• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Et la science dit: « Je suis belle, o mortels ! comme un rêve de pierre »

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Et la science dit: « Je suis belle, o mortels ! comme un rêve de pierre »"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

ET LA SCIENCE DIT :

"JE SUIS BELLE, 0 MORTELS!,

COMME UN REVE DE PIERRE..."

Spectacle conçu, mis en scène et joué par Daniel RAICHVARG Ecole Nonnale de Seine-Saint-Denis, Université Paris 7 et Paris Il L.D.E.S. Genève, avec le soutien d'E.D.E.N.

1. INDRODUCTION

Après Défi-sciences et avec ce deuxième spectacle, je continue ma tentative de théâtralisation de la pensée scientifique. Le principe en est la montée sur scène de textes qui invitent à six promenades pendant lesquelles les spectateurs seront confrontés à la science et aux imaginaires. Première promenade Deuxième promenade Troisième promenade Quatrième promenade Cinquième promenade Sixième promenade

: Temps, matière et vie, main danslamain ,coeur contre coeur, Gaston Bachelard et Vladimir Jankélévitch

: Devine qui vient penser ce soir, an-ode au savant (plus ou moins) inconnu

: Et les Femmes ? Et les Arts ? Et la Tête?.. Miroir aux alouettes... , guest-stars :

Charles Nicolle, Victor Hugo et Saint-John Perse : Esprit, es-tulà?.. Méthode, hasard et / ou imagination

avec Leibniz, Réaumur, Mehay

et Moles (Abraham), avec Monsieur Jacques (Jean) et Poincaré (Monsieur Henri), et toujours le même Nicolle : Et Paul Bert dit: "la raison éveillée aussi peut engendrer des

monstres"

: Heureusement, Prévert...

(2)

Comme on le voit, les auteurs de ces textes sont d'origine socio-professionnelles et historiques variées:

- des scientifiques plus ou moins récents qui ont émis des hypothèses sur la genèse de leurs idées (ou de celles des autres!) :Gottfried Wilhelm Leibniz, René-Antoine de Réaumur, Paul Bert, Charles Nicolle, Henri Poincaré, Jean Jacques;

- des littérateurs qui proposent d'autres angles d'attaque et essaient de conjuguer Science avec Art : Victor Hugo, Saint-John Perse et Jacques Prévert ;

- des philosophes de la connaissance, enfin, comme Abraham Moles, Gaston Bachelard et Vladimir Jankélevitch qui sont, eux-aussi, partis à la recherche des sources de l'esprit scientifique.

Quelques ouvrages que vous trouverez en fin du texte ont plus particulièrement soutenu ma réflexion pour choisir les textes et organiser la "dramaturgie" de "Et la Science dit... .. :

Tout en restant fidèle aux textes tels qu'ils ont été écrits, une telle théâtralisation s'appuie sur les trois points suivants:

- la recherche de différents personnages susceptibles de prendre en charge ces textes sur scène;

- des ruptures dans le rythme dans la succession des promenades : textes lunaires, textes gugusses, textes parlant au coeur, au corps ou au cerveau;

- les possibilités qu'offent d'autres moyens dramaturgiques : la musique, les diapositives, points ou contre-points selon le moment, diapositives de contextualisation ou de mise en regard critique, musique en phase ou en opposition de phase...

Dans cette courte présentation, nous donnons quelques exemples de ces textes tels qu'ils sont dits sur scène, c'est-à-dire compte tenu des modifications imposées pour leur oralisation ou pour la mise en scène :

2. GASTON BACHELARD, L'INTUITION DE L'INSTANT, Paris: Gonthier, 1973, p.47-48, collection Médiations. VLADIMIR JANKELEVITCH, LE JE NE SAIS QUOI ET LE PRESQUE RIEN, Paris: Seuil, 1981, tome 1, p.l47, collection Points.

Ce qui fait le caractère affectif de la durée, ce qui fait la joie ou la douleur d'être, c'est la proportion, ou la disproportion des heures de vie utilisées comme heure de pensée ou comme heure de sympathie. La matière néglige d'être, la vie néglige de vivre,lecoeur néglige d'aimer. C'est en dormant que nous perdons le Paradis. Suivons d'ailleurs la perspective de notre paresse: l'atome, l'atome rayonne et existe souvent,ilutilise un grand nombre d'instants,iln'utilise cependant pas tous les instants.Lacellule vivante est déjà plus avare de ses efforts, elle n'utilise qu'une fraction des possibilités temporelles que lui livre l'ensemble des atomes qui la constituent. Quant àla pensée, c'est par éclairs irréguliers qu'elle utilise la vie. Trois filtrages à travers lesquels trop peu d'instants viennentàla conscience! La matière néglige d'être, la vie néglige de vivre, le coeur néglige d'aimer. Alors nous sentons une sourde souffrance quand nous allons à la recherche des instants perdus. Nous nous souvenons de ces heures riches qui se marquent aux mille sons des

(3)

sos

cloches de Pâques, de ces cloches de la résurrection dont les coups ne se comptent pas parce qu'ils comptent tous, parce qu'ils ont chacun un écho dans notre âme réveillée. Et ce souvenir de joie est déjà du remords quand nous comparons à ces heures de vie totale les heures intellectuellement lentes parce qu'elles sont relativement pauvres, les heures mortes parce qu'elles sont vides - vides de dessein, comme disait Carlyle du fond de sa tristesse - les heures hostiles, les heures interminables, parce qu'elles ne donnent rien.

Et nous rêvons à une heure divine qui donnerait tout. Non pas l'heure pleine, mais l'heure complète. L'heure où tous les instants du temps seraient utilisés par la matière, l'heure où tous les instants réalisés dans la matière seraient utilisés par la vie, l'heure où tous les instants vivants seraient pensés, sentis, aimés. L'heure, par conséquent, où la relativité de la conscience serait effacée puisque la conscience serait à l'exacte mesure du temps complet.

Finalement, le temps objectif, c'est le temps maximum ; c'est celui qui contient tous les instants; c'est celui qui est fait de l'ensemble dense des actes de la Création.

Il n'est rien de si précieux que ce temps de notre vie, cette matinée infinitésimale, cette fine pointe imperceptible dans le frrmament de l'éternité, ce minuscule printemps qui ne sera qu'une fois, et puis jamais plus... Le coq chante et le jour brille. Lève-toi, mon aimé, c'est l'heure ". c'est l'heure: Hora!Tout à l'heure,ilsera trop tard, car cette heure-là ne dure qu'un instant.Levent se lève, c'est maintenant ou jamais. Ne perdez pas votre chance unique dans toute l'éternité, ne manquez pas votre unique matinée de printemps.

La matière néglige d'être, la vie néglige de vivre, le coeur néglige d'aimer. La matière néglige d'être, la vie néglige de vivre, le coeur néglige d'aimer.Lamatière néglige d'être, la vie néglige de vivre, le coeur néglige d'aimer. La matière néglige d'être, la vie néglige de vivre, le coeur néglige d'aimer.

3. ALEXIS CARREL, L'HOMME, CET INCONNU, Paris Presses-Pocket, 1987, p.397-398.

Il Y a encore le problème non résolu de la foule immense des déficients et des criminels. Ceux-ci chargent d'un poids énorme la population restée saine.Lecoût des prisons et des asiles d'aliénés, de la protection du public contre les bandits et les fous est devenu gigantesque. Un effort naïf est fait par les nations civilisées pour la conservation d'êtres inutiles et nuisibles.

Les anormaux empêchent le développement des normaux. La société doit se protéger contre les éléments qui sont dangereux pour elle.

Comment peut-elle le faire ?

Nous devons nous occuper des criminels de façon effective. Le conditionnement des criminels les moins dangereux par le fouet ou par quelque autre moyen plus scientifique, suivi d'un court séjour à l'hôpital, suffIrait probablement à assurer l'ordre.

Quant aux autres, ceux qui ont tué, qui ont voléàmain année, qui ont dépouillé les pauvres, qui ont gravement trompé la confiance du public, un établissement euthanasique, pourvu de gaz

(4)

appropriés, permettrait d'en disposer de façon humaine et économique.

Le même traitement ne serait-il pas applicable aux fous qui ont commis des actes criminels? TI ne faut pas hésiter à ordonner la société moderne par rapport à l'individusain. Les systèmes philosophiques et les préjugés sentimentaux doivent disparaître devant cette nécessité.

4. CHARLES NICOLLE, BIOLOGIE DE L'INVENTION,Paris: Félix Alcan, 1932, p.72-75.

Dans tous les actes de la pensée masculine, la femme joue un rôle important, souvent décisif. L'homme reporte le principal de ce qu'il estime en luiàcelle qu'il recherche. Qu'elle en soit digne ou non, la femme accepte l'hommage. Elle se plaîtàêtre prise pour inspiration.Demuse, elle se fait volontiers conseillère si on ne l'en empèche pas. Auxiliaire ou associée, elle prend sa part de l'entreprise.

Certainesyapportent une abnégation méritoire. Compagnes du génie, partageant ses illusions, ses peines, elles sacrifient leurs goûts, leur libené, leur personnalitéàl'oeuvre commune. Elles se font esclaves de la chimère et esclaves de l'homme. On ne saurait trop admirer ces femmes, amantes fidèles, consolatrices dans l'épreuve.

Ce sont des êtres d'exception.

La plupart des femmes ne remplissent pas, auprès du génie, une fonction tutélaire. Sous le masque de l'admiration et du dévouement, la nature poursuit, par elles, sont but physique.

Le son des couples humains régit désormais le génie et sa maîtresse. Les premières fièvres, les douceurs de l'union font place insensiblement aux désillusions, aux lassitudes.

Les plus tenaces, les plus amoureuses sont les plus destructrices. Reportant instinctivement toutàelles, elles s'attaquent bientôtàla chimère de l'homme. Jour et nuit, avec un acharnement jaloux, elles poursuivent l'extinction de cette flamme qui les avait attirées autrefois, et dans laquelle elles ne voient plus qu'une rivale.

Sur toutes les supériorités de l'homme, l'éternelle ennemie accomplit son insatiable besogne. Je ne puis passer sous silence les femmes de la pire espèce. Rebelles à la vraie passion, la jouant souventàmerveille, ces louves ne voient que l'éclat de leur conquête; descendant au rang le plus vil, cenaines escomptent les profits matériels qu'un cerveau d'inventeur peut, par mégarde, acquérir. Elles flairent la proie. L'ayant dépistée, elles la pourchassent, la traquent

Elles attirent ce gibier novice.

Le pauvre homme, sorti de son métier, ne tarde pas àdevenir la pâture du monstre. Elles le grignotent, le grugent et, quandiln'est plus qu'une coque vide, le renvoient d'une chiquenaude. Heureux celui qui, comptant ses blessures, d'un pas douloureux, peut reprendre le chemin de la montagne ardue dont son imprudence a fait un calvaire.

(5)

5. JEAN JACQUES, L'IMPREVU OU LA SCIENCE DES OBJETS TROUVES, Paris: Odile Jacob, 1990, p.180-l81.

On a raconté qu'en 1846 Christian Schônbein (1799-1868), professeur de chimie à l'Université de Bâle, se livrait, comme à son habitude, à des expériences dans sa cuisine.

Leballon dans lequelildistillait de l'acide nitrique et de l'acide sulfurique se brisa; comme il ne trouva pas autour de lui d'autre chiffon, il épongea le liquide répandu avec le tablier de sa femme (sans aucun doute absente).

L'ayant lavé, il le fit sécher devant son poëlle; quandilfut sec, le tablier explosa sans laisser de traces.

Moins d'un an après cette observation, le coton poudre - la nitro-cellulose - était fabriqué industriellement dans presque toute l'Europe comme substitut à la poudre traditionnelle.

6. HENRY POINCARE, "L'INVENTION MATHEMATIQUE", in Science et MétJwde, Paris: Flammarion, 1908, p.43 - 53.

Je vais vous raconter l'histoire de mon premier mémoire sur un genre de fonctions que j'ai appelé depuis "les fonctions fuchsiennes".TIfaut d'abord que je vous demande pardon car je vais employer quelques expressions, disons, techniques. Elles ne doivent pas vous effrayer, vous n'avez aucun besoin de les comprendre. Je dirai, par exemple, "j'ai trouvé la démonstration de tel théorème dans telles circonstances". Ce théorème aura un nom barbare, que beaucoup d'entre vous ne connaîtront pas, mais cela n'a aucune espèce d'importance; ce qui est intéressant, ce n'est pas le théorème, ce sont les circonstances.

Depuis quinze jours, je m'efforçais de démontrer qu'il ne pouvait exister aucune fonction analogue à ces fonctions fuchsiennes ; tous les jours, je m'asseyaisàma table de travail, j'y passais une heure ou deux, j'essayais un grand nombre de combinaisons et je n'arrivaisàaucun résultat. Un soir, contrairement à mon habitude, je pris du café noir,je ne pus m'endormir : les idées surgirent en foule; je les sentais comme se heurter, jusqu'à ce que, pour ainsi dire, deux d'entre elles s'accrochent pour former une combinaison stable. Le matin j'avais établi l'existence d'une classe de fonctions fuchsiennes, celles qui dérivent de la série hypergéométrique; et je n'eus plus qu'à rédiger les résultats, ce qui ne me prit finalement que deux ou trois heures, tout au plus

préparation, incubation, illumination vérification, préparation incubation, illumination -vérification, prépa...

Fonctions fuchsiennes, deuxième épisode: Quelques temps après, je voulus représenter ces fonctions par le quotient de deux séries; cette idée fut parfaitement réfléchie; l'analogie avec les fonctions elliptiques me guidait. Je me demandais quelles devaient être les propriétés de ces séries, si elles existaient, et j'arrivais sans difficulté à former les séries fuchsiennes.

(6)

C'est à ce moment je quittais Caen, où j'habitais alors, pour prendre part à une course géologique entreprise par l'Ecole des Mines. Les péripéties du voyage me fIrent oublier mes travaux mathématiques; arrivésàCoutances, nous montâmes dans un omnibus pour je ne sais quelle promenade; à l'instant où je mis le pied sur le marche-pied, l'idée me vint, l'idée que les transformations dont j'avais fait usage pour définir les fonctions fuchsiennes étaient identiquesà celles de la géométrie non-euclidienne.

Je ne fis pas la vérifIcation ; je n'en aurais pas eu le temps puisque,àpeine assis dans l'omnibus, je repris la conversation commencée avec mes amis, mais j'eus tout de suite l'entière certitude de cette identité. De retour à Caen, je vérifIai le résultat à tête reposée pour l'acquit de ma conscience.

préparation, incubation, illumination, vériflca..

7. PAUL BERT, "LES EXPERIENCES SUR LES SUPPLICIES", inLeVoltaire,22 Juillet 1885

Les expériences sur les suppliciés se multiplient et il n'est presque plus de décapitations qui ne soient l'occasion de recherches plus ou moins bien préparées et exécutées. TI est bon d'indiquer aux médecins mais aussi au public ce qu'il peut être intéressant de tenter, ce qui est inutile et surtout ce qui ne doit pas être pennis.

11 y a bien longtemps, en effet, qu'on observe et expérimente sur le corps des suppliciés. Ces pratiques ont même été jadis une ressource très sérieuse pour l'éducation anatomique du médecin. Mais ce n'est que dans ces derniers temps qu'on leur a demandé des renseignements purement physiologiques.

11 faut avouer qu'on n'a pas eu la main heureuse. Ces expériences où l'on faisait raidir, se tordre, se convulser les troncs, rouler les yeux, serrer les mâchoires et tirer la langue, fermer les poings et étendre les bras, donner des coups de pied en promenant les excitants électriques sur différents points du corps, n'ont absolument rien donné d'intéressant. C'étaient d'horribles spectacles dont les descriptions étaient recherchées au même titre que les récits des derniers moments du supplicié. La science n'en tirait aucun bénéfice et l'opérateur seul y gagnait quelque notoriété d'assez mauvaise aloi.

Inspirées par un meilleur esprit, des expériences plus récentes portant sur le temps au bout duquel disparaît l'excitabilité soit des centres nerveux, soit des nerfs, soit des muscles, ne pouvaient pas non plus servir à grand'chose. Ce sont là des faits d'ordre très général, communs à tous les mammifères, et qu'il est bien plus facile,àtous les points de vue, d'étudier sur un chien ou sur un lapin dans son laboratoire que sur un homme décapité. 11 n'y a rien àtenter, dirai-je, dans le domaine de la physiologie générale.

Mais il en va tout autrement dans l'étude de ce qui est spécialàl'homme.

Malgré les investigations faites sur l'homme vivant au moyen des excitations électriques, malgré les enseignements de la clinique, il est des questions de mécanismes sur lesquelles les

(7)

physiologistes ne sont pas d'accord. Quel est le rôle exact de tels muscles moteurs de l'oeil ; comment se comportent tels muscles dans les mouvements si délicats, si complexe de la main, de la langue, du voile du palais, du larynx, ete. ? Autant de questions qui ne frappent guère l'imagination mais qu'il est cependant bon de résoudre et auxquelles peut répondre le cadavre encore palpitant.

Ces recherches sont parfaitement licites; il faut même louer le courage des physiologistes qui, pour les entreprendre, assistent à d'odieux spectacles et surmontent de légitimes répugnances.Le dévouement scientifique les soutient seul, car le public s'intéresse peu à de pareilles questions.

Il en est, au contraire, qui le passionne, ce public. La section de la tête abolit-elle instantanément la sensibilité, la conscience? La guillotine mérite-t-elle les éloges de son inventeur et le monopole légal - je n'ose pas dire, la faveur - dont elle jouit?

Nous n'avons guère sur ce point capital que les renseignements de personnages auxquels, malgré le titre de docteur que leur donnent les Allemands, il est difficiler d'accorder la qualité d'hommes de science. Rien ne prouve que les grimaces qu'ils ont vues quelquefois se produire soient un signe de sensibilité dans le vrai sens du mot. Ce sont là encore des recherches à la fois utiles et permises.

J'admiresans réserve l'énergie morale des expérimentateurs qui, attendant au pied même de la guillotine que la justice fût satisfaite, ont tenu en main, moins d'une minute après le coup du couperet, la tête du supplicié. Ils ont pu constater qu'à ce moment l'oeil, l'organe qui, dans tous les genres de mort, reste le plus longtemps sensible, avait perdu toute réaction. On pouvait toucher la conjonctive, la cornée même, sans obtenir trace de clignement.

Lecerveau, frappé d'un coup violent, épuisé instantanément par la surexcitation de la moelle épinière tranchée et rendu exsangue, cesse immédiatement de fonctionner.

Mais ces fonctions disparues peuvent-elles être rétablies'! Pourrait-on ramener dans cette tête insensible, l'intelligence, la conscience '!

M. Brown-Séquard a fait jadis une expérience saisissante. Un chien est décapité et sa tête cesse aussitôt de donner des signes quelconques de sensibilité. Quelques minutes plus tard, on injecte du sang artériel par les vaisseaux carotidiens béants, et la circulation cérébrale se rétablit; bientôt le clignement de l'oeil reparaît, provocable d'abord, puis spontané, et quelques temps après, si l'on siffle, les yeux tournent et les oreilles se dressent. On arrête le sang, et tout disparaît, pour recommencer quand l'injection reprend. Ainsi, il en est du cerveau comme d'un muscle, comme d'une glande. Quand les conditions physiologiques de son fonctionnement sont rétablies, il fonctionne à nouveau et sa fonction s'appelle l'intelligence.

Cette conclusion peut-elle être appliquée à l'homme'! Certains physiologistes ont pensé qu'il fallait forcer les convictions, en répétant sur une tête humaine l'expérience de Brown-Séquard.

C'estàce point que je crie : "Halte là!Cette expérience, vous n'avez pas le droit de la tenter !"Notez que je n'incrimine les intentions de personne; je comprends, je sens les entraînements de la passion scientifique, et peu de problèmes sont plus dignes de l'attention des psychologues. Mais la morale et la loi interdisent d'essayer de le résoudre par ce moyen.

Supposez l'expérience réussie. Imaginez sur la table sanglante cette tête coupée qui sent, voit, entend, comprend. Voyez ces lèvres qui remuent, silencieuses, ce larynx tranché ne leur fournissant aucun son. Si elles parlent, c'est pour exprimer l'atroce torture physique de la plaie énorme et la

(8)

torture morale, plus épouvantable encore.Leplus cruel des bourreaux, qui brûle, tenaille et roue, est une colombe à côté de ce savant qui pompe tranquillement son sang soigneusement artérialisé.

Lebourreau fait, lui, oeuvre légale; sa cruauté est celle des textes;iln'est que l'instrument de la loi. Mais l'expérimentateur viole le Code Pénal lui-même car ce Code se réfère à la loi de 1791, qui mit fin aux férocités pénales. Son article2 contient cette formule dont on serait presque tenté de sourire, si elle ne rappelait tant de sinistres souvenirs :"Lapeine de mort consistera dans la simple privation de la vie." Et plus loin: "Aucune torture ne peut être exercée envers les condamnés. Tout condamné à mort aura la tête tranchée. "

Le législateur n'avait pensé qu'aux tortures sur le vivant.TIne pouvait prévoir que l'ingéniosité d'un physiologiste arriveraitàtorturer un mort.

L'admirable loi révolutionnaire a changé le point de vue pénal; la société ne se venge plus d'un homme, elle n'organise plus le talion légal, elle ne cherche plusà proportionner les horreurs de son supplice aux horreurs de son crime, elle s'en débarrasse par le plus court chemin: "La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie."

Ledécapité retranché du nombre des vivants a payé sa dette. Nul n'a le droit de la lui faire payer une seconde fois.

8. JACQUES PREVERT,IlFLEURS ET COURONNES" ,inParoles,Paris:Gallimard, 1969, p.64-65, collectionLivrede Poche! Le Point du Jour

Homme

Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre Et comme aux autres fleurstului as donné un nom

Tu l'as appelée Pensée. Pensée

C'était comme on dit bien observé Bien pensé

Et ces sales fleurs qui ne viventnine se fanent jamais Tu les as appelées immortelles...

C'était bien fait pour elles... Mais le lilastul'as appelé Lilas Lilas c'était tout à fait ça Lilas... Lilas...

Aux margueritestuas donné un nom de femme Ou bien aux femmestuas donné un nom de fleur C'est pareil.

L'essentiel c'était que ce soit joli Que ça fasse plaisir...

(9)

Et la plusgrandela plus belle

Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère Celle qui se dresseàcôté des vieux ressorts rouillés A cOté des vieux chiens mouillés

A cOté des vieux matelas éventrés

A cOté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés Cette fleur tellement vivante

toute jaune toute brillante

Celle que les savants appellent Hélianthe Toi tu l'as appelée soleil

... Soleil...

Hélas! Hélas! Hélas et beaucoup de fois hélas! Qui regarde le soleil hein?

Qui regarde le soleil ?

Personne ne regarde plus le soleil

Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus Des hommes intelligents...

Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuseà leur boutonnière Ils se promènent en regardant par terre

Et ils pensent au cielils pensent... Ils pensent... ils n'arrêtent pas de penser... Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes

Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées Les immortelles et les pensées

Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets... Ils se traînent

A grand-peine

Dans les marécages du passé

Et ils traînent.. Ils traînent leurs chaînes Et ils traînent les pieds au pas cadencé... Ils avancentàgrand peine

Enlisés dans leurs champs-élysées

Et ils chantentàtue-tête la chanson mortuaire Oui ils chantent

A tue-tête

Mais tout ce qui est mort dans leur tête Pour rien au monde ils ne voudraient l'enlever Parce que

Dans leur tête Pousse la fleur sacrée La sale maigre petite fleur La fleur malade

(10)

La fleur aigre La fleurtoujours fanée La fleur personnelle... ... La pensée

9. BIBLIOGRAPHIE

SCHlANGER(l),1983..L'Invention Intellectuelle. Ed. Fayard, Paris.

SCHWARBERG (G.), 1981. .Ils ne voulaient pas mourir, les enfants martyrs du Bullenhuser Damn. Ed. Presses de la Renaissance, Paris.

MULLER-HILL (B.), 1989.. La génétique après Auschwitz. In Les Temps Modernes. Paris, février, 52-85.

JACQUES (J.), 1990. -L'Imprévu ou la science des objets trouvés. Paris: Odile Jacob, dont j'avais pu lire le manuscrit avant sa parution.

LEVY -LEBLûND (J.-M.), 1985, Introduction de L'Art et la Science, texte de Victor Hugo. Ed. Nyssen/Actes Sud/Anaïs, que m'a fait connaître, précisément, Jean-Marc Lévy-Leblond.

FICHE TECHNIQUE

Si "Et la Sciencedit..."vous intéresse, je vous joins sa fiche technique:

. scène avec paravents sur les côtés, rideau de scène inutile, noir complet nécessaire - éclairage par une poursuite ou une découpe et quatre projecteurs 1000 Watts - une sonorisation avec: magnétophone Revox, un micro-cravate, un micro sur pied - un projecteur diapo carrousel et un écran en fond de scène

Personnel: deux personnes de la structure d'accueil apprenantàmanipuler la conduite la veille .Q!fu..:4000 francs+frais de transport et de séjour

ûr~anisation : possibilité de débat sur les thèmes suivants: éthique et science, science et imaginaire, la genèse de la pensée scientifique

Contact: Daniel Raichvarg, 18 rue Hector Berlioz 93270 SEVRAN

TéL 16-1-43855582

Et, bien sûr, mon autre spectacle "Défi-sciences" (55 représentations au 1er Juin 1990) reste disponible...

Références

Documents relatifs

Galilée nous dit qu’à travers sa lunette : « je vis les objets assez grands et assez rapprochés, trois fois plus rapprochés et neuf fois plus grands qu'à l’œil

Les complications neurologiques après BNP peuvent être liées à une série de facteurs se rapportant au bloc (un traumatisme de l'aiguille, une injection intraneurale, une

• Les examens de dépistage de l’ischémie myocardique peuvent être envisagés chez les patients ayant une faible capacité physique, devant être opérés d’une chirurgie à risque

− Les émoluments, rémunérations ou indemnités des personnels médicaux exerçant leurs fonctions à temps plein ou à temps partiel dans les établissements publics de santé

Différents facteurs liés au temps de travail ont en effet modifié la disponibilité de chacun d’entre eux:diffusion du temps partiel,réduction du temps de travail,attitude

Dans le premier chapitre de ce travail, je construis pour les corps algébriques non-galoisiens un appareil analogue à celui que fournit le groupe de Galois pour les corps galoisiens,

Les états généraux de la bioéthique sont un procédé très intéressant et novateur. Utilisés à bon escient, ils peuvent permettre aux citoyens de s’emparer

Nous discutons ensuite quelques-unes des modalités de la mise en scène de l’expérimentation dans la vulgarisation scientifique (telle qu’on la rencontre dans les musées