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A la recherche de l'origine du mvthe de Bérénice
par
Annie Goorah-Martin
Mémoire de maîtrise soumis
à
laFacuité des études supérieures et de la recherche envue de l'obtention du diplôme de
Maîtrise ès Lettres
Département de langue et littérature françaises Université McGiIl
Montréal. Québec
Mai 1996
1+1
Natronal Llbrary of CanadaBibliothèque nationale du Canada
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0-612-19895-2
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RÉSUMÉ
Ce mémoire "ise à retracer l'évolution du personnage de Bérénice dans la littérature française afin de déterminer quelle réalité historique sert de modèle aux créations littéraires. Ce parcours,à traversdessiècles d'écriture, conduità distinguer deux courants: le premier est dominé par le thème des amours contrariées de Titus et de Bérénice, reine judaïque du 1er siècle. L'autre est marqué par la réintégration d'événements plus anciens, remontant au.x reines, également nommées Bérénice. de l'époque ptolémaïque. C'est ce mouvement de retour aux origines du mythe qui semble caractériserles ouvrages plus récents.
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ABSTRAcr
This work attempts10traceback the models for the various Berenice stories inFrench literature. Two different trends seem to emerge. Thefirst oneisrelated to the unhappy relationship between Titus and Berenice, the Judaic queen of the first
century AD. The other goes back to the events of the Ptolemaic period when a series of queens also bear the name of Berenice.
Present
day literaturetends thus10•
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REMERCIEMENTS
Je liens à remercier le professeurAlainTicholr< palU' sa générosité. ses conseilssiprécieu.'I: etsa foi en ce projet Sanssonappui ce mémoire n'aurait puvoirle jolU'.
Merci également aux profcssclD"S de l'Université Concordia:Mme Ve:tthuy. M Parc et M.
Lévy quim'ont transmis lelU' amolU'delaIitlératlU'e.
Que
les membres de ma famille. Chanci, Bérénice et Ravi soient remerciés palU' IclD"S encouragements et ICIU' aide.•
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SOMMAIRE
L...."TRODUCTION...•...•...•.1
LaBér· ·emceJU. daique .3
Les
&~énice ptolémaïques 14CHAPITRE 1: LA BEREJ."UCE JUDAIQUE DANS LA LI 11ER<\.TURE 24
Oeuvres préclassiques 25
L'époque de Corneille et Racine 47
Romans contemporains: survivance de la Bérénice c1assique 51 CHAPITRE II: LA RESURRECTION DES REINES PTOLEMAIQUES...•••...••67 L'ambiguilé du modèle...•.68 Retour aux origines...•...84 CONCLUSION: VERS L'EVENEMENT PRIMORDIAL..•••....••••....••••••••..•••.•.•..•.•••••••.95 BIBLIOGRAPmE...••...••...•...••..•••••••...••••••••.••••.•..••••••...•••••
.99
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INTRODUCTION
."'IMüt~ s'~ffcurcMSmÎmoires.
1ftQÙk.umgIÙBirt1ltu...J
Certains persormages semblent "i"Te éternellement. Bérénice est de ceux-là. Les chercheurs: font remonter il... origines de la légende bérénicierme à l'histoire de la reine juive, réelle respoIlS2ble de l'engouement qui a envahi le X"Vlle siècle. mais ne s'aventurent généralement pas au-delà. La cormaissance de la vie de la Bérénice judaïque
• est, certes, indispensable à la compréhension du thème. Cene figure historique a profondément marqué la période classique et les grands dramaturges ayant ainsi immortalisé le personnage. la critique littéraire semble supposer que les créations subséquentes Jeprendront le canevas établi à cette époque. Toutefois, les oeuvres contemporaines nous incitent à croire que l'archétype bérénicien procède d'une alchimie plus complexe dont l'ambiguilé originelle mérite d'être élucidée. En effet, de nombreux indices attestent que les sources du mythe provierment d'un temps beaucoup plus reculé
•
lParoles de Néchoude, Acte 3, Sc. 5, dansla ttagédie de A Chedid, Bérénice d'Egyptc, Paris,EdilionsduSeuil, 1968.
'E. Mireaux,après avoirretracél'histoirede laBérénicejudaïque, dansLa reine Bérénice, Paris, AlbinMichel, 1951,sembleêtrelepremieràrcconnailrc\DI':vielittéraireau personnage. S.
Akennan intitule \DI 0lM3gC Le mythe de Bérénice, Paris, A-G. N"1ZCt, 1978, et relèlll: minulieusemCJJt les apparitions du personnage Bérénice dans les produclions Iiuéraires Cl aI1istiqucsfrançaises.
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2que les années imparties aux amours de Titus et de Bérénice, dans une protohistoire de la légende actuelle qui remonterait jusqu'aux reines ptolémaïques. Notre entreprise consistera ici à déterminer à quelle figure historique l'archétype que la littérature est en
traindecréerse rattache.
Cettc recherchc de l'origine du mythe de Bérénice nécessitera d'abord la récapitulation des données historiques qui composent la vie des figures
illustres
ayant porté le prénom Bérénice, en l'occurrence la reine juive contemporaine de Titus et les souveraines ptolémaïques, afm de pouvoir effectuer ensuite une comparaison des événements réels avec les oeuvres littéraires de la période préclassique et classique d'une • part et les ouvrages contemporains d'autre part. Cette mise en relation des personnages des tragédies,romans
ou recueils poétiques avec les événements d'origine permettra de distinguer les héroïnes se réclamant du mythe traditionnel, c'est-à-dire calquéessur
le modèle de la Bérénice judaïque, de celle:, appartenant à une culture ou à des faits plus lointains.•
3LA BERENICE JUDAIQUE
Les ouvrages de Flavius Josèphe;deTacite, de Suétone et de Dion Cassius. en se recoupant, nous permettent de tracer un portrait assez fidèle de cette reine juive. Nous avons cependant
pris
également en considération le travail d'Emile Mireaux, La reine Bérénice, qui restaure ou éclaircit avec beaucoup d'ùnagination et d'intelligence les passages anciensimprécisoumanquantsdela viedecettehéroïne.Bérénice vécut au 1er siècledenotre ère. Filleduroi de Judée,
Agrippa.
elle avait pourascendants des figures illustres porteuses d'un atavisme royal de provenances assez • mélangées. On retrouve panni ses ancêtres Hérode le Grand qui nous est décrit cormneétant
d'une force pbysique exœptionneUe, cavalier Incompu-ab\e.
chasseur Infatigable
1...1,
u
était en vrai orientai un diplomate consommé, époux de dix femmes, lIIIIOUftUX passionné etférocement cruels.
La soeur de cet Hérode, Salomé, figure aussi panni les aïeux de Bérénice. L'historien Josèphe nous laditjalouse; dissimulée, iDlrigante et haineuse. Elle réussitparses ruses à semer le doute sur la fidélité de la reine Mariamne et Hérode, par un excès dejalousie,
finit
parcondamner sa femme àmort. Salomé provoqua ainsi lapertedeplusieurs proches•
du roi et. parmi les ....ictimes. trois des fils d'Hérode furent assassinés. Salomé fit elle-mâne exécuter deux maris.Bérénice avait d'autres ancêtres cêlèbres etplus dignes d'admiration. Josèphe nous dit que Mariamne. de la farrùlle juive des Asmonéens, dépassait infiniment en beauté, en majestéeten séduction toutes les autres fenunes de sa génération. Descendante du dernier roi asmonéen. elle fit preuve de courage et de fierté jusqu'à sa mort ordonnée par Hérode. Notons en outre un personnage moins connu,. mais possédant un fort caractère, Phazael. le grand-père 1.1aternel de Bérénice. de qui l'on raconte qu'étant prisoIUÙer. il se brisa la tête contre une pierre pour ne pas tomber "ivant aux mains de ses ennemis.
• La mère de Bérénice. Cypros. "parait avoir été une fenune de tête, fort digne, vertueuse. très dévouée à son mari. mère excellente" (RB, p. 18). Son père, Agrippa, fut élevé au milieu de lajeunesse dorée romaine. "Tout enfant et peu de temps après la mort tragique de sonpère Aristobule, fils de Mariamne, il avait été transporté à Rome" (RB, p. 18). Ayant vécudansl'entourage de la famille impériale, ilapprit donc dès son plus jeune àge l'utilité de la diplomatie. A la mort soudaine et mystérieuse du jeune
Drusus,
fils de Tibère. avec lequel il était étroitement liéetqui avait à peu près son âge, Agrippa seretira
dans sonpays
d'origine. C'est là probablement qu'il épousa Cypros et que naquirent Agrippa IIetBérénice. en 28 ou 29aprèsJésus-Christ•
La petite princesse charnait donc dans ses vein~ du SllIlgroyal d'origines divo:t'SeS puisque outre les Juifs (Asmoneens et Idumeens). ~ Arabc:s avaient participe àl'edification de sa famille. Il n'est donc pas exclu de retrouverparmises qualités la fougue et 1 endurance ~ hommes du desen. l'art de la diplomatie ~ Orientaux et le don du commandement herite de ses ancêtres royaux.
Les circonstances mêmes de la vie de Bérenice lui furent d'un enseignement precieux dansdenombreuses occasions. On s'accordeà admettre que sa tendre enfance se passa à Malatha. forteresse situeedansle desert"sur le site de l'actuel TeIl-eI-Milh" (RB. p. 47) à soixante k.ilomètr~de Jërosalem. Vers l'an 34. la famille, sans
ressources.
se • rendit à Antioche 'vi'vTe à la cour du legat de Syrie où Bérenice elle-même pus'initier aux rudiments de la diplomatie tout en ayant un aperçu de la puissance de l'empire rom:lin. Cene 'viedurasix ans. Puis ..\grippa installa de nouveau sa familleà MaIathaetpartitseul à Rome soIliciter les faveurs de Cesar. Son astuceetsa diplomatie lui valurent le royaume de Judee. Agrippa s'en retourna en Judee. mais cette fois-ci comme souverain. F1a\ius Josèphe commente: "la richesse afflua vers Agrippa....Après avoir connu une enfance mouvementee. Bérenice n'entrait pas dans sa vie d'aduhe sans difficuhé. Son premier mariage eut lieu vers l'an 41. alors qu'elle n'avait que treize ans. On lit dans les Antiquités juives que Bérenice epousa un
certain
Marcus. mais•
•
6
qu'à la mort de celui-ci, Agrippa dorma sa fil1e en mariage à son propre frère, Hérode, et quémanda pour celui-ci, auprès de l'empereur Claude, le royaume de Chalcis (petit territoire situé dans la partie méridionale de l'Antiliban). Bérénice et son époux devenaient donc souverains de Chalcis. Mireaux observe: "ce n'était d'ail1eurs pas une sinécure que d'être roi de Chalcis"(RB,p. 78).
n
fallait réprimer les moeurs farouches des nomades du désertetla vie ne devait pas êtredetout repos. C'estdansde tel1es conditions que Bérénice a dûapprendre à gouverner. Mireaux commente le caractère de son héroïne: ":-:i l'abandon, ni la résignation n'ont été les traits dominants du tempérament de cettejeune personne" (RB. p. 88).
n
voit encore dans les prénoms qu'Hérode, secondmari de Bérénice, dorma à ses enfants, Bérénicien et Hyrcan (nom d'un aïeul de Bérénice), une preuvedel'ascendant que la jeune femme devait exercer sur son mari.C'est à partirdece moment que Bérénice commence à entrer dans la scène politique deJudée. César ayant proclamé qu'un lien religieux serait établi entre le royaumedeJudée
et celui de Chalcis, Bérénice devint, en conséquence, la reine spirituel1e de Jérusalem. Josèphe relate combien el1e était attachée aux traditions juives et avec quel soin el1e accomplissait ses devoirs religieux. Voici un exempledela piétéde Bérénice,tirédu récit de l'émeute qui eut lieu le 3 juin 66, sous l'administrationdeGessius F1orus:
EUe séJoumait àJérusalempour accomplir un voeu qu'elleavait
fait à Dieu.
n
est d'usage que les penonnes souft'rant de maladies ou de quelque autre anuc:tlon fassent le voeu de s'abstenir de win et de se raserlatête pendant les trente Jours qui précèdent celui où elles oot à onrlr des wic:times. C'est ce•
•
voeu que Bérénice accomplissait. Nu-pieds devant l'estrade., elle implora Florus et outre l'affront de n'en obtenir aucun égard,
elley risqua personnellementsa"ie (GdJ, p. 63).
Puis Bérénice
se
retrouve veuve une autre fois, à l'âge de dix-neufans, et doitassurer
l'éducation de ses deux jeunes fils. A la mort d'Hérode, on nomma Agrippa II, frère de Bérénice, successeur de son oncle etilde"int plustard héritierduroyaume de Judée.Les
lùstoriens nous le décrivent comme un homme séduisant qui trouva dans sa soeur une conseillère déjà experte dans l'art de gouverner, et même une amante. Durant son règne, la Judée fut aux prises avec plusieurs révoltes dans lesquelles Bérénice n'hésita pas à s'impliquer personnellement, plaidant tantôt le parti d'un camp, tantôt celui de l'autre. Avant d'aborder le rôle politique de notre héroine, mentionnons, àtitre
d'illustration. la manoeuvre de diplomatie matrimoniale qu'elle effectua quand ellese
trouva en bune aux médisances du peuple juif. Josèphe raconte que lorsque Béréniee apprit lespropos
malveillants qui circulaientsurles relations incestueuses qu'elleentretenait
avec son frère, elle persuada Polemo, roi de Cilicie, dese
faire juif et de l'épouser, espérant ainsi faire cesserles rumeurs.Mais
Josèphe nous dit aussi que ce mariage ne durapas longtemps et que Bérénice, délaissant Polemo,reprit
bientôt ses relations coupables.L'interventionde la jeune reine pour réprimer la rébellion de 66estune preuve de la détermination qui l'animaitetde l'attachement qu'elle portaitàsonpeuple:
La soeur d'Agrippa, Bérénice, qui se trouvait • Jérusalem et
voyaitde ses yeuxlesoutrages des soldats. en ressentit une vive émotion et bien des fols, elleenvoya • F10rus les commandants
•
•
8
de sa propre ca,'3Ierie et ses gardes du corps pour obtenir la cessation du massacre. FIorDS, ne prenant en considération ni le grand nombre des victimes, ni la haute naissance de la personne qui faisait cette requête, mais uniquement le profit à tirer du pillage, ne voulut rien entendre. La fureur des soldats en
arm-a
à se déchaîner même contrelareine: ce qui est certain c'est que non seulement ils torturaient et tuaient sous ses yeux ceux dont ils s'emparaient, mals ils l'auraient assassinée elle-même, si elle n'avait pris les devants en se réfugiant dans le palais royal. Elle ypassalanuit, avec sa garde, redoutant l'irruption des soldats.
(GeU, p.63)
Bérénice était encore présente auprès d'Agrippa lorsque celui-ci harangue son peuple en l'exhortant à maintenir la paix plutôt qu'à déclencher une révolte contre Florus qui serait interprétée comme un affront à César lui-même. Josèphe rapporte qu'Agrippa "convoqua le peuple (...] et plaça près de lui bien en we sa soeur Bérénice"'(GdJ,p. 68). Quandileut
fini
son discours, pour impressionner la foule etla ranger à ses arguments. le roi "fondit en lannes et sa soeur avec lui" (GdJ, p. 77). Malgré leurs efforts, les deux souverains ne parvinrent pas à contenir la révolte et se rangèrent du côté du procurateurromain. Selon Mireaux: "AgrippaetBérénice réussirent à s'échapperdans la débandade", puis il ajoute: "Nous les retrouverons quelques mois plus tard à Antioche, auprès de Vespasien" (RB, p. 144). Onretrouve encore Bérénice auprocès
de Saint Paul, mais cette fois-ei l'historien, Josèphe. ne fait que mentionner sa présence.Lapremièreentrewe
de
lareine avec Titus semble avoir eu lieu en 67. Même si le lien qui se développe entre euxfut,. de
sapart, largementsuscité
parl'intérêt, on ne peut•
•
Q
cependant nier l'ascendant que ce chef a dû exercer sur elle. Suétone. dans la Vie des douze Césars. nous le décrit ainsi:
Il étaitd'une beauté incomparable. faite de majesté. non moins que de grâce, une 'igueur ertrême. malgré sa petite taille et son ventre un peu trop proéminent, une mémoire extraordinaire. des dispositions presque pour tous lesarts militaires etd,ils'.
Tacite, lui, parle du "génie mê.ne de Titus". En effet, "il ëtait capable d'occuper toute situation si haute qu'elle
me.
De plus. il avait "un visage oû la majesté se mêlait à la grâce·06•Titus,desoncôté.et même Vespasien. étaient attirés par la reine de Judée. Tacite yfaitallusion en ces termes:Plusieurs auteurs ont cru que (la namme de Titus) pourlareine Bérénice détennina son retour en Orient; il est vrai que son coeur de jeune homme ne le laissait pas indifférent à BérénIce.
maisson activité politique n'étaitpasentravée de ce fait'. Suétone soutient encore
dans
la Viedesdouze Césars:On appréhendait l'intempérance de Titus
1•••)
et non moIns son Ubertlnage,à cause de ses troupes de mignons et d'eunuques,et de sa passion fameuse pourlareine Bérénice,à laquelle, dlsalt-on, UaVait même promis le mariage'.'Suétone, VIC dMdouze
Césars.
Paris,BeDesLctIrcs, 198o-198~ p. 69.6oz'acltc,
Histoires.
Patis,BeDesLctlrcs, 1965,n,
ch. 1,p.78.1Tacite,Histoires,
n,
ch. 2,p. 79.•
•
10 De l'ascendant exercé sur Vespasien, Tacite explique: "elle (Bérénice) était dans la fleur de l'âge comme de la beauté et le vieux Vespasien, lui aussi, lui trouvait des charmes à cause de la magnificence de ses prësents,.9. Excepté les quelques détails énumérés
ci-dessus, nous connaissons peu d'anecdotes se rapportant aux amours de Bérénice et de Titus. Deux historiens, Suétone et Dion Cassius, parlent de son renvoi. A l'occasion du départde Bérénice de Rome, Suétone vante les qualités de Titus:
ennn, tous le considéraient et le représentaient ouvertement comme un autre Néron. Maiscette mauvaise renommée tournaà son avantage et nt place aux plus grands éloges, quand on ne découvrit en lui aucun vice et. tout au contraire. les plus rares vertus. Quant à Bérénice, il la renvoya aussitôt loin de Rome.
malgréluietmalgréelle".
Ces trois motsde Suétonedimisit invitus invitam sontrestéspour la littérature le pointde
départ
du mythelittéraire
des amours de Bérénice et de l'empereur. TI serait cependant plus exact d'en attribuer la source auxécritsde DionCassius puisque celui-ci est le seulà mentionner lesvisites
deBéréniceàRome:Bérénice
was
at the very heigllt or her power and consequently came to Rome aJong wIth ber brother AgrIppa. The latterwugI\'en the rank or praetor whUe !he dwelt ln the palace,
cobabItiDg wIth TItus. She expected to marry hlm and wu already behavlng ln every respect as Ir!he were hls wlre; but
'Tacite,
J.Ijdnjrç&D,LXXI,p.132•
•
11 when be perceived tbat tbe Romans were disp\eased with tbe
situation, he sent ber away".
Titus alter becoming ruler commltted no act of murder or of amatory passion, but showed himself upright, tbough plotte<! against, and self-c:ontrolled, tbough Berenice came to Rome apinl:.
Aprèscettedéclaration, on ne retrouve plus aucune allusion à Bérénicedansles écrits des historiensde l'Antiquité. Cependantles dernières parolesde Titus rapportées par Suétone
ontété
à
l'originedebien des conjectures:Titus leva, dlt-on, les yeux vers le dei et se plaignit avec amertume que lavielui rot enlevée, malgré son Innocence; car, -ajouta-t-II, aucun de ses actes ne lui laissait de remords, • l'e:tteption d'un seuils.
Suétone lui-même pose immédiatement la question:
Quel était cet acte? lui-même ne le révéla pas alors et nul ne
pourrait le deviner fadlement. Quelques-uns estiment qu'U songeait • des relations criminelles entretenues par lui avec la femme de son frère, mals Domltia Jura solennellement qu'elle n'avait eu aucune liaison avec lui; or, s'II s'était passéentre eux la moindre chose, bien loin de le nier, elle s'en serait même vantée(p. 77).
Dion Cassius raconte,desoncôté:
TItus,asheexplred, said: "1havemade but one mlst'Iœ".What tbIs WlIS he dld not
maIœ
cIeIr, and DO one eIse recognlzed It wltb certalnty. Sorne have conjec:tured one tbIng and someIlDio's RomanHistory,v.IX, p.291. 12Dio's
R9!MP
lf\StOry,
v.IX, p.297.•
•
,.,
another. The prevailing view is that of those who say that he referred to h;s taking his brother's wife, Domitia. Others - and these 1am Incllned to follow - say that what he meant as his mistakewasthat he had not killecf Domitian when he found him openly plotting against him14•
Comme on le voit, le texte des historiens anciens laissait la voie ouverte aux suppositions. Simone Akerman avance que le second renvoi de Bérénice n'aurait été que feinte de la part du nouvel empereur qui ne voulait qu'un peu de temps pour que l'opinion publique s'apaise afin qu'il puisse la rappeler..~béric Magnard abonde dans le même
sens,
mais avec un argument encore plus sentimental:Leshistoriens ont appliqué en \1Ùn leur imagination au secret de cette énigme. Ilsl'auraient trou\'é dans leur coeur. Leseul c:rime qu'ait pu se reprocher Titus, au moment sacré où toute son existence se déroulait devant lui, c'est l'abandon, sans motif absolu, d'une m8l"tresse adorable et qui l'aimaitl5•
Ces deux dernières hypothèses sont naturellement les plus intèressantes pour la structuration du mythe, carellesconservent à Bérénicetoute la puissance de son emprise surTitus, mais. sur le plan strictement historique, il semble plus impartial de se ranger aux déductions de Dion Cassius qui veut que l'empereur regrette de n'avoir pris aucune mesure contresonfrère
dans
le but de se confonner, comme Mireaux l'explique,i cet bumanlsme coloré de stoiclsme qui a tenu lieu de fol religieuse et de101morale i l'éliteéclairée de la société romaine 14Dio's Roman Histoty, V. 8, p.315.
•
•
13
à lafin de la République et pendant les deux premiers siécles de l'Empire(RB, p. 194).
Il est heureux pour nous, cependant, que la littérature ne s'en soit pas tenue à une interprétation trop sèchement historique de ce récit et qu'elle ait su au contraire voir tout le potentiel dramatique qu'il recélait.
Finalement, afin de brosser un tableau rapide et récapitulatif de Bérénice. nous dirons comme Mireaux que la reine juive fut "ambitieuse. obstinée et calculatrice". mais qu'elle possèdait une sensibilité certaine, un ascendant sur les êtreset un courage rare.
•
•
....,
LES BERENICE PTOLEMAIQUES
Les
événements historiques qui marquent la vie des princesses ptolémaïques sont moins bienconnus.
Lapremière Bérénice donton
relate l'existencefutcertainement digne de débuter la légende bérénicienne, et si la littérature française ne s'est pas emparée dupenoœage,samémoire estpourtantrestéebien vivante pendant les quelques sièclesdela civilisation hellénistique d'Egypte qui ontprécédél'ère chrétienne.
Bérblice première
Cette Bérénice (340 - 281 av. J.C.) était fille dumacMonien
Lagos
etdemi-soeur dePtolémée, généralcr
Alexandre leC"1"lU1dqui,aprèslamort
del'Empereur,se
trouvaà la têteduroyaume d'Egypte et débutaladynastie des Lagides.Le
destin
delareine
Bérénice ressemble en quelquespoints
à celui de la Bérénice juive. Deson premier mari, Philipe,
au1re géœral d'Alexandre, eUe eut un fils,Magas.
qui devint
roi de Cyrène,ainsi
quedeux
filles,
Antigone et Theoxène, également mariées parla suite à des souverains. EUe s'unit ensuite à son piopie demi-frère,qu.i
avaitpris
le nom de Ptolémée 1er Soterpour régner surl'Egypte,aux environsde317 av. J.C. EUe avait alors 238DS,Ptolémée en avait•
•
15
Arsinoé II, héritèrent de la couronne au détriment de ceu.x de sa première fenune pennet depenser que Bérénice conserva longtemps son ascendant sur le monarque.
Ptolémée Soter étaitaiméet respecté de ses soldats ainsi que des peuples qu'il avait conquis. Il est décrit comme un chef intelligent et rusé. Après les cinquante ansdeguerres qu'il avait dû mener pour réprimer les révoltes des états qu'il gouvemait, il avait accumulé une imposante et glorieuse collection de conquêtes militaires. Il n'est donc
pas
étonnant que la jeune Bérénice ait éprouvé un grand attachement pour ce roi dont la réussite guerrière et administrative ne pouvait que forcer l'admiration.Le
goût de cette princesse pour la puissance royale ne peut manquer de nous rappeler la Bérénice juive cherchant à attirer Titus par son charme. Demême, le parallélisme curieux qui existe entre l'union de Bérénice Première avec son demi-frère, Ptolémée Soter, et les relations incestueuses de la reine de Judée et de son frère, Hérode Agrippa II, est un fait intéressant à souligner. Si les mariages consanguins étaient encore courants aux temps ptolémaïques, ils étaient cependant déjà réprouvés par la morale de l'époque hellénistique et certainement devenus scandaleux au premier siècle de notre ère. Ptolémée Soter mourut à 84 ans. On pourrait, lui aussi. le rapprocher de Titus puisque, comme celui-ci, il fut un souverain cultivé: fondateur, avec d'autres, de la grande bibliothèque d'Alexandrie, il lui apporta d'ailleurs sa contribution littéraire en la dotant d'une histoire des campagnes d'Alexandre le Grand•
•
16
Bérénice, car
il
est ditque le pouvoir decettereine était immense. Théocrite, qui fut son contemporain, rapporte: "son influence et sonhabileté
étaient telles que Pyrrhus d'Epire donnale nom de Bérénice à une nouvelle ville,,16.Dans
ses Idvlles. Théocrite, s'adressant à Ptolémée, rappelle comment.. grâce à celui-ci, la reine est devenue l'égale d'Aphrodite et reçoit les hommages dus aux dieux: "de mortelle qu'était Bérénice tu l'as faite immortelle, à ce que content les hommes, en versant goutte à goutte l'ambroisiedansson sein de femme". Denombreux autres poèmes semblent avoir été écrits à la louange desdeux souverains. On litdans l'introduction des Bucoliques grecsécriteparE. Legrand en 1925 que des partiesdespoèmes de Théocriteontdisparu
ainsi
sans doute quedespoèmes tout entiers(p. XXI).Des
fragments retrouvés d'une composition intitulée "Bérénice" semblent se réÏerer à une divinité de la mer. Leprocessus évhéméristede déification était-il déjà à l'oeuvre?
Ptolémée II Philadelphe, fils du précédent et de Bérénice, (et qui lui aussi abandonnera sa première femme pour s'unir à sa soeur Arsinoé II), baptise un port du
nom de "Bérénice" en souvenir de sa mère. Cet ancien port d'Egypte - aujourd'hui presqu'entièrement submergé par les eaux de la mer Rouge - pourrait bien, à son tour,
finir
de nousconvertir
à
la magie duprénom
avec les rêves enchanteurs qu'il évoque.L'aspect
mystérieux,digne derécits
d'aventures, qui entoure cette ville se conjugueà
une•
•
17
atmosphère mystique.
Les
mines qui s'y trouvent sont les restes d'un temple et de nombreuses représentations de divinités sont encore identifiables. Parmi ces vestiges. on peut spécialement reconnaître la statue de la déesse des mines d'émeraude érigée à cet endroit afin de protéger les ouvriers qui travaillaientaux
mines de Zabara et de Saket situées aux environs. On imagine facilement par quel enchaînement d'images et de souvenirs lenom
de Bérénice va être, dès lors, progressivement associé aux splendeurs, auxrichesses, àla puissanceetà la magieàla fois attiranteet terrifiante de l'Orient.Cette
Bérénice
qui débute la légende bérénicienne est apparue au commencement. son histoire est réelle en même temps que sacrée, elle reste vivante dans la mémoire des hommes. Elle possède doncdéjà
les caractéristiques marquantes du mythe d'après lescritères
définisparMirceaEliade. Ellepourraitbien mériter letitre d'''ancêtre mythique de toutes lesBérénice".
Bérénice II
La
Bérénice
ptolémaique que leshistoriens
ont étiquetée du chiffi'e deux est l'instigatrice d'événements aux IépelcussionsSUIpl"eIIlIDteMagas,
fils
du premier mariage de BérénicePremière,
venait de
mourir aprèsavoir
régnécinquante
ans sur
Cyrène.n
1ajssait commehéritière
une princesse encoreenfant
nommée Bérénice. Ce prénomfut.
à n'enpas douter,
donné
à
la
fi1leue
en souvenirde
sa grand-mère. Maisquoi qu'il en soit,•
•
18
les prédestinations mythiques qui ont accompagné l'aïeule semblent bien avoir suivi la jeune fille. Sa mère, Apama, une ~enne, avait comploté de marier Démétrius, son piOple amant. avec elle, bien que son père, le roi Magas, l'eût depuis longtemps fiancée à Ptolémée III ~Evergète", roi d'F.gypte, qu'elle préÏerait. Le conflit qu'on voit déjà surgir
entreles deuxprétendants fut bientôtréglé,mais d'une manière 1.''1peu inattendue. Voici une interprétation plutôt rude des faits extraite du ~Lexique" des Poésies de Catulle. A la rubrique "Bérénice", on lit:
Bérénice, femme de Ptolémée III Evergéte, roi d'ElD"Pte. Avant son mariage, son père étant mort, elle a,'ait fait égorger sous ses yeux, • Cyréne, Démétrius, amant de sa mére, que celle-ci voulait lui imposer pour époux, et ainsi elle avait rendu possible son union avec Evergéte.
Le geste de la future reine d'Egypte, tout sanglant qu'il soit, sera considéré comme un exploitparle peupleégyptien.
C'està peu près à la même époque que la soeur de ce Ptolémée Evergète, épouse d'Antochius Il roi de Syrie, fut assassinée. J.P. Mahaffy commente:
The Ilnt duty of the _ Idng of Egypt
was
10 avenge tbis bIoocIy deed. But he dld DOtstart apoo thIs adveatare before marrying :he priDcess BereaIIœ or Cyrene, long betrotbed 10 bim,and0IlIy awaitiDg bisc:oroaatioo10 becomebis royal wire.•
•
• a
For then onl\' would her children be legitimate heirs to the throne". •
Dès qu'il fut marié. Ptolémée partit effectivement en guerre contre Seleucos II. le
meurtrierdesasoeur. afind'en tirer vengeance. C'estalorsque se produisit un événement peut-être banal, mais qui
assurera
la survie du "mythe deBérénice-
pendant longtemps. Bérénice, effrayée du danger que couraitson
jeune êpou.x, offiit une mèchedeses
cheveux en ex-voto à Vénus-Aphrodite pourassurer
son retour. Ce fait.anodin
si on le replace panni les coutumes de l'époque. va cependant prendre des proportions consicL:rables. Callimaque, poète de la cour, s'empare des détails et brode sur le théme une petite composition poétique. perdue de nos jours. mais dont il reste une belle traduction de Catulle. Ce poème intitulé "la chevelure de Bérénice" raconte les aventu.--es de la mèche de cheveux. Celle-ci, selon ce que décréta Conon de Samos. astronome à la cour ptolémaïque, aurait été changéeen
astre. Mahaffy rapporte lesfaits
decette façon:
We still have, in the "Coma Berenices", which Catullus translated from CalJlmachus, a court poet's version or what he
thougbt Importantlnthiscrisis. The brlde-queen had dedlcated a Jock or ber hairlnthe temple or Arsinoe-AphroditewItb VOW5
ror the sare retum or ber bushand. l'be Jock bas disappeared, and _ cleverly discovered by the court 1I5b'oIIomer, Conon, amoDgthestars, wbitberilhad beeotransIated by the goddess. As tbere were still aDOIlymotlS
c:onstelIatioas
and theastroDOmers were tben mappiDg out the beavens, tbis
11J.P. Mahaffy, A J.Ijetory CfEgypt. underthe ptn!mpjçDynasty. MctbllCll & Co., Londres. 1899,p.104.
•
tnnslatlon WlIS oot 0DIy c:onvenieot for science, but for thE'c:ourtienUl•
D est remarquable de ee:mstater que cette constellationl9 porte toujours le nom de "Chevelure de Béaéuiœ" denos jours. L'incidemseraitprobablementtombé dans l'oubli
88DS l'imagination de Callimaque. Voici quelques
extraits
des lamentations que le poèteattribue à
la
boucledecheveux:Conoo,mlmllieudelalumièrecéleste, m'avue,boudedétacbée
du front de BéréDlce,
Jeter
des feux édaWits, après que cett~reIIIe m'eutpromiseàplusieurs déesses en teodaot versellesses
bras poUs, lonque le roI, dOal un hymen tout nouveau
nm"'SlIt
la gloire. étaitallé déwster les cbamps de l'AssyrIe,portaot encore les douces 1IIII'qDe5 du combat IlOCtUIne où 0
l'lMlt dépouWée de SI W'glnlté. Vénus est-elle odieuse aux llOUftIIesépoasEes?
1...]
C'estbIeIlllllllgrEmol,lireine,que
J'II
quittéton
froat,
oui, malgré mol; J'en faisserment par
toi,par
ta
tIte1•..]
J'épt'OUft
moins de
Joie
de ma tortuae
préleDteque
de
toumleat à lapraMe que Je
seraitoujours
léparée, oui, lé...du
ftooDtde ma
maItresse, lmtqui.
prMede
tous lespItfWaslUtempsoil
elle
étaitJeune
tille,J'eh
Ilbuà la folstutde
ftIlltIersZI.
Le
poètecontinue
à
utiliser l'intimité
supposée
de
la
boucle de cheveux avec la
reine
pour
exptimerBOIl lIdmiratiOll
envers
la
souveraine: "Moi
du moins,
depuis
le tempsoù
tul'AràII,
PfJ"'J'9INN
c:itl5cIIIII
AHjp"yofEavPtp.104.l'EDe
leAIlIl'UICcie
tnlÏI ...&c:...obIcrwbJcs
cIIIII
n.émÎ"Ilbèrc boréal
CDIIcleBcMMcr
etleliaa.»Cetn1Je,
Ppf • 1r:IIe6lIb1i et1nIdait
parGcoIges Lafaye, Les Belles LetIres, Paris,•
•
21
n'étais qu'une petite fille, je connaissais bien
tagrande âme" (poème 66). Callimaque ne
manque pas de louer le geste de la princesse qui, malgré son jeune âge, avait trouvé assez
de courage et de détermination pour faire assassiner l'intrus que sa mère voulait lui faire
épouser. Il fait parler la chevelure en ces tennes: "As-tu oublié la belle action qui fit de toi
l'épouse
dusouverain, cet el'.:ploit que même un plus
fortn'eût point oséT' (poème 66).
Ce
thème el'.."ploité par Callimaque sommeillera pendant quelque temps, puis
inopinément réveillé par les poètes,
ilassurera la survie du
p~énomBérénice
dansla
poésie contemporaine. Après le succès de Bérénice Première en amour, l'apothéose de
l'amour unique éclate. Bérénice
ilse transforme en parangon de courage et de fidélité.
Mais plus encore, elle devient le maillon indispensable de la chaîne mythique: elle assure
la gloire du nom de la première souveraine ptolémaïque pour la postérité
etle propage
dans
les sphères poétiques et stellaires.
Le
destin
de Bérénice
m,
pourtant riche d'événements historiques, n'a pas inspiré
d'oeuvre littéraire jusqu'à présent
etce n'est que récemment que l'histoire de Bérénice IV
a
servi
de modèle à une héroïne de théâtre.
Bérénice IV
La
dernière reine ptolémaIque connue
portantle prénom de Bérénice
etqui eut
quelque influence sur la
littérature
française
est
désignée
parle
chiffre
IV. Elle ne fut
pas•
•
22
aussi célèbre que sa soeur Cléopâtre, mais son destin
futtraversé
decomplots politiques et
demeurtres. A
cette période del'histoire égyptienne (nous sommes vers 60 av. J. C.), la
légitimité
de lasuccession royale n'était plus tellement certaine. Les alliances ayant
étéplus ou moins brouillées, plusieurs princes pouvaient prétendre
àla couronne au même
titreque Ptolémée XII Phi1opator,
ditAulète, le joueur
deflûte,
dontla naisS''Dœ
douteusene lui conf'erait pas un droit certain au trône d'Egypte. De plus, Alexandre
il,le monarque
précédent,avait vendu le royaume
àRome
afin deracheter certaines dettes. Ptolémée
Aulète était un monarque faible. Effrayé
del'hostilité
deson peuple,
ils'enfuit chercher
l'appui
deRome. Pendant ce
temps.le peuple égyptien réclamant un monarque, établit, en
57, Bérénice,
lafille
aînéed'Aulète, sur le trône. Les qualités d'iDlégrité et
de
courage
de
cette jeune femme la désignaient davantage que son
père
pour gouverner. Les Egyptiens,
soucieux d'établir fermement leur nouvelle reine, lui cherchèrent un mari. Après avoir
choisi, en accord avec le peuple, le prince Séleucos pour roi d'Egypte, Bérénice regretta
rapidement son choix, les manières grossières et le peu de moralité de son époux l'ayant
vite dégotitée.
Le
peuple soutint sa
reine,et Bérénice
fitbientôt assassiner son mari. Elle
chercha
ensuite alliance avec Archelaus
de
Cappadoce,
roi
de
Comana, avec lequel elle se
remaria en 56 av. J.C. Aulète, son père, ayant,
pendant
ce
temps,introduit
des espions
dans
l'armée
égyptienne, manigança le
meurtred'Archelaus.
n
s'empara du trône d'Egypte
et
fitpérir sa fille pour la punir d'avoir
usurpé
sa place. Tout
ceci était
contJaire aux
désirs
•
•
23 dupeuple égyptien qui redoutait le retourdutyranqu'était Aulète et soutenait la politique de Bérénice et d'Archelaus. Les historiens rapportent que ces deux souverains conservèrent l'estime du peuple, mais on ne retrouve malheureusement aucune trace dans la littérature antique d'éloges les glorifiant
Les trois figures ptolémaïques décrites ci-dessus se situent chronologiquement à
l'époque de la genèse du mythe de Bérénice. Leur influence a été remarquable: la première Bérénice est proclamée divinité par ses contemporains, la seconde grave une légende dans 11ùstoire de l'humanité. Quantà Bérénice IV, son entrée dans la littérature semble récente et, de toute évidence, est née de l'intérêt suscité par les reines égyptiennes précédentes et par l'héroïne judaïque. Cette dernière Bérénice est à la fois résultante et sourcedumythe21•
21L'étudchistoriquedesBéréniceptolémaïquesestIcslleintc auxfiguresquiontlaissé deslracea
dans lalittératurefrançaise. Ledestin deBérénicepmnièrcne semble pas avoir d'influencedircdc
sur
les écrits françaisjusqu'à présent, maisililIusttcparfaitcmcnt lathèse diteévhéméristc, dontil sera question plus loin: lepersonnagehistorique devientdivinité, donc modèleàSuMc.
•
•
CHAPITREI
LA BERENICE JUDAlQUE DANS LA LIDERATURE
Après
queiques siècles d'oubli, l'histoire
deBérénice
connaitune réapparition
massive dans la
littératureoccidentale. De 1642
à1660, six oeuvres françaises - que nous
allons
présenterdans
cetteétude -meltJont en scène une Bérénice. Toutes,
àl'exception
dedeux,
ressuscitent
la reine juive contemporaine
deTitus.
C'estsurtout le drame passionnel
deBérénice et
deTitus
quiséduit les amateurs
depathétique que
sontles écrivains
pré-classiques. A ces
auteursobscurs
revientcependant le
mérite
d'avoir inspiré nos
grands
dramaturges classiques.
Puis,
aprèsun sommei1
depresque
deux
siècles, les amours
béréniciemes métamorphosées en idylles modernes se remeltJont
àvivre à l'époque
contemporaine.•
•
25
OEUVRES PRECLASSIOUES
-G. etMode Scudéry: Lettres tk Bérénice
à
Titus (1642)Bbénk.,,'mctJuplJbl.
que d'una.àd,,,,,,,,,.,Jl.
Larésurrection littéraire de Bérénice s'amorce sans bruit C'est perdus au milieu de la multitude de nombreux autres personnages illustresque pour la première fois, en1642, Bérénice et Titus sont célébrés. Nous devons à Georges ou à Madeleine de Scudéry d'avoir sorti la Reine de Judée de l'ombre23•Les Scudéry consacrentunchapitre - court, il est vrai - de leur ouvrage Les femmes illustres à notre héroïne, mais ce passage intitulé "Lettres de BéréniceàTitus" est tout entier centré sur la douleur de Bérénice obligée de se
séparer
de Titus. Outre le côté incontestablement pathétique qui ne manque pas de séduire, l'aspect historique captive l'intérêtetintrigue. Quelles sont les entorses historiques que Scudéry s'estpermisesdans
ces"Lettres" d'adieuxdeBérénice àl'empereurromain?220. ou M de Scudtty, Les femmes i!1ustrcs, "Lctlrcs de Bérénice à Titus", Lyon, F. Comba, 1667,p. 160.
-oaœ
lesromaDSque signe GeorgesdeScudtty,ilestmalaisé dedis1ingucrexactement ce qui mIicnt à l'1D1 ou à l'autre" nous dit A. Nidcrst, Madeleine de Scudéry, PeDisson ct IClU' monde, Paris, P.U.F. 1976,(p. 129).•
•
26 Panni les infidélités à l'histoire, Scudéry imagine, pour accentuer la tension dramatique, Vespasien encore en vie quand Bérénice est renvoyée de Rome. Ce serait lui qui aurait ordonné son départ afin de contenter Rome et le Sénat. Une autre modification de Scudéry - probablement cette fois-ci due à la bienséance (étant donné les relations incestueuses de Bérénice et de
son
frère) -est la mort prématurée d'Agrippa, avant l'arrivée de sa soeur à Rome. Enfin, l'auteur imagine une remplaçante à Bérénice dans le personnage d'Aricidie.Che;: Scudéry. l'intrigante reine du royaume de Judée a disparu, et fait placeà une femme passionnément éprise de Titus.
En
premier lieu cependant, Bérénice rappelle à l'empereur que la hauteur de sa naissance la rend digne de lui: 'je suis petite fille de Mariamne, je conte entre mes Ayeulx, tous les anciens Roys de Judée, et je porte moy-mesme une Couronne" (p. 154). Puis elle déplore les circonstances qui font de Titus etd'elle-même les \ictimes du peuple romain:
Les Romains veulent, que vous soyez leur captif et non pas le mien: Ils veulent (dls-je) disposer de votre amour, et de votre haine commeIlleur plalst; et vous dJolsir une Femme selon leur fantaisie (p. 155).
Ensuite, elle
assure
Titus dudésintéressement
deson
amour:laIIIIIgIIlftcence de Rome ne m'éblouit point(p.156).
je voudrols qu'estaRsnaissans Couronne. sans Royaume, et _ Empire, nous puissionsvivre
•
•
27
Bérénice se retire, c'est certain, mais, en véritable amoureuse, elle montre des signes de jalousieetne laisse pas volontiers la place à Aricidie:
Prenez donc quand il vous plaira une personne avec qui vous partagiez la souveraine puissance que vous aurés un jour. sans craindre que je vous en veuille mal; mais de grâce, ne partagés jamais le coeur, où vous m'avé5 fait regner (p. 156).
Vous donnerez une Femme à l'illustre Titus.. pour contenter le
caprice du Peuple: mals vous ne donnerés point de Rivale à Derenlce (p.l57).
L'amante éplorée sc résigne pourtantau renvoi:
Jepartsla plus mal-heureuse personne qui fût jamais (p. 164).
Puis elle assure Titus d'un amour éternel:
Je voudrais pouvoir partir sans vous amlger; emporter dans mon coeur, vostre douleur avec la mienne: et dans un sentiment si tendre. je vous pleins davantage, que je ne me pleins moy-mesme. Au reste s'ilest possible, que je puisse vivre sans vous; je suis bien certaine, d'apprendre souvent de vos nouvelles., quand même vous ne m'en donnerez pas. La renommée me dira les belles choses que vous ferez (p.162).
Je pensetoutefois, que je ne seray pas long-temps en peine, de prendre part aus choses qui vous arriveront: car la douleur que Je sensest si forte, que Je ne cray pas qu'elle puisse estre bien
•
•
28 Enfm Scudéry imagine poétiquement de placer Bérénice à l'origine des qualificatifs élogieux donnés à Titus par le peuple romain et repris par les historiens à la suite de Suétone. Elle termine en effet
ses
"Lettres" ainsi:puissiez-vous faire tant de belles cboses 1...) que 1...) vous puissiez un jour estre appellé 1'"Amour, et les delices du genre bumain" (p.167).
Scudéry ne se contente pas de faire revivre les amours de Bérénice et de Titus, il assure qu'aprés le départ de la Reine juive, Titus ne connut aucune autre passion et que c'est là que réside finalement le
vrai
triomphe de Bérénice.Que de\ient le personnage historique judaïque avec la parution des "Lettres de Bérénice à Titus", selon l'opiniondes critiques? Herman Bell,
dans
la Préface de Tite. fait remarquer que Scudéry est le premier écrivain à attribuer à la mm'"tresse de l'empereur, froidement traitée par les historiens, le prestige desentiments
nobles et affectueux envers Titus, et introduit ainsi le portrait dUne femme généreuse et courageuseprèleà se sacrifier pour l'homme qu'elle aime. Simone Akermandans
Le mvthe de Bérénice abondedans
ce sens puisqu'elley voit "une dernière tentative"de lapart deBérénice de"laisser un beau souvenir", "une Bérénice... qui aime et qui pardonne pour l'éternité" (p. 58). C'est donc d'un aspect profondémentsentimental
que le personnagemythique commence à se parer avec l'oeuvredeScudély.•
29 P. du Rver:Bérénü:e~(1644)Deux ans après la parution de l'oeuvre de Scudéry, l'auteur dramatique Pierre Du Ryer intitule une tragi-comédie en prose Bérénice. Cinq personnages principaux s'y donnent la réplique. Le suspense est
intense
jusqu'à la fin, puisque nous n'apprenons le dénouement de l'action qu'à la dernière scène. L'intrigue est basée sur le dilemme qui sepose
au père des deux soeurs, Bé:"énice et Arnasie, à propos du fiancé que les hasards de l'amour leur ont attribué. Bérénice, Arnasie et leur père se sont réfugiés en Crète car un tyran s'est emparé de leur royaume. Bérénice aime le fils du Roi de Crète, Tarsis., et Amasie aime Tirinte qui lui rend son amour. Tarsis est amoureux de Bérénice, mais il a pour rival son père qui est bien résolu lui aussi à épouser celle-ci. Tarsis doit se soumettre aux volontés paternellesetprendre
pour femme Arnasie.Les
deux jeunes gens, Tarsiset Tirinte, sontdésemparés
etles deux soeurs désespérées. Tous se doivent d'obéir au Roi etpasser
le restedeleurs jours malheureux. Leur seul espoir résidedans
le refus qu'opposera Bérénice à son mariage avec le souverain. Mais sera-t-elle assez forte pour renoncer à la couronne qu'on lui offre? FiDalement, grâce à un retournement classique, cette histoire connait un dénouement heureux. Le père de Bérénice apprend à tous que Tarsis estfrère
d'Amasie, le mariage entre les deux jeunes gens, endépit
des souhaits du Roi de Crète,devient
donc jllq->SS1Dle. Onpense que Bérénice étant soeur d'Amasie est aussi soeur de•
•
30
Tarsis, mais le roi de Sicile avoue que Bérénice est la fille duRoi de Crète. Leur mariage devient aussi impossible. Tout s'arrange donc merveilleusement, Tarsis épousera Bérénice et Amasie Tirinte.
Du Ryer aime mettre en scène des péripéties invraisemblables où l'amour triomphe de tous les obstacles. Dans Bérénice. c'est le procédé, habituel à l'époque, de la découverte d'une parenté cachée qui pennet aux amants d'être réunis.
Les
ouvrages deDuRyer, à l'instar de ceux des auteurs de la période pré-classique, founnillent de détails i:Tationne!s et invraisemblables, mais cela ne les empêchera pas d'être abondamment pillés. On trouve bien des exemples de ces emprunts dans de nombreux chefs-d'oeu\-Te classiques. H. C. Lancasterdans l'''Avant-propos'' dK
'A1cionée" rapporte un dialogue tout
àfait pertinent, écrit par Destouches, qui rend justice aux écrivains pré-classiques:
MELAMPLE
On nous ramène donc aux Tragi-Comédies;
Au temps des Scudél')'S, des Rotrous, des Duryers, Où grace au mauvais goilt de ces vieux Romanders,
Tant de fadaises applaudies
Firent l'amusement de nos bons Devanders?
DORIMONT
Respectez, Ingrat que vous êtes, Lagloire de ces lieux Poètes, Carvous les pUIez volontiers.
Ilsn'étolent ni sots, nigrossiers; S'Ils vivolent, Ils vous ferolenttaire:
•
•
31 Etle seul reproche à leur faire,
C'est d'être venus lespremiers~.
Les auteurs s'empruntent des thèmes, copient certains passages de leurs prédécesseurs et s'inspirent de leurs oeuvres; les sources de la Bérénice deDuRyer sont toutefois difficiles à retracer. Lancaster dans A historv of French Dramatic Literature in the Seventeenth Cennm,26 y voit une adaptation de l'épisode qui met Abraham face au Pharaon dans la Genèse ainsi que, peut-être, un emprunt à un
roman
de l'antiquité grecque. Clitophon et Leucippe. Un critique du XIXe siècle, Etienne Gros, s'est appliqué à identifier plusieurs échos des paroles de la Bérénice de Scudéry dans les déclarations de celle de Du Ryer: "Quand l'amour est véritable on lepréfere
à la Couronne"(p. 40), déclare Ibéroïne deDuRyer. Celle de Scudéry écrivait, on s'en souvient,dansses "Lettres" à Titus: "je voudrois qu'estans nais
sans
Couronne,sans
Royaume, etsans
Empire, nous puissions vi\Te ensemble en quelque lieu"(p. 160). Du Ryerose
avancer que, parfois, ledésir
derégner prévaut sur l'amour."Onseconsole bien-tostde laperted'un amantpar l'acquisition d'une Couronne"(p.40) déclare Amasie. Le même auteur met encore sur les lèvres de Tarsis les paroles suivantes: "votre coeur est mon empire, votre coeur est ma Couronne" (p. SS).Scudéry avait fait écrireàBérénice: "vous préfereriez la possessionde Béréniceàl'Empire
zsa
C. Lancaster, "Notes" pour l'édition <:riliquc d'A1cionéc. Paris, Les Presses UniwrsitairesdeFrance, 1930.~ C. T.... Isltl, AIffStory of French Dramalic
Litterature
in the SMtlteenth Ccn!Ury,•
•
32 de tout le Monde"(p. IS2).
Enfin
Du Ryer eut de toute évidence ridée du prénom de son héroïne grâce à l'oeuvre de Scudéry.Endéfinitive l'archétype bérénicien gagne fort peu avec la parution de cette oeu"Te, car le caractère de la Bérénice de Du Ryeresttrop éloigné de tout personnage historique pour établir ne serait-ce que quelques concordances, mais l'influence de l'Antiquité et surtout celledel'oeuvre de Scudéry n'ontsansdoute paséténullesdansla création de cette tragi-comédie. Si toutefois le doute estpossible ici,ilnel'estplus guère quand on en vient à l'ouvrage qui suit.
LeVert: Aricidie
ou
Le mariage de Tite (1646)Dansla tragi-comédie de Le Vert, .o\ricidie ou Le mariage de Tite, le personnage de Bérénice ne fait qu'une brève apparition, mais sa prësence contribue à l'édification du mythe. L'intrigue
se
situe après le renvoi deBéréniceettourne autour du mariage de Tite avec Aricidie. L'empereur Vespasien estencore
là, commechez
Scudéry, et s'oppose au mariage de son fils avec la femme qu'il aime.D
veutlui
voirépouser
uneprincesse
parthe,Zaratte. Par
unsubterfuge.
Tite parvient tout de mêmeàépouser
Ariadie qu'on faitpasseraux yeux
deVespasien
pour Zaratte.
Le futur empereurDomitien,
frère de Tite, est aussi•
•
33
présent dans l'histoire et finit par épouser la princesse parthe que l'Empereur destinait à
Tite.
Nous pouvons constater une certaine fidélité à l1ùstoire puisque Bérénice, Tite. Vespasien et Domitien sont des personnages réels~ les événements par contre ont été quelque peu modifiés: le renvoi de Bérénice précède la mort de Vespasicn et Domitien épouse la femme que l'on destine à son frère. Nous reconnaissons avec la présence de
Vespasien l'agencementdes événements imaginé par Scudéry. Le Vert s'empare aussi du personnage d'Aricidie créé dans les "Lettresde Bérénice
à
Titus" ettransforme l'ébauche d'un mariage pourraison d'Etat en une véritable histoire d'amour. Selon les termes deMireaux.
"Béréniceestabsentedela pièce, mais son souveniryestrappelé. Voici en quelstermes Vespasien en parle au père d'Aricidie:
Bérénice autrefois précécla vostre mie;
TIteenestaitcbamaé,Rome _ _approuvolt Ledessein del'Hymenquel'UB et l'autreavolt, Malsdesraisonsd'EstaléIoigDaDtcetteReyne
Dusuperbesommetde la graDdeur Romaine. EUe quitta la"riIIeawc autaIItd'boaneur
QuesiTIte
Jamais
D'eustpossédéson c:oeur"(RB, p.198}-Lapiècede LeVert concourtà meltie en place lepersormagemythique, mais si les aitiquessontunanimes
à
reconnaiIrel'apport effectif de cet écrivain, ils ne sont pastrés élogieuxà
son égard. MireauxWiliiltenfeau sujetdesquelques passagesoùilest question deBérénice:"Peut~ces quelques vers médiocreset quelqueslignesdeprosedel'obscur•
•
34
Le Vert décidèrent-ils de la carrière posthume de Bérénice?" (RB, p. 199). Dans son ouvrage Le mythe de Bérénice, SÙDone Akerman nous apprend que l'oeuvre de Le Vert est dédiée à MlledeManicamp,descendanted'Albertde Longueville qui conquit le Liban sous Philippe Auguste. La récipiendaire d'une telle dédicace avait certainement dû s'intéresser à l'histoire duLibanetparla même circonstanceconnaîtrele passé touchantde la reinedeChalcis (ville qui est, rappelons-le, libanaise). Lancaster pense que la pièce de Du Ryer aurait inspiré
à
Le Vert le sujet de son oeuvre. Simone Akerman voit dans les quelques passages oùLe Vert parlede Bérénice un tremplin dont Segrais, à son tour, seserait
servi
pour lancer son roman Bérénice.J.llel!l!lud de
segrals:Bbétùœ <1648-1649)Wessie M. Tipping nous indique que le premier volume du roman de Segrais "se termine
par
les mots saaamentels: Achevé d'imprimer pour la première fois le 8 février1648".
"Ledeuxième
volume", dit-elle. "parut quelques joursaprès, le troisièmeétait
de
1649,et
l'achevé d'imprimer du quatrième estdu
15 octobre 1649,027. Comme nouspouvons
en conclure par le nombrede
volumes que le roman comporte, l'ouvragede
Scgrais est extremetnent long, maisainsi
que le fait remarquer Soreldans
De laoonnajssallCedes
bons
livres:
•
•
35
Entre plusieurs tomes d'un roman, on en voit quelques-uns de trèsgros qui ne conüennent pastrois feuilles où il soit parlé du héros principal. La Bérénice est un peu de cette calégorle-Ià:J.
Pour isoler l'histoire du personnage de Bérénice dans cette oeu"Te où l'enchevêtrement d'aventures héroïques et romanesques mêle tableaux vertueux et satiriques, nous nous cantOlUterons aurécitschématique qu'enfaitle critique Brédif:
Bérénice aime halez, Je bel inconnu du roman, et l'empereur la ramène de Syrie à Rome. presque à titre de captive et non d'amante.De lagalère oùIlestmonté,TItusaperçoil.•.29
On peut noter que Segraïs met en scène les deux figures lùstoriques, Bérénice et Titus. mais leurs aventures se perdent au milieu des multiples péripéties qui surviennent aux autrespersomages. PanIÙ les fidélités à l'histoire, on relève la présence de Domitien qui veut faire empoisonner son frère, car l'auteur a imaginé de rendre Domitien amoureux de Bérénice alors que celle-ci naturellement le repousse. Bérénice, après quelques escales à
Chypre.
arriveà
Rome. Mais voyons comment Tipping relate lafindu
roman: Izatez en défendant sa belle contre 40 ou 50 hommes, fait desprouesses lnouTes, et tombe fIIIlIIement en disant ces paroles,
que Béréllice prend pour ses demlères: "Recewz, & Ingrate
BéréDIce, ce dernier service du malheureus lzatez". Bérénice s'éVanouit. Et Segrais les lais:Je là. Aucune des histoires n'est terminée, car la coutume voulait que les différents
ms
qUIZIgord,Delaçnrm!Ï""'ÇÇdesboJp
!Mes.
citédaIIISemis.sa
vicctses
OC!M'CS, de M.BRdif;Paris, AugusteDaraIld,1863,p.161.
•
•
36
fonnaient le tissu du roman ne fussent réunis qu'au dernier volume, et celui-ci n'a pas été
écrit'°.
Mireaux, comme Akennan, pense que l'oeuvre deLeVert a suggéré à Segr:ais le thème de son roman et qu'à son tour la Bérénice de Segrais servit d'inspiration à l'auteur que nous verrons ensuite, Magnon. Il rend hommageà Segrais d'avoir fait de son personnage "une héroïne à l'âme aimante, qui ne s'intéresse guère, en vraie précieuse, qu'aux problèmes de coeur" (RB, p. 199). Akennan reconnat'"t elle aussi de nombreux mérites à Segrais. Elle commente:
Segrais aura été maltraitéparla postérité injustement, [...] Nous estimons le roman (réussi ou non littérairement) de Segrals!rés Important pour le mythe de Bérénice, [...]
Le mythe exige du mystère. Il faut que le commencement ou la fin en soit enveloppé de brumes. Chez Segrals, c'est la fin qui l'est".
Chaque critiquerecomw""t une valeur aux oeuvres étudiées en fonction des éléments qu'il cherche
à
en extraire. Mireauxgardeuneimpartialité
d'lùstorien, Akennan tendà
vouloirapposer
une image et une définition au mythe de Bérénice.Quant
à nous, c'est surtout le personnage de Bérénicedans
sonintégritéhistorique et trans-historique qui nous intéresse.:»W.
TIJIPÙI&JeanR...311ddeSemis. p3G-3L'IS. Ai_m, Le mythe de Bérénice, Paris, A.-G. N'1ZCt, 1978, p. 63. DésomIais, les renvoisàcc!Mcscnmt
indiqués
par rabbmialïonMYthe
de B.•
•
,"7
- ' Sur ce plan, bien que les écrivains du XVIIe siècle se cantorment apparemmentdans
l'adaptationdupersormage judaïque, l'influence de traditions plus anciennes n'est pas absente. Nous voudrions simplement faire remarquer que Segrais a été traducteur de textes anciens et qu'il était un admirateur de Théocrite dont les poèmes, ainsi que nous l'avonsvu,
avaient célébré certainesdes
Bérénice égyptiennes.Aprèsl'oeuwe de Segrais, une autre Bérénice fait son apparition, en 1658: Thomas Corneille en est l'auteur. Cet écrivain avait obtenu un succès littéraire sansprécédent lors de la présentation de sa tragédie héroico-galante, Timocrate, en 1656-1657.
Encouragé.
ledramaturge
présentel'année suivante Bérénice. Cette oeuvre fut toutefois loind'atteindre
à la fortune de lapremière.
Plusieurs raisonsfurent
avancées pour expliquer la demi-réussite de ce drame, mais avantd'aborder
la critique, nous examinerons la composition de l'ouvrage, ettenterons deretracer
les écrits qui luiont
servi de sources pour finalement déduire cedont
le mythe bérénicien 5'estenrichi
avecla
parution de cette pièce dethéitre.Bélénice avait été normnée tragédie par son auteur, mais bien qu'on
assiste
au cours dela
dernière
scèœàla
mort de l'undes protagonistes,
le déroulement de l'intrigue~. Comci1lc,Ptvirnq
"mnPlin'"
deJluzmp Qypp"k
TomeSe<:ond,NOIIIIdlcEdition, Paris, Cavelier, 1748••
•
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la ferait plutôt classer
panniles tragi-comédies. Philoxène que l'on croit être le fils du roi
de Lydie aime Bérénice, fille d'Araxe.
Lesdeux jeunes gens se trouvent
àla cour
deLéarque, roi de Phrygie. Léarque désire que Bérénice épouse
Anaxaris,
son favori,
tandisqu'il s'attache Philoxène en lui donnant sa soeur, Philoclée, comme épouse.
Onapprend
toutefois que Philoxène n'est pas le
vraifils
duroi
deLydie,
maiscelui
deCléophis, son
gouverneur.
Letrône reviendra donc
àAlcidamas, qui, lui, est le véritable fils.
Cettenouvelle
apporteun peu d'espoir aux deux jeunes gens puisque Philoxène n'étant plus fils
de roi devient l'égal
deBérénice. Mais Araxe consentira-t-il
à donner sa fille à ce jeune
honune devenu simple sujet? C'est alors que l'on découvre que Bérénice n'est pas la fille
d'Araxe,
maiscelle
deLéarque, roi
dePhrygie. Anaxaris, voyant la couronne
passerde
la
têtede
Philoclée
àcelle
deBérénice, oscille
entreles deux jeunes femmes,
courtisantcelle
qui lui
apporterale plus
de
pouvoir. Finalement,
désespérant
d'obtenir l'amour
de
Bérénice,
il
l'enlève. Philoxène se
porteà son secours.
Anaxaris
est tué.
Onapprend que
Philoxène n'est pas le fils
de
son gouvemeur comme on le supposait, mais
Alys,reconnu
Cf411l!""
véritable roi
de
Phrygie. Bérénice
épowlePhiloxène et Philoclée est donnée en
mariage
à Alcidamas
Comme
nous pouvons
le
oomtatc:r, la
pièceest un imbroglio
romanesque
où les
retournements
de
situations
abondent
afinque le scénario
débouchesur une conclusion
heureuse.
Certains
commentateursout déclaré que
l'intrigue
de
la
pièce
étaittropsimple
•
•
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pour plaire au public; d'autres la jugent au contraire trop compliquée. En fait, cette l'histoire, aux rebondissements trop artificiels, ne parvient pas à captiver l'attention. Et lorsque l'action devient plus animée, l'intérêt se relâche encore plus puisque le dénouement se laisse aisément deviner. Deplus, les héros nesontqu'esquissés, car l'auteur ne pénètre pas vraiment dans la psychologie des personnages, l'accent étant mis sur leur devoir. Bérénice devient un personnage vertueux qui accepte avec une obéissance passive les reversdefortunequiseprésententL'amour qu'elle voue à Philoxèneestrégi avant tout
par
les ordresdu
roi. Elle déclare à sonamant:
Je l'avouerai. Seigneur, J'ai cru pouvoir sans crime Payer d'un reu tout pur une ardeur légitime; Mais puisqu'II est contraireà
ce
que Jevous
dols, D'une dure contrainteIlraut suivre les lolx (I.4).Ason tour, Philoxène rend sa
liberté
à Béréniceafin qu'elle puisse bénéficierdel'avantage d'une couronne:Votre roi parArueà
mes voeux
engagéeCombat pour mol
sans
doute etvous tient
partagée;Maiscomme unsort
nouveau
veutun coeur dlnërent,Mon
amourla~ monrespect vous
larend (IV,3).
Le
comportementdes deux
héros
suit
uncode
d'honneur
qui applique, sans aucun doute, les règlesdes
Précieuses. Philoxène se doit d'observer ces conventions et Bérénice luirappelle que
la
foid'un
amantne peut êtrereprise
impunémeDl:
SIpouryreDODCeI'ta
ron:e
estassezgnndeAtteDds dumoins,cruel,que Je teledemande Ette voyut du
ciellDJustement
trahi•
•
40
Mérite d'être plaint,etnon d'être hai (IV, 3).
En toute circonstance, le devoir doit l'emporter sur la passion et l'amour a ses droits qui enchaînent les deux amants dans le bonheur ou lemalheur:
Ose m'aimer encore pourvivremalheureux, Cette double disgrâceà quitaraisoncède,
Ne trouve danslamort qu'un indigne remède. N'en c:herche pointlahonte,etloin de recourir, Tâcheà me disputerlagloire de soulllir (IV, 3).
Ainsi donc, l'ambition de Thomas Corneille, dans
cette
oeuvre,était
d'observer les principes que son aîné, Pierre, avait appliqués dans Le Cid et qui lui avaient assuré le succès.L'auteur de Bérénice nefaitaucun mystèredessources qui lui ont suggéré l'idée de sa pièce.
n
écritdans
la préface de son ouvragedédiéà
laComtessede Noailles:Dértnlce
ne
c:roIt plusavoir
rien à c:nIDdre de la censure du public:l...)
reprdez-là commelacopie d'un elc:ellent original; Je ne l'ai peut-itre pas tellement dtguisêe, que vous n'yreconnoisslez encore quelque lmIge des 8\'IIltiges des Sésostris
et
nmarette
traitéesavec:tantd'ut dans
le~Leaitique Gustave Reynier réduit auminimumla créativité de l'auteur.
n
déclare:La tnpdle de
It*!œ
1...)
Deluic:oOu
rien à 1ImDter: Ulatrou\'a
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mpcl Cyrgset n'eut que lapeine de ladtc:ouper en sœnesetdelablettie enwrs
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