4. Etienne-Louis Boullée, praticien-pédagogue 43

5. Jean-Nicolas-Louis Durand et l'Ecole Polytechnique 45 6. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc et l'Ecole des Beaux-Arts 48

7. Julien Guadet et l'Ecole des Beaux-Arts 51

8. Walter Gropius et le Bauhaus 56

9. Le Corbusier et le 33 rue de Sèvres 61

10. Georges Gromort et l'Ecole des Beaux-Arts 66

11. Louis Isidore Kahn et la Philadelphia School 68 12. Quelques remarques sur la théorie et la pratique 71

13. Quelques remarques sur la compétence 72

partie iv ... Parcequ'irresolvable 74

La quête d'une vérité initiale et son échec

1. Le principe architectural moderniste 75

2. Evolution des principes 75

3. Principe de savoir ou principe de connaissance 76 4. Les principes généraux : la quête de l’universalité 77

5. L'absence du Principes des principes 79

6. Les principes du projet : la quête de la vérité prouvée 79 7. La chiffre pour la vérité / Vers une science du projet 80

(7)

Liv r e II

A N T H O L O G I E

PARTIE I JACQUES-FRANÇOIS BLONDEL 84

1. Discours sur la nécessité de l'étude

de l'architecture ...(1754) 84

2. De l'utilité de joindre à l'étude de l'architecture

celle des sciences et de arts qui lui sont relatifs. ( 1771) 92 3. Observations sur différentes Parties de l'Architecture 99

PARTIE II ETIENNE-LOUIS BOULLEE 107

1. Essai sur l'art. (1780-1793). Réflexion sommaire sur l’art

d'enseigner l'architecture 107

PARTIE III JEAN-NICOLAS-LOUIS DURAND n i

Précis de leçons d’architecture données à l'Ecole Polytechnique (1809)

1. Introduction. 111

2. Suite de l’introduction. 116

3. Discours préliminaire. 121

4. De la manière d'acquérir en peu de temps de vrais talents en

architecture. 122

PARTIE IV EUGENE-EMMANUEL VIOLLET-LE-DUC 123

Entretiens sur l'architecture

1. Entretiens V, tome I. 123

2. Entretien VIII, tome I. 126

3. Entretien IX, tome I. 133

(8)

Eléments et théories de l'architecture. Cours professé à l’Ecole nationale et spéciale des Beaux-Arts (1909)

1. Préface, tome 1 146

2. Leçon d'ouverture du cours de théorie de l'architecture

à l'Ecole des Beaux-Arts, tome 1 153

3. Principes directeurs, tome 1 160

4. Chapitre 1 °, tome 2 165

p a r t ievi Wa l t e r GROPIUS 166

1. Appolon dans la démocratie (1956) 166

2. La boussole intérieure (1958) 167

3. L'unité dans la diversité (1958) 168 4. Tradition et continuité dans l'architecture (1964) 170 5. La nouvelle architecture et le Bauhaus (1935) 174 6. Scope o f total architecture (1962) 180

PARTIE vn LE CORBUSIER 184

1. Sur les quatre routes (1941) 184

2. Quand les cathédrales étaient blanches (1937) 190

3. Entretien (1943) 192

4. Précisions (1930) 193

p a r t ievin Georges GROMORT 201

1. Essai sur la théorie de l’architecture. Cours professé à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de 1937 à

(9)

1. Débat in "Perspecta n°2" (1953) 204

2. Talks with students. 206

3. Louis Kahn as a teacher 209

LIVRE III

A N N E X E S & B I B L I O G R A P H I E

PARTIE I HERBERT READ 214

Culture et éducation dans l'ordre mondial. N ew -Y ork 1948.

partie ii Sieg friedGIEDION 232 De l’enseignement de l'architecture Hambourg 1956

p a r t ie III LE MATIN DE L’ARCHITECTE 236

Conférence au XVIPcongrès de l'UIA, Montréal 90

1. La conférence 236

2. Les réponses aux questions 248

(10)
(11)

Ce travail se base sur une anthologie, une sélection donc. Ce n'est pas une histoire des textes sur l'enseignement de l'architecture. La chronologie, caractéristique de l'anthologie, correspond au déroulement immémorial de l'éducation : "Une génération fa it

l'éducation de l'autre", dit Emmanuel Kant ajoutant que "chaque génération, munie des connaissances des précédentes, est toujours plus en mesure d'arriver à une éducation qui développe dans une juste proportion et conformément à leur but toutes nos dispositions naturelles, et qui conduise ainsi toute l'espèce humaine à sa destination" (1). Que le futur

architecte effectue son apprentissage de l'architecture en autodidacte ou dans le cadre d'une institution, il est toujours accompagné par d'autres hommes qui l'avaient également été à leurs heures.

Ici la chronologie rend compte de la tradition française moderniste, depuis l'Académie Royale d'architecture jusqu'à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts d'avant mai 68, de François Blondel à Georges Gromort. Mais, comme au cours du XX° siècle cette tradition a été soumise à la poussée de la modernité nationale et internationale, trois maîtres de l'architecture moderne y figurent : Walter gropius pour le Bauhaus, Le Corbusier pour l'Atelier de la rue de Sèvres et Louis I. Kahn pour la Philadelphia Scool.

La période contemporaine est écartée. Elle permet toutes sortes d'implications partisanes et interdit la sérénité d'écriture et de lecture recherchée.

(12)

"Nous étions encore près de la mer, comme celui qui pense à son chemin, qui va de cœur, et reste avec son corps."

DANTE Le Purgatoire.

(13)

L E L A P S U S A C A D E M I Q U E Quid de l'essence de l'architecture ?

Aider "la consolidation de l'enseignement de l'architecture autour d'un noyau de connaissances échappant aux impasses dogmatiques, stylistiques et impressionnistes".

Ce souhait fut émis dans le cadre de l'appel d'offres de recherche lancé en 1982 par le Ministère de l'Urbanisme, du Logement et des Transports. Il pose la question de l'enseignement de l’architecture dans sa presque totalité. Tout d'abord, présence de l'institution qui abrite cet enseignement et qui en cherche une consolidation - c'est dans sa nature; ensuite, contenu de cet enseignement (le noyau de connaissances) et par là même définition de la matière à enseigner, enfin relativement à cette

(14)

matière, position du corps enseignant, cet apporteur de dogmes, de styles et d'impressions, ou pour lâcher le grand mot : cet apporteur d'idéologie.

L'étudiant y est le grand absent. C'est pourtant lui qui demande l'enseignement, lui par qui l'enseignement prend son sens. Aussi est-ce depuis sa place qu'il convient de comprendre le texte qui va suivre. Un matin, l'architecture s'offre à ce futur architecte. Cela qui fa it qu'elle est ce qu'elle est est déjà là, et devient l'objet même du désir de l'étudiant d'apercevoir ce qui l'appelle, de comprendre ce à quoi il va se confier. Son apprentissage devient la conséquence immédiate et légitime de cette ouverture réciproque de l'architecture et de l'architecte. Peu importe qu'il soit effectué dans le cadre d'une institution ou bien en autodidacte à l'instar des maîtres Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, Frank Llyod Wright, Walter Gropius et autre Le Corbusier.

La question de l'institution n'est pas traitée dans ce texte. Les récentes réformes de l'enseignement de l'architecture ne s'intéressent qu'à Telle, s'avérant plus structurelles que pédagogiques : il y est surtout question de son statut et de celui de ses enseignants, de sa tutelle, de ses diplômes, de son financement, etc. Leur addition n'a apporté aucune réponse nouvelle à l'interrogation pédagogique. Par souci de clarté, ce texte s'en tient donc à la pédagogie de l'architecture. Il laisse le débat institutionnel à ses instances courantes et s'attache à ne pas participer aux réflexions administratives. En tous cas, pas directement, car le cadre institutionnel ne peut pas être absent de cette étude. Pour comprendre les prises de position de certains auteurs étudiés, il est nécessaire de les envisager à l'intérieur de ce cadre. Ainsi les formes institutionnelles seront mentionnées sans être discutées.

Art et / ou science

Commençons à nous attacher aux deux derniers points de la demande ministérielle, qui, en fait, ne sont que les deux versants d'une même question. Posée ici d'entrée de jeu, elle sera le lieu géométrique de ce texte, comme elle a été au centre de la pensée moderniste de l'architecture, et a

(15)

fortiori au centre de la réflexion sur la pédagogie de l'architecture : "L’architecture est-elle un art, une science ou les deux à la fois ?" Les mots "art" et "science" sont ici entendus selon leurs acceptions courantes : l'art est "une activité humaine créatrice visant à l’expression transcendante de la réalité au moyen de techniques qui lui sont propres" et la science "un ensemble de connaissances, d'études d'une valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables" (l).

La demande d'une consolidation de l'enseignement de l'architecture autour d'un noyau de connaissances ne pouvait être formulée qu'à deux conditions. La première est que l'enseignement de l'architecture soit considéré comme le moment d'une transmission de savoir constitué. La seconde est que l'architecture soit donc tenue pour une science. Cest ce que confirme le désir d'un dégagement des impasses stylistiques, impressionnistes ou dogmatiques. De fait si l'architecture était une science, ne serait-il pas moins question de styles, d'impressions ou de dogmes ? Et même si cela n'était qu'une apparence — les scientifiques étant aussi en proie aux dogmes et aux impressions — ce serait tout au moins la rassurante apparence d'une "rigoureuse pensée scientifique" qui serait projetée.

La tentation est forte de poser : l'enseignement actuel de l'architecture serait-il celui d'une science confiée à des artistes ? N'est-ce pas l'avis de certains des architectes enseignants contemporains qui, pour asseoir leur statue (pardon! leur statut), n'hésitent pas à proclamer : "L’architecture est une science" et à l'enseigner comme telle, magistralement.

Le lapsus académique

Cette position apparait aujourd'hui comme un rappel du fondement académique des cadres ministériels et de ces enseignants. C est sans doute

1 -L e P etit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paul Robert, Société du Nouveau Littré, Paris 1976.

(16)

un lapsus pour ceux-là qui ont agi en mai 68. Ils se laisseraient finalement envoûtés à leur tour par les mécanismes bien huilés de la théorie architecturale classique et de son avatar, l'Académisme des Beaux-arts, après les avoir voués à la honte et à la détestation. La quête d'un noyau fondamental de connaissances en est l'archétype. Georges Gromort, un des ultimes héraults des Beaux-Arts, le rappellait dans les années 1940. Il définissait de la sorte la théorie classique : "Elle comporte, en fait, les mille notions élémentaires sur lesquelles tous les professeurs doivent être d'accord, quelles que soient leur nature et leurs tendances : c'est l’enseignement qui est commun à tous" (2). L'ensemble de ces notions élémentaires et consensuelles apparait comme l'ancêtre de ce noyau de connaissances échappant aux impasses stylistiques, impressionnistes ou dogmatiques. La question d'une définition de l'architecture comme un art ou une science nous reconduirait-elle vers la théorie classique ? Nous ramènerait-elle vers un noyau de connaissances compris comme une pierre philosophale, un élixir de l'œuvre de Julien Guadet ? Chercherait-on un extrait essentiel de cette "Somme du classicisme" (3) ?

Même si cela s'avérait — car nul ne saurait parier sur l'achèvement dans les mentalités du processus soixante-huitard, le ministère nous ramène aux questions centrales de la pédagogie de l'architecture depuis qu'elle existe. Il cherche d'une part à définir l'architecture : l'architecture est-elle un art, une science, les deux à la fois ? et d'autre part il s'interroge sur la situation du corps enseignant : les enseignants architectes ne peuvent-ils enseigner que des vues personnelles sur l'architecture ? Il est vrai que le fil des propositions pédagogiques tout au long du modernisme laisse à penser qu'il n'y a pas eu de projets de pédagogie qui ne soient issus de tentatives personnelles ou particulières de redéfinir l'architecture, ou de définir le champ d'intervention de l'architecte, voire simplement ses prérogatives corporatistes ou son propre champ social.

2 • Essai sur la théorie de l'architecture. Georges Gromort. Vincent, Fréal et Cie, Paris 1942. p.10 3 - Eléments et théorie de l'architecture. Cours professé à l'Ecole Nationale et Spéciale des Beaux-

(17)

L a q u e stio n q u i s'im p o se ici, e st a lo rs la su iv a n te : s'il est impensable d’enseigner autre chose que des vues personnelles ou particulières sur l'architecture, cela signifierait-il qu'il n'y a pas d'essence de l'architecture à enseigner ? Il e s t im p o s s ib le d e ré p o n d re à c e tte q u e s tio n sa n s a v o ir rép o n d u au p ré a la b le au x d e u x in te rro g a tio n s su iv an tes.

L'essence de l'architecture existe-t-elle pour les architectes théoriciens pédagogues modernistes ?

L'essence de l'architecture peut-elle s'enseigner ?

L'essence de l'architecture chez les modernistes

Dès l'origine de la pédagogie, l'idée de l'essence de l'architecture est acceptée. Pour l'Encyclopédie, l'essence est "ce que l'on conçoit comme le premier & le plus général dans l'être, & ce sans quoi l'être ne serait point ce qu'il est"; pour la trouver, "il ne faut faire attention qu'aux qualités que ne sont point déterminées par d'autres, & qui ne se déterminent pas réciproquement, mais en même temps qui ne s'excluent pas l'une l'autre" (4). Quant à l'essence de l'architecture, "en considérant cet art comme une production de génie dirigé par le bon goût, elle consiste à donner aux édifices toute la perfection sensible, ou esthétique, que leur destination comporte" (5). Un siècle plus tard, dans sa Grammaire des arts du dessin, Charles Blanc reprend cette précision et pose la distinction sensible entre bâtiment et architecture : "Dépourvu de beauté, un édifice peut être un ouvrage d'industrie : ce n'est plus une œuvre d'art" (6). Ainsi là ce serait la beauté qui caractériserait l'architecture, beauté kantienne qui "dans l'architecture répond à une idée de devoir" (7). Ces approches sont cohérentes dans la tradition vitruvienne d'une architecture considérée comme l'art de bâtir : ce qui différencierait l'architecture du bâtiment, ce qui la caractériserait et serait donc son essence (selon la définition de

4 - Encyclopédie, op.cit, article "Essence", tome XII, p.78.

5 - Encyclopédie ou Dictionnaire raisoné des arts et des métiers. Diderot & d'A lem bert Chez Pellet, Imprimeur-Libraire, 1771. article "Architecture'', tome 1, p.236.

6 - Grammaire des arts du dessin, Charles Blanc, H. Laurens éditeur, Paris 1880, page 68. 7 - ibid.

(18)

l'Encyclopédie), ce serait la perfection, apportée au bâtiment par la beauté, née du travail d’architecture.

Pourtant Charles Blanc, comme les autres, est obligé de laisser échapper : "La définition même de l'architecture lui impose donc la loi d’être belle. Mais un autre sentiment le lui commande, un sentiment vague, non défini encore, et qui cependant réside au fond de la conscience universelle" (8). Viollet-le-Duc ressent aussi l'existence de ce quelque chose au-dessus des principes; pour lui, c'est le principe. "Mais . . . l e principe, quel-est-il ? Il faudrait prendre la peine de le définir. Or cette définition, nous l’attendons " . Cherche-t-il à le définir qu'il ne trouve d'autre précision que de dire "c’est affaire de bon sens" (9 ).

Ce travail s'installe cette faille. D'un côté, la tradition vitruvienne se prolonge jusqu'à nos jours et s'avère incapable de dissocier l'architecture du bâtiment. De l'autre, il y a la conscience ténue de quelque chose d'autre qui précède le résultat du travail et que l'on sait être l'essence. Ce texte devra aider à comprendre pourquoi l'essence n'a pas été atteinte.

Théorie & Pédagogie

Puisque la conscience de l'essence existait et que le l'essence n'était pas enseignée, l'apprentissage de l'essence de l'architecture serait-il impos­ sible? Pour déployer l'éventail des réponses à cette question, il convient de rendre son importance à la pédagogie architecturale moderniste, et de lui reconnaître son rôle décisif dans l'histoire de la théorie architecturale moderniste. Au cours de la période moderniste, il est impossible de dissocier la théorie architecturale de la pédagogie architecturale, la pensée sur l'architecture de la pensée sur l'éducation architecturale.

Cela paraît banal caril n'y a pas de pédagogie dans un domaine sans une théorie du même domaine.'Tonte action sur l’enfant ou sur l’homme

8 • ibid, page 69.

9 - E ntretiens sur l ’architecture. Eugène-Emmanuel V iollet-le-D uc. Pierre M ardaga éditeur. Bruxelles 1978.

(19)

implique toujours une finalité ou au moins une orientation : implicite chez un praticien manquant de culture philosophique, elle est explicitée par la réflexion pédagogique dont l'objet est de déterminer les objectifs vers lesquels l'action éducative doit s'orienter, explique le pédagogue Gaston Mialaret, ajoutant : la pédagogie ainsi conçue dépend donc d'une philosophie et, tout en étant en relation avec l'action éducative, elle se situe sur un plan différent aussi bien par son objet que par ses méthodes. D'une façon schématique nous accepterons provisoirement une première distinction de l’éducation et de la pédagogie analogue à celle de l'action et de la pensée" (10).

Cela est plus surprenant lorsque l'on voit que les théoriciens de la période moderniste étaient des enseignants marquants (y compris Le Corbusier à sa manière). Chez les architectes théoriciens enseignants, il n'y a pas la théorie d'un côté et la pédagogie de l'autre. Il n'y a pas de double langage. Il y a coïncidence. L'éducation architecturale qu'ils dispensent sert à la mise en forme et à la diffusion de leur théorie. Aussi, en concordance avec l'incidence de la théorie sur la pédagogie, existe-t-il une incidence réciproque de la pédagogie sur la théorie : les architectes théoriciens étaient obligés de plier leurs discours théoriques aux impératifs de la pédagogie, contraints à penser leur théorie en termes de savoir. De plus ce savoir devait se transmettre par enseignement, c'est-à-dire par la parole et l'écrit. Ne voit- on pas une conséquence de ces incidences réciproques dans le poids de l'idée d'une constitution de savoir au sein de la pensée architecturale moderniste, de même que dans l'importance prise par le concept d'architecture comme science ?

Equivalence de la théorie et de la pédagogie

Q y a communauté puis équivalence des fondements et des situations de la théorie et de la pédagogie architecturale moderniste.

Dès lors peuvent se poser à la théorie les questions de la pédagogie, et réciproquement. Reprennons celle qui nous tient : l'apprentissage de

(20)

l'essence de l'architecture serait-il impossible ? Soit cet apprentissage est effectivement impossible; soit la théorie architecturale moderniste ne posait pas la question de l'essence de l'architecture; soit, si elle la posait, elle ne s'était pas donné les moyens d'y répondre. Tout cela amène à s'étonner encore de l’absence de concepts originaires à l'architecture.

L'enjeu de ce texte, c'est-à-dire l'essence de l’architecture, rejoint le souci d'un événement préalable, central dans la demande ministérielle. Mais différemment, en le dégageant de toute recherche de savoir organisé, on l'isole de la confusion traditionnelle et toujours dominante : formation = information. Cette confusion tendrait en effet à se perpétuer dans la quête d'un noyau de connaissances, même échappant aux impasses dogmatiques, stylistiques et impressionnistes.

Si l'enjeu est atteint, sans doute pourrons-nous commencer à répondre à cette interrogation d'étudiant troublé au beau milieu de son apprentissage : comment savoir, alors qu’on ne me dit pas l’essence de l’architecture, si j ’apprends l'architecture ou si j ’apprends à faire des bâtiments plus ou

(21)

LA VOLONTE DE COMPETENCE L*architecture, art théorico-pratique par excellence

Origine de la pédagogie architecturale moderniste

L’objectif pédagogique du XVIII0 siècle s'appuie sur l'idée de compétence. De la sorte il rompt la tradition classique de l'apprentissage architectural et fonde la pédagogie des siècles suivants. La compétence selon les préceptes de ce "siècle des pédagogues" est ce bien nécessaire à tout individu afin de devenir un acteur responsable dans le cadre du projet de civilisation que les Lumières apportent : le bonheur proviendra de "la liberté, de l'égalité et de la propriété". Aussi l'homme nouveau, futur citoyen, doit-il acquérir une qualité civile, c'est-à-dire une aptitude politique et sociale et une maîtrise professionnelle.

(22)

Pour les Lumières, l'éducation tient une place considérable dans la prise en mains par l'homme de son propre destin. L'école en est tout naturellement l'outil indispensable. Elle atteindra ce but au point que Durkheim pourra définir l'éducation comme "l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale" (1). John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Helvétius et Emmanuel Kant sont les pédagogues les plus influents de cette époque (2). Pour eux c'est par l'éducation que s'opérera la réforme de la société, effectuée en chacun et pour chacun. Si pour Kant, "l'homme ne peut devenir homme que par éducation" (3), c'est, ajoute Locke, "l'éducation qui fa it la différence entre les hommes" (4), reconnaissant là toute sa valeur culturelle fondatrice.

Au XVIII0 siècle la pensée sur l'art est nourrie par les premiers éléments de sociologie et par la croyance au déterminisme du milieu. L'activité créatrice est alors tenue pour un des chemins indispensables de réforme de l'individu. Au travers de grandes fêtes populaires, elle permet en outre la participation d'immenses masses humaines au projet de nouveau monde. L'architecture, "si utile à la société, & si nécessaire à la vie civile" est enrôlée (5). Elle ira jusqu'à devenir "parlante" pour diffuser, symboliquement ou poétiquement, le discours des Lumières à une France où les trois quart de la population ne sait pas lire. Les architectes, comme les autres, doivent apprendre à remplir efficacement leur tâche. Aussi la pédagogie architecturale moderniste, pour être digne des enjeux soulevés dans cette prise en mains de son destin par l'homme, doit-elle être adéquate avec le but qu'elle se donne et que la société lui reconnait : la formation d'homme libre et architecte de métier.

1 - Cité par Gaston M ialaret dans Introduction à la pédagogie, op.cit. p.12. 2 - De l'Esprit et De l'Homme. Helvétius.

3 - Traité de pédagogie, op.cit. p37.

4 - Quelques pensées sur l'éducation. op.cit. p.27.

3 - Discours sur la nécessité de l'architecture. Jacques François Blondel. Chez C A . Jombert, Paris 1734. p .6 .0 convient de se référer au texte d'Etienne-Louis BouUée à propos de son projet de cirque.

(23)

De l'importance du métier

Locke et Rousseau ont tous deux mis l'accent sur la nécessité de posséder un métier. Chacun avait ses raisons. Dans Quelques pensées sur l'éducation, Locke détaille l'éducation d'un gentilhomme. Celui-ci doit étudier principalement les arts libéraux, c'est-à-dire les disciplines où le travail de l'esprit prévaut. L'acquisition d'un métier doit servir à son divertissement, à sa décontraction et à l'exercice de son corps (6). Le pas est malgré tout franchi : la raison explique que l'aristocrate doit aussi agir de ses mains. Les préoccupations de Rousseau sont plus sociales. Emile doit acquérir un métier pour se préserver contre les revers de fortune : la révolution si nécessaire ne manquera pas de le priver de sa richesse. Bien au delà pour l'auteur du Contrat social, le travail est un devoir auquel personne ne peut se soustraire. "Riche ou pauvre, tout citoyen oisif est un fripon" (7).

Fragmentation et spécialisation

La volonté de compétence a pour effet la fragmentation des domaines de savoir et d'activités. C'est la condition nécessaire à la spécialisation des acteurs. Cette fragmentation est liée à l'apparition au XVII0 siècle d'une science de l'Ordre. A l'image du microscope qui permet de dégager les éléments constitutifs d'une masse apparamment homogène, cette science de l'Ordre s'est attachée à disséquer la masse opaque du savoir classique. Elle isole, distingue les concepts, les domaines, les savoirs et les savoirs-faire, afin de les comprendre et de leur donner publicité. Classification, ordonnancement sont des travaux de caractérisation qui mettent l'accent sur les spécificités, sur les différences. La champ classique en ressort fragmenté en morceaux plus autonomes, objets de spécialités.

Cela s'avère en architecture. L'Ecole Royale des Ponts et Chaussées est crée en 1774. Cela marque la séparation officielle des arts de l'architecte et des arts de l'ingénieur. L'établissement d'un savoir des ingénieurs et son enseignement dans une nouvelle institution est à l'origine du fractionnement

6 - Quelques pensées sur l'éducation. John Locke. Librairie philosophique J. Vrin, Paris 1966. p.265. 7 • Emile. Jean-Jacques Rousseau.

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du domaine traditionnel de l'architecture. Celui-ci était composé de trois sortes d'architecture, Civile, Militaire et Navale. Il comprennait les ponts, les routes, les canaux et les ports. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées s'occuperont désormais de tout à l'exception de l'architecture civile. Alors l'architecte-théoricien comme le pédagogue doit repenser la situation de l'architecture et de l'architecte en fonction de ce nouvel état de fait et de droit, où de nouveaux acteurs concurrents interviennent. L'Ecole des Ponts et Chaussées y a été parfaitement installée par Turgot, et sa conséquence, le Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, y occupe une place immédiatement plus appropriée que celle du groupe éclaté des architectes.

La perte du Paradis

Dès lors la question : l'architecture est-elle un art et/ou une science ? va se poser tout autrement que pendant l'ère classique. Art, science et philosophie composaient un ensemble culturel homogène, représentation d'un monde conforme à une Nature originelle. Un modèle théorique ou un concept passait sans difficulté de l'un à l'autre, et parfois prennait en considération les trois sous-ensembles : ainsi l'Ordre et la Mimésis (l'imitation) ont été développés dans les trois champs. Avec la fragmentation de cette trilogie, c'est le Paradis qui est perdu, dira Einstein, cet état où le latin unifiait le savoir, définitivement osait-on croire. Mais pour leur progrès respectif, art, science et philosophie avaient besoin de leur autonomie.

Dans le grand vide libéré par cette perte d'unité, l'écho du dilemne théorico-pratique ne fera que s'amplifier.

La volonté de compétence éclaire différemment la relation entre la théorie et la pratique

Aux théoriciens et aux pédagogues revient la difficile tâche de comprendre comment s'associent le théorique et le pratique dans ce domaine qui vient de perdre son contour ancestral, dont ils ne savent pas s'il est un art ou une science, ou les deux à la fois, et qui doit, malgré tout, devenir un opérateur efficace dans une situation historique totalement nouvelle.

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Reflet de ces incertitudes des théoriciens enseignants, la période moderniste laisse apparaître toutes les possibilités de la combinatoire art- science-théorie-pratique. Du commentaire par les classiques de L'art de bâtir de Vitruve aux positions de groupes pédagogiques — y compris contemporains tels l'école de La Cambre, la Cooper Union School of architecture ou le Groupe Uno, en passant par Beauty in building de John Ruskin, Eléments et Théories de l’architecture de Julien Guadet ou Scope fo r a total architecture de Walter Gropius, théorie et pédagogie dans les temps modernes déploient tout l'éventail d'une balance architecturale entre art et science. Aucun auteur n'a envisagé de les séparer vraiment, aucun n'ose écrire : "l'architecture est un art, pas une science", ou inversement, sans revenir un jour sur ses dires. Ce qui est en jeu, c'est la prédominance d'un terme sur l'autre et leur degré de distinction. Même Durand — qui fait basculer le projet dans une approche scientiste — tente d'installer une parfaite équivalence : "L'architecture est toux à la fois une science et un art". La séparation est impossible et si certain tente la distinction, c'est pour rappeler immédiatement que "là où le beau n'est pas proclamé essentiel, là où la science n’est pas déclarée inséparable de l'art, on s ’habitue facilement au difforme, on tolère la laideur, on s'expose au monstrueux" (8). C'est permettre à la construction d'exister sans le beau et cautionner la construction sans architecture (9).

L'architecture ne peut plus être un art du traité, discuté dans les académies avant d'être mis en œuvre pour les pompes royales; elle doit servir à équiper le territoire du nouvel ordre, économique, politique et social. Dans la tradition française, l'opposition de l'Académie Royale d'architecture et de l'Ecole des Arts illustre le nouvel éclairage de la relation théorie/pratique.

8 - Grammaire des arts décoratifs. Charles Blanc.op.ciL 9 - ibid.

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L'Académie Royale d'Architecture

En 1671 Louis XIV crée l'Académie d'Architecture, puis en 1694 la charge de l’enseignement. Ce n'est qu'en 1717 que l'Académie reçoit ses statuts et son règlement intérieur. Son objet est de produire la doctrine architecturale dont a besoin l’administration des bâtiments du roi. Il faut poser l'esprit de mesure et le bon goût français, face aux débordements des baroques italiens, espagnols et allemands. Cette doctrine — le Classicisme français — repose sur les textes de Vitruve, non pas dans la traduction ancienne établie par Jean Martin en 1547, mais dans une nouvelle mouture commandée par Colbert à Claude Perrault. Cest une adaptation du texte aux conceptions contemporaines. Perrault fait parler français à Vitruve, pourra même écrire François Blondel le directeur de l'Académie. En 1676, trois ans après sa publication, l'Académie d'Architecture couronne Vitruve "/e premier et le plus savant de tous les architectes" (10). D est vrai qu'elle aura su extraire de son traité l'idée d'une beauté née de la proportion et l'indication d'un style.

Comme l'Académie de Peinture, son aînée, celle d'architecture a la charge et le monopole de l'enseignement. "La companie a jugé que le nom d'architecte ne devait se donner qu'à ceux qui ayant fa it une étude particulière des principes de cet art, s'em p lo yer avec tout le génie nécessaire à le cultiver" (11). Sous cette déclaration aux odeurs corporatistes, l'enseignement dispensé est théorique et organisé. Il vise à remplacer l'enseignement traditionnel, professionnel et pratique (12) et est donné lors de conférences publiques, d'une heure chacune, deux fois par semaines. La première séance est consacrée à la géométrie, la seconde aux principes généraux de l'architecture. On y détaille les différents traités, celui de Vitruve bien entendu mais aussi ceux des Palladio, Alberti, Serlio ou Vignole. Depuis la publication au XVI0 siècle des textes de Vitruve, la science architecturale était contenue dans le discours écrit des Anciens; elle n'est plus sur le chantier comme au Moyen-Age. On s'entretient donc

10 - Procès verbaux de l'Académie d’Architecture. Henri Lem onnier... 16 février 1676. 11 - Cité par Françoise Fichet, in La théorie à l'aâge classique, op.cit p.140.

12 - Les enseignants qui se sont succédés à sa chaire étaient : François Blondel, La H ire. Desgodets, Courtonne, l'abbé Camus et L oriot

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davantage de théorie que de pratique, de culture générale que de pratique professionnelle. Aussi, statutairement, les cours sont-ils accessibles"d tout homme de quelque âge ou de quelque condition qu’il soit, qui aura du goût pour l'architecture". L'audience se compose d'auditeurs libres et de quelques étudiants porteurs du titre d'élève de l'Académie : six d'entre eux ont été retenus par le professeur et vingt-deux autres par les Académiciens.

Les notions de compétence professionnelle et de métier ne sont pas de mise dans l'enceinte académique. Les élèves sont astreints à faire leur apprentissage hors de l'Académie dans les ateliers des architectes professionnels; eux seuls peuvent se présenter aux concours. A l'origine concours d'émulation, ceux-ci servent à donner une cohésion à la pédagogie en constituant le moment privilégié où l'enseignement théorique de l'Académie et l'enseignement pratique des ateliers extérieurs se trouvent réunis. Ils se transformeront pour devenir l'accès au séjour de trois années à l'Académie de France à Rome, comme pour les peintres et les sculpteurs.

Blondel contre Blondel

En 1740, Jacques François Blondel attaque le monopole de l'enseignement de l'architecture. Il ouvre son Ecole des Arts malgré le risque de se retrouver au ban de la société architecturale d'alors par sa concurrence interdite avec l'Académie. A la suite de trois années probatoires l'Académie l'autorise, le 6 mai 1743. Son école est très florissante de 1749 à 1754. Mais cette année-là, il doit la fermer pour cause de faillite (13).

Jacques-François Blondel vient de créer une structure inconnue jusqu'alors et qui n'a pas été remise en cause jusqu'à nos jours. C est une école où sont dispensés tous les enseignements nécessaires à l'éducation d'un architecte c'est-à-dire où est transmis un savoir adéquat au futur travail d'architecture. Ce savoir doit être le plus large possible compte tenu de

13 - D en attribue la cause à une mauvaise gestion financière et aux embarras causés par la guerre de Sept ans. Comme le rem arque Jean-M arie Pérouse de M ontclos, cela "perm et de m esurer

l’importance du contingent d'étrangers sur lequel l'école comptait chaque année" (13). Il est vrai que

la renommé de l'Ecole des A ns a été portée en Allemagne, au Danemark, en Suède et en Angleterre par François Cuvilliés; Karl von Gontard, le chevallier de M arolles, Casper-Frédik Harsdorff, Louis- Jean Desprez et W illiams Chambers qui ont suivi les cours de Jacques-François Blondel, comme Boullée, Brongniart, Mique, Ledoux, de Wailly, Neufforge, etc.

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l'étendue du champ architectural. Au lieu de donner seulement d'épisodiques conférences, Jacques-François Blondel dispense un enseignement complet et continu. Il définit ainsi son programme : "indépendamment des leçons d'architecture qui sont la base de cette Ecole, on y enseigne le Dessein, pour parvenir par son exercice aux connaissances de la Sculpture, de la Peinture, de l'Agriculture, &c. On y enseigne les Mathématiques, les Fortifications, la Perspective, la coupe des pierres, l'art de modeler, & on y donne des leçons d'expérience sur les lieux, par l'examen des plus beaux édifices de cette Capitale & des environs" (14). On y donne même des cours de danse pour aider l'architecte à acquérir une compétence accrue d'homme de salon. En 1748, Simon-Louis de Ry, petit-fils d'émigré français en Allemagne, témoigne : "Depuis quatre jours je fréquente chez M. Blondel de huit heures du matin jusqu'à la nuit. Son Académie se compose de six professeurs...; lui-même enseigne l'architecture... M. Blondel fait, en outre, tous les ans avec ses élèves des excursions dans les environs de Paris, par exemple à Versailles, Fontainebleau, Marly, etc. et il y attire leur attention sur les beautés et les défauts des édifices..." (15).

A la suite de Diderot, Jacques-François Blondel est persuadé qu'il "est important pour le progrès des arts que les hommes en place acquièrent les connaissances élémentaires de l'architecture" (16). Aussi ouvre-t-il des cours publics, où se côtoieront amateurs et artisans, tous les dimanches de dix heures à midi et de deux heures à six heures.

Le parti-pris des Encyclopédistes

L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert donne écho à ces différences et prend clairement fait et cause pour le jeune Blondel. Elle expédie en deux paragraphes le cas de l'Académie d'Architecture. Le premier la décrit sommairement et le suivant fait comprendre avec humour qu'on y apprend rien. "Académie d'Architecture; c'est une companie de savons architectes

14 - Discours sur la nécessité de l'étude de l'architecture. Jacques-François Blondel. Chez C.A. Jombert. Paris 17S4. p.69, note (a).

15 - Cité par Pierre Lavedan. in Pour connaître les monuments de France, Arthaud, Paris 1970, p.450.

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établie à Paris par M. Colbert, ministre d'Etat, en 1671 sous la direction du surintendant des Bâtiments....* Paracelse disait qu’il n'avait étudié ni à Paris, ni à Rome, ni à Toulouse, ni dans aucune Académie : qu'il n’avait d'autre université que la nature, dans laquelle Dieu fa it éclater sa sagesse, sa puissance, & sa gloire, d'une manière sensible pour ceux qui l'étudient. C'est à la nature, ajoutait-il, que je dois ce que je fais, & ce qu'il a de vrai dans mes écrits" (17).

Dans l'article Ecole, le passage sur celle d'architecture est bien plus long. Il décrit avec enthousiasme celle de Jacques-François Blondel :

" E C O L E , (Archit.) c'est un bâtiment composé de grandes salles, où des

professeurs donnent publiquement des leçons sur les mathématiques, la guerre, l'artillerie, la marine, la peinture, l'architecture, etc. Il diffère de l'académie, en ce sens que celle-ci est un lieu où s ’assemblent des hommes choisis pour leur savoir et leur expérience, pour concourir ensemble au progrès des sciences et des arts (voyez A C A D E M IE ); au lieu qu’une école est

le lieu où s ’enseignent ces mêmes sciences et ces mêmes arts, par des hommes reconnus capables chacun en son genre. C'est ainsi qu'en 1740, fu t établie celle de M. Blondel, rue des Cordeliers, à-présent rue de la Harpe à Paris; établissement qui fu t approuvé le 6 mai 1743, par l'académie royale d'architecture, & autorisé par le ministère en 1750" (18).

17 - Encyclopédie... op.ciL article "Académie", tome I, p.236

18 - Encyclopédie... op.ciL tome XI, 766/767. "...L 'étude de l'architecture étant l'objet principal de cette éco le, M. Blondel y enseigne tout ce qui regarde l'art de bâtir relativem ent à la théorie et à la pratique, & de plus, toutes les parties des arts & des sciences qui ont rapport à l'architecture. Il fait choix des professeurs les plus habiles, pour montrer les mathématiques, la coupe des pierres, la perspectives, le desin, tant pour la figure, que pour le paysage & l'ornement; de sorte que chaque élève intelligent peut marcher à pas égal, de la connaissance des sciences à celle des beaux-arts, de la partie du goût à celle des principes élémentaires, & de la spéculation à l'expérience.

Par ce moyen, ceux qui se destinent, en entrant dans cette école , à un genre particulier, se trouvent munis, lorsqu'ils en sortent, des connaissances générales des autres parties; connaissances qui leur assurent de plus grands succès dans la profession qu'ils ont choisie.

Q uant à la m éthodes que l'on suit dans les leçons d'architecture, l'on commence par développer les éléments de l'art; puis on les fait appliquer à des compositions faciles, qui excitent à de plus grands efforts dans la théorie; & lorsque les élèves sont en état de découvrir, par l'aspect de nos monuments, la source des beautés ou des licences qu'on y remarque, ils travaillent à des productions plus im portantes, qu'on leur facilite en les aidant des m eilleures leçons, de dém onstrations convaincantes, & de manuscrits; par là on leur applanit les difficultés qu'entraine la nécessité de concilier la construction, la distribution & la décoration, & qui se rencontrent infailliblement, lorsque l'on veut marcher avec sûreté dans la carrière d'un art si vaste et si étendu. Après être dans la difficulté des opinions des anciens A des modernes, chacuns des élèves est envoyé, pendant la belle saison, dans les bâtiments que l'on construit dans les différents quartiers de cette capitale, pour qu'il acquière les connaissances de pratique, la partie du détail, & l'économie du bâtim ent

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Exemplarité de l'art de la guerre

Ce qui est passionnant et rempli d'enseignement est que ce passage vient après une exposition dythirambique des avantages de l'Ecole Militaire : "Nous avons dans l'école militaire un modèle d'éducation, d it l'Encyclopédie, ajoutant que toutes les personnes qui sont en charge d'élèver les jeunes gens, devraient tâcher de se rapprocher; soit à l'égard de ce qui concerne la santé, les alimens, la propreté, la décence, etc. soit par rapport à ce qui regarde la culture de l’esprit. On n'y perd jamais de vue l'objet principal de l'établissement, & l'on travaille en des temps marqués à acquérir les connaissances qui ont rapport à cet objet : telles sont les langues, la Géométrie, les Fortifications, la Science des nombres, Etc. Ce sont des maîtres habiles en chacune de ces parties qui ont été choisis pour les enseigner" (19).

Pour approcher de plus en plus leurs études du point de perfection où l'on voudrait les porter; au retour des ateliers, ils concourrait tour-à-tour plusieurs ensemble, à qui remplira le mieux divers programmes qui leur sont donnés; les uns en architecture, les autres pour les mathématiques, ceux-ci pour le dessin, ceux-là pour la coupe de pierres; & on décerne un prix à ceux qui ont réussi avec le plus de succès dans chque genre. Ce prix consiste en une médaille, qui leur est distribuée en présence de nombre d'amateurs, d'académiciens, & d'artistes du prem ier ordre, lesquels se font un plaisir de féconder l'émulation qu'on voit régner dans cette éco le, a i décidant du mérite des ouvrages qui ont concourra, A en adjugeant eux-mêmes les prix qui sont attribués en leur présence, & d'après leur suffrage.

Un établissem ent si intéressant a para encore insuffisant à son auteur. Pour le rendre plus utile, A les connaissances de l'architecture {dus universelles, il a fondé dans cette école douze places gratuites pour autant de jeunes citoyens qui, favorisés de la nature plus que de la fortune, annoncent d'heureuses dispositions, A des talents décidés pour form a des sujets à l'état; & il a ouvert plusieurs cours publics, qu'il donne régulièrement; A pour que ses leçons devinssent utiles à tous, il a envisagé cet art sous trois points de vue: savoir, les éléments, la théorie A la pratique; A en conséquence, tous les jeudis A samedis de chaque semaine, depuis trois heures de l'après-midi jusqu'à cinq il donne un cours élém entaire d'architecture spéculative, composé de quarante leçons, destinées pour les personnes du p rem ia ordre, qui ont nécessairement besoin de faire e n tra les connaisances de cet art dans le plan de leur éducation. Après ces quarante leçons. Us sont conduits par l'auteur dans les édifices de réputation, pour apprendre à discerner l'excellent, le bon, le médiocre, A le défectueux. Ce cours est renouvellé successivement, & U est toujours ouvert p u un discours, qui a pour objet quelque dissertation importante sur l'architecture, ou sur les arts en général.

Tous les dimanches de l'année, après midi & à la même heure, U donne un cours de théorie sur l’architecture, dans lequel il explique A démontre avec soin, A dicte avec une sorte détendue les principes fondamentaux de l'art à l'usage des jeunes architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, décora­ teurs, A généralement de tous les entrepreneurs de bâtiments, qui étant fort occupés pendant toute la semaine dans leurs ateliers, se trouveraient privés de ces leçons utiles, s'ils ne pouvaient les prendre le jour de leur loisir.

Ces différents exercices sont aussi ouverts en faveur de ceux qui ont besoin du dessin en p articu lia; tels les horlogers, ciseleurs, fondeurs, orfèvres, etc. qui y trouvent les instructions convaiables A nécessaires pour perfectionna leur go&t A leurs talents".

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Absence de concept originaire

Cette exemplarité nous ramène au cœur de la question en autorisant un rapprochement entre l'art de la guerre et l'art de bâtir, définition vitruvienne de l'architecture alors incontestée. L'art est ici entendu à la fois comme un savoir-faire, une habileté et comme une connaissance appliquée, différemment de la science, cette connaissance abstraite.

L'art militaire est l'art théorico-pratique par excellence, celui dont le fondement n'a pas eu besoin d'être pensé et dont l'origine n'a pas été théorisée. Cest un art de l'utilité, né de la nécessité. L'homme se bat depuis aussi loin que remonte sa mémoire, sans qu'il ait eu à en comprendre la cause première : il le fallait pour le feu, contre la faim, pour le territoire. D s'est battu, et s'est battu à nouveau, améliorant chaque fois sa manière de le faire, avec habileté et finalement métier.

Considérée comme art de bâtir, l'architecture est un art théorico- pratique. Cest un art de l'utilité, né de la nécessité. L'homme construit son toit depuis aussi loin que remonte sa mémoire, sans qu'il ait eu à en comprendre la cause première : il le fallait pour le feu, contre le froid et les intempéries, pour le groupe. Q a bâti, et a bâti à nouveau, améliorant chaque fois sa manière de le faire, avec habileté et finalement métier.

François Blondel avait reconnu cette ressemblance. Ainsi, lorsqu'il stigmatise les architectes qui, une fois reconnus, "veulent [...] que tout ce qu'il y a de beau dans les ouvrages de l’art ne soit qu'un pur effet du génie et de l'expérience", peut-il ajouter -."mais je sais bien aussi que ce raisonnement (qui est commun aux architectes, et à ceux qui dans les actions de la guerre, aussi bien que dans les exercices des arts, donnent tout à la pratique), se détruit aisément de lui-même, quand on vient à considérer la différence qu'il y a entre ceux qui savent donner raison de ce qu'ils entreprennent, et ceux qui travaillent sans savoir ce qu’ils font" (20).

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Ingénieurs militaires : Vitruve et Fr. Blondel

De son premier métier, François Blondel est ingénieur militaire. Ainsi publie-t-il à la fois en 1683, Nouvelle manière de fortifier les places et L'art de jetter les bombes" (21). Ce faisant il poursuit parfaitement la tradition vitruvienne. L'éducation romaine se faisait en grec. Le texte du grand ancêtre est en latin parce qu'il est avant tout un manuel autant de technique militaire que de construction, et non pas un traité théorique d'architecture. Cest dans cette lignée que s'inscrit l'architecture militaire, genre important dans l'histoire de l'architecture et dans celle du rapport de l'homme à son cadre bâti et à son territoire. Les auteurs classiques considéraient d'ailleurs les architectes qui ont traité des fortifications comme faisant partie intégrante de la classe des "Doctes Architectes" : Maître Jean Erart, le Comte Maurice, Maître Jacques Flamand, Haudelet, du Pressac, Maître Jacques Perret, Honorât le Mesnier et le Chevalier de Ville Tholosain.

Art théorico-pratique ou art de la nécessité : la confusion de l'effet et de la cause

A la différence des arts dits d'agrément tels la peinture, la sculpture ou la musique, l'architecture est comprise pour un art de la nécessité. La tradition dit qu'il provient de la possibilité et de la nécessité pour l'homme de se protéger. Ce faisant, la tradition ne retient que l'effet. La nécessité de se protéger n'est pas une cause en soi, mais la conséquence d'une cause plus essentielle : il faut être au monde pour sentir la nécessité de l'habiter.

Si l'on retient la nécessité de bâtir comme cause initiale de l'architecture, alors très logiquement ce sont les effets de cette nécessité qui viennent à représenter l'architecture, ce sont les bâtiments qui viennent à être l'image de l'architecture. L'architecture étant confondue avec le bâtir, l'histoire de l'architecture allait se confondre avec celle du bâtir, et sa théorie avec les interrogations sur l'art de bâtir. Même Léon Battista Alberti, qui fit un pas décisif pour le dégagement de l'architecture hors du bâtir en

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participant à la formation de la perspective scientifique avec Brunelleschi, ne pourra s’interroger que sur la naturalité de l'acte de bâtir.

L'ensemble faisait boule de neige, la pratique enrichissait le théorique qui l'enrichissait à son tour. Leur jeu s'éloigne peu à peu de la cause initiale jusqu'à la perdre de vue. D finit par donner l'impression qu'il se fonde en lui- même, autour de son centre : le bâtir. Il donnait l'apparence d'être à la fois l'effet et la cause cumulée de l'architecture. Aussi lorsqu'au XVI0 siècle, l'architecture se constitue en discours, le Traité d'Architecture de Vitruve acquiert-il la souveraineté du Texte Primitif, comme le souligne Françoise Fichet : "La connaissance technique et artisanale de l'architecture, confiée jusque-là à la transmission orale, entre dans le champ de l'Ecriture, trouve son auteur et le fondement de son autorité en Vitruve dont le D e Architectura va devenir pour plusieurs siècles le référent de la connaissance architecturale, la Sainte Ecriture, le "Livre", à la fo is Bible et charte professionnelle" (22).

Etienne-Louis Boullée a stigmatisé cette confusion de l'effet et de la cause et dans une phrase assassine a repoussé trois siècles de tradition vitruvienne. C'est fort de ce bras de levier que nous pouvons aujourd'hui pousser le raisonnement plus loin (23).

Pourquoi la théorie architecturale moderniste a échoué dans la recherche de l'essence ? Hypothèse

A l'aube du modernisme, les architectes ne possèdent pas de concepts originaires. Boullée peut à juste titre écrire que l'architecture est dans son enfance. Mais cette situation n'explique pas pourquoi, aujourd'hui, nous n'avons toujours pas conscience de l'essence de l'architecture. Pourquoi, alors que le Modernisme a mis en cause la définition de l'architecture comme art de la nécessité de bâtir, les enseignants théoriciens modernistes n'ont-ils pas réussi à nous faire accéder aux concepts originaires ?

22 - La Théorie architecturale à l’âge classique. Essai d'anthologie critique. Françoise Fichet. Pierre Mardage éditeur, Bruxelles 1979. p.13.

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Posons notre hypothèse : au moment où art, science et philosophie gagnent leur autonomie, les architectes théoriciens et pédagogues modernistes se trouvent tout particulièrement confrontées à l'absence de concept ontologique de l'architecture — considérée comme art théorico- pratique de la nécessité de bâtir. Ils vont rechercher une conception globale de l'architecture qui résoudrait le dilemme théorie/pratique. Ils vont rechercher l'unité initiale de la théorie et de la pratique. Mais cette unité constitue un dilemme irrésolu parce qu'irrésolvable. L'unité du théorique et du pratique est un mythe.

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— m —

LE DILEMME IRRESOLU... Quelques scènes modernistes du couple

Théorie et Pratique de l'Architecture

Dans les différentes articulations art-science-théorie-pratique, le projet n'est pas rejeté et va progressivement occuper une place centrale. Il s'y retrouve autant comme un objet de savoir que comme le moment du style. En effet même si la théorie est tenue pour la pensée, et la pratique pour l'action, différents aspects de la pensée et de l'action apparaissent. L'action va ainsi passer de la construction : l'acte de bâtir, au projet : l'acte de dessiner son dessein.

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L'Académie dissocie tout net théorie et pratique. L’ennoblissement de la théorie par son enseignement au sein de l'Académie vient de l'attribution de cette dernière. Elle n'est pas de contrôler les travaux des Bâtiments du roi, mais de constituer la doctrine servant à les concerter. S’ajoute une méfiance à l'égard du génie, légitime pour cette institution vouée à régler le bon goût. Pour François Blondel, nul doute que le talent vient de ce que les architectes "savent donner raison de ce qu'ils entreprennent" (1). Cette forme de raisonnement et de déduction doit l'emporter sur la pratique et l'expérience. La théorie figure dans les propos de l'académicien, non pas tant comme un préalable indispensable, que comme la possibilité d'une justification nécessaire.

La théorie sert là à ancrer la pratique mais dans une fondation après- coup. Quoi de plus logique, quand l'architecture est définie comme l'art de bâtir, que de concevoir la théorie non pas comme le lieu d'une recherche de l'essence, mais comme une praxis, comme la pratique même d'une réflexion dont l'objet est cette expérience apportée par l'art de bâtir. Comment, sous l'auspice de Vitruve, penser que la théorie de l'art de bâtir a pour autre objet que de fonder la pratique de son auteur ?

Pour atteindre ce but, la théorie académique se base sur les textes anciens, recueils de l'expérience antique. Le traité de Vitruve en acquiert une valeur fondamentale. Mais, même s'il fait office de loi, François Blondel n'en reste pas moins dans un retrait qui marque son attachement à une théorie, fruit du raisonnement et de la déduction. "Je ne suis pas du sentiment de ceux qui ne veulent rien souffrir dans l'architecture dont on n'ait quelque exemple dans les ouvrages antiques, écrit-il dans son Cours. Je sais au contraire qu'il y a beaucoup de choses dans ces bâtiments des anciens dont je ne voudrais jam ais conseiller l'usage" (2). Il déjuge 1 - Cf. chapitre précédent, note 20.

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certains "bâtiments des anciens" mais pas leurs idées. Il n'écarte pas la pensée vitruvienne et pour établir l'esthétique académique, il s'appuie sur ses points durs, les ordres et les mathématiques. Dans sa définition de l'architecture il hésite entre l'art et la science (3) mais, vitruvien et scientifique dans l'âme, c'est une science qu'il cherche finalement. Ingénieur militaire, mathématicien, lecteur de mathématiques au Collège de France, il invente une doctrine objet d'un discours de raison et basée sur la quête de faits tangibles. Ceux-ci appartiennent à l’histoire de l'architecture et déjà discutés : ce sont les ordres et la géométrie. Issus de l'expérience ils sont déjà organisés en science, cet ors combinatoria qui donne leur organisation. Cette science s'appuie sur les mathématiques, sur la géométrie dont Mathurin Jousse a dit qu'elle est le secret de l'architecture (4). Au délà des rabattements, c'est la proportion qui importe. A partir du choix initial d'un ordre et de sa taille, s'opère un développement proportionnel qui engendre le bâtiment. L'harmonie est ainsi garantie par ce maintien du projet et de la construction dans un cadre rigoureux et unitaire. François Blondel s'appuie sur un parrallèle entre architecture et musique pour s'en expliquer. Très impressionné par la théorie des proportions hamoniques d'Ouvrard, il tente lui aussi la mise au point d'une esthétique scientifique. Selon Françoise Fichet, avec lui, "l’Académie rêve comme Pymandre d’une loi générale qu’il suffirait d'appliquer “pour parvenir à une parfaite et unique beauté qui pût être suivie de tous les ouvriers et agréable à tout le monde" (5).

Sur le thème de l'origine du beau, François Blondel s'oppose au traducteur de Vitruve. Pour le premier, le beau vient de l'emploi de proportion dont l'origine est dans la nature. Claude Perrault s'attache, lui, à démontrer que le beau est dû à un effet d'accoutumance. Mais entre eux deux, V itruve reste le commun dénom inateur. Pour l'ancien, l'architecture "arr de bâtir" est une science qui s'acquiert par la théorie et par

3 - “L'architecture, ainsi que les autres arts ou sciences, a ses termes particuliers, qui doivent être

premièrement expliqués si l'on veut avoir une intelligence parfaite de ses préceptes", in C ours...

op.cit

4 -L e secret d'architectvre décowrant fidèlem ent les traits géométriques, covppes, et derobemens

necessaires dans les bastiments. Mathurin Jousse. George Griveau, La Flèche 1642. p A .

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la pratique. Seul l'usage simultanné de la théorie et de la pratique permet de mener à bien une tâche architecturale (6). Dans ses notes de traduction, Claude Perrault fait cette remarque : "Les mots defabrica et de ratiocinatio, de la manière que Vitruve les explique, ne pouvaient être autrement traduits que par "pratique" et "théorie", parce que "raisonnement" est un mot trop général, et que "fabrique" n'est pas français" (7). Chez Vitruve, la pratique est déjà placée avant la théorie et la théorie a déjà pour tâche de conforter la pratique. Le projet — "les desseins que l'on s'est proposé" — est, quant à lui, ignoré. L'Académie agit de même. Elle semble ne pas voir la nécessité de maîtriser davantage ce point. Après tout, n'est-ce pas elle qui, par vocation, garantit du bon goût, promulge et détient le code architectural ? Il n'est donc pas question de style, de création. La liberté projectuelle ne peut d'ailleurs être qu'une licence, c'est-à-dire la capacité à décliner et à faire dévier le thème.

Au moment où la conception de l'architecte comme génie accordé aux forces profondes de la Nature vient remplacer celle de l'érudit constructeur, au moment où l'idée d'un "Bon goust" est écartée par celle du goût comme intuition de la raison, au moment où le sensualisme "réintroduit au nom de l’harmonie naturelle du monde créé, les données des sens que la philosophie classique avait éliminées de la connaissance rationnelle comme cause d'erreur" (8), ce maintien à l'écart de la question projectuelle marque l'anachronisme de l'Académie et la condamne.

6 - "L'architecture est une science qui doit être accompagnée d'une grande diversité d'études et de

connaissances par le moyen desquelles elle ju g e de tous les ouvrages des autres arts qui lui appartiennent. Cette science s'acquiert par la pratique et par la théorie. La pratique consiste dans une application continuelle à l'exécution des desseins que l'on s'est proposé, suivant lesquels la form e convenable est donnée à la matière dont toutes sortes d'ouvrages se font. La théorie explique et démontre la convenance des proportions que doivent avoir les choses que l'on veut fabriquer; cela fa it que les architectes qui ont essayé de parvenir à la perfection de leur art par le seul exercice de la main, n'y sont guère avancés, quelque grand qu'ait été leur travail, non plus que ceux qui ont cru que la seule connaissance des lettres et le seul raisonnement les y pouvait conduire; car ils n'en ont jam ais vu que l'ombre; meus ceux qui ont jo in t la pratique à la théorie ont été les seuls qui ont réussi dans leur entreprise, comme s’étant munis de tout ce qui est nécessaire pour en venir à bout". Les Dix Livres d'Architecure de Vitruve. Traduction de Claude Perrault. Paris 1673. Chapitre 1.

7 - ibid. Notes numéro 2 du chapitre 1 du livre 1. 8 - La théorie à l'âge classique. op.ciL p 36.

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