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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Introduction des XVIIes Journées Que savons-nous des savoirs scientifiques et techniques ?

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Texte intégral

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INTRODUCTION

AUX XVIIes JOURNÉES

QUE SAVONS-NOUS DES SAVOIRS

SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES?

André GIORDAN L.D.E.S. - Université de Genève

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Depuis seize années, nous militons en ce lieu à Chamonix pour améliorer la communication, développer une éducation de qualité et mettre en place une culture scientifique et technique. Cette année est plutôt différente. Le projet pour ces XVIIes Journées est de faire une pause... Non! Pas une pause pour cause d'inventaire ou de bilan, nous l'effectuons continuellement. Il s'agit de prendre du recul par rapport à nos actions quotidiennes pour les reformuler, et par là enrichir notre militantisme du savoir!

Nous souhaitons plus que jamais partager les savoirs scientifiques et techniques. Ils nous apparaissent très formateurs, en général pertinents pour nous adapter aux changements imprévisibles de la société, éventuellement pour les rendre moins aléatoires. Mais que savons-nous sur ces savoirs? Quels sont leurs structures, leurs organisations et leurs fonctionnements? Comment sont-ils élaborés? Comment opèrent-sont-ils dans la communauté des chercheurs? Est-ce identique en ce qui concerne les ingénieurs et les techniciens? Comment sont-ils transformés pour devenir objet de diffusion ou d'appropriation? Comment interfèrent-ils avec d'autres formes de pensée? Quelles sont leurs adéquations avec les autres manifestations de l'esprit humain, et notamment la création ou l'émotion?, etc.

D'entrée, je crains déjà une conclusion: "Nous n'en savons pas grand chose l" Certes, cette crainte ne nous empêchera pas d'en parler, et même d'en dissener pour certains! En tout cas, raison de plus pour nous coltiner cette tâche ingrate du "réfléchir sûr", devenue aujourd'hui indispensable. D'autant plus qu'elle est fon peu prise en compte dans les processus d'éducation de médiation ou de formation,ycomprisàun haut niveau.

Pounant, ce que nous appelons le savoir sur le savoir apparaît de plus en plus prioritaire. Sans doute vaudrait-il mieux direlessavoirs surles savoirs tant ils sont multiples, divers et complexes. Les savoirs sur les savoirs devraient être une composante essentielle de la formation des enseignants. Une place tout aussi prépondérante devrait leur être faite dans la formation des chercheurs.À l'autre bout, la qualité de l'apprendre d'un élève ou du grand public en dépend. Nos travaux autour du modèle allostérique (Giordan, 1989) conduisent même à considérer les savoirs sur les savoirs comme un facteur limitant en matière de compréhension et d'apprentissage. Nombre d'obstacles à l'appropriation, et cela quelque soit le niveau, n'ont pas directement leur source dans le savoir lui-même, ils se rencontrent dans l'image ou dans le processus de fabrication du savoir que mobilise l'apprenant... Des obstacles identiques sont perceptibles dans l'histoire des idées.

1. S'INTERROGER SUR LES SAVOIRS SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

Dès lors comment s'interroger sur les savoirs scientifiques et techniques? N'est-ce pas d'abord mettre ces savoirs sous le regard d'autres disciplines. Les scientifiques et les ingénieurs ont souvent réfuté cette démarche. Accepter le regard des autres n'est jamais aisé, surtout quand il s'agit de sciences considérées comme "molles". Aujourd'hui encore, un tout petit nombre de chercheurs s'en préoccupent, tant la communauté reste obnubilée par la productionà coun terme. Pourtant nombre de

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ratés récents, le décalage de plus en plus grand entre les préoccupations scientifiques et celles de la société civile ne trouvent-ils pas leur source dans ce manque de "réflexion sur" ?

La sociologie, par exemple, peut faciliter l'appréhension des pratiques quotidiennes de laboratoire, notamment de celles qui se déroulent en amont de l'élaboration. En externe, elle met à plat les relations étroites entre sciences, techniques et société ou entre sciences et industrie ou armée; en interne, elle envisage les liens hiérarchiques ou implicites de la communauté et les stratégies de communication. L'histoire fournit outils et démarches pour comprendre le développement des diffusions ou encore la place des idéologies dans l'élaboration des savoirs. L'épistémologie clarifie les mécanismes (les relations faits-théories, l'importance des modèles par exemple), elle foumt de la matière pour penser les questionnements, les raisonnements et les paradigmes qui les soustendent. L'éthique met en' perspective ces savoirs. Elle montrent les liens parfois ambigus ou encore les conflits avec les valeurs d'une époque...

Je ne proclamerai pas ici la liste des disciplines qui ont droit de cité, c'est-à-dire celles qui peuvent éclairer nos approches et nos démarches, tant elles sont nombreuses. Par exemple, l'aide de l'ethnologie peut encore être nécessaire; elle permet de disséquer ces étranges tribus de chercheurs et de médiateurs de tout poils. On connaît beaucoup moins les tribus des physiciens du nucléaire ou des biochimistes des protéines que celles de Bornéo ou d'Amazonie! Elle ajuste leurs coutumes, décrit leurs rituels et leurs fantasmes. Les sciences et les techniques tout comme les autres activités humaines n'y échappent pas. Bien au contraire, trop d'implicites se sont installées au cours de ces deux derniers siècles. Sans que la communauté, du moins ceux qui en ont une sorte de "charge", en aient conscience, ils créent des blocages tant au niveau de sa production qu'à celui de sa propagation. Plus de transparence fournirait tout à la fois approche critique et ressourcement pour avancer...

SCIENCES

TECHNIQUE

savoirs

diffusion - appropriation

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Cependant, au delà de ces divers apports disciplinaires, il nous faut envisager actuel1ement les interfaces entre ces derniers. Les analyses, même les plus pertinentes, deviennent rapidement frustrantes dans l'approche des métaquestions. En premier,ilnous faut croiser les approches, mettre en évidence les liens, les interactions et les rétroactions. Le savoir organise le monde en s'organisant lui-même. Nos formations, nos centres d'intérêts, nos cheminements intimes influencent forcément nos analyses et nos élaborations. Nos habitudes, nos modes, nos évidences perdurent dans nos façons de réfléchir ou de diffuser les sciences.

Comment nous doter d'instruments pour ces auto-observations? Sans doute en continuant nos cheminements de manière interactive et en prenant garde des formes dégénérées que sont "l'auto-statufication" ou l'auto-justification. Un optimum d'introspection sera nécessaire. Il nous faut col1ectivement nous dés inhiber d'un jugement simplificateur, garant d'une pensée sans compréhension. TI nous faut inclure l'observateur dans l'observation. Les redondances, ou encore les paradoxes et les contradictions ne devront pas être évités, bien au contraire. Il s'agit pour nous de penser les sciences et les techniques dans toutes leurs dimensions. Tel est en tout cas le challenge de ces journées.

2. ILLÉTRISME ET CULTURE SCIENTIFIQUE

D'évidence, ce défi ne sera pas immédiat; l'état du domaine est encore fruste. Les sciences et les techniques ont accumulé beaucoup de retard en la matière. Les scientifiques, et encore plus profondément les ingénieurs, sont très pauvres en matière de métasavoirs et de métaréflexion. Sans doute, est-ce là un des premiers projets pour nos travaux. Il nous faut persuader nos décideurs que les sciences et les techniques frisent l'indigence dans ces domaines. Ce qui n'est pas sans conséquences sur nos compétences... ou encore sur la place de nos disciplines dans la société. Un ensemble de travaux met clairement en évidence une méconnaissance globale de l'histoire des sciences, y compris de l 'histoire de leur propre discipline chez les enseignants et les chercheurs. Il montre une inculture que nous qualifierons par euphémisme de "profonde" en matière de réflexion sur l'élaboration du savoir scientifique par des professionnels. Ce qui n'est pas non plus sans dommage sur la production et la diffusion du savoir scientifique.

Àtitre d'illustration, citons des réponses à un questionnaire réalisé avec de jeunes enseignants du secondaire et des chercheurs débutants en biologie. Il porte sur les spécialistes qui ont développé un domaine particulier. Pour ce qui concerne l'élaboration du concept de cellule, environ un quart des étudiants de biologie cite au mieux deux noms: Hooke (respectivement 22 et 20%) et Schwann (24 et 22%). Grew, Virchow, Brown, Dujardin, Turpin, Remak, Raspail, Boveri, Schleiden, Delage, Strasburger, Fleming, Van Beneden par exemple ne sont jamais cités, ni par les enseignants, ni par les chercheurs.

Des questions très générales de chronologie ou de connaissances générales des principaux travaux posent également problème. Seuls Pasteur (respectivement 66%,75%)et dans une moindre mesure Lavoisier (35%, 40%) sont situés dans leur demi-siècle. De même, Pasteur (100%) pour ses travaux

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sur les microbes ou la rage, Mendel (82%, hérédité), Darwin (30%, évolution), Spallanzani (33%, fécondation) et Lavoisier (15%, respiration) sont associés à leurs travaux. Des chercheurs aussi importants que Buffon, Bonnet, Réaumur, Lamarck, Hertwig ou plus récents comme Landsteiner, Avery, Monod, Porter, Guillemin, Dausset sont totalement méconnus.

Pour ce qui est de la démarche scientifique, la conception très largement majoritaire chez les enseignants mais également chez les chercheurs débutants est de type "empirico-idéaliste naïf'. "La science se construitàpartir de faits" ceux-ci s'imposent d'eux-mêmes par leur clarté. Les théories scientifiques sont "déduites"àpartir des faits et dans le même temps "vérifiées" par ces derniers. Le moteur reste toujours "la découverte", le plus souvent suiteà un progrès technique. Un seul fait qui vaà l'encontre d'une théorie suffit pour l'invalider. L'expérience, quant à elle, est envisagée de façon schématisée suivant un modèle mythique que nous avions qualifié d'üHERIC (Giordan, 1978) : "un fait s'enregistreàpartir de l'analyse de ce dernier, un raisonnement intègre ses différents paramètres d'où [la naissance d']une hypothèse. Dans ce cadre, l'expérimentation paraît toujours unique, même pour les chercheurs; son rôle est de "vérifier la validité" de cette dernière.

Enfin, la production du savoir scientifique semble le résultat d'apports successifs venant compléter progressivement un édifice: "On a découvert le spermatozoïde puis l'ovule, enfin on a vu la pénétration du gamète mâle dans le gamète femelle, le concept de fécondation était en place". Ainsi, les théories scientifiques se succéderaient de façon linéaire et par emboîtements. Questions, controverses et "fausses pistes" sont éludées systématiquement. Plus significative est encore l'image du scientifique. Il apparaît toujours découvrant seul (hors de tout contexte social) et par hasard avec une image emblématique, sorte de Saint laïc, bienfaiteur de l'humanité.

Sur un plan parallèle, il importe de dénoncer le peu d'équipes de recherche en la matière. De plus,les quelques philosophes des sciences reconnus avancent également des conceptions très idéalistes sur les méthodes qui opèrent actuellement dans le développement des sciences. Les idées de réfutabilité (Popper 1973), d'obstacle épistémologique (Bachelard, 1934, 1938), de changement de paradigme (Kuhn, 1970), de propagation des concepts (Stengers, 1987) restent à un premier palier de pertinence. Dès que l'on entre dans la science qui se fait quotidiennement, ils perdent toute compétence.Laréfutabilité d'une théorie peut prendre deux siècles, alors même que de multiples faits s'accumulentà son encontre. La rupture ne devient évidente que plusieurs années plus tard quand on relit le modèle ancien à travers celui qui lui a succédé. De plus, tout nouveau savoir contient des adhérences fortes issues de l'ancien, etc. Il nous faudrait creuser plus avant les liens entre discontinuité et continuité, les deux interviennent de façon contradictoire dans l'élaboration du savoir. Pendant ce temps, la plupart des historiens continuent à s'intéresser et à présenter uniquement la science des vainqueurs. Ils l'analysentà travers elle, oubliant les effets de gommage, les réseaux matériel et intellectuel sous-jacents, les services rendus (ou qu'ils peuvent rendre encore), les problèmes traités ou encore les enjeux de l'époque.

Chaque savoir n'est jamais significatif en lui-même. Il ne l'est que dans un contexte et dans une communauté qui lui donne sens. Il ne tient sa pertinence que de son efficience en matière d'action ou de prévision. De plus, celle-ci n'est pas un critère constant. On ne peut sous-estimer les questions de propagation, de négociation ou d'estime; les stratégies de mise en scène des résultats prennent une

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place considérable, Un travail provenant d'une équipe conduite par un Prix Nobel n'a pas le même poids que celui d'un laboratoire jeune, Par ailleurs, n'a-t-on pas voté à de multiples reprises pour trancher un problème ou un résultat?.. Quant à l'histoire et à l'épistémologie des savoirs techniques, elles restent à des stades purement descriptifs.

3. APPORTS DES SAVOIRS SUR LES SAVOIRS

Voilà beaucoup de jachèresà cultiver... Cela ne doit pas nous inhiber pour la suite. Sans attendre le développement de ces approches,ilfaut déjà nous interroger sur la façon de faire entrer les savoirs sur les savoirs dans nos projets éducatifs. Pour nous, ils peuvent être formateur à plusieurs niveaux, comme nous le disions plus avant. Une perspective métacognitive invite les médiateursà clarifier les démarches et les pratiques scientifiques ou techniques, elle fait prendre conscience des processus et des difficultés inhérentsà toute élaboration de savoir. Elle fournit des outils pour penser tout à la fois la réalité, les situations, les activités; elle donne plus de liberté pour formuler des savoirs pertinents pour un type de public ou pour envisager des modèles strictement à usage scolaire ou culturel. Au niveau des futurs chercheurs, l'enseignement universitaire actuel est bloquant, tant en ce qui concerne la problématique, la production d'hypothèses que du choix de la méthodologie. Dogmatique jusqu'au troisième cycle, cette instruction présente un seul niveau de savoir et une approche unique. Elle élude en permanence les démarches au profit des acquis qu'il situe rarement. Les modèles enseignés deviennent alors l'unique référence; cette façon simplifiée d'aborder un domaine de recherche enferme l'étudiant avancé.

Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de faire des séminaires d'histoire des sciences pour des jeunes chercheurs. Chaque fois, des retombées très positives ont pu être constatées sur la suite des recherches. Des perspectives anciennes ont pennis de renouveler les problématiques. Des obstacles insunnontables ont été plus aisément contournés, des hypothèses originales ont été [onnulées. Les savoirs sur les savoirs sont, au niveau de l'étudiant, de l'apprenant et du grand public, un passage obligé. L'élève peut ne pas apprendre, ceci non pas à cause des difficultés inhérentes au savoir lui-même mais, pour l'idée qu'il s'en fait. Le cas le plus caractéristique est celui des mathématiques,l'apprenant peut se trouver bloqué uniquement pour l'image qu'il s'en fait. Il peut ne rien comprendre car il n'a pas perçu qu'une hypothèse n'a pas le même signification en mathématiques et en sciences.

Trois types de savoirs sur les savoirs peuvent lui être proposés. En premier, ils peuvent constituer une réflexion attrayante sur l'image des sciences et des techniques et sur leur place dans la société. Sans doute une telle médiation doit commencer par démythifier ces disciplines: les sciences et les techniques sont également une aventure humaine. Ensuite, ils peuvent conduire à réfléchir sur la structure et le fonctionnement des savoirs. Enfin, ils peuvent être mis en relation avec une autre de leur difficulté constatée: l'apprendre. Développer les sciences dans une société est également un mécanisme d'apprentissage dont on peut en tirer des considérations "utiles",

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Pour tenniner cette introduction aux Journées, j'ajouterais encore que ce n'est pas sans quelques appréhensions que j'insiste sur l'importance des savoirs sur les savoirs dans l'éducation, la médiation et la recherche, au moment où des dérives dangereuses risquent de stériliser la didactique des sciences. S'intéresser à la "réflexion sur" ne signifie pas plonger, et se laisser submerger, dans l'épistémologie de l'épistémologie (1) dans laquelle se complaisent un nombre de plus en plus grand de didacticiens des sciences.Lamétacognition n'est pour nous qu'un outil, ou un moment, au service d'une qualité éducative ou culturelle. L'éducation, la médiation, n'est-ce pas la gestion des paradoxes? ..

BIBLIOG RAPHIE

BACHELARD G.,Le nouvel esprit scientifique, Presses Universitaires de France, 1934. BACHELARD G.,La formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1938.

GIORDAN A., An allosteric leaming model, a paper presented at Sydney meeting,Actes I.U.B.s.· C.B.E., 1988, revised at Moscow meeting,Actesru.B.S.-C.B.E., 1989.

KUHNT., The structures of scientific revolutions, University of Chicago Press, 1970. POPPER K.,La logique de la découverte scientifique, Payot, 1973.

Références

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