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La rhétorique de l'extrême chez Anne Hébert /

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(.

La rhétorique de l'extrême chez Anne Hébert

par

Sébastien Hamel

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de Langue et littérature françaises Université McGill

Montréal~ Québec

Août 1996

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Résumé

Ce mémoire se donne pour but de mettre en lumière une spécificité d'écriture, c'est-à-dire une rhétorique propre, présente dans l'ensemble de la production littéraire d'Anne Hébert: la rhétorique de l'extrême. Plusieurs manifestations de cette rhétorique sont présentes dans son oeuvre: emploi de mots faisant explicitement référence aux extrêmes (<<toujours~, «jamais», etc.), formation d'isotopies (extrême richesse ou extrême pauvreté), thématiques dualistes, axiologisation binaire, élaboration de personnages fortement contrastés (Bernard et Héloïse dans le roman Héloïse) et utilisation de la figure· de rhétorique qui unit les extrêmes: l'oxymore.

La rhétorique, entendu au sens moderne du terme à la suite des travaux, notamment, du Groupe Mu, de Gérard Genette et de Roland Barthes, nous a pennis, d'une part, de faire une analyse lexicale

des termes appartenant à la rhétorique de l'extrême (tels que

«toujours», ~rien», «pas un», «jamais», etc.); d'aulre part, par le biais

de l'analyse du personnage d'Élisabeth Rolland, héroïne de

Kamouraska, de rendre significative l'utilisation répétée d'une figure de

style: l' oxymore.

De plus, en adoptant une vision d'ensemble, nous croyons faire voir une certaine évolution dans l'écriture hébertienne; en effet, par le double agencement possi ble des extrêmes - en opposition dans ses oeuvres de jeunesse et ses oeuvres récentes; en union dans ses trois romans des années soixante-dix -, nous avons révélé deux façons de voir le monde qui correspondent7 pour l'auteur, à deux temps d'écriture.

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Abstract

The goal of this thesis is to shed light upon a particuJar style of writing, namely the rhetoric of the extreme, which characterizes the oeuvre of Anne Hébert. Many facets of this rhetoric

are reflected in her work: the use of words referring explicitly to the notion of the extreme (~toujours», «jamais», etc.); formation of isotopies (extreme wealth or extreme poverty); dualistic thernes; ethical polarisation; the elaboration of strongly contrasting characters (Bernard and Héloïse in the oovel Héloïse); and the use of the trope which unifies two extremes: the oxymoron.

Rhetoric, in the modem sense of the ward (following the work of the Groupe Mu., Gérard Genette and Roland Barthes) enables, on the one hand, a lexical analysis of the vocabulary of the extreme (such as «toujours», ~rien», «pas un», etc.),. and on the other, through the character analysis of Élisabeth Rolland, heroïne of Kamouraska,

renders the repeated use of the oxymoron meaningful.

Finally, the adoption of a holistic viewpoint highlights an evolution in her style. Given the possible juxtapositions inherent in a Manichean universe (opposition in her earHest and latest works~ union in her three novels from the 1970s), two different worldviews are revealed which correspond, for the author, to two stylistic modes..

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Remerciements

Nous voulons remercier tout particulièrement M. Jean-Pierre Boucher pour avoir accepté la direction de ce mémoire et exprimer notre extrême reconnaissance envers son attitude intellectuelle qui fut toujours empreinte de rigueur et de respect. Sa générosité et sa disponibilité n'ont jamais fait défaut et elles ont permis plusieurs discussions captivantes et enrichissantes. Notre gratitude va aussi à M. Pierre Popovic qui a bien voulu nous recevoir, nous prodiguer de précieux conseils et nous transmettre les recommandations de Jean-Marie Klinkenberg.

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Table des matières

Résumé Abstract

Remerciements Table des matières Liste des abréviations Introduction Il iii IV-V 1

A.

B.

C.

D.

Rhétorique ancienne, nouvelle rhétorique et rhétorique propre

lA rhétorique de l'extrême

État présent de la critique hébertienne sur le dualisme

Rhétoriquede l'extrême chez Anne Hébert

2 5

9 21

Chapitre 1 lA rhétorique de l'extrême et son paradigme lexical: analyse stylistique de l'oeuvre

hébertienne(1938-1995)

A. Oeuvres de jeunesse: Lessonges en éQuilibre,

Le tombeau des rois et Le torrent

B. Mptère de la parole

C. Aurélien. Clara. Mademoiselle et le Lieutenant atl2:la

is

Chapitre 2 Opposition des extrêmes: statisme des univers bipolaires hébertiens .

25

28 37 42 53

A.

Les chambres de bois: statisme de deux

(9)

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B. Les chambres de bois vs Héloïse:statisme vs dynamisme 63

(

C. De l'opposition à l'union des extrêmes ou vers la contamination des deux univers

Chapitre 3 Union des extrêmes: ambivalence, dynamisme et logique de l'oxymore

A. Ambivalence et simultanéité des contraires dans

Lesenfants du sabbat

B. Logique de l'oxymore dans Kamouraska

Conclusion Annexe Bibliographie v 69 74 76

80

96

102 103

(10)

A.C.M.L.A. C.B.

E.C.S.

E.S.

F.B.

H.

J.N.

K.

M.P.

P.

P.J. S.É. T.

T.R.

T.S.

Liste des abréviations1

Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais,

Paris, Éd. du Seuil, 1995.

ùs chambres de bois, Paris, Éd. du Seuil.. 1958.

L'enfant chargé de songes, Paris, Éd. du Seuil, 1992.

Les enfants du sabbat, Paris, Éd. du Seuil, 1975.

Les fous de Bassan. Paris, Éd. du Seuil, 1982.

Héloïse, Paris, Éd. du Seuil, 1980.

Lejour n'a d'égal que la nuit., Montréal, Boréal., 1992.

Kamouraska, Éd. du Seuil., 1970.

Mystère de la paroLe, dans Poèmes, Paris, Éd. du Seuit

1960.

Poèmes, PariS., Éd. du Seuil., 1960.

Le premier jardin., Paris., Éd du Seuil, 1988.

Les songes en équilibre., Montréal., Éd. de 1"Arbre't 1942.

Le torrent, Montréat Éd. H.M.H., 1963 [1950).

Le tombeau des rois, dans Poèmes., Paris, Éd. du Seuil,

1960 [1953J.

Le temps sauvage, Montréal, BQ, 1990 [1963].

1 Les références aux oeuvres d'Anne Hébert seront faites directement dans le corps du texte, selon les

abréviations qui apparaissent ci-haut Lorsque nous évoquons les nouvelles d'Anne Hébert. nous faisons toujours référence aux nouvelles paruesdansLetorrenl.

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-.

Introduction

A. Rhétorique ancienne, nouvelle rhétorique et rhétorique propre.

La production littéraire d'Anne Hébert s'échelonne sur plus de cinquante ans et se compose des trois genres canoniques: poésie., théâtre et roman. À cette diversité dans les genres s'oppose une continuelle reprise de thèmes, de motifs, d'images et de phrases, qui révèle une unité de style ou, selon les termes de Marc Angenot, une rhétorique propre, c'est-à-dire un «ensemble de procédés stylistiques propres à un écrivain»l. L'analyse d'une rhétorique propre permet de voir un texte unique dans l'ensemble de la production d'un écrivain et, dans les éléments qui la composent, une constante compositionnelle qui les structure et les détermine. Chez Anne Hébert, cette unité de style se vérifie, bien sûr, au niveau proprement

1MarcAngeno~Glossaire prœ;que deiD.critique contemporaine.p. 173.

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stylistique (lexématique), mais elle est également à la base de toutes les

structures fondamentales du discours: spatiales, temporelles, narratives et sémantiques.

Cette restriction de l'analyse rhétorique à des phénomènes linguistiques et littéraires témoigne d'une conception moderne de cette technique ancienne:!. La rhétorique ancienne (née en Sicile grecque vers 465 avant J.-C.) fut «d'abord exclusivement judiciaire»3, c'est-à-dire un art oratoire, pour ensuite être complétée par «deux autres dimensions de cette technique pratique [... ]: la philosophique et la littéraire»~. Plus d'un siècle plus tard, Aristote la «repense de fond en comble»5, c'est-à-dire «qu'il [la] situe entre [la] dialectique science du raisonnement et [la] grammaire -science du langage»6; Aristote fonnule également les distinctions «restées longtemps classiques»7 entre les trois formes de discours Uudiciaire,

délibératif et épidictique) et ses quatre phases (invention, disposition, élocution et action). Cette rhétorique subira de profondes transformations à partir du XVIe siècle, alors qu'on assiste à une scission entre la dialectique et

2 Roland Barthes. dans «L'ancienne rhétorique. Aide-mémoire». définit ainsi le tenne technique: «Une

technique.c'est-à-dire un«art».au sens classique du mot: artde la persuasion, ensemble de règles. de recettes dont la mise en oeuvre permet de convaincre l'auditeur du discours (et plustardle lecteur de l'oeuvre). même si ce dont il faut persuader est «faux»». Cct article fut publié dans le numéro spécial sur la rhétoriquedans Communications.n. 16.p. 173.

3 J.-M. KIinkenberg. «La rhétorique», in Introduction aux études littéraires. Méthodes du texte. dir.

Maurice Delcroix et Fernand Hallyn, p. 32.

4 Idem.

SOlivier Reboul,Introductionàla rhétorique.p. 34.

IlJ.-M. KIinkenberg. op. ciL, p. 33.

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la rhétorique~ réduite à l'ornementation de la langue par les figures de style. Les nouveaux traités, notamment ceux de Dumarsais8 et Fontanier~révèlent

cette «réduction tropologique»10 de la nouvelle rhétorique qui connaît un

important déclin au XIXc siècle. Elle renaît, en quelque sorte, dans les années soixante de notre siècle, pour se diversifier considérablement et étudier toute forme de discours, depuis les réclames publicitaires jusqu'à la poésie qui~ pourtant~ n'est pas un genre persuasif. Cette nouvelle rhétorique (ou rhétorique moderne) se développe en deux grands volets: une rhétorique littéraire (Jean Cohen, groupe MU, Gérard Genette et Roland Barthes) qui restreint, pour reprendre le terme de Genette, la rhétorique à «la connaissance de procédés de langage caractéristiques de la littérature»l'; une rhétorique qui s'intéresse aux discours persuasifsl

:!. L~une et l'autre sont

incomplètes, au regard de la rhétorique ancienne, et s'en distinguent au niveau de sa finalité, c'est-à-dire que «son but n'est plus de produire des discours mais de les interpréter»I].

La rhétorique littéraire, par son étude des «procédés de langage» et par son caractère formaliste (ou structural), «débouche bien sur

aCésar-Chesneau Durnarsais,Des tropes,Paris, 1730.

ePierre Fontanier,Manuel classique pour l'étude des tropes(1821)etDes figures autres que tropes(1827).

Ces deux ouvrages sont maintenant rassemblés en un seul volume: Les figures du discours. Paris,

Rammarion. 1968. .

tO Gérard Genette.«Larhétorique restreinte». inCommunications,n.16.p. 160. 11 GroupeMU,Rhélorique générale,p.25.

12 Dont l'ouvrage capital est leTrailé de J'argumelllation, la nouvelle rhélorique,de Chaïm Perelman et

Lucie Olbrechts-Tyteea, publié en 1958. 13Olivier Rcboul, op. cit., p. 91.

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(

une rhétorique générale. (... ) Générale [... ) puisque l'analyse des tropes

révèle des processus symboJisateurs et sémantiques fondamentaux»14 •

L'analyse rhétorique «est apte en principe à décrire toutes les structures littéraires à n'importe quel niveau»15: cette flexibilité, cette ouverture à tous les niveaux du texte, est essentielle à l'élaboration d'une rhétorique propre, c'est-à-dire d'un style qui détermine les phénomènes linguistiques, tropologiques, thématiques et narratifs. Ce type d'analyse consiste à identifier chacun de ces phénomènes pour ensuite en montrer la spécificité (chez un écrivain, une école, etc.) et la récurrence à travers les oeuvres. Le

maintien d'une rhétorique propre au fil des oeuvres et des genres trahit toujours un choix esthétique et une vision personnelle du monde, choix qui se traduit princi paiement, en littérature, par l'utilisation pri vilégiée d'un paradigme lexical, et permet de considérer J'ensemble de la production littéraire d'un écrivain comme un texte unique qui lie tous les éléments entre eux.

B. Rhétorique de l'extrême.

La rhétorique de l'extrême propose justement une conception particulière du monde et du langage. Elle se caractérise principalement par

14J.-M. KJinkenberg. op.cil.. p. 42.

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sa vision manichéiste du monde et de ses valeurs (axiologisation binaire, avec, pour deux pôles, le Bien et le Mal) et par un dualisme, c -est-à-dire un combat, un déchirement, au niveau de ses thématiques. Cette conception manichéiste de la société se traduit par des oppositions constantes entre, par exemple, divers peuples considérés comme civilisés ou sauvages, entre diverses moeurs tenues pour pudiques ou indécentes, entre diverses actions perçues comme morales ou immorales, etc. La rhétorique de l'extrême se vérifie également par 1~utilisation de figures de style qui. font se confronter les extrêmes (antithèse) ou qui les unissent (oxymore).

Cette construction binaire du récit et cette vision du monde évoquent les récits bibliques (Ancien et Nouveau Testaments) dans lesquels le Bien et le Mal s'affrontent et scindent toute action et pensée. Antoine Sirois, dans un ouvrage récentl6

, a analysé les marques de l'intertextualité biblique

(au niveau de la diégèse, du lexique, des personnages, etc.) dans le roman québécois pour constater que plusieurs romanciers, dont Anne Hébert, reproduisent cette vision du monde dans leurs oeuvres. À propos des personnages hébertiens, il écrit: «Ceux-ci auront à vivre dans un monde manichéen où s'opposent à Dieu les forces du mal, incarnées en Satan»J7. Dans les premières décennies de notre siècle, la religion catholique est encore omniprésente au Québec et elle possède une influence considérable au

1eAntoine Sirois.Mythes et symbolesdansla liltérarure québécoise. 1992.

17Idem., p. 129.

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l

sein de la société, notamment au niveau de l'enseignement, de sorte qu'elleinculque à tous une vision particulière du monde~ en littérature, cette vision

du monde se traduit notamment par une division et un combat entre des forces contraires.

La rhétorique de l'extrême se réalise de trois façons différentes: d'abord, en privilégiant l'un ou l'autre extrême, ce qui se traduit par la formation d'un seul paradigme lexical dont les classèmes types seraient (avec, pour chacun., leur contraire) la pauvreté, la lumière, le bien, la ville, etc.; ensuite, en exploitant deux paradigmes contraires, de telle sorte qu'ils s'opposentI8

; finalement, les deux paradigmes peuvent s'unir, ce qui ne se

fait pas sans combat, et on assiste alors à un métissage entre le sacré et le profane, la lumière et l'ombre, etc. Une figure typique de cette union des extrêmes dans le roman québécois est celle de l'étranger., personnage qui vit et représente la rencontre du connu et de l'inconnu, de même que le déchirement entre deux systèmes de valeur.

La littérature québécoise de la première moitié du vingtième siècle est profondément marquée par cette vision manichéiste du monde et par son modèle axiologique binaire; plusieurs des auteurs nés durant cette période demeureront si obsédés par ce dualisme, que l'ensemble de leur

Te Dans de tels textes, on assiste généralement à une valorisation positive et négative des paradigmes. Dans les romans de la terre. par exemple. le paradigme de la campagne s'opposeà celui de la ville: cette dernière est alors perçue comme tentatrice et immorale.

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production en porte les marques. Les oeuvres d'Yves Thériault, Anne Hébert et Jacques Ferron, pour ne nommer que celles-là, proposent toutes des univers divisés et des thématiques irréconciliables: en poésie, dans les mêmes années., on assiste également à une division de la réalité en deux extrêmes avec la querelle qui opposa les régionalistes et les exotiques. Cette littérature - cette rhétorique de JOextrême - se caractérise donc par un déchirement 19 irrémédiable entre deux visions du monde (deux univers

romanesques. deux types de personnage), c'est-à-dire une confrontation incessante entre rune et {"autre, sans possibilité de réconciliation.

L'étude de la rhétorique de l'extrême chez Anne Hébert permettra d~établir des liens étroits entre plusieurs critiques qui ont perçu et perçoivent toujours (avec à-propos) certaines caractéristiques capitales de son oeuvre, au premier rang de celles-ci la dualité au sein des thématiques et des personnages. Cette focalisation inévitable de la critique sur le dualisme des textes héhertiens et cette «inquiétante similitude~ entre les nombreuses analyses confirment notre hypothèse d'une rhétorique propre.

Hl Ce déchirement ne peutpasêtre présentdansle premiertype de réalisation que nous avons évoqué plus

hau~puisqu'il n'expose qu'un seul extrême. Cependant, peu de textes se réduisentà une seule dimension, à une seule vision du monde. Chez AnneHébe~seulement quelques nouvelles répondentà ce type d'utilisation

dela rhétorique derextrême.

(18)

c.

État présent de la critique hébertienne sur le dualisme.

Les critiques s"intéressent depuis plusieurs années au dualisme présent dans les oeuvres romanesques d" Anne Hébert. Dès 1966~ Réjean Robidoux et André Renaud, dans un chapitre consacré à Anne Héberf!O~ notent cette opposition entre deux forces antithétiques: «Toutes les forces contradictoires sont ici [deuxième partie des CS] déployées, représentées chacune par les trois personnages ainsi que par les tendances diverses qui se font la lutte à l''intérieur de chacun»:!l. L'observation de Robidoux et Renaud nous est utile en ce sens qu'elle marque, dès le début de la critique hébertienne., un intérêt pour cette propension de l'auteure à faire se confronter les contraires (ici au niveau des personnages); de plus, Robidoux et Renaud constatent que la lutte entre les forces antithétiques se fait non seulement entre les personnages~ mais également au sein d'un seul être.

Dans les années soixante et soixante-dix, la majorité des ouvrages et des articles sur l'oeuvre d'Anne Hébert s'attardent au dualisme qui la structure, principalement au niveau de la thématique~ de la symbolique et de l'élaboration des personnages. Les ouvrages généraux sur la vie et la production littéraire d" Anne Hébert de Pierre Pagé:!:! (1965)~ René Lacôte:!J

20«Les chambres de bois», in Leroman canadien-français du vingtième siècle,p. 171-185. 21 Réjean RobidouxelAndré Renaud,op.ciLy p. 179.

22 Pierre Pagé,Anne Hében.

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(1969) et Denis Bouchard~4 (1977) relèvent la présence d'univers et de personnages doubles ou en opposition, sans, par contre, en faire le fondement de leur recherche. Pierre Pagé note que l' auteure met en scène . «deux attitudes en face de la vie, l'une de peur et d'insécurité, l'autre d'accueil et d'ouverture»15. Denis Bouchard, quant à lui, précise que ce dualisme structure les oeuvres à tous les niveaux:

Ajoutons pour plus de précision que la dualité [....) relève de la structure fondamentale des oeuvres d'Anne Hébert. Tout, en effet, y est dualité: jour et nuit, bien et mal, imagination aux fruits grandioses, imagination aux prises avec la mort, sensibilité et insensibilité, amour et haine, 1urnière et ténèbres, espaces extérieurs et intérieurs, ouverts et clos, etc.26

Dans les premIers articles, comme ce fut le cas pour les premières études d'envergure, les critiques préfèrent étendre leur analyse et aborder toutes les particularités du texte hébertien, dont, bien entendu, le dualisme. Vlric Aylwin, dans son article «Au pays de la fille maigre dans les

Chambres de bois d'Anne Hébert»:!7, analyse les oppositions au niveau de la

symbolique:

Mais la fascination sur la fille du feu par un être issu de l'eau signifie davantage à travers le symbolisme des éléments contraires qui s'épousent sans parvenir à l'union ou à quelque

forme de communion, c'est l'éternel drame de

2.Denis Bouchard,Une lecture d'Anne Hébert. 25Pierre Pagé, op. cil.,p. 45.

2eDenis Bouchard,op.cil.,p. 134.

27lnVoixelimages dupays. 1-2 (1970), p. 37-50.

(20)

1

del'incommunicabilité qui est représenté; c'est aussi la tentative1'homme pour retrouver l'unité originelle de son être au-delà de la dualité sexuelle. Mais l'humanité n'est-elle pas divisée en elle-même aussi définitivement que le feu est séparé de l'eau.28

Notons également qu 'Aylwin intitule19 les deux parties de son article «Les

deux pays» et «Les deux chambres». Albert Le Grand, quant à lui, montre de façon convaincante le caractère double de l'héroïne de Kamouraska,

Élisabeth Rolland: «En présence du rêve, qu'elle appelle e.t repousse l'instant d'après, Mme Rolland trahit les irréductibles contradictions qui s'opposent en elle et la tiraillent jusqu'à menacer son être d'éclatement»Jo. En fait, comme il l'écrit lui-même, cette caractérisation du personnage d'Élisabeth est conforme à l'univers déployé dans le roman: «Dans cet univers de l'ambiguïté ontologique, comment résoudre une éthique de la contradiction qui oppose aussi irrémédiablement le présent au passé, le Bien au Mat l'Ange à Ja bête?»31. Jean-Louis Backès partage cet intérêt pour l'étude des personnages hébertiens; en effet, dans son article «Le système de J'identification dans l'oeuvre romanesque d'Anne Hébert» (1981), il écrit: «on peut avoir envie de soutenir que, dans Kamouraska, le sujet se ramène

aux efforts contradictoires d'une femme pour se rappeler et ne pas se

28Ulric Aylwin, op.ciL, p. 49.

28 Dans plusieurs titres d'articles et d'ouvrages sur l'oeuvre d'Anne Hébert apparaissent des termes

contraires (soumission et révolte, ange et bête, ombre et lumière. ete.) ou le substantif dualisme: tous,

évidemmen~traduisent le déchirementpropre aux. univers hébertiens etàla rhétorique derextrême. 3DAlœrtLeGrand,«Kamouraska ou l'Ange et labête~,1970,p. 128.

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rappeler son passé»3:!. De plus, Backès remarque que ce «problème

d'identification», c'est-à-dire cette dualité intrinsèque, touche également les univers hébertiens: «II faut bien voir que le couvent [dans ESJlui-même est un lieu prédisposé à la sorcellerie»33 et que ce couvent «ne peut pas être le lieu net et bien lavé qu'il paraît»·34. Cette simultanéité, ce èombat entre deux sensations antithétiques à l'intérieur d'un personnage, fait l'objet de remarques (plus ou moins appuyées) de la part de plusieurs critiques, notamment Gabrielle Pascal-Smith, Serge A. Thériault et Laurence Séjor, dans des études qui annoncent les ouvrages d'envergure de Lucille Roy et de Maurice Émond. Gabrielle Pascal-Smith note le combat intérieur que vit Élisabeth Rolland: «Mais en elle.. deux élans s'affrontent. Si le premier la porte à s'abandonnerà la satisfaction narcissique de se voir parfaite aux yeux d'autrui, aux dépens de sa sécurité, l'autre la dresse, haineuse, parce qu'impuissante, contre celui qui lui inflige toutes les humiliations»35; de pl us, le critique précise que cette dualité des univers hébertiens ne se réalise pas seulement en opposition, mais aussi en simultanéité: «Contrairement au premier roman d'Anne Hébert où soumission et révolte se succédaient dans un ordre logique, Kamouraska, comme Les enfants du sabbat, offre une sorte de concomitance des deux étatS»36. Serge A. Thériault, à l'instar de Gabrielle

32Jean-Louis Backès,«Lesystème de l'identificationdans ('oeuvre romanesque d'Anne Hébert». 1981, p. 272.

33Idem., p. 275.

304Idem.,p. 276.

35Gabrielle Pascal-Smith, «Soumission el révolte dans les romans d'Anne Hébert», 1980,p. 62. 315Idem., p.71.

(22)

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Pascal-Smith~ relève le caractère double du personnage d'Élisabeth Rolland: «Cette duplicité d'Élisabeth apparaît [...Jsous la forme d'un conflit entre une Élisabeth libre et une Élisabeth conformiste»37. Laurence Séjor~ quant à eIle~

constate cette duplicité chez un autre personnage, celui de PercevaJ [FB

J:

«La dualité existe donc à l'intérieur même du personnage: s'il souffre, c'est parce qu'il existe toujours cette tension entre le monde tel qu'il le perçoit et le monde tel qu'il voudrait qu'il soit»38. Enfin, mentionnons que le caractère double des personnages hébertiens est également l'objet d'.une étude d'Yvette Francolj39, dans laquelle elle porte une attention particulière à la gémellité des soeurs Pat et Pam et des cousines Nora et Olivia, «soeurs siamoises»oW, dans le roman Les fous de Bassan.

Les études sur le dualisme et l'opposition des thématiques trouvent leur apogée dans les ouvrages de Lucille Roy41 et de Maurice Émond42

" qui possèdent plusieurs points en commun" autant dans l'objet

d'étude que dans le type d'analyse. Lucille Roy, comme en fait foi son titre, se penche particulièrement sur les thématiques du jour et de la nuit et analyse le passage de l'un à l'autre (opposition) et le fondement de l'un dans l'autre

37Serge A. Thériault.La. quête d'équilibredarLrl'oeuvre romanesqued'AMeHében, 1980.p.90.

38Laurence Séjor,«Del'envoQlementàla folie ourunivers dualiste de GriffinCreeb, 1983.p. 247.

311Yvette Francoli, «Griffin Creek: refuge des fous de Bassan et des Bessons fous:-.. 1984.

40 Idem., p. 121. Elle fail également remarquer que Stevens tutoie Nora el Olivia «comme une seule el

même créature»,p. 135.

• 1LucilleRoy,Entre la lumière et l'ombre. L 'univers poétique d'Anne Hében, 1984.

42 MauriceÉmond~La. femme à la fenêtre (L'univers symboliste d'Anne Hébert dans Les chambres de

(23)

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-(union). Elle remarque que ce passage s'effectue très rapidement: par exemple, dans le poème «Un bruit de soie», les cinq premières strophes sont empreintes de lumière et de clarté (<<L~éclat de midi efface ta forme devant moi»), puis la thématique bascule et le poème se termine dans l'ombre et la noirceur (<<L'ombre d'un seul arbre étale la nuit à nos pieds»). Maurice Émond., quant à lui, étudie la symbolique du noir et du blanc dans les trois premiers romans d'Anne Hébert. Il résume très bien la matière de son livre dans son introduction:

Le titre choisi, «Une symbolique du noir et du blanc», indique déjà le manichéisme des images, le dualisme impénitent d'un univers de contrastes déchiré par des forces antithétiques. Le noir et le blanc ne sont pas simplement deux couleurs, à la fois absence et surcroît de couleurs. Le noir et le blanc tout en s'opposant s'appellent l'un l'autre, se complètent, se valorisent mutuellement.43

Selon lui, la symbolique du noir et du blanc intervient à plusieurs niveaux: «les images, les vêtements et les personnages en noir et blanc illustrent déjà le dualisme d'un univers déchiré par des forces contraires»44. Enfin, son étude rejoint celle de Lucille Royen ce sens que le noir et le blanc peuvent être associés à l'ombre et à la lumière; il écrit d'ailleurs: «Le dualisme du noir et du blanc se double d'une opposition de la nuit et du jOUi"»'45.

43Maurice Êmond.op. cil.•p. 10.

44Idem.•p. 23. 45Idem.• p.49.

(24)

(

Les ouvrages de Lucille Roy et de Maurice Émond nous intéressent particulièrement pour leur analyse plus complète de l'union des contraires, analyse entamée par les remarques (souvent brèves) de plusieurs critiques, depuis Albert Le Grand (1971) jusqu'à Gabrielle Pascal-Smith (1980). Lucille Roy et Maurice Émond possèdent une vision pl us générale de ce phénomène: ils perçoivent en effet cette concomitance de deux éléments antithétiques comme un fait de style qui influence toutes les structures fondamentales du discours. Maurice Émond, sans en faire un véritable sujet d'étude (il n'y consacre aucun chapitre), insiste à plusieurs reprises sur cette union des extrêmes. Il écrira notamment: «De façon plus éclatante que les autres éléments, l'eau et le feu apparaissent à l'imagination comme des substances à la fois contraires et complémentaires».kJ. Dans une observation qui servira de fondement à notre analyse du personnage d'Élisabeth Rolland dans le troisième chapitre, Émond précise: «Ce sont surtout George et Élisabeth qui, dans Kamouraska, nous révèlent le mieux les forces contraires

qui les déchirent et font d'eux des êtres écartelés, incapables de réconcilier les appels du bien et du mal. Ils cherchent l'absolu, dans le bien comme dans le mal, et toute médiation leur semble une trahison»47. Lucille Roy analyse elle aussi un personnage, celui de Bernard, épris d'Héloïse dans le roman du même nom: «Ainsi que les personnages des Fous de Bassan, Bernard vil

simultanément, dans la plus grande partie de son récit, l'emprise de la

.11Maurice Êmond.op.cil.•p. IS. • 7Idem. p. 31.

(25)

(

(

lumière et de l'ombre, tout comme à la fin il aspire en même temps à la vie et à la mort»~: puis, quelques pages plus loin: «II [Bernard] réunit les deux tennes, dans une oeuvre où la nuit et le jour deviennent, en dernière analyse, des réalités à la fois opposées et connexes».;«).

Les deux critiques sont donc conscients que l'écriture hébertienne se transforme avec les années: d'une binarité des thématiques et des modèles axiologiques dans Les chambres de bois (qui rend possible la réconciliation de Catherine avec le monde puisqu'elle n'est pas attirée simultanément par deux réalités), Anne Hébert élabore plus tard des univers et des personnages qui se situent aux extrêmes, c'est-à-dire sur cette ligne fine qui départage le bon du mauvais, rarement en équilibre stable entre les deux, toujours attirés par l'un ou l'autre., l'un et l''autre: il n 'y a plus de réconciliation possible. La duplicité ne se vit plus seulement en successivité, mais aussi en simultanéité: c'est toute la différence entre une opposition des extrêmes et leur union.

Outre cet important courant de la critique hébertienne qui fit voir et analysa le dualisme dans les univers hébertiens au niveau de la thématique, de la symbolique et des personnages, de nouvelles voies d'analyse naissent à la fin des années soixante-dix et au début des années

~aLucille Roy,op. cil., p. 155.

~GIdem., p. 174.

(26)

(

quatre-vingt

50

: études sur le caractère fantastique de l'oeuvre hébertienne,

sur ses rapports intertextuels avec la Bible., et sur la présence de procédés d'écriture propres à une conception moderne ou postmoderne de la littérature.

Parmi toutes les études du fantastique chez Anne Hébert., nous retenons l'article de Maurice Émonds' • dans lequel le critique poursuit ses recherches sur le dualisme et l'union des extrêmes. Le fantastique., selon lui. est rendu possible par le manichéisme des univers hébertiens: «En d'autres mots, c'est dans le dualisme impénitent, le manichéisme constant d'une imagination qui se complaît dans l'antithèse, ropposition et l'affrontement que peut surgir le fantastique»s1. Le critique conclut que le caractère fantastique des textes hébertiens propose une manifestation supplémentaire du thème du double qui apparaît dans toute sa production: «Cette image omniprésente du mort-vivant ou du vampire, dans l'imaginaire d'Anne Hébert, n'est qu'un visage du thème du double, l'une des faces obscures de l'être hébertien. [...

l

Le dualisme de son imaginaire ne cesse de reproduire ces multiples doublures»S3.

50 Nous ne considérons ici que les études qui concernent et peuvent nourrir notre analyse de la rhétorique

de l'extrême.

51 Maurice Émond, «L'imaginaire fantastique d'Anne Hébert», 1988.

52 Idem.,p.69.

(27)

(

(

Les rapports intertextuels54

des oeuvres hébertiennes avec les textes bibliques furent énumérés et commentés par Antoine Sirois dans son article «Anne Hébert et la Bible» (1988) et son livre Mythes et symboles

dans la littérature québécoise. Dans son chapitre consacré à Anne Hébert., il

insiste sur la dualité des univers hébertiens qui sont ~le champ d'un combat implacable entre le Bien et le Mal., Dieu et Satan»5S et conclut, lui aussi., que ce combat se vit à l'intérieur des personnages - combat qu'il résume ainsi:

Ils vivent aussi., comme l'ont remarqué plusieurs analystes, dans un monde manichéen. Tout est dualité dans 1"oeuvre: bien et mal, lumière et ténèbres. Les références à la Bible

soulignent ce combat entre deux forces, divines et sataniques, entre lesquelles les humains sont déchirés et éprouvent malgré leur désir de vie et leur nostalgie de l'enfance et de l'innocence, une forte propension vers le mal et la mort., et un besoin continuel d'expiation.56

Enfin, nous ne pouvions passer sous silence l'apport unique57 et remarquable de Janet M. Paterson qui a su, dans ses nombreux articles et

54 Nous percevons également. chez Anne Hébert, desrapponshypenextuels avec la Bible. Antoine Simis

n'élablitpasde distinction entre les différentes relations trallstextuelles (<<tout ce qui le [texte] met en relation. manifeste ou secrète avec d'autres tex.tes») présentesdansles textes hébeniens. Les relations transtextuelles furem émises en 1982parGérard Genette dans son ouvrage Palimpsestes. La littérature au second degré. Il définit ainsi l'hypenextualité: «toute relation unissant un tex.te B (que j'appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j'appellerai. bien sOr, hypote:ae) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'estpascelle du commentaire». (L' auteur souligne.)

55Antoine Sirois, op. cit.• p. 94.

seIdem.,p. 135.

57 À l'exception. peut-être, d'Agnès Whitfield qui, dans son livre Le je(u) il/ocutoire. Forme et

contestation dans le nouveau roman queôécois (1987), reformule, à propos du dualisme dans les textes hébertiens. les mêmes idées que celles émisesparles critiques qui ront précédée: «Dans Kamouraska, le rôle de l'antithèse et de la gradation sur le plan thématiqueainsique le piétinement événementiel coïncident, sur le plan indiciel,àune série de polarisations entre divers personnages ouàl'intérieur d'un seuJ personnage.» (p.

141).

(28)

&

dans son livre consacré entièrement à roeuvre d'Anne Hébert5tt, en

renouveler la critique en proposant une lecture moderne et postmodeme de ses textes. Malgré une approche différente., Janet M. Paterson n'en vient pas moins à réfléchir sur la dualité des univers hébertieos et sur certaines figures récurrentes qui permettent de s'interroger sur l'existence d'une rhétorique propre. À l'instar de Maurice Émond qui percevait dans le fantastique une manifestation évidente du dualisme hébertien, Janet M. Paterson fait voir que les scènes de sorcellerie et de parodie., dans Les enfants du sabbat., présentent une double réalité, c"est-à-dire une réalité sacrée ou biblique., dont les valeurs soot renversées par des incantations sataniques. Cette interaction entre deux sens contraires (deux codes) se joue également au niveau de récriture pour structurer l'ensemble du texte: «Ce fonctionnement matriciel [d'oppositions et d'inversions] génère toutes les structures fondamentales du discours: les structures spatiales [...] les structures temporelles [...] les structures narratives [... ) les structures sémantiques - en tout temps., les incantations sacrilèges calquent le sacré»59. Dans une observation qui se limite aux Enfants du sabbat., mais qui pourrait s'appliquer à d'autres textes d'Anne Hébert., elle établit en outre un rapprochement entre ce mécanisme d'inversion et le concept d'ambivalence défini par Michael Bakhtine:

En outre., il importe de souligner que le mécanisme de 1" inversion qui gouverne le fonctionnement des structures principales dans ce texte est étroitement lié au concept

seJanet M. Paterson.AnneHe1Jen: architatUTerOrnLlllesque.1985.

(29)

(

d'ambivalence, dans le sens que lui donne Bakhtine, c'est-à-dire comme union de sens contraires. Pulvérisant toute structure immuable de sens, l'ambivalence dans les Enfants du sabbat caractérise le fonctionnement du discours car

chacun des noyaux thématiques sorcellerie/sacré contient inhérent à sa structure son propre autre et sa propre contradiction.6()

Finalement, dans son livre sur la postmodernité dans le roman québécoisbl ,

Janet M. Paterson énumère les pratiques d'écriture postmodemes employées par Anne Hébert, dont une, la réduplication, justifie notre hypothèse d'une rhétorique propre. En effet, la réduplication est ce procédé

(

d'autoreprésentation qui consiste à «met[tre] en place des répétitions, des redoublements, des enchâssements ou des reflets»62 pour «attirer l'attention sur la littérarité du texte»63. Or, selon Janet M. Paterson, «les romans

d'Anne Hébert mettent en scène certains passages qui, quelque peu transformés, reviennent de livre en livre»64.

En dernière analyse, mentionnons que, à notre connaissance, un seul texte critique sur l'oeuvre d'Anne Hébert semble vouloir en faire une analyse rhétorique; il s'agit d'un article récent (mais malheureusement Peu convaincant) de Scott Lee, «La rhétorique de la folie: métaphore et allégorie

50Janet M. Paterson, «Parodie et sorcellerie»,p.62.

51 Janet M. Paterson.Moments postmodemes dans le roman québécois. 1993. 52Idem.•p. 29.

531denL

54Idem.

(30)

(

dans Les Fous de Bassan»65., dans lequel le substantif «rhétorique»., utilisé à

tort et à travers., ne possède pas de sens clairement défini. Par exemple., dans la phrase suivante, son utilisation malhabile fait que sa signification demeure incertaine: «L'équivalence que l'on constate à ce niveau figuraI entre les deux personnages [Stevens et le Pasteur) reflète l'identité rhétorique de leur violence: que l'on séduise ou que l'on tue., il s'agit toujours d'une imposition de l'intention du sujet aux dépens de l'objeb>66. Son article se termine par une phrase à l'image de son article, c'est-à-dire obscure: «Lire Les Fous de

Bassan, c'est tenir compte de cetteautre écriture., de cette graphie allégorique

qu'est la turbulence figurale de la métaphore manquée»67.

D. Rhétorique de l'extrême chez Anne Hébert.

L'étude de la rhétorique de l'extrême permet justement de faire le pont entre les différentes oeuvres d 'Anne Hébert, d 'en montrer les recoupements et les transformations; elle permet également de considérer tous les éléments du texte selon une nouvelle perspective pour ensuite les intégrer à un plus vaste ensemble. Notre étude, par le fait même, ne peut se résoudre à restreindre son analyse à un aspect particulier de l'oeuvre d'Anne

55ln Voix et images(hiver 1994), X1X-2. p.374-393.

SISScottLee.op.Cil.p.386. Il nous apprend également que la métorique possède un rôle:.Lerôle de la rhétorique consiste alorsà examiner cette tension référentielle. tension essentiellemenllinguistique qui. dans le cas desFous de Bassan.peut confondre el même troubler le lecteur.• (Idem.•392).

(31)

(

Hébert; nous en perdrions alors la richesse première: la cohésion du style à travers le temps. Il s~agira pour nous de faire le lien entre les premiers textes d~Anne Hébert (nouvelles, pièces de théâtre et poèmes) et son plus récent roman., Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais6ô

(1995); nous tenterons de montrer que des oeuvres distantes dans certains cas de presque soixante ans révèlent le même style et la même fascination pour les extrêmes.

Chez Anne Hébert, la rhétorique de l'extrême se vérifie principalement par une axiologisation binaire (vision biblique), par une bipolarité des thématiques et par une coexistence des contraires, trois aspects qui, comme nous l'avons vu plus haut, furent fréquemment relevés et analysés par les critiques. Notre apport à la critique hébertienne sera d'en proposer une lecture nouvelle en les intégrant à un ensemble plus vaste, la rhétorique de rextrême~ et d'établir des liens avec d'autres éléments du texte. Au niveau du iexique, ia rhétorique de l'extrême se vérifie par l'utilisation de substantifs ou de syntagmes (que nous nommerons des marqueurs d'extrémité) tels que «tout», «pas un», «un seul», «chacun», «aucun», «plus», etc. Nous consacrerons le premier chapitre de notre mémoire à l'étude du lexique dans les premières oeuvres d'Anne Hébert (nouvelles, poésie et théâtre) et dans son plus récent roman Aurélien, Clara,

Mademoiselle et le Lieutenant anglais; nous nous attarderons

sa Dans ce titre. nous conservons les majuscules pour chaque nom commun, car les personnages sont souvenl désignésparleur titre plutôt queparleur nom euou prénom.

(32)

(

particulièrement à ses implications au niveau de la construction de l'espace et

du temps et de la progression de la diégèse. Dans le second chapitre, nous proposerons, d'une part, une lecture nouvelle du dualisme au niveau de la thématique et des personnages par une analyse approfondie du statisme de 1"opposition des extrêmes dans le premier roman d'Anne Hébert, Les chambres de bois, roman dans lequel les valeurs véhiculées par les

personnages de Catherine et de Michel s'opposent irrémédiablement; puis, d'autre part, nous confronterons ce roman avec un des romans de la seconde vague d'écriture hébertienne, soit H éloise, pour montrer pl us explicitement les différences qui existent entre les univers et les personnages statiques (opposition des extrêmes) et dynamiques (union des extrêmes).

Du point de vue de la composition du récit, une lecture attenti ve permet de constater, pour certains textes, un renversement complet, à un moment précis du récit, du lexique et du modèle axiologique. Ce renversement dans l'axiologie, ce passage d'un extrême à l'autre, confère au texte une structure binaire; ce schéma est évidemment conforme aux aspirations des personnages, eux aussi régis par la rhétorique de l'extrême. Chez eux, elle se traduit par un combat incessant entre les extrêmes, c' est-à-dire par une attirance simultanée pour deux modes de vie diamétralement opposés. Ils doivent faire un choix: trouver l'équilibre entre les deux pôles (ce que réussissent seulement quelques adultes) ou accepter les contradictions

(33)

(

.

(

....

qui vivent en eux. Plusieurs personnages hébertiens vivent donc l'union des extrêmes, ce qui nous permet de les qualifier de personnages oxymoriques. Nous consacrerons le troisième chapitre de notre mémoire à cette union des extrêmes dans l'oeuvre d'Anne Hébert, d'abord au niveau des figures de style (antithèse et oxymore), puis ensuite au niveau des personnages.

Grâce à la rhétorique de l'extrême, qui permet une lecture à la fois synchronique et diachronique des oeuvres, nous pourrons non seulement faire voir une unité de style à travers les oeuvres et le temps, mais également son évolution et ses transformations. Notre objectif est donc d'élargir les horizons de cette étude du dualisme chez Anne Hébert par une analyse des extrêmes d'un point de vue stylistique et rhétorique.

(34)

(

1. La rhétorique de l'extrême et son paradigme lexical: analyse stylistique de l'oeuvre bébertieooe (1938-1995).

Anne Hébert, malgré une évidente volonté de se confronter à plusieurs genres littéraires, possède un style propre, c'est-à-dire que, nonobstant le fait qu'elle aborde différents genres (poésie, roman et théâtre), se retrouve partout une même écriture, reconnaissable à certains motifs, figures, expressions ou mots. Le trait qui nous panu"t le plus significatif porte sur le lexique et se traduit par J'utilisation répétée d'un paradigme lexical dont le classème serait «Extrême~. Cette propension à refaire usage des mots de ce paradigme transcende donc les genres, malgré des différences marquées, d'un roman à l'autre, pour la ponctuation (utilisation presqu'exclusive des points dans Les fous de Bassan; utilisation fréquente des

(35)

(

(

longueur des phrases (phrases brèves dans Kamouraska et Les fous de

Bassan, phrases plus longues dans Les enfants du sabbat et Le premier

jardin) et le niveau de langue (imagée dans Les fous de Bassan, plus épurée

dans Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais). Cette diversité

explique peut-être l'absence d'analyse stylistique de la part des critiques, lacune néanmoins surprenante dans le cas d'un auteur à qui on reconnaît d'emblée des qualités stylistiques d'écriture. Outre les études sur la thématique qui proposent des réseaux d'images et, par conséquent, un paradigme lexical dominant (voir, par exemple, l'article d'Andrée Stephanl

)

ou encore l'analyse intertextuelle d'Antoine Sirois ou, finalement, l'article de Janet M. Paterson sur la construction anaphorique des phrases hébertiennes2

,

il n'existe aucune étude approfondie de la stylistique hébertienne perçue comme une constante traversant un corpus d'oeuvres qui s'étend maintenant sur presque six décennies.

Dans ce premier chapitre, nous tenterons de faire le pont entre les différentes oeuvres d'Anne Hébert par le biais d'un paradigme lexical réitératif, et de montrer comment ce paradigme construit un espace textuel et détermine la diégèse. Nous énumérerons d'abord les principaux éléments de ce paradigme pour ensuite établir un historique de leur utilisation dans

, AndréeSte~«Lerègne del'eaudansLesfousde Bassand'AnneHébert». 1989.

2Janet M. Paterson, «AnneHében= une poétiquede l'anaphol"e», 1992. Le butde son étude, pour sa

vision diachronique de l'oeuvre hébenienne, s'apparente au nÔtre: «Je proposeàmes lecteursderelire les romansde façon rétrospective, en commençantparu Premierjardin; de lesreliremoinsàtitre individuel que

comme des composantesd'unegrandeoeuvre romanesque qui est marqUée par la poétique del'anaphore.» (p.

291).

(36)

(

l'oeuvre hébertienne (ils ne figurent pas tous dans les premiers textes); puis~

nous analyserons de manière détaillée le lexique emblématique de la rhétorique de l'extrême dans deux oeuvres de jeunesse, la nouvelle L'ange de Dominique (1938-1945) et son troisième recueil de poésie Mystère de la

parole (1960). ainsi que dans son plus récent récit~ Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais (1995). II sera intéressant de voir si se retrouvent, dans des oeuvres séparées (pour certaines) par plus de cinquante ans, les mêmes mots, et s'ils possèdent les mêmes fonctions et produisent les mêmes effets de sens.

Au niveau du lexique, la rhétorique de l'extrême se vérifie, premièrement, par l'utilisation d'adjectifs, de prépositions et surtout d'adverbes, tels que «tout», «rien», «pas un», «un seul», «chacun», «toujours», «jamais», «sans~, «au plus... de», qui ajoutent une détermination

à un mot ou à un énoncé. Dans une phrase de son dernier récit, le lexique de l'extrême fait voir l'étendue des transformations subies par l'héroïne au moment de sa rencontre avec le Lieutenant: «Dès lors, sans pensée ni réflexion, elle sera réduite au seol mouvement du sang de la terre en elle et autour d'elle dans la campagne» (ACMLA, 45).

Elle se vérifie également par l'utilisation de noms et d'adjectifs d'une même isotopie (dont, encore une fois, le classème serait «Extrême"):

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(

(

le lieu d'habitation, par exemple, sera une grande maison de pierre, solide, chaude et confortable ou une maison qui tombe en ruines3

• Anne Hébert, en outre, rapproche dans une même phrase des termes contraires (vie-mort, silence-parole, pauvreté-richesse, eau-feu) qui mettent en place les univers dualistes relevés par plusieurs critiques. Dans La mort de Stella, nouvelle datée de 1962 et publiée dans son recueil Le torrent, l'héroïne est décrite

ainsi: ~ElIe eut beau chercher en elle, elle ne trouva nulle trace d'orgueil, ni

fierté, ni révolte, rien qu'une immense pitié pour tout ce qui vit et meurt»

cr

,156). La présence des deux extrêmes au sein (ici) d'un personnage lui confère cette impression de totalité qui caractérise plusieurs pensées ou sentiments hébertiens.

A. Oeuvres dejeunesse: Les songes en éguilibre. Le tombequ des rois et

L&

torrent.

Dans les deux premières oeuvres poétiques d'Anne Hébert, Les

songes en équilibre (1942) et Le tombeau des rois (1953), la rhétorique de

l'extrême est peu présente, aussi bien au niveau de la thématique que du

lexique; ce dernier se résume à l'utilisation de quelques mots,

principalement «tout», «rien», «seul» et ~aucun~, qui structurent rarement les poèmes dans leur entièreté. Pour que leur utilisation soit significative, les

3 Comme nous l'avons mentionnédansl'introduction, la rhétoriquederextrême~veloppel'un ou l'autre

extrême (maison de pierre ou chaumière) oufaits'opposer lesdeux. 28

(38)

marqueurs d'extrémité doivent déterminer un aspect du poème (ou d'une nouvelle~ d'une pièce~ d·un roman) depuis le début jusqu'à la fin. Pour illustrer ce tlue nous voulons dire~ examinons quelques vers de «Musique», un poème de son premier recueil:

Moins qu'une chanson Pas une voix

Ni aucun air arrangé d'avance: LIn son frais

Qui coule tout seul (...1

Sans façon Et sans air.

Maintenant tlu'aucune lèvre Ne la dirige

Et que toute la forêt La prie

De dire ce qu'elle a

Le lexique de l"extrême, avec des mots tels que «moins», «pas». «aucune». «sans» et «seul», réduit la musique à un simple son: dans I"excipit du poème. cette musique est d'ailleurs comparée au «son d'une flûte: Qu'on aurait ./ Perdue en forêt». Ce «son frais» se situe donc à l"extrémité de ce que nous pouvons considérer comme étant de la musique. Bien tlue cette mus!que puisse être confondue avec le souffle du vent ou le bruit d'une source, elle charme la totalité de la forêt et façonne, en quelque sorte. un univers qui lui est propre, à 1Ïntérieur duquel les êtres et les choses sont sous son entière dépendance. Le lexique de l'extrême. par sa diversité et sa fréquence,

(39)

{

.

(

structure ici l'ensemble du poème puisque, d'une part, il caractérise la musique et que, d'autre part, cette musique influe sur la totalité des éléments qui l'entourent.

Bien que la rhétorique de l'extrême ne soit pas déterminante dans la composition de ses deux premiers recueils de poèmes4

, Anne Hébert

écrit et publie, dans les mêmes années, des nouvelles et des pièces de théâtre qui, elles, en portent les marques, que ce soit au niveau de la construction de l'espace, de la délimitation du temps de rhistoire, de la thématique et/ou des personnages. Dans les nouvelles La maison de l'esplanade et La mort de Stella, c'est au niveau de la construction de l'espace et, plus précisément, de

la description des lieux d 'habitation que le paradigme lexical de l'extrême se déploie: les deux nouvelles se déroulent dans des conditions de vie extrêmes. Dans la première, Stéphanie de Bichette vit paisiblement dans le confort, l'ordre et la stabilité de son foyer, elle qui habite dans «une maison de pierre de taille, datant du régime français» (f, 108); la famille de Stella, au contraire, connaJ"t toutes les misères de la pauvreté, puisqu'elle ne réussit à se nourrir que grâce aux offrandes des gens du village. Toute la famille (une mère, ses trois filles et un fils en bas âge) loge dans une «étroite cabane de planches, bâtie sur la terre, [...] coiffée d'un toit de papier Doi r goudronné, à peine incliné» (T, 153).

4Nous analyserons plus loin le troisième recueil de poèmes: Mystèredelaparole (1960).

(40)

(

Dans chacune de ces deux nouvelles, les lieux sont décrits avec

minutie, de sorte que, au niveau du lexique, deux paradigmes se fonnent. Le

second paragraphe de La mort de Stella est exemplaire pour ce type de

composition:

L'étroite cabane de planches, bâtie sur la terre, était coiffée d'un toit de papier noif goudronné, à peine incliné. Un tuyau de poële sortait par un carreau. Une mince fumée s'en échappait, par intervalles irréguliers. Une petite fille malingre vint ramasser des brindilles dans sa jupe ·et retourna dans la cabane, en ayant soin de refermer la porte, derrière elle. La porte et l'encadrement des fenêtres gardaient cette couleur délavée, rose et violette, si poignante des wagons de marchandise, oubliés dans les gares.

cr,

153).

Cette mise en situation réaliste situe l'action dans un espace de misère et de pauvreté. L'accumulation des sèmes de pauvreté permet ici d'identifier la rhétorique de l'extrême. Ce n'est là, bien sOr, qu'une caractéristique, parmi plusieurs, du lexique de l'extrême qui, comme nous l'avons évoqué plus haut, se compose, d'une part, de mots qui font explicitement référence aux extrêmes, tels les adverbes «jamais~ et «toujours» et qui, indépendamment du contexte, situent l'action ou le sujet dans un temps extrême; puis, d'autre part, de mots qui peuvent être classés sous le paradigme lexical de l'extrême grâce à la formation d'une isotopie, c'est-à-dire par l'accumulation de termes possédant un sème commun: dans la citation en retrait plus haut, les mots

(41)

(

(

dénotent cette insistance à situer I~actiondans un lieu de grande pauvreté. La formation du premier type de paradigme est décelable dès la première lecture (lecture linéaire), alors que le second ne peut se faire que lors d'une lecture rétroactive (lecture tabulaire). La rhétorique de l'extrême peut donc être immédiatement visible ou nécessiter un décodage attentif. Dans La

mort de Stella, le lexique, outre l'utilisation toujours présente et

déterminante du mot ~<tOUt>~5, se résume à la formation, par la réitération de sèmes communs, du paradigme de la pauvreté.

La rhétorique de l'extrême, dans d'autres textes, intervient à plusieurs niveaux et structure, en quelque sorte, l'ensemble du texte puisqu'elle détermine la diégèse, qualifie les gestes et paroles, et délimite l'action dans un espace-temps extrême. C'est le cas de la nouvelleL'ange de

Dominique (1938-1944), une des toutes premières oeuvres d'Anne Hébert qui, par le biais d'une histoire d'amour entre deux jeunes personnes, se veut un éloge de la danse. Cette découverte de la danse sera pour Dominique (qui a perdu l'usage de ses jambes) une véritable révélation: expérience unique, totale, la danse lui insufflera une force nouvelle qui ia guérira pour un temps.

5 Rappelons que le mol «tout» peutetreutilisé comme pronom indéfini7adjectif qualificatif et indéfini,

adverbe de quantitéetnom. Dansles textesh~bertiens.ilapparaitprincipalement sous les fonnes d'adjectif, de pronom etd'adverbe~son utilisation sous forme de nom est peu significative.

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(

Premièrement~ voyons comment la rhétorique de 1~extrême

intervient dans la construction de l~espaceet du temps dans cette nouvelle. Le décor est à nouveau situé dans une petite ville sur le bord d'un océan:

~Entre la falaise et la mer, la ville minuscule est tapie contre le roc» (f, 49). L'action se déroule donc à l'extrémité de la terre habitable6

; le narrateur

renchérit en précisant que la maison de Dominique est la ~maison la plus

lointaine, celle qui oppose au monde un flanc seul non défendu par une habitation voisine» (T, 49). Ce «flanc seul non défendu». (que l'on retrouve souvent dans les textes hébertiens) permet la (les) rencontre(s) avec l'inconnu, l'étranger, personnage récurrent dans l'oeuvre hébertienne7

• Cette

rencontre qui, évidemment, transforme radicalement la vie du personnage principal, se fera dans un laps de temps très précis, à savoir entre deux extrêmes. En effet, l'histoire débute avec le tout premier jour d'été: «Ysa [le personnage de l'étranger] est venu à cette époque où le printemps se fond dans l'été, à cette époque où l'abondance des merveilles stimule notre émerveillement sans fin» (T,56); puis, l'expérience ultime de la danse advient lorsque <<l'été est dans sa plénitude. Il est là, tout donné, tout

reçu. Il ne peut pas plus être là qu'il ne l'est en ce moment. La prochaine fois que ça bougera là-dedans, ce sera le signe de l'automne prochain» (f,

59). Le récit prend fin alors que l'automne arrive, lorsque «les feuilles • Anne Hébert reproduira sensiblement le même décordansus fousdeBasson.

7 Voir la remarque de Janet M.Paterson,citéeen introduction, qui notela présenceréitérative de certains

personnages, «notamment la figure du jeune homme mystérieuxdansus chambres de bois [...J.KamourasIuJ

[...] etdans usenfantsdusabbah.dansMomenls postmodemes...• p.29. Pour notre ~nous préféronsla

figuredeI·étranger.plusgénérale.qui désigne tout personnage absent du noyau familial lors dutempspremier

(43)

(

.

-(

commencent de tomber» (T, 70), mais qu'il «fait [encore] doux comme en été» CT, 72). La rhétorique de l'extrême structure l'espace et le temps par des mots tels que «plus»~ «seul», «fond» et «plénitude»~de telle sorte que l'espace permet la rencontre avec l'inconnu et que ce temps qui bascule d'une saison à l'autre (ou qui se trouve en équilibre entre les deux) évoque l'expérience prochaine de Dominique: fin du printemps-début d'été (renaissance par la danse), plénitude de l'été (plénitude de la danse), automne-chute de feuilles (chute-mort de Dominique).· L'expérience de Dominique, à l'instar de plusieurs personnages hébertiens, est unique parce qu'elle se situe dans un temps et un espace uniques, c'est-à-dire dans ces extrêmes qui étourdissent et déstabilisen~.

C'est également avec le lexique de l'extrême que la danse sera décrite, elle qui sera perçue ici comme le geste pur, la perfection du mouvement9

: c'est dans les passages qui traitent de la danse que le paradigme

lexical de l'extrême prend toute son ampleur. Le lexique permet, d'une part~

de décrire la danse: «Il aurait dansé sans elle, seulement pour prendre sa

8 Lessaisons et les conditions méléorologiques (extrêmes) affectent plusieurs personnages hébeniens et,

parla même occasion, déterminent la diégèse. Pensons, entre autres,à la tempête du 31 aoOtdansLes fous de Bassan qui poussa Stevens au meurtre: «Mais là où je ne suispasd'accord avec tous les témoins de Griffin Creek, du plus grand au plus petit, c'est au sujet du temps qu'il faisait ce soir-là Tous vont insister sur le calme de la nuit, ["absencè de venL Et moi faffinne avoir éprouvé la rage de la tempête dans tout mon corps secoué etdisloqué~tandis qu"Oliviase débattait, partageant avec moi le même ressac forcené. Dans toute cette histoire,je tel"ai déjàdit~ilfaut tenir compte duvent~(FB. 246); au feu qui sévit dans Lamort de Stella; à

I"orageduTorrent.

a Nous retrouvons une perception identique de la danse dansHéloise. «Le mouvement pur et dépouillé, captéà la source même de son élan. Puis elle se lança dans uneimprovisation~sans se soucier de rien d"autre au monde. Sous les yeux de Bernard, elle s'absorba dans la possession parfaite de ses gestes et de soncorps.~

(H, (5).

(44)

(

place dans l'été. Rien que le geste pur; rien que toute sa valeur rendue au

geste» (T~ 54); d'autre part, il permet de qualifier les sentiments de DominiquelO vis-à-vis de la danse et de son interprète:

Ysa, j'ai rêvé, cette nuit, que je dansais... (Elle a dit ces mots avec une tendresse maladroite et contenue, craignant de les profaner.) Je dansais! Je sentais mes jambes danser! Mes bras danser! Et d'autre chose de plus dansant encore dans

mon sang. Mon épine dorsale, mon cou, mes cheveux, rien ne résistait! Je n'existais plus, et pourtant j'étais consciente de mon obéissance à la danse, seule chose qui pouvait m'empêcher de mourir tout à fait. (T~ 60).

La danse est une expérience unique, totale: Ysa n'est que danse~ «toutes les danses imaginables» (T, 61), et «rien fi'embarrasse le mousse dans sa démonstration» (T, 62). Expérience extrême, la danse atteint l'ordre du merveilleux, du fantastique:

Une fois qu'on est engagé dans l'aventure du mystère, une fois qu'on a donné son consentement profond, rien n'est plus impossible. La réalité se trouve franchie, dépassée, et les choses extraordinaires ne bouleversent plus aucun ordre, ne provoquent plus d'étonnement. (T, 67).

Dominique, à la fin de la nouvelle, retrouve l'usage de ses jambes; cette guérison n'est pas l'oeuvre du docteur, lui qui «ne cherche pas assez creux [et qui ne] croit pas à la profondeur, ni au mouvement prisonnier au coeur de la mort» (T, 68), mais plutôt celle d'Ysa qui «possède Dominique et la meut

10 L'héroïne de cette nouvelle a perdu l'usage de ses jambes: la danse représente donc pour elle

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l

.

(

comme sa propre vie» (T~ 71). Une fois remise de sa maladie~ Dominique pourra connaître l'expérience de la danse~ expérience qui se situe à l'extrême du mouvement et de la vie~ dans un extrême qui ne peut conduire qu'à la morttl

Finalement la rhétorique de l'extrême se vérifie par la présence d'un oxymore, introduit par la conjonction de coordination «et»12: «On dirait que c'est terrible et si doux à la fois» (T, 54). L'oxymore~ figure du

déchirement~ est souvent employé par Anne Hébert pour faire état d'une sensation ambivalentel3 au sein d'un personnage. Ici., Dominique est à la fois

attirée et repoussée par Ysa, dont elle ne connaît rien, sinon la beauté du mouvement: c'est que l'attirance et la fascination, chez Anne Hébert, ne se produisent jamais sans une part de peur, de crainte, voire de répulsion. Ce

déchirement~ qui caractérise déjà plusieurs personnages des oeuvres de

11 Àl'instar d'Olivia de la Haute Mer, Dominique vit une sorte de renaissanceparla mort aquatique. 12Les oxymores sont des antithèses à noyau unique: ils unissent deux paradigmes lexicaux contraires. Ils

se présentent (chez Anne Hében du moins) sous deux formes: inU"Oduits, d'une part. par «et» ou «à [a fois» et,

d'autre part.unisdansun même syntagme nominaI (ex: «pièta sauvage»). Nous disons que la première forme

est la forme faible et la seconde, la forme forte. Nous consacrons le troisième chapitre de notre mémoire à l'union des extrêmes etàla figure de rhétorique qui l'accomplit

13Le terme d'ambivalence, comme nous l'avons mentionnédansnotre introduction, està prendredansson sens bakhtinien: «Quelques mots encore sur la nature ambivalente des images carnavalesques. Elle sont toujours doubles, réunissant les deux pOles du changement et de la crise: la naissanceetla mort (image de la mort porteuse de promesses), [a bénédiction et [a malédiction (les imprécations carnavalesques bénissent, et souhaitent simultanément la mort et [a renaissance), la louange et l'injure, la jeunesse et la décrépitude, le haut et le bas,la face et le dos. la sottise et la sagesse. Lapenséecarnavalesque estriche en images géminées suivant la loi des contrastes (petit et grand, gros et maigre), oudesressemblances (les doubles et les jumeaux). [... ) L'image du feu carnavalesque est profondément ambivalente. C'est un feu destructeur et rénovateuràla fois.» (Lapoétique de Dostoïevski.p. 174).

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jeunesse d'Anne Hébert (Claudine Perrault et Agnès Joncasl~)., ne se réalise

pleinement qu'avec la parution de son troisième recueil de poèmes (1960) et son deuxième roman (1970).

B. Mystère de la parole.

Anne Hébert fait précéder son troisième recueil., Mystère de la

parole, d'un court texte, «Poésie., solitude rompue»., dans lequel elle énonce

sa conception de la poésie. C'est avec le lexique du paradigme de l'extrême qu'elle décrit l'expérience poétique: «Le poème s'accomplit à ce point d'extrême tension de tout l'être créateur., habitant soudain la plénitude de l'instant» (MP., 69). Le paradigme de l'extrême contribue également à faire de la poésie (comme ce fut le cas pour la danse) une expérience totale: «le poète tend., de toutes ses forces., vers l'absolu, sans rien en lui qui se refuse., se ménage ou se réserve., au risque même de périr» (MP, 69). Cette expérience totale, c'est-à-dire exigeante, de la poésie et de la vie, fonde le recueil et l'inscrit de plain-pied dans la rhétorique de l'extrême par son utilisation variée et répétée du paradigme lexical et par son double agencement des extrêmes, en successivité (opposition) et en simultanéité (union).

14 Personnages du Ton-em et de la pièce Le temps sauvage. Elles ne constituent pas encore des

personnages oxymoriques (comme Élisabeth et Héloïse. par exemple: voir notre troisième chapitre), mais elles ne luttent pas moins contre cette «force mauvaise» quisetrouve en elles et lespousseaumal.

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( .

Dès l'incipit du poème éponyme, qui ouvre le recueil, les extrêmes s'opposent et se confrontent: «Dans un pays tranquille nous avons reçu la passion du monde, épée nue sur nos deux mains posée / Notre coeur ignorait le jour lorsque le feu nous fut ainsi remis, et sa lumière creusa l'ombre de nos traits» (MP, 73). La passion est ici perçue comme une expérience nouvelle, qui s "oppose à la vie tranquille, et qui ne s'accomplit pas sans combat: l'épée symbolise ce combat et cette déchirure que vit1S le «nous». Le «nous» connaît ici, par la soudaine présence du «feu»

en lui, une seconde naissance (lui qui «ignorait le jour»16), fulgurante

celle-là: «En on seul éblouissement l'instant fut» (MP, 74). Cette naissance de la passion, c'est-à-dire, métaphoriquement, de l'âge adulte et de la parole, place le «nous» devant des situations extrêmes et elle le confronte à des désirs contradictoires. Ce déchirement du «nous» se traduit, sur le plan lexical, par une union des extrêmes: «La vie et la mort en nous reçurent droit d'asile, se regardèrent avec des yeux aveugles17, se touchèrent avec des mains précises»

(MP,73).

Ce recueil marque une étape décisive dans l'évolution de la rhétorique de l'extrême chez Anne Hébert; en effet, c'est avec lui que s'établit de façon définitive J'union des extrêmes, c'est-à-dire la coexistence

15 Nous entendons le «nous- du premier vers comme un nous de politesse, mis pour une seule personne.

Au second vers, le cnotre» exclut toute autre lecture.

115Cette passion qui engendre etcommandela vie deviendra untoposhébertien.

17 Cette étrange image, «yeux aveugles», serait davantage un paradoxisme qu'un oxymore. Ànouveau.

nous référons le lecteur au troisième chapitre de notre mémoire. dans lequel nous distinguons antithèse,

oxymore et paradoxisme.

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