GRAPHISATION DES IMAGES MENTALES
SCHEMATIQUES
DANS LE TRAITEMENT
DES PROBLEMES SCIENTIFIQUES
Florence GRUET Chaire de Pédagogie et Didactique Ecole PolytechniqueFédérale de Lausanne
MOTS CLES : problèmes scientifiques, moyens graphiques, représentation
RESUME : La "graphisation" - néologisme signifiant l'utilisation de moyens graphiques pour (se) représenter une information - permet-elle de mieux résoudre des problèmes scientifiques et de mieux comprendre un texte? 160 futurs ingénieurs furent placés dans quatre groupes (graphiseur, non-graphiseur, intermédiaire, contrôle) selon leur technique de représentation de l'information (utilisation de moyens graphiqueseUoude moyens verbaux) et eurentà résoudre trois problèmes scientifiques et
à
lire un texte de sciences humaines. En conclusion, les graphiseurs se caractérisent par :- une pensée convergente et une capacité d'analyse et de synthèse supérieure
- une bonne potentialité à résoudre des problèmes nouveaux demandant une capacité de se représenter une situation et de mettre en oeuvre un style de résolution original. - une bonne compréhension d'un texte par une capacité de synthétiser son contenu
à
l'aide de mots-clés reliés par des moyens graphiques originaux.
SUMMARY : Does graphisation - a neologism, meaning the use of graphies in order to process and understarid information - enhance scientific problem solving and the comprehension of a text ? Can we differentiate the" graphisizer" - thase using graphisation - from the non-"graphisizer"? In arder to answer these questions, 160 students from the Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne were divided into four groups (graphisizer, non-graphisizer, intermediary and free) based on their A. GIORDAN, JL MARTINAND, Actes X, JES, 1988
representational and information-processing techniques (use of graphie andJor verbal means). They had to solve three scientific problems and read a text in the human sciences. The correction of their answers and the analyses of their production led to the following conclusions with regard to the graphisizer:
-they have a greater capacity to analyze and arrive at a synthesis than the other groups -they have a good potential to solve new problems which require the capacity to represent a situation and to use an original approach
-they arrive at a good comprehension of a text through their capacity to synthesize its content with the help of key-words which they connect by original graphie means. La recherche précédente de la Chaire de Pédagogie et Didactique de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, menée par Goldschmid etal(1983-1985) sur les modèles de performances(l) a fait apparaître que certains étudiants faisaient appel
à
une représentation graphique spontanée lors de la résolution de problèmes et qu'ils parvenaient dans ce cas plus fréquemment à une solution correcte. C'est dans le cadre de l'étude des processus d'apprentissage que nous avons étudié l'effet d'un retraitement de l'information sur un mode de structuration figurative graphique pour la résolution de problèmes scientifiques et la lecture d'un texte par des étudiant~ ingénieurs. Le néologisme de "graphisation" désigne ici le retraitement des images mentales sur un mode graphique.Nos hypothèses principales étaient que les sujets recourant
à
la graphisation pour résoudre un problème scientifique, devaient se démarquer des autres par la qualité de leur démarche résolutive et que, pour un texte, son retraitement graphique devait augmenter sa compréhension séquentielle et globale, offrant ainsi la possibilité d'une mise en rapport plus aisée des parties au tout.1. PROCEDURE
Nous avons soumis les sujet)
à
deux tests, ''!'Advanced Progressive Matrices" (APM 62), (Raven, 1962) qui évalue les opérations d'ordination, d'analyse et d'intégration contenues dans les processus de pensée supérieure· et la "Creativity Checklist" (Lawske et Harris, 1957), spécialement conçue pour la sélection des ingénieurs et qui permet de tester, dans le caùre d'une résolution de problèmes, l'originalité dans la variété des réponses présentées et la facilité d'émergence de nouvelles idées.Les sujets ont ensuite répondu
;1
un premier questionnaire, dont le but était de cerner le mouvement naturel de la pensée lors de la résolution de problèmes et de la compréhension d'un texte et de placer les sujets dans les groupes graphiseur, (prépondérance de l'utilisation de moyens graphiques), non-graphiseur, (prépondérance de l'utilisation de moyens textuels), intermédiaire (utilisation de moyens graphiques et/ou de moyens textuels).En outre, chaque groupe a dLI résoudre trois problèmes scientifiques de difficultés différentes et lire un texte de sciences humaines avec comme consigne de pouvoir le transmettre
à
d'autres personnes qui ne l'avaient pas lu.2. RESULTATS
Dans notre échantillon de 160 sujets, 31 (19,4 %) ont été placés dans le groupe graphiseur, 10 (6,2 %) dans le groupe non-graphiseur et 72 (45 %) dans le groupe intermédiaire. Les 47 autres sujets (29,4 %) constituaient le groupe contrôle. Les sujets de l'EPFL étaient donc plus souvent graphiseurs que non graphiseurs ce qui ne nous a pas surpris, de futurs ingénieurs ayant une attirance naturelle vers des branches telles que dessin technique, géométrie, mathématiques. La prépondérance du groupe intermédiaire incite à penser que la majorité des étudiants font appel à plusieurs types de représentation.
2.1. Tests et résultats académiques
Pour le test des matrices progressives de Raven, le groupe graphiseur obtint une moyenne significativement supérieure
à
celle des groupes intermédiaire et contrôle au seuil de5
%, mais non significativement différente du groupe non-graphiseur (dont l'effectif était très petit). Legroupe graphiseur se caractérisait donc par une pensée convergente et une capacité d'analyse et de synthèse supérieure aux groupes intermédiaire et contrôle.Ala "Creativity Checklist" par contre, les moyennes des quatre groupes n'étaient pas significativement différentes. Aucun groupe ne se caractérisait donc par une plus grande créativité mesurée par notre test. Il en était de même pour les performances académiques des différents groupes.
2.2. Problèmes
L'analyse de correspondance a été réalisée
à
partir des types de représentation utilisés, de différentes notes évaluant les étapes de la démarche résolutive (certains critères de Polya, 1949) et des tests de Raven et de créativité. Le deuxième problème proposé (dépendance de deux vecteurs) s'est révélé peu discriminant, car il a été correctement résolu par presque tous les étudiants. Pour ce problème assez élémentaire, les non-graphiseurs sont les mieux placés. Il en est de même pour le troisième problème (calcul du volume d'un cylindre tronqué par un plan) qui nécessitait la mise en rapport de diverses connaissances et algorithmes étudiésà
l'école, ainsi que de la ténacité pour arriverà
une solution.Par contre, pour le premier problème (raisonnement logique dans un cadre inconnu), pour lequel des algorithmes n'étaient pas connus et un peu incongru pour la majorité des étudiants, le groupe graphiseur fut le mieux placé et le groupe non-graphiseur le moins bien placé.
Le groupe graphiseur s'est donc révélé le meilleur pour ce premier problème en élaborant un bon plan de travail et en faisant appel à des moyens de représentation originaux. Les sujets de ce groupe n'ayant pas des résultats académiques significativement différents des autres groupes, nous nous sommes demandé, si leur
style personnel et original de résolution était évalué académiquement. Toutefois, vu leurs résultatsàce premier problème, prototype des problèmes nouveaux qu'ils auront
à
résoudre dans leur vie professionnelle, problèmes qui demandent une mise en rapport des parties et du tout, des idées, un esprit de synthèse, la capacité de représenter autrement une situation (et en particulier par des moyens graphiques), il paraît vraisemblable que ces étudiants graphiseurs pourront faire la preuve de leurs potentialités.2.3. Textes
Pour le texte, contrairement aux problèmes, les étudiants ont réalisé des "graphisations" très personnelles, dont le but était leur propre compréhension et non la communication directe
à
une autre personne. De cela, il a découlé une certaine difficultéà
analyser ces productions.L'analyse de contenu a été réaliséeàpartir des types de représent3tion utilisés des tests de Raven et de créativité et du nombre d'éléments mis en évidence dans trois types de résumés présentés par Castello (1963). (résumé signalétique = concepts essentiels, résumé indicatif= descriptif des matières traitées, phrases/mots indicatifs = opinions, attitudes ou conclusions de l'auteur).
Les graphiseurs se sont appliqués
à
synthétiser l'information sous forme de mots-clés, ce qui nécessitait un travail de compréhension du texte plus élaboré que les non-graphiseurs qui se sont souvent contentés de recopier certains passages du texte. Les graphiseurs ont obtenu de meilleurs résultats pour les résu més signalétique et phrases/mots indicatifs. Le résumé signalétique était un indicateur de la compréhension globale du texte, car il contenait les éléments essentiels de celui-ci. Le résumé phrases/mots indicatifs mettait en évidence la compréhension séquentielle du texte. Il s~mble donc que les graphiseurs, par leur effort de synthèse du texte sous forme de mots-clés, soient parvenus àune meilleure compréhension de celui-ci. Une analyse moins sophistiquée des productions graphisées sur la base du texte a permis de constater que les graphiseurs reliaient plus souvent les éléments du texte par un système de flèches non-linéaire, ce qui a donnéà
penser qu'ils faisaient davantage de liaisons entre les différentes informations apportées par le texte.Pour l'ensemble des textes graphisés, nous avons mis en évidence 6 catégories de graphisations :
-les tableaux
à
double entrée-les métaphores représentant l'information àl'aide d'un dessin que est personnelà l'individu
-les graphiques qui sont des représentations mathématiques de l'information
-les représentations de type "Buzan" (1980) qui ordonnent les différents mots-clés autour d'un concept central
-les représentations de type" araignée" qui établissent des relations asymétriques entre les différents mots-clés.
C'est le groupe graphiseur que a réalisé la plus grande variété de types de graphisations,
ce qui dénote un effort de recherche personnelle et d'originalité dans l'agencement des concepts.
3. EN CONCLUSION
Une grande différence a été constatée entre les graphisations provoquées par les problèmes scientifïques et celles provoquées par le texte
à
lire.Les étudiants de notre école ont appris certaines représentations schématiques pour résoudre certains types de problèmes. Lorsqu'ils doivent résoudre un nouveau problème, ils font appel en priorité à ces représentations et ils font ainsi l'économie d'une réflexion sur les moyens de représentation.
Mais pour l'épreuve du texte, les étudiants n'avaient pas forcément des représentations toutes faites pour mettre en évidence les idées et cOnCepl'l du texte. Il semblerait donc que la consigœ de graphiser le texte favoriserait une éventuelle créativité qui n'a pas été façonnée par des solutions enseignées.
L'intérêt de la graphisation résiderait dans la possibilité qu'elle offre à ceux qui l'utilisent, d'une part, de procéder
à
une reconnaissance claire des informations et de leurs liens et, d'autre part, à une construction et un agencement personnels de celles-ci, ce qui en pemlet vraisemblablement une meilleure assimilation.Il serait intéressant d'étudier la graphisation sur d'autres populations (adultes tout venant, enfants) et si elle se révèle être utile dans la résolution de problèmes, une méthode pour la transmettre pourrait être élaborée.
REFERENCES
BUZAN, T. "Use your head". BBC Publication Data, 1980
COSTELLO,
J.
C."Manuel du résumé en documentation". Colomb us, Ohio, 1963 DENIS, M."Les images mentales" Editions l'UF le psychologue, Paris, 1979LAW5HE,C. H. et HARRIS, D. H."Creativity Test" . Purdure Research Foundation, Lafayette, Indiana, 1957
POLYA, G. "Sclzule des Denkens". Vom LÜsen mathematischer Probleme, A. Francke, AG Verlag, Bern, 1949.
RA VEN,
J.
C. "Test des matrices progressives" . Editions scientifiques et psychotechniques, Issy-les-Moulineaux, 1963.ROBERT, F., GOLDSCHMlD,M.L., RIHS, M., ROCHAT, S. et ROZMUSKl,
"Modèle de performnnce, processus d'étude et compétence scientifique". Rapport final de la recherche FNRS No 1.668- 0.82,CPD, Ecole Polytechnique Fédérale Lausanne, 1985.
RUMELHART, D. E. "Schemata : the building blacks of cognition". In : Theoretical issues in reading comprehension. R.J. Spiro, B. C. Bertram& W. F. Brewer (Eds), 1980.
(1) Nous remercions le Fonds National Suisse de la recherche Scientifique des subsides qui nous ont permis de réaliser les recherches sur les modèles de performance et sur la graphisation des images mentales.
